Une entrevue avec le metteur en scène Daniel Paquette

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ENTRETIEN AVEC DANIEL PAQUETTE,
METTEUR EN SCÈNE
s’asseoir près de lui. Or, s’approcher si près du roi
est quelque chose d’impensable pour l’époque. Je
trouvais que l’accent était mis sur le personnage de
Beaumarchais et j’ai fait une recherche sur sa vie
après avoir vu le film. J’ai aussi vu Beaumarchais
l’insolent, adapté d’une pièce de Sacha Guitry,
sorti en 1996. Ce film met en vedette l’acteur
Fabrice Lucchini dans le rôle de Beaumarchais,
et ce que les gens retiennent du film, d’après moi,
c’est beaucoup la prestation de cet acteur.
© Luc Lavergne
Le personnage de Beaumarchais vous a
beaucoup impressionné…
~ daniel paquette
daniel paquette est diplômé de l’École nationale
de théâtre du Canada où il a reçu une double
formation en interprétation et en mise en
scène. Il a cofondé et dirigé la Société Richard
III (1999-2014) qui tire son nom de la tragédie
de Shakespeare qui fut la première production
de la jeune compagnie. En plus d’avoir assuré la
mise en scène de plus d’une quarantaine de
productions, dont Les Fourberies de Scapin,
Roméo et Juliette, le Cid, et Bérénice, il joue,
conçoit des costumes en plus d’enseigner et à
l’occasion, de prêter sa voix au doublage.
Il est extraordinaire. C’est un être fascinant, tout en
contradictions. Il a critiqué la noblesse, mais a tout
fait pour être noble. Il a fondé la Société des Auteurs
et Compositeurs Dramatiques afin de défendre la
reconnaissance du droit d’auteur mais, d’un autre
côté, certains estiment qu’il a plagié Molière qui
avait lui-même plagié Scarron. Le titre du film
Beaumarchais l’insolent est tout à fait approprié.
Beaumarchais a vendu des armes, passé quelque
temps en prison, connu deux rois Louis XV et
Louis XVI. Il a fait preuve d’une insolence constante
et il réussira à convaincre Louis XVI d’investir dans
la guerre d’indépendance américaine dont l’objectif
était de se libérer de la monarchie anglaise alors
que quelques années plus tard, Beaumarchais
prendra part à la Révolution française et c’est ce
même Louis XVI qui sera destitué.
Qu’est-ce qui vous a frappé lors de votre
première lecture du Barbier de Séville ?
Comment avez-vous découvert Beaumarchais ? Dans quelles circonstances avezvous été mis en contact avec cet auteur ?
Mon premier contact avec Beaumarchais s’est
produit grâce à un vieux film des années cinquante,
écrit et réalisé par Sacha Guitry, Si Versailles
m’était conté. Dans une des scènes du film, le roi
est assis sur un fauteuil et Beaumarchais vient
page 32 / LE BARBIER DE SÉVILLE
C’est une pièce écrite à l’époque des « Lumières »,
qui remet en question les conventions sociales.
La pièce met en scène une jeune fille qui refuse
d’être mariée de force, qui est une rebelle pour
cette époque où les mariages d’amour sont quasiinexistants. On y traite aussi de la condition sociale
des personnages, ce qui est rare. Il y a un grand vent
de changement à cette époque-là, on questionne
la place de la bourgeoisie, de la noblesse, et de
l’argent. On s’interroge aussi sur la place de l’être
humain dans l’univers, de la femme, de Dieu. Cette
pièce de Beaumarchais est la première d’une trilogie
qui comprend aussi Le Mariage de Figaro et La Mère
coupable. Entre chacune de ces pièces, il y a une
évolution dans la façon de s’adresser au public,
d’aborder des sujets qu’on n’aurait pas osé traiter
avant. En ce sens, Beaumarchais va à l’encontre
des courants établis.
C’est aussi frappant de réaliser que cette pièce
ressemble beaucoup à L’École des femmes, de
Molière. Beaumarchais ne s’en est d’ailleurs pas
caché. Lorsque Molière a écrit sa pièce, il était très
critiqué pour son mariage avec Armande Béjart
qu’il avait élevée, et dont on ne sait toujours pas si
elle était la fille ou la jeune sœur de sa compagne
Madeleine1. L’École des femmes était en fait une
Mademoiselle Molière d’Hubert Fielden présenté à la Salle Fred-Barry en
janvier dernier en traitait justement.
1
réponse à ces critiques, du point de vue d’un homme
d’âge mûr, interprété par Molière lui-même. De
son côté, Beaumarchais raconte l’histoire du point
de vue du Comte Almaviva, donc du point de vue
des jeunes protagonistes. Pourquoi Beaumarchais
a-t-il utilisé l’œuvre de Molière, pourquoi celle-là ?
Il aurait pu en choisir d’autres. Pour trouver des
réponses à ces questions, je vais me pencher sur la
vie de l’auteur et sur ce qui se passe politiquement
à son époque. À mon avis, une des raisons pour
lesquelles la pièce nous est parvenue est que
Marie-Antoinette a déjà tenu le rôle de Rosine
dans une représentation privée de la pièce donnée
dans son théâtre à Versailles. Beaumarchais, cet
auteur ouvertement politisé, qui critique la société
gouvernée par le roi, est donc joué par la reine.
C’est quelque chose d’assez inusité et qui suscite
la curiosité. Le personnage de Beaumarchais et
sa personnalité ont sûrement aussi contribué à
ce que la pièce nous parvienne.
© Starus 2012
€ Le Théâtre de la Reine à Versailles, au Petit Trianon.
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ENTRETIEN AVEC DANIEL PAQUETTE,
METTEUR EN SCÈNE
C’est là où j’en suis en ce moment. Je vais analyser
les scènes et voir ce qui revient dans chacune
d’elles. Je vais aussi me pencher sur les points forts
de la pièce en me demandant ce que je retiens du
texte et ce que j’en enlève. On parle beaucoup dans
cette œuvre et ce n’est peut-être pas nécessaire
de parler autant.
Est-ce qu’à la lecture de la pièce certains
éléments comiques vous ont attiré que
vous auriez envie de mettre en relief ?
Cette pièce-là, pour moi, est d’abord un conte de
fées. Dans la pièce, Rosine est sauvée par un prince
charmant. Il y a aussi un côté étrange à cette pièce.
Un vieux monsieur qui élève une jeune fille, ce n’est
pas évident pour nous aujourd’hui. Ça rappelle
aussi La Belle et la bête, un conte un peu bizarre,
étrange. J’ai tenu à respecter cette caractéristique
du texte, en choisissant des comédiens de façon
à ce que la jeune fille ait l’air jeune et à ce que
le monsieur ait l’air d’un homme d’âge mûr. Bien
sûr, dans la pièce, il y a des ressorts comiques,
mais ce n’est pas une comédie dans le sens où on
l’entend aujourd’hui. À l’époque, une comédie est
une pièce qui finit bien. Qu’est-ce qui doit être joué
dans la vérité et non dans le grotesque ? Qu’est-ce
qui est drôle ? Il y a des jeux de cachette, des jeux
de passe-passe avec des lettres. On pourrait dire
des amoureux qu’ils sont naïfs, et c’est toujours
drôle des gens maladroits en amour.
Quelles images vous sont venues en tête
quand vous avez lu la pièce ?
Quand je lis, ce sont les costumes qui me viennent
d’abord en tête. Pour cette pièce, à la lecture, je
voyais des costumes classiques dans les tons de
noir et blanc.
C’est aussi lors de ces premières lectures que
je fais les coupures. Il y a ensuite rencontres et
discussions avec les concepteurs, et dialogue
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avec Véronique Borboën, professeure à l’UQÀM.
Cette femme est une encyclopédie vivante. On
discute de l’époque, je lui pose toutes les questions
qui me passent par la tête, par exemple sur le
quotidien des gens, sur la façon dont ils vivent. Je
rencontre ensuite à nouveau les concepteurs. Nous
nous appuyons alors sur le texte. Vient ensuite la
rencontre avec les comédiens. Je leur donne le
plus d’informations possible sur le spectacle. Je
travaille beaucoup avec le cinéma comme référence
et je conseille aux comédiens de visionner tel ou
tel film. Ça aide beaucoup de s’inspirer d’univers
cinématographiques. Une fois que c’est fait, on
oublie l’époque pour se concentrer sur le jeu.
En ce qui a trait à cette pièce, j’ai déjà effectué
les coupures, ce que je fais toujours dans les
textes d’époque. On a souvent l’impression qu’on
doit garder tout ce qui est écrit. Or, les auteurs
s’adressent à leurs contemporains et lorsqu’une
pièce nous parvient des dizaines, voire des
centaines d’années après sa création, il nous
manque des références. Dans Le Barbier de Séville,
par exemple, j’ai coupé plusieurs chansons. Pour
choisir celles que je gardais, je me suis posé la
question suivante : est-ce que, dans ce passage, le
personnage chante pour se divertir ou est-ce que
le texte chanté est indispensable au spectacle ?
Les nombreuses chansons présentes dans le texte
s’expliquent peut-être par le fait que Beaumarchais
était aussi un compositeur.
Comment choisissez-vous les comédiens ?
Pour ce projet-là, je voulais travailler avec
Carl Poliquin dans le rôle de Figaro et
Daniel Desparois dans celui de Bazile, un autre
personnage comique. Ils ont étudié ensemble et
développé une belle complicité dans Les Fourberies
de Scapin que j’ai mis en scène au Théâtre DenisePelletier en 2007. J’ai reçu 34 personnes en audition
pour les rôles de Rosine et du Comte. Quand j’ai
vu Kevin Houle, j’ai su que c’était lui le Comte.
J’avais déjà travaillé avec Madeleine Péloquin
qui joue Rosine. Le choix de Roger Léger pour le
rôle de Bartholo résulte d’une concertation avec
Claude Poissant.
Pour les productions importantes dont je signe
la mise en scène, par exemple Les Fourberies
de Scapin, Le Cid et Le Barbier de Séville, je fais
des auditions. Pour des spectacles plus intimes
présentés à la Salle Fred-Barry, je fais appel à des
personnes avec qui j’ai déjà travaillé.
Notre entretien a lieu à la fin du mois
d’octobre 2014, bien avant la première du
Barbier de Séville prévue pour le mois de
mars 2015. Quelles seront les prochaines
étapes de votre travail ?
Pour ce qui est de l’environnement scénique, je
compte m’inspirer de ce qui était dans l’air du temps
à l’époque de Beaumarchais soit les automates,
la mécanisation, le métier d’horloger, les boîtes à
Les automates anthropomorphes Jaquet-Droz, 1872-1874.
Musée d’Art et d’Histoire de Neuchâtel, Suisse.
| La musicienne. La joueuse
d’orgue enfonce les touches
d’un véritable orgue avec ses
doigts. Elle «respire», elle suit
des yeux le jeu de ses mains,
elle fait des mouvements du
torse et termine son récital par
une révérence au public.
€ L’écrivain. Il écrit à l’aide d’un jeu de 40
caractères, avec une plume d’oie. Ses yeux suivent
le texte au fur et à mesure qu’il l’écrit, et sa tête
tourne lorsqu’il cherche de l’encre.
~ Le dessinateur. Il peut exécuter
quatre dessins dont un portrait de
Louis XV et un autre d'un couple
royal (on pense qu’il s’agirait de
Louis XVI et Marie-Antoinette).
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© Andrea 2013
ENTRETIEN AVEC DANIEL PAQUETTE,
METTEUR EN SCÈNE
~ Automate contorsionniste.
musique. Il y avait déjà un ascenseur à Versailles
et Louis XVI était amateur d’ingénierie.
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J’imagine un îlot fermé, entouré de miroirs, où
une jeune fille est prisonnière, un peu comme
une ballerine de boîte à musique. Rosine aurait
un peu ce rôle de la poupée qu’on garde, que l’on
protège. J’ai envie d’utiliser des miroirs et des
matériaux des années 1950-1960 pour les tissus,
de travailler avec des textures différentes pour,
par exemple, marquer les différences de classes
sociales. Le grand couturier français Christian
Dior a fabriqué des vêtements dans les années
1950 qui ressemblent à ceux du XVIIIe siècle. En
ce moment, dans ses dernières collections, il
ressort des redingotes, des vêtements du style
des années 1950 qui rappellent aussi le XVIIIe
siècle. Je souhaite m’en inspirer.
Propos recueillis et mis en forme par Émilie Jobin
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