Observatoire Foi et Culture - Conférence des évêques de France
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Aux évêques de France
OFC 2015, n° 12
Eric Favey et Guy Coq (Dir.), Pour un enseignement laïque de la morale
Le comptoir des idées, Privat, 2014
La présente note a pour seul projet de proposer une lecture du livre référencé ci-dessus,
en s’appuyant surtout sur quelques citations.
Cet ouvrage collectif, dont l’initiative revient conjointement au groupe d’intellectuels
chrétiens Confrontations ainsi qu’à la Ligue de l'enseignement, propose des repères afin d’éclairer
la réponse qui pourra être donnée à la requête qui fut formulée sitôt l’élection de François Hollande
à la Présidence de la République, et portée par Vincent Peillon, de l’enseignement à l’école d’une
morale laïque ; sa première expression en fut la rédaction et l’apposition dans les établissements
d’une charte de la laïcité ainsi que des symboles de la République, les drapeaux français et
européen et la devise.
La revue Cité (PUF, décembre 2012) publia un article de Vincent Peillon rappelant quel fut le projet
de la IIIe République. « L’école de la République est la mise en œuvre d’un véritable pouvoir
spirituel portant et transmettant des valeurs et non seulement des connaissances […]. L’enjeu n'est
pas seulement le pouvoir matériel, mais spirituel. A s’en désintéresser, on en laisse le monopole à
l’Eglise, du côté de l’obscurantisme, de la conservation voire de la réaction. C’est à partir de cette
analyse que le projet d’école laïque va se construire, et c’est ce qui va permettre que la
République, par l’école laïque, s’établisse dans la durée » (cité p. 13). Pour les auteurs, Vincent
Peillon, par cette affirmation, rappelle un contexte historique passé et n'entend pas définir son
projet propre. Surtout, et c’est un des points essentiels qu’ils développent, la morale laïque ne veut
pas se situer sur le même plan qu’une morale religieuse ; elle est un cadre général, commun, qui
de ce fait permet le choix par les citoyens de chemins spirituels, philosophiques, religieux qui leur
sont propres.
La morale laïque, une morale « trouée »
Les auteurs s’attachent d’abord à préciser ce que peut être la nature de la morale enseignée
à l’école laïque.
Marcel Gauchet rappelle d’abord que, « contre une morale sociale extérieure à l’individu, portée par
la religion, la République affirme le principe d’une intériorisation de la règle comme vecteur
d’émancipation individuelle, affirmation de liberté et d’autonomie morale. La règle morale devient
dans la pensée laïque et l’école le moyen de construire une intériorité capable de résister à la
pression sociale » p. 10-11.
Il conviendrait de discuter ce point. Dans le christianisme, la règle n’est pas une loi extérieure à la
personne ; alors que Moïse donne la Loi, Jésus Christ apporte la grâce et la vérité ; surtout, le récit
de la Pentecôte achève le don de la Loi au Sinaï par le don ultime et intérieur de l’Esprit Saint.
On suivra Gauchet davantage dans ce propos : « La culture éthique à l’école devrait avoir pour
premier enjeu non pas de conditionner les enfants à un conformisme moral, mais de leur donner les
moyens de construire, librement, une capacité de réfléchir sur les enjeux moraux dans leur vie
personnelle et sociale. Loin de viser à imposer des jugements tout faits, il s’agit de développer chez
les écoliers et collégiens l’aptitude à choisir de manière raisonnée une option d’ordre éthique » p.
17.
2
Pour Jean Baubérot « une société laïque est structurellement différente d’une société de chrétienté,
comportant la fameuse distinction entre ‘’pouvoir temporel’et ‘’pouvoir spirituel’’. Le Conseil d’Etat
a rattaché la loi de 1905 à la philosophie politique de Locke, le premier grand théoricien de la
séparation Etats-Eglises (cf. Conseil d’Etat, Un siècle de laïcité, Paris, la Documentation française,
2004, p. 393). Locke indique que, contrairement à l’Etat qui comporte une dimension coercitive,
l’Eglise doit être un groupement ‘’volontaire’l’on rentre et dont on sort librement, ce qui la rend
forcément plurielle. La nature et la fonction d’une morale laïque et des morales convictionnelles
religieuses ou non – divergent donc.
La morale laïque n’est donc pas la morale de ceux qui seraient ‘’sans religion’’, elle est la morale
partagée des différents membres d’une société dont le lien social ne comporte pas de dimension
religieuse. Cette morale doit rester neutre face aux ‘’transcendances’’, et cette neutralité est la
condition même du libre épanouissement de ces dernières » p. 38-39.
Pour cette raison, Baubérot marque nettement ses distances par rapport aux propos tenus lors d’un
fameux discours au Latran.
« La ‘’morale de l’instituteur’’ ne peut pas être mise sur le même plan que celle du ‘’curé’’, du
‘’pasteur’’ (et aussi du rabbin, de l’imam, du franc-maçon, de l’humaniste séculier…). Elle ne peut
lui être comparée. Vu son rôle, il est souhaitable pour la démocratie qu’il lui manque ‘’la radicalité
du sacrifice’ et le ‘’charisme d’un engagement’’. L’enseignant doit réaliser ce paradoxe : enseigner
la morale sans devenir un maître de morale.
Morale d’un pays démocratique, la morale laïque assume d’être une morale trouée » p. 40. Ainsi
qu’est « trouée » l’école laïque de Jules Ferry, elle libère le jeudi, puis le mercredi, pour le
catéchisme.
Bernard Quelquejeu souligne la nécessité de la morale laïque, qu’il appelle citoyenne, tout en
appelant à ne jamais oublier ses limites, sa nécessaire modestie.
« La morale citoyenne peut être qualifiée à la fois de primordiale et de modeste. Primordiale, elle
l’est : elle dicte à chaque citoyen sociétaire les règles élémentaires essentielles dont la violation
engendre la violence et détruit la vie sociale […].
Et cependant, modeste, elle l’est, par nature. Elle n’ambitionne nullement de prendre en charge
l’ensemble des questions qui se posent à chaque être humain. Elle vise seulement à établir le
cadre de l’existence séculière de tous à l’intérieur duquel chacun pourra construire sa vie selon ses
convictions […].
C’est cette modestie, cette retenue, cette autolimitation du cadre citoyen qu’exprimait Benjamin
Constant dans cette célèbre sentence : ‘’Que l’autorité politique se borne à être juste, nous nous
chargerons d’être heureux !’ » p. 147-148.
« La morale citoyenne se caractérise par le fait qu’elle ne repose pas sur un fondement dernier.
S’interroger sur ce qui ‘’fonde’ la morale citoyenne au sens fort de ce qui constitue un fondement
oblige à répondre qu’elle laisse ouverte la question d’une fondation dernière. C’est là,
précisément, ce qui la rend compatible avec les morales englobantes, qui en appellent, elles, à un
fondement ultime […].
Dans sa ‘’Lettre aux instituteurs’’, Jules Ferry avait, me semble-t-il, pressenti cette spécificité de la
morale qu’il appelait de ses vœux au sein de l’école publique ; n’écrivait-il pas : ‘’ […] sans nous
mettre en peine d’en discuter les bases philosophiques et religieuses’’ ? » p. 149-150.
Des attentes de morale
En ce début de l'année 2015, marquée par plusieurs attentats en Europe et par le
développement de dictatures se réclamant d’une religion, la requête de morale est fortement
présente, cependant, les auteurs nous avertissent, ici sous la plume de Guy Coq, que l’on peut
errer en instrumentalisant la morale à l’école.
« Il faudrait de la morale pour arrêter le violent. Contre celui-ci il faut une prise en charge spécifique
et la répression. La question d’une culture éthique à l’école doit être posée indépendamment du
''traitement'' des excès contre lesquels il est inadéquat d’en appeler à la morale. La culture éthique
vient avant et après la crise. C’est à froid, dans une analyse des situations, que l’enfant peut être
amené à une prise de conscience » p. 83.
3
Même s’il y a aujourd’hui une « attente de morale », dont on vient de voir certaines ambiguïtés,
Pierre Ognier rappelle qu’il n’en fut pas toujours ainsi, et ce dans un passé très récent. « Dans la
ligne des contestations développées en mai 1968, l’idée et la possibilité même d’une éducation
morale à l’école et au collège a été l’objet d’une véritable proscription. On peut le constater dans le
numéro d’avril 1981 des Cahiers pédagogiques, qui propose un dossier intitulé ‘’L’école en danger
de morale’’. Le titre montre clairement que l’idée de morale en général, et de morale scolaire en
particulier, est une idée dangereuse, néfaste, donc à rejeter sans hésitation. La morale, c’est bon
pour une société gouvernée par un ‘’ordre moral’’, une société irrespirable pour la liberté et la
créativité » p. 29.
« Réduire la morale scolaire au civisme, faire de l’éducation civique ‘’le cœur de l’éthique’’ (selon
l’expression d’une intervenante lors du séminaire organisé par la Ligue de l’enseignement sur le
thème de la culture éthique à l’école le 27 janvier 2011) et donc faire l’impasse sur les notions de
conscience, de devoir, d’obligation morale, n’est-ce pas une dérive préoccupante ? » p. 33.
La morale plutôt que la loi
L’attente de morale n’est pas si universelle que l’on pense, tout au moins dans les pays
occidentaux. Notre époque écrit Marcel Gauchet est celle du « triomphe de la conscience
individuelle. Il n’y a pas de règle générale en matière de régulation de la vie sociale. Chacun est
juge pour lui-même en chaque circonstance du juste et du bien » p. 69.
Une telle situation n’est pas si confortable que cela, elle peut faire naître une sorte de vertige, que
l’on cherchera à combler soit par le droit, comme on va le voir, soit par un individualisme au carré
qu’exprime la revendication d'authenticité.
« Notre société préfère le droit à l’éthique. L’appel au droit, constant dans notre société, répond,
nous dit-on, à la nécessité de combler des vides juridiques. Pourquoi ces vides juridiques ? Ils
correspondent le plus souvent à des domaines ou des règles éthiques, précisément, étaient
supposés conduire les comportements afin d’éviter le recours au droit. Nous assistons à un
renversement complet sur ce chapitre.
Mais, en dehors de ce qui relève du droit, la libre appréciation des personnes est la seule règle qui
vaille. Dans ces conditions, il s’ensuit que, pédagogiquement parlant, personne n’est en position de
brandir une règle morale vis-à-vis de quelqu’un » p. 70.
« Toute cette démarche de construction de l’intériorité morale et rationnelle a perdu sa capacité de
signification pour les individus. Ceux-ci se sentent libres sans avoir besoin de cette morale qui pose
la règle d’abord dans la conscience avant de la mettre dans la société » p. 74.
« L’idéal du gouvernement de soi a été déclassé au profit d’un nouvel idéal d’authenticité plus
précisément un idéal d’expression de soi et de singularité de soi. La possession de soi était
supposée s’effectuer en fonction des règles qui vous reliaient à vos pareils, règles essentiellement
communes. La culture de la singularité des individualités pousse au contraire à marquer ce qui
distingue les individus » p. 72.
Former des êtres en capacité de réfléchir et de décider
Dans ce contexte, par l’enseignement laïque de la morale, « il ne s’agit pas seulement de
développer une culture sur les valeurs communes. Une réflexion morale à l’école devra porter sur
l’enjeu pour chacun d’une capacité à réfléchir sur sa propre conduite, à assurer un engagement
éthique personnel » p. 82.
« Le premier enjeu est d’initier les élèves aux enjeux éthiques, de les aider à construire eux-mêmes
leur position éthique. Pour qu’un choix moral libre soit possible, il faut d’abord que la personne
dispose des moyens d’analyser l’expérience morale, il faut savoir découvrir les enjeux de valeur
présents dans une situation, afin d’y assumer un choix moral libre » p.87-88.
« Apprendre à maîtriser une réflexion éthique est l’un des moyens qui permettraient aux jeunes de
construire leur autonomie, d’opérer un choix conscient dans les valeurs. La culture éthique à l’école
doit apprendre à l’enfant à critiquer certaines valeurs dominantes. Mais aussi elle doit l’aider à ne
pas se décourager, à ne pas abandonner les valeurs essentielles au prétexte qu’elles sont souvent
bafouées » p. 92.
4
Enfin Nicole Renard insiste sur l’exemple et l’exemplarité : l’éthique est d’abord affaire d’exemple,
annonce le titre de la page 131.
« Souligner l’importance décisive de l’exemplarité ne signifie pas cependant le mutisme. Bien au
contraire. Il convient en effet de tenir aux élèves un discours clair et de façon continue sur les
valeurs et sur les règles qui président à la vie en société. Ce discours doit s’appuyer sur le
témoignage de la vie, mais il est absolument essentiel qu’il soit tenu » p. 134.
+ Pascal Wintzer
Archevêque de Poitiers
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