Actes du Forum "Laïcité - Diversité" - « Reconnaissance de l’autre : pour une nouvelle pédagogie de la citoyenneté ? »
Du 2 décembre 2009 au Mans - organisé par le Collectif d'Education à la Citoyenneté et à la Diversité 72
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« Philosopher avec les enfants.
Comment aborder les questions de la différence et de l’égalité »
Par Edwige CHIROUTER
(
Professeur de philosophie - U. de Nantes. IUFM des Pays de la Loire)
Introduction
Il n’y a pas d’âge pour se poser des questions philosophiques et, dès l’âge de trois ans,
face à l’expérience de « l’étonnement devant le monde », les enfants se posent des questions
insolubles et éternelles sur la vie, la mort, les relations humaines, la morale, le politique. L’enfant,
en tant qu’enfant, en tant que regard neuf, naïf (mais non innocent…), fait à chaque pas cette
expérience originelle. Le Petit Prince de Saint-Exupéry pourrait être la représentation
métaphorique idéale de ce “ don ” de l’enfance, de ce regard enfantin, toujours neuf, jamais
blasé, sur les mystères, les beautés, les horreurs de la vie et du monde. Il serait par excellence
celui qui, selon l’expression de Gilles Deleuze, « fait l’idiot » et pose la question du pourquoi et de
l’essence des choses en toute naïveté et intensité.
La pratique de “ la philosophie avec les enfants ”, développée et diffusée au XX
e
siècle grâce aux
travaux du professeur américain M. Lipman, se développe ainsi dans le monde et en France en
particulier depuis une vingtaine d'années.
On voit même apparaître en France des “ courants ” qui inventent chacun des façons
spécifiques d’apprendre à philosopher dès le plus jeune âge :
* Le courant « psychanalytique », développé par Jacques Lévine, où l’adulte intervient très peu et
doit laisser l’enfant s’exprimer librement. L’objectif est que l’enfant soit reconnu comme « sujet
pensant », détenteur en tant qu’être humain d’interrogation fondamentale. Les questions qu’il
pose ne sont pas « pour les grands », comme le lui renvoient trop souvent les adultes de son
entourage, mais il peut s’en emparer dans un espace libre de parole et d’écoute. C’est surtout en
maternelle que ce sont développés ces ateliers particuliers.
* Le courant « éducation à la citoyenneté » porté essentiellement par des enseignants issus des
courants de l’Education Nouvelle, Freinet notamment, et qui insiste sur l’aspect démocratique des
échanges philosophiques et sur les fonctions que peuvent occuper les élèves pendant ces
discussions (président de séance, distributeur de parole, gardien du temps, journaliste,
reformulateurs). Ce courant insiste donc sur la construction d’habitus démocratiques. Il s’agit
d’apprendre à débattre démocratiquement sur de grandes questions existentielles.
* Enfin, le courant « philosophique » qui insiste lui sur les exigences intellectuelles inhérentes au
discours philosophique (conceptualiser, problématiser, argumenter) et vise à réinventer des
formes d’enseignement précoces de la philosophie. Je dis souvent qu’en philosophie il ne suffit
pas de dire ce que l’on pense mais au contraire de penser ce que l’on dit. Le débat philo n’est pas
un bavardage et échange d’opinions banales et d’idées toutes faites (pas la télé, c’est mon
choix...) mais il doit être un moment rigoureux d’apprentissage de la pensée. C’est pourquoi le
professeur est garant de ces exigences et il doit intervenir fréquemment lors du débat pour
maintenir ce degré d’exigence et inciter les élèves à penser rigoureusement. « On nait citoyen,
écrivait Condorcet, on devient citoyen éclairé », les capacités de raisonnement, d’argumentation,
de critique ne sont pas innées mais ce sont des compétences qui s’acquièrent, qui s’apprennent
patiemment.
Ainsi, Au-delà de leurs diversités, toutes ces pratiques de la philosophie avec les enfants visent à
former le citoyen éclairé. Apprendre à penser de façon rigoureuse, apprendre à réfléchir, à douter,
à critiquer, à analyser, à argumenter : c’est bien la mission prioritaire de l’école républicaine. C’est
ce que rappelle le préambule des programmes de l’école élémentaire
« Il est indispensable que tous les élèves soient invités à réfléchir sur des textes et des
documents, à interpréter, à construire une argumentation, non seulement en français mais dans
toutes les disciplines, qu’ils soient entraînés à mobiliser leurs connaissances et compétences
dans des situations progressivement complexes pour questionner, rechercher et raisonner par
eux-mêmes. »