Pour comprendre cette évolution, nous avons besoin de plonger dans l’histoire de notre aire culturelle
car les comportements sociaux et politiques actuels sont à la croisée de phénomènes universels,
véhiculés par la modernité occidentale et la mondialisation, et du fond culturel arabe et musulman.
La réflexion sur le projet d’équipe que nous avons menée en 2009 a abouti à nous intéresser à la
transition en cours dans les villes du monde arabe et musulman, liée pour l’époque contemporaine
aux effets de la mondialisation, mais avec comme référence les mutations qui se sont déjà produites
depuis la conquête musulmane. Les mutations furent progressives et non pas radicales comme on a
pu le penser : la ville islamique ne s’est pas imposée ou juxtaposée à la ville byzantine ou sassanide,
mais a repris les matériaux et l’espace existants. A l’époque abbasside, le développement de la
civilisation urbaine dans l’espace ouvert de l’empire musulman n’est pas sans rappeler les processus
urbains actuels liés à la mondialisation. La connaissance de l’épaisseur culturelle nous apporte une
valeur ajoutée pour interpréter les évolutions de l’espace urbain dans le monde arabe et musulman
contemporain.
« L’insurrection verte » iranienne et le « printemps arabe » ont donné une nouvelle impulsion à notre
programme de recherche. Il existe une relation évidente entre l’urbanisation, les changements sociaux
et le refus de l’autoritarisme. Ce long processus s’exprime aujourd’hui par des révoltes et révolutions
qu’il nous faut étudier à travers l’espace au sens large.
1.2. Les trois axes du projet scientifique
Depuis les premiers regroupements humains au néolithique, la ville s’est progressivement imposée
comme le mode de vie de la majorité de l’humanité. En 2005, et pour la première fois dans l'histoire
de celle-ci, la ville était le mode de vie de plus de la moitié de la population de la planète et le
phénomène va encore progresser au XXIème siècle. On estime que la population urbaine en Chine et
en Inde va passer de 25 % à 75 % d’urbains durant ce siècle, provoquant les plus gigantesques
migrations de l’histoire. Dans le monde arabe et musulman, la population est urbanisée à plus de
75% ; dans des pays comme Qatar ou Koweït, c’est même le cas de la quasi-totalité de la population.
Le clivage urbain/rural a disparu par l’intégration des campagnes dans des espaces polarisés par les
villes. Le rural « profond » est de plus en plus marginal. Il demeure dans les espaces périphériques :
les montagnes du pourtour méditerranéen, le Yémen, les steppes syriennes, mais l’essentiel de la
population « rurale » réside aujourd’hui dans des régions urbaines ou périurbaines au sens large.
De l’Atlantique à l’Océan Indien en passant par le Golfe, cette région est donc un important laboratoire
pour l’étude du phénomène urbain dans une perspective transdisciplinaire. Les premières villes de
l’histoire y sont apparues, les cités antiques s’y sont développées, l’islam a fait de la ville le lieu
d’épanouissement de sa civilisation ; la modernisation européenne a transformé ces villes
« orientales » sur le plan urbanistique, mais elles ont conservé leur mode de fonctionnement hérité. La
mondialisation s’appuie sur des métropoles puissantes, capables d’intégrer les territoires dans
l’espace économique mondialisé, réceptacles de marchandises, de flux, d’hommes et d’informations.
Ces métropoles fonctionnent comme des hubs, des territoires à part, qui possèdent un territoire qui
n’est pas forcément contigu. Ces nouvelles formes d’organisation territoriale et urbaine s’opposent à
celles qui ont prévalu dans le cadre étatique précédent. On peut néanmoins se demander jusqu'à quel
point elles diffèrent fondamentalement des formes urbaines qui ont dominé sous l’Empire ottoman, et
même durant l’islam classique.
Si l’urbanisation et la métropolisation sont des phénomènes concomitants à la mondialisation, les
formes qu'elles prennent ne sont pas identiques dans toutes les régions du monde. La connaissance
de l’histoire, des sociétés et des cultures est indispensable pour comprendre les spécificités du
développement urbain passé et actuel. Le but de ce programme de recherche est de comprendre la
façon dont les villes et les sociétés urbaines évoluent et se transforment en référence aux processus
mondialisés et aux spécificités de l’aire culturelle arabe et musulmane. Interroger le passé pour mieux
comprendre le présent et croiser les disciplines pour explorer toutes les dimensions du monde urbain,
tels sont les objectifs méthodologiques de ce programme qui s’articule autour de trois axes :
- « villes et fondations », animé par Sylvia Chiffoleau, Saba Farès, Alexandrine Guérin, Marie-
Odile Rousset et Katia Zakharia.
- « villes et mobilisations », animé par Chérif Ferjani, Jean-François Legrain, Daniel Meier, Ali
Sheiban, Christian Velud.