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Pour Jean Baubérot « une société laïque est structurellement différente d’une société de chrétienté,
comportant la fameuse distinction entre ‘’pouvoir temporel’’ et ‘’pouvoir spirituel’’. Le Conseil d’Etat
a rattaché la loi de 1905 à la philosophie politique de Locke, le premier grand théoricien de la
séparation Etats-Eglises (cf. Conseil d’Etat, Un siècle de laïcité, Paris, la Documentation française,
2004, p. 393). Locke indique que, contrairement à l’Etat qui comporte une dimension coercitive,
l’Eglise doit être un groupement ‘’volontaire’’ où l’on rentre et dont on sort librement, ce qui la rend
forcément plurielle. La nature et la fonction d’une morale laïque et des morales convictionnelles –
religieuses ou non – divergent donc.
La morale laïque n’est donc pas la morale de ceux qui seraient ‘’sans religion’’, elle est la morale
partagée des différents membres d’une société dont le lien social ne comporte pas de dimension
religieuse. Cette morale doit rester neutre face aux ‘’transcendances’’, et cette neutralité est la
condition même du libre épanouissement de ces dernières » p. 38-39.
Pour cette raison, Baubérot marque nettement ses distances par rapport aux propos tenus lors d’un
fameux discours au Latran.
« La ‘’morale de l’instituteur’’ ne peut pas être mise sur le même plan que celle du ‘’curé’’, du
‘’pasteur’’ (et aussi du rabbin, de l’imam, du franc-maçon, de l’humaniste séculier…). Elle ne peut
lui être comparée. Vu son rôle, il est souhaitable pour la démocratie qu’il lui manque ‘’la radicalité
du sacrifice’’ et le ‘’charisme d’un engagement’’. L’enseignant doit réaliser ce paradoxe : enseigner
la morale sans devenir un maître de morale.
Morale d’un pays démocratique, la morale laïque assume d’être une morale trouée » p. 40. Ainsi
qu’est « trouée » l’école laïque de Jules Ferry, elle libère le jeudi, puis le mercredi, pour le
catéchisme.
Bernard Quelquejeu souligne la nécessité de la morale laïque, qu’il appelle citoyenne, tout en
appelant à ne jamais oublier ses limites, sa nécessaire modestie.
« La morale citoyenne peut être qualifiée à la fois de primordiale et de modeste. Primordiale, elle
l’est : elle dicte à chaque citoyen sociétaire les règles élémentaires essentielles dont la violation
engendre la violence et détruit la vie sociale […].
Et cependant, modeste, elle l’est, par nature. Elle n’ambitionne nullement de prendre en charge
l’ensemble des questions qui se posent à chaque être humain. Elle vise seulement à établir le
cadre de l’existence séculière de tous à l’intérieur duquel chacun pourra construire sa vie selon ses
convictions […].
C’est cette modestie, cette retenue, cette autolimitation du cadre citoyen qu’exprimait Benjamin
Constant dans cette célèbre sentence : ‘’Que l’autorité politique se borne à être juste, nous nous
chargerons d’être heureux !’’ » p. 147-148.
« La morale citoyenne se caractérise par le fait qu’elle ne repose pas sur un fondement dernier.
S’interroger sur ce qui ‘’fonde’’ la morale citoyenne – au sens fort de ce qui constitue un fondement
– oblige à répondre qu’elle laisse ouverte la question d’une fondation dernière. C’est là,
précisément, ce qui la rend compatible avec les morales englobantes, qui en appellent, elles, à un
fondement ultime […].
Dans sa ‘’Lettre aux instituteurs’’, Jules Ferry avait, me semble-t-il, pressenti cette spécificité de la
morale qu’il appelait de ses vœux au sein de l’école publique ; n’écrivait-il pas : ‘’ […] sans nous
mettre en peine d’en discuter les bases philosophiques et religieuses’’ ? » p. 149-150.
Des attentes de morale
En ce début de l'année 2015, marquée par plusieurs attentats en Europe et par le
développement de dictatures se réclamant d’une religion, la requête de morale est fortement
présente, cependant, les auteurs nous avertissent, ici sous la plume de Guy Coq, que l’on peut
errer en instrumentalisant la morale à l’école.
« Il faudrait de la morale pour arrêter le violent. Contre celui-ci il faut une prise en charge spécifique
et la répression. La question d’une culture éthique à l’école doit être posée indépendamment du
''traitement'' des excès contre lesquels il est inadéquat d’en appeler à la morale. La culture éthique
vient avant et après la crise. C’est à froid, dans une analyse des situations, que l’enfant peut être
amené à une prise de conscience » p. 83.