du maghreb au moyen-orient : villes et sociétés en mutation

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DU MAGHREB AU MOYEN-ORIENT : VILLES ET SOCIÉTÉS EN MUTATION
1.1. La genèse du projet scientifique
Les processus mondiaux ne s’appliquent pas sur l’ensemble de la planète avec la même constance et
les mêmes conséquences car les aires culturelles les absorbent différemment. C’est tout l’intérêt
d’une recherche sur le monde arabe et musulman, comme sur l’Afrique subsaharienne ou l’aire
confucianiste. D’ailleurs, il est à noter qu’il existe en Asie orientale des laboratoires sur les mondes
européens. Cependant, travailler sur une aire culturelle ne signifie pas qu’il faille se couper des autres
mondes et n’étudier les processus universels qu’à travers son prisme géographique.
L’intérêt d’un laboratoire comme le GREMMO est d’être en contact avec des laboratoires spécialisés
sur des thématiques et d’autres aires culturelles avec lesquels nous pouvons collaborer. Le GREMMO
est membre depuis sa création de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée, qui nous donne une
profondeur historique et la valeur ajoutée de la pluridisciplinarité. Lors du précédent quadriennal, nous
avons contribué à la création de l’ISERL (Institut Supérieur d’Étude des Religions et de la Laïcité), ce
qui nous ouvre sur d’autres aires culturelles à travers le religieux. En 2010, nous avons participé avec
une quinzaine de laboratoires du PRES de Lyon à la création de l’Institut des Mondes Urbains, qui a
obtenu le statut de Labex au printemps 2011. Notre intérêt pour l’IMU est dans la continuité de notre
politique d’ouverture thématique avec comme point de fixation « La ville » dans le monde arabe et
musulman. L’acuité de cette question n’échappe à personne, tant du point de vue des défis urbains
techniques que des enjeux sociaux et politiques, comme les révoltes de 2011 l’ont prouvée.
Le monde arabe et musulman a connu une mutation urbaine sans précédent dans le monde puisqu’il
est passé de 25 % de citadins en 1950 à plus de 75 % aujourd’hui. Cette urbanisation conduit à une
déstabilisation complète de la société et des pouvoirs politiques, qui n’est d’ailleurs pas sans rapport
avec le « Printemps arabe » de 2011 et « l’insurrection verte » iranienne de 2009, car l’autoritarisme
politique qui caractérise la plupart des régimes arabes n’est plus accepté par les nouvelles
générations de citadins (et de ruraux). La ville n’est pas un nouvel objet d’étude dans cette aire
culturelle, la littérature scientifique sur la ville arabo-musulmane est abondante, notre laboratoire a
d’ailleurs contribué à sa connaissance par de nombreuses publications. L’étude du patrimoine, sa
valorisation et son intégration dans le nouveau tissu urbain constitue toujours l’un des thèmes de
recherche du GREMMO au sein de la MOM et de l’IMU. Mais notre but aujourd’hui et pour le futur est
surtout d’étudier l’urbain en relation avec les mouvements sociaux et l'actuelle étape de la
mondialisation. C’est à travers l’urbain que nous pouvons comprendre concrètement les mutations
sociales, politiques et culturelles actuelles.
Le monde arabe et musulman connaît un processus historique comparable à ce qui s’est produit en
Amérique latine avec la fin des dictatures et en Europe de l’Est, après la chute des régimes
communistes. Nous sommes, pour l’instant, face à des révoltes, mais qui sont riches de potentialités.
Il est hautement probable que les régimes vont changer, et finir par libérer le potentiel de
développement bridé par l’autoritarisme et la trop forte dépendance à la rente pétrolière, directe ou
indirecte en fonction des pays. D’aucuns émettent l'hypothèse que nous entrons dans « la décennie
perdue » sur le plan de la croissance économique, car les changements politiques causent une
instabilité qui ralentit les affaires et fait fuir les investisseurs. Cependant, une fois que les institutions
démocratiques fonctionneront, comme en augurent de nombreux indices, nous pouvons espérer que
cette région connaisse un développement comparable à celui de l’Amérique latine et de l’Europe de
l’Est. Les progrès en matière de développement humain effectués durant les dernières décennies
constituent une base solide pour cette issue positive, ce qui n’est pas le cas de l’Afrique
subsaharienne.
Pour comprendre cette évolution, nous avons besoin de plonger dans l’histoire de notre aire culturelle
car les comportements sociaux et politiques actuels sont à la croisée de phénomènes universels,
véhiculés par la modernité occidentale et la mondialisation, et du fond culturel arabe et musulman.
La réflexion sur le projet d’équipe que nous avons menée en 2009 a abouti à nous intéresser à la
transition en cours dans les villes du monde arabe et musulman, liée pour l’époque contemporaine
aux effets de la mondialisation, mais avec comme référence les mutations qui se sont déjà produites
depuis la conquête musulmane. Les mutations furent progressives et non pas radicales comme on a
pu le penser : la ville islamique ne s’est pas imposée ou juxtaposée à la ville byzantine ou sassanide,
mais a repris les matériaux et l’espace existants. A l’époque abbasside, le développement de la
civilisation urbaine dans l’espace ouvert de l’empire musulman n’est pas sans rappeler les processus
urbains actuels liés à la mondialisation. La connaissance de l’épaisseur culturelle nous apporte une
valeur ajoutée pour interpréter les évolutions de l’espace urbain dans le monde arabe et musulman
contemporain.
« L’insurrection verte » iranienne et le « printemps arabe » ont donné une nouvelle impulsion à notre
programme de recherche. Il existe une relation évidente entre l’urbanisation, les changements sociaux
et le refus de l’autoritarisme. Ce long processus s’exprime aujourd’hui par des révoltes et révolutions
qu’il nous faut étudier à travers l’espace au sens large.
1.2. Les trois axes du projet scientifique
Depuis les premiers regroupements humains au néolithique, la ville s’est progressivement imposée
comme le mode de vie de la majorité de l’humanité. En 2005, et pour la première fois dans l'histoire
de celle-ci, la ville était le mode de vie de plus de la moitié de la population de la planète et le
ème
phénomène va encore progresser au XXI
siècle. On estime que la population urbaine en Chine et
en Inde va passer de 25 % à 75 % d’urbains durant ce siècle, provoquant les plus gigantesques
migrations de l’histoire. Dans le monde arabe et musulman, la population est urbanisée à plus de
75% ; dans des pays comme Qatar ou Koweït, c’est même le cas de la quasi-totalité de la population.
Le clivage urbain/rural a disparu par l’intégration des campagnes dans des espaces polarisés par les
villes. Le rural « profond » est de plus en plus marginal. Il demeure dans les espaces périphériques :
les montagnes du pourtour méditerranéen, le Yémen, les steppes syriennes, mais l’essentiel de la
population « rurale » réside aujourd’hui dans des régions urbaines ou périurbaines au sens large.
De l’Atlantique à l’Océan Indien en passant par le Golfe, cette région est donc un important laboratoire
pour l’étude du phénomène urbain dans une perspective transdisciplinaire. Les premières villes de
l’histoire y sont apparues, les cités antiques s’y sont développées, l’islam a fait de la ville le lieu
d’épanouissement de sa civilisation ; la modernisation européenne a transformé ces villes
« orientales » sur le plan urbanistique, mais elles ont conservé leur mode de fonctionnement hérité. La
mondialisation s’appuie sur des métropoles puissantes, capables d’intégrer les territoires dans
l’espace économique mondialisé, réceptacles de marchandises, de flux, d’hommes et d’informations.
Ces métropoles fonctionnent comme des hubs, des territoires à part, qui possèdent un territoire qui
n’est pas forcément contigu. Ces nouvelles formes d’organisation territoriale et urbaine s’opposent à
celles qui ont prévalu dans le cadre étatique précédent. On peut néanmoins se demander jusqu'à quel
point elles diffèrent fondamentalement des formes urbaines qui ont dominé sous l’Empire ottoman, et
même durant l’islam classique.
Si l’urbanisation et la métropolisation sont des phénomènes concomitants à la mondialisation, les
formes qu'elles prennent ne sont pas identiques dans toutes les régions du monde. La connaissance
de l’histoire, des sociétés et des cultures est indispensable pour comprendre les spécificités du
développement urbain passé et actuel. Le but de ce programme de recherche est de comprendre la
façon dont les villes et les sociétés urbaines évoluent et se transforment en référence aux processus
mondialisés et aux spécificités de l’aire culturelle arabe et musulmane. Interroger le passé pour mieux
comprendre le présent et croiser les disciplines pour explorer toutes les dimensions du monde urbain,
tels sont les objectifs méthodologiques de ce programme qui s’articule autour de trois axes :
-
« villes et fondations », animé par Sylvia Chiffoleau, Saba Farès, Alexandrine Guérin, MarieOdile Rousset et Katia Zakharia.
-
« villes et mobilisations », animé par Chérif Ferjani, Jean-François Legrain, Daniel Meier, Ali
Sheiban, Christian Velud.
-
« villes et mondialisation », animé par Fabrice Balanche, Karine Bennafla, Thierry Boissière,
Jean-Claude David, Yves Gonzalez, Marc Lavergne, France Métral, Cyril Roussel et Salah
Trabelsi.
Les thèmes des chercheurs peuvent être sécants à plusieurs axes mais, pour plus de lisibilité, nous
les avons inscrits dans l’axe où ils étaient le plus investis.
1.2.1.
Villes et fondations
L’objectif de cet axe est de comprendre les conditions de la fondation réelle, supposée et imaginaire
des villes, ainsi que leur morphologie, leur extension et leur évolution, depuis les débuts de l'époque
islamique. A l’heure de la refondation urbaine induite par la modernisation et la mondialisation, il
convient également de s’interroger sur les permanences culturelles constitutives de ces villes. Ce
programme de recherche abordera ces questionnements par des approches disciplinaires
complémentaires, rassemblant des spécialistes de l'écrit et des vestiges matériels.
Le thème de la fondation mythique, réelle ou imaginaire, des villes n'a que très rarement été abordé.
Le corpus des textes littéraires, des relations des chroniqueurs, géographes et historiens médiévaux
est d'une grande richesse et n'a encore que peu été exploité pour l'étude de cette question.
L'épigraphie permet d'appréhender la dimension antéislamique de la conception des mondes urbains
par les populations nomades. Ce matériau, confronté à l'observation des sociétés contemporaines qui
évoluent dans le même environnement, nourrira la réflexion comparative, dans une démarche
d'ethnoarchéologie.
L'étude de la morphologie de la ville, de l'évolution du tissu urbain, de sa transformation et de son
adaptation d'une période à l'autre sera envisagée à partir de l'analyse architecturale et archéologique
d'exemples concrets. L'un des objectifs principaux est d’analyser l'impact de la conquête arabomusulmane sur le paysage architectural, les systèmes défensifs, les activités industrielles, l'habitat, la
culture matérielle, etc. par une étude diachronique de l'urbanisme et des composantes urbaines.
1.2.1.1. Fondation mythique des villes (selon les auteurs du monde arabo-musulman
médiéval)
Cette recherche s'inscrit dans le volet "fondations mythiques" et de manière plus générale autour de la
représentation textuelle des villes ou des espaces urbains par opposition aux espaces décrits comme
naturels (qu'ils soient "apprivoisés" ou sauvages). Ce volet s'insère dans les thèmes de recherche du
GREMMO et du Labex IMU (Intelligence des Mondes Urbains). Le travail principal consiste à publier
une étude sur le traitement dans le Dictionnaire des pays (Mu'jam al-Buldân) de Yâqût (mort ca. 1229)
des récits des mythes fondateurs des villes dans le monde qui est le sien.
Le dictionnaire géographique de Yâqût (m. 626/1229) est l'un des ouvrages les plus célèbres dans
son domaine. À partir d'un dépouillement systématique des notices qu'il propose, un descriptif des
mythes de fondation des villes mentionnées sera établi. Il sera analysé et les références religieuses
qu'il met en jeu seront mises en lumière et commentées, notamment dans leurs ramifications
lointaines et, le cas échéant, non islamiques. L'ouvrage de Yâqût étant un texte charnière, seront
ensuite étudiées les occurrences des mêmes récits dans les principaux ouvrages antérieurs et leur
persistance dans les ouvrages postérieurs. Il s’agit d’un travail dont il convient d'indiquer dès à
présent qu'il ne pourra être réalisé que grâce à l'apport précieux des bibliothèques virtuelles. Ainsi,
seront mises en lumière la vie de ces récits mythiques et leurs transformations à travers les siècles.
Les liens de ces changements avec les grands courants idéologiques marquant les différentes
périodes concernées seront étudiés. Ce travail permettra d'esquisser, dans sa phase finale, une
typologie des récits islamiques en langue arabe des mythes de fondation des villes et de la mettre en
relation avec les récits de même type dans d'autres espaces culturels.
1.2.1.2. Les origines de la ville islamique
Ce thème de recherche étudie la représentation de la ville par les nomades, à l'époque antique et
aujourd'hui.
1.2.1.2.1.
Fabrication des identités urbaines
Le gouvernement jordanien mise depuis 1996 sur le Wadi Ramm pour développer son tourisme,
première ressource économique du pays. La population, résidant encore en grande majorité dans le
désert, s'est installée dans le village en peu de temps pour profiter de la manne apportée par le
tourisme. Ce mode de vie a exposé la population à un nouveau modèle de société, celui des
représentants de l'État, citadins et celui des touristes occidentaux. Exclus au départ du débat par les
représentants locaux du gouvernement, ces nomades sédentarisés y ont été progressivement
impliqués grâce à une mobilisation de type tribal. Ils participent ainsi au développement urbain de
Ramm : construction des maisons fixes (habitat « immobile »), mise en place d'un réseau de
transport, accès aux informations (télévision, journaux) et aux communications (téléphones fixe et
cellulaire). Les habitants de Ramm ont ainsi adopté le mode de vie « sédentaire », mais sans
abandonner pour autant l'habitat traditionnel mobile (la tente : chaque maison contient, dans sa cour,
une tente). De plus, ils s'approprient l'espace urbain selon le mode de vie nomade : chaque quartier
est occupé par une famille, mais la ville est elle-même occupée par les membres d'une même tribu ou
par des familles qui ont demandé protection à la tribu dominante. Ce mode de vie contribue à
maintenir l'identité nomade dans un espace urbain dans lequel ses habitants sont appelés à vivre et
au développement duquel ils participent. Mais, en retour, ce mode de vie urbain influence celui des
nomades. Les deux modes s’entremêlent et la culture urbaine prend inévitablement le pas sur celle
des nomades. Afin d’éviter une désintégration totale de l’identité nomade, les parents veillent à
amener leurs enfants dans le désert, à ce qu’ils y séjournent, et à ce qu’ils y apprennent la vie du
désert. On observe ce phénomène dans d’autres villes de la péninsule arabique comme Riyadh. Si le
mode de vie sédentaire y a pris le pas sur la vie nomade, pourtant les anciens nomades y conservent
les symboles du mode de vie de leurs ancêtres en organisant les quartiers par familles, et en allant, à
la fin de la semaine, dans le désert (sous une tente climatisée !) où ils pratiquent la chasse.
1.2.1.2.2.
Sédentarisation et extension
La création des villes (zone bâtie et planifiée) dans les régions côtières du Golfe arabo-persique est
e
e
relativement récente particulièrement dans l’émirat du Qatar (fin XVIII siècle - début XIX siècle) et le
plus souvent sous influence extérieure (monde occidental, colonie et protectorat britanniques). Région
constituée de déserts en contact avec la mer, le Qatar révèle, après des investigations de terrain, une
série d’implantations datées de la période abbasside et plus spécifiquement une occupation restreinte
e
au seul IX siècle.
La notion traditionnelle même de « ville » est à reconsidérer dans ce contexte particulier de population
sédentarisée ou en cours de sédentarisation : les structures bâties sont implantées dans des zones
vierges de toutes occupations antérieures et la durée d’occupation ne dépasse pas le siècle. Aucune
réoccupation postérieure n’est à signaler. L’organisation des maisons, des mosquées, des forteresses
et des caravansérails répartis dans une zone de 20 x 20 km en 6 sites bien définis montre une
maîtrise de l’occupation des terroirs indispensables à la survie tant physique qu’économique des
populations sédentarisées. C’est dans ce contexte particulier de territoire binaire - désert et mer – que
l’ensemble des zones bâties sont indissociables et forment un ensemble socio-économique cohérent :
espace domestique, monument religieux, centre du pouvoir, zone de commerce et d’échange.
Ce territoire binaire doit s'expertiser en prenant en compte le substrat géographique déterminant dans
l’implantation humaine de ces régions : le phénomène saisonnier (été/hiver), impliquant des phases
de nomadisation et de sédentarisation ainsi qu’une intendance des ressources alternant pâturage,
pêche et commerce.
L’étude des « villes du Golfe » dans le cas du Qatar est à considérer dans la perspective d’une
extension en satellite des territoires bâtis et donc en lien avec ses territoires socio-économiques, lien
d’inter-indépendance et de complémentarité. Le croisement des sources historiques écrites avec des
données archéologiques (prospection, fouille, typochronologies céramique et architecture) et la
comparaison avec le monde moderne et contemporain (ethnoarchéologie) seront les outils employés
lors de cette recherche que mène la Mission Archéologique Française au Qatar (MAFQa/MAEE).
L’ensemble de ces résultats participe activement au programme de conservation et de mise en valeur
du patrimoine au sein de la création de la galerie archéologique du futur Musée National de Doha.
1.2.1.2.3.
Composantes urbaines : l'exemple de Qinnasrin
La mission archéologique franco-syrienne de Qinnasrin étudie les formes urbaines au Moyen-Orient
au début de l’époque islamique. L’un des buts du travail archéologique à Qinnasrin est d’étudier
e
e
l’évolution morphologique d’une ville de Syrie du Nord à l’époque islamique (VII -XII s.). Les
modalités de l’intégration des constructions antérieures, depuis l’époque hellénistique, la
réorganisation du système défensif, le développement des quartiers artisanaux et résidentiels sont au
cœur de cette recherche. Pour définir comment la ville antique a évolué au cours de la période
islamique, l’étude de l’urbanisme de Qinnasrin est effectuée par l’analyse simultanée des données
des textes, des prospections géophysiques, des photographies aériennes, des prospections et des
fouilles. La mission est conduite en collaboration avec la Direction Générale des Antiquités et Musées
de Syrie. Elle est financée par la fondation Max van Berchem et la Commission des fouilles et
recherches archéologiques du Ministère des Affaires Étrangères et Européennes.
Au cours des prochaines années, le programme insistera plus particulièrement sur deux types
d’implantations du début de l’époque islamique et leur rôle dans l'évolution du tissu urbain.
- La présence d'un édifice balnéaire, richement décoré, dans un quartier à l'extérieur de
l'enceinte urbaine, pose la question de la nature de l'occupation dans ce secteur au moment de la
transition Byzance / Islam et d'un changement d'affectation, d'industrielle à résidentielle.
- Le sommet de la montagne pourrait correspondre au lieu d’installation des premiers
musulmans dans la région. L’occupation de cette zone à l’écart de la ville byzantine, dans une position
dominante, est tout à fait comparable au dispositif adopté à Fustat, en Égypte, avec le quartier d’Istabl
Antar dominant l’ancienne cité de Babylone. La forteresse de Qinnasrin pourrait également s’inscrire
dans le mouvement de construction des places fortes (thughurs) dans la zone au contact avec
l’empire byzantin, sous Haroun al-Rashid. Il s'agit de l'un des très rares plus anciens exemples de
e
forteresse des débuts de l’époque islamique, jamais réoccupée après le X siècle.
1.2.2.
Villes et mobilisations
Cet axe cherchera à identifier les tensions entre les processus de sécularisation et ceux de
remobilisation du religieux dans des phénomènes sociaux, politiques et culturels relevant de la vie
urbaine : les partis politiques, les ONG, les syndicats, les mouvements de jeunes, les mouvements
féministes, la production juridique, la création artistique (architecture, peinture, cinéma, théâtre,
médias, littératures), pour y déceler la part de sécularisation et d’opposition aux traditions religieuses
et la part de sollicitation de ces traditions en les réifiant ou en les réinventant.
1.2.2.1. Les transformations politiques
Le « printemps arabe » influence bien sûr fortement le contenu de cet axe car le changement politique
se concrétise désormais.
1.2.2.1.1.
Le binôme modernité/tradition
Une première approche consiste à nous interroger sur le binôme Modernité/Tradition, élément
incontournable du discours savant sur le monde social, qui pourrait être considéré comme la matrice
du discours social des 15 dernières années. Or, indépendamment de l'objet de notre recherche qui
s'articule dans un premier temps autour de l'évolution des thématiques des discours intellectuels, la
relation entre ville et modernité, ville et mobilisations politiques et religieuses est étroite. Si le vocable
intellectuel au sens général ne peut être exclusivement conçu comme vocable « urbain », par contre
une certaine « fonction intellectuelle » est intimement liée à la ville et au développement urbain. C'est
cette fonction que nous visons dans l'analyse du champ intellectuel. L'époque moderne inscrit la
« fonction intellectuelle » dans une sphère d'activité relativement autonome, ou du moins tendant vers
l'autonomie. L'évolution du champ de la philosophie et des sciences sociales, de ses clivages, de sa
structure et de ses thématiques, est fortement imprégnée des logiques politiques et/ou religieuses. Ce
qui met ce champ d'activité très souvent au cœur de la mobilisation politique et des mouvements
collectifs.
1.2.2.1.2.
La mobilisation politique en Palestine
Le GREMMO a toujours accordé une grande importance à la Palestine dans ses travaux de
recherche. Outre l’intérêt particulier de la question palestinienne, toutes ses répercussions dans le
monde arabe et musulman nous intéressent.
Dans la lignée de deux des précédentes recherches de Jean François Legrain, (Les Palestines du
quotidien. Les élections de l’autonomie (janvier 1996), Beyrouth, Centre d’Études et de Recherches
sur le Moyen-Orient Contemporain (CERMOC), 1999, 452 p. et « La ville dans la tête » : Bethléem
1996-2006, Lyon, site du GREMMO/Maison de l’Orient et de la Méditerranée, 2006, 264 p.), nous
nous proposons de continuer à interroger les métamorphoses de la mobilisation politique en Palestine
dans ses rapports avec l’espace et l’idéologie. La mise en œuvre de l’analyse factorielle de
correspondances dans le traitement des scrutins législatifs de 1996 et 2006 et municipaux de 2005 a
permis de mettre au jour le passage d’un mode de mobilisation « traditionnel », basé sur les liens du
sang élargis au localisme, à la mobilisation d’un « électorat rationnel », au sens politiste du terme. A
l’encontre des représentations habituelles, cependant, ce passage a été effectué par les électeurs
islamistes plus que par les électeurs nationalistes. Il s’agira donc, à l’occasion des prochaines
élections législatives et municipales, de voir si l’expérience du pouvoir islamiste a, d’une part, conduit
l’électorat nationaliste à adopter, lui aussi, un mode de mobilisation partisan et, d’autre part, conforté
l’électorat islamiste dans son fonctionnement habituellement qualifié de « moderne ».
1.2.2.2. Les mobilisations religieuses : une problématique sécante entre le GREMMO, l’IMU
et l’ISERL
Quelles que soient les villes et les religions, nous trouvons des liens très anciens et étroits, qui
perdurent jusqu’à nos jours, entre sacré et espace urbain. Les mythes fondateurs des villes attestent
l’importance de ces liens : association d’une ville à une figure divine, attribution de l’origine, du choix
du site, voire du plan, à une volonté divine ou à un personnage religieux élevé au rang de « saint
patron de la ville » qui veille sur sa destinée. La structuration de l’espace urbain autour de fonctions
religieuses considérées comme vitales pour la vie en cité, n’est pas étrangère aux liens historiques
entre villes et religions. L’évolution moderne des logiques et des formes urbaines marque une certaine
sécularisation qui semble se détacher des préoccupations religieuses. Cependant, le religieux
continue à peser sur ces logiques, que ce soit en inspirant l’architecture et la place des monuments
qui symbolisent ce détachement, ou en continuant à y occuper une place importante.
La participation du GREMMO à l'Institut Supérieur d'Étude des Religions et de la Laïcité qui a été
fondé en décembre. 2009 par les Universités Lumière - Lyon 2 et Jean Moulin –Lyon 3 contribue à
nourrir cet axe selon deux directions principales.
1.2.2.2.1.
Les effets de la mondialisation sur l’évolution des représentations, des
pratiques et des formes de régulation religieuses
Il s'agit du prolongement d’un programme de recherche coordonné de juin 2008 à janvier 2010 par
Chérif Ferjani, concernant les effets de la mondialisation sur l’évolution des représentations, des
pratiques et des formes de régulation religieuses dans le Grand Lyon. Ce programme mobilise la
collaboration de trois équipes de recherche de l’Université Lumière-Lyon2 : le GREMMO, le CREA,
(Centre de Recherches et d’Études Anthropologiques) EA 3081 et RESEA (Religions, Sociétés et
Acculturation) de l’UMR 5190 – LARHRA (Laboratoire de Recherches Historiques Rhône-Alpes).
Nous comptons élargir ce programme à d’autres terrains relevant de l’espace euro-méditerranéen
pour saisir au niveau global les évolutions observées à l’échelle locale et asseoir les études
comparatives sur des études de proximité.
Ce projet vise à apporter une contribution qui ne part pas d’une approche théorique globale
s’inscrivant dans un champ disciplinaire particulier, mais d’études concrètes des effets concrets de la
mondialisation sur l’évolution des représentations, des pratiques et des formes de régulation
religieuses à partir de terrains où il est possible d’observer ces effets sur la base d’une recherche
pluridisciplinaire mobilisant les ressources d’un réseau euro-méditerranéen avec lequel nous
travaillons dans le cadre des programmes REMSH et RAMSES2 des 5ème et 6ème PCRD et lors des
missions et des séjours scientifiques effectués dans plusieurs pays de l’espace euro-méditerranéen,
de l’Amérique du Nord, ou dans des pays comme l’Indonésie.
Outre l’intérêt scientifique d’un tel projet, il convient de signaler son importance par rapport à une
demande croissante concernant la connaissance des faits religieux, que ce soit de la part des
pouvoirs publics et des collectivités publiques et territoriales, ou de la part des acteurs de la société
civile.
1.2.2.2.2.
Religion et ville
L’objet de ce thème est de mener une recherche pluridisciplinaire et comparative associant des
domaines comme l’archéologie, l’histoire des religions, l’histoire de l’art, la littérature, la géographie
urbaine, l’anthropologie, l’architecture, autour d’axes déclinant les différents aspects des rapports
passés, présents et à venir, entre religions et villes autour du bassin méditerranéen.
Outre l’ISERL (dont font partie plusieurs chercheurs du GREMMO, d’autres laboratoires de la MOM,
du LARHRA, de TRIANGLE, du CIHAM, du CREA, des Universités Lyon2, Lyon3 et de Saint-Étienne),
ce thème peut intéresser des collègues de l’Institut de l’Urbanisme, des écoles d’architecture de la
région et d’autres laboratoires et centres de recherche du PRES. Cette recherche se déclinera selon
les axes suivants : religions et origines de grandes métropoles méditerranéennes, pouvoir religieux et
pouvoir politique dans la ville méditerranéenne, religions et architectures urbaines dans l’espace
méditerranéen, pluralismes religieux et paysages urbains autour de la Méditerranée, la ville dans les
théologies de la Méditerranée, logiques séculières et logiques religieuses dans les formes urbaines
modernes, patrimoine religieux et développement touristique dans les villes méditerranéennes, et
enfin : les religions, l’ordre et le désordre urbain.
1.2.3.
Villes et mondialisation
L’objectif de cet axe est d’étudier les mutations urbaines dans le cadre de la mondialisation et de les
situer dans le courant commun des processus d’urbanisation. La ville « orientale » traditionnelle a
e
connu une mutation à la fin du XIX siècle avec la modernisation à l’européenne qui a accompagné
e
e
l’explosion urbaine de la deuxième moitié du XX siècle. En ce début de XXI siècle, il semble que les
métropoles du monde arabe et musulman soient entrées dans une nouvelle phase caractérisée par
l’arrivée d’un nouveau modèle urbain venu du Golfe arabo-persique. Cet axe garde toute sa
pertinence mais il convient désormais de l’orienter davantage sur les effets de la crise financière et
économique et des révolutions arabes concernant les espaces et les équilibres urbains et régionaux.
1.2.3.1. Gouvernance et gestion urbaine
Si les questions de gouvernance et de gestion urbaines restent centrales dans notre programme, il
faut les interroger en prenant en compte leurs limites, leurs faiblesses et parfois leur absence selon le
contexte. Une approche comparative est alors nécessaire.
A partir de terrains situés principalement dans les villes du Golfe, au Liban, en Égypte et au Soudan,
nous mettrons en tension et en vis-à-vis deux situations urbaines extrêmes apparemment opposées :
celle de la prodigieuse effervescence qu’ont connu les villes du Golfe, du boom pétrolier depuis les
années 1970 jusqu’au délire urbain des années 2000, et d’un autre côté, l’implosion et en même
temps la croissance incontrôlable qu’ont connu les villes situées dans des régions en crise, du Liban
au Soudan, sous l’effet de la guerre ou de famines qui ont enclenché des vagues de migrations de
survie. Cette mise en perspective devrait permettre de comprendre les mécanismes de l’urbanisation
et de la gestion urbaine dans les villes de l’Orient arabe : on interrogera l’hypothèse de l’absence,
héritée de l’Histoire et peut-être aussi reflet d’un fonctionnement social, de systèmes de régulation et
de gestion endogènes, inventés et pilotés par les citoyens ; l’hypothèse de l’absence, donc, d’un
sentiment d’appartenance à la ville qui se traduit, au-delà de l’attachement sentimental, par une
implication collective. On tentera à partir de là de répondre à la question de l’origine et des formes du
contrôle par « l’État », tantôt créateur de villes, comme dans le Golfe, tantôt destructeur comme au
Liban, en cherchant à vérifier si l’origine de ses « détenteurs » n’est pas justement extérieure au
monde urbain, ce qui expliquerait que la ville soit d’abord un enjeu à conquérir et souvent, une
menace. La brutalité de la césure entre le monde rural et le monde urbain, en termes de niveaux de
vie, de valeurs et de pratiques sociales, rend en effet leur rencontre traumatisante et déstabilisante.
C’est le cas aussi bien dans les villes du Golfe, où se perdent les autochtones au milieu de la masse
des immigrés, que des villes du Soudan, envahies par les déplacés et les réfugiés des campagnes.
On se demandera enfin si ces bouleversements urbains sont la matrice de monstres sociétaux, de
tours de Babel des temps modernes, où non seulement chacun ne comprend plus l’Autre, mais ne se
comprend plus soi-même, ou si au contraire elles sont la préfiguration de sociétés urbaines métissées
et apaisées, où la citadinité entraînerait de façon irrésistible la citoyenneté.
1.2.3.2. Fragmentation spatiale et sociale des villes et des territoires
Il nous apparaît aussi important de travailler sur la question de la fragmentation spatiale et sociale
des villes et des territoires, à travers notamment les mutations urbaines contemporaines et les
grands bouleversements politiques actuels, mais aussi à travers la problématique des mobilités et des
réseaux migratoires régionaux et internationaux.
Les mutations économiques et politiques actuelles dans le monde arabe et musulman vont en effet
avoir des répercussions sur une gouvernance urbaine moins centralisée. Nous faisons l’hypothèse
d’une mutation des frontières d'État sous le coup des processus d’intégration régionale : processus
euro-méditerrannéen, zone arabe de libre échange, etc. Cela devrait entraîner des recompositions
territoriales à toutes les échelles et notamment urbaine, et cela dans un contexte où les inégalités et
les tensions sociales ne cessent de croître. D’un point de vue géographique, notre aire de recherche
va s’étendre à l’Irak et aux villes du Golfe, celles-ci étant intégrées dans la mondialisation et
constituant des relais de la mondialisation vers le Proche-Orient, espace périphérique du Golfe. Le
Golfe continue par ailleurs à exporter son modèle urbain sur des espaces aux conditions sociales et
économiques bien différentes.
Il s’agira également de prendre en compte la fragmentation et la communautarisation des espaces
urbains, tout particulièrement en Syrie, en Irak, au Liban, en Égypte et dans les villes du Golfe. Ces
dernières connaissent en effet des clivages communautaires en raison de l’importance des
communautés étrangères qui y résident. On interrogera donc cette relation entre espace et
communautés, mais aussi les rapports entre migration et production spatiale, à travers l’étude des
frontières au Proche-Orient ou l’analyse des flux migratoires. Les liens communautaires / tribaux /
claniques qui structurent généralement les déplacements de populations dans la région, rendent
nécessaire l’étude des flux de migrants qui circulent au Moyen-Orient (pays arabes, Turquie, Iran) et
qui s’établissent provisoirement ou durablement dans les villes syriennes, jordaniennes et irakiennes.
La circulation transfrontalière de certaines communautés (kurde, druze), les échanges qu’elles
alimentent, mais aussi les secousses géopolitiques récentes et les aléas climatiques favorisent les
mobilités dans cet ensemble régional et contribuent à la transformation de pans entiers d’espaces au
Proche-Orient. Ainsi, face à ce constat, il s’agira de mieux comprendre les flux migratoires à l’échelle
du Moyen-Orient et leurs effets sur l’espace tant aux frontières que dans certaines métropoles du
Proche-Orient (Damas, Amman, Irbil).
1.2.3.3. Le commerce, les réseaux formels et informels, les nouvelles pratiques de
consommation
Les mutations économiques auxquelles sont désormais confrontés les pays arabes rendent
également centrale la question du commerce, de ses réseaux « formels » et « informels », de ses
espaces ainsi que des nouvelles pratiques de consommation découlant de ces mutations.
La question des mobilités régionales pose aussi celles des circulations et des réseaux marchands.
Une approche comparatiste entre les sous-régions du monde arabe (Maghreb et Proche-Orient) sera
fructueuse de même qu’une fertilisation croisée entre géographie, histoire et anthropologie pour
penser la circulation transnationale des marchandises, avec comme enjeux, la question de
l'identification et de la cartographie des lieux du commerce « informel ». L’objectif est de constituer un
réseau multidisciplinaire de chercheurs sur le thème de la circulation marchande transnationale
informelle dans le monde arabe.
Les villes arabes s’insèrent ainsi de plus en plus fortement dans les réseaux économiques régionaux
et internationaux. Cette inscription est matérialisée et portée par le développement, plus ou moins
récent selon les pays, de nouvelles structures de distribution (malls, supermarchés, magasins de
chaîne), la multiplication des cafés et des restaurants, la diffusion de nouveaux biens de
consommation et l’extension des réseaux bancaires. Les pratiques de consommation associées à ces
espaces constituent pour partie des innovations qu’il conviendra d’étudier. Cette « consommation
mondialisée » concerne classes aisées comme milieux populaires, chamboulant ainsi les pratiques
antérieures de distinction sociale et ouvrant peut-être la voie à une « société de consommation de
masse » qui reste cependant encore à venir. Dans ce contexte, nous étudierons la façon dont la
consommation de biens matériels devient un marqueur social puissant, un nouveau medium pour la
construction d’identités culturelles et sociales.
1.2.3.4. Le patrimoine urbain dans la mondialisation touristique
Enfin, il reste important et même primordial de s’interroger sur les différents régimes d’historicité qui
participent au présent des villes arabes. La problématique du patrimoine urbain et de sa
mondialisation touristique fait bien entendu partie de cette interrogation.
C’est dans cette perspective qu’il conviendra d’étudier le patrimoine culturel des villes du ProcheOrient entre référence identitaire et mondialisation touristique, mais aussi les modes d’action
institutionnels et leurs effets sur la forme urbaine et les résistances héritées ou les déviances.
« L’informel » sera interrogé à la fois comme mode de dysfonctionnement illégal proche de la
corruption et héritage de fonctionnements pré-légaux fondés sur le consensus, les liens personnels et
une jurisprudence reposant sur l’expérience cumulée, en opposition ou en concurrence avec
l’urbanisme institutionnel. Nous nous attarderons également sur les formes urbaines actuelles et les
pratiques héritées, en développant une réflexion sur la perpétuation et l’évolution de la division
traditionnelle de l’espace urbain entre public et domestique, nouveaux espaces du commerce et
habitat, en tenant compte du paramètre des appartenances de groupes confessionnels et autres.
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