politiques eux-mêmes. Ceux qui détiennent le contrôle de la formation de la
jeunesse, disposent à terme du pouvoir politique. Ces luttes entre les grandes
familles politiques expliquent les tensions qu'a connus l'enseignement non seulement
sur le plan des valeurs philosophiques et religieuses mais aussi sur la procédure de
la sélection des élites.
Au coeur de la révolution industrielle du XIXe siècle, une question est posée
d'emblée: l'école doit-elle reproduire la hiérarchie sociale établie ou doit-elle la
modifier? Pendant des années, ce débat a opposé les progressistes, qui prônent
l'émancipation des classes populaires, aux conservateurs, partisans d'un statu quo.
La limitation du travail des enfants, l'obligation scolaire et la démocratisation des
études sont au centre de ce débat. Rappelons qu'il faut attendre 1884 pour que le
travail des enfants dans le fond de la mine (et dans le fond seulement), soit interdit
avant l'âge de 12 ans pour les garçons et avant l'âge de 14 ans pour les filles! Selon
un recensement industriel effectué en 1846, 21 % des ouvriers ont moins de 16 ans
(dans certains secteurs d'activités cette proportion s'élève à 48 %) 2.
Le thème de l'obligation scolaire est lancé en 1858 par les libéraux, suivis plus tard
par les socialistes et les démocrates-chrétiens. L'école comme moyen
d'émancipation sociale commence à prendre le dessus sur l'école comme moyen
"pour moraliser les enfants du peuple". Parallèlement, des progrès sont faits en
matière de gratuité de l'enseignement primaire. Mais la bourgeoisie censitaire reste
attachée à une conception limitative de l'école, clairement comprise comme outil de
reproduction de la hiérarchie sociale. Ainsi il faudra attendre 1914 pour voir
apparaître la loi sur l'instruction obligatoire: la fréquentation de l'école est désormais
obligatoire; la limite d'âge est fixée à 14 ans; l'accès a l'école doit être gratuit. Cette
loi est obtenue d'ailleurs par les mêmes acteurs et en même temps que le suffrage
universel.
Par contre, en ce qui concerne la poursuite des études au-delà des 8 années de
l'école primaire, aucune disposition n'est prise. Au moment où le principe de
l'instruction obligatoire est voté, les structures scolaires fréquentées par les
différentes couches sociales sont totalement étanches dès le début de la scolarité.
L'école primaire destinée aux enfants du peuple n'est pas celle que fréquentent les
enfants de la petite bourgeoisie ni les enfants de la haute bourgeoisie. Dans les
deux derniers cas, les écoles primaires font intégralement partie de structures qui
débouchent soit sur l'enseignement moyen, soit sur les collèges et athénées menant
aux études supérieures (quasi exclusivement pour les garçons). Ce système de
sélection sociale "externe", c'est à dire dès l'entrée dans le système scolaire, n'est
pas contesté: l'enfant est éduqué, instruit et socialisé selon sa destinée sociale.
L'école reproduit les élites sans les remettre en cause.
Pendant la période de l'entre-deux-guerres, seul le concept de "aptitudes
exceptionnelles" fait une apparition timide, ce qui mène à l'instauration d'un "Fonds
des mieux doués" pour soutenir les élèves les plus méritants issus des familles
modestes. Il s'agira d'une ouverture très limitée de l'enseignement moyen et
secondaire supérieur aux familles d'origine modeste, dans une optique paternaliste,
sans remise en question de la hiérarchie sociale. Les enfants les plus méritants
2 Histoire de l'enseignement en Belgique, sous la direction de D.Grootaers, Ed du CRISP, Bruxelles 1998, p.54
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