ALICE ET AUTRES MERVEILLES AU THÉÂTRE DE LA VILLE • 5
THÉÂTRE & ENFANT
Il faut que le regard de l’enfant nourrisse celui de
l’adulte, et non le contraire.
Cela soulève la question de l’enjeu de notre travail: il
ne peut en aucun cas être « un peu en dessous »
intellectuellement, esthétiquement… parce qu’il est
« pour enfant ». Il doit au contraire ouvrir un nouveau
chemin, dans la recherche d’un matériau neuf, au fil
de notre « laboratoire ».
Que l’adulte cherche à se mettre au niveau de l’enfant,
à sa hauteur? alors elle doit être immense, et le niveau
surélevé au regard des capacités créatives et inven-
tives de l’enfant capable, dans ses inventions langa-
gières, picturales, de la plus pure créativité. Picasso
le sait bien, ainsi que les surréalistes. Et que Lewis
Carroll lui-même.
PERSONNAGES
Les personnages inventés par Lewis Carroll, au même
titre d’ailleurs qu’Alice elle-même, bien qu’inspirés
d’une petite fille réelle, sont des créations, des créa-
tures répondant à bien d’autres logiques que la logique
rationnelle, agissant dans leur être comme dans leur
langage par association libre, déduction mathéma-
tique, où régies par les lois propres du rêve. Donc, pour
le travail de l’acteur, pas de « construction psycholo-
gique » de personnage, de rationalité. Cela vous don-
nera une liberté nouvelle, vertigineuse. Nous devons
nous efforcer de nous libérer totalement de la ratio-
nalité et du réel pour construire et donner vie à ces
créatures. Il faut travailler plutôt sur la sensation,
l’étonnement, l’émotion de l’instant.
TEMPS & ESPACE
Alice a atterri de l’autre côté du miroir, dans un uni-
vers parallèle à notre réalité. Tous les personnages
ont un rapport particulier au temps, depuis le lapin
jusqu’aux protagonistes de la scène du Thé chez les
fous. Alice fait l’expérience d’allers et retours dans
divers stades de développement physique (elle grandit
ou rétrécit en fonction de ce qu’elle mange ou boit).
On pourrait alors imaginer qu’elle traverse toutes les
époques, tous les âges, toutes les civilisations au cours
de son voyage. Sans compter qu’ici, outre les person-
nages de Carroll, Fabrice Melquiot imagine qu’elle
croise d’autres figures de l’univers de l’enfance: l’éter-
nel grand méchant Loup, le Petit Chaperon rouge qui
date, lui, avec Perrault, de 1698, et aurait aujourd’hui
317 ans, la poupée Barbie, inventée en 1959, et qui
n’a donc que 56 ans quand nous fêtons les 150 ans
d’Alice cette année. Et le lapin, passeur, creuseur de
tunnels, de galeries, qui relient entre eux les espaces
et les êtres.
Emmanuel Demarcy-Mota,
Propos retranscrits par Julie Peigné et Christophe Lemaire
SUR LA MISE EN SCÈNE
En cours de traversée
Notes aux acteurs en répétition.
On a deux vies ; la deuxième commence quand on se rend
compte qu’on n’en a qu’une. CONFUCIUS
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