• Le procédé du mot-valise proche de la composition savante tel que
« sophologuer15 » qui semble obtenu par la soudure des deux premières
syllabes de Sophocle et du suffixe -loguer issu du logos grec.
• Ou encore l’élaboration d’un verbe sur la base d’une onomatopée, comme
« voui, vuvurre Zazie16 » sous la plume de Raymond Queneau, « blablutie-t-
elle17 » (qui recourt aussi à une épenthèse) chez San-Antonio, ou plus
récemment « rognognotte-t-elle18 » créé par Anna Gavalda.
Certaines incises sont donc formées à partir de noms propres comme : « – Dit mon
père, hugolâtrai-je19 », « La vie est là, simple et tranquille, verlainé-je20 », ou encore
« merdre21, ubué-je22 » (où San Antonio reprend le mot inaugural de la pièce Ubu roi
de Jarry et construit le verbe « ubuer » à partir du nom du personnage éponyme
d’Ubu).
Avec ce type d’incises, Allais et San-Antonio font plus que se livrer au jeu
néologique, ils introduisent un jeu intertextuel : l’incise devient un lieu qui allie
l’inédit lexical et le déjà-dit littéraire, en devenant la chambre d’écho d’autres auteurs.
Ainsi, San-Antonio signale par l’incise « verlainé-je » son emprunt au poème
verlainien « Le ciel est, par-dessus le toit,… ».
Leur provocation langagière recouvre son sens étymologique plein. Issue du
verbe provocare, formé du préfixe pro- « devant, avant » et du verbe vocare,
« appeler », la provocation est une action qui consiste à « faire advenir », « faire naître
quelque chose ». De fait, leur provocation est autant une remise en cause – avec la
destruction de certains carcans – qu’un renouvellement, et correspond à une vision du
style, telle que la formule F. Dard, dont San-Antonio n’est que le pseudonyme :
Il faut que le style remue (…) Il faut qu’il surprenne. Si tu veux intéresser, tu dois
agresser. Il faut donc inventer, créer des mots23.
À côté de ces jeux néologiques, on trouve aussi un jeu lexical introducteur de
mouvement au sens littéral, avec l’emploi de verbes de mouvement dans les incises.
En effet, le passage du domaine linguistique au domaine kinésique est franchi par les
plus audacieux :
« Tout de suite ! s’affairait le capitaine Ortolan. » (L.-F. Céline24)
« Oh non, monsieur ! se redressa-t-il. » (A. Allais25)
15 Alphonse ALLAIS, « Le Méger et la Mégère apprivoisés du même coup », Œuvres posthumes,
éd.cit., p.853.
16 Raymond QUENEAU, Zazie dans le métro, Paris, Gallimard, coll. « Folio plus », 1959 p. 49.
17 SAN- ANTONIO, Le Cri du morpion, Paris, Fleuve noir, 1989, p.147.
18 Anna GAVALDA, L’Échappée belle, Paris, Le Dilettante, 2009, p. 9.
19 Alphonse ALLAIS, « The perfect drink », op.cit., p. 457.
20 SAN-ANTONIO, cité par Françoise Rullier-Theuret, art. cité., p. 81.
21 San-Antonio reprend le néologisme inaugural de la pièce Ubu roi d’Alfred Jarry (1888).
22 SAN-ANTONIO, Le Cri du morpion, éd.cit., p. 55.
23Frédéric DARD, Je le jure, 1975, cité par F. Rullier-Theuret, art.cit., p. 81.
24 Voyage au bout de la nuit, Paris, Gallimard, coll. « Folio plus », 1992, p. 32.
25 « Poète départemental », Œuvres anthumes, p. 792.