LECTIO DIVINA Dimanche V de Carême - Année A Pour vous abonner à la Lectio Divina des dimanches des temps liturgiques forts cliquez ici Pour ce dernier dimanche avant la Semaine sainte, nous accompagnons Jésus qui ressuscite son ami Lazare. Alors que le Carême touche à sa fin, et que le Seigneur sera bientôt soumis à la Passion et à la mort, l’Église nous rappelle ainsi que Jésus est le Seigneur de la Vie. Ce signe si puissant - si scandaleux - provoque la foi de nombreux Juifs (Jn 11,45). Il provoque aussi sa Passion (v.53 : ils résolurent de le tuer). C’est une image du baptême, lorsque Jésus nous a fait sortir du tombeau du péché ; mais c’est aussi une figure de la résurrection finale, lorsque qu’Il viendra réveiller toute l’humanité soumise à l’emprise de la mort. Nous pouvons ainsi anticiper le chant d’une hymne pascale : Mors et vita duello / Conflixere mirando / Dux vitae mortuus / Regnat vivus. La mort et la vie s’affrontèrent dans un duel formidable : le Seigneur de la vie, mort, règne vivant. (1) 1 Lectures de la Messe Ez 37,12-14 Le peuple mort va revivre Ps 130,1 Auprès du Seigneur est la grâce, la pleine délivrance Rm 8,8-11 Celui qui a ressuscité Jésus vous donnera la vie Jn 11,1-45 Mort et résurrection de Lazare Explication des lectures Pendant l’épreuve de l’Exil à Babylone, le prophète Ezéchiel s’adresse aux Hébreux qui désespèrent et se croient perdu : quel futur pour un petit peuple déporté et humilié ? Le Dieu d’Israël promet alors de ne pas l’abandonner. Il ouvrira bientôt le tombeau de l’Exil et fera revenir son peuple sur la Terre Sainte. Après l’accomplissement historique de cet oracle (sous Cyrus : Esd 1,1), la voix du prophète continue de résonner comme une promesse de vie pour toutes les situations de mort : à ses fidèles, le Dieu vivant donnera son Esprit pour une vie nouvelle. Le péché est précisément une de ces situations de mort : comme en écho à la promesse d’Ezéchiel, le Psaume 130 (129) exprime l’espérance du pécheur de ne pas être abandonné par son Dieu. Il le supplie (écoute mon appel !), essaie de le convaincre (si tu retiens les fautes, qui subsistera ?), exprime son espérance par l’image du veilleur qui, harassé par la fatigue de la nuit, attend impatiemment l’aurore pour se reposer. En pardonnant, le Seigneur récompensera cette espérance et offrira une nouvelle vie. 2 Vivre dans l’Esprit : c’est l’invitation de saint Paul, par opposition à la vie de la chair (v. 5 : ceux qui vivent selon la chair désirent ce qui est charnel ; ceux qui vivent selon l’esprit, ce qui est spirituel). Le chrétien est un temple de l’Esprit Saint : cet Esprit est celui de Dieu même, qui a ressuscité Jésus et qui nous ressuscitera au dernier jour. Il nous conduit donc de la vie présente à la Vie en Dieu. La fleur est d’abord un germe, et ensuite s’épanouit sous la poussée de la sève : ainsi notre vie dans le Christ sur cette terre n’est qu’un germe qui s’épanouira au Ciel sous l’action de l’Esprit. Toutes ces images d’opposition entre la vie et la mort trouvent leur culmination dans l’épisode de la résurrection de Lazare : Jésus est le Seigneur de la vie (Moi, je suis la résurrection et la vie), qui laisse pourtant son ami s’endormir dans la mort, avant d’être sollicité par les deux Soeurs Marthe et Marie. Très humainement, il se laisse bouleverser par l’émotion, pleure et se rend au tombeau : une parole lui suffit pour faire revenir à la vie Lazare. Tout cet épisode nous montre ainsi le double attachement de son cœur : avec son Père, Dieu de la vie, et avec les hommes, ses amis. C’est pourquoi la foi est si importante pour Jésus et dans ce passage, puisqu’elle relie l’homme avec Dieu comme le dit le pape François : « À Marthe qui pleure la mort de son frère Lazare, Jésus dit : Ne t’ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ? Celui qui croit, voit ; il voit avec une lumière qui illumine tout le parcours de la route, parce qu’elle nous vient du Christ ressuscité, étoile du matin qui ne se couche pas. » (2) 3 Méditation 1. L’empire de la mort La mort domine tout ce chapitre 11 de saint Jean : en apprenant la nouvelle de la maladie de Lazare, Jésus la mentionne tout de suite (v.4) ; c’est le thème de l’incompréhension des disciples (v.13) et de l’enthousiasme de Thomas (v.16) ; tout le mouvement des personnages conduit devant la tombe ; les deux sœurs font le même reproche à Jésus : Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort (vv. 21 et 32) ; les Juifs sont venus pour partager le deuil et Marthe est qualifiée de sœur du mort… Dans le texte grec, la racine θαν(θάνατος, ἀποθνήσκω) apparaît 11 fois. Et surtout, la mort de Jésus luimême est présente, depuis le début puisque les disciples en ont peur (les Juifs cherchent à te lapider, v.8) et jusqu’à la fin, quand elle est décidée par les autorités (v. 53 : ils résolurent de le tuer). Avant de considérer le miracle de Jésus, il est bon de s’arrêter sur cette présence dramatique de la mort, en cet épisode comme dans notre vie personnelle, dans l’histoire de l’humanité ; c’est l’illustration de cette phrase de saint Paul que nous avons lue au début du Carême (premier dimanche) : Par un seul homme [Adam], le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et ainsi la mort a passé en tous les hommes… (Rom 5,12). Nous le savons… mais en tironsnous toutes les conséquences ? Le grand Bossuet, en représentant la scène de cet évangile devant la Cour, nous aide à pratiquer ce memento mori classique de la spiritualité moderne : 4 « C’est à lui [Jésus] que l’on dit dans notre évangile : Seigneur, venez, et voyez où l’on a déposé le corps du Lazare ; c’est lui qui ordonne qu’on lève la pierre, et qui semble nous dire à son tour : venez, et voyez vousmêmes. Jésus ne refuse pas de voir ce corps mort, comme un objet de pitié et un sujet de miracle ; mais c’est nous, mortels misérables, qui refusons de voir ce triste spectacle, comme la conviction de nos erreurs. Allons, et voyons avec Jésus-Christ ; et désabusons-nous éternellement de tous les biens que la mort enlève. » (3) La mort se présente souvent à notre porte : un ami qui subit un accident, un parent qui meurt après une longue maladie, les nouvelles de chaque jour avec leur lot d’infortunés, des problèmes de santé… Et pourtant lorsqu’elle nous concerne plus particulièrement, c’est toujours un sujet d’étonnement ! La première leçon que nous devrions tirer de sa présence est notre petitesse ; notre histoire personnelle n’est qu’un point dans l’éternité : « Encore une fois, qu’est-ce que de nous ? Si je jette la vue devant moi, quel espace infini où je ne suis pas ! Si je la retourne en arrière, quelle suite effroyable où je ne suis plus ! Et que j’occupe peu de place dans cet abîme immense du temps ! Je ne suis rien : un si petit intervalle n’est pas capable de me distinguer du néant ; on ne m’a envoyé que pour faire nombre ; encore n’avait-on que faire de moi, et la pièce n’en aurait pas été moins jouée, quand je serais demeuré derrière le théâtre. » (4) Jésus vient précisément dans cet empire de la mort ; si nous méditons sur 5 les vanités de ce monde qui passe, ce n’est pas pour le mépriser, mais pour attendre Celui qui l’a racheté. Notre cœur a besoin d’être vidé des créatures pour pouvoir accueillir Dieu comme il se doit. Bossuet, dans le second point de son sermon, voit ainsi Jésus auprès de Lazare comme le Créateur revenu pour réparer sa création : « Mais voici en la personne de Jésus-Christ la résurrection et la vie : qui croit en lui, ne meurt pas ; qui croit en lui, est déjà vivant d’une vie spirituelle et intérieure, vivant par la vie de la grâce qui attire après elle la vie de la gloire. Mais le corps est cependant sujet à la mort ! Ô âme, console-toi : si ce divin architecte, qui a entrepris de te réparer, laisse tomber pièce à pièce ce vieux bâtiment de ton corps, c’est qu’il veut te le rendre en meilleur état, c’est qu’il veut le rebâtir dans un meilleur ordre ; il entrera pour un peu de temps dans l’empire de la mort, mais il ne laissera rien entre ses mains, si ce n’est la mortalité. » (5) Seigneur, accorde-moi la sagesse que donne la méditation sur la mort : que mon cœur ne s’attache pas à ce monde qui passe, mais qu’il soit ancré en Toi. Montre-moi toutes les vanités dans ma vie, et libère-moi de ces illusions. Je te confie aussi tous les défunts de ma famille, et tous ceux qui sont affligés par le deuil ; donne-nous la consolation de Ta présence dans l’Eucharistie, en attendant ton Retour glorieux où tu viendras ouvrir définitivement nos tombeaux. 6 2. Notre histoire terrestre en compagnie de Jésus Relisons la prophétie d’Ezéchiel (1º lecture) : « Ainsi parle le Seigneur Yahvé : Voici que j'ouvre vos tombeaux; je vais vous faire remonter de vos tombeaux, mon peuple, et je vous ramènerai sur le sol d'Israël. Vous saurez que je suis Yahvé, lorsque j'ouvrirai vos tombeaux et que je vous ferai remonter de vos tombeaux, mon peuple. Je mettrai mon esprit en vous et vous vivrez, et je vous installerai sur votre sol, et vous saurez que moi, Yahvé, j'ai parlé et je fais, oracle de Yahvé. » (Ez 37,12-14). Cet oracle continue de nous interpeller aujourd’hui : nous vivons tant de situations de mort (physique, spirituelle, morale…) où l’intervention de Dieu est nécessaire, où sa main secourable doit venir nous arracher à la détresse. La maladie de Lazare figure bien notre histoire : le chemin de chacun d’entre nous sur cette terre, qui aboutit inexorablement à la mort ; le chemin de l’humanité qui semble s’engouffrer dans le péché ; le chemin de tant de malheureux qui se sentent abandonnés par le Seigneur… Il nous a promis d’ouvrir nos tombeaux et de nous conduire à la terre : quand, et sur quelle terre ? Dans l’évangile de Jean, une phrase de Jésus fait écho à l’oracle d’Ezéchiel : Elle vient, l'heure où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix et sortiront : ceux qui auront fait le bien, pour une résurrection de vie, ceux qui auront fait le mal, pour une résurrection de jugement. (Jn 5,28-29) 7 Jésus parle bien de son retour à la fin des temps ; nous l’attendons avec patience et nous savons qu’il prononcera un jour ce grand cri (Lazare, viens dehors ! = Venez, les bénis de mon Père ! Mt 25,34). La terre promise est désormais le Ciel avec Lui. Mais entre-temps notre histoire semble vraiment tragique, et comme pour Lazare, la maladie conduit à la mort. Pourquoi Jésus a-t-il dit le contraire à ses disciples ? Pourquoi ce retard pour aller trouver son ami ? Le même reproche que lui font les deux sœurs peut être mis sur les lèvres de l’Eglise aujourd’hui : Seigneur, si tu étais plus présent en ce monde, nos frères ne mourraient pas… Pourquoi tarder ? Viens, Seigneur Jésus ! (Ap 22,20). Et Jésus nous répond aujourd’hui comme à Marthe : Je suis la résurrection. Qui croit en moi, même s'il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. (Jn 11,25-26) Il est présent dans l’histoire aujourd’hui, il ne promet pas seulement de retourner à la fin des temps : son Incarnation est bien l’irruption de Dieu sur notre terre, Dieu qui vient cheminer avec nous. Et cette Incarnation continue aujourd’hui avec l’Eglise, qui nous donne par anticipation la vie éternelle. Jésus qui marche avec nous : lors de sa toute première audience, le Pape François a voulu transmettre cette Présence : « Dans sa mission terrestre, Jésus a parcouru les routes de la Terre Sainte ; il a appelé douze personnes simples afin qu’elles demeurent avec Lui, qu’elles partagent son chemin et poursuivent sa mission ; il les a choisies parmi le peuple plein de foi dans les promesses de Dieu. Il a parlé à tous, 8 sans distinction, aux grands et aux humbles, au jeune homme riche et à la veuve pauvre ; aux puissants et aux faibles ; il a apporté la miséricorde et le pardon de Dieu ; il a guéri, réconforté, compris ; il a donné l’espérance ; il a porté à tous la présence de Dieu qui s’intéresse à tout homme et toute femme, comme le fait un bon père et une bonne mère à l’égard de chacun de ses enfants. Dieu n’a pas attendu que nous allions à Lui, mais c’est Lui qui est venu à nous, sans calculs, sans mesures. Dieu est ainsi : Il fait toujours le premier pas, Il vient vers nous. Jésus a vécu les réalités quotidiennes des personnes les plus communes : il s’est ému devant la foule qui semblait un troupeau sans pasteur ; il a pleuré devant les souffrances de Marthe et Marie pour la mort de leur frère Lazare ; il a appelé un publicain à être son disciple ; il a également subi la trahison d’un ami. En Lui, Dieu nous donné la certitude qu’il est avec nous, parmi nous. « Les renards — a-t-Il dit — les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids ; le Fils de l’homme, lui, n’a pas où reposer la tête » (Mt 8, 20). Jésus n’a pas de maison car sa maison, ce sont les personnes, c’est nous, sa mission est d’ouvrir à tous les portes de Dieu, être la présence d’amour de Dieu. » (6) La liturgie de la messe du jour note le même aspect de l’évangile : Il [Jésus] est cet homme plein d’humanité qui a pleuré sur son ami Lazare ; il est Dieu, le Dieu éternel qui fit sortir le mort de son tombeau : ainsi, dans sa tendresse pour tous les hommes, il nous conduit, par les mystères de sa Pâque, jusqu’à la vie nouvelle. (7) 9 Nous pouvons dès lors contempler cette présence de Jésus à nos côtés et vivre le Carême de façon différente : en étant comme Jésus tournés totalement vers les besoins de nos frères. Le pape François y insiste et nous offre matière à une prière plus concrète : « Que signifie tout cela pour nous ? Cela signifie que c’est également mon chemin, ton chemin, notre chemin. Vivre la Semaine Sainte en suivant Jésus non seulement avec l’émotion du cœur ; vivre la Semaine Sainte en suivant Jésus signifie apprendre à sortir de nous-mêmes — comme je le disais dimanche dernier — pour aller à la rencontre des autres, pour aller vers les périphéries de l’existence, faire le premier pas vers nos frères et nos sœurs, en particulier ceux qui sont le plus éloignés, ceux qui sont oubliés, ceux qui ont le plus besoin de compréhension, de réconfort, d’aide. Il y a tant besoin d’apporter la présence vivante de Jésus miséricordieux et riche d’amour ! » (8) 3. L’amour de Jésus envers les pécheurs Saint Jean imprègne toute sa narration du miracle par la bonne odeur de l’affection et de l’amitié : Lazare est « notre ami » ; il y a le souvenir de l’onction à Béthanie (un geste si féminin) ; Jésus aimait Marthe et sa sœur et Lazare (v. 5) ; les disciples se préoccupent pour Jésus et décident de le suivre dans le danger… Jusqu’aux reproches de Marthe puis de Marie, qui montrent leur familiarité et leur confiance envers Jésus. Comme le note saint Augustin : 10 « L’un était malade, les deux autres étaient affligées, tous étaient aimés, mais celui qui les aimait était celui qui guérit les malades et, plus encore même, celui qui ressuscite les morts et qui console les affligés. » (9) Même si ce n’est pas l’intention de l’évangéliste, nous pouvons appliquer sa narration à l’amour de Jésus pour les pécheurs. Nous savons que Jésus avait une prédilection particulière pour eux : il affirme être venu chercher ce qui était perdu, ou encore guérir les malades. La maladie de Lazare est comme le péché, qui nous conduit à la mort spirituelle, paralysés que nous sommes sous le poids de nos fautes. C’est ainsi que saint Augustin interprète la situation de Lazare dans le tombeau : « Combien y en a-t-il dans ce peuple qui sont écrasés par le poids de l’habitude ? Parmi ceux qui m’écoutent il y en a peut-être certains à qui on a dit : Ne vous enivrez pas de vin : en lui se trouve la luxure (Eph 5,18) et qui répondent : ‘Nous ne pouvons pas’. Peut-être parmi ceux qui m’écoutent se trouve-t-il des impurs, souillés de débauches et de turpitudes, auxquels on dit : ‘N’agissez pas ainsi pour ne pas périr’, et qui répondent : ‘Nous ne pouvons pas être arrachés à notre habitude’. Seigneur, ressuscite-les. Je suis, dit-il, la Résurrection et la Vie, la Résurrection parce que je suis la Vie. » (10) Dès lors, les détails de la narration prennent un sens nouveau : Jésus demande « où l’avez-vous mis ? » (v. 34), comme Dieu dans le Paradis interpella Adam : « Où es-tu ? » (Gn 3,9). Marthe et Marie qui appellent au secours sont 11 comme l’Église qui supplie le Médecin des âmes de prendre soin de nous (intercession). Et lorsque Jésus pleure, c’est pour nous enseigner les larmes du repentir : « Écoute encore : le Christ a pleuré. Que l’homme pleure sur lui-même. Pourquoi le Christ a-t-il pleuré en effet si ce n’est parce qu’il a enseigné à l’homme à pleurer ? Pourquoi a-t-il frémi et s’est-il troublé en lui-même sinon parce que la foi de l’homme qui se déplaît à juste titre doit d’une certaine manière frémir dans l’accusation de ses œuvres mauvaises pour que l’habitude de pécher cède devant la violence du repentir ? » (11) Jésus est venu à Béthanie pour ressusciter son ami, et il est venu en ce monde pour donner la Vie : son apostrophe à Lazare (viens dehors ! v.43), avec sa prière à son Père, symbolise son intercession pour les pécheurs et le pardon qu’il obtient : Alors Lazare s’avance, lié de bandelettes… « Quand tu n’as que mépris [pour le bien], tu es étendu mort et […] dans le tombeau ; quand tu confesses tes fautes, tu t’avances ; qu’est-ce que s’avancer en effet sinon se manifester en sortant pour ainsi dire de ce qui était caché ? Mais cette confession, c’est Dieu qui t’amène à la faire en criant d’une voix forte, c’est-à-dire en t’appelant par une grande grâce. C’est pourquoi, après que le mort se fut avancé encore lié, confessant ses fautes et coupable encore, le Seigneur dit aux ministres pour que ses péchés soient déliés : Déliez-le et laissez-le s’en aller. » (12) Cela nous invite à intercéder pour tous nos frères pécheurs ; redisons avec 12 le psalmiste : Si tu retiens les fautes, Seigneur / Seigneur, qui subsistera ? / Mais près de toi se trouve le pardon / pour que l’homme te craigne. / Oui, près du Seigneur est l’amour ; / près de lui, abonde le rachat. / C’est lui qui rachètera Israël / de toutes ses fautes. (Ps 130) Pour aller plus loin Résolution Pendant ces derniers jours avant la Semaine sainte, j’essaierai de suivre l’invitation du pape François à apporter la présence vivante de Jésus miséricordieux et riche d’amour pour tous mes frères : en étant plus disponible pour les confessions, si je suis prêtre ; en étant plus attentif aux membres de ma famille (naturelle ou religieuse) et à leurs nécessités spirituelles ; en implorant pour tous la miséricorde divine. Réflexion Ce chapitre 11 de l’évangile de Jean insiste beaucoup sur la foi, en voyant le miracle de Jésus, ou en écoutant sa Parole. Voir, écouter, croire : dans sa première encyclique, Lumen Fidei, le pape François (guidé par le pape émérite Benoît…) nous offre une réflexion très profonde sur ces thèmes. Elle nous introduit à cet évangile mystique (13) : « 30. La connexion entre la vision et l’écoute, comme organes de connaissance de la foi, apparaît avec la plus grande clarté dans l’Évangile de Jean. Selon le quatrième Évangile, croire c’est écouter et, en même 13 temps, voir. L’écoute de la foi advient selon la forme de connaissance qui caractérise l’amour : c’est une écoute personnelle, qui distingue la voix et reconnaît celle du Bon Pasteur (cf. Jn 10, 3-5) ; une écoute qui requiert la sequela, comme cela se passe avec les premiers disciples qui, « entendirent ses paroles et suivirent Jésus » (Jn 1, 37). D’autre part, la foi est liée aussi à la vision. Parfois, la vision des signes de Jésus précède la foi, comme avec les juifs qui, après la résurrection de Lazare, « avaient vu ce qu’il avait fait, crurent en lui » (Jn 11, 45). D’autres fois, c’est la foi qui conduit à une vision plus profonde : « si tu crois, tu verras la gloire de Dieu » (Jn 11, 40). Enfin, croire et voir s’entrecroisent : « Qui croit en moi (…) croit en celui qui m’a envoyé ; et qui me voit, voit celui qui m’a envoyé » (Jn 12, 44-45). Grâce à cette union avec l’écoute, la vision devient un engagement à la suite du Christ, et la foi apparaît comme une marche du regard, dans lequel les yeux s’habituent à voir en profondeur. Et ainsi, le matin de Pâques, on passe de Jean qui, étant encore dans l’obscurité devant le tombeau vide, « vit et crut » (Jn 20, 8) ; à Marie de Magdala qui, désormais, voit Jésus (cf. Jn 20, 14) et veut le retenir, mais est invitée à le contempler dans sa marche vers le Père ; jusqu’à la pleine confession de la même Marie de Magdala devant les disciples : « j’ai vu le Seigneur ! » (cf. Jn 20, 18). Comment arrive-t-on à cette synthèse entre l’écoute et la vision ? Cela devient possible à partir de la personne concrète de Jésus, que l’on voit et que l’on écoute. Il est la Parole faite chair, dont nous avons contemplé la 14 gloire (cf. Jn 1, 14). La lumière de la foi est celle d’un Visage sur lequel on voit le Père. En effet, la vérité qu’accueille la foi est, dans le quatrième Évangile, la manifestation du Père dans le Fils, dans sa chair et dans ses œuvres terrestres, vérité qu’on peut définir comme la « vie lumineuse » de Jésus. Cela signifie que la connaissance de la foi ne nous invite pas à regarder une vérité purement intérieure. La vérité à laquelle la foi nous ouvre est une vérité centrée sur la rencontre avec le Christ, sur la contemplation de sa vie, sur la perception de sa présence. En ce sens, saint Thomas d’Aquin parle de l’oculata fides des Apôtres — une foi qui voit ! — face à la vision corporelle du Ressuscité. Ils ont vu Jésus ressuscité avec leurs yeux et ils ont cru, c’est-à-dire ils ont pu pénétrer dans la profondeur de ce qu’ils voyaient pour confesser le Fils de Dieu, assis à la droite du Père. 31. C’est seulement ainsi que, à travers l’Incarnation, à travers le partage de notre humanité, pouvait s’accomplir pleinement la connaissance propre de l’amour. La lumière de l’amour, en effet, naît quand nous sommes touchés dans notre cœur ; nous recevons ainsi en nous la présence intérieure du bien-aimé, qui nous permet de reconnaître son mystère. Nous comprenons alors pourquoi, avec l’écoute et la vision, la foi est, selon saint Jean un toucher, comme il l’affirme dans sa première lettre : « (…) ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux (…) ce que nos mains ont touché du Verbe de vie » (1 Jn 1, 1). Par son Incarnation, par sa venue parmi nous, Jésus nous a touchés, et, par les 15 Sacrements aussi il nous touche aujourd’hui ; de cette manière, en transformant notre cœur, il nous a permis et nous permet de le reconnaître et de le confesser comme le Fils de Dieu. Par la foi, nous pouvons le toucher, et recevoir la puissance de sa grâce. Saint Augustin, en commentant le passage sur l’hémorroïsse qui touche Jésus pour être guérie (cf. Lc 8, 45-46), affirme : « Toucher avec le cœur, c’est cela croire ». La foule se rassemble autour de Lui, mais elle ne l’atteint pas avec le toucher personnel de la foi, qui reconnaît son mystère, sa Filiation qui manifeste le Père. C’est seulement quand nous sommes configurés au Christ, que nous recevons des yeux adéquats pour le voir. » Références (1) Hymne pascale Victimae Paschali Laudes. (2) Pape François, encyclique Lumen Fidei, nº1. (3), (4) et (5) : J.-B. Bossuet, Sermon sur la mort, prononcé au Louvre devant la Cour, pour le vendredi de la IVème semaine de Carême 1662. (6) et (8) Pape François, Audience générale, 27 mars 2013 (la première de son pontificat). (7) Préface de la messe du 5º dimanche de Carême. (9), (10) (11) et (12) : Saint Augustin, Homélies sur l’évangile de Jean, Tractatus XLIX, Etudes augustiniennes 1989 (vol. 73B), pp. 197 sq : nn. 7, 14, 19 et 24. (13) Pape François, encyclique Lumen Fidei, nº30-31. Contacter l'auteur de la Lectio Divina, P. Nicolas Bossu, LC 16