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La deuxième génération de néo-confucianistes contemporains, Tang Junyi, Mou Zongsan15,
etc., n’ont commencé à affirmer la valeur de la religion qu’à la fin des années 40 - début des
années 50. Après s’être installés à Hong-Kong, ils ont encore mieux réalisé que ce qui est
vraiment le fond de la culture occidentale et ce qu’elle a de plus profond, n’est précisément
rien d’autre que la religion. Tant tout à la fois stimulés par la conscience religieuse
occidentale et la valeur de la religion, s’ancrant dans une obsession à résister à la culture
occidentale et à conserver l’esprit de la culture chinoise, ils ont commencé à connaître, à
exhumer et interpréter à frais nouveaux l’esprit religieux que contient l’école confucianiste et
le confucianisme. Le Manifeste « La Culture chinoise et le Monde »16 de quatre maîtres, Tang
Junyi, Mou Zongsan, Xu Fuguan, Zhang Junmai publié le jour de l’an 1958 est un exemple
d’une approche de la religiosité du confucianisme qui a déjà trouvé sa forme accomplie. Ils
pensent que la Chine n’a rien connu du système occidental, ni Eglise, ni guerres de religion,
ni séparation de la politique d’avec la religion, que le sentiment transcendant à caractère
religieux du peuple chinois ainsi que son esprit religieux sont liés d’une manière inséparable à
la morale éthique à laquelle il est très attaché ainsi qu’à la politique.
La conception du ‘ Ciel ’ de l’antiquité désignait le Souverain suprême doté d’une
personnalité17 ; la foi religieuse des anciens à l’égard du Ciel s’est infiltrée dans la manière
dont les penseurs ultérieurs ont pensé l’homme et a conduit à des conceptions comme : ‘ le
Ciel et l’Homme unissent leurs vertus ’, ‘ le Ciel et l’Homme s’unissent ’, ‘ le Ciel et
l’Homme ne font pas nombre ’, ‘ le Ciel et l’Homme ont même constitution ’. La pensée des
confucianistes d’une interpénétration du Ciel et de l’Homme fait que le Ciel devient intérieur
à l’Homme dans un mouvement de haut en bas et que l’Homme s’élève pour atteindre le Ciel
dans un mouvement de bas en haut. Que le lettré doté de force d’âme se sacrifie pour
pratiquer le ‘sens de l’Humain’, perd sa vie pour la justice18, voilà qui contient une foi
transcendante empreinte de religiosité. L’étude de la Moralité et du Principe’ et l’étude de
l’Esprit19 et de la Nature humaine’ des confucianistes sont des clés pour pénétrer l’intérieur et
l’extérieur de l’homme, ce qui est au-dessus et en dessous, le Ciel et l’Homme.
En un certain sens, le fait que Tang Junyi et Mou Zongsan appellent le confucianisme
‘religion morale’, ‘religion humaniste’ ou ‘religion de la réalisation de la vertu’, montre
pleinement sa caractéristique d’être à la fois transcendant et immanent, sacré et profane. En
15 Tang Junyi (1909-1978) et Mou Zongsan (1909-1995) : voir ci-dessous.
16 Le Manifeste « La Culture chinoise et le monde » de 1958 est notamment une protestation contre
les diverses mésinterprétations occidentales de cette culture, une affirmation qu’elle a une religiosité,
que son joyau est l’interprétation idéaliste du confucianisme (doctrine xin-xing 心性, ‘Esprit-Nature
humaine’) et que les sciences et la démocratie doivent être assimilés par les Chinois.
17 Le texte propose « personal God ». Nous le traduisons par « dieu personnel », mais non sans
réserves. L’expression chinoise (人格神
rengeshen
) doit se comprendre comme « divinité dotée d’une
personnalité », c’est-à-dire réputée pouvant voir, entendre, parler, juger, récompenser et punir, etc.,
une divinité que l’on peut prier, à laquelle on peut demander le salut, ce qui détourne l’homme de
rechercher en lui son accomplissement. Elle peut s’appliquer aussi bien au Ciel chinois de l’Antiquité
qu’au Dieu de la Bible. Nos réserves viennent de ce que l’expression « dieu personnel » a une
signification différente dans la perspective biblique, où le caractère « personnel » de Dieu tient à ce
que la relation entre Dieu et l’homme est concçue d’une manière analogue à celle existant entre des
personnes humaines. Nous évitons aussi l’expression « dieu/divinité anthropomorphe » qui sont des
dieux représentés avec des formes et des mœurs humaines.
18 Mencius VI A 10.
19 « Esprit »
xin
心 désigne à la fois l’esprit et le cœur, l’organe des affects et de l’intellect, sans
distinction d’un siège de la pensée (le cerveau) et d’un siège des émotions et des passions. Voir
A.Cheng,
Histoire ..
p.164. Il sera rendu par ‘Esprit’ ou encore par ‘conscience’ (par exemple
‘conscience de l’humain’, ‘conscience sapientielle’).