HERVÉ BAZIN
un homme et un écrivain à redécouvrir
conférence de Julien Molard,
mercredi 14 octobre 2011
Le titre de cette communication peut sembler cavalier car qui ne connaît
surtout ici à Angers où il est né Hervé Bazin et son œuvre ? Mais je le
trouve judicieux pour les deux questions quil pose :
Redécouvrir lhomme
Redécouvrir lœuvre
En effet, comme tous les grands écrivains, Hervé Bazin a dans le public,
même ici à Angers, deux attributs :
Lhomme est un rebelle
Lœuvre cest la Trilogie Rezeau réduite parfois à Vipère au poing,
livre vendu à plus de quatre millions dexemplaires, régulièrement
réédité et toujours lu.
Dailleurs les deux se rejoignent car cest bien dans cette Trilogie quHervé
Bazin exprime sa révolte contre un ordre social qui la éprouvé et contre des
institutions : la famille, lEglise dont il eut à supporter le poids pesant et dont
il eut tant de mal à se défaire.
Mais comme le dit si bien Hervé Bazin « la jeunesse cest la période du cri,
la maturité celle du tri ». Cest peut-être cet homme de la maturité et cette
œuvre-là quil est intéressant de redécouvrir. Je vous propose donc un exposé
en deux parties :
Hervé Bazin est-il vraiment ce rebelle quil nous montre dans son œuvre et
dans sa vie ?
En dehors de la Trilogie Rezeau quen est-il de son œuvre ?
I
LE REBELLE
Pour parler de lhomme que fut Hervé Bazin, je mappuierai sur trois
documents essentiels dans lesquels il se livre à cœur ouvert :
Ce que je crois publié chez Grasset en 1977. Il a 66 ans
Abécédaire publié chez Grasset en 1984. Il a 73 ans
Entretiens avec Jean-Claude Lamy publié chez Stock en 1992. Il a 81
ans.
Dans son Abécédaire Hervé Bazin le dit clairement : « Ecrire est un aveu
doublé dun camouflage ».
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Allons donc à la rencontre de ces aveux déterminants pour connaître cet
Hervé Bazin au-delà du rebelle. Nous allons le faire en trois domaines :
La religion
La famille
Le monde
En noubliant pas que ce Montaigne du XXème siècle, il en a le talent
décriture et la qualité dintrospection, disait de lui : « Moi : cest une
mauvaise fréquentation que je nai pu éviter ».
Et surtout dans Ce que je crois, livre écrit alors quil a 66 ans et quil a
mais il ne le sait pas - encore 19 ans à vivre, on trouve des phrases
percutantes comme celle-ci :
« Le plus difficile cest dêtre ce que jétais à 25 ansJe reviens de loin et je
connais mon mal ».
LA RELIGION
Elle le taraude et le moins que lon puisse dire elle ne le laisse pas
indifférent. On trouve dans Ce que je crois des phrases étonnantes :
« Dieu cest dabord le garant du sens de lunivers ».
« Il faut se résigner à navoir quune pensée dhomme, à mesurer lunivers
avec ce millimètre ».
Nous sommes loin du sophiste Protagoras qui affirmait que « lhomme est la
mesure de toute chose » et de tous ces philosophes grecs, Parménide,
Héraclite, Platon et Aristote qui mettent le logos au-dessus de tout.
Le logos puissant des Anciens réduit à un millimètre !! Socrate doit se
retourner dans sa tombe !
Mais cest toute la richesse intellectuelle de cet homme. Dans ce même
ouvrage, Ce que je crois, il dit encore :
« Nous ne sommes pas des êtres déchus, chassés de je ne sais quel Eden. Nous
sommes des primates promus, de millénaire en millénaire, à laventure de
lintelligence. La Parousie, cest celle de lhomme ».
Pensée paradoxale, pensée indéterminée, pensée peu sûre delle ? Nullement :
pensée tout au contraire réfléchie qui pèse le pour et le contre et ne tranche
que lorsque les arguments pour ont très largement dominés les arguments
contre. Pensée en pleine recherche, en perpétuel mouvement, en quête de
vérité.
Non seulement Hervé Bazin nest pas un opposant radical et primaire au
christianisme, mais il a des remarques que naurait pas renié Pascal : « Ce qui
dans lhomme dépasse lhomme » est un écho au « Lhomme passe lhomme »
de lauteur des Pensées.
Quand il écrit « le matérialisme monte partout à lassaut du spiritualisme »
on croirait entendre Péguy, et Bergson naurait pas dit mieux.
Il va plus loin encore quand il écrit : « Réduit à la dimension humaine, le
christianisme, par son idéal de justice et damour, nous fait le plus grand
honneur ». Et dans une note en bas de page, on trouve cette réflexion :
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« Et si lalternative hasard ou Dieu nétait pas vraie ». Véritable pavé jeté
dans le Jardin dEpicure pourtant salué avec Démocrite par des mots très
forts : « Honneur à Epicure, Honneur à Démocrite ».
Hervé Bazin, comme Cicéron à son époque, est un grand penseur. Comme lui
il a parfaitement compris et assimilé les divers courants philosophiques. De
façon tout à fait étonnante, on retrouve dans les Essais dHervé Bazin (Ce que
je crois et lAbécédaire) les mêmes coups de griffes que dans ses romans.
A linverse dun Jean-Paul Sartre qui glissait dans ses romans sa facture
philosophique, Hervé Bazin philosophe avec le talent et le ton du romancier.
Il est plus proche dun Camus quil admirait mais Camus avait sur lui un
avantage : une véritable formation philosophique jusquà lagrégation, quil
ne put soutenir à cause de sa tuberculose.
Hervé Bazin aborde la philosophie en réel connaisseur, comme un amateur
dart Diderot par exemple qui devient un véritable critique dart. Il a des
mots pour la philosophie qui nous ravissent. Il est de bon ton, de longue date,
de programmer la mort de la philosophie. Et lui que répond-il ?
« Mais qui en son absence possèderait sa vigilance, sa puissance
dinterroger ? Qui dans une expérience de notre condition, perpétuellement
changeante, la remplacerait comme relecture du monde ? »
Un seul exemple de cette connivence entre Hervé Bazin et la philosophie :
« Les thomistes partisans de la grâce efficiente et les molinistes, partisans de
la grâce suffisante accordée « en prévision des mérites », suprême astuce
pour essayer de sauver le libre arbitre ».
Il est lun des rares écrivains philosophes à ne pas opposer saint Augustin et
saint Thomas dAquin et lun des rares grands écrivains non philosophes à
avoir compris le lien étroit entre libre arbitre et grâce efficiente.
Terminons ce court parcours dHervé Bazin et la religion par trois citations
étonnantes par leur contenu :
« Pour moi qui suis né de parents catholiques (et même ultramontains), qui
nai pas eu envie de mettre mes pas dans leurs pas, qui les ai récusés par
désamour, qui nose dire que ce sévice maura rendu service, je sais du moins
pourquoi, dès le départ, jai si vite préféré les chemins qui nallaient pas à
Rome ».
Il ajoute pour deux auteurs quil cite et aime bien :
« Ce nest pas vrai dun Cesbron, fils spirituel de Madame Guyon, ce nest
pas vrai dun Clavel, pascalien sans le pari, plus philosophe quil ne le
voudrait, bâtard éblouissant du petit père Kant et de Thérèse dAvila ».
Quel sens de la formule percutante ! Et il conclut :
« Je ne suis pas loin de croire à la vie éternelle ».
LA FAMILLE
On lattendait bien sûr sur cette notion qui est au cœur de son oeuvre de
romancier. Il transforme très vite la formule archiconnue de Gide : « Familles
je vous hais ! » en « Familles je vous ai ».
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Le verbe avoir prenant ici une force qui loppose au verbe être ce qui le
rapproche dun Gabriel Marcel, philosophe chrétien.
La famille du verbe être est la famille ascendante qui la meurtri.
La famille du verbe avoir est sa famille descendante, la sienne, issue de ses
mariages. Il y tient à celle-là de toutes les fibres de son corps et de son cœur
aimant :
« Celle-là, en effet, pourquoi la haïrais-je ? Je ne déteste dans linstitution
que ses formes aberrantes, ses monstruosités, sa confusion avec le rang et la
fortune » et il termine son entrée Famille dans lAbécédaire, écrit à 73 ans :
« La famille a beau sêtre rétrécie aux géniteurs, en avoir redistribué les
rôles, elle reste indispensable pour la société comme la cellule originelle
lest pour la chair ».
Ce ne sont pas ici propos de rebelle ni de libertaire.
Hervé Bazin qui se mariera quatre fois et aura sept enfants, montre ici son
côté traditionnel que naurait pas récusé le grand-oncle René Bazin. Cela
nous vaut de jolies formules :
« Feu mon père, je ne lestimais guère, mais je laimais ».
« Feu ma mère puisquelle ne nous aimait pas, nous avons admis quelle
était morte ».
Il sagit ici dune mort sociale, la mère se retire volontairement de son rôle
de mère. La mater dolorosa, chantée par les poètes, sest muée en mater
persecutrix, ce mot latin si proche du mot français.
Ce qui compte chez Hervé Bazin cest la cellule familiale, les quatre femmes
quil a chéries et les sept enfants quelles lui ont donnés. Il est, répétons-le,
dans une mouvance fortement traditionnelle si nous prenons ce mot de
tradition comme une avancée sociale non figée. Il croit aux bienfaits de « la
flèche du temps » ce qui la sans doute rapproché à une époque de Karl Marx
et de son sens de lhistoire.
LE MONDE
Hervé Bazin est citoyen du monde et saffiche comme tel. Il a épousé en ce
domaine la doctrine stoïcienne qui vient tempérer ses accointances
épicuriennes.
Prenons ici comme il le fait si bien les mots pour ce quils sont et non ce
que certains voudraient quils soient :
Est épicurien tout individu qui se considère proche de la Nature, qui
pratique les plaisirs naturels et nécessaires et fuit les plaisirs non
naturels, non nécessaires.
Mais Hervé Bazin est aussi stoïcien, cest-à-dire un homme de combat,
notamment pour la paix et contre toutes les injustices de par le monde. Il
est ici très proche dun Cicéron qui met son talent au service des autres
mais qui ne peut trancher, déjà à lépoque, entre ces deux grands courants
qui traversent son être, le courant épicurien et le courant stoïcien.
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Hervé Bazin est de cette trempe-là, à la fois épicurien poursuivant les plaisirs
simples et naturels, proche de la Nature et ce combattant opiniâtre qui
sengage dans la Cité. Il le dit et lécrit car tout passe chez lui par lécriture :
« Je redis : la paix dabord ! Avant quoi que ce soit. Avant les partis, avant
les religions, avant le progrès, avant la justice. Avant la liberté même. Parce
que la paix est désormais synonyme de survie ». Et il ajoute : « La paix
absolument ! »
Il rejoint ici les grandes figures du XXème siècle qui ont œuvré sans relâche
pour la paix. A une question de Jean-Claude Lamy, il répond :
« Jai été avec Camus, un des premiers « citoyens du monde », jen fais
toujours partie en me reprochant de ne lêtre que de façon nominale Je
tiens que la paix est le bien suprême ».
Il voit aussi un monde « au-delà de notre monde ». Il reconnaît même que
« lanthropocentrisme fait encore des ravages, même parmi les savants » et le
regrette. Lunivers dHervé Bazin est infini et ne leffraie pas comme il
effrayait Pascal, car à linstar de Descartes, il peut le réduire à une étendue et
ainsi le maîtriser. Dans ce monde qui est le nôtre, pour Hervé Bazin, la
femme y a un rôle essentiel et incomparable. Il souhaite lémancipation totale
de la femme. Il regrette quon laccuse parfois de misogynie alors quil a de
son propre aveu créé de beaux rôles de femmes dans Qui jose aimer, dans
Lève-toi et marche, dans lHuile sur le feu.
Deux phrases dans Ce que je crois résument bien sa pensée quant aux
femmes :
« Un prêtre ne lest jamais tout à fait, sil nest évêque » et
« La femme naît évêque ».
Nous constatons par ces deux phrases toute la culture profonde dHervé Bazin
capable de sinterroger sur des qualificatifs comme ceux de la prêtrise. Un
prêtre, pour lui, nest complet et réalisé que lorsquil est évêque. Il puise
cette conception dans lEglise primitive : lévêque, épiscope, est lancien,
celui dont lautorité est reconnue par les autres prêtres. Et si la femme
« naît » évêque cest quelle est complète dès sa naissance. Bel hommage qui
éloigne encore Hervé Bazin du libertaire révolutionnaire que lon décrit
souvent.
Et pour conclure, à la fois ce que nous voulions dire de la religion, de la
famille et du monde chez Hervé Basin, cette exhortation dans Ce que je crois
page 57 :
« Saint Freud, orant laïque, pourrait dire ce qui trouble un grand peuple de
fils. Ces révoltes de jeunes, partout, sur la planète, ce goût pour le
vedettariat, ces monuments de bronze ou de papier élevés de leur vivant aux
chefs vénérés de la révolution, ces présidentialisations généralisées, cette
accession des grands hommes à une hagiographie passée du vitrail à lécran,
voilà bien des intersignes ! Voilà bien des aveux camouflés, disant tous
combien vous nous manquez, Ô notre Père ! qui nêtes plus aux cieux ».
Magie du verbe et talent de lécriture !
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