des feuilles et des branches Septembre à l'Ormelière Au vent d'automne tombent les feuilles, se brisent les branches mortes… Dans le jardin qui peu à peu s'endort, j'en ramasse au passage. les emporte avec moi pour en faire bientôt ce modeste recueil, herbier d'un genre nouveau. J'y ai mis tout mon cœur, cherchant uniquement, par ces brèves images et ces humbles propos, à entretenir la flamme, célébrer la nature et remercier le ciel. Pierre Mallémont Aubergenville 2004 IL ETAIT UNE FEUILLE Il était une feuille avec ses lignes – Ligne de vie Ligne de chance Ligne de cœur – Il était une branche au bout de la feuille – Ligne fourchue, signe de vie Signe de chance Signe de cœur – Il était un arbre au bout de la branche – Un arbre digne de vie Digne de chance Digne de cœur – Cœur gravé, percé, transpercé, Un arbre que nul jamais ne vit. Il était des racines au bout de l'arbre – Racines dignes de vie Vignes de chance Vignes de cœur – Au bout des racines il était la terre – La terre tout court La terre toute ronde La terre toute seule au travers du ciel La terre. Robert Desnos Ils semblaient avoir pris pour toujours leurs habits de deuil. Ormes de toutes tailles atteints d'un mal inconnu, troncs meurtris qu'un lierre tendre et généreux allait venir caresser, soutenir, envelopper… Orme / lierre Dans l'espace qu'ils occupaient naguère, devenu pour nous "L'Ormelière", il en reste encore quelques-uns qui s'accrochent à la vie, à côté de jeunes pousses qui ne demandent qu'à grandir. L'érable sycomore, ou faux-platane qui s'élance dans le ciel non loin de la maison, comme le figuier qui lui fait face au creux de l'ancienne carrière, gardent toujours, l'un et l'autre, leur saveur biblique. L'épais seringa dont les fleurs légères viendront, au seuil du prochain été, participer à la fête, s'endort doucement. Chêne naissant, bébé-chêne, encore bien fragile, poussé là par hasard, à distance de celui qu'on dit être le plus faible de la nature : roseau qui plie mais ne rompt pas, à l'inverse de l'homme, "roseau-pensant" qui plie lui aussi souvent, mais bien souvent se casse… Il est des arbres que l'on abat, que le souffle du vent finit par abattre. Le chêne est de ceux-là. Mais le roseau jamais. Je ne saurais qu'en couper quelques branches comme je coupe une fleur… Qui, au centre du jardin, du chêne ou du roseau vivra le plus vieux ? De quelle potion magique la viorne et le sureau qui prolifèrent de façon souvent indécente peuvent-ils bien se nourrir ? Freiner leur instinct envahisseur s'impose plus d'une fois au maître des lieux. Du buis, lui aussi prolifique, et dont la valeur symbolique existe encore en partie de nos jours, je n'en puis dire que du bien. Produit plutôt noble au sein de la nature, dans l'art des jardins il se prête à merveille à tous nos désirs, à toutes nos fantaisies. La botanique est, pour moi, une science à la fois plaisante et rébarbative, riche d'expressions savoureuses que je m'efforce en vain de retenir. Je me promène dans le jardin et j'interroge : Qu'est ceci ? Un viburnum. Et cela, un peu plus loin, qui ressemble à toute autre chose ? On me répond : un viburnum ! Le dictionnaire m'apprend que viburnum est le nom scientifique du genre viorne, un mot qui a déjà sonné à mes oreilles. Je ne savais pas que mon jardin contenait autant de viorne que de viburnum… On dirait que le troène n'a été fait que pour ça, une haie généralement de fière allure, clôture ou simple trait-d'union entre deux espaces de vie dont chacun a ses charmes. Dans l'un d'eux se profile tout ce que j'aime. Jardin d'été, jardin d'hiver, jasmin d'hiver, jasmin d'été, A l'heure de la floraison ils viennent tour à tour, par touches légères et dans leur coussin vert me confier doucement mille secrets… En longues tiges épaisses et généreuses, il grimpe, prenant appui dans la verdure, s'agrippant dans un thuya tout proche, refleurissant chaque année comme si c'était sa fête, la fête du chèvrefeuille celle de mon enfance dans la cité des rois et qui m'est toujours restée en mémoire. Rien de commun avec le paulownia dont la vitalité est toujours pour nous une source d'étonnement. Ses larges feuilles dans le vent d'automne planent au loin avec bonheur, comme pour dire au marronnier malade et à ses dernières feuilles mortes : tu n'es pas seul, je suis là. Entre le laurier-rose qui orne nos jardins et le laurier-sauce dont on accomode nos plats, aucun lien de famille, dit-on, pas plus qu'entre ces deux-là et le laurier-tin dont le nom savant n'est autre que le viburnum tinus plutôt apparenté au prunellier…. Il y a aussi le laurier noble à l'aide duquel, dans l'Antiquité, les Anciens confectionnaient les couronnes destinées aux vainqueurs, pareil, sans doute, à celui qui, de nos jours, en quelque haie cossue, protège des regards indiscrets nos maisons et nos cours.. Il y a chez nous deux grands arbres qui penchent comme s'ils voulaient tomber. Parisien de naissance, le premier a une histoire plutôt originale. Il y a fort longtemps, dans un coin de la capitale où nous vivions alors, nous regardions germer un noyau d'abricot. d'où naîtra notre abricotier rustique avant d'aller s'installer à la campagne. Un peu plus haut, mais en des temps moins lointains, une noix tombée là par hasard donna le jour à ce noyer plus jeune qui fait parfois penser à la tour de Pise… Des noisetiers, il en est aussi poussé quelques uns qu'un écureil malin, venu pour nous distraire, eut vite fait de repérer. Il y a les 3 P, comme les 3B en musique (Bach, Beethoven et Brahms). Ici ce sont le pommier, le prunier, le pêcher… Vous m'oubliez, dit le poirier. C'est qu'il manque dans mon jardin. Le prunier y est partout présent. Longtemps en pleine forme, on le sent aujourd'hui fatigué tandis que le pommier s'est fait sa place. Et le petit dernier, le pêcher…? Il végète, le pauvre, et je ne sais pourquoi Un péché de jeunesse ? "Quand refleuriront les lilas blancs…" Cela se chante et cela se voit des les premiers beaux jours. Lilas blancs ou d'une autre couleur propre à cette même essence, dite couleur lilas justement, et qui se laissent cueillir à pleines brassées avant de venir embaumer nos maisons. On pardonne au forsythia de rester totalement inodore tellement jaillit de ses branches en désordre tous ces éclats dorés au point qu'on croirait le soleil tombé dans le jardin. C'est bien l'annonce que le sombre hiver.est fini. Le buddléia, après la taille, s'apprête lui aussi à refleurir en grappes violacées qui dureront jusqu'à l'automne et autour desquelles l'on voit battre des ailes aux chatoyantes couleurs. Ne sommes nous pas là devant celui que l'on nomme : "l'arbre aux papillons" ? Altéa ? Mahonia ? Connais pas, dis-tu, un peu honteux d'une telle ignorance. Et camélia ? Oui, bien sûr, comme la dame du même nom. Je vois que tu as lu jadis Dumas et compati au triste destin de Marguerite Gautier… Mais altéa, mahonia…, rien ? Il faut, tellement la poésie et le romantisme qui les caractérisent sont ici évidents, inventer pour eux une histoire. Peut-on être amoureux d'un arbre, comme d'une fleur, comme d'un fruit ? Parmi les frênes qui ont ici grandi, il en est un différent des autres. Ses deux branches jumelles issues dès le départ d'un tronc classique, s'élèvent dans la nature joyeusement, fermement et symboliquement enlacées. Le tilleul, aux vertus bien connues, saura, l'heure venue, répandre à nouveau son délicat parfum Après que le cerisier au sort incertain. aura encore une fois offert aux oiseaux du ciel ses fruits à peine mûrs… C'était ici un pays de vignerons. Comment la vigne ne continuerait-elle pas, par endroits, de s'y plaire ? Merci pour les beaux raisins que la nôtre sait toujours nous donner. En revanche, la vigne-vierge, aux chatoyantes couleurs, vestige des temps anciens où elle ornait la maison, essaye simplement, ici ou là, de faire en sorte qu'on ne l'oublie pas. Quant au cognasssier, dont les branches souples et légères donnent de si belles fleurs au printemps, il aimerait que l'on fasse plus grand cas de ses fruits. Mais l'on ne croque pas dans un coing comme dans une pomme ! L'aubépine, dont avec impatience on attend à l'approche du printemps les premières et fines floraisons, a trouvé ici et depuis très lontemps sa place, laissant au prunellier l'espace choisi par lui pour se développer à sa guise. Le cotonéaster, pour sa part, sous des formes infiniment variées, apporte sa touche particulière, le plus souvent colorée, souvent aussi là où on ne l'attend pas. L'homme (ou la femme), sécateur en main, passera un jour par là. pour en faire un bouquet. En allant vers ce que nous appelons la tour, simple et modeste objet de rêve bâti de nos mains, chemin de pèlerinage pour quelques-uns encore, le bouleau qui nous vient du nord, comme le robinier ou faux acacia, qui étale devant nous ses grappes d'or annoncent le discret fourré qui vaut pour moi tous les plus beaux sous-bois du monde. Le cornouiller dont les branches se courbent jusqu'à terre en est le roi. On l'appelle curieusement le cornouiller mâle pour ses fruits rouges qui tombent en été, formant ce tapis écarlate sur lequel on ose à peine marcher. Là se trouvent réunis tous mes souvenirs ou tout au moins les plus précieux que je viens, le plus souvent possible, égrener en silence. Le thuya a obtenu depuis longtemps déjà droit de cité et lettres de noblesse, enfermant nos demeures ou en soulignant la présence sous un voile rustique. Nul ne saurait plus s'en passer. Plus rare est le cyprès dont le nom seul évoque le repos éternel. J'en ai connu un qui, une nuit de décembre, dans la tourmente d'une fin de siècle, se brisa et se coucha, sombre pressentiment, pour ne plus se relever. Une branche de houx vert au détour d'un chemin apportera bientôt, dans le vent d'hiver, une note de paix, de douceur et d'espoir. Epicéa, sapin semblable en tous points aux géants de nos plaines et de nos montagnes, te souviens-tu encore de ta tendre enfance ? Dressé jadis durant quelques semaines, ainsi que beaucoup d'autres à travers le monde, tu allais dans nos rues et dans nos maisons, fêter le mystère de l'Incarnation, le joyeux temps de Noël. Sur cette terre d'accueil où tu es arrivé, tu vois, comme l'if à la fois sévère et généreux qui vint un jour lui tenir compagnie, passer les jours… Tombent les feuilles Les feuilles de l'automne Ont des couleurs qui sonnent, Rouges, jaunes ou bien rousses. Dans un éclat de feu, Elles nous disent adieu Et tombent sur la mousse, L'arbre tend ses bras nus, Tout noirs et tout tordus, Vers le ciel gris plombé. L'hiver est arrivé. Corinne Albaut Comptines des secrets de la forêt (Actes sud junior)