pour une nouvelle pédagogie de la citoyenneté

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Forum "Laïcité - Diversité"
« Reconnaissance de l’autre :
pour une nouvelle pédagogie de la citoyenneté ? »
Le Mans, 2 décembre 2009 à l’IUFM
Organisé par la Ligue de l’enseignement / Fal 72
Et le Collectif d'Education à la Citoyenneté et à la Diversité 72
Actes du Forum "Laïcité - Diversité" - « Reconnaissance de l’autre : pour une nouvelle pédagogie de la citoyenneté ? »
Du 2 décembre 2009 au Mans - organisé par le Collectif d'Education à la Citoyenneté et à la Diversité 72
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Texte d’intention des Forums Laïcité / Diversité :
L'éducation constitue un des leviers principaux pour contribuer à concrétiser le projet
politique républicain de construction d'une chose publique. C'est-à-dire, faire en sorte que
le pouvoir soit partagé entre tous les citoyens.
Dans ce cadre laïque, le savoir constitue un bien commun à partager et non un objet à
conquérir, ni de mérite. De ce point de vue la République se doit de poser comme principe : « tous
capables », et de mettre en place non seulement les cadres pour le partage du pouvoir, mais aussi
pour le partage et la co-construction permanente du savoir, en particulier celui qui contribue à
créer les conditions d'une société de bien être et où chacun a une place reconnue de citoyen.
Nos forums s'inscrivent dans ce projet de petite révolution éducative républicaine permanente.
Elle passe par la construction et la multiplication d'espaces éducatifs de réelle démocratie
entre égaux, où le savoir et le pouvoir sont partagés dans un but commun. Dans ces espaces, les
identités, toutes singulières, sont invitées à participer pour fabriquer des projets partagés et de cette
manière à s'enrichir, à grandir à travers la rencontre d’autrui et la reconnaissance.
L’animateur d’espaces éducatifs citoyens, au sens fort du terme, a pour fonction de créer les
conditions pour faire vivre l'expérience de l'autre, du projet partagé, de la découverte et de la
créativité. Lui-même vise seulement créer les conditions d'un processus d'apprentissage citoyen.
Les Forums Laïcité / Diversité ont pour but :
De former, de partager les outils et les démarches en mesure de développer les situations
d’apprentissage des citoyens à l’école, dans les centres de loisirs, dans les associations, dans
les quartiers…
D’enclencher un processus d’auto-formation continue entre membres du Collectif
d'Education à la Citoyenneté et à la Diversité, mais aussi ouvert à tous.
Actes du Forum "Laïcité - Diversité" - « Reconnaissance de l’autre : pour une nouvelle pédagogie de la citoyenneté ? »
Du 2 décembre 2009 au Mans - organisé par le Collectif d'Education à la Citoyenneté et à la Diversité 72
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« Reconnaissance de l’autre : pour une nouvelle
pédagogie de la citoyenneté ? »
Dans le cadre des « Semaines d’éducation contre le racisme », cette journée avait
pour but d’échanger entre acteurs locaux sur les notions de diversité culturelle, de
processus d’ethnicité et de discrimination qui questionneraient les principes de la
laïcité et les pratiques éducatives à l’école, mais aussi les actions municipales et
associatives en direction des jeunes.
Introduction par Jean-Luc JOUVIN, Président de La Ligue de l'enseignement / FAL 72
Animation et conclusion de la journée par Yves COTTEREAU, membre de la Ligue des droits
de l’Homme, section Sarthe.
Au programme :
9h30 / 11h00
Présentation de démarches pédagogiques pour débattre de l’égalité et de la différence :
- Atelier « Philosophie en classe » par Edwige CHIROUTER, Professeur de philosophie - U. de
Nantes. IUFM des Pays de la Loire - [email protected]
- « Atelier scientifique : Chemin des préjugés » par l’association « Les Petits Débrouillards »
antenne Sarthe
- Atelier « Mixité, relations Filles/Garçons dans le sport » par les CEMEA Pays de la Loire.
11h30 / 12h30
Le citoyen et la souveraineté du peuple, les évolutions depuis la Révolution Française
Intervention de Charles CONTE, chargé de mission « Etudes et recherches Laïcité-Egalité-Diversité »à la Ligue de
l'Enseignement, Membre du comité de rédaction de la revue « Diasporiques, Cultures en mouvement ».
14h00 - 15h00
Une reconnaissance pour quoi
reconnaissance des autres ?
:
réalisation
de
soi,
reconnaissance
de
l'autre,
Intervention de Christian SAINT-SERNIN, retraité. Ancien Directeur de la C.A.F.de Nevers. Membre de « démocratie
et spiritualité ». Ancien militant ouvrier à la CFDT de la Loire, auteur de « 150 ans de Luttes ouvrières dans le Bassin
Stéphanois ».
15h15 - 16h15
Pédagogies de l’interculturel ou pédagogies de l’altérité ?
Intervention de Bernard BIER, chargé d’études à la Mission Observation Evaluation (MOE) de l’INJEP (Institut
National de la Jeunesse et de l’Education Populaire).
Actes du Forum "Laïcité - Diversité" - « Reconnaissance de l’autre : pour une nouvelle pédagogie de la citoyenneté ? »
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Discours d’ouverture
Par Jean-Luc JOUVIN
Président de La Ligue de l'enseignement / FAL 72
La France est une République. C’est-à-dire, selon la philosophe Domninique
Schnapper, une communauté de citoyens. Un citoyen est un sujet de droit, un
détenteur de droits. Tous les citoyens disposent des mêmes droits. Mais le citoyen
n'est pas seulement un sujet de droits individuels. Il est avant tout le détenteur
d'une part de la souveraineté politique. C'est l'ensemble des citoyens, constitués en
collectivité politique, la "communauté des citoyens", qui choisit les gouvernants par
l'élection et contrôle et sanctionne leur action. Les gouvernés reconnaissent qu'ils
doivent obéir aux ordres des gouvernants parce que ceux qui leur donnent ces ordres
ont été élus par eux et restent sous leur contrôle. C'est l'ensemble des citoyens qui
dispose de la souveraineté. C'est le sens des expressions bien connues, le citoyen est
"roi" ou le citoyen est "souverain".
Pourtant, le citoyen est aussi doté de spécificités. Il est un homme ou une femme. Il
peut se retrouver plus spécialement dans le métier qu’il exerce : paysan ou
informaticien, médecin ou ébéniste… Il peut se définir avant tout par la classe sociale
à laquelle il appartient. Ou bien par sa religion ou son absence de religion. Il peut
plus spontanément mettre en avant son orientation sexuelle, hétérosexuel,
homosexuel… Il peut avoir des origines nationales diverses : française bien sûr, mais
aussi italienne, maghrébine, indochinoise… Chacune de ces spécificités sont légitimes
dans une société démocratique. Elles définissent en profondeur l’identité des
personnes. Mais elles peuvent être l’objet d’un regard malveillant, de stéréotypes,
voire de discriminations.
Comment articuler la conception française du citoyen, détenteur de droits et acteur
de la souveraineté du peuple, avec la multiplicité des identités personnelles et
collectives ? Faut-il réduire les citoyens à leur capacité politique ? Ou faut-il prendre
en compte les réalités sociales et culturelles qui font de chacun d’entre nous un être
à la fois unique et semblable à bien d’autres ? La Déclaration de 1789 fait une
distinction entre les droits de l’homme et les droits du citoyen. Les droits du citoyen
sont des droits politiques. Ils sont inaliénables. Ils doivent le rester. Les droits de
l’homme sont plus généraux, nous les qualifierions de culturels aujourd’hui.
Comment faire pour les reconnaître et les rendre inaliénables aussi ? Comment
mettre sur pied une pédagogie interculturelle, pour lutter ainsi contre toutes les
formes de discriminations ? C’est de ces questions que nous débattrons dans ce
deuxième Forum Laïcité/Diversité.
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« Philosopher avec les enfants.
Comment aborder les questions de la différence et de l’égalité »
Par Edwige CHIROUTER
(Professeur
de philosophie - U. de Nantes. IUFM des Pays de la Loire)
Introduction
Il n’y a pas d’âge pour se poser des questions philosophiques et, dès l’âge de trois ans,
face à l’expérience de « l’étonnement devant le monde », les enfants se posent des questions
insolubles et éternelles sur la vie, la mort, les relations humaines, la morale, le politique. L’enfant,
en tant qu’enfant, en tant que regard neuf, naïf (mais non innocent…), fait à chaque pas cette
expérience originelle. Le Petit Prince de Saint-Exupéry pourrait être la représentation
métaphorique idéale de ce “ don ” de l’enfance, de ce regard enfantin, toujours neuf, jamais
blasé, sur les mystères, les beautés, les horreurs de la vie et du monde. Il serait par excellence
celui qui, selon l’expression de Gilles Deleuze, « fait l’idiot » et pose la question du pourquoi et de
l’essence des choses en toute naïveté et intensité.
La pratique de “ la philosophie avec les enfants ”, développée et diffusée au XXe siècle grâce aux
travaux du professeur américain M. Lipman, se développe ainsi dans le monde et en France en
particulier depuis une vingtaine d'années.
On voit même apparaître en France des “ courants ” qui inventent chacun des façons
spécifiques d’apprendre à philosopher dès le plus jeune âge :
* Le courant « psychanalytique », développé par Jacques Lévine, où l’adulte intervient très peu et
doit laisser l’enfant s’exprimer librement. L’objectif est que l’enfant soit reconnu comme « sujet
pensant », détenteur en tant qu’être humain d’interrogation fondamentale. Les questions qu’il
pose ne sont pas « pour les grands », comme le lui renvoient trop souvent les adultes de son
entourage, mais il peut s’en emparer dans un espace libre de parole et d’écoute. C’est surtout en
maternelle que ce sont développés ces ateliers particuliers.
* Le courant « éducation à la citoyenneté » porté essentiellement par des enseignants issus des
courants de l’Education Nouvelle, Freinet notamment, et qui insiste sur l’aspect démocratique des
échanges philosophiques et sur les fonctions que peuvent occuper les élèves pendant ces
discussions (président de séance, distributeur de parole, gardien du temps, journaliste,
reformulateurs). Ce courant insiste donc sur la construction d’habitus démocratiques. Il s’agit
d’apprendre à débattre démocratiquement sur de grandes questions existentielles.
* Enfin, le courant « philosophique » qui insiste lui sur les exigences intellectuelles inhérentes au
discours philosophique (conceptualiser, problématiser, argumenter) et vise à réinventer des
formes d’enseignement précoces de la philosophie. Je dis souvent qu’en philosophie il ne suffit
pas de dire ce que l’on pense mais au contraire de penser ce que l’on dit. Le débat philo n’est pas
un bavardage et échange d’opinions banales et d’idées toutes faites (pas la télé, c’est mon
choix...) mais il doit être un moment rigoureux d’apprentissage de la pensée. C’est pourquoi le
professeur est garant de ces exigences et il doit intervenir fréquemment lors du débat pour
maintenir ce degré d’exigence et inciter les élèves à penser rigoureusement. « On nait citoyen,
écrivait Condorcet, on devient citoyen éclairé », les capacités de raisonnement, d’argumentation,
de critique ne sont pas innées mais ce sont des compétences qui s’acquièrent, qui s’apprennent
patiemment.
Ainsi, Au-delà de leurs diversités, toutes ces pratiques de la philosophie avec les enfants visent à
former le citoyen éclairé. Apprendre à penser de façon rigoureuse, apprendre à réfléchir, à douter,
à critiquer, à analyser, à argumenter : c’est bien la mission prioritaire de l’école républicaine. C’est
ce que rappelle le préambule des programmes de l’école élémentaire
« Il est indispensable que tous les élèves soient invités à réfléchir sur des textes et des
documents, à interpréter, à construire une argumentation, non seulement en français mais dans
toutes les disciplines, qu’ils soient entraînés à mobiliser leurs connaissances et compétences
dans des situations progressivement complexes pour questionner, rechercher et raisonner par
eux-mêmes. »
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Nous sommes bien ici au cœur de la mission politique, au sens le plus noble du terme, de l’école
républicaine et donc au cœur du sujet qui nous anime ce matin.
Dans le même temps, ainsi, avoir pris en compte les interrogations métaphysiques des
enfants semble être une grande tendance de la littérature de jeunesse contemporaine. En 1976,
par le succès de la Psychanalyse des contes de fées, Bruno Bettelheim a convaincu beaucoup
d’éducateurs que les véritables préoccupations des enfants, ce qui les intéresse et les motive
profondément, c’est justement de pouvoir répondre à ces grandes angoisses existentielles.
Bettelheim affirme également que les enfants sont capables d’interpréter inconsciemment le
message latent du récit, ses implicites, pour mieux comprendre et donner sens au monde et à
son existence. Aujourd’hui, des auteurs comme Claude Ponti (Okilélé) - je cite déjà des albums
déjà sur le thème de la différence (et je présenterai d’autres albums sur ce thème tout à l’heure),
Tomi Ungerer (Jean de la Lune) ou Anthony Browne (Histoire à quatre voix) offrent à leur jeune
lecteur par le biais de leur récit, de façon implicite et surtout pas moralisatrice, avec beauté et
intelligence, la possibilité d’une rencontre initiatique avec soi-même et avec les autres.
De plus, accompagnant et favorisant cette profusion d’ouvrages qui abordent avec
intelligence de grandes questions philosophiques, les programmes de Littérature à l’école
primaire insistent sur cette dimension métaphysique des œuvres et incitent à des débats dits
“ réflexifs ”. C’est dans cette brèche que tous ceux qui souhaitent une initiation précoce à la
philosophie ont pu s’engouffrer pour mettre en place des séances dans les classes.
Dans mes recherches et la thèse que j’ai soutenue sur philosophie avec les enfants et littérature
de jeunesse, je suis partie du postulat suivant : on ne peut apprendre à philosopher sans
supports, sans textes, qui permettent la mise à distance et la problématisation du sujet. Les
textes de philosophie classique étant trop ardus et complexes pour des élèves du primaire, c’est
grâce à la littérature que l’on peut leur permettre d’entrer dans la réflexivité. Et surtout, c’est
d’ailleurs peut-être grâce à l’enfance que la littérature et la philosophie pourraient retrouver leur
alliance originelle. L’enfance est le pont qui permettrait de retrouver la fraternité de ces deux
paroles, qu’il ne faut certes pas confondre, mais dont il ne faut surtout pas oublier non plus le
fondement commun : la littérature et la philosophie sont toutes les deux des discours qui donnent
sens et intelligibilité à notre existence. Disciplines trop souvent et injustement cloisonnées dans le
système éducatif français, la littérature et la philosophie pourraient ainsi retrouver leur
complémentarité grâce au développement de la philosophie avec les enfants.
Dans cette intervention, je reviendrai sur ces recherches : pourquoi et comment peut-on
philosopher avec des enfants dès l’école élémentaire grâce au programme de littérature (et en
quoi ces pratiques relèvent de l’apprentissage de la citoyenneté) puis je montrerai un exemple
très concret de mises en réseau d’albums sur le thème qui nous intéresse aujourd’hui : celui de
l’égalité et de la différence.
I) Philosopher grâce à la littérature
La littérature est un formidable outil pour apprendre à philosopher car elle est elle-même
une authentique « expérience de pensée ». Pour mes recherches, je me suis appuyée sur une
certaine définition de la littérature que j’ai ensuite appliquée au genre particulier de la littérature
dite de jeunesse.
Dans la seconde moitié du XXe siècle, le philosophe Paul Ricœur a repensé le concept de
littérature et ses liens étroits avec la philosophie. La fiction littéraire (que Ricœur nomme aussi la
“ métaphore vive ”), parce qu’elle représente la possibilité démultipliée d’expériences exemplaires
et signifiantes sur la ou les vérité(s) du monde, constitue un « espace autonome de pensée ». Je
peux vivre à travers un roman des expériences que je ne connaitrais jamais dans la vie réelle.
La fiction littéraire n’est donc pas seulement de l’ordre de l’imaginaire mais elle dispose aussi
d’une “ fonction référentielle ” qui dévoile des dimensions insoupçonnées de la réalité. La
littérature constitue à ce titre une expérience authentique, singulière et universelle à la fois, par
laquelle les hommes vont pouvoir appréhender le réel. L’imaginaire est ainsi comme un immense
laboratoire où les hommes peuvent modeler, dessiner, redessiner à l’infini les situations, les
dilemmes, les problèmes qui les travaillent. Dégagée des contraintes du réel empirique, des lois
de la physique, et même des lois de la morale ou de la justice, la fiction me permet de vivre par
procuration ce que le réel, seul, ne me permettra jamais de vivre : écrivain ou lecteur, je peux
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commettre un meurtre, et, comme dans Crimes et Châtiments, expérimenter de l’intérieur les
tourments du remords. “ Les expériences de pensée que nous conduisons dans le grand
laboratoire de l’imaginaire sont aussi des explorations menées dans le royaume du bien et du
mal ”, écrit ainsi Paul Ricœur dans Soi-même comme un autre.
La littérature dite « de jeunesse » a longtemps été considérée comme une paralittérature, un
genre mineur. Mais depuis, disons, une quarantaine d’années, grâce aux apports de la recherche,
mais aussi des théories psychanalytiques, ce genre a acquis une reconnaissance institutionnelle,
universitaire et éditoriale. La littérature dite « de jeunesse » n’échappe donc plus à cette définition
de la littérature comme « expérience de pensée ».
Or justement, toutes les recherches et les réflexions contemporaines sur la définition de la
littérature comme “ expérience de vérité ”, l’évolution du regard sur l’enfant, sujet porteur
d’interrogations métaphysiques et existentielles, et en particulier sur l’enfant lecteur, sont toutes
reprises dans les très ambitieux programmes de Littérature au cycle 3 de l’école élémentaire. Ce
que les programmes visent absolument à éviter, c'est la dérive techniciste, formaliste de
l’enseignement de la littérature. Il faut d'abord et avant tout permettre à l'enfant de faire
l'expérience initiatique de la rencontre avec la littérature : je rencontre un texte qui va me
permettre de mieux me connaître et de mieux connaître le monde. Et en insistant ainsi sur le
discours du texte, les programmes ont ouvert la voie de débats réflexifs à visée philosophique :
“ L’appropriation des œuvres littéraires appelle à un travail sur le sens. Elle interroge les histoires
personnelles, les sensibilités, les connaissances sur le monde, les références culturelles, les
expériences des lecteurs. Elle crée l’opportunité d’échanger ses impressions sur les émotions
ressenties, d’élaborer des jugements esthétiques, éthiques, philosophiques et de remettre en
cause des préjugés. ” (p. 6)
Pour permettre à l’élève de saisir cette dimension réflexive de la littérature, les
programmes vont donc insister sur une pédagogie non seulement de la compréhension mais
aussi et surtout de l’interprétation. Parce que l’on va d’abord s’intéresser à ce que me dit le texte,
à ce qu’il peut m’apporter, l’enseignant va devoir pointer les zones d’ombres, les questions, les
mystères, qui traversent l’œuvre. Le débat interprétatif et le débat réflexif sont souvent
inextricablement liés : poser des questions sur les blancs du texte, c’est souvent nécessairement
soulever les grandes questions métaphysiques qu’il soulève. Les débats dit “ interprétatifs ” sur
l’implicite des œuvres se transforment donc ainsi souvent en “ débats réflexifs ” sur leurs enjeux
philosophiques.
Par exemple pour l’album Remue-ménage chez madame K de Wolf Erlbruch (liste
littérature cycle 3 de 2004). Cet album, comme le précisaient d’ailleurs les Documents
d’accompagnement Littérature cycle 3, interroge les représentations du masculin et du féminin (il
permet ainsi de bousculer les stéréotypes sexistes encore très présents dans notre société) et
pose implicitement les questions de l’irrationalité de l’angoisse existentielle. Madame K. est une
Emma Bovary qui cherche le sens de son existence dans un quotidien terne et vain (mari
ennuyeux..). Elle va se prendre d’affection pour un petit oiseau et cet amour va lui donner la force
de s’émanciper et de changer de vie.
A la fin de l’album, on la voit littéralement prendre son envol. Qu’est-ce que ça signifie ? Que
symbolise cet envol ? Qu’est-ce que l’auteur a voulu dire ? Il y a ici une rupture dans « l’horizon
d’attente du lecteur ». Elle quitte M. K ? Elle devient libre ? Elle s’émancipe ? Elle devient
heureuse ? Elle se suicide ? (débat interprétatif). Mais en débattant sur ce mystère du texte, on
aborde nécessairement des questions éthiques et philosophiques : Qu’est-ce que le bonheur ?
Qu’est-ce que l’émancipation ? Qu’est-ce que la liberté ? Quel est le statut de la femme dans
notre société ? Qu’est-ce que l’accomplissement de soi et une vie réussie ? Certains enfants
abordent donc même parfois la question de la mort et du suicide.
Vous voyez donc que le débat philosophique n’est pas une lubie de militants pédagogiques luttant
pour l’avancement de l’enseignement de cette discipline mais qu’il est clairement préconisé et
exigé dans les programmes de littérature de l’école primaire.
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II) Je vais donc donner maintenant un exemple de dispositif de mise en réseau d’albums
sur la question de l’égalité et de la différence.
Les principes et le dispositif de la mise en réseau : Il s’agit d’apporter une culture littéraire
commune à la classe avant la première séance de discussion à proprement dite. Le dispositif
consiste ainsi dans la lecture (gratuite) de certaines œuvres avant la première séance de
discussion (dans les jours qui précédent la première séance de débat), puis de la lecture d’un
nouvel album au début de chaque séance. Je consacre au moins 2/3 séances sur le même
thème, ce qui permet aux enfants de réfléchir entre deux séances (en général huit jours entre
deux séances de discussion. Donc on reste 3 semaines, un mois, sur la même notion).
D’autres albums peuvent être simplement mis à disposition des élèves dans la classe, comme
des documentaires ou les « Goûters philo » sur le thème. Ils les empruntent quand et s’ils le
souhaitent.
Ce dispositif de mise en réseau permet :
1) de créer une petite culture littéraire commune à la communauté de recherche. Tous les élèves
de la classe connaissent les histoires à partir desquelles nous allons discuter et réfléchir.
2) d’élargir les points de vue et de montrer la problématique sous ses différents aspects. De
donner donc des outils pour problématiser, argumenter et conceptualiser.
3) de mettre le problème à « bonne distance ». Je parle de moi mais à travers le « paravent » du
personnage…
Quels sont les objectifs conceptuels de ces séances sur l’égalité et les différences :
Il s’agit de creuser la distinction entre différence et inégalité : être différent de l’autre ne signifie
pas que l’on n’est pas son égal. Or, souvent les enfants confondent les deux notions : les garçons
et les filles, par exemple, sont différents soit parce que « les garçons sont plus forts », (réponse
des garçons), soit « parce qu’ils sont plus bêtes » (réponse des filles), la différence entraînant
implicitement ou non une hiérarchie.
Il faut donc les interroger sur ce qu’on entend par « pareil » : est-ce seulement être semblables,
identiques, avoir les mêmes caractéristiques physiques, psychologiques, culturelles, religieuses ?
Toutes ces différences sont-elles équivalentes ? Dans un premier temps, les élèves vont
sûrement être amenés à faire un inventaire à la Prévert des différences entre les
êtres : petits/grands, blancs/noirs, riches/pauvres, gentils/méchants, filles/garçons, yeux
bleus/yeux marrons, etc. Tous les êtres étant des individus uniques, nous ne sommes donc
évidemment pas pareils. On peut donc déjà entamer avec eux un travail de catégorisation de ces
différences (physiques, religieuses, ethniques, culturelles, sociales, etc.).
Mais l’intérêt de la réflexion consiste à dépasser cette première multitude de dissemblances pour
rechercher ce qui nous unit au-delà. Le principe de la laïcité, héritier de l’humanisme des
Lumières, nous invite à penser qu’au-delà de toutes nos différences particulières et accidentelles,
que notre naissance et notre culture ont développées, nous sommes tous liés par l’éducabilité et
la raison. Il s’agit d’aborder les valeurs de la fraternité et de l’égalité entre les êtres.
L’écueil de ce genre de séances serait de tomber dans un unanimisme superficiel, dans une
leçon de « morale ». C’est pourquoi il faut bien s’interroger sur les fondements de la haine de
l’autre en tant qu’autre, c’est-à-dire sur les préjugés et les stéréotypes de tous genres.
La notion de respect pourra, elle aussi, être longuement interrogée. C’est sur ce concept d’égale
dignité, et donc d’égal droit a priori au respect, que repose la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen. La dignité, écrivait E. Kant, c’est ce qui n’a pas de prix, ce qui ne peut être vendu,
échangé. La personne humaine, parce que justement unique et singulière, est digne de respect.
Elle ne devrait jamais être considérée comme un moyen (un objet dont je peux me servir) mais
toujours comme une fin : je dois toujours m’adresser à elle en tant que singularité libre et
responsable.
Voilà donc quelques notions philosophiques complexes qui peuvent être travaillées. Alors, sans
avoir le temps de présenter précisément le déroulement des séances, je donne donc aussi
quelques exemples d’ouvrages qui peuvent être exploités pour permettre aux enfants de réfléchir
sur ces problématiques :
Pour les albums qui peuvent être lus et travaillés par les enfants :
* Didier Jean, Zad. L’agneau qui ne voulait plus être un mouton. Syros jeunesse. Cet album,
récompensé par Amnesty International, est une fable sur l’antisémitisme et le mal : un troupeau
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de moutons est attaqué par un loup féroce. Tous baissent la tête. Personne ne résiste. Le loup
dévore d’abord les plus faibles puis s’attaque à tous. Le troupeau profitera de l’audace d’un jeune
agneau pour enfin unir leurs forces et vaincre la “ bête immonde ”. Les auteurs se sont inspirés
d’un poème célèbre cité à la fin de l’album: “ Quand ils sont venus chercher les juifs je n’ai rien dit
car je n’étais pas juif. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes Je n’ai rien dit Car je n’étais
pas syndicaliste. Quand ils sont venus chercher les catholiques Je n’ai rien dit car je n’étais pas
catholique. Et quand ils sont venus me chercher, il n’existait plus personne. Qui aurait voulu ou pu
protester… ”
* Kitty Crowther, Mon ami Jim, L’école des loisirs, Lutin poche.
L’album nous raconte l’histoire d’amitié entre Jack, le merle noir et Jim, la mouette blanche. Jim
emmène son nouvel ami dans sa communauté qui regarde d’un mauvais œil ce “ drôle d’oiseau ”.
La méfiance des autres est si grande que les deux amis sont obligés de quitter le village. Cette
épreuve renforce leurs liens d’amitié. Un jour Jack, le merle noir, découvre un coffre rempli de
livres. Jim lui apprend que les mouettes ne savent pas lire et qu’elles utilisent ce papier pour se
chauffer. Jack se met alors à lire les histoires à son ami. Les autres mouettes entendent par
hasard elles aussi ces histoires et se laissent enchanter par son talent de conteur. C’est par la
grâce de la littérature que les préjugés finiront par être vaincus et que Jack sera accepté par la
communauté.
* Didier Daeninckx, Il faut désobéir, Rue du monde. Nous sommes bien d’accord : pour vivre
ensemble, se respecter et pour ne pas que règne la loi du plus fort, il faut des Lois auxquelles
nous devons obéir. Et quand nous ne respectons pas ces lois, la Justice est là pour les faire
respecter et nous sanctionner si besoin. Mais quand la loi est profondément injuste, c’est-à-dire
quand elle bafoue les principes élémentaires de l’humanité (comme l’égalité entre les hommes et
la dignité), n’est-il pas de notre devoir de désobéir ? La justice n’est-elle pas là dans la
transgression de la règle ? L’album de Daeninckx permet de faire réfléchir les enfants sur cette
question car il propose une situation extrême : celle du dilemme d’un gendarme (garant de la
Justice et de la Loi) sous l’occupation allemande et dont les ordres sont d’aller arrêter des enfants
juifs.
(etc, etc. je pense aussi à Loulou ou au Diable des rochers de Solotareff. Sur le thème de la
différence et de l’exclusion plus de 200 références sur le site de littérature de jeunesse Ricochet)
Je voudrais juste citer aussi, en plus des albums qui abordent de façon métaphoriques,
les petits documentaires et manuels de philosophie avec les enfants (qui peuvent donc être mis
dans une mallette dans la classe et que les enfants peuvent consulter) :
* Le grand livre des filles et des garçons. Rue du monde. Un documentaire très complet et
joliment illustré qui délivre des informations historiques et juridiques pour lutter contre les
discriminations et les stéréotypes. (cf. la collection chez rue du monde, comme Le grand livre des
droits de l’enfant aussi)
* Brigitte Labbé et Michel Puech. La justice et l’injustice. Milan. Les “ Goûters philo ”. A partir
d’anecdotes ludiques ou de situations très concrètes, les auteurs (Michel Puech, professeur de
philosophie à la Sorbonne) font le tour de la problématique et invitent les jeunes lecteurs (dès 8
ans) à réfléchir sur la question.
Etc, etc, aussi en ce qui concerne les documentaires sur ces thèmes. Vous retrouverez très
facilement d’autres références sur les sites de critique de littérature de jeunesse, comme ricochet
que je citais tout à l’heure.
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En Conclusion…
Je terminerai cette intervention par la formule souveraine de Groethuysen “ La
métaphysique consiste à répondre aux questions des enfants ”. Les enfants nous posent la
question de la mort, de la liberté, de la morale, des relations humaines, de la Justice, du bien et
du mal, avec plus d’authenticité qu’un grand nombre d’adolescents de Terminale. Ils nous offrent
cette expérience originelle de « l’étonnement devant le monde » et posent les questions sans
auto censure. Nous devons saisir cette curiosité pour leur permettre d’avancer dans leur
cheminement et leur apprendre progressivement à penser par eux-mêmes. Pour beaucoup
d’enfants, l’école est le seul lieu de rencontre possible avec ces œuvres, le seul lieu où l’adulte
les mènera en bateau, en « bateau livre » (cf. illustration célèbre de Philippe Corentin pour l’école
des loisirs), voyage qui l’amènera, avec intelligence et beauté, à se découvrir soi-même et à
s’ouvrir aux autres. La finalité même de l’école républicaine.
Questions à la suite de l’intervention d’Edwige CHIROUTER :
-
Intervention depuis la salle :
Bonjour et merci. C’est dommage que votre exposé soit si court. Je me pose une question, parce que j’ai été
enseignante, avec l’exemple du livre de Madame K où on la voit qui s’envole. Si on laisse ce livre dans les mains d’un
enfant seul, ça peut devenir peut-être grave parce qu’il n’y a pas de discussion. Dans les bibliothèques, tous ces livres
sont à disposition, donc un enfant peut être confronté à des questions auxquelles personne ne va lui répondre.
-
Réponse d’E. Chirouter :
De toute façon, c’est toujours mieux que l’enfant soit accompagné dans sa réflexion, surtout sur ces questions. Là,
c’est vrai que pour le livre « Remue-ménage chez Madame K » de Wolf Erlbruch, c’est la question du suicide qui a été
soulevée par des enfants et que c’est un sujet infiniment délicat. Il vaut toujours mieux que l’enfant soit accompagné,
que ce soit par ses parents ou par un adulte en général sur des questions angoissantes, sur la mort notamment. Mais
souvent l’interprétation la plus courante de cette fin de l’histoire pour les enfants, c’est : "Elle quitte monsieur K".
L’interprétation du suicide est plus rare chez les enfants mais elle existe.
-
Intervention depuis la salle :
Aujourd’hui on est dans un IUFM qui est en lutte, c’est affiché. Et justement il y a un album intitulé « Il faut désobéir »
(de Didier Daeninckx). On peut en parler trois à quatre minutes pour savoir de quoi il parle. C’est un sujet chaud en ce
moment.
-
Réponse d’E. Chirouter :
Quand j’ai préparé cette conférence, j’avais prévu une petite présentation de cet album. Je commençais par dire
évidemment que pour vivre ensemble dans une démocratie, il faut respecter la loi du vivre ensemble. C’est
indispensable, sinon on est dans la loi du plus fort, dans la loi de la jungle.
Donc il nous faut des lois pour vivre ensemble. Mais quand la loi est injuste, quand elle bafoue les valeurs
fondamentales héritées de l’humanisme des lumières que sont l’égalité, la fraternité, la liberté et la liberté de penser
des individus, que faire avec cette loi ?
Actes du Forum "Laïcité - Diversité" - « Reconnaissance de l’autre : pour une nouvelle pédagogie de la citoyenneté ? »
Du 2 décembre 2009 au Mans - organisé par le Collectif d'Education à la Citoyenneté et à la Diversité 72
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La loi dans un état démocratique a été votée par le parlement. Mais dans ce livre, nous sommes dans un cas extrême,
parce que ça ne se passe pas, d’abord, dans un état démocratique, ça se passe sous Vichy pendant la deuxième
guerre mondiale et vous avez là un cas de conscience, un dilemme, évidemment. Depuis Antigone, c’est ce même
dilemme : « Faut-il obéir à la loi ? », en fonction de ma morale et de ma conscience individuelle. Ici, c’est le cas d’un
gendarme, représentant la loi par excellence, qui reçoit l’ordre d’arrêter des enfants juifs. Et il va désobéir. Ce sont des
questions délicates avec des enfants. Ils sont toujours contents de dire « Oh oui ! C’est bien de désobéir !». C’est pour
ça qu’il faut problématiser, rappeler l’importance de la loi pour vivre ensemble et puis ensuite en philosophie, c’est
introduire de la complexité, c’est bouleverser le sujet et montrer aussi qu’il y a peut-être des situations où la
désobéissance est un devoir moral, un devoir éthique.
On peut parler aussi du mensonge : « Faut-il toujours dire la vérité ? »
Je disais tout à l’heure que je mettais en réseau des albums qui peuvent montrer la problématique sur des aspects
contradictoires. Dans les livres en réseau sur le mensonge –c’est important pour les enfants, on n’arrête pas de leur
dire qu’il faut toujours dire la vérité, qu’il ne faut pas mentir, que ce n’est pas bien de mentir, etc...- donc on leur
propose des albums où, effectivement, le mensonge est une faute morale parce que plus personne n’a confiance en
moi. Vous avez par exemple l’album « Le garçon qui criait au loup ! » de Tony Ross, qui reprend une fable d’Esope.
C’est un petit garçon qui n’arrête pas de mentir, de faire des blagues et de crier "Au loup ! Au loup !". Le jour où le loup
arrive, il se fait manger. Ou bien il y a l’histoire de Pinocchio, dont on peut donner des extraits. Dans ces livres-là,
quand on ment, on perd la confiance d’autrui. Donc c’est une question de dignité pour soi-même de respecter la parole
qui est donnée.
Et puis on va montrer des albums où le mensonge a une autre valeur, comme dans l’histoire du « Petit Poucet » où la
femme de l’ogre va mentir à son mari pour protéger les enfants ; ou dans « Les Misérables » de Victor Hugo avec le
passage sur l’abbé qui transgresse un interdit fondamental de la loi « Tu ne mentiras point » pour protéger Jean
Valjean (c’est l’épisode du vol des chandeliers où l’abbé va mentir aux gendarmes pour empêcher que Jean Valjean
ne retourne aux galères) ; dans les misérables, vous avez aussi des sœurs qui vont mentir pour protéger Fantine, la
mère de Cosette qui est prostituée et qui risque d’être arrêtée. Il y a parfois des situations où le mensonge est un
moindre mal, où désobéir à la loi est non seulement un moindre mal mais aussi un devoir éthique et moral, au nom des
valeurs républicaines et humanistes.
-
Intervention depuis la salle :
Je reviens sur ce que vous avez appelé la rigueur nécessaire à la réflexion. J’appartiens à une génération qui a
supporté pendant trente ans en tant qu’enseignante en Lettres ce que vous avez appelé des "dérives technicistes"
c'est-à-dire que des élèves qui avaient très envie de lire se voyaient opposer des programmes et des grilles de lecture
qui tuaient toute envie de trouver du sens.
Alors on a appelé ça la « rigueur scientifique », on a essayé d’imiter des démarches des sciences exactes et je crois
que l’enseignement des lettres y a partiellement perdu, sinon son âme, du moins son intérêt pour une bonne
génération d’élèves. Et j’ai l’impression, non pas comme Antigone mais quasi, d’avoir fait pendant toute ma carrière de
la résistance pour faire en sorte que les élèves trouvent du sens à ce qu’ils lisaient, que ce soit au collège ou en
terminale, et qu’ils ne s’intéressent pas simplement aux problèmes d’énonciation ou de point de vue ou de je ne sais
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quoi encore. Ce jargon, je pense, a été de nature à tuer tous les « pourquoi » pour s’intéresser seulement aux
« comment ». Cela me semble être une terrible dérive en matière de réflexion.
Yves Cottereau : Qu’est-ce que la philosophe peut dire à la prof de Lettres ?
-
Réponse d’E. Chirouter :
Travaillons ensemble ! Mon créneau, et ce sont des recherches dans lesquelles je suis engagée, c’est une
réconciliation de la littérature et de la philosophie. Ce sont deux discours sur le monde, avec des formes et un langage
différents. La littérature est du côté de l’esthétique et la philosophie est du côté de la rationalité. Quoique Descartes,
c’est un récit subjectif, un roman à la première personne avec ses « méditations métaphysiques », Pessoa, René Char
c’est de la poésie…
Les frontières sont très subtiles entre littérature et philosophie. C’est Emmanuel Kant qui a définitivement cloisonné les
deux disciplines, il me semble très important, et c’est une des finalités des recherches que je mène, de réconcilier
littérature et philosophie dès l’école élémentaire. Et les programmes de littérature de 2002 le permettent, justement.
Pour répondre à ce que vous avez dit, vous savez que celui qui dénonce le plus aujourd’hui la dérive techniciste de
l’enseignement de la littérature, c’est Tzvetan Todorov. Il est un des fondateurs du Formalisme et du Structuralisme.
Dans son dernier essai « La littérature en péril », il appelle à une réconciliation de la littérature et de la philosophie.
Ce qu’il faudrait, c’est qu’à l’école ces deux disciplines retrouvent leur alliance. A l’école primaire, c’est possible si on
met en place les programmes de littérature dans leur philosophie, sans dérive techniciste, mais le travail sur le sens et
le discours : « De quoi ça me parle et qu’est-ce que ça me dit ? En quoi ça peut me permettre de grandir et de mieux
comprendre le monde ? ».
C’est ça la littérature.
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« Le chemin des préjugés »
Par Suzanne EMERY
(Association
des « Petits débrouillards »)
Transcription du PowerPoint :
- Origines des ateliers
- Participants et contextes d'interventions
- Objectifs
- Résultats
- Limites
- Leviers
1 - Origines de l'atelier :
- Exposition de l'Association Française des Petits Débrouillards / Cité des Sciences: « Chemin
des Préjugés »
- Proposition au Centre Social Quartiers Sud + Exposition et projet d'ateliers co-animés dans le
cadre des Semaines d’Education Contre le Racisme
- Groupe de travail avec deux animateurs du Centre Social, D. Moreau du Centre ressource pour
le Développement de la Flèche, quelques bénévoles de l'antenne.
2 - Participants et contextes d'interventions :
- Animation avec le Centre Social
- Exposition et animation au Centre Jacques Brel d'Arnage
3 - Participants et contextes d'interventions :
- Animations en doublon avec Centre Social Patis St Lazare auprès de collégiens (6èmes 5èmes
dans les collèges A. Paré et Vieux Colombier)
- Animations auprès de CM1 CM2 de l'école G. Philipe dans le cadre d'un projet suivi sur l'année.
- Animation auprès de scolaires avec le Centre d’Action Social de Champagné et petite formation
de 5 animateurs à l'animation de l'exposition.
- Animation en doublon avec la Maison Pour Tous Jean Moulin auprès de collégiens et femmes
en cours d'alphabétisation
4 – Objectifs :
- De l'exposition :
▪ Apporter des connaissances scientifiques pour comprendre les différences
▪ Démontrer qu'il n'y a pas de fondements scientifiques aux discriminations
- De l'atelier :
▪ Observer nos comportements, nos attitudes, nos sentiments face à la différence.
▪ Identifier ce qui caractérise une situation discriminante, ce qui la favorise.
▪ Proposer des solutions
5 - Observations / Résultats :
- Réactions plus spontanées, personnelles, en lien avec le quotidien des jeunes.
- Dans le cas des adultes : observations davantage basées sur les expériences personnelles, les
coutumes, les habitudes plus que sur les mises en situation.
- Mise en évidence des différentes perceptions que nous avons des choses, des gestes, de nos
attitudes, et de leurs origines et conséquences...
- Quand étaient évoqués la discrimination, le racisme, les exemples de chacun venaient
compléter les échanges
- Des solutions sont découvertes au fur et à mesure quand elles ne sont pas déjà connues.
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6 - Limites :
- Du mode d'intervention :
▪ Durée limitée
▪ Ne permet pas de mettre en situation d'agir concrètement, de « réinvestir » ses découvertes
- Prolongements :
▪ Nécessaires pour observer les jeunes en situation réelle et pour observer d'éventuels
changements de comportements.
▪ Réalisés dans certains cas, mais nous en avons peu de retours.
7 – Leviers :
- Démarche Expérimentale:
▪ Alimente le débat sans faire référence à son vécu, à sa mémoire.
▪ Permet de prendre de la distance de se baser sur des « faits » observables en dehors de réelles
situations, mais en reproduisant les mêmes mécanismes.
- Intervenants extérieurs: « terrain neutre » permet de débloquer les langues de certains (la
présence des enseignants était rare)
- Partenariats: approches complémentaires, suivi des participants, prolongements.
Questions à la suite de l’intervention de Suzanne Emery, des "Petits Débrouillards" :
-
Intervention depuis la salle :
Avez-vous pensé à utiliser l’outil du théâtre forum* comme prolongement à vos interventions ? Est-ce que vous
connaissez cet outil, d’abord ?
-
Réponse de Suzanne Emery :
Oui, j’en ai entendu parler. On y a pensé plutôt porté par d’autres structures, par exemple le Centre Social du Pâtis
Saint Lazare y a pensé. Mais nous, ayant cette culture scientifique et technique, on n’a pas du tout ce réflexe d’aller
vers le théâtre forum.
-
Suite de l’intervention précédente :
Si vous étudiez les comportements, travail d’éthologie, vous pouvez très bien utiliser le théâtre forum pour en prendre
conscience et les corriger. En plus il a cette double vertu d’analyser et de mettre en pratique par le jeu pour faire
s’exprimer, exorciser, un certain nombre de tensions intimes tout en analysant sa pratique.
-
Suite Réponse de Suzanne Emery :
C’est ce que nous arrivons à faire. Il y a une liberté dans certaines situations, dans la créativité et dans l’imagination
aussi. Par exemple, on propose ce que l’on appelle « le salut Martien ». On imagine et on invente des manières
différentes de se dire bonjour. Déjà, on peut observer que l’on a différentes manières de se dire bonjour selon nos
cultures. C’est donc aux jeunes, à un moment donné, d’imaginer un geste qui signifierait le bonjour, mais en
l’accompagnant d’une origine, comme la poignée de main qui a comme intention de montrer "patte blanche" et signifie
que je viens de manière pacifique. On essaie alors d’imaginer une origine au geste que l’on invente et qui est
complètement farfelu. Mais ensuite, il faut aller présenter ce geste à un autre groupe et observer comment il est reçu
en notant les réactions qui peuvent être l’appréhension, le retrait, un accueil favorable « Ça a l’air gentil », etc. On
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observe aussi ce type de réactions dans le théâtre forum.
-
Intervention depuis la salle :
Avez-vous pensé à exporter votre outil hors des quartiers à forte concentration d’immigrés ? Parce que je me dis que
les personnes discriminées qui s’interrogent sur leur attitude discriminante dans le quotidien, c’est intéressant, mais il
serait intéressant aussi de voir, dans les quartiers où il n’y a pas une forte concentration d’étrangers, comment ils
pourraient travailler pour mieux accueillir les personnes extérieures.
-
Réponse de Suzanne Emery :
Nous sommes allés au Collège du Vieux Colombier par exemple, qui n’est pas situé dans un quartier dit sensible. On
trouvait intéressant, avec cet outil et cette démarche-là de mettre en évidence que l’on peut vivre l’altérité dans
n’importe quelle situation, sans stigmatiser certaines populations. Ce n’est pas l’étranger ou la personne issue de
l’immigration, c’est celui qui porte de manière ostensible des marques ou une culture qui ne sont pas les mêmes, dans
le même collège, que celles d’un élève du même âge et qui peut se sentir exclu. On fait ressortir ce genre
d’observations plutôt que par rapport à la culture d’origine. On fait ressortir des confrontations face à des différences
de cultures ou d’habitudes urbaines à l’intérieur même des quartiers.
Quand on a fait un atelier avec les femmes en cours d’alphabétisation, c’était plutôt un échange interculturel :
« Comment ça se passe chez vous ? », « Et nous, voilà comment ça se passe. », sur la compréhension mutuelle plutôt
que sur la compréhension des discriminations que l’on a l’habitude d’entendre dans les médias et qui stigmatise
encore plus les populations auxquelles vous faisiez référence.
-
Intervention de Bernard Bier :
Ma question se situe dans le prolongement de la précédente. Les semaines contre le racisme portées par les
associations, par les institutions, entre autres l’Education Nationale, ne recèlent-elles pas un danger potentiel ? Elles
postulent plus ou moins implicitement que ce sont les jeunes, ou telle ou telle population, qui risquent plus
spontanément de développer des comportements racistes, mais que l’institution, parce que républicaine, est « par
essence » à l’abri de la discrimination, à l’abri du racisme. On sait très bien à quel point l’Education Nationale par
exemple résiste à interroger ce qui se passe en son sein, dans le classement des élèves, dans l’orientation…, même si
ça commence à changer grâce à quelques travaux de recherche.
Se mettre ainsi en position de surplomb, poser le problème dans l’extériorité, n’est-ce pas s’exonérer a priori de toute
responsabilité ?
-
Réponse de Suzanne Emery :
Vous comprendrez bien que ce n’est pas notre intention, surtout qu’en s’appuyant sur la démarche expérimentale, on
n’est pas du tout maître du message qui va ressortir des mises en situation. Donc, on n’a pas du tout la prétention
d’apporter un message prédéfini.
Quant à l’évocation de l’Education Nationale, je ne me sens pas concernée parce qu’étant plutôt dans le milieu de
l’Education Populaire et de l’Animation Socioculturelle. Ce serait une remise en question de nos attitudes, de nos
postures par rapport aux participants, aux publics que l’on rencontre. Je pense que l’on se préserve déjà d’avoir une
attitude moralisatrice par la démarche expérimentale parce qu’on a une méthode, on provoque une mise en situation
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où on attend plus ou moins des comportements, des observations, mais la conclusion appartient au groupe.
-
Intervention depuis la salle :
Je me permets de rebondir sur la question des quartiers sensibles et de l’éducation dans ces quartiers. J’habite les
Sablons et je suis très heureux de l’expérience que vous avez menée. Je vais me permettre de vous poser une
question : est-ce que vous avez pensé inviter des parents de ces enfants et avoir en parallèle avec eux la même
démarche ?
-
Réponse de Suzanne Emery :
Cela me permet de parler à nouveau de la nécessité de la complémentarité de notre intervention avec les projets des
structures. Nous ne sommes pas porteurs des projets, nous n’accueillons pas de public. Nous proposons un outil.
Donc l’outil, il faut qu’il soit bien utilisé et pour ça, il serait peut-être bon que l’on incite davantage, mais ce n’est peutêtre pas à nous de le faire, les acteurs éducatifs qui portent les projets et qui ont la responsabilité des publics, de
s’interroger sur l’impact de ce type d’action sur les enfants et aussi sur leurs parents. Dans d’autres situations, d’autres
contextes, nous connaissons la nécessité d’associer les parents, notamment dans la pratique régulière d’activités
culturelles. L’idée c’est que les acteurs éducatifs, les écoles, les structures socioculturelles s’emparent de notre outil
mais aussi trouvent des prolongements et diversifient les publics, les participants, pour pouvoir jouer sur tous les
tableaux, sur toutes les approches.
* Le théâtre forum est une technique de théâtre mise au point dans les années 1960 par l'homme de théâtre brésilien Augusto Boal,
dans les favelas de São Paulo.
Le principe en est que les comédiens improvisent puis fixent une fable de 15 à 20 minutes sur des thèmes illustrant des situations
d'oppression ou des sujets problématiques de la réalité sociale, économique, sanitaire d'une communauté. Ils vont ensuite la jouer
sur les lieux de vie de la communauté à qui est destiné le message. À la fin de la scène, - dont la conclusion est en général
catastrophique - le meneur de jeu propose de rejouer le tout et convie les membres du public à intervenir à des moments clé où il
pense pouvoir dire ou faire quelque chose qui infléchirait le cours des événements.
Il s'agit d'une technique de théâtre participative qui vise à la conscientisation et à l'information des populations opprimées d'une
façon ou d'une autre. Le théâtre forum s'utilise ainsi beaucoup auprès des populations non alphabétisées dans les projets de
développement en pays du Sud (par exemple en Inde, au Rajasthan, au Bengale et au Maharashtra), mais est aussi en usage dans les
pays développés pour soulever des problèmes de société. (Source : WIKIPEDIA)
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« Mixité, relations Filles/Garçons»
Par Steven LEDRU
(Centre d'Entraînement aux Méthodes d'Education Active (CEMEA) des Pays de la Loire)
Effectivement, j'ai la double casquette : à la fois je suis professeur des écoles, j'étais PE2 il y a
deux ans, et militant dans une Association d'Education Populaire. C'est donc compatible.
Les CEMEA sont un organisme surtout connu pour faire des formations BAFA mais s'occupent
aussi de formations d'acteurs éducatifs tels que les animateurs, les accompagnateurs scolaires,
les centres sociaux. On peut considérer qu'il y a un intérêt à voir ce qui se passe dans ces
espaces de formation pour adultes. Dans d'autres régions que la nôtre, cette démarche a déjà été
mise en place dans des IUFM. Il faut savoir qu'un travail important a été entamé depuis plusieurs
années dans la région, au sein des CEMEA, par un groupe de personnes qui se sont réunies
pour créer ce qu'ils appellent le « Groupe Genre ». Ce groupe a réfléchi aux démarches qui
pouvaient permettre aux Educateurs, avec un grand E, donc aux animateurs, enseignants,
accompagnateurs, d'être sensibilisés à cette question. Parfois en effet on sensibilise l'enfant et on
oublie de sensibiliser l'enseignant, l'accompagnateur, le parent. D'où des formations où l'on va
travailler beaucoup sur les représentations avec comme objectif avant tout de sensibiliser le
groupe de ces personnes au fait qu'il existe une discrimination genrée qui est liée au sexe. Elle
existe, elle est présente avec une domination masculine. Dans le cadre de cette domination
masculine, il est possible d'en prendre conscience et d'essayer de lutter contre. Je dis bien
essayer.
Il faut savoir que la démarche que je veux présenter concerne en général des groupes d'une
dizaine à une quinzaine de personnes. C'est pour cette raison que je ne vous la ferai pas vivre
aujourd'hui. Vous voyez que dans l'acronyme CEMEA il y a « méthodes d'éducation active »,
mais vous êtes beaucoup trop nombreux ici et donc je vais juste pouvoir vous l'expliquer.
La première partie de la démarche concerne toujours les représentations préalables des
participants. On fait deux groupes et dans ces deux groupes, ils vont avoir une mission, ou plutôt
une consigne si je reprends les mots que j'ai appris à l'IUFM : dans le premier groupe, il va falloir
qu'ils écrivent tout ce qu'ils pensent sur ce qu'est un garçon pour eux. Pour l'autre groupe, vous le
devinez, c'est sur les filles.
Donc les gens proposent, ils font une sorte de "brain storm", Parfois les gens sont hésitants, ils
n'osent pas... La posture du formateur consiste à les relancer, à leur dire qu'il n'y a pas de
problème, qu'ils peuvent énoncer des préjugés, des clichés, ou ce qu'ils pensent, ce qui revient
parfois au même.
Au final, les gens posent différents éléments à l'écrit. Je vais vous en donner quelques exemples :
Souvent il y a des éléments qui vont être liés au comportement sexuel, et même à chaque fois
que je l'ai vécu ou fait vivre, il y avait la notion d'infidélité chez les hommes et la notion
d'"allumeuse" chez les femmes (je prends les termes qui sont utilisés en général), voire des
choses plus vulgaires.
Il y a aussi des éléments qui vont être liés à l'action et à la passivité : le rapport homme très actif
et femme plutôt passive, On y retrouvera la notion de sportif : l'homme est sportif, courageux,
rapide et fort. Et je ne sais pourquoi à chaque fois il y a le mot "foot" qui revient à chaque fois
pour "homme". Oui, "bière" est revenu dernièrement... mais pas toujours.
Des éléments pouvant être liés à la prise de parole vont être donnés. Il est dit que l'homme
cacherait ses émotions et que la femme serait une pipelette ou parlerait pour ne rien dire. Ce sont
des choses qui reviennent assez souvent. A chaque fois dans les groupes, il y a des gens qui
savent que c'est de la caricature et d'autres qui le pensent vraiment. Avec des lycéens en
formation, on s'aperçoit que pour beaucoup c'est une vérité.
En dernier il y a souvent des éléments à caractère sexuel. Ces éléments-là ne viennent pas
toujours. C'est là que l'enseignant, l'accompagnateur ou le formateur va avoir un rôle particulier,
celui de rappeler que nous avons des organes génitaux. Parce que souvent les gens sont gênés
par la norme sociale et oublient de dire qu'il y a un utérus, un pénis, ces différences de base qui
sont bien sexuées garçon ou fille. Tout le monde le sait mais les gens ne pensent pas toujours à
en parler.
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Suite à ce temps sur les représentations, on les affiche et on les lit tout simplement.
Et puis on inverse et on se dit : Et si l'affiche des garçons en fait c'était sur les filles ? Et si l'affiche
des filles concernait les garçons ?
On va regarder tous ensemble ce qui marche et ce qui ne marche pas.
Alors il y a régulièrement des débats. Le dernier débat que j'ai entendu c'était sur le "Tuning" (ce
sont les voitures bling-bling). Il faut savoir que le tuning n'est pas pratiqué a priori par les femmes,
de l'avis d'un groupe de quinze personnes de 17 ans (comprenant aussi des femmes). Sur quoi
s'appuie-t-on à ce moment-là ?
Les gens vont devoir distinguer trois choses :
Qu'est-ce qui est possible techniquement même si ce n'est pas socialement admis ?
Par exemple pour le tuning, il est techniquement possible pour les femmes de rentrer dans une
voiture et de mettre dedans des choses qui brillent. En revanche, visiblement pour ce groupe, ce
n'est pas encore socialement admis.
Il va y avoir aussi tout ce qui est caractère sexuel primaire.
En effet, il y a une distinction à faire entre caractères sexuels primaires et secondaires. Les
caractères sexuels primaires sont le pénis, l'utérus,...
Les gens vont fréquemment faire référence à la notion de poils, de muscles et de poitrine. Alors
en quoi sont-ils des caractères sexuels secondaires ? Vous avez pu observer dans votre vie des
hommes qui ont un peu de poitrine, des femmes qui ont très peu de poitrine, qu'il y a des
hommes qui n'ont pas un poil de barbe, des femmes qui ont un peu de barbe.
Il existe aussi des femmes très musclées et des hommes pas musclés, les caractères sexuels
secondaires ne vont donc pas être déterminants. C'est certes scientifique mais cela ne va pas
être déterminant. En revanche, le caractère sexuel primaire va montrer des différences plus
évidentes.
Le dernier élément se résume à poser la question : « Qu'est-ce qui ne vous va pas tout court ? »
Parfois il y a unanimité sur différents éléments, par exemple les gens sont d'accord sur le fait
qu'un homme peut très bien porter une jupe. J'ai pu observer certaines évolutions dans les
formations que j'ai faites sur les cinq dernières années, puisque aujourd’hui, visiblement, la jupe
peut être admise pour les hommes alors qu'il y a cinq ans, ce n'était pas du tout le cas.
Voilà comment on s'organise en général. Ensuite, il y a une réflexion commune : « Comment se
fait-il que l'on pense ça ou que beaucoup de gens pensent ça ? D'où ça vient ? » Plusieurs
éléments se trouvent à l'origine : la société, les media, la religion, la famille, les parents, l'école,
les éducateurs, etc. Et donc ça vient de la société dans son ensemble et en général à ce
moment-là on s'intéresse à quelque chose d'emblématique : le sport.
Des collègues ont mis en place ce type de réflexion avec des collégiens du Poitou sur la question
de l'engagement physique. La représentation consciente ou inconsciente qu'ont beaucoup
d'animateurs ou d'enseignants est que l'engagement physique de la femme est moins attendu
que celui de l'homme. C'est ce que ressentent aussi certains enfants et qu'ils expriment dans les
discussions, par exemple : « Je cours vite pour une fille. » ou : « Tu cours pas vite pour un
garçon! » Le : « Je cours pas vite pour un garçon. » est plus rare dans les entretiens que j'ai pu
avoir avec les enfants.
Par rapport au sport, une fois que les gens ont peu à peu déterminé "d'où ça vient", il y a deux
possibilités :
Avec les plus jeunes, on met en place la démarche théâtre forum.
Avec les plus vieux, on met en place des cas pratiques. Ce sont des situations où les gens vont
réfléchir, discuter et nous allons les accompagner puisque le début de la démarche c'est que les
gens admettent qu'il y a une construction sociale de la discrimination entre les hommes et les
femmes.
La notion de domination masculine va dépendre d'où en sont les gens, qui peuvent parfois
amener d'eux-mêmes cette question.
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Des exemples de cas pratiques :
Des jeunes enfants constituent des équipes mixtes pour jouer au foot. Les garçons ne se font des
passes qu'entre eux. Que fait-on ?
Les enfants se mettent par groupes de trois et ils discutent, on discute. Toujours en tenant
compte de l'endroit où les gens en sont, on remarque souvent le réflexe qui consiste à être
moralisateur, à intervenir ou à être dans la censure (un exemple de censure en ce qui concerne
la littérature jeunesse : ne plus faire lire les Disney en est une forme), alors qu'il y a des
personnes qui vont proposer d'autres moyens de répondre au problème posé. Parfois ils vont dire
que l'on peut "jouer mixte" ou d'autres proposent que l'on pourrait "faire un affrontement garçons /
filles". Ils vont reposer cette notion de garçon / filles mais au moins ils vont se poser la question :
« Est-ce que je dois faire quelque chose et qu'est-ce que je peux faire ? » A priori, sur du long
terme, puisque la démarche n'est pas suffisante, les gens continuent d'évoluer après avoir vécu
cette démarche et le questionnement qui arrive dans ce cas pratique va les amener - je l'espère
parce que je suis militant - à prendre conscience du problème et à réagir quand ils entendent des
enfants parler comme ça.
Il ne faut pas hésiter à réagir quand on entend ces propos, même peut-être dès la Petite section
de maternelle.
Une autre situation : les enfants se moquent d'un garçon au basket et disent "qu'il joue comme
une fille." Expression très courante dans les cours de récréation ce : "Tu joues comme une fille !"
Qu'en fait-on ? Que dit-on ? Doit-on réagir ? De même, c'est un questionnement qui émerge. Au
bout de deux heures à deux heures trente, ça va toujours dépendre des groupes, cette démarche
est menée à terme.
Ensuite on met parfois en place, pas toujours, des prolongements qui vont être liés à des ateliers
d'écriture. Parce qu'écrire va permettre aux gens de se réapproprier et d'argumenter. Dans la
démarche d'atelier d'écriture, les gens vont poser cinq idées, par exemple sur la question du
genre, cinq idées qu'ils trouvent discriminantes présentes dans la société.
J'ai vécu cette situation avec un groupe de quatre personnes, on pose cinq idées et à quatre
chacun essaie d'écrire une histoire ou quelque chose avec, et ensuite on se réunit pour se les
dire.
Voilà pour ce qui concerne la démarche. Pour donner une idée de ce que ça peut donner, voici un
exemple de texte que je vais vous dire, ce qui est la finalité de cette démarche autour du genre.
Ce texte s'appelle : "La petite princesse qui a déconstruit la norme sociale" :
« Je vais vous narrer un conte de fée avec quelques préjugés
en général conte de fée qu'on entend après la puberté
une histoire d'amour entre une princesse endimanchée
et un crapaud ensorcelé comme toujours... » (ici n'est repris que le début du texte)
C'est un texte travaillé au départ à quatre personnes, nous sommes partis sur les cinq idées
données et vous pouvez voir quels objets de discrimination nous avons choisi ainsi que la
représentation de la petite fille qui cherche désespérément son "Prince charmant" toute sa vie.
C'est donc là-dessus que nous sommes partis et nous avons pris beaucoup de plaisir à écrire ce
texte. Le fait d'écrire et de dire ce texte fait du bien et permet de mieux ressentir les choses.
Comme j'ai du public, je vais dire un deuxième texte sur la question des discriminations prises
dans leur ensemble, avec un texte sur la question des noirs, des blancs et de la diversité.
Il s'appelle : "Les blancs musulmans existent"
Et oui, sachez-le, les blancs musulmans existent. Il arrive que des gens qui sont enseignants ou
animateurs disent à des enfants : "Mais non, il ne mange pas de porc : il est noir !" Je l'ai
entendu, je l'ai vécu, parce que j'ai été élève aussi.
Actes du Forum "Laïcité - Diversité" - « Reconnaissance de l’autre : pour une nouvelle pédagogie de la citoyenneté ? »
Du 2 décembre 2009 au Mans - organisé par le Collectif d'Education à la Citoyenneté et à la Diversité 72
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Il était une fois un garçon d'une vingtaine d'années
anticlérical, invétéré bouffeur de rillettes de porc
qu'il me fait de la peine ce damné
les gens le respectent trop d'esprit et de corps
comment marquent-ils leur déférence envers cet humain ?
En remarquant sa différence et j'ai quelques exemples sous la main.
A huit ans il essuyait déjà les remarques piquantes
d'une maîtresse qui se voulait avant tout réconfortante
Tu devrais faire du basket car tu es grand, tu réussirais je m'en porte garante.
Le petit obéissant lui dit : T'inquiètes, tu penses que c'est intelligent,
alors je ferai du basket presque tout le temps.
C'est son côté contentant.
A douze ans grand dadais joue à la balle dans le quartier.
Un enfant du même acabit, quelque peu plus perspicace
lui donna à réfléchir sur la notion de race :
Tu sais, peu importe qui gagne qui perd,
ce qui compte c'est d'avoir l'air vénère
et limite parler une langue étrangère
avec ton teint basané débonnaire
tu peux vaincre tous tes adversaires.
Notre jeune gars tout surpris acquiesça et sourit.
Ce concept crasseux lui plaît, l'excite
Putain ! La plaie c'est son côté raciste.
A quinze ans le grand dadais
apprend encore de ses contemporains.
En effet dans ses cours ses voisins l'interrogent
et les vers du nez lui tirent
pour une information capitale, primordiale
car elle suscite l'intérêt :
Quelle est ton origine ?
C'est vrai que vous avez tous de grosses pines ?
Dans leurs bouches sans cesse ces mots revenaient.
Mais le malin la jouait fine,
il simulait d'être flatté,
remerciant ces humains de leur saine curiosité :
il ne faut pas confondre les gens racistes et les gens bêtas.
Il faut bien leur répondre
il est presque tout seul.
C'est son côté quota.
De même à la cantine, où interdit de boudin
il se satisfait d'œufs, de tartines et de pain.
Et on lui disait : C'est pour ton bien !
Ce On anonyme désigne les dames de cantine.
Eh oui, il était marqué à la Ville du Mans !
Il n'y est pour rien, il leur ressemble,
c'est son côté musulman.
Hé, tu viens d'où ?
Moi je viens du Mans
et puis c'est tout.
Je suis allé un peu partout :
pareil du Nord au Sud
les gars et les filles pleins de bonne foi
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vont montrer que je les intéresse
donc que parfois quand il y a du Zouk ou du R&B
on me dit c'est sûr : C'est pour toi !
Notez que j'en ai rien à faire de cette vie
qui est d'être si souvent le black de service.
J'y peux rien.
Comme dans ma petite histoire
le personnage en fait c'est moi, mais noir.
Les blancs entre eux ne se demandent
que rarement leur pedigree.
Les blacks le font certes à différents degrés.
Perso je m'interdis d'aborder ce sujet
- n’y voyez ni déni ni rejet mais bien une conscience politique
qui oblige à s'interroger sur les clichés
faire la rupture épistémologique.
J'en fais la preuve
un exemple alarmant
je ne parle qu'une langue de l'étranger
ich spreche nur eine sprache... : l'allemand
Mais tout le monde s'en fout !
C'est bien plus simple
de dire que je viens du Sénégal,
que je me trimballe pour les études
quasiment en sandales
que je m'exhibe le cul à l'air
que j'ai quatre femmes, trente enfants,
que j'ai noué des contacts
que je parle plein de dialectes
que je me lève tard
que je suis en retard
que je touche des allocs
que je suis un veinard
que je bouffe des ignames et des colombo
que j'ai des tendances alcoolo
que je suis un grand frère
un anim' de quartier
ou bien un sportif
que je fais du slam, du rap
que je porte des nattes
que je mange pas de porc
ou bien peut-être
vous vous demandez si je le respecte...
Infect !
J'ai déjà entendu tout ceci
et je pourrais continuer longtemps ainsi
mais avant votre overdose
j'arrêterai là ma prose
je vous en remercie
c'est le côté fini.
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Questions à la suite de l’intervention de Steven Ledru, des CEMEA
-
Intervention depuis la salle :
J’aurais aimé que Monsieur Ledru aborde dans ses propos brillants les choses concrètes qui sont mises en place par
l’USEP dans les écoles depuis de nombreuses années. Dans toutes les actions que nous menons, que ce soit football,
handball, rugby, tout ce qui est sport collectif, il s’agit de rappeler nos a priori indispensables que sont la mixité, la
citoyenneté, l’égalité filles/garçons, les fonctions d’arbitre… Je pense quand même qu’il faut que ce soit dit parce qu’il
n’y a pas rien qui se fait.
-
Réponse de Steven Ledru :
Et bien c’est fait.
-
Intervention de Bernard Bier :
Avez-vous travaillé sur la question des discriminations à l’égard des homosexuels, hommes ou femmes ?
-
Réponse de Steven Ledru :
Oui, ce travail a été mis en place avec le Planning Familial, surtout dans les collèges. Avec le Planning Familial, nous
avons été amenés à faire des démarches autour du thème de la sexualité, puisque la question du genre est liée
directement aux questions de la sexualité et du sexisme. C’est un choix que nous avons fait au sein de l’association
des CEMEA. Au moment des formations, nous mettons en place un temps de réflexion spécifique sur ce sujet car le
politiquement correct fait que les gens disent rarement "Je suis raciste.", alors que quand ils disent "Je suis un peu
macho.", ça fait sourire beaucoup de gens. C’est donc pour cela que l’on a choisi cet objet-là. Dans les milieux de la
formation et de l’éducation, les gens ne se permettent pas de tenir des propos homophobes alors que sur le genre, il
suffit d’attendre deux jours et il y aura au moins une remarque sexiste pour mettre en place ce temps de réflexion.
-
Intervention depuis la salle :
Je remarque dans les médias beaucoup de discriminations puisque tous les matchs d’équipes féminines, de handball
par exemple, même si les gens sont en demi-finale, on ne les voit pas à la télévision. Je crois qu’il y a un rôle écrasant
des media qui donnent une image hommes/femmes dans le sport qui est tout à fait négative.
-
Réponse de Steven Ledru :
C’est certain. Je pense aussi à la publicité, pour compléter les media. En ce moment, c’est la période parfaite :
regardez les catalogues de Noël. Pour ceux qui sont encore sceptiques sur le fait qu’il y ait une discrimination très forte
et construite en France, il suffit de prendre un petit catalogue de jouets de Noël et on a la totale.
J’ai même toujours vu, parce que maintenant il y a un "quota", quelqu’un qui aura la peau un peu plus foncée. J’ai
trouvé ça très sympathique qu’il y ait des garçons, des filles et "le quota" qui est sur "jeux de construction". Cela a un
côté très caricatural : le portugais, le roumain, le "black" qui font la construction et les autres qui font de l’ordinateur et
qui portent des petites lunettes. En ce moment, n’hésitez pas, discutez avec les enfants à partir des catalogues. Ce
sont des amorces de questionnement.
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-
Intervention de Gilles Piron :
Ce n’est pas une question pour Steven, je partage avec lui plusieurs choses, en particulier d’avoir la double casquette
puisque je suis aussi professeur des écoles et détaché du Ministère de l’Education Nationale (pour la Fédération des
Francas – les Francas, ce n’est pas un sigle). Une remarque un peu générale qui va s’adresser aux trois intervenants,
une impression que j’ai et pour laquelle je milite depuis une trentaine d’années, je pense que l’éducation c’est un peu
tout ce qui a été présenté ce matin : c’est à la fois les livres et les limites identifiées ; c’est aussi une volonté farouche
que l’on peut avoir les uns et les autres d’accompagner les enfants d’aujourd’hui, tous les jeunes dans ce qu’ils seront
demain. Ils seront comme nous demain et comme nos petits enfants. C’est-à-dire faire cette continuité, transmettre ce
patrimoine génération en génération. Moi j’y suis en particulier très attaché. C’est la première remarque, mais de mon
point de vue ce ne serait pas suffisant s’il n’y avait pas la volonté de transformation sociale. C’est-à-dire qu’on
accompagne effectivement les enfants mais on essaie d’œuvrer, et là ça va être un clin d’œil en direction des
responsables, des pouvoirs publics, et on a aussi la volonté de faire changer le monde, de faire bouger les lignes, les
valeurs, les curseurs et de faire en sorte que l’on tente à notre mesure d’améliorer cette société. Nous essayons de
construire des choses qui nous permettent de rendre notre société la plus appréhendable possible par les générations
futures. C’est juste l’impression que ça me laissait.
La deuxième des choses que je voulais dire, c’est qu’en termes de reconnaissance, je pense qu’il faut dépasser
maintenant ce qui est du ressort de l’école, de la famille et de l’éducation non formelle, comme on dit chez nous en
Education Populaire. On a les mêmes enfants avec nous, à longueur de temps, on œuvre dans la même continuité, les
aspects de complémentarité, de continuité éducative, me semblent donc extrêmement importants. Il y a donc là aussi
un appel en direction de l’Etat, des services déconcentrés de l’Etat, parce qu’à un moment donné ça passe aussi par
une reconnaissance pas seulement "bon enfant" des mouvements de l’Education Populaire ou de l’Ecole, etc., mais
sur l’existence et le maintien du lien social mis en place au quotidien dans nos actions.
Juste quelques secondes pour vous dire que dans le hall d’entrée vous avez une exposition proposée aujourd’hui par
les Francas de la Sarthe qui présente les affiches du concours autour des Droits de l’Enfant. Cette année 2009 était le
20ème anniversaire de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, les Droits de l’Enfant étant liés aux questions
de diversité et de laïcité, ce sera peut-être l’occasion d’un certain nombre de partenariats et de présentations plus
précises lors du 31 mars 2010.
-
Réponse d’Edwige Chirouter :
Pour prolonger, je suis absolument d’accord avec ce que vous dites et c’est pour ça que je parlais tout à l’heure de
mission politique. Pour moi enseigner c’est politique. En tant qu’enseignante et en tant que chercheur, j’assume le côté
militant, au sens le plus noble du terme. Je pense que c’est important dans la formation des enseignants, puisqu’on est
là en pleine réforme, que soient conservés cet aspect de militantisme politique et les valeurs qui sont portées par le
corps enseignant. J’espère que l’on arrivera à conserver cet esprit.
- Yves Cottereau : D’où le grand intérêt du collectif d’éducation pour la citoyenneté qui est vraiment un rassemblement
militant.
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-
Intervention depuis la salle :
Je suis constamment interpelée personnellement, moi le mot racisme c’est quelque chose que je réfute, que j’ai du mal
à intégrer parce que dans "racisme" il y a déjà une grande discrimination. J’estime que nous appartenons tous au
genre humain. Là, notre ami Monsieur Ledru avait parlé des genres masculin et féminin autour de la diversité, voire de
la mixité dans le sport. Moi je vous parlerai de la mixité tout court dans tous les domaines. Est-ce qu’il ne serait pas
pertinent d’abattre déjà ce laïus autour du mot "racisme". Parler de la discrimination, oui, par rapport à une personne,
un groupe de personnes, autour de questions diverses. Mais moi ça me gênera toujours ce terme "racisme" tant qu’on
parlera d’êtres humains et de l’humanisme.
-
Réponse de Steven Ledru :
Je suis d’accord avec vous comme je le disais tout à l’heure, les formations sont pensées en fonction de l’endroit où
en sont rendus les gens. Si vous en êtes rendue au point de remettre en question le mot et si vous étiez en formation,
les choses seraient adaptées pour répondre à l’endroit où vous êtes. Mais souvent les gens ont besoin d’avoir des
termes communs et comme d’un point de vue à la fois médiatique et humain les mots sont racisme, sexisme, etc., ce
sont ces mots que l’on va utiliser pour faire prendre conscience de quelque chose puis le déconstruire. Sinon on
brûlerait une étape avec certaines personnes.
- Intervention d’un étudiant de l’IUFM en lutte, concernant la réforme de la formation des enseignants.
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« Le citoyen et la souveraineté du peuple.
Les évolutions depuis la Révolution française»
Par Charles CONTE
(Chargé de mission « Etudes et recherches Laïcité-Egalité-Diversité »à la Ligue de l'Enseignement, Membre
du comité de rédaction de la revue « Diasporiques, Cultures en mouvement »)
L’avènement du citoyen et l’affirmation de la souveraineté du peuple sont deux événements
indissolublement liés. Ce sont les deux principales conséquences politiques de la laïcisation du
principe de souveraineté. Le peuple souverain ! Il est difficile aujourd’hui d’imaginer la révolution
culturelle ainsi opérée. La monarchie sanctifiée par le corps clérical sous l’Ancien régime, la
fameuse alliance du trône et de l’autel, est contestée dans son fondement même. Le 26 août
1789, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen trouve son fondement dans son article
III : "Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation, nul corps, nul
individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément". Nul corps (fut-ce le clergé), nul
individu (fut-ce le roi) n’exerce le pouvoir. La légitimité du pouvoir appartient désormais au peuple,
défini comme l’ensemble des citoyens, qui exprime la volonté générale. Cette laïcisation fut
fondamentale, irréversible.
Cette affirmation politique de première grandeur s’est accompagné d’une unification culturelle et
d’une disparition des corps intermédiaires (en particulier des corporations). La Fête de la
Fédération, le 14 juillet 1790, en est la manifestation la plus spectaculaire et la plus chargée de
symboles. Il faudra attendre la fin du XIXème siècle pour reconnaître la légitimité de nouveaux
corps intermédiaires (syndicats, partis, associations…). Et la deuxième moitié du XXème siècle
pour reconnaître la légitimité de la diversité culturelle (selon les origines nationales, ethniques, de
genre…) dans un cadre collectif commun : la République. Ce processus de reconnaissance est
toujours en cours. Les dix prochaines années qui viennent seront décisives dans ce processus.
Le peuple souverain et le citoyen sont donc nés comme concept politique avec la Révolution
française. Le peuple est constitué de l’ensemble des citoyens, libres et égaux, si possible
fraternels. Plusieurs termes sont employés concurremment : peuple, patrie, nation… Cette
profusion contribuera à la dérive ultérieure vers le nationalisme, exclusif et agressif. L’idée et la
pratique de départ sont pourtant fondamentalement progressistes.
La brochure intitulée « Qu'est-ce que le Tiers Etat ? » d'Emmanuel Sieyès, publiée en janvier
1789, est la meilleure expression des idées nouvelles en matière politique, en particulier de celle
de "nation". Parmi des milliers de brochures, fruits du puissant courant idéologique issu des
philosophes des Lumières, celle de Sieyès frappe par son audace, son intelligence de la situation
et son style incisif. On connaît le plan de la première partie : Qu'est-ce que le Tiers Etat ? Tout.
Qu'a-t-il été jusqu'à présent dans l'ordre politique ? Rien. Que demande-t-il ? A être quelque
chose. Sieyès démontre avec force que le Tiers est "Tout", c'est-à-dire "une nation complète"
assumant totalement les travaux et les fonctions soutenant la société. "Le Tiers embrasse donc
tout ce qui appartient à la nation, et tout ce qui n'est pas le Tiers ne peut pas se regarder comme
étant de la nation". Sieyès dénonce le "crime social" qu'est l'exclusion politique du Tiers (qui n'est
"Rien" à ce titre) par la caste des nobles, "charge pour la nation, étrangère à la nation par sa
fainéantise".
Le "parti national" ou "parti patriote" n'est pas une organisation unique, mais l'ensemble des
sociétés de pensée, des clubs, des loges maçonniques qui remettent de plus en plus en cause
l'ensemble du système politico-social. L’année 1789 est l’année décisive. Le 17 juin les
représentants du Tiers aux Etats généraux se proclament Assemblée nationale. Le 23 juin, dans
la salle du jeu de paume, Jean-Sylvain Bailly affirme: "La nation assemblée ne peut recevoir
d'ordre". Camille Desmoulins en tire les conclusions le 17 juillet "La volonté d'une nation est la
loi". Et le 26 août, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen résume tout dans son article
III. "Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation, nul corps, nul
individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément".
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C’est sur ce patriotisme républicain que le fondateur de la Ligue de l’enseignement, Jean Macé,
et Henri Martin, un de ses principaux continuateurs fondèrent leur action, de 1866 à la guerre de
1914-1918. « Pour la patrie, par le livre et par l’épée ». Telle fut la devise de la Ligue de
l’enseignement, reproduite sur une médaille et sur toutes ses publications. Sous la III°
République, la nation était identifiée au progrès et à la liberté. Cette conception de l’identité
française fit école dans toute l’Europe, assumée avec bien des discussions par le mouvement
socialiste naissant.
Pourtant, de façon presque parallèle, une autre conception apparaît. Dans son ouvrage « Le
nationalisme contre les nations », le sociologue Henri Lefebvre l’a décrite : "Les forces
réactionnaires s'emparent du sentiment national et du principe des nationalités." Peu à peu au
cours du siècle, la nation devient un simple slogan, d'autant plus facilement utilisé par les causes
les plus différentes que ce sentiment se révèle plastique et cependant toujours vivace malgré les
déceptions et l'enchevêtrement des rapports et des utilisations contradictoires".
Elle va à l’encontre de la conception républicaine reprise par une partie du mouvement socialiste.
En 1915, dans « L’armée nouvelle », Jean Jaurès résumera cette conception en deux phrases
frappantes : « Un peu d'internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d'internationalisme y
ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l'Internationale ; beaucoup de patriotisme y ramène ».
Henri Lefebvre souligne qu’on a mélangé « le patriotisme (tradition de gauche) et le nationalisme
(idéologie de droite)… La confusion profita et profite encore à la droite. Le nationalisme porte à
l’absolu ce que le patriotisme prend relativement : valeurs, culture, traditions. Le premier est
exclusif et le second respectueux des appartenances. Le nationalisme oppose le peuple aux
autres peuples. Le patriotisme leur tend la main. Le patriotisme naît de l’attachement productif et
novateur à l’histoire, à la langue, au terroir… Le nationalisme est une idéologie, se donnant pour
telle et empruntant ses meilleurs éléments au patriotisme en le dénaturant, au sens le plus fort de
ce terme ».
Nous nous retrouvons aujourd’hui devant ces questions dont l’acuité et l’urgence n’échappent à
personne. La transmission de l’idéal républicain, de l’avènement du citoyen et du peuple
souverain se fait mal. Une partie notable de nos enfants ne reçoit plus cet enseignement qui est
l’enseignement de leur propre liberté. L’identité nationale tend à ne plus être vécue comme une
forme de liberté mais comme une forme d’exclusion. En ce sens, notre journée débat d’un thème
décisif. Je suis fort heureux d’y participer…
Questions à la suite de l’intervention de Charles Conte
-
Intervention de Bernard Bier :
Je suis d’accord avec ce qui a été dit par Charles Conte. J’ajouterai seulement une question qui me semble
fondamentale, car deux lectures sont possibles, "Est-ce que la République qui se voulait émancipatrice n’est pas allée
jusqu’au bout de ses promesses, quand elle a refusé l’égalité de droits aux femmes, aux colonisés, en colonisant ?" Ou
bien : "Est-ce qu’elle est porteuse en son fond même de contradictions, à la fois émancipatrice et excluante ?". Ce qui
serait plutôt mon opinion.
Je m’explique en trois points :
Le premier : un des traits de la République en France - je ne parle pas de la République américaine – est qu’elle se
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pense et se veut une et indivise : il ne doit y avoir aucun intermédiaire entre l’Etat, incarnant l’intérêt général, et le
citoyen. La Révolution française a mis à l’écart les corps intermédiaires via la Loi le Chapelier en 1791 entre autres, et
il a fallu plus d’un siècle pour que les associations aient un total droit de cité. C’est une spécificité de l’histoire de la
société française, qui explique peut-être aujourd’hui notre difficulté à prendre en compte les diversités de toutes sortes
sur le territoire national.
Le deuxième point : la République naissante s’est voulue émancipatrice, elle s’est appuyée sur les "lumières de la
raison". On peut s’interroger aussi sur la manière dont on a mis de côté les femmes et les domestiques (ceux qui
travaillaient et étaient dépendants), et les "nègres" (pour reprendre les termes de l’époque), parce que (comme les
femmes) ils accédaient difficilement aux "lumières de la raison". Et je rappellerai que Jules Ferry, le père de l’Ecole
Républicaine, a aussi été Ministre des Colonies et qu’il s’agissait d’apporter la civilisation à ceux qui n’en avaient pas,
le paysan de Lozère comme l’autochtone de nos colonies d’Afrique du nord. Ce n’est pas pour dire que la République
n’est pas émancipatrice, mais l’on doit interroger une certaine conception du politique qui serait portée par ceux-là
seuls qui ont la compétence (ou prétendent l’avoir), se font un devoir d’émanciper les autres, et savent comment les
émanciper. Le débat est actuel, ô combien ! On est dans une société aux savoirs multiples, et l’absence de diplômes,
la non maîtrise de la langue française (qui s’accompagne souvent de la maîtrise d’autres langues : je pense aux
migrants) ne signifient pas une infériorité cognitive… et politique. Les raccourcis sont fréquents à ce sujet.
Pour moi le lien entre pouvoir politique et maîtrise de la raison (sans pour cela tomber dans le culte des affects sur
lequel les populismes se fondent) est à la fois émancipateur et excluant. Mais il est aussi vrai qu’un certain nombre de
peuples colonisés se sont émancipés à cause des valeurs républicaines du colonialiste. La ruse du dominé en quelque
sorte !
Le troisième point important, et les intervenants avant toi ont eu raison d’insister : la forme républicaine est un construit
social, historique, évolutif, mais certaines personnes qui se recommandent de la République développent un
"intégrisme républicain" (je reprends les mots de Jean Baubérot), c'est-à-dire qu’ils essentialisent la République
comme une forme quasi immuable au lieu de voir que c’est une construction d’un siècle et demi à deux siècles et
qu’elle a encore à évoluer, à se construire. Aujourd’hui il y a un vrai débat dans la société française, non pas entre les
antirépublicains, ils sont assez minoritaires, et les républicains, mais entre différentes conceptions de la république. Il
me semble que là, et je ne vais pas lancer aussi le débat sur les différentes conceptions de la laïcité, on voit qu’il y a
un vrai problème qu’il ne faut pas évacuer. Ce n’est pas contradictoire avec ce que tu as dit, c’est un bémol.
-
Réponse de Charles Conte :
Ce n’est effectivement pas contradictoire. Je ne peux qu’y souscrire.
-
Intervention depuis la salle :
Vous avez dit que les enfants ne vivaient qu’au présent. Quel "remède" peut-on leur apporter pour justement "tout
récupérer" ?
-
Réponse de Charles Conte :
Chaque enfant vit de plus en plus dans le présent. Les remèdes essentiels sont bien sûr ceux qu’apportent les
enseignants, les parents, les animateurs et les éducateurs. C’est la transmission d’un patrimoine, qui est un patrimoine
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philosophique, politique, culturel extrêmement diversifié. Il y a un patrimoine qui est commun aux républicains et puis
après, il y a des patrimoines familiaux, culturels, voire d’origine.
Par exemple moi je suis ariégeois, il a fallu que je reconstitue l’histoire de ma famille pour savoir comment vivaient mes
ancêtres il y a trois générations. Pourquoi n’est-ce pas transmis ? Qu’est-ce qui l’empêche ? Rien, au contraire : c’est
une histoire parmi d’autres. On a vécu l’exode rural, des gens de ma famille ont été envoyés en Amérique et en Afrique
du Sud. Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus là-bas. Mais voilà, cela fait partie de mon histoire, que je transmets à
mes filles.
Donc les questions de mémoire et d’histoire sont devenues essentielles mais elles ne sont pas par principe en
antagonisme. Les mémoires cohabitent forcément et il y a un patrimoine commun. La transmission est vraiment
décisive aujourd’hui. Il y a un proverbe africain qui dit : « Si tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens ». Je dirais
que dans ce domaine-là, les ennemis principaux sont les médias. Je ne suis pas contre le fait de regarder les séries
télévisées, mais on peut choisir… L’éducation c’est déterminant aujourd’hui.
-
Intervention depuis la salle :
Je suis Educateur de Prévention et accessoirement je suis bénévole, président d’un collectif qui lutte contre les
discriminations sur Le Havre. J’avais trois questions à poser. Avant, je tiens à préciser que je suis né au Sénégal, et
que ça fait dix ans que je suis ici. J’habite ici maintenant et je me sens français. Quand j’interviens dans les collèges et
les lycées et que je suis en face d’élèves, ils me disent souvent : « Je ne me sens pas français, Mamadou. » Cette
question revient très souvent et je n’ai pas de réponse. J’aimerais bien qu’elle soit posée au niveau de la formation.
Et là j’en arrive à ma deuxième question : Qu’allons-nous faire au niveau de la formation des éducateurs pour essayer
de faire comprendre à ces jeunes qu’ils sont français, même s’ils ont une couleur et un nom qui ne "sonne pas
français" ?
Vous avez parlé des libertés et ma troisième question est la suivante : Que fait-on du droit de vote des étrangers, des
personnes appelées anciennement les "nègres", les "ritals" et j’en passe qui œuvrent encore actuellement pour la
France ? Vous avez rappelé l’histoire, mais il y a aussi l’histoire des guerres 1914-1918 et 1939–1945, auxquelles des
personnes ont participé. Après la guerre, des personnes sont venues des Colonies pour reconstruire la France. Je ne
sais pas pourquoi ces personnes-là n’ont pas le droit de vote, alors qu’elles vivent actuellement dans des foyers, des
endroits pourris, et sont à la retraite. Elles ne peuvent pas rentrer dans leurs pays, le Front National le répète
assez :"Pourquoi ces personnes- là même à la retraite ne rentrent pas chez elles ?", parce que souvent ce sont des
histoires de papiers, parce que dès qu’ils retourneront dans leur pays d’origine, ils ne pourront plus revenir. Moi, mes
parents m’ont transmis le droit de vote quand j’étais au Sénégal, parce que j’allais avec eux. Ici, ces jeunes-là ne
verront jamais leurs parents les inviter un dimanche, comme certains d’entre vous, à aller voter. C’est pour ça qu’ils
n’auront jamais le réflexe d’aller voter. Ils préfèrent aller jouer au foot et comme on le voit dans l’’équipe nationale de
France, il y a beaucoup de noirs qui jouent, comme dans un autre discours du Front National. Allons-nous rendre ces
personnes-là "appartenantes" à la France, ce pays qui est déjà formé de cette diversité.
-
Réponse de Charles Conte :
Le ressenti d’appartenance est évidemment subjectif. Il est aussi légitime. L’identité de chaque personne est multiple :
on est un homme, une femme, on peut changer de genre éventuellement, etc. On a aussi une nationalité, une
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citoyenneté. Il peut y avoir une distinction entre les deux, les anthropologues la font bien aujourd’hui et je pense qu’il
faudrait la reprendre, une distinction entre nationalité et citoyenneté. Je ne vais pas la faire pour mon cas personnel : je
suis ariégeois et français, et je n’ai jamais perçu de contradiction là-dedans, c’est un sous-ensemble en quelque sorte.
Mais je comprends très bien qu’une personne dont les parents sont originaires du Sénégal puisse avoir une part de
son identité ou sa nationalité d’origine en tout cas, ou une partie de ses origines qui continue à faire sens pour lui et qui
l’aide à redéfinir son identité. Par contre, il faut absolument, et ça c’est le rôle décisif des formateurs, il faut absolument
qu’il intègre qu’en tant que citoyen français il dispose exactement des mêmes droits et devoirs que tout citoyen
français. Il ne peut pas y avoir de citoyenneté à deux vitesses, la citoyenneté est pleine et entière, quelle que soit
l’origine et ça il faut le faire rentrer dans le crâne. Et il ne faut pas dire en quelque sorte : « Reniez votre famille, votre
histoire, ou votre mémoire. » Ce sont deux choses de deux ordres différents. L’histoire culturelle personnelle, familiale
voire nationale, fait partie de la définition de l’identité de chaque être humain. C’est un même drame pour les gens qui
ne connaissent pas leur histoire familiale, on en parle de plus en plus aujourd’hui. Par contre, du point de vue des
droits politiques, il faut être absolument intransigeant. Il faut reconnaître cette distinction entre nationalité et
citoyenneté.
Il faut insister sur un deuxième point pour le rôle des formateurs, il faut qu’ils soient formés pour apprendre aux enfants
qu’ils sont citoyens à part entière, quelle que soit leur histoire personnelle, ça c’est clair. Après, comment faut-il faire ?
Ça c’est votre boulot, bon courage, mais il faut absolument le faire. On ne transige pas là-dessus.
Pour ce qui est de la question du droit de vote, c’est réglé pour les "ritals", comme vous avez dit, puisque les membres
de l’Union Européenne ont le droit de vote aux élections locales, sous certaines conditions administratives. Il y a à peu
près trois millions six cent mille étrangers en France. Cela n’a rien de déshonorant d’être étranger comme je vous le
disais tout à l’heure. Chaque fois qu’un français franchit la frontière, il devient étranger quel que soit le pays où il est. Il
y a deux millions de français expatriés. Ce sont des étrangers à l’endroit où ils vivent. Donc être étranger ce n’est pas
dévalorisant en soi. Et on peut très bien imaginer que des étrangers installés dans une commune, dans un pays,
depuis un certain temps, qui paient des impôts et travaillent, puissent bénéficier du droit de vote aux élections locales.
Et, bien sûr acquérir la citoyenneté française s’ils le désirent. Un regard sur la gestion de la commune dans laquelle ils
vivent en particulier me semble donc tout à fait légitime. Cela se fait déjà au niveau des élections professionnelles et
on ne s’en porte pas plus mal. La Ligue de l’Enseignement a pris position là-dessus : nous sommes favorables au droit
de vote des étrangers aux élections locales. Ce n’est pas contradictoire avec le droit de vote dans le pays d’origine,
bien entendu.
-
Intervention d’Yves Cottereau :
La Ligue des Droits de l’Homme a organisé des campagnes pour le droit de vote des étrangers aux élections locales
car nous considérons que les étrangers qui vivent en France, qui paient leurs impôts, ont une forme de citoyenneté
locale.
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-
Intervention depuis la salle :
Merci pour cet exposé, c’était important. Je voudrais rappeler que Valmy, cet acte fondateur de notre République, il faut
savoir que nous l’avions acheté avec nos dernières devises parce qu’il était important à l’époque de fonder la
République sur un acte qui était cette fameuse bataille de Valmy.
Je voudrais revenir sur un autre point, parce que je crois que tu es bien placé pour en parler, c’est à cette époque
qu’est né et qu’on a parlé de plus en plus du bonheur des hommes et du bonheur des êtres. Ce mot bonheur, je veux
qu’on en parle aujourd’hui parce qu’au nom de beaucoup de choses on oublie la notion de bonheur. On est dans le
politique à fond, c’est bien, mais il y a aussi la réalité humaine, la réalité de l’homme et de la femme, la réalité du
bonheur.
Je vais ouvrir une parenthèse toute simple pour parler des ghettoïsations. Moi je comprends parfaitement ce
phénomène aujourd’hui. Si je suis avec ma famille et que je trouve du travail en France, je peux faire venir plus tard
mes cousins et ainsi de suite. Je peux vivre mon bonheur, je vis avec ma famille, je vis bien en France. Et personne ne
me dit rien, sauf des gens qui disent : "Vous commencez à être trop nombreux. Vous savez, votre bonheur vous l’avez
avec vous, mais vous me gênez un peu parce que, vous, votre drapeau, c’est le drapeau algérien, moi, c’est le
drapeau français, mais je ne comprends pas que vous veniez casser mon tramway au moment de la défaite de
l’équipe de football d’Algérie !"
Evidemment ce ne sont plus les mêmes problèmes, ce sont des problèmes de cohabitation entre les différentes
cultures. Mais le bonheur de l’homme, qu’est-ce qu’il est ? C’est que les gens, ces êtres humains qui viennent d’autres
pays et qui viennent vivre sur notre sol et bien ils sont heureux et pourquoi serions-nous contre leur bonheur ? Et
pourquoi voudrions-nous être absolument contre leurs cultures ? Le problème va se poser très rapidement maintenant
parce que la mondialisation existe, elle est présente aujourd’hui. En deux heures, je peux être à Alger, et en sept
heures, je peux être à New-York, et regardez comment se posent les problèmes. Regardez maintenant que de NewYork on paie des mendiants pour venir habiter en France. Il faut qu’on prenne une nouvelle mesure des faits : on n’est
plus la petite France, on n’est qu’une partie du monde. Il va falloir s’organiser en fonction de cette universalité.
-
Réponse de Charles Conte :
Il y a beaucoup de choses dans ce que tu as dit, donc je ne vais pas développer là-dessus. De l’époque de la
Révolution date une phrase célèbre : « Le bonheur est une idée neuve en Europe. » L’idée effectivement c’est de
parvenir à vivre ensemble dans les meilleures conditions possibles. Sur le fait que des personnes se regroupent selon
les affinités culturelles ou nationales, évidemment c’est un phénomène culturel qui n’est pas condamnable en soi. Ce
qu’il faut éviter, c’est le phénomène de ghettoïsation, la coupure avec la société globale. C’est là quand même qu’est la
difficulté. Mais par exemple, pour qui est allé à New-York, on sait qu’il y a un quartier français, un quartier italien, etc.,
perçus comme légitimes parce qu’il y a une interpénétration avec la société américaine globale…
-
Intervention depuis la salle :
Pendant plus de trente-cinq ans j’ai travaillé avec des enfants étrangers qui arrivaient en France et je continue à le
faire maintenant non plus avec des enfants mais avec des étudiants étrangers et cet après-midi avec des étrangers qui
habitent Le Mans et qui vont suivre le cours de français langue étrangère du CUEP. Je voudrais reprendre la question
qui a été posée à travers l’intervenant qui nous vient du Havre et du Sénégal, parce que j’ai le sentiment que vous
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n’avez pas répondu à la question. La question interrogeait sur le sens et vous avez répondu d’une façon rationnelle.
Or, si l’on a écouté l’intervention d’Edwige Chirouter ce matin, un des enseignements que j’en ai retiré, c’est qu’il fallait
travailler sur le sens. Donc à la question que vous posez de savoir comment répondre à quelqu’un qui vous dit : "Je ne
me sens pas français.", c’est peut-être de lui demander ce qui, d’après lui, fait que les gens se sentent français. Pour le
sujet qui est dans la souffrance, puisqu’il y a une expression négative en disant "Je ne me sens pas français", il y a
aussi le désir de se sentir français, on entend bien tout ça.
Dans les éléments de réponse que la personne apportera à cette question, on pourra l’aider à se construire ses
réponses en disant : A quel moment tu te sens, dans quelles circonstances tu te sens comme les autres ? Et dans
quelles circonstances, à quels moments, pourquoi tu ne te sens pas comme les autres ? On pourra lui apporter des
exemples où chacun, l’adulte ou le citoyen que nous sommes, peut aussi donner des exemples de sentiment d’être
étranger.
Je voudrais simplement citer un exemple pour en terminer, pour que mon intervention ne soit pas seulement théorique,
il se trouve que j’ai été élève à dix ans et demi dans une classe unique des Cévennes. Suite à un drame familial, je me
suis retrouvé dans les trois jours qui ont suivi, élève dans un lycée parisien. J’étais étranger à des tas de points de vue.
Mon père était ouvrier agricole, il n’y avait pas de parent ouvrier agricole au Lycée Charlemagne. Et je pense qu’on
peut travailler sur la question de "Je ne me sens pas français" tout ce qui peut être ensuite relativisé sur le sentiment
d’altérité.
-
Réponse de Charles Conte :
Ecoutez, je dirai simplement que vous avez répondu à la question de notre ami bien mieux que je ne l’avais fait. Mon
souci, c’était de ne pas dire "Il faut faire rentrer les gens dans un moule." Il y a une sorte d’intolérance à dire : "Il faut
être français !", en adoptant obligatoirement les mœurs traditionnelles du pays. "Il faut être français, carré, et qu’il n’y
ait rien qui dépasse !" La diversité existe, il faut donc la prendre en compte. Il n’y a pas de "moule républicain", la
diversité est normale et légitime partout. Pour ce qui est de la méthode, commencer par l’écoute des enfants et des
adultes, bien sûr, vous avez tout à fait raison. Je crois que toute pédagogie est d’abord fondée sur l’écoute. Retenez
ça, les futurs professeurs, il faut d’abord écouter vos élèves.
-
Intervention depuis la salle :
Je suis intervenante sociale. Je rejoins l’intervenant précédent dans ses interrogations et à une période où l’on parle
beaucoup de débats sur l’Identité Nationale, notamment la Marseillaise à l’école, je m’interrogeais sur le travail au
niveau des écoles et moi je compte beaucoup sur les historiens. Est-ce qu’on ne pourrait pas réfléchir pour travailler
ensemble sur une histoire commune pour que les jeunes à l’école se retrouvent dans cette histoire, dans les manuels
et que les jeunes n’entendent pas un double discours entre ce qui se passe à l’école et à la maison, pour qu’ils
puissent faire le lien et se construire avec cette double identité et qu’ils n’aient pas toujours à jongler dans une espèce
de schizophrénie en se demandant : "J’ai entendu ça à la maison, à l’école c’est différent." Et justement est-ce qu’on
ne pourrait pas voir comment on pourrait vivre ensemble et ne pas seulement stigmatiser les différences ?
-
Réponse de Charles Conte :
La question est bien formulée, mais la réponse n’est pas simple à donner, pour ce qui est de la Marseillaise, par
exemple, aussi bien que le drapeau tricolore ou les emblèmes de la République. Michel Pastoureau a présenté ces
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emblèmes, leur histoire et leur sens dans un ouvrage remarquable paru aux Editions Bonneton. Aujourd’hui, ces
emblèmes ont beaucoup perdu leur sens. Ils sont devenus des sortes de fétiches quand ils ne sont pas complètement
détournés et dévoyés. Les emblèmes républicains, qui sont des emblèmes comme les autres finalement, qui ont été
construits historiquement, représentaient l’union du Peuple français, la liberté, l’égalité et la fraternité dont je parlais
tout à l’heure. Cela s’incarnait dans la Marseillaise, qui est un chant guerrier, mais c’était quand même porté par ça,
même s’il y a "le sang impur", ce n’était pas au sens racial mais au sens politique en quelque sorte. Et c’est pareil pour
le drapeau tricolore, on pourrait faire l’historique de tous les emblèmes républicains. Aujourd’hui ils sont utilisés par les
formations d’extrême droite qui leur donnent un sens complètement opposé. C’est pour ça que d’une certaine façon, je
comprends Jean-Pierre Chevènement qui avait essayé de redonner leur sens primitif à ces emblèmes républicains en
les réintégrant dans l’école. Cela avait été fait d’une façon extrêmement maladroite puisque ça semblait tomber du
ciel : on débarque le matin, il faut chanter la Marseillaise, qu’est-ce que ça veut dire et pourquoi, je ne sais pas s’il faut
saluer aux couleurs… Donc c’était extrêmement maladroit, mais l’idée de fond n’était pas idiote. Pour ce qui est d’une
certaine façon la concurrence des mémoires, qui se cristallise dans la question du cours d’histoire en particulier et des
manuels scolaires.
Evidemment c’est presque impossible de faire une histoire totale de l’humanité dans un manuel scolaire. Rédiger un
manuel d’histoire est donc devenu une tâche extrêmement périlleuse et délicate. Il y a quand même des choses qui
sont bien faites mais par petites touches, parfois cela peut être un simple encadré ou un paragraphe pour rappeler un
certain nombre de choses et notamment l’histoire de la République française et aussi l’histoire coloniale, par exemple.
Il faut que ce soit intégré, qu’il n’y ait pas une captation par une mémoire. Certains professeurs tendent à insister plus
particulièrement et ne vont parler que de l’esclavage, que de la shoah, donc il faut qu’il y ait une sorte d’équilibre qui
reflète la société dans laquelle nous vivons. C’est extrêmement difficile.
-
Intervention de Bernard Bier :
Deux réactions à ce que disait mon collègue, la première c’est à propos des jeunes – ou de moins jeunes – qui se
disent : "On ne se sent pas français." Il importe d’être prudent : ces jeunes comme chacun de nous se définissent en
situation, à un moment ils diront "Je ne suis pas français." et à d’autres "Je suis français." ou "Je suis de la cité X." ou
encore "Je suis de telle ville." Et eux, comme tous les travaux sociologiques le montrent, ils sont bien dans des
identifications plurielles.
Le deuxième point, et c’est extrêmement important, concerne l’équipe de football qui est noire. C’est d’ailleurs le
discours que tient Le Pen : "Regardez ces gens-là, ils sont à égalité avec nous sauf qu’ils n’ont pas les mêmes qualités
que nous, ils courent plus vite." Peut-être faut-il introduire une lecture socio-historique : les champions - en particulier
dans certains sports populaires - sont souvent des gens d’origine pauvre et venant d’ailleurs. A d’autres époques, les
footballeurs, à l’instar des migrations de leur époque, venaient de Pologne ou d’Italie, ils s’appelaient Kopa ou Platini.
-
Intervention depuis la salle :
Je suis retraité de l’Education Populaire. J’ai été directeur du Centre Jacques Brel et de la MJC Jacques Prévert. Je
voudrais quand même vous parler de toute une population qui est française depuis des générations. Ils sont à peu près
entre 250 000 et 320 000, c’est un peu compliqué pour les compter en général. Ce sont les seuls français à ma
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connaissance qui n’ont pas le droit de circuler librement en France. Ce sont les gens du voyage. Je ne vais pas
reprendre ce qui se dit de gens ayant vécu dans d’autres pays que la France, qui viennent en France, qui prennent la
nationalité française et qui s’interrogent sur leur place précisément dans la société française. Pour avoir travaillé avec
les gens du voyage pendant à peu près une dizaine d’années, j’ai pu constater qu’ils n’y ont pas de place. Les
discriminations ont commencé sous Henri IV à ma connaissance. Près de 500 000 d’entre eux sont restés dans les
chambres à gaz pendant la deuxième guerre mondiale.
Au niveau de l’Europe, je constate que la question des voyageurs revient de manière récurrente alors que je dis bien
que la grande majorité d’entre eux en France est française depuis des générations.
-
Réponse de Charles Conte :
A 100% d’accord, bien entendu la Ligue de l’Enseignement s’investit beaucoup. Nous faisons partie du Collectif Rom
Europe qui se bat pour l’éducation, en particulier pour les Roms étrangers qui sont environ 6 000 à 7 000 en France
qui ne sont pas scolarisés. C’est vrai que le seul groupe humain qui subit une discrimination légale, pour le coup, ce
sont les gens du voyage, les Tsiganes ou les Roms. C’est quand même assez extraordinaire.
Et puis il existe une discrimination de fait, dans la mémoire sociale dont parlait Naïma tout à l’heure, la mémoire
historique, parce qu’effectivement 500 000 d’entre eux ont été assassinés dans les camps nazis. Ce fait est passé
absolument et totalement sous silence. Le génocide des Roms n’existe pas médiatiquement.
La CIMADE a fait un gros travail auprès des médias au moment de l’anniversaire de la libération des camps, mais
même dans les manuels scolaires, on trouve parfois une ligne, voire rien du tout. On constate une évacuation totale
des Roms de la mémoire française. Et c’est pareil dans tous les pays d’Europe, y compris dans un pays comme la
Roumanie où ils sont plus de deux millions. Donc il y a un combat à mener. Il y a une note d’espoir quand même, c’est
qu’il y a beaucoup d’associations de soutien aux Roms, qui ont beaucoup de difficultés, la FNASAT en particulier.
Il y a notamment une fédération qui vient de se créer, juste avant l’été : l’Union Française des Associations Tsiganes
(UFAT), qui est la composite d’associations Tsiganes elles-mêmes en contact avec d’autres associations au niveau
européen, cette fédération veut faire un travail spécifique en relation avec les associations de soutien. Mais elle ne
veut plus de tutelles associatives. L’effacement de la culture Tsigane, du peuple Tsigane de la mémoire française et
européenne est un scandale au quotidien.
-
Question de Jean-Claude Sommaire :
Une première chose pour dire que par rapport à certaines questions qui ont été évoquées là, il y a, sinon des éléments
de réponse, au moins un certain nombre de réflexions dans un rapport que j’ai piloté qui s’appelle "La prévention
spécialisée et la diversité culturelle"1. On le trouve sur plusieurs sites Internet en entrant ce titre sur un moteur de
recherche connu.
Sinon, je souhaitais poser une question à Charles Conte, pour qu’il nous parle un peu d’où on en est aujourd’hui du
débat sur la laïcité qui me semble quand même avoir sérieusement évolué depuis une époque où j’étais jeune, où
c’était autour de l’école, entre les catholiques et les laïques. Aujourd’hui on l’évoque, me semble-t-il, de plus en plus
fréquemment à propos de l’Islam et on voit, notamment dans la période la plus récente, la mise en place d’une
commission sur la burka.
Donc, je souhaiterais qu’il nous parle un peu de ça et de ce que la Ligue de l’Enseignement compte faire.
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-
Réponse de Charles Conte :
Pas ce qu’elle compte faire, mais ce qu’elle fait. Evidemment, c’est un de nos grands chevaux de bataille. La défense
et l’illustration de la laïcité ça passe d’abord par l’information sur ce qu’a vraiment été la laïcité pour ses fondateurs et
en particulier sous la IIIème République.
La laïcité c’est avant tout la liberté de conscience, celle qui permet la liberté de penser, la liberté d’avoir une
philosophie spécifique, la liberté de ne pas avoir de religion, ou la liberté d’avoir une religion.
Aristide Briand disait pendant les rapports parlementaires aux députés de droite conservateurs catholiques qu’il voulait
se mettre dans une position de bataille, de guerre civile presque. Il disait : "Nous refuserons toujours le martyre". Et
même aux "ennemis de la liberté" qui étaient largement les catholiques à l’époque, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui,
il disait : "Vous avez la liberté de conscience qui est pleine et entière." Il y a eu des négociations et il a transigé avec
une subvention en nature que tous les représentants associatifs ici apprécieraient : elle consistait en un local fourni et
entretenu par chaque commune, à savoir les églises. C’est quand même une dotation en nature qui est la plus
gigantesque subvention. Les intéressés apprécieront.
Donc la laïcité c’est avant tout la liberté, c’est ce qui permettait de se dégager de l’emprise cléricale d’une part et
d’autre part la liberté offerte à tous, contrairement à certaines associations qui voulaient qu’il y ait une sorte
d’éradication de la religion, la contenir dans le domaine privé, voire le domaine intime de la vie familiale, plus rien
n’apparaissant dans l’espace public.
Au contraire, la loi de séparation de 1905 crée des associations spécifiques pour organiser, je cite : "Le libre exercice
du culte." Et les catholiques le disent aujourd’hui, je cite Claude Dagens, Cardinal d’Angoulême et académicien : "La
laïcité a été une libération pour nous aussi, on le sait maintenant."
-
Intervention d’Yves Cottereau :
Attention, il vous reste une minute pour traiter de la laïcité et de l’Islam.
-
Suite de la réponse de Charles Conte :
D’accord. Pour l’Islam, c’est exactement la même chose. En fait on refuse la même liberté aux musulmans, en
focalisant sur la burqa, en opposant des problèmes administratifs à la construction des mosquées, en refusant qu’ils
aient des écoles privées à l’image des catholiques et des juifs.
Il y a 250 établissements scolaires juifs, on n’a jamais rien dit contre ça, il y a 8 établissements musulmans et c’est une
guerre permanente dans les médias. Ils ont exactement les mêmes droits, les mêmes devoirs et la laïcité c’est la
liberté qui leur est faite de pratiquer le culte comme ils l’entendent dans le cadre républicain.
Derrière tout ça, il y a bien entendu des arrière-pensées politiques. Ces fameux défenseurs de la laïcité qui ne
s’intéressent qu’à l’Islam sont des gens qui sont politiquement orientés. C’est un combat qui est politique et pas du tout
en défense de la liberté de conscience. Vous pouvez taper sur un moteur de recherche connu "laïcité et ligue de
l’enseignement" et vous aurez notre site ressource avec des liens vers de nombreux autres sites, notamment un que
nous avons réalisé avec les Francas et les CEMEA : "La laïcité à l’usage des Educateurs"2 où sont traités dans la vie
quotidienne des enseignants, des parents, des animateurs, des problèmes qui peuvent être posés à la laïcité, de façon
pertinente ou pas, mais vous avez beaucoup de réponses concrètes et on attend même votre participation sur ce
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thème. Dans la même optique, mais avec un autre support, la revue « Diasporiques. Cultures en mouvement »3, la
Ligue de l’enseignement mène une réflexion de fond sur la société multiculturelle dans laquelle nous vivons
aujourd’hui.
Je vous donne un titre de livre en référence pour ce qui est de l’Identité Nationale et de l’identité française avec notre
conception, ce sont les actes du colloque du Cercle Condorcet d’Auxerre, qui est un cercle international qui a réuni 600
personnes : "Peut-on encore chanter la douce France ?" aux Editions de l’Aube. Et toutes les questions dont nous
avons parlé ce matin et dont nous parlerons cet après-midi sont traitées dans ce livre avec les meilleurs spécialistes. Il
me semble que c’est un des meilleurs colloques réalisés sur ce sujet, depuis au moins une vingtaine d’années.
Je vais donc terminer non pas sur un conte, comme notre ami Steven, mais sur cette belle chanson, que je ne vous
chanterai quand même pas…
____________________________________________________
1 - http://www.789radiosociale.org/article.php3?id_article=1368 (exemple de lien pour lire ou télécharger le
rapport de Jean-Claude Sommaire)
2 - http://freeweb.1901.net/laicite-educateurs/
3 - http://www.diasporiques.org/
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« Jusqu’où pourrait nous mener la reconnaissance de nos identités ? »
(Débattre sur l'identité nationale ou reconnaître des identités qui nous mènent au delà de nous-mêmes?)
Par Christian Saint-Sernin
(Retraité. Ancien Directeur de la C.A.F.de Nevers. Membre de « démocratie et spiritualité ». Ancien militant ouvrier à la
CFDT de la Loire, auteur de « 150 ans de Luttes ouvrières dans le Bassin Stéphanois »)
Si les actuels débats sur l’identité nous chagrinent tant, ce n’est pas uniquement à cause
de leurs visées électorales ni de leur manière de flatter les instincts les moins nobles, mais c’est
surtout parce qu’ils posent de travers de vraies questions et ravivent des polémiques en
empêchant de véritables délibérations !
En France on focalise sur l’identité nationale, en reléguant au second rang nos multiples
autres appartenances sans traiter le problème des banlieues et des discriminations ; en Belgique
on se crispe sur des questions de langue qui précédemment ne posaient pas de problème, pas
plus qu’en Suisse où l’on s'en prend par contre aux minarets, au cœur même de cette patrie par
excellence de la liberté religieuse ! En Europe, comme au Pakistan, en Inde, dans tout le Sud de
l’Asie, sans parler de l’Afrique, on assiste à un retour en force des communautarismes… et pas
uniquement dans les couches les plus pauvres !
Souvent les « gens raisonnables » que nous sommes s’indignent d’un tel retour de
l’obscurantisme à l’heure de la mondialisation et du métissage ! Toutes ces manifestations
publiques d’une identité collective sont présentées comme autant d’injures à l’universalisme des
Lumières ! Et ce mépris affiché par « les gens bien » et par les intellectuels ne fait que renforcer
les crispations !
Pour enrayer ce cercle infernal de la stigmatisation, sans doute faut-il examiner de plus
près toutes ces attitudes identitaires et y retrouver la réaction de personnes ou de groupes
blessés par des discriminations ou par une perte de sécurité, d’avenir ou de repères. Quand la
mondialisation est vécue comme un ébranlement des anciennes attaches et comme une
« crise », revient alors le besoin d’une identité claire et d’un groupe d’appartenance où l’on puisse
se faire reconnaître et retrouver l’estime des autres. Et quoi d’illégitime à cela… si la
reconstruction de cette identité ne s’opère pas contre d’autres groupes… ni au détriment de ses
autres identités personnelles !
Plutôt que de dénigrer systématiquement toutes les recherches d’identité, considérons-les
comme autant de « quêtes de reconnaissance » à travers lesquelles les personnes et les groupes
cherchent à donner un sens à leur existence en reconstituant un espace d’estime réciproque,
mais demandons-leur aussitôt d’approfondir cette recherche de reconnaissance réciproque audelà des limites de leur propre groupe d’appartenance, dans la reconnaissance d’une collectivité
plus large, d’une altérité plurielle et sans doute d’une « transcendance » quel que soit le nom
qu’on lui donne.
Si la collectivité reconnaissait aux diverses identités une véritable légitimité, alors elle
pourrait exiger d’elles qu’elles reconnaissent à leur tour les autres identités ainsi que l’identité de
la collectivité elle-même.
Une véritable « politique de reconnaissance » devrait favoriser des négociations, des
rencontres, des médiations qui règleraient au fur et à mesure les conflits, et pas uniquement une
fois pour toute et par la loi, mais aussi en continu, en local, et en réadaptant les missions des
services public de l’Éducation, de la Santé, de l’Emploi, de l’Audio-visuel et de la Solidarité, en
lien avec les associations. Et c’est dans une telle dynamique d’échange qui prenne en compte les
phénomènes de domination et d’exclusion que la société pourrait réajuster ses repères et
reformuler ses références d’une façon vivante, illustrée par des exemples vécus ; les valeurs du
respect, de la tolérance, de la laïcité, de la coopération reprendraient alors de nouvelles
couleurs…
En définitive, ou bien l’actuelle mondialisation entraînera une crispation des identités qui
multiplieront les murs de protection, ou bien elle suscitera de vigoureux mouvements de
reconnaissance réciproque des multiples et fluctuantes identités où se reconfigureront les valeurs
du futur !
Actes du Forum "Laïcité - Diversité" - « Reconnaissance de l’autre : pour une nouvelle pédagogie de la citoyenneté ? »
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Questions à la suite de l’intervention de Christian Saint-Sernin
-
Intervention de Charles Conte :
Vous noterez la fâcheuse propension des intervenants à intervenir ensuite depuis la salle. Alors bravo pour votre
exposé très profond que j’ai beaucoup apprécié. Vous avez abordé quelque chose un peu en filigrane à un moment et
j’aimerais bien que vous le développiez parce que c’est important : "La reconnaissance de l’autre, ce n’est pas la
négation de soi-même." Et ça c’est une question qui revient souvent sous des formes diverses. Ce n’est pas parce
qu’un hétérosexuel connaît la légitimité à être homosexuel que sa nature ou son identité change. La culture classique,
traditionnelle, n’est pas mise en péril parce qu’il y a des musulmans sur le territoire français qui pratiquent leur culte. La
reconnaissance de l’autre qui ne signifie pas négation de soi me semble être un sujet important. Pouvez-vous nous en
dire quelques mots ?
-
Réponse de Christian Saint-Sernin :
Tout à fait. On n’arrivera à renouer dans les banlieues que dans la mesure où on sera capable d’écouter cette
revendication. C’est dans le rapport de Jean-Claude Sommaire dont on a parlé plusieurs fois, cette revendication des
quartiers à voir reconnaître leur spécificité, et à la positionner. Arriver à ce que ces racines ethniques, voire spirituelles,
dans la mesure où elles ne sont pas repliées sur elles-mêmes, puissent être reconnues comme étant une valeur, voilà
tout l’enjeu. C'est-à-dire qu’il y a une redistribution des cartes. On n’est plus à l’époque de la Révolution Française
dans laquelle les gens devaient, à la suite de l’Abbé Grégoire, abandonner leurs patois, leurs langues locales et leurs
cultures provinciales. On est à une époque à laquelle, si on veut reconstruire un vivre ensemble, il nous faut
reconnaître les spécificités des groupes et des personnes dans la mesure où cette reconnaissance est prise dans une
dynamique d’ensemble parce que c’est vrai que la reconnaissance peut être aussi dangereuse. Le commerce, la
publicité, ne jouent que sur la reconnaissance, on va y reconnaître les singularités. Il ne s’agit pas de ce type-là de
reconnaissance, il s’agit de reconnaissance qui soit capable de faire que les gens se disent : "Ah ! Oui, on parle de
moi, on parle de mon groupe.", mais en même temps à l’intérieur d’une instance plus grande, d’un vivre ensemble plus
grand et plus large. C'est-à-dire que cette reconnaissance de la singularité est elle-même incorporée à l’intérieur d’une
reconnaissance plus large. Ce qui est de fait notre vécu continuel, on l’a déjà dit de nombreuses fois dans la journée,
on n’a pas qu’une identité, on en a trente-six… Ce qui est important c’est qu’à la fois mon identité soit bien reconnue
tout en ne définissant pas entièrement ce que je suis.
Pour répondre à la question, je pense que c’est important que l’on puisse jouer sur les deux à la fois : la
reconnaissance spécifique reprise et remise dans une reconnaissance plus large.
-
Intervention depuis la salle :
Très rapidement, juste sur votre dernier propos, pour savoir si j’ai bien compris et si j’y souscris, au niveau politique,
vous vouliez dire que peut-être ce serait bien que les candidats potentiels en 2012 puissent nous présenter des projets
pour la société de demain. Moi j’y souscris tout à fait, je suis d’accord avec vous, ce serait bien, au-delà de la boutade.
Une interrogation qui rejoint plutôt l’aspect économique et social. Ne pensez-vous pas, c’est forcément réducteur, que
les aspects de déclassement, d’ascenseur social aujourd’hui, de croissance ou de décroissance, voire plutôt de
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décroissance à l’heure actuelle, est-ce que ce ne sont pas deux illustrations, deux éclairages qui altèrent là-aussi la
connaissance de soi ?
-
Réponse de Christian Saint-Sernin :
Je ne sais pas trop dire mais c’est vrai qu’autour de moi il y a beaucoup de gens qui font une grande publicité pour la
sobriété, une sobriété qui serait raisonnable, écologique. C’est vrai que c’est une bonne reconnaissance pour des
classes moyennes, dont je suis. Mais quand on en parle à ATD Quart Monde…
Aux Semaines Sociales, la semaine dernière, il y avait plein de gens qui parlaient de ça, 250 personnes ressources, et
ces personnes avaient le dernier mot sur les experts. Il y avait donc beaucoup d’interventions sur le développement
durable et après la parole était donnée aux experts, il y en avait six de Mâcon qui étaient là. "Vous me dites qu’il faut
acheter des fleurs de tel endroit, mais moi je n’en suis pas à pouvoir acheter des fleurs."
Vous allez me dire que c’est facile, qu’il ne faut pas jouer les uns contre les autres, qu’il ne faut pas tomber dans la
facilité ni dans la démagogie.
En effet, de quelle manière reconnaître les singularités mais sans perdre de vue les singularités des autres en ayant
bien dans la tête le maillage avec les autres. C’est compliqué.
-
Intervention depuis la salle :
J’ai beaucoup apprécié votre exposé très humaniste et je réfléchissais à l’instant ; avec en arrière-plan les futures
élections présidentielles, l’enjeu ne serait-il pas de passer d’une société de l’avoir à une société de l’être ?
-
Réponse de Christian Saint-Sernin :
Certes, vous l’avez dit, la reconnaissance ce n’est pas à travers l’avoir et les objets, c’est à travers la reconnaissance
de soi.
-
Intervention de Jean-Claude Sommaire :
Je reprends la parole sur ce sujet-là qui me paraît assez important. Donc tu as évoqué la question des banlieues et
c’est plus particulièrement là-dessus que je souhaiterais centrer mon propos. Alors évidemment on peut s’étonner de
l’idée de "reconnaissance des banlieues" s’il s’agit de reconnaître des jeunes "qui foutent le bordel", des pratiques de
certaines populations que l’on condamne, etc. On voit bien qu’il y a une difficulté. Mais je vais parler d’un cas concret
qui est cité dans le rapport, cela se passe dans la ville de Saint Quentin dans l’Aisne où il y a des familles d’origine
africaine, sénégalaises, il y a un certain nombre de jeunes qui commencent à semer la zizanie dans la ville. C'est-àdire qu’ils sont délinquants, violents et qu’ils agressent. Cela crée un certain trouble et la municipalité demande au
Club de Prévention de faire quelque chose. Alors le Club de Prévention, dans un premier temps, va faire une action qui
est un peu classique : organiser un chantier pour ces jeunes, ce qui permet momentanément de les écarter du quartier,
qui retrouve un peu de tranquillité, même si ça ne change évidemment pas les problèmes au fond.
Mais en organisant ce chantier, ils ont noué une relation avec les familles africaines et ils s’aperçoivent que ces
familles consacrent une part importante de leurs revenus à l’envoi de sommes dans leur village d’origine. Ils sont tous
originaires du même village et en envoyant beaucoup d’argent au pays, quelque part, à la fois ils maltraitent leurs
enfants qui n’ont pas le nécessaire et ils sollicitent les services sociaux de façon excessive, donc ça crée aussi des
frictions. Ils s’aperçoivent aussi que les pères sont complètement dépassés par la violence des jeunes, que les pères
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utilisent des châtiments corporels, mais plus ils tapent et moins ça donne de résultats et qu’en désespoir de cause, les
pères se retirent à la mosquée prendre le thé et désertent la famille, voire retournent au pays et considèrent que les
enfants d’ici ne sont plus les leurs, que ce sont les enfants de la France et ils vont essayer de renouer une famille au
pays pour assurer leur lignée et leur descendance.
Donc les éducateurs voient tout ça. Ils voient aussi que les familles africaines organisées en association veulent
financer ce qui s’appelle une Case de Santé, c'est-à-dire un mini dispensaire dont elles ont réussi à construire le
bâtiment avec leurs cotisations. Mais elles ont besoin d’y mettre du matériel et des médicaments. Les éducateurs vont
s’intéresser à cela et ils vont y intéresser d’autres partenaires. C'est-à-dire qu’avec les jeunes, les familles, ils vont
organiser des rencontres, ils vont parler de ce projet, ils vont organiser des fêtes pour collecter des fonds.
Des enseignants, des travailleurs sociaux, des policiers, vont participer à ces fêtes et vont permettre à cette Case de
Santé de recevoir le matériel dont elle a besoin au pays.
A travers cela, il y a eu une action de reconnaissance des familles qui a été menée. Ces familles, qui étaient perçues
comme étant incapables de s’occuper de leurs enfants, qui étaient considérées comme sombrant dans l’assistanat, qui
étaient cause de violence et qui avaient donc tendance à se replier sur leur communauté et à dériver vers le
communautarisme, ces familles quelque part ont été reconnues dans leur singularité qui était qu’elles ne voulaient pas
rompre le lien avec le pays d’origine. A partir du moment où cela a été fait, cela a permis d’aborder toutes les questions
qui fâchent. A ce moment-là, on a pu dire : "C’est anormal de consacrer autant d’argent au pays et aussi peu pour vos
enfants.", "C’est totalement anormal d’aller faire la quête auprès des associations caritatives, à pleurnicher.", "C’est
complètement anormal que les pères ne s’occupent pas mieux de leurs garçons.", "C’est anormal les mariages
forcés.", "C’est anormal l’excision."
Tout cela a été débattu. Ce sont des sujets qui ne sont pas faciles à débattre. Pour cela, ils ont fait appel à une
association qui s’appelle Afrique Conseil1, qui était présente lors du dernier colloque du Mans, parce que ce n’est pas
évident sur ces sujets délicats. Mais le fait d’avoir reconnu les gens dans leur singularité, dans leur identité, dans leurs
projets, cela a permis de pouvoir débloquer une situation et il semble, d’après les informations données, que la
délinquance a diminué, que le lien générationnel entre parents et enfants a été rétabli, donc il y a un aspect positif
avéré.
Reconnaître l’autre permet ainsi de parler avec lui des questions qui fâchent et Amin Maalouf2, l’écrivain libanais que je
cite dans ce rapport, dit : "Le droit de critiquer l’autre se mérite." Effectivement, sur un certain nombre de sujets, il y a
matière à critiquer l’autre. Mais pour cela, il faut qu’il y ait des conditions qui soient réunies pour que ces critiques
soient recevables.
-
Réponse de Christian Saint-Sernin :
Juste un très court exemple pour illustrer aussi cette politique de la reconnaissance dont on parle depuis ce matin. Cet
exemple concerne les politiques sociales que j’ai menées en étant à la Caisse d’Allocations Familiales. Souvent on
arrive à un moment où ça "coince" parce que les gens sont arrivés à un tel niveau de difficultés qu’ils ne réclament
même plus leurs droits et qu’il n’y a plus la possibilité de faire quoi que ce soit. On va donc faire du "forcing", on va leur
parler d’insertion mais l’insertion, ils n’en ont rien à faire. Et on va aller dans les rues pour essayer d’aider les gens.
Il existe un observatoire du non-droit qui s’appelle l’Odenore3 (Observatoire des non-recours aux droits et services) qui
examine cela. En effet, pour ces personnes-là, l’important c’est de reconnaître qu’en matière de politique sociale il ne
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s’agit pas de vouloir répondre uniquement en matière de droit. Il y a ici et là à mener une politique sociale de
reconnaissance qui va consister à créer des lieux d’accueil, des lieux de parole où les personnes pourront échanger,
de leur donner éventuellement la parole pour qu’ils puissent s’exprimer et raconter leurs récits de vie dans des endroits
où ils ne seront pas soumis aux seuls horaires de nos administrations sociales.
Autrement dit, écouter les différents problèmes de la société, les différents lieux et corps qui sont dominés, c’est aussi
chercher des réponses en termes de reconnaissance de ces différentes spécificités.
_________________________________________________
1 Afrique
2
Conseil : http://www.afriqueconseil.org/
Par exemple le livre : "Les identités meurtrières" d’Amin Maalouf (1998) [LGF - Livre de Poche (1 février 2001)]
3 Lien
internet pour l’Odenore : http://odenore.msh-alpes.prd.fr/
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« Pédagogie interculturelle ou pédagogie de l’altérité ? »
Par Bernard BIER
(Chargé d’études à la Mission Observation Evaluation (MOE) de l’INJEP (Institut National de la Jeunesse et
de l’Education Populaire))
En introduction,
Parler d’éducation (ou de pédagogie) aujourd’hui appelle un déplacement de l’approche jusque là
dominante en France, celle d’une formation initiale scolaro-centrée dans une logique de
transmission des adultes vers les jeunes (celle qu’on retrouve d’ailleurs dans l’approche
durkheimienne de l’éducation). Si l’on part des temps du vécu des enfants et des jeunes, des
transformations de leurs sociabilités et pratiques, de la place de la socialisation et des
expérimentations entre pairs, du rôle des technologies de l’information, mais aussi de la nécessité
pour tout un chacun de se former tout au long de la vie dans une société en mutation
permanente, il nous faut parler en termes d’éducation formelle (la formation scolaire initiale), non
formelle (la formation intentionnelle telle que donnée dans les centres de loisirs, clubs sportifs,
etc.) et informelle (l’éducation non intentionnelle, qui se fait au travers de nos actes, pratiques),
qui oblige à penser les espaces de vie et d’interactions dans la cité. Au-delà il faut y intégrer
l’enjeu aujourd’hui incontournable pour chacun et pour la société de l’éducation et formation tout
au long de la vie, qui est aussi un enjeu de développement territorial.
Force est de constater que la notion d’interculturel connaît une fortune diverse selon les pays et
les époques, mais qu’elle reste marginale dans la société française et ses instances éducatives.
Par contre la notion de diversité, voire de diversité culturelle, connaît, elle, un incontestable
succès politico-médiatique et apparaît même dans des textes juridiques essentiels, au moment
où « la gestion des flux de population » (terminologie en elle-même parlante) se rigidifie partout
en Europe, où la loi de l’hospitalité semble de plus en plus étrangère à nos contrées, où le débat
sur l’identité nationale surgit en lien avec l’immigration. Mais aussi, notons qu’il y a (enfin !)
reconnaissance officielle des faits de discrimination par la loi elle-même.
D’un point de vue d’éducateur, d’un point de vue de pédagogue, d’un point de vue de citoyen,
comment fait-on ?
I. En France, l’interculturel est une préoccupation marginale
C’est une question peu traitée du fait du poids d’une certaine conception de la République :
société « une et indivisible », ne mettant aucune médiation entre un Etat incarnant l’intérêt
général et le citoyen, et qui en conséquence bannit les corps intermédiaires (Loi Le Chapelier de
1791), suspects de corporatismes et de développer les intérêts particuliers de la communauté (le
clan, le village…) opposés au projet sociétaire. D’où en conséquence le long combat en vue de la
liberté associative tout au long du 19ème siècle. D’où vraisemblablement le poids de cet héritage
« culturel » dans la résistance (d’ailleurs sélective) de beaucoup aujourd’hui à l’apparition dans
l’espace public de certaines formes identitaires émergentes (identités sexuelles, identités
religieuses, identités d’origine…) qui seraient censées mettre en danger l’ordre républicain. Peut
être, est-ce de ce fait que dans le champ de l’école et de l’éducation populaire, cette question a
pris quasi exclusivement la forme de la lutte ou de l’éducation contre le racisme.
Certes l’interculturel (ou la question culturelle ?) a eu un temps droit de cité dans l’Education
nationale lors de la mise en place en 1973 des ELCO (Enseignements des langues et cultures
d’origine), mais les ELCO concernaient avant tout les enfants de migrants, dans le cadre d’une
politique de retour au pays, et étaient portés par des enseignants extérieurs à l’Education
nationale, issus des pays des migrants eux-mêmes. Il ne s’agit en aucune façon, sinon par abus
de langage, d’interculturalité, laquelle implique pour le moins la rencontre du « différent ». Ici
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certaines populations étaient renvoyées à ce qui était considéré comme leur identité culturelle
indéfectible, c’est-à-dire à du « même » ?
Une exception : les démarches mises en place par l’OFAJ (Office franco-allemand pour la
jeunesse) et l’OFQJ (Office-franco-québecquois pour la jeunesse ; avec l’OFQJ on s’inscrit dans
une autre tradition politico-historique (faut-il dire culturelle ?), l’OFAJ a son origine dans la volonté
de réconciliation franco-allemande.
D’où ces quelques questions :
- La question de l’interculturel ne concernerait-elle que les immigrés ?
N’émergerait-elle qu’en lien avec des risques ou des souvenirs de conflit ?
- Qui vise-t-elle vraiment ? Qui est concerné ?
- Qui sont les autres ? Dans une certaine conception, l’autre serait celui qui serait étranger à
l’universel (républicain) incarné par la France. Cette vision appelle à regarder l’autre comme à
part, quasi « exotique », ce qui n’est pas sans le rendre « curieux », voire attractif « à distance »
(en forçant le trait, on pourrait rapprocher les « zoos humains » des expositions coloniales d’hier
de certaines formes de valorisation des cultures aujourd’hui).
II. L’exemple et les enseignements de la pédagogie contre le racisme
De quelques approches et de leurs limites
Un certain nombre de propositions sont faites à ce sujet (empruntées pour partie à Jean-Paul
Tauvel « L’anti-racisme à l’école : sortir des incantations rituelles », Migrants Formation n° 109,
juin 1997). Chacune d’elle a ses présupposés, ses atouts, mais aussi souvent ses limites. On
pourrait en esquisser une typologie :
- L’approche républicaine : elle pose la race comme catégorie non pertinente (puisque non
fondée scientifiquement) et affirme ne reconnaître que des individus - ou mieux des citoyens. Elle
s’appuie sur le rappel de la doxa républicaine. Selon cette logique, mettre en place une éducation
contre le racisme pourrait avoir un effet performatif, en créant ce que l’on prétend dénoncer.
Mais
D’une certaine manière cette posture entraîne une euphémisation ou une occultation du
phénomène et une pédagogie - quand pédagogie il y a - qui ne cible pas le processus lui-même,
mais se veut essentiellement une pédagogie de la citoyenneté. Cette pédagogie occulte à la fois
ce que peuvent être des identifications légitimes d’individus ou de collectifs et les processus
d’ethnicisation qui traversent notre société, lesquels interrogent les formes mêmes de la
citoyenneté.
- L’approche rationaliste ou intellectuelle (proche de la précédente) : elle se fonde sur le primat de
la connaissance (l’histoire est fortement mobilisée, la génétique aussi) et de la raison pour donner
à voir le caractère inacceptable car erroné et meurtrier du racisme.
Mais
Occultant la dimension des affects, elle ne peut guère les mettre au travail. Renvoyant à la
méconnaissance, à la « déraison », à l’« obscurantisme » de l’autre, elle risque fort d’occulter ce
qui en chacun de nous peut conduire à la représentation stéréotypée, à la stigmatisation de
l’autre.
- L’approche morale (ou moralisante) : elle se fonde sur l’histoire des racismes et sur leurs effets
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et les pose comme radicalement condamnables, incarnation du Mal, incarnés par quelques
groupes ou individus.
Mais
Cette approche binaire empêche d’entrer dans une analyse contextualisée, en termes de
complexité et de processus. Faisant de la culpabilisation un de ses moteurs, elle peut aussi
conduire à une euphémisation de l’expression du racisme.
- L’approche psychologique (ou psychologisante) : au rebours des précédentes, elle s’appuie sur
la mise à jour de processus infra- ou inter-psychiques et permet d’éviter l’extériorité dans
l’approche du phénomène. Elle impose d’être bien conduite car touchant à l’intime et pouvant être
par-là profondément perturbatrice.
Mais
Elle risque aussi d’occulter en quoi le racisme et l’antisémitisme sont des constructions sociohistoriques, inscrites dans des rapports de domination, et fruit d’interactions.
- L’approche inter-culturelle : elle postule la connaissance et la rencontre des «cultures » comme
moyen d’échapper au racisme.
Mais
Elle appellerait pour le moins une clarification conceptuelle et méthodologique, tant son histoire a
montré qu’elle s’accompagnait parfois de pré-supposés souvent contestables et pouvait être
porteuse de dérives essentialistes, c’est-à-dire qu’elle pouvait assigner les groupes humains (les
« races », les peuples, les nations) à des traits naturels, immuables, « éternels ». Avec leurs
cortèges de stéréotypes sur tel ou tel peuple…
Dans ses modalités et ses limites
On peut penser que certaines démarches mises en œuvre dans ce champ se révèlent peu
efficaces, inefficaces, voire contre-productives :
- les séances d’information, les exposés théoriques : ils restent dans l’ordre intellectuel et leur
effet est fugace, car ils ne travaillent pas à partir des situations et des affects ;
- les actions symboliques (avec les enfants, voire leurs parents) à l’initiative d’une institution
(école, fédération d’éducation populaire, collectivité) : elles sont ponctuelles alors qu’il faudrait un
travail sur la durée, et leur répétition rituelle (« la semaine de… »). Cela peut conduire à une
dilution du sens ;
- les actions réalisées dans l’« entre-soi », entre (ou pour) des personnes déjà convaincues, ou
dans des cadres qui ne permettent pas de partir des situations-problèmes concernant chacun de
nous. Cette approche ne permet pas de mettre au travail les actes, propos ou représentations
racistes. L’extériorité des participants au phénomène du racisme est supposée aller de soi, le
« raciste » c’est l’autre.
A noter qu’à la classification raciste/non raciste et à son risque d’essentialisation des individus,
nous préférons parler d’actes, propos ou représentations racistes.
- Ajoutons qu’aucune évaluation n’est faite de l’impact sur le public de ces interventions.
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III. Les pédagogies de l’interculturel
Des figures idéal-typiques
On pourrait en dégager trois :
- les démarches pédagogiques visant à favoriser la découverte des pratiques et cultures de
l’autre, ou à faire découvrir à l’autre nos pratiques ;
- les démarches visant à s’engager dans un travail de déconstruction de nos propres
représentations, stéréotypes, et à développer en chacun et en soi une posture d’ouverture à
l’altérité ;
- les démarches visant à travailler sur la construction de la citoyenneté, le « vivre-ensemble ».
Chacune de ces approches est porteuse de présupposés (sur soi, sur l’autre, sur la société et sur
la Cité), qu’il faudrait expliciter.
Quand on n’est pas a priori dans une posture pédagogique (éducation formelle et informelle),
mais dans le travail quotidien d’animation ou d’actions des structures culturelles ou socioculturelles, on est le plus souvent dans un dépassement ou un mixte des ces trois postures. Voir
à ce sujet la production du séminaire co-organisé par l’INJEP en 2009 avec des chercheurs et
des acteurs du champ culturel et socio-culturel (associations et collectivités) : cf. Bernard Bier et
Clélia Fournier, Culture, cultures : quelle(s) pédagogie(s) de l’interculturel ?, 2009, Cahier de
l’action, INJEP).
De quelques questions
- Doit-on mettre en place une éducation à l’interculturel ou une éducation interculturelle ? Faut-il
parler de, expliquer, argumenter ou faire vivre des situations ? Faut-il choisir entre approche
intellectuelle, privilégiant les connaissances et l’analyse ou approche plus sensible du vécu ? On
peut penser que les deux sont complémentaires et indissociables, car s’enrichissant l’une de
l’autre, chacune d’entre elles étant insuffisante.
- Le contact de l’autre (de l’étranger, du distant…) suffit-il ?
Ce contact peut aussi engendrer le rejet, le conflit ou le renforcement des stéréotypes, d’où le fait
que nombre de porteurs de ces pédagogies insistent sur la nécessité du travail en amont et en
aval.
Ajoutons que :
- le contact trop bref dans des contextes particuliers (une semaine de séjour interculturel) a
quelque chose d’artificiel ;
- l’autre à distance a du charme (parfois celui de l’exotisme), mais quand la distance s’abolit et
qu’il devient votre voisin, le regard peut changer, s’inverser ;
- faut-il nécessairement aller loin pour trouver du différent ? Peut-être faut-il aussi travailler sur le
rapport à l’autre dans la proximité ?
- A l’inverse de la posture pédagogique précédente, mais de manière non contradictoire et plutôt
cumulative, faut-il toujours des médiations ? Des expériences, des pratiques, le développement
de certaines postures (dans le contact avec l’autre) suffisent à trouver le contact avec l’autre et
abolir les craintes et les peurs.
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III. Pour des pédagogies de l’altérité
L’approche par la culture : limites et dérives
- La culture, de quoi parle-t-on ? Au-delà de la définition consensuelle de la culture comme un
ensemble (ou un système) de pratiques, de valeurs, de croyances qui fait lien dans un groupe,
des questions se posent :
Les sociétés sont-elles « unes » ? Toutes les sociétés ne sont-elles pas entrées dans la rencontre
d’autres sociétés, d’autres groupes, de la modernité ?
Ne sont-elles pas traversées par des histoires, des différenciations, des conflits, des « souscultures », du social, du politique, de la rencontre avec d’autres cultures ?
Les individus n’ont-ils pas des trajectoires de plus en plus variées ?
Peut-on réduire une société, un peuple, une nation à une identité culturelle ?
- A cela s’ajoute le fait qu’on parle à tort de rencontres de cultures. Il n’y a que des contacts entre
individus et groupes socialement situés, dans des relations et des interactions multiples. Roger
Bastide souligne (article « Acculturation », Encyclopédia Universalis, ed. 2006) : « Ce ne sont pas
des cultures qui entrent en contact, mais des individus porteurs de cultures différentes ;
cependant ces individus ne sont pas des êtres indépendants, ils sont en interrelations dans des
réseaux complexes de communication, de domination-subordination, ou d’échanges égalitaires ;
ils appartiennent à des institutions qui ont des règles d’action, des normes, et une organisation…
Nous nous trouvons en présence d’un tout où il n’y a pas abstraitement les uns en face des
autres, des noirs et des blancs avec leurs cultures propres, mais uniquement des systèmes de
relations sociologiques entre des citadins et des ruraux, des prolétaires et des bourgeois, des
évolués et des masses de couleurs, d’ethnies, de sexes et de générations différentes ».
Ce qui nous conduit à penser comme Amartya Sen (Identité et violence, 2006, Odile Jacob), que
la référence au « dialogue des cultures » n’est que la figure inversée (et complémentaire) de celle
sur le « choc des cultures », aussi peu pertinente et aussi dangereuse en ce sens qu’elle crée
l’idée que les cultures sont figées et sont ce qui sépare dans le monde contemporain (occultant
de surcroît toutes les autres grilles de lecture des conflits dans le monde, entre autres ce qui
relève des inégalités socio-économiques).
- La notion de culture d’origine, si souvent évoquée entre autres dans le discours sur
l’immigration ou dans le champ éducatif, n’est guère plus pertinente (cf. supra). En outre, à
l’évoquer, on risque de favoriser « l’incarcération civilisationnelle » (A. Sen) et l’assignation à
origine (cf. le passage sur les questions posées à Mamadou à l’école, relatées par Jean-Louis
Sagot-Duvauroux, dans On ne naît pas noir, on le devient, 2004, Albin Michel).
De même il est simpliste voire inepte de parler de « jeunes entre deux cultures » : il est plus juste
de parler de jeunes entre un passé complexe (la société d’origine est divisée et les parents en
situation de migration réinventent la société quittée) et un présent tout aussi complexe (pour le
jeune migrant ou fils de migrants, la société française, c’est celle de l’école, celle du quartier, celle
de la télévision, celle du club sportif, dont on sait qu’ils sont pour le moins hétérogènes). En fait,
les « identités » comme les « cultures » se construisent dans l’histoire, évoluent, se
recomposent ; elles portent les individus autant qu’ils les portent et les font évoluer dans des
évolutions et trajectoires complexes où les hommes ne sont pas déterminés mais acteurs. La
notion de culture d’origine nie cette activité de construction en faisant croire en un développement
culturel naturel et univoque.
- Enfin il n’est pas inutile de pointer la persistance du regard colonial, parfois pourtant riche de
bienveillance et bien intentionné, parfois beaucoup moins. Il y a l’exemple de l’assignation à
origine évoquée plus haut, qui fait que le jeune noir sera toujours celui qui vient d’ailleurs.
Il y a aussi le discours progressiste et féministe qui veut qu’une femme (européenne ?) ne soit en
aucun cas limitée à son rôle de mère ou de cuisinière, mais qui mobilise dans les écoles et les
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maisons de quartiers la femme maghrébine pour faire le couscous, sans songer un seul instant
qu’elle puisse avoir d’autres compétences (regard parfois intériorisé par les intéressées ellesmêmes). Que dire aussi de ces plaquettes promotionnelles de certaines collectivités ou
institutions d’Etat qui nous montre quasi exclusivement le jeune « black » ou le jeune « beur »
(terminologie à interroger !) de banlieue comme sportif ou comme rappeur, pensant d’ailleurs que
cela aura un écho chez eux… Le poids des représentations ! On pourra interroger les effets d’un
tel regard.
D’où la nécessité pour l’ensemble des éducateurs, des travailleurs sociaux comme des
responsables politiques de se saisir de cette question, afin d’apprendre collectivement à entrer
dans la complexité, c'est-à-dire à acquérir et développer un regard critique sur soi, les autres et
ses propres pratiques : ce fut en quelque sorte le projet émancipateur de l’éducation populaire dans son principe.
De la même manière, certains discours sur les voies obligées de ce que doit être l’émancipation
féminine qu’on a vu fleurir au moment de « l’affaire du foulard » (et qui perdurent aujourd’hui
encore) participe de cette même conception qui a conduit la 3ème République à mettre en place,
dans le même temps l’école pour tous et la politique coloniale de la France (rappelons que Jules
Ferry un moment cumula les deux portefeuilles ministériels).
Et la diversité ?
Sur la diversité, on pourrait faire des remarques semblables.
Elle est pour le moins floue (de qui et de quoi parle-ton ?), elle peut être une manière de masquer
des enjeux de classe sociale ou d’euphémiser certains discours ou certains termes (on ne parle
plus de maghrébins ou de noirs !), tout en assignant à diversité (la diversité c’est toujours l’autre).
Que penser du fait qu’une ministre de la République comme Rama Yade soit majoritairement
renvoyée à sa couleur et non au fait qu’elle est diplômée de l’IEP et ancienne administratrice au
Sénat !
Dans le même temps, certaines personnes peuvent, à certains moments, vouloir qu’une réalité
d’expérience partagée soit dite et non pas occultée (je renverrai ici au remarquable ouvrage de
Pap Ndiaye, La condition noire. Essai sur une minorité française, 2008, Calmann-Levy - repris
depuis en Folio). Nier cette expérience, c’est les nier aussi en tant que sujets. (cf. Bernard Bier,
Joëlle Bordet, Jeunes, racisme et construction identitaire, 2009, Cahiers de l’action, INJEP).
Parler de diversité comme d’un tout (comme parfois de discrimination) est aussi une manière de
nier la spécificité de telle ou telle expérience et ce qui s’y joue en termes de rapports de
domination et d’inscription dans une histoire singulière.
Et Michel Wieviorka concluait justement son rapport remis à la Ministre de l’Enseignement
supérieur et de la Recherche (La Diversité, 2008, Robert Laffont) par une première
recommandation, incitant sur ce sujet « à la plus grande prudence, tant le terme lui-même est
vague et sa valeur axiologique faible ».
Pour une approche par l’altérité
L’altérité a l’avantage de prendre en compte sans exclure l’ensemble des différences et des
identifications, de manière dynamique, multiple… Quid par exemple de la question du genre ?
Des minorités sexuelles ? De la domination économique et sociale ?…
Reconnaître l’autre appelle déjà la connaissance (« la co-naissance », dirait Claudel). Mais elle
va plus loin : elle appelle aussi à re-connaître l’existence de l’autre comme sujet de parole et
d’énonciation, au rebours de son infantilisation (l’in-fans, celui qui étymologiquement n’a pas la
parole), comme alter ego, autre moi, qui seul permet aussi la distanciation réflexive sur « soi
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comme un autre » (P. Ricoeur).
Il s’agit là non d’un Autre abstrait, mais d’un autre inscrit dans des collectifs hérités ou choisis. On
sait que cela heurte une certaine conception de la République (d’un communautarisme
républicain ?) qui s’est construite contre les collectifs. D’où la méfiance à l’égard des
communautés souvent identifiées de manière polémique et binaire au communautarisme. Cette
dernière approche marque la persistance des logiques de domination (en l’occurrence néocoloniale) ; elle nous semble particulièrement bien posée dans la définition que Philippe Mangeot
donne du communautarisme dans le Dictionnaire de l’homophobie (dir. L.-G. Tin, 2003, PUF) :
« le mot communautarisme est la signature lexicale de tout discours visant à discréditer la
politisation des questions minoritaires ».
On retrouve ici la question épistémologique et politique de la catégorisation et des processus
d’énonciation. Comment penser les autres comme libres de définir qui ils sont (des ″alter égaux″
en quelque sorte) ? Comment permettre de penser les identités ou identifications multiples de
chacun, que la pensée binaire exclut ?
Une reconnaissance mal comprise, si elle n’est pas reconnaissance d’une intersubjectivité à
égale légitimité, et de l’égalité politique y compris dans le pouvoir de catégorisation et
d’énonciation, risque de conduire à la réification et à l’enfermement dans des identités figées. Ce
dont témoigne le caractère ambivalent du discours sur la diversité culturelle.
On voit à quel point cela pose la question du politique : celle de la place des citoyens, des
familles, des enfants et des jeunes, celle de la reconnaissance de leur « expertise d’usage », et
en particulier dans le champ éducatif qui est au cœur de notre réflexion.
Conclusion en cinq points
- Penser dans les logiques de l’éducation formelle, non formelle, informelle, qui a le mérite de
prendre en compte les logiques de transmission et de savoirs, les logiques d’accompagnement et
de construction de compétences et les logiques expérientielles. Et multiplier les approches !
- Interroger nos catégories de pensée. A la fois sur le plan psy, personnel (ce que fait l’autre en
nous et pour nous) mais aussi comme construit politique, idéologique d’Etat.
Lire à ce sujet (indispensables !) : Gérard Noiriel, Le creuset français, 1988, Le Seuil ; A quoi sert
l’identité « nationale » ?, 2007, Agone ; et Abdelmalek Sayad, La double absence. Des illusions
de l'émigré aux souffrances de l'immigré, 1999, coll. « Liber », Le Seuil, et L'immigration ou les
paradoxes de l'altérité, 2006, Raisons d'agir. (2 vol.).
- Prendre les phénomènes individuels et collectifs dans leurs dynamiques de processus : les
trajectoires sont multiples, parfois erratiques, les dynamiques identificatoires complexes, et le rôle
des professionnels, des institutions est de favoriser ces processus, ces passages. En aucun cas
de les entraver.
- En tant que professionnels, ne pas réduire nos pratiques à de la technique, mais les poser
systématiquement dans leurs dimensions éthiques (les valeurs) et politiques. On peut à ce sujet
interroger nombre de formations et référentiels de compétences qui en morcelant l’activité
occultent ces dimensions.
- Quelque part réhabiliter le politique « démocratique », cela a à voir avec l’éducation populaire.
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Questions à la suite de l’intervention de Bernard Bier :
-
Intervention depuis la salle :
Je voudrais vous demander ce que c’est qu’une culture ?
-
Réponse de Bernard Bier :
Je ne peux pas répondre en deux mots. Il y a une littérature anthropologique abondante sur le sujet, c’est un
conglomérat, une articulation de valeurs, de croyances, de pratiques…. Et on peut parler de la culture ouvrière, par
exemple de ceux qui travaillaient dans les mines, de la culture politique d’un militant communiste, comme de la culture
des agriculteurs du Berry avec leurs traditions. On est tous inscrits dans une multitude d’espaces, sauf que nous ne
sommes pas prisonniers de ces espaces, on y navigue, on s’en alimente ou pas. Au début de "Tristes tropiques", LéviStrauss dit qu’il n’y a pas une culture qui n’ait pas rencontré d’autre culture. Seul un petit groupe humain qui n’aurait
jamais rencontré d’autres tribus, qui serait replié sur lui-même, aurait peut-être une homogénéité culturelle.
On sait aussi qu’à l’intérieur de ces sociétés traditionnelles, il y a des groupes avec des traditions différentes et selon
que vous soyez forgeron ou agriculteur, selon que vous soyez initié ou pas, vous appartiendrez à des micro-cultures.
C'est-à-dire que je serais tenté, en forçant le trait et en réaction aux approches culturalistes, de parler plus de société
que de culture.
Je mets au défi l’institutrice du petit Mamadou, mais aussi vous et moi, de définir de manière assez convaincante ce
qu’est la culture française. Plus les sociétés sont modernes, plus on est dans des filiations héritées (libre à chacun de
choisir ce qu’il garde de ses héritages) et des affiliations (ce à quoi on va s’identifier). On a beaucoup parlé de l’Islam,
c’est un sujet que je trouve passionnant : on voit bien que la pratique des jeunes musulmans en France n’est pas la
même que celle de leurs parents. Et elle n’est pas unique. Ils inventent, ils bricolent au sens "Levi-Straussien" du
terme. Comme toute génération d’ailleurs bricole par rapport à l’héritage, à la tradition. On parlait à midi de la question
de la transmission, les jeunes étudiants de l’IUFM à qui on transmet quelque chose vont bricoler cet héritage pour en
faire autre chose comme toute génération antérieure l’a fait. Si on veut penser cette question, il faut la penser dans des
dynamiques individuelles, des trajectoires de plus en plus diversifiées : chacun fait des choix, évolue, repart en arrière,
s’invente une histoire (les « stratégies narratives » dont parle P. Ricœur). Les migrants adultes, ceux qui ont vécu le
déracinement, ont tendance à idéaliser le pays d’origine, à le figer dans une image qui assez vite ne correspond plus
au pays réel qui connaît des mutations parfois rapides. Parce que l’on a aussi besoin de se protéger, on a aussi besoin
de se construire une carapace.
Une personne d’où qu’elle vienne, du Mans ou d’une ville d’Asie, est déjà prise dans ses origines, dans des influences
multiples. Même dans une famille, le père de Droite, la mère de Gauche, le père catholique, la mère protestante, etc.
Déjà avec des grands-parents qui peuvent être des ruraux ou des urbains, des cadres ou des ouvriers… On voit bien
comme on est fait de tout cela, et là-dedans, il y a ce que l’on prend et ce que l’on rejette. Mais enfermer les gens dans
« une » identité culturelle, c’est refuser de les reconnaître comme sujets, c’est les « assigner à origine ».
Et question qui peut déchaîner des passions : qui va décider et qui a le droit de décider quel est le bon comportement?
Est-ce que parce que je pense incarner les valeurs de l’universel républicain, je vais décider comment les gens doivent
s’émanciper ?
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Je serai tenté de dire que nous avons tous des parcours différents pour grandir, pour se construire, pour s’émanciper.
Et je me refuse le droit de décider quelle tenue vestimentaire est synonyme d’émancipation – de l’émancipation des
autres, bien sûr, puisque c’est toujours de cela qu’il s’agit.
Il y a dans certaines attitudes, parfois même apparemment bienveillantes, quelque chose qui relève de l’ancien
discours colonial: "On sait ce qui est bon pour les gens, on va décider pour eux où ils sont, où ils doivent être."
Laissons les gens, individuellement et collectivement, décider comment ils vont se construire, se dire, évoluer… Et
créons les conditions d’une société où l’on se rencontre, où l’on se croise, où l’on se confronte… Quand les auvergnats
et les bretons se sont retrouvés à Paris, ils se sont regroupés en quartiers dont il reste encore des traces aujourd’hui.
Laissons les processus se faire, dans la complexité. Les migrants du début du XXème siècle ne se sont pas intégrés
immédiatement à la société française. Quand ils sont arrivés en France, ils se sont intégrés via des groupes du même
pays d’origine, via l’Eglise catholique, via le Parti Communiste français, etc., parce que c’est un processus. Et dire :
"Vous allez choisir, vous allez aimer ou vous allez quitter" est contraire à ce que nous enseigne l’histoire et à ce que
nous enseigne l’étude des processus psycho-sociaux.
Je pense que comprendre mieux ce qui est de l’ordre des processus individuels et des processus collectifs nous évite
d’enfermer les gens. Parce qu’enfermer les gens, c’est provoquer du repli.
-
Intervention depuis la salle :
Est-ce que vous pourriez nous éclairer sur la différence entre le mot culture et le mot civilisation ?
-
Réponse de Bernard Bier :
En deux minutes, non, sachant, qu’au-delà des différences qui ont été faites à ce sujet à une certaine époque entre
approche française et approche germanique, il y a aussi des débats chez les anthropologues, entre courants
théoriques…
-
Intervention de Charles Conte :
Je serai moins définitif que toi quant au rejet du mot "culture", du terme même d’"identité culturelle". On a besoin d’un
mot, soit-il disponible pour plusieurs définitions possibles, il y a un phénomène collectif qui correspond à une réalité.
Même si la réalité en question est complexe, insaisissable et en perpétuel mouvement. La culture française existe,
évidemment au croisement de la langue, du territoire et de l’histoire. Il y a effectivement une culture française qui est
totalement en mouvement, -qui a une naissance, qui s’est développée, qui a bien des aspects en fonction des classes
sociales, et qui un jour disparaîtra comme toutes les cultures.
Moi, si on me dit : « Qui es-tu ? », comme au petit garçon de tout à l’heure, je répondrai : « Je suis français. ». Et ça ne
me pose aucun problème parce que dans ma définition intérieure, dans mon paysage intérieur, l’identité culturelle
française c’est un ensemble complexe dont je suis l’une des toutes minuscules facettes et un ensemble qui correspond
à une réalité.
Il y a eu toute une série d’ouvrages, l’œuvre de Jules Michelet, l’œuvre de Fernand Braudel, "Les lieux de mémoire" de
Pierre Nora, qui sont des tentatives de description tout à fait titanesques sur les aspects de cette culture. C’est vrai
qu’elle est impossible à enfermer dans un seul mot mais elle correspond quand même à un vécu, à un ressenti qui est
le mien.
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-
Réponse de Bernard Bier :
Je suis d’accord avec toi. Il m’arrive à certains moments de me dire : « Je suis français. » Mais à d’autres « Je suis
parisien. » ou « Je suis européen. ». Quand on va dans certains pays du monde, ils ne savent pas où se trouve la
France, voire ils n’en ont jamais entendu parler. Quand tu parles de Zidane, ils connaissent. Simplement, je serais plus
en difficulté pour dire ce que je mets derrière les mots. Tu citais "Les lieux de mémoire" de Pierre Nora. Il y a quand
même un certain nombre de gens qui contestent ces ouvrages par ailleurs remarquables en disant qu’ils n’ont pas
parlé des marges de la société et entre autres des immigrations. A l’instar d’un Braudel, il a parlé d’une espèce de
France centrale, sans penser qu’elle ne s’y réduisait pas. Mais tu as raison sur la critique. Je forçais le trait pour
« enfoncer le clou ». Mais ces cultures sont aussi des construits historiques évolutifs ; or, dans certains discours sur
"l’identité nationale", on essentialise, c’est ce qui me fait peur. Je serais bien incapable de dire ce qu’est la Culture
française : le camembert ? La fourme ? Le roquefort ? La langue ? …
-
Intervention depuis la salle :
Désolée, ça ne va pas être une question, en tout cas, vous pourrez réagir si vous voulez, mais vous avez surtout basé
votre propos sur la pédagogie de l’interculturel. Sur le message plutôt que sur la méthode, sachant que ce matin, ce
que j’ai perçu dans les témoignages, c’est que l’on parlait peu de message et on présentait plutôt des dispositifs,
évoqués par exemple sur les ateliers de philosophie, donc plutôt réfléchir à la relation pédagogique, considérer les
participants comme des acteurs, vers une production des participants. L’animateur est là pour proposer un cadre, un
dispositif et confronter les participants à l’autre et aux autres.
-
Réponse Bernard Bier :
Je partage totalement votre remarque. Quand je renvoyais à "l’Education non formelle" et à "L’Education informelle" et
quand j’évoquais une pédagogie non pas de l’interculturel mais interculturelle, c’est de cela qu’il s’agit : parler de…
n’est pas mettre en situation, c’est du discours, c’est ce que je suis en train de faire. Il faudrait aussi mettre en situation
dans des expériences et des expérimentations, accompagnées ou non accompagnées. Je suis entièrement d’accord.
Mais dans le peu de temps qui m’était imparti, j’ai essayé de mettre l’accent sur les sujets qui me semblaient sensibles.
Le travail sur des pratiques, des méthodes reste à faire, ce sera l’objet du prochain forum en mars 2010.
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Pour aller plus loin !
BIBLIOGRAPHIE
Proposition bibliographique d’Edwige CHIROUTER :
Professeure de philosophie à l’Université de Nantes (IUFM site du Mans), chercheur
associé au CREN (U Nantes) et à l’Université de Québec (Canada)
[email protected]
http://edwigechirouter.over-blog.com/ r
Manuels :
* Edwige Chirouter. Lire, réfléchir et débattre à l’école élémentaire. La littérature de
jeunesse pour aborder des questions philosophiques. Paris : Hachette-Education, 2007
(coll. « Pédagogie pratique »)
* François Galichet. Pratiquer la philosophie à l’école, 15 débats pour les enfants du cycle
2 au collège. Paris : Nathan, 2004
Les droits de l’enfant. 10 débats à animer au cycle 3. Paris : Belin, UNICEF « les
petits débats philo », 2006 (mallette pédagogique disponible au CRD du Mans)
* Jean-Charles Pettier, Thierry Bour, Michel Solonel. Apprendre à débattre, vie collective
et éducation civique au cycle 3. Paris : Hachette-Education, 2003 (coll. « Pédagogie
pratique»)
Albums jeunesse sur le thème de la différence, du racisme et de l’exclusion :
* Tomi Ungerer, Amis-Amies, L’école des Loisirs. 2007.
* Tomi Ungerer, Flix, Ecole des loisirs, Lutin Poche
* Tomi Ungerer, Jean de la lune, Ecole des loisirs, Lutin Poche
* Anthony Browne, Histoire à quatre voix, Ecole des loisirs, lutin poche
* Didier Jean, Zad, L’agneau qui ne voulait plus être un mouton, Syros jeunesse.
* Rascal. Coté cœur. Ecole des loisirs, Pastel
* Peter Spier. Six milliard de visages. Ecole des loisirs
* Kitty Crowther, Mon ami Jim, Ecole des loisirs, Lutin poche.
* Pili Mandelbaum, Noir comme le café, blanc comme la lune, Ecole des loisirs
* Dominique de Saint Mars et Serge Bloch, Max et Koffi sont copains, Calligram, coll. « Ainsi va la vie »
* Grégoire Solotareff, Le diable des rochers, Ecole des loisirs
* Ruth Vander Zee et Roberto Innocenti, L’étoile d’Erika, Milan jeunesse
* Didier Daeninckx, Il faut désobéir, Rue du monde
Documentaires et petits manuels de philosophie avec les enfants
* Le grand livre contre le racisme, Rue du monde.
* Le racisme, de la traite des noirs à nos jours, Autrement jeunesse
* Garçon et filles : tous égaux, Les essentiels Milan junior
* Savoir faire face au racisme, Les essentiels Milan junior
* Brigitte Labbé et Michel Puech, La justice et l’injustice, Milan, coll. « Les Gouters philo »,
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Proposition bibliographique de Bernard BIER
Chargé d’études et de recherche à l’INJEP
Chargé de cours en sociologie à l’Université Catholique de l’Ouest (UCO) d’Angers et à
l’Université Paris 12-Créteil
- Publications en lien avec le sujet :
Jeunes, racisme et construction identitaire (avec Joëlle Bordet), 2009, Cahiers de
l’action INJEP.
Culture, cultures : quelle(s) pédagogie(s) de l’interculturel ? (avec Clélia Fournier).
2009, Cahier de l’action, INJEP
Politiques de jeunesse et politiques éducatives. Citoyenneté, éducation, altérité,
coll. Débats Jeunesse, L’Harmattan (à paraître 1er trimestre 2010).
- Articles :
« Accompagnement éducatif, migrations et identités culturelles » (intervention Metz
31 janvier 2007 dans le cadre d’un Forum organisé par l’IRTS « Construire ensemble
l’accueil des jeunes primo-arrivants »)
« La « politique de reconnaissance » comme catégorie d’analyse de l’action
publique en direction des jeunes », in Pensée plurielle, avril 2007.
« De la disqualification à la reconnaissance » in Familles et institutions : cultures,
identités et imaginaires (sous la direction de Stéphane Tessier), 2009, ERES
Proposition bibliographique de Christian Saint Sernin
Ancien Directeur de la Caisse d’Allocations familiales de Nevers. Membre de « Démocratie et Spiritualité ».
- « Qu’est-ce que la justice sociale, reconnaissance et redistribution » de Nancy
FRASER, Editions de la Découverte Paris 2005
- « La lutte pour la reconnaissance » de Axel HONNETH Editions le Cerf
- « La société du mépris : vers une nouvelle théorie critique » de AXEL HONNETH
Editions de la Découverte
- « Parcours de la Reconnaissance » de Paul RICOEUR Editions Folio
- « La quête de la reconnaissance : Nouveau phénomène social total » de Alain
CAILLE -Editions de la Découverte
- « Les sources du moi » de Charles TAYLOR Editions PUF
- « L’invention de soi : une théorie de l’identité » de Jean-Claude KAUFMANN Ed.
Hachette
- Extrait du rapport du Conseil Technique de la Prévention Spécialisée, commission
« Diversité culturelle ». Septembre 2009.
- 2 Articles « Engagements publics et citoyennetés » de Jacques ION
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Des documents disponibles sur internet
- « Accompagnement éducatif, migrations et identités culturelles », intervention de
Bernard BIER au forum de l’IRTS de Metz le 31 janvier 2007 « construire ensemble
l’accueil des jeunes primo-arrivants »
http://www.injep.fr/IMG/pdf/identite_s_culturelles1.pdf
-« La prévention spécialisée à l’heure de la diversité culturelle ; état des lieux,
questionnements, initiatives, projets innovants en matière de développement social
communautaire » – rapport du Conseil Technique des clubs et équipes de prévention
spécialisée - Septembre 2009. Disponible sur www.cnlaps.fr
- « Enfants de migrants : crise, rupture et médiations en milieu scolaire » par Hamid
SALMI, psychologue, psychothérapeute, formateur en ethnopsychiatrie.
Disponible sur : http://www.cairn.info/article.php?ID REVUE=EMPA&ID
NUMPUBLIE=EMPA 063&ID ARTICLE=EMPA 063 0128
- « La République, son école et « ses » enfants de migrant-e-s. Liberté, Egalité,
Fraternité…réalités » par Yves TRONCHE, directeur pédagogique du centre de guidance
infantile de Toulouse
Disponible sur : http://www.cairn.info/article.php?ID REVUE=EMPA&ID
NUMPUBLIE=EMPA 063&ID ARTICLE=EMPA 063 0021
- « Jeunes, racisme et construction identitaire » par Bernard BIER et Joëlle BORDET
www.injep.fr
- « Les pratiques éducatives à l’épreuve de la diversité culturelle- prévention
spécialisée » UNASEA 13 et 14 octobre 2008
- « Développement social local - Travail social communautaire » Chantier piloté par José
Dhers.
Objectifs généraux :
• réussir à produire une conception partagée et opératoire du travail avec les personnes
et leurs communautés dans une perspective de renforcement de leurs capacités et de
leur autonomie « empowerment »
• Construire et faire connaître une offre « ressource » renouvelant l’éducation populaire à
travers un espace de professionnalité partagée sous forme d’une recherche-action à
destination notamment des professionnels (particulièrement ceux du développement local
et ceux du travail social)
• Réussir à diffuser cette production auprès des collectivités territoriales, des organismes
de formation et de faire évoluer les politiques publiques dans ce sens.
http://www.irdsu.net/-developpement-social-local-travail- Le développement communautaire est le processus par lequel des membres d’une
communauté s’investissent ensemble pour améliorer des situations qu’ils considèrent
insatisfaisantes.
http:/www.asmae.fr/ ?q=Nos actions/domaines-intervention/Communautaire
- Interagir, communiquer, transmettre, développer, accompagner sont les mots cardinaux
du travail social, de l’action judiciaire (particulièrement pour la jeunesse), de la santé, de
l’éducation. Mais trop souvent ces nobles desseins se heurtent à une
« incompréhension », une « incapacité » projetées sur les usagers, les enfermant dans
un statut qui ignore les innovations et la dynamique de l’acculturation que le seul passage
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au travers des âges engendre déjà.
http://dautresregards.free.fr/
- « La téci » : lieu de confinement pour une jeunesse en attente de socialisation Mémoire rédigé par Tahar Bouhouia (éducateur en prévention spécialisée) 2001-2002.
http://www.cedrea.net
Les contacts utiles :
- Association les Petits Débrouillards Pays de Loire –Antenne Sarthe
Tél. : 02 43 85 47 56
http://www.lespetitsdebrouillards-paysdelaloire.org courriel : [email protected]
- FRANCAS - Antenne Sarthe
Tél. : 02 43 24 05 10
http://www.francaspaysdelaloire.fr
-
courriel : [email protected]
- CEMEA - Antenne Sarthe
Tél. 02 43 82 73 08
http://www.cemea-pdll.org
courriel : [email protected]
Recherches bibliographique ou documentation :
- Annick Joseph - La Ligue de l'enseignement / FAL 72, Tél. direct : 02 43 39 27 29
Courriel : [email protected]
-
Site : http://www.fal72.fr
- Laurent Bihel - Mission DSU Ville du Mans, Courriel : [email protected]
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SOMMAIRE
page 4
Introduction par Jean-Luc JOUVIN, Président de La Ligue de l'enseignement / FAL 72
page 5
Atelier « Philosophie en classe » par Edwige CHIROUTER, Professeure de philosophie
Université de Nantes - IUFM des Pays de la Loire.
page 13
« Atelier scientifique : Chemin des préjugés » par Suzanne EMERY de l’association
« Les Petits Débrouillards » antenne Sarthe.
page 17
« Mixité, relations Filles/Garçons dans le sport », atelier présenté par Steven LEDRU
des CEMEA Pays de la Loire.
page 25
« Le citoyen et la souveraineté du peuple, les évolutions depuis la Révolution
Française »
Intervention de Charles CONTE, chargé de mission « Etudes et recherches LaïcitéEgalité-Diversité » à la Ligue de l'Enseignement.
page 36
« Une reconnaissance pour quoi : réalisation de soi, reconnaissance de l'autre,
reconnaissance des autres ? »
Intervention de Christian SAINT-SERNIN, retraité. Ancien Directeur de la C.A.F. de
Nevers. Membre de « démocratie et spiritualité ».
page 41
« Pédagogies de l’interculturel ou pédagogies de l’altérité ? »
Intervention de Bernard BIER, chargé d’études à la Mission Observation Evaluation
(MOE) de l’INJEP (Institut National de la Jeunesse et de l’Education Populaire).
page 51
« Pour aller plus loin ! » Bibliographie
Pour plus d’information concernant les intervenants
Contact : Annick JOSEPH, la Ligue de l'enseignement / FAL 72
Tél. : 02 43 39 27 27 - Courriel : [email protected]
Rédaction et mise en page : Nathalie BEAUCHARD et Claude ROQUET, membres du
Collectif d'Education à la Citoyenneté et à la Diversité 72
Actes du Forum "Laïcité - Diversité" - « Reconnaissance de l’autre : pour une nouvelle pédagogie de la citoyenneté ? »
Du 2 décembre 2009 au Mans - organisé par le Collectif d'Education à la Citoyenneté et à la Diversité 72
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