Siréas asbl
Service International de Recherche , d’Education et d’Action Sociale
Année 2005
DOCUMENT n° 3
Analyses et études
LES CAUSES
DE L’ÉCHEC SCOLAIRE
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Les causes de l’échec scolaire
Beaucoup a été dit et écrit sur l’échec scolaire tant du point de vue psychologique et
sociologique que du point de vue des politiques scolaires. Nul doute que des
éléments idéologiques et de stratégies politiques ont joué un rôle important.
L’approche psychologique et surtout l’approche sociologique ont permis d'acquérir
une compréhension plus globale de ce phénomène, surtout depuis les années ’70,
et ont mis en évidence les réformes à réaliser au niveau politique et au niveau
scolaire. Des initiatives de lutte contre l'échec scolaire ont été entreprises, et
certains résultats ont été atteints, mais ces résultats restent timides.
Le Livre Blanc de l'Education et de la Formation de la Communauté Européenne
"Enseigner et apprendre: Vers la société cognitive" a mis l'accent sur la nécessité
d'opérer des réformes dans ce domaine. La Commission Européenne constate en
effet que "même si des établissements et des enseignants tentent des expériences
de renouvellement encore trop isolées les unes par rapport aux autres, les
institutions sont encore trop rigides". La Commission recommande donc "une plus
grande adaptation des structures actuelles et des institutions éducatives et de
formation pour faire face à la diversité des publics et des besoins".
La notion d’échec scolaire
Le terme « échec scolaire » varie d’un pays à l’autre (en Italie, on parle plutôt de
« dispersion » ; en Espagne de « fracaso escolar »). En réalité, il regroupe un
ensemble de notions comme l’insuccès scolaire, la déficience intellectuelle, le déficit
d’attention, etc.
Notons qu'avant la politique de massification de l’enseignement, on trouvait normal
que seul un faible pourcentage d’élèves accédait aux études supérieures, non
seulement parce que les enfants d’ouvriers ou de paysans étaient à peu près sûrs de
trouver un travail à la fin de la période d'alphabétisation, mais aussi parce que cela
correspondait à la conception du fonctionnement normal de la société.
Le terme échec scolaire apparaît en 1950, mais ce n’est qu’au cours des années ’60
qu’il sera utilisé couramment. La conscience de ce phénomène n'est pas nouvelle,
mais était exprimé autrefois sous les termes d’inadaptation scolaire, d’anormalité,
voire de débilité mentale. Ce qui indique que l'échec était attribué essentiellement à
l’élève lui-même, à son fonctionnement psychologique ou mental. Aujourd'hui, le
terme échec scolaire s’est imposé, sans doute pour éviter de stigmatiser un individu
ou un groupe social ou de devoir accuser l’école ou les politiques scolaires d’en être
responsables.
L'échec scolaire ne renvoie pas à un phénomène précis, mais plutôt à l'ensemble
des problématiques qui sont à la base des difficultés rencontrées par certains élèves
dans leur parcours formatif. Du point de vue scolaire, quatre type de problèmes
sont relevés:
2
1. Les difficultés d'adaptation à la structure scolaire: les perturbations, les capacités
mentales et relationnelles de certains élèves.
2. Les difficultés d'apprentissage : les problèmes cognitifs, le manque de
compétence dans les matières de base "lire, écrire, calculer"
3. Les procédures d'élimination ou de relégation, d'orientation négative, de
redoublement, de placement dans une structure ou dans une filière dévalorisée
4. Les difficultés de passage d'un cycle à l'autre
Par ailleurs, au niveau de l'intégration sociale et professionnelle, l'insuffisance ou
l'absence de certification de diplôme sont souvent citées comme révélatrices de
l'échec scolaire. L'accent est mis, dans ce cas, sur la sortie du monde scolaire et
l'entrée dans le monde du travail.
Ces notions, lues séparément et simplifiées, ne sont pas en elles-mêmes suffisantes
pour répondre au phénomène de l'échec scolaire sans une analyse plus complexe et
globale. Il faut tenir compte de l'interactivité de tous ces éléments, qui doivent être
examinés dans toute leur dimension psychologique et sociologique.
L'examen de la situation en Belgique reflète cette complexité. La lutte contre l'échec
scolaire y est plus difficile à cause de la diversité des tendances idéologiques et
politiques dont elle est l'enjeu.
L'échec scolaire en chiffres aujourd'hui
L'échec scolaire en Europe est un phénomène important. 2 à 3 % des jeunes qui
n'ont aucun déficit mental sont en échec ; 15 à 30% ne terminent pas leur scolarité
avec un diplôme qualifiant. Mais il n'existe pas de critère unique d'évaluation. L'échec
scolaire en Europe est analysé sur base d'approches différentes, de politiques
divergentes : scolariser le plus grand nombre, le plus longtemps possible, satisfaire
aux nécessités économiques, sélectionner les élites, etc.
En Belgique, en 1976-77, les taux de retard scolaire (un an de retard ou plus)
enregistré en 5e et 6e années secondaire étaient respectivement de 43,9 % et de
50 %. En 1992-1993, ils sont de 63,6 % et 61,2 %. Depuis 1993, les taux de retard
sont légèrement en baisse. Ils atteignent 55,9 % et 53,2 % en 2003-2004.
Dans l'enseignement professionnel, en remontant les statistiques sur les 20
dernières années, on constate que le taux de retard scolaire est toujours supérieur à
75 %. Ce taux et resté en augmentation jusqu’en 1992-93 où il atteint 88,9 % en 5e
et 88,3 % en 6e. Dès la 2e professionnelle , 83,2 % des élèves étaient en retard en
1992-93. "La situation est à ce point étonnante qu'on en est à se demander quelles
raisons poussent des élèves qui n'ont pas doublé à fréquenter cette filière: ils sont
moins de 15 % dans ce cas en année terminale. Difficile avec pareil constat de ne
pas parler de filière de relégation" 1. Le même raisonnement s'impose par ailleurs
pour l'enseignement technique dans la Communauté Française de Belgique. Autant
les sections techniques que professionnelles sont devenues des sections de
relégation où se retrouvent quasi exclusivement ceux qui ont échoué ailleurs.
1 Ibidem, p.48
3
Aujourd’hui, les dernières statistiques (2003-2004) indiquent une baisse des retards
en professionnelle comme dans les autres filières (68 % en 2e professionnelle,
79,4 % en 5e et 78,1 % en 6e). Comment faut-il interpréter ces chiffres ? Cela
signifie-t-il que l’orientation vers les « sections de relégation » fonctionne de manière
plus directive ? En tout état de cause, ces statistiques révèlent la persistance de
sérieux problèmes d’échec. Les retards de plus de 2 ans concernent 25 % des
élèves de la 6e professionnelle, les retards de plus de 3 ans en 6e professionnelle
concernent 19,5 % des élèves (2003-2004) !
LES CAUSES DE L'ÉCHEC
Les causes de l'échec scolaire sont multiples, d’origine historique et politique, mais
aussi psychologiques, sociales et culturelles. Avant de proposer des remèdes il est
indispensable d'analyser globalement les causes. En outre, il faut poser la question
de savoir dans quelle mesure l'échec scolaire ne serait qu'un épiphénomène du
problème de l'exclusion scolaire. C'est pourquoi l'analyse des causes de l'échec
scolaire que nous présentons ci-dessous se place dans une perspective historique.
Seule une perspective historique permet de rendre compte de la profondeur
idéologique du problème.
En effet, la compréhension du phénomène de l'échec scolaire évolue de pair avec la
conception de la fonction et de la signification de l'école. En remontant plus d'un
siècle et demi en arrière, on peut dire schématiquement qu'on est passé d'une
situation ou l'échec scolaire n'était pas problématisé (le rôle de l'école étant de
sélectionner les meilleurs), à une situation où l'échec scolaire reflète l'incapacité de
l'école à faire autre chose que de la sélection, voire de l'exclusion, mais sans le dire.
En d'autres termes on est passé d'une explication idéologique/politique où l'exclusion
scolaire est considérée comme normale, à une explication sociologique où le
fonctionnement même de l'école est remis en cause. Entre ces deux points de vue
extrêmes, il y a place pour toute une gamme d'explications centrées principalement
sur l'élève.
Bien entendu la vision que nous proposons est loin d'être partagée par l'ensemble
des représentants du monde enseignant. Au contraire, nombreux sont ceux qui
restent empreints d'une conception idéologique de la sélection des meilleurs ou
d'une conception psychologisante qui impute l'échec à l'incapacité de l'élève ou à
l'inadaptation de son milieu sans remettre en cause le fonctionnement de l'école.
I. Les causes idéologiques et politiques
Comme l’a illustré abondamment Dominique Grootaers dans son « Histoire de
l’enseignement en Belgique », l’enseignement est, dès la création du jeune Etat
belge en 1830, au coeur des luttes politiques pour contrôler les mécanismes
collectifs de socialisation. Le clivage idéologique Eglise/Etat et le clivage socio-
économique de la société industrielle aboutissent à la formation de trois grandes
familles politiques (catholiques, socialistes et libéraux) qui encadreront la société
toute entière pendant plus d'un siècle. Le contrôle de l'éducation, son contenu et la
finalité du système scolaire sont des enjeux dont dépend la survie des grands partis
4
politiques eux-mêmes. Ceux qui détiennent le contrôle de la formation de la
jeunesse, disposent à terme du pouvoir politique. Ces luttes entre les grandes
familles politiques expliquent les tensions qu'a connus l'enseignement non seulement
sur le plan des valeurs philosophiques et religieuses mais aussi sur la procédure de
la sélection des élites.
Au coeur de la révolution industrielle du XIXe siècle, une question est posée
d'emblée: l'école doit-elle reproduire la hiérarchie sociale établie ou doit-elle la
modifier? Pendant des années, ce débat a opposé les progressistes, qui prônent
l'émancipation des classes populaires, aux conservateurs, partisans d'un statu quo.
La limitation du travail des enfants, l'obligation scolaire et la démocratisation des
études sont au centre de ce débat. Rappelons qu'il faut attendre 1884 pour que le
travail des enfants dans le fond de la mine (et dans le fond seulement), soit interdit
avant l'âge de 12 ans pour les garçons et avant l'âge de 14 ans pour les filles! Selon
un recensement industriel effectué en 1846, 21 % des ouvriers ont moins de 16 ans
(dans certains secteurs d'activités cette proportion s'élève à 48 %) 2.
Le thème de l'obligation scolaire est lancé en 1858 par les libéraux, suivis plus tard
par les socialistes et les démocrates-chrétiens. L'école comme moyen
d'émancipation sociale commence à prendre le dessus sur l'école comme moyen
"pour moraliser les enfants du peuple". Parallèlement, des progrès sont faits en
matière de gratuité de l'enseignement primaire. Mais la bourgeoisie censitaire reste
attachée à une conception limitative de l'école, clairement comprise comme outil de
reproduction de la hiérarchie sociale. Ainsi il faudra attendre 1914 pour voir
apparaître la loi sur l'instruction obligatoire: la fréquentation de l'école est désormais
obligatoire; la limite d'âge est fixée à 14 ans; l'accès a l'école doit être gratuit. Cette
loi est obtenue d'ailleurs par les mêmes acteurs et en même temps que le suffrage
universel.
Par contre, en ce qui concerne la poursuite des études au-delà des 8 années de
l'école primaire, aucune disposition n'est prise. Au moment où le principe de
l'instruction obligatoire est voté, les structures scolaires fréquentées par les
différentes couches sociales sont totalement étanches dès le début de la scolarité.
L'école primaire destinée aux enfants du peuple n'est pas celle que fréquentent les
enfants de la petite bourgeoisie ni les enfants de la haute bourgeoisie. Dans les
deux derniers cas, les écoles primaires font intégralement partie de structures qui
débouchent soit sur l'enseignement moyen, soit sur les collèges et athénées menant
aux études supérieures (quasi exclusivement pour les garçons). Ce système de
sélection sociale "externe", c'est à dire dès l'entrée dans le système scolaire, n'est
pas contesté: l'enfant est éduqué, instruit et socialisé selon sa destinée sociale.
L'école reproduit les élites sans les remettre en cause.
Pendant la période de l'entre-deux-guerres, seul le concept de "aptitudes
exceptionnelles" fait une apparition timide, ce qui mène à l'instauration d'un "Fonds
des mieux doués" pour soutenir les élèves les plus méritants issus des familles
modestes. Il s'agira d'une ouverture très limitée de l'enseignement moyen et
secondaire supérieur aux familles d'origine modeste, dans une optique paternaliste,
sans remise en question de la hiérarchie sociale. Les enfants les plus méritants
2 Histoire de l'enseignement en Belgique, sous la direction de D.Grootaers, Ed du CRISP, Bruxelles 1998, p.54
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