Siréas asbl Service International de Recherche , d’Education et d’Action Sociale Année 2005 DOCUMENT n° 3 Analyses et études LES CAUSES DE L’ÉCHEC SCOLAIRE Rue de la croix, 22 1050 Bruxelles – Téléphone :02 /649 99 58 – Fax 02/ 646 43 24 e-mail : [email protected] - site : http://www.sireas.be Les causes de l’échec scolaire Beaucoup a été dit et écrit sur l’échec scolaire tant du point de vue psychologique et sociologique que du point de vue des politiques scolaires. Nul doute que des éléments idéologiques et de stratégies politiques ont joué un rôle important. L’approche psychologique et surtout l’approche sociologique ont permis d'acquérir une compréhension plus globale de ce phénomène, surtout depuis les années ’70, et ont mis en évidence les réformes à réaliser au niveau politique et au niveau scolaire. Des initiatives de lutte contre l'échec scolaire ont été entreprises, et certains résultats ont été atteints, mais ces résultats restent timides. Le Livre Blanc de l'Education et de la Formation de la Communauté Européenne "Enseigner et apprendre: Vers la société cognitive" a mis l'accent sur la nécessité d'opérer des réformes dans ce domaine. La Commission Européenne constate en effet que "même si des établissements et des enseignants tentent des expériences de renouvellement encore trop isolées les unes par rapport aux autres, les institutions sont encore trop rigides". La Commission recommande donc "une plus grande adaptation des structures actuelles et des institutions éducatives et de formation pour faire face à la diversité des publics et des besoins". La notion d’échec scolaire Le terme « échec scolaire » varie d’un pays à l’autre (en Italie, on parle plutôt de « dispersion » ; en Espagne de « fracaso escolar »). En réalité, il regroupe un ensemble de notions comme l’insuccès scolaire, la déficience intellectuelle, le déficit d’attention, etc. Notons qu'avant la politique de massification de l’enseignement, on trouvait normal que seul un faible pourcentage d’élèves accédait aux études supérieures, non seulement parce que les enfants d’ouvriers ou de paysans étaient à peu près sûrs de trouver un travail à la fin de la période d'alphabétisation, mais aussi parce que cela correspondait à la conception du fonctionnement normal de la société. Le terme échec scolaire apparaît en 1950, mais ce n’est qu’au cours des années ’60 qu’il sera utilisé couramment. La conscience de ce phénomène n'est pas nouvelle, mais était exprimé autrefois sous les termes d’inadaptation scolaire, d’anormalité, voire de débilité mentale. Ce qui indique que l'échec était attribué essentiellement à l’élève lui-même, à son fonctionnement psychologique ou mental. Aujourd'hui, le terme échec scolaire s’est imposé, sans doute pour éviter de stigmatiser un individu ou un groupe social ou de devoir accuser l’école ou les politiques scolaires d’en être responsables. L'échec scolaire ne renvoie pas à un phénomène précis, mais plutôt à l'ensemble des problématiques qui sont à la base des difficultés rencontrées par certains élèves dans leur parcours formatif. Du point de vue scolaire, quatre type de problèmes sont relevés: 2 1. Les difficultés d'adaptation à la structure scolaire: les perturbations, les capacités mentales et relationnelles de certains élèves. 2. Les difficultés d'apprentissage : les problèmes cognitifs, le manque de compétence dans les matières de base "lire, écrire, calculer" 3. Les procédures d'élimination ou de relégation, d'orientation négative, de redoublement, de placement dans une structure ou dans une filière dévalorisée 4. Les difficultés de passage d'un cycle à l'autre Par ailleurs, au niveau de l'intégration sociale et professionnelle, l'insuffisance ou l'absence de certification de diplôme sont souvent citées comme révélatrices de l'échec scolaire. L'accent est mis, dans ce cas, sur la sortie du monde scolaire et l'entrée dans le monde du travail. Ces notions, lues séparément et simplifiées, ne sont pas en elles-mêmes suffisantes pour répondre au phénomène de l'échec scolaire sans une analyse plus complexe et globale. Il faut tenir compte de l'interactivité de tous ces éléments, qui doivent être examinés dans toute leur dimension psychologique et sociologique. L'examen de la situation en Belgique reflète cette complexité. La lutte contre l'échec scolaire y est plus difficile à cause de la diversité des tendances idéologiques et politiques dont elle est l'enjeu. L'échec scolaire en chiffres aujourd'hui L'échec scolaire en Europe est un phénomène important. 2 à 3 % des jeunes qui n'ont aucun déficit mental sont en échec ; 15 à 30% ne terminent pas leur scolarité avec un diplôme qualifiant. Mais il n'existe pas de critère unique d'évaluation. L'échec scolaire en Europe est analysé sur base d'approches différentes, de politiques divergentes : scolariser le plus grand nombre, le plus longtemps possible, satisfaire aux nécessités économiques, sélectionner les élites, etc. En Belgique, en 1976-77, les taux de retard scolaire (un an de retard ou plus) enregistré en 5e et 6e années secondaire étaient respectivement de 43,9 % et de 50 %. En 1992-1993, ils sont de 63,6 % et 61,2 %. Depuis 1993, les taux de retard sont légèrement en baisse. Ils atteignent 55,9 % et 53,2 % en 2003-2004. Dans l'enseignement professionnel, en remontant les statistiques sur les 20 dernières années, on constate que le taux de retard scolaire est toujours supérieur à 75 %. Ce taux et resté en augmentation jusqu’en 1992-93 où il atteint 88,9 % en 5e et 88,3 % en 6e. Dès la 2e professionnelle , 83,2 % des élèves étaient en retard en 1992-93. "La situation est à ce point étonnante qu'on en est à se demander quelles raisons poussent des élèves qui n'ont pas doublé à fréquenter cette filière: ils sont moins de 15 % dans ce cas en année terminale. Difficile avec pareil constat de ne pas parler de filière de relégation" 1. Le même raisonnement s'impose par ailleurs pour l'enseignement technique dans la Communauté Française de Belgique. Autant les sections techniques que professionnelles sont devenues des sections de relégation où se retrouvent quasi exclusivement ceux qui ont échoué ailleurs. 1 Ibidem, p.48 3 Aujourd’hui, les dernières statistiques (2003-2004) indiquent une baisse des retards en professionnelle comme dans les autres filières (68 % en 2e professionnelle, 79,4 % en 5e et 78,1 % en 6e). Comment faut-il interpréter ces chiffres ? Cela signifie-t-il que l’orientation vers les « sections de relégation » fonctionne de manière plus directive ? En tout état de cause, ces statistiques révèlent la persistance de sérieux problèmes d’échec. Les retards de plus de 2 ans concernent 25 % des élèves de la 6e professionnelle, les retards de plus de 3 ans en 6e professionnelle concernent 19,5 % des élèves (2003-2004) ! LES CAUSES DE L'ÉCHEC Les causes de l'échec scolaire sont multiples, d’origine historique et politique, mais aussi psychologiques, sociales et culturelles. Avant de proposer des remèdes il est indispensable d'analyser globalement les causes. En outre, il faut poser la question de savoir dans quelle mesure l'échec scolaire ne serait qu'un épiphénomène du problème de l'exclusion scolaire. C'est pourquoi l'analyse des causes de l'échec scolaire que nous présentons ci-dessous se place dans une perspective historique. Seule une perspective historique permet de rendre compte de la profondeur idéologique du problème. En effet, la compréhension du phénomène de l'échec scolaire évolue de pair avec la conception de la fonction et de la signification de l'école. En remontant plus d'un siècle et demi en arrière, on peut dire schématiquement qu'on est passé d'une situation ou l'échec scolaire n'était pas problématisé (le rôle de l'école étant de sélectionner les meilleurs), à une situation où l'échec scolaire reflète l'incapacité de l'école à faire autre chose que de la sélection, voire de l'exclusion, mais sans le dire. En d'autres termes on est passé d'une explication idéologique/politique où l'exclusion scolaire est considérée comme normale, à une explication sociologique où le fonctionnement même de l'école est remis en cause. Entre ces deux points de vue extrêmes, il y a place pour toute une gamme d'explications centrées principalement sur l'élève. Bien entendu la vision que nous proposons est loin d'être partagée par l'ensemble des représentants du monde enseignant. Au contraire, nombreux sont ceux qui restent empreints d'une conception idéologique de la sélection des meilleurs ou d'une conception psychologisante qui impute l'échec à l'incapacité de l'élève ou à l'inadaptation de son milieu sans remettre en cause le fonctionnement de l'école. I. Les causes idéologiques et politiques Comme l’a illustré abondamment Dominique Grootaers dans son « Histoire de l’enseignement en Belgique », l’enseignement est, dès la création du jeune Etat belge en 1830, au coeur des luttes politiques pour contrôler les mécanismes collectifs de socialisation. Le clivage idéologique Eglise/Etat et le clivage socioéconomique de la société industrielle aboutissent à la formation de trois grandes familles politiques (catholiques, socialistes et libéraux) qui encadreront la société toute entière pendant plus d'un siècle. Le contrôle de l'éducation, son contenu et la finalité du système scolaire sont des enjeux dont dépend la survie des grands partis 4 politiques eux-mêmes. Ceux qui détiennent le contrôle de la formation de la jeunesse, disposent à terme du pouvoir politique. Ces luttes entre les grandes familles politiques expliquent les tensions qu'a connus l'enseignement non seulement sur le plan des valeurs philosophiques et religieuses mais aussi sur la procédure de la sélection des élites. Au coeur de la révolution industrielle du XIXe siècle, une question est posée d'emblée: l'école doit-elle reproduire la hiérarchie sociale établie ou doit-elle la modifier? Pendant des années, ce débat a opposé les progressistes, qui prônent l'émancipation des classes populaires, aux conservateurs, partisans d'un statu quo. La limitation du travail des enfants, l'obligation scolaire et la démocratisation des études sont au centre de ce débat. Rappelons qu'il faut attendre 1884 pour que le travail des enfants dans le fond de la mine (et dans le fond seulement), soit interdit avant l'âge de 12 ans pour les garçons et avant l'âge de 14 ans pour les filles! Selon un recensement industriel effectué en 1846, 21 % des ouvriers ont moins de 16 ans (dans certains secteurs d'activités cette proportion s'élève à 48 %) 2. Le thème de l'obligation scolaire est lancé en 1858 par les libéraux, suivis plus tard par les socialistes et les démocrates-chrétiens. L'école comme moyen d'émancipation sociale commence à prendre le dessus sur l'école comme moyen "pour moraliser les enfants du peuple". Parallèlement, des progrès sont faits en matière de gratuité de l'enseignement primaire. Mais la bourgeoisie censitaire reste attachée à une conception limitative de l'école, clairement comprise comme outil de reproduction de la hiérarchie sociale. Ainsi il faudra attendre 1914 pour voir apparaître la loi sur l'instruction obligatoire: la fréquentation de l'école est désormais obligatoire; la limite d'âge est fixée à 14 ans; l'accès a l'école doit être gratuit. Cette loi est obtenue d'ailleurs par les mêmes acteurs et en même temps que le suffrage universel. Par contre, en ce qui concerne la poursuite des études au-delà des 8 années de l'école primaire, aucune disposition n'est prise. Au moment où le principe de l'instruction obligatoire est voté, les structures scolaires fréquentées par les différentes couches sociales sont totalement étanches dès le début de la scolarité. L'école primaire destinée aux enfants du peuple n'est pas celle que fréquentent les enfants de la petite bourgeoisie ni les enfants de la haute bourgeoisie. Dans les deux derniers cas, les écoles primaires font intégralement partie de structures qui débouchent soit sur l'enseignement moyen, soit sur les collèges et athénées menant aux études supérieures (quasi exclusivement pour les garçons). Ce système de sélection sociale "externe", c'est à dire dès l'entrée dans le système scolaire, n'est pas contesté: l'enfant est éduqué, instruit et socialisé selon sa destinée sociale. L'école reproduit les élites sans les remettre en cause. Pendant la période de l'entre-deux-guerres, seul le concept de "aptitudes exceptionnelles" fait une apparition timide, ce qui mène à l'instauration d'un "Fonds des mieux doués" pour soutenir les élèves les plus méritants issus des familles modestes. Il s'agira d'une ouverture très limitée de l'enseignement moyen et secondaire supérieur aux familles d'origine modeste, dans une optique paternaliste, sans remise en question de la hiérarchie sociale. Les enfants les plus méritants 2 Histoire de l'enseignement en Belgique, sous la direction de D.Grootaers, Ed du CRISP, Bruxelles 1998, p.54 5 pourront accéder à l'élite ouvrière et bourgeoise, mais sous un contrôle social très rigoureux. Les politiques scolaires de l'entre-deux-guerres seront également caractérisées par une volonté de réduire petit à petit l'étanchéité des systèmes scolaires parallèles, et de créer des passerelles entre différentes structures, toujours au bénéfice d'un nombre restreint d'enfants "doués". Massification de l'enseignement et relégation des filières techniques et professionnelles Ce n'est qu'après la seconde guerre mondiale qu'on assiste à la massification et à la démocratisation de l'enseignement. La volonté de reconstruction du pays fait taire la rivalité et les querelles philosophiques et politiques. L'enseignement supérieur cesse de s'adresser exclusivement aux enfants des classes moyennes et aux plus méritants. L'enseignement est généralisé. L'enseignement technique et professionnel connaissent un développement important. La reconversion industrielle et les changements technologiques incitent les écoles à se restructurer et à diversifier les formations. L'Etat financera à 100% tous les réseaux scolaires. Les prêts remboursables sont remplacés par les bourses d'études. Dans une volonté de démocratisation et de revalorisation de l'enseignement technique, celui-ci sera "normalisé" (rattaché au Ministère de l'Education Nationale) en vue de son équivalence avec l'enseignement moyen et, peu à peu, mis en système au sein d'un seul enseignement secondaire auquel sera rattaché également l'enseignement professionnel. Les trois filières deviennent des filières parallèles et des passages sont possibles d'une filière à l'autre (du général vers le technique, et du technique vers le professionnel; dans l'autre sens c'est beaucoup plus difficile). Mais en reliant les trois secteurs de l'enseignement secondaire au sein d'un système unique, dans une optique de promotion, on a provoqué un effet secondaire négatif certainement non voulu par les réformateurs, celui de la relégation des filières techniques et professionnelles. "En effet, la hiérarchisation établie formellement entre les trois filières aboutit, dans un premier temps, à l'émergence de la filière professionnelle qui se définit d'emblée comme un enseignement technique de seconde zone, et en tout cas du côté des garçons qui la perçoivent comme une filière dévalorisée et une "chute" par rapport à la filière technique. Dans un second temps, à partir de la réforme du "rénové" (qui impose à tous les élèves de 12 à 14 ans deux années d'enseignement général), c'est la filière technique elle-même qui se voit dévalorisée, apparaissant comme un second choix par rapport à la filière générale" 3. Actuellement, le gonflement continu des effectifs masculins de la filière professionnelle (avec des taux d'échec extrêmement élevés comme nous l'avons vu) n'est autre que la conséquence des mécanismes de relégation et d'exclusion qui accompagnent la généralisation de la fréquentation de l'enseignement moyen, encore amplifiée par le prolongement de l'obligation scolaire jusqu'à 18 ans et 3 Ibidem, p.454 6 l'absence de perspectives pour les jeunes relégués dans des sections qui n'offrent pas de possibilités d'emploi. II. La vision centrée sur l'enfant et son milieu a) L'idéologie du don C'est dans ce contexte de massification de l'enseignement secondaire que l'on a vu se développer le courant de pensée basé sur l'idéologie du don. Selon ce courant de pensé, la réussite scolaire de l'enfant dépend de son intelligence, qui est inscrite dans le patrimoine génétique. On peut d'ailleurs la mesurer: c'est ce qui donne le Quotient Intellectuel. Cette théorie, encore largement diffusée il y a 20 ans, notamment par le professeur Debray-Ritzen en France 4, diffuse les principes suivants: • 1 enfant sur 4 a un QI inférieur à 90 et appartient à la frange supérieure de la débilité légère • 1 enfant sur 4 a un QI de 90 à 100 et ne pourra guère réussir l'école après l'enseignement primaire • 1 enfant sur 4 a un QI entre 100 et 110 et arrivera peut-être avec beaucoup d'effort à la fin du secondaire, mais ne pourra franchement pas aborder l'université • Enfin, un enfant sur quatre a un QI supérieur à 110, mais tous ne réussiront pas l'Université, pour laquelle il faut au moins un QI de 120 (130 pour les matières à haute abstraction). En réalité, toujours selon le professeur Debray-Ritzen, environ un enfant sur dix est capable de réussir l'université, sauf si on baisse le niveau, ce qui produira des chirurgiens, ingénieurs, etc... particulièrement médiocres. Même si aujourd'hui on ne mesure plus beaucoup les QI d'une manière explicite, cette idéologie reste très présente dans le fonctionnement des mécanismes d'orientation et de sélection des élèves, notamment par le biais des centres PMS (Centres Psycho-Médico-Sociaux). En effet, créés en 1964 dans une optique pluridisciplinaire combinant la prévention médicale et l'orientation scolaire, les centres PMS participent encore trop souvent à l'orientation vers les sections de relégation des élèves qui ont des difficultés. On se demande aujourd’hui si ce dispositif n'a pas contribué à créer des écoles de valeurs différentes : un enseignement de qualité pour les jeunes qui ont des capacités évidentes ou un bon support familial, un enseignement professionnel pour les moins doués intellectuellement, et enfin un enseignement "spécial" pour ceux qui ont de sérieuses difficultés (notamment les enfants étiquetés "débiles légers" ou "caractériels"). En renvoyant ainsi vers l'élève la responsabilité de l'échec scolaire n'a-t-on pas échappé à la remise en cause de l'enseignement lui-même, de ses méthodes pédagogiques et didactiques ? La bonne conscience de l'école est préservée, son système peut être maintenu. 4 G.Bastin et A.Roosen, L'école malade de l'échec, De Boeck Wesmael, Bruxelles, 1990, p.34 7 Manifestement, les dispositifs d'orientation n'ont pas tous tendance à tenir compte de l'origine sociale des élèves quand ils utilisent le label "déficient léger" ou "inadapté social". L'orientation vers l'enseignement spécial est souvent très discriminante. En particulier, les élèves d'origine étrangère sont souvent victimes de préjugés négatifs et plus fréquemment orientés vers les études de niveau le plus bas. En effet, les statistiques montrent un pourcentage plus élévé de ces élèves dans l'enseignement dit «spécial» alors qu'une étude plus affinée par catégorie socio-professionnelle démontre qu'ils ne sont pas proportionnellement plus nombreux que leurs camarades nationaux de même origine sociale. Ainsi, en Communauté Française de Belgique en 1994-95, 74 % des jeunes fréquentant l'enseignement spécial étaient dans les sections de la forme 3 (troubles comportementaux ou déficience mentale légère). Les garçons et les immigrés y sont sur-représentés (ainsi que les catégories sociales les plus défavorisées). La majorité de ces élèves sont dans la sections "déficience mentale légère". Etrangement, on trouve, dans le secondaire comme dans le primaire, nettement plus d'élèves dans la section "troubles caractériels" en Communauté Française (19 %) qu'en Communauté Flamande (4 %). Nul doute qu'il y là une "dérive de la Communauté Française qui consisterait à envoyer en enseignement spécial des enfants réputés difficiles. L'enseignement spécial coûte très cher, mais celà semble arranger tout le monde de pouvoir y évacuer ceux dont on ne sait que faire" 5. Il va sans dire qu'à la sortie de l'enseignement spécial, le niveau de qualification est très faible et les jeunes sont dans une réelle impasse. b) L'enfant inadapté et/ou immigré Curieusement, l'attention a été attirée sur le phénomène de l'échec scolaire par une étude qui a démontré que cet échec pouvait être le fait d'élèves qui, selon les test psychologiques d'orientation, étaient parfaitement aptes à réussir. On a alors vu apparaître une série d'études cherchant à mettre en relief l'inadaptation de certains enfants en pointant le milieu social comme facteur d’inégalité scolaire. A partir de la fin des années '60 et '70, ce concept d' «enfance inadaptée» prend de plus en plus de place. Le milieu social populaire est taxé de déficit culturel. La cause de l'échec serait la conséquence d'un manque de culture collective. On parle d'handicap socio-culturel. En exprimant ainsi l'inadaptation de l'enfant en terme de dysfonctionnement individuel, on a réaffirmé l'idéologie du don et de la débilité mentale, qui se mesurent en QI. En outre, les termes "handicap social" ou "handicap socioculturel" aboutissent à considérer ces élèves comme inférieurs. Dans la même logique, plusieurs études ont porté sur la relation qui pourrait exister entre échec scolaire et enfant étranger ou issu de l'immigration. Etre étranger, d'une culture différente, avec une connaissance plus limitée de la langue française due au bilinguisme, être issu de catégorie socioprofessionnelle défavorisée, avec un entourage familial peu scolarisé, tout cela constitue-t-il des éléments importants 5 ATD - Quart Monde Belgique, L'enseignement secondaire, une formation pour tous les jeunes ? Feuille de conjoncture n° 18, juillet 1995, p.3. 8 menant inexorablement l'enfant immigré à l'échec scolaire ? Cette hypothèse a été infirmée. Ainsi, le Professeur Mingat fait remarquer que, sur les 10,2 points de différence entre enfants français et étrangers, seuls 3,5 points étaient imputables à la nationalité et 6,7 points à la différence sociale (profession des parents, famille nombreuse, etc.). En ce qui concerne les enfants étrangers nés à l'étranger, les résultats sont plus élevés que pour les élèves nés en France ou de nationalité française (+ 5,4 points) 6. En réalité, l'analyse de l'écart entre élèves étrangers ou issus de l'immigration et élèves français doit tenir compte de plusieurs variables explicatives ou de leurs corrélations pour mieux expliquer les facteurs d'échec ou de réussite scolaire: • la profession ou la catégorie socio-professionnelle • l'activité du père • le diplôme du père • le diplôme de la mère • l'activité de la mère • la taille de la famille • le sexe de l'élève • le rang dans la fratrie • la présence d'un frère ou d'une sœur dans l'école • la situation familiale • la durée de fréquentation de l'école maternelle • le nombre de niveaux redoublés à l'école élémentaire Une enquête statistique effectuée en 1996-97 dans la province du Hainaut en Belgique aboutit aux mêmes conclusions. Les enfants issus de l'immigration réussissent-ils moins bien à l'école? Oui, apparemment, si on s'en tient à une appréciation globale. Les résultats de 6e primaire, par exemple, trahissent une nette différence de résultats: 17 % des jeunes d'origine belge terminent avec 90 %, contre 12 % des jeunes dont le père est originaire d'un pays du tiers-monde ou de la Méditérannée. De même, dans leur 10e année d'étude, 31 % des enfants d'immigrés sont déjà orientés vers l'enseignement professionnel, contre 24 % chez les belges. Mais si l'on isole les facteurs socio-culturels et que l'on compare les résultats à catégories socio-professionnelles égales, les enfants issus de l'immigration réussissent habituellement mieux que leurs condisciples d'origine belge: sur 100 enfants d'ouvriers belges, 40 ont un parcours scolaire "positif". Sur 100 enfants fils d'ouvriers immigrés, on en compte 45. 7 D'autres études effectuées à Génève et à Bruxelles aboutissent aux mêmes conclusions: rien ne permet de dire que, à variables égales, un chef de ménage ayant une langue maternelle différente du français verrait pour autant ses enfants handicapée sur le plan scolaire. Il semble même que le contraire puisse être vrai. On a fait remarquer par ailleurs qu'il est nécessaire d'analyser l'échec scolaire en rapport à la question de la pré-scolarité. Les difficultés que rencontrent les enfants 6 A.Mingat, Expliquer la variété des acquisitions au cours préparatoire: les rôles de l'enfant, la famille et l'école, in Revue française de pédagogie, n° 95, 1991, p.55 7 N.Hirtt et JP.Kerckhofs, Inégaux devant l'école, Enquête en Hainaut sur les déterminants sociaux de l'échec et de la sélection scolaires, APED, Bruxelles, 1997, p.31 9 étrangers dans leur parcours scolaire proviendraient en grande partie au fait qu'ils n'ont pas fréquenté l'école maternelle. Le préscolaire aide l'enfant à mieux s'intégrer à l'école primaire et à accéder à l'apprentissage fondamental. Une longue préscolarisation (3 ans) accroît les chances de la réussite scolaire. Or, les enfants nés dans le pays d'origine n'ont pas souvent pu bénéficier d'une préscolarité. Cet élément est bien plus important que la nationalité d'origine. III. La vision centrée sur le fonctionnement de l'école et son rapport à la société Les interrogations sur l'enfant immigré ont permis de mettre en évidence la multiplicité des variables qui entrent en jeu dans l'analyse de l'échec scolaire et la nécessité de s'interroger davantage sur le rapport entre école et société. En effet, la corrélation entre échec scolaire et milieu socio-professionnel est un fait établi: toutes les recherches statistiques fournies par plusieurs centres d'études mettant en évidence le rapport statistique saisissant entre faible milieu socioculturel et échec scolaire. En guise d'illustration, voici quelques résultats d'enquêtes observés en province du Hainaut en Belgique: - au premier degré secondaire, 36 % des enfants d'ouvriers ont déjà redoublé au moins une fois, contre seulement 4,1 % des enfants d'enseignants et 8,4 % des enfants de cadres ou de professions libérales. - au premier degré de l'enseignement secondaire, 21 % des enfants d'ouvriers sont déjà orientés vers l'enseignement professionnel (ou vers une première accueil), contre 5,3 % des enfants de cadres et professions libérales et ... 0 % des enfants d'enseignants. - dans les classes populaires, l'échec scolaire est rapidement sanctionné par une réorientation alors que dans les milieux plus aisés et chez les enseignants on préfère que l'élève redouble plutôt que de l'orienter vers le technique ou le professionnel. - l'examen de l'indice synthétique de réussite scolaire indique que 42 % des enfants d'ouvriers et 58 % des enfants de parents "sans profession ou profession inconnue" appartiennent aux catégories "faibles" ou "en échec". C'est deux à trois fois plus que dans les groupes "enseignants" (19 %) et "cadres et professions libérales" (23 %). 8 Face à l'évidence des corrélations statistiques, des études plus approfondies ont été entreprises dès les années 60. Il n'est en effet plus question de confondre entre corrélation statistique et cause. L'appartenance à une catégorie sociale n'est pas en soi une cause de l'échec scolaire. Une relation aussi importante tend à s'interroger sur le rapport entre l'école et la société. Depuis 1975, une réflexion sociologique plus large s'est ouverte sur l'écart entre la culture valorisée par l'école et celle que vivent les enfants dans leur milieu quotidien (le langage, les pratiques culturelles, les aspirations, les systèmes de valeurs). Il s'agira alors de stigmatiser le rôle de l'école, laquelle en évaluant tous les enfants de la même manière, propose des normes qui s'adaptent aux milieux sociaux aisés. La fonction de l'école est donc mise en question. Du côté pédagogique, l'accent a été mis sur la distance insurmontable entre culture familiale et culture scolaire, voire encore sur la déficience de l'institution scolaire. 8 Ibidem, pp.22-24. 10 En 1967 A. Gérard tire les conclusions suivantes: «L’inégalité des chances de réussite selon les origines sociales et culturelles est un fait aujourd'hui solidement établi. Autre chose est de le reconnaître, et de le mesurer dans toutes ses dimensions, autre chose d'en donner une interprétation et de suggérer des remèdes » 9. Ainsi, malgré la relation qui est établie entre le degré d'étude des parents et l'échec scolaire des enfants, une autre hypothèse émerge, celle de dire que l'échec scolaire serait également influencé par l'établissement scolaire ou le groupe classe. L'établissement scolaire, ses composantes pédagogiques et didactiques et ses acteurs sociaux ont-ils une influence sur la réussite scolaire? "Handicap socio-culturel" ou "école handicapante" ? Pour résumer, on distingue aujourd'hui trois théories du handicap socio-culturel: - Il y a d'abord la théorie selon laquelle les enfants de familles modestes sont privés de stimulations intellectuelles et en souffrent. Ces familles manqueraient non seulement de moyens financiers, mais aussi de ressources culturelles, ce qui engendrent chez les enfants des déficiences d'ordre cognitif et affectif. Cette conception est à l'origine des pédagogies de compensation dans les années 60. Dans ce contexte, l'échec scolaire des élèves des familles populaires est expliqué en termes de manques par rapport à une culture scolaire qui n'est pas remise en cause. - Il y a ensuite la théorie selon laquelle l'échec des enfants est expliqué en termes d'écarts entre la culture de l'enfant et celle de la classe sociale dominante. Les familles populaires auraient une culture et un langage propres, différents de la culture et du langage des classes sociales dominantes privilégiés par l'école. L'échec scolaire s'explique en termes de distance inégale par rapport à la culture scolaire. La responsabilité de l'échec peut alors être imputée tout à la fois à la famille et à l'école. - Il y a enfin la troisième théorie du handicap socio-culturel, où c'est l'école qui est responsable de l'échec. L'école est déficiente sur le plan de son fonctionnement, de son organisation. Ce n'est pas l'enfant qui est handicapé, c'est l'école qui est handicapante. La problématique de l'évaluation La fréquence des évaluations, leur caractère normatif et la très grande importance que leur accordent les parents et les enseignants conduisent la majorité des élèves à la conclusion qu'à l'école, la fonction d'évaluation prédomine par rapport à celle de l'apprentissage. Les élèves se placent alors dans une perspective de validation de leurs compétences plutôt que dans une dynamique de construction des savoirs. Ainsi la vie en classe se joue autour d'une dynamique essentielle, celle d'échanger ses performances contre des notes. Parallèlement, les enseignant s'orientent essentiellement vers des contenus formels aisément évaluables, plutôt que vers des processus formatifs (C'est ce qu'ont dénoncé des pédagogues comme Freinet et Decroly). 9 A.Gérard, in Revue française de Sociologie, numéro spécial 1967-1968, Ed. CNRS, Paris, p.14. 11 Face à cette obsession d'évaluer des contenus formels, force est de constater que l'évaluation d'un élève est fonction de la classe qu'il fréquente. Si l'on compare les performances des élèves dans des établissement différents, ou dans des classes différentes d'un même établissement, le relativisme est total. L'échec scolaire est une réalité qui dépend des pratiques d'évaluation des enseignants, généralement imprégnés d'une culture de l'échec et d'une idéologie de l'excellence. Mais le niveau de compétence atteint par un élève et l'ampleur des progrès qu'il a réalisé au cours de l'année écoulée déterminent moins sa réussite ou son échec que sa position relative dans le groupe-classe. Le surpeuplement des classes ? Ici aussi il faut battre en brèche les idées reçues, malheureusement. La majorité des enseignants en Belgique sont convaincus que la réduction des effectifs de la classe est la meilleure solution pour lutter contre l'échec scolaire. Même si cela peut être vrai face à certains cas individuels, différentes études ont démontré qu'il n'est pas possible d'établir une corrélation statistique entre ratio nombre d'élèves/nombre d'enseignants et taux d'échec scolaire. Une recherche au niveau de l'OCDE montre d'ailleurs que la Belgique est particulièrement favorisée dans ce domaine. Comparée à 18 autres pays de l'OCDE, la Belgique compte, dans l'enseignement secondaire, le nombre le plus élevé d'enseignants par rapport au nombre total d'élèves ! 10 La problématique relationnelle L'échec et le décrochage scolaires sont souvent le résultat d'une série d'interactions négatives entre élèves et représentants de l'institution scolaire. Certaines interactions ont un effet néfaste sur le rapport à l'école du jeune scolarisé, en position d'infériorité dans une relation asymétrique de pouvoir, qui vit la violence institutionnelle, les normes et les verdicts comme autant d'arbitraires. Dans ce contexte on peut observer tout une série de situations d'effritement qui peuvent mener à la rupture. Il y a d'abord les représentations déformées qui détériorent les relations, c'est à dire les perceptions négatives de l'élève par le professeur et vice-versa: - l'enfant dont on doute des possibilité intériorisera une image négative de soi - le professeur qui véhicule une image négative de l'élève du professionnel - l'élève qui juge le professeur trop faible, trop scolaire, hypocrite, etc Mais il y a aussi: - les décalages au niveau de la représentation de la faute, pouvant amener l'élève à ne pas accepter un verdict, - la confusion entre les critères scolaires et les critères disciplinaires, - les situations où l'élève est pris dans des systèmes d'exigences contradictoires et des systèmes de double contrainte: par exemple l'exigence de la réussite scolaire opposée à la pression à la déviance imposée par le groupe-classe. - les règlements dont on ne réclame l'application que pour les élèves - les qualification de faute sans garanties procédurières 10 Ibidem, p.268 12 Dans certains cas, la violence des jeunes peut être une réponse positive face à la violence institutionnelle invisible, et cela vaut mieux que des réponses négatives consistant à retourner l'agressivité contre soi-même (toxicomanie, tentative de suicide, ...) Autres causes d'ordre institutionnel Il est impossible de décrire de manière exhaustive toutes les particularités de l'institution scolaire qui sont responsables de son dysfonctionnement. Nous nous bornons ici à relever quelques difficultés à titre illustratif: - L'obligation scolaire jusqu'à 18 ans: Nombreux sont ceux qui considèrent que le prolongement de la scolarité obligatoire jusqu'à 18 ans est plus problématique que bénéfique (15 ans à plein-temps, puis éventuellement à mi-temps avec une formation en alternance théorie-pratique dans les CEFA). Censée arrêter une hémorragie, le prolongement de la scolarité obligatoire risque plutôt de renforcer l'exclusion. Les jeunes sont enfermés dans un carcan. Ils sont condammnés à rester à l'école à contre-coeur, ou à traîner dans les rues en situation de rupture légale. En effet, ceux qui ont "décroché" ont souvent beaucoup de difficulté pour trouver une autre école en cours d'années, mais il leur est interdit de travailler. Par ailleurs, ceux qui souhaitent prolonger leur scolarité jusqu'à 18 ans n'ont pas besoin de cette règlementation pour le faire. - Les problèmes de communication entre les parents et le personnel scolaire: L'école reproche souvent aux parents, et en particulier aux parents d'origine immigrée, d'être "démissionnaires" face à la scolarité de leur enfant. Mais il y a là un paradoxe à résoudre: les enseignants ne peuvent pas, à la fois, refuser aux parents de se mêler de leur pédagogie et leur demander d'intervenir dans l'aide et le suivi du travail scolaire de leurs enfants... - Le manque de formation des enseignants Les enseignants subissent souvent négativement l'échec et le décrochage de leurs élèves. A leur tour ils sont tentés de démissionner, se démobilisent, s'épuisent nerveusement, ou tombent dans le racisme facile. Le manque de formation aux relations humaines et à la connaissance des milieux populaires et immigrés est souvent mis en évidence. - La dévalorisation du métier de professeur dans l'enseignement professionnel L'enseignement professionnel, on l'a vu plus haut, est extrêmement dévalorisé par l'ensemble de la société. Les professeurs affectés aux "écoles poubelles" sont souvent démotivés, sans enthousiasme. Bien souvent, ils ne font plus aucun effort au niveau pédagogique et sont dans une certaine mesure responsables de l'échec de leurs élèves. - L'inadaptation des contenus des matières enseignées De très nombreux témoignages mettent en évidence le décalage d'intérêt entre l'élève et l'enseignant. Les jeunes s'ennuient à l'école, ils sont critiques vis-à-vis des matières enseignées qui sont en décalage par rapport à leurs besoins de tous les jours. 13 - La passivité des méthodes pédagogiques La relation de pouvoir maître-élève qui infantilise les jeunes et les rend dépendants, l'apprentissage mécanique et répétitif, la passivité en classe, le refus du droit à l'erreur et à l'expérimentation, l'absence d'un professeur de référence (dans l'enseignement secondaire) etc., sont autant de problématiques fondamentales relatives à l'art d'enseigner qui sont directement responsables du manque d'intérêt des jeunes pour l'école. *** Voilà quelques pistes de réflexion pour pointer de sérieux problèmes à résoudre si on veut que l’école devienne l’école de la réussite. Il faut pouvoir compter sur l’engagement de tous les acteurs pour atteindre ces objectifs car c’est de la qualité de l’enseignement que dépend non seulement le développement économique, culturel et social de la société, mais aussi l’épanouissement professionnel des acteurs de l’enseignement eux-mêmes. Ceux-ci devraient pouvoir être fiers d’appartenir à une école qui enseigne en motivant et heureux d’avoir des élèves enthousiastes. Ils sont conscients de l’importance de cet objectif. Il faut apprendre à le vivre comme un défi. 14