Maladie pilonidale

publicité
Maladie pilonidale
D. Soudan et T. Puy-Montbrun
Les formes asymptomatiques de maladie pilonidale sont fréquentes : seules les formes douloureuses et/ou associées à une suppuration chronique méritent une prise en charge thérapeutique. Le traitement de la maladie pilonidale est toujours chirurgical : elle fait appel à de nombreuses techniques dont aucune ne s’est imposée comme une référence. En dehors des
problèmes de suppuration sous tension, les complications de la maladie pilonidale sont rares,
mais la greffe d’un carcinome épidermoïde est possible et de pronostic péjoratif. La simple incision-drainage suffit à soulager le malade ayant un abcès compliquant le sinus pilonidal, mais
les récidives sont fréquentes (40 % des cas). L’excision dite « à ciel ouvert » d’une maladie
pilonidale engendre une cicatrisation lente mais le risque de récidive après cicatrisation est très
faible (5 %).
INTRODUCTION
La première description du sinus pilonidal (SP) a
été faite en 1833 par Mayo. Le terme de pilonidal
a été proposé par Hodges en 1880. Il s’agit d’une
pathologie bénigne, qui concerne trois à cinq fois
plus l’homme que la femme, et dont les manifestations cliniques surviennent à la fin de la
seconde décade et semblent s’éteindre après quarante ans (1). Le SP prédomine chez les sujets à
peau blanche, il est rare chez les patients d’origine africaine ou asiatique (2). Son étiologie est
complexe et fait sans doute intervenir à des
niveaux divers des facteurs familiaux et acquis,
où le follicule pileux semble jouer un rôle important. Son traitement toujours chirurgical fait appel
à de nombreuses techniques dont aucune ne s’est
imposée comme une référence.
PATHOGÉNIE
La pathogénie du sinus pilonidal reste encore
incertaine. Les théories en faveur d’une origine
congénitale ont dominé pendant la fin du XIXe
et le début du XXe siècles. On a évoqué la persistance de kystes ayant pour origine le tube
neural (qui disparaît normalement au 5e mois de
la vie fœtale). Cette hypothèse n’a pas été
confirmée par les études histologiques : le sinus
n’est jamais bordé d’épithélium cuboïde, et les
anomalies cutanées qui accompagnent des anomalies neurologiques distales ont une présentation clinique différente (3) (anomalies lombaires). Un phénomène de traction dermique
lors de la croissance fœtale, en raison de l’épaississement des feuillets mésoblastiques de part et
d’autre du coccyx a été évoqué par certains
auteurs dans des études déjà anciennes. De
façon plus récente (4), des anomalies échographiques passagères de la région caudale, vues
entre 14 et 16 semaines ont été retrouvées chez
six fœtus. Ces nouveau-nés étaient porteurs de
fossettes du sillon interfessier. Une disparition
retardée du reliquat embryonnaire caudal pourrait être, pour ces auteurs, responsable des anomalies cutanées observées. Des phénomènes
d’inclusion de cellules dermiques ont également
été évoqués dans des études déjà anciennes (2, 5). Tous ces schémas pathogéniques
visant à donner une origine congénitale au SP
permettent d’expliquer la présence rare de fos-
574
Pelvi-périnéologie
sette pilonidale chez l’enfant. Mais, la survenue
de récidives authentiques après chirurgie d’exérèse a fait rechercher d’autres facteurs possibles.
En 1948, Patey et Scarff, constatant l’existence
de lésions similaires interdigitales chez un coiffeur ont évoqué un mécanisme acquis faisant du
SP une maladie bénigne à type de réaction à corps
étranger. Tout se passerait comme si les poils
situés de chaque côté du sillon interfessier, en
raison de la conformation anatomique, étaient à
l’origine d’une effraction cutanée dans le sillon
médian. Cela peut être favorisé par des microtraumatismes locaux et pour certains par l’obésité (2, 6, 7). Une étude cas-témoin chez
1 000 soldats turcs retrouvait, comme facteurs
significativement associés à la présence d’un SP :
une tendance familiale, un surpoids, la conduite
d’un véhicule, et l’existence de folliculite et de
furoncles dans d’autres parties du corps. Les habitudes alimentaires ou d’hygiène et la consommation de tabac n’étaient pas différentes dans les
deux groupes (7). Les fossettes médianes, responsables de la maladie, ont fait l’objet d’études
histologiques (8). Certaines contiennent à leur
partie toute superficielle des restes de bourgeons
pilaires, ce qui fait considérer ces fossettes comme
des follicules rompus. Cette théorie permettrait
de prendre en considération, sur le plan pathogénique, les phénomènes inflammatoires qui surviennent même en l’absence de poils dans ces
follicules obturés par de la kératine. Le rôle étiopathogénique des poils devient alors double :
croissance inversée à partir de la surface dans un
follicule rompu et obturé ou bien pénétration de
poils venant d’autres régions du corps au niveau
du sillon interfessier à condition qu’existent auparavant des follicules perforés (8). La modification
du follicule pileux et des annexes sous l’influence
des hormones sexuelles explique l’apparition de la
maladie après la puberté. La fréquence de l’association SP et folliculite-furoncle si elle se confirmait serait un argument pour l’origine cutanée
folliculaire du SP. La théorie selon laquelle le SP
ne serait qu’une pathologie acquise ne peut expliquer la présence de fossettes chez l’enfant.
Certains auteurs (9, 10), plaident pour une origine mixte du SP ; il existe sans doute des fossettes par traction dermique chez certains enfants,
elles restent localisées à l’épiderme, les modifications pilaires de l’adolescence et l’obésité augmentant le risque ultérieur de SP.
INCIDENCE
Les formes asymptomatiques sont présentes chez
1,1 % d’une population estudiantine masculine
(vs 0,11 % chez les étudiantes) d’Amérique du
Nord (11). Les formes symptomatiques nécessitant un traitement ont fait l’objet de nombreux
rapports concernant les soldats dont 79 000 soldats américains opérés de SP pendant la Seconde
Guerre mondiale. L’augmentation de l’incidence
du SP, dans l’armée grecque (4,9 % en 1960
14,8 % en 1971, 30 % en 1992) évolue parallèlement à l’augmentation de la surcharge pondérale (12). L’incidence dans l’armée turque est de
8, 8 % en 1997 dont la moitié est symptomatique (7). L’incidence du SP en Norvège est de 26
pour 100 000 habitants (6).
CLINIQUE
Les formes asymptomatiques sont de découverte
fortuite. Il s’agit de fossettes médianes centrées
par un ou plusieurs poils (fig.1) et situées à
environ 5 cm de l’anus dans le sillon interfessier.
L’infection chronique peut réaliser un tableau peu
douloureux, avec émission séropurulente soit par
Fig. 1 – Fossettes médianes.
Maladie pilonidale
une fossette médiane (fig. 2), soit par un orifice
secondaire. Lorsque cet orifice secondaire existe,
il est développé dans 90 pour cent des cas audessus du niveau de la fossette responsable et
plus souvent à gauche qu’à droite (13).
À l’inverse, l’abcès aigu peut être révélateur de
la maladie, et réaliser un tableau d’urgence thérapeutique.
575
HISTOLOGIE
Les anomalies histologiques réalisent une réaction inflammatoire à corps étranger, avec parfois
réaction à cellules géantes, se développant dans
la graisse du tissu rétrococcygien et rétrosacré
jusqu’au ras de l’aponévrose rétrosacrée. Le trajet
sous la fossette médiane originelle est tapissé
d’un épithélium kératinisé dépourvu d’annexes
pilo-sébacées ou sudoripares. Les poils sont
libres dans le sinus (8). Les études bactériologiques préopératoires ont montré la prédominance des germes anaérobies, isolés ou associés
à d’autres germes : ces constatations de laboratoire sont sans influence sur l’évolution (15).
COMPLICATIONS
Fig. 2 – Issue de pus par fossette médiane et orifice
secondaire latéral gauche.
DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL
Le SP représente environ 10 % des étiologies
d’une série chirurgicale de suppurations périnéales (14). Il faut le distinguer des autres suppurations indépendantes de l’anorectum comme
la maladie de Verneuil. L’association maladie de
Verneuil et SP n’est pas rare formant la tétrade
acnéique : folliculite, maladie de Verneuil, acné,
et SP. Le diagnostic différentiel avec la fistule
anale est parfois plus difficile, particulièrement
pour les rares sinus à trajet descendant avec orifice secondaire latéro-anal ou bien les exceptionnels SP à fossette médiane préanale. Les
autres anomalies congénitales ont une présentation différente : diagnostic souvent suspecté dès
la naissance en cas de tératome sacrococcygien ;
orifice médian plus haut situé, en regard des vertèbres sacrées et souvent associé à un spina bifida
en cas de communication avec les structures neurales.
Les complications, en dehors de l’infection, sont
rares. Une cinquantaine de cas de dégénérescence
ont été décrits dans la littérature (16) : il s’agit de
dégénérescence de type carcinome épidermoïde.
L’âge moyen du diagnostic est de cinquante ans.
Le traitement en est l’exérèse en bloc. Le pronostic reste médiocre en raison du fort potentiel
de récidive locale (34 à 50 %). La place de la
radiochimiothérapie est mal définie (16). Une
dégénérescence induite par Human Papilloma
Virus a été prouvée chez deux patients séropositifs pour le VIH (17). Les quelques complications infectieuses ostéo-méningées de pronostic
fatal ont fait déconseiller la pratique de la rachianesthésie pour le traitement du SP (18).
TRAITEMENT
La lecture de la littérature est impressionnante
par le grand nombre des techniques proposées,
variant selon les hypothèses pathogéniques, le
stade de la maladie, les impératifs professionnels
des patients, et économiques des systèmes de
santé… Le traitement ne s’adresse qu’aux formes
symptomatiques. Les fossettes médianes sans
symptômes ne doivent pas être traitées. Cependant leur évolution naturelle et le risque de surinfection ne sont pas connus.
576
Pelvi-périnéologie
Le traitement chirurgical devrait être jugé sur
le nombre des récidives, dont il est parfois difficile de savoir, dans la littérature, s’il s’agit de
l’apparition d’un nouveau SP ou d’un échec technique.
L’excision large suivie de cicatrisation de
seconde intention sans suture a la faveur de nombreux opérateurs en France. Après injection de
bleu de méthylène, l’exérèse concerne la ou les
fossettes, en commençant 15 mm en dessous de la
fossette la plus basse. L’exérèse de la totalité du
tissu infecté impose de passer au ras de l’aponévrose rétrosacrée, sans l’atteindre. La forme
ovoïde de la plaie et l’inclinaison des berges doivent permettre un bon drainage et éviter les accolements précoces. La cicatrisation, dont la surveillance régulière est capitale, survient en
2,5 mois en moyenne. Le taux de récidive au-delà
de trois ans varie selon les études de 0 % (19) à
13 %. Il est de 5, 3 %, 3,4 % et 1,6 % dans trois
séries françaises suivies 3 ans (20), 12,5 ans (21),
5 ans (22). Cette méthode simple peut être réalisée
à tout stade de la maladie pilonidale, y compris en
cas de collection importante. Malgré ses excellents résultats à long terme, elle a pour principal
inconvénient la longue durée de la cicatrisation et
de l’arrêt de travail prolongé, parfois nécessaire. Pour pallier cet inconvénient, des techniques
d’exérèse suivie de fermeture totale ou partielle
ont été décrites.
Elles permettent une cicatrisation immédiate
en règle plus courte (2, 5) (en l’absence de
lâchage de suture). L’excision-suture sur la ligne
médiane est suivie de 11 à 28 % de récidives à
trois ans (5). Pour éviter une cicatrice fragile dans
le sillon interfessier, l’exérèse du sinus suivie
d’une suture latéralisée permettant de combler le
sillon a été proposée, avec 1 % de récidive à deux
ans entre les mains de son promoteur (12). Les
techniques de chirurgie plastique parfois complexes, par lambeaux de rotation, cicatrisent rapidement et sont suivies de 0 à 10 % d’échecs après
trois ans (5, 23).
Le principe de marsupialisation vise à diminuer la surface du tissu de granulation, en suturant
les berges de la plaie au fond du sinus préalablement cureté ou bien à l’aponévrose rétrosacrée
(entre 0 % et 4 % d’échec à 3 ans) (24, 25). Les
études randomisées prospectives comparant techniques ouvertes et fermées semblent en faveur des
techniques ouvertes : la marsupialisation est suivie
de moins de récidive à 32 mois que la fermeture
(0 % vs 4, 4 % p > 0, 01) (26), de même que la
résection simple (5 % vs 10 % ; p = 0, 49) (27).
Des traitements conservateurs, ne réalisant pas
d’exérèse, et permettant plus souvent un traitement ambulatoire, ont été décrits. Les techniques
d’incision-curetage proposées initialement par
Lord et Millard, sont éventuellement associées à
des drainages prolongés par anse souple (28).
Après un suivi de plus de cinq ans, des récidives
sont observées dans 4,4 à 19,5 % des cas (5).
L’incision simple, quant à elle, est suivie d’environ 40 % de récidives (5).
Les éléments du choix de la méthode thérapeutique dépendent du stade de la maladie et des
suites opératoires prévisibles dont le patient doit
être prévenu. Les techniques d’exérèse avec cicatrisation de seconde intention donnent d’excellents résultats à long terme et devraient être préférées, en raison de leur simplicité, aux autres
méthodes chirurgicales.
Références
1. Buie LA, Curtiss RK (1952) Pilonidal Disease. Surg
Clin Norh Am 32: 1247-59
2. Allen-Mersh TG (1990) Pilonidal Sinus: finding the
right track for treatment. Br J Surg 123-32
3. Pockell KR, Cherry JD, Hougen TJ et al. (1975) A
prospective search for congenital dermal abnormalities of the craniospinal axis. J Paediatr 87: 744-50
4. Zimmer EZZ, Bronstein M (1996) Early sonographicfindings suggestivee of the human fœtal tail.
Prenat Diagn 16: 360-2
5. Silva J Hr (2000) Pilonidal Cyst: cause and treatment
Dis Colon Rectum 43: 1146-56
6. Sondennaa K, Nesvik I, Andersen E et al. (1995)
Patients characteristics and symptoms in chronic pilonidal sinus disease Int J Colorect Dis 10: 39-42
7. Akinci ÖF, Bozer M, Uzunkoy A et al. (1999) Incidence and aetiological factors in pilonidal sinus
among turkish soldiers. Eur J Surg 165: 339-42
8. Bascom JU (1983) Pilonidal disease: long term result
of follicle removal. Dis Colon Rectum 26: 800-7
9. Pathey DH (1969) A reappraisal of the acquired
theory of sacro-coccygeal pilonidal sinus: its bearing
on treatment. Lancet: 484
10. Keighley M (1993) Pilonidal sinus. In Keighley M
and Williams N Surgery of the anus, rectum and
colon WB Saunders (eds). p 467-89
11. Dwight RW, Maloy JK (1953) Pilonidal sinus-experience of 499 cases. N Engl J Med 249: 926-30
Maladie pilonidale
12. Karydakis GE (1992) Easy and successful treatment
of pilonidal sinus after explamation of its causative
process. Aust NZ Surg 62: 385-9
13. Akinici OF, Coskun Auzunkoy AS (2000) Simple and
effective surgical treatment of pilonidal sinus: asymetric excision and primary closure using suction
drain and subcuticular skin closure. Dis Colon
Rectum 43: 701-7
14. Puy-Montbrun T, Ganansia R, Denis J (1999) Proctologie pratique, Masson (ed) Paris p 56-7
15. Sondennaa K, Nesvik I, Andersen E et al. (1995)
Bacteriology and complications of chronic pilonidalsinus treated with excisionand primary suture. Int J
Colorect Dis 10: 161-6
16. Abboud B, Ingea H (1999) Recurrent squamous – cell
carcinoma arising in sacrococcygeal pilonidal sinus
tract. Report of a case and review of the literature. Dis
Colon Rectum 42: 525-8
17. Borges VF, Keating JT, Nasser IA et al. (2001) Clinicopathological characterisation of squamous-cell
carcinoma arising from pilonidal disease in assocaition with condylomata acuminatum in HIV-infected
patients: reporet of two cases and a review of the litterature. Dis Colon Rectum 44: 1873-7
18. Verdu A, Garcia-Granero E, Garcia Fuster MJ et al.
(2000) Lumbar ostéomyelitis and épidural abcess
complicating reccurent pilonidal cyst: report of a case.
Dis Colon Rectum 43: 1015-7
19. Viciano V, Castera J et al. (2000) Effect of hydrocolloide dressings on healing by second intention after
excision of pilonidal sinus Eur J Surg 166: 229-32
577
20. Arnous J, Denis J, Dubois N (1977) L’exérèse à ciel
ouvert des kystes pilonidaux. Gastroenterol Clin Biol
1: 945-9
21. Grandjean JP, Al Nashawati G (1996) Traitement de
la maladie pilonidale par exérèse large et cicatrisation
dirigée. À propos de 73 cas suivis au moins 10 ans
Lyon Chir 92: 292-5
22. Berger A, Frileux P (1995) Sinus pilonidal. Ann Chir
49-10: 889-901
23. Petersen S, Koch R, Seltzner S et al. (2002) Primary
closure techniques in chronic pilonidal sinus: a survey
of the results of different surgical approaches. Dis
Colon Rectum 45: 1458-67
24. Spivak H, Brooks V, Nussbaum M et al. (1996) Treatment of chronic pilonidal disease. Dis Colon Rectum
39: 1136-9
25. Obeid SA (1988) A new technique for treatment of
pilonidal sinus Dis Colon Rectum 31: 879-85
26. Füzün M, Bakir H, Soylu M et al. (1994) Which technique for treatment of pilonidal sinus: open or
closed ? Dis Colon Rectum 37: 1148-50
27. Sondenaa K, Nesvik I, Andersen E et al. (1996)
Recurrent pilonidal sinus after excision with closed or
open treatment: final result of a randomised trial Eur
J Surg 162: 237-40
28. Lombart-Platet R, Barth X, Andereggen V. (1993)
Traitement de la maladie pilonidale. Éditions techniques. Encycl Med Chir (Paris-France), techniques
chirurgicales-généralités-Appareil digestif : 4 p,
40-692
Téléchargement