Progrès technique et croissance dans les pays émergents Technological change and Growth in Emerging Countries Andrianasy A. Djistera* Résumé : Ce papier examine la relation entre le progrès technique et la croissance économique. Nous construisons un modèle de croissance endogène où l’évolution de la technologie du pays émergent dépend de l’investissement en matière de R&D. On montre que l’imitation ou l’adaptation des technologies produites dans les pays avancés joue un rôle déterminant dans le rattrapage technologique des pays émergents, mais le principal source du progrès technique, et donc de la croissance reste le capital humain. Abstract: This paper examines the relation between technical progress and economic growth. We build a model of endogenous growth where the technological change of emerging country depends on investment in R&D. We show that imitation or the adaptation of technology produced in advanced countries plays crucial role in technological catch up of emerging countries but the main source of technical progress and then economic growth remains human capital. Classification JEL: F15; O31; O41 Mots clés: Capital humain, croissance économique, imitation, pays émergent, R&D. Keywords: Human capital; Economic Growth; Imitation; Emerging Countries; R&D. * Lare-efi, Université Montesquieu Bordeaux IV, Avenue Léon Duguit, 33608 Pessac. E-mail : [email protected] 1 1. Introduction La création et l’utilisation des connaissances joue un rôle essentiel dans les économies industrielles modernes. Arrow (1962) a montré que le changement technologique implique une modification dans la fonction de production. L’auteur a également souligné que le progrès technique nécessite des efforts et qu’il est le produit de l’expérience acquise au cours de l’activité. En prenant en compte cette idée, Romer (1986) a proposé un modèle de croissance dans lequel l’apprentissage par la pratique ou le « learning by doing » permet d’obtenir un accroissement continu de la production. Ce processus peut influencer la progrès technique, mais les économistes tendent à mettre en avant l’idée que l’investissement en R&D produit les connaissances disponibles dans l’économie (Kuznets, 1966 ; Rosenberg, 1982). La nouvelle théorie de la croissance considère notamment que cet l’investissement est un facteur essentiel de croissance économique. La plupart des modèles de croissance endogène montrent que le taux de croissance augmente avec le nombre de chercheurs employés dans l’activité de R&D (Romer, 1990 ; Grossman et Helpman, 1990 ; Aghion et Howitt, 1992). La contribution des activités liées à la recherche et à l’innovation dans la croissance des industrialisés qui disposent de ressources abondante de main-d’oeuvre qualifiée a été suffisamment étudiée. La relation est moins étudiée dans les pays émergents. Pourtant, un grand nombre d’économies émergentes, notamment d’Asie (Corée du Sud, Inde, Taiwan, etc.), ont connu un accroissement du niveau technologique, et cette amélioration a conduit à une forte croissance. De plus, ces pays ont également un niveau élevé de capital humain. Nous nous intéressons ici à l’interaction entre le capital humain et l’imitation dans la croissance rapide de ces pays. Nous développons dans ce papier le modèle de Romer (1990) afin d’améliorer le pouvoir explicatif du lien entre le changement technologique et la croissance. L’évolution de la technologie productive dans notre modèle tient en compte l’imitation ou l’adaptation des technologies des économies plus avancées dans le contexte national. Ce papier est organisé en 5 sections. Nous décrivons dans la deuxième section notre modèle. La troisième section analyse la croissance à long terme. Nous discutons dans la quatrième section les enseignements du modèle en matière de politique économique. La dernière section conclue le modèle. 2 2. La description de l’économie Nous reprenons très largement les hypothèses du modèle de Romer (1990), mais notre formalisation de l’évolution de la technologie est plus riche. L’économie est composée de trois secteurs d’activité, le secteur de la production de biens, le secteur de la production de biens intermédiaires et celui de la recherche À la date t, nous supposons que le nombre total Lt de travailleurs est réparti entre la production de biens (LYt) et l’activité de recherche (LAt). 2.1. La production de bien final Nous considérons que la production de bien final est une fonction positive du facteur travail et des biens de capital. La technologie de production de bien final est de type DixitStiglitz (1977) Yt = LYt α At 1− α ∫ x(i ) 0 di, 0 < α < 1 , (1) où Yt est le produit, HY est le facteur travail employé dans le secteur de production, x(i) est la quantité utilisée de bien de capital de la variété i et At représente le nombre de biens d’équipement disponibles. Le progrès technique prend la forme de l’accroissement de At. En supposant qu’on utilise la même quantité de chaque bien intermédiaire (x(i) = x), la fonction de production peut s’écrire Yt = LYt At x 1− α . α (2) La concurrence dans ce secteur assure la rémunération des facteurs au coût marginal. En ce qui concerne les biens d’équipement, la quantité demandée du bien de type i est telle que la productivité marginale est égale à son prix. La quantité demandée de la variété i est ainsi donnée par la fonction p (xi ) = (1 − α )LYt x − α . α (3) 2.2. La production de biens intermédiaires Le producteur de la variété i de capital est en situation de concurrence monopolistique et loue le fruit de sa recherche au prix p (x(i )) (qui est égal à la productivité marginale du bien 3 intermédiaire) aux producteurs de bien final. La valeur actualisée des flux futurs de bénéfices d’exploitation est donnée par l’équation R( x(i )) = ∫ +∞ 0 e − rt p( x(i ))x(i )dt . (4) Nous supposons que la création de nouveau type de bien intermédiaire nécessite η unités de biens finals. De plus, la production d’un type donné de bien intermédiaire nécessite l’acquisition d’un brevet. Le coût de production de bien intermédiaire à la date t a ainsi deux composantes, d’une part le coût de la matière première qui est mesuré en termes d’unités de biens finals, et d’autre part, le coût fixe du brevet pA qui est payé à l’inventeur de la variété i. La valeur actualisée du flux de profit est πa = ∫ +∞ 0 e − rt p ( x(i ))x(i ) dt − ηx(i ) − p A . (5) Comme la valeur actualisée d’un bien final peut s’écrire p (x(i )) r , on obtient πa = p ( x(i ))x(i ) − ηx(i ) − p A . r (6) Les producteurs de biens intermédiaires sont en concurrence sur le marché des brevets, et ils considèrent le coût pA d’investissement initial pour le brevet comme donné. Le producteur de biens intermédiaires maximise son profit par rapport à la quantité produite x. Nous obtenons les rendements marginaux (Rm) en dérivant le loyer actualisé par rapport à x Rm = (1 − α )2 LYt α x −α r , (7) et le coût marginal est η. Comme l’équilibre est réalisé si le rendement marginal est égal au coût marginal, on a ηr x = 2 α (1 − α ) LYt ∗ −1 α . (8) Le prix d’équilibre du bien final est obtenu en combinant les équations (3) et (8), ( ) p x∗ = ηr . 1− α (9) 4 2.3. L’activité de R&D L’amélioration de la technologie s’explique par les activités utilisant de la maind’œuvre qualifiée. Dans les pays émergents, du moins dans la première phase de leur développement, l’activité permettant l’amélioration technologique se réfère plus à l’imitation ou à l’adaptation des technologies produites dans les pays plus avancés. En se basant sur les technologies plus avancées, les firmes peuvent améliorer leur productivité en effectuant de la recherche générant de nouvelles connaissances. L’adaptation sur le plan local des technologies étrangères joue un rôle essentiel dans le rattrapage technologie des pays émergents. Pissarides (1997) souligne que l’imitation peut conduire à plus de succès en matière de progrès technique que la R&D dont l’objectif est une découverte originale. Pour un pays émergents, l’apprentissage à partir des erreurs des firmes étrangères a plus de chance de conduire à de nouvelles découvertes, et il est moins coûteux, que l’apprentissage à partir des erreurs des firmes nationales. La formulation de l’évolution technologique dans le pays émergent s’inspire de celle de Romer (1990) et de Pissarides (1997) où les économies moins avancées se développent par apprentissage des pays plus avancées. Cette évolution dépend du nombre LAt de chercheurs, de la productivité δA de la recherche, du retard technologique et du stock global de connaissances accumulées dans l’économie (noté S ( ) ) qui constitue une externalité positive sur l’efficacité du processus de recherche. Il est constitué de la technologie produite dans l’économie, d’une part et par les externalités liées aux efforts en matière de recherche, d’autre part. Bessen (1998) souligne notamment que le développement de nouvelles technologies nécessite souvent la résolution d’un certain nombre de problèmes au niveau de l’application industrielle qui sont résolus en faisant des essais et des erreurs. Les innovations s’accompagnent ainsi d’important processus d’apprentissage par la pratique. Le terme At représente les externalités liées à ce processus d’apprentissage. L’évolution de la technologie dans le pays émergents peut s’écrire A∗ A& t = δ A t S (At , At )L At . At et en supposant que S (At , At ) = At At , nous obtenons β γ 5 ∗ &A = δ At A β A γ L = δ A ∗ A β −1 A 1− β L , t A A t t t At t t At At (10) β et τ sont respectivement les contributions des technologies disponibles et des externalités dans l’activité de R&D. Pour simplifier, on suppose que γ = 1 − β , et comme At = At . L’équation (10) devient ∗ A& t = δ A At L At , (11) Les firmes du secteur de la recherche capture les revenus issus de la location de brevets acquis par les producteurs de biens intermédiaires. En effet, il y a un libre accès dans ce secteur (le salaire est égal à la productivité marginale). Le profit des firmes du secteur de la recherche peut s’écrire ( ∗ ) Π At = p A δ A At L At − w A L At . (12) La maximisation du profit donne le rendement des travailleurs dans le secteur de la recherche ∗ ∗ w A = p A δ A At . (13) Sur le marché des brevets, les sont en situation de monopole. Le prix auquel une firme vend son brevet lui permet de capter l’intégralité des profits actualisés du producteur de biens d’équipement qui achète son brevet. Le prix du brevet est donné par πa = p ( x(i ))x(i ) − ηx(i ) − p A = 0 . r (14) La valeur d’équilibre du brevet pA qui permet aux firmes du secteur de la recherche de capturer les profits des producteurs de biens intermédiaires en utilisant (9) et (14), ∗ pA = ( ) αp x ∗ x ∗ αηx ∗ . = r 1− α (15) Nous pouvons remarquer que le prix des brevets dépend négativement du taux d’intérêt (équation (15)). Une augmentation du taux d’intérêt implique une réduction du profit escompté de monopole, et donc de pA. 6 3. L’analyse de la croissance du pays émergent 3.1. La croissance à l’équilibre décentralisé ∗ Pour une valeur donnée de LA, le taux de croissance de la technologie est δ A At L At . On déduit de l’équation (2) que la production Yt doit croître au même taux que la technologie At si LYt et x sont fixés. Et l’usage total du capital Kt étant égal à Atxη le stock de capital physique doit croître au même taux que At. L’équation de l’accumulation de capital physique est K& t = Yt − C t , (16) où C représente la consommation. Étant donné que K t Yt est constant, l’équation (16) implique que le ratio C Y l’est aussi. Par conséquent, les variables Ct, Kt, Yt et At croissent au même taux constant g. Ce dernier est donné par At ∗ Y&t K& t C& t A& t L At . g= = = = = δ A Yt K t C t At A t (17) Selon l’équation (17), le taux de croissance dépend de la quantité de travail utilise dans le secteur de la recherche, de l’efficience de se secteur et la distance par rapport à la technologie mondiale. Notre résultat montre que la croissance à long terme dépend essentiellement de la maind’œuvre allouée à la R&D. Déterminons la valeur de LAt à l’équilibre décentralisé. Pour cela, nous partons de l’idée selon laquelle, les salaires des travailleurs dans tous les secteurs doivent être égaux sur le sentier de croissance équilibré (Romer, 1990). ∗ Le salaire global dans le secteur de la recherche s’exprime p A δ A At L At , et les travailleurs LAt reçoivent tous les revenus de ce secteur. La productivité marginale des travailleurs est ainsi ∗ PmL A = p A δ A At . (18) La productivité marginale du facteur travail dans la production de bien final s’écrit 7 ∂Yt α −1 = αLYt At x 1−α . ∂LYt (19) En égalisant les deux dernières équations, nous avons à l’équilibre Le prix pA des nouvelles variétés de biens intermédiaires est donné par ∗ ∗ p A δ A At = αLYt α −1 At x 1−α . (20) La combinaison des équations (8), (15) et (20) donne la valeur d’équilibre centralisé du nombre de travailleurs affecté à la recherche ∗ L At = L − r (1 − α )δ A (At ∗ At ). (21) En utilisant l’expression du taux de croissance et l’équation (21), nous obtenons le taux de croissance à l’équilibre décentralisé At ∗ A& t r L − g= = δ A . At (1 − α )δ A At ∗ At At ( ) (22) La fonction d’utilité s’écrit 1− σ u (C t ) = Ct − 1 . 1− σ (23) La règle de Ramsey-Keynes conduit à l’expression du taux de croissance C& t r − ρ . = Ct σ (24) En égalisant (22) et (24), on a le taux d’intérêt d’équilibre décentralisé, [ ( r ∗ = σδ A At ∗ ) At L + ρ ]1 −1 α− α+ σ (25) Le nombre de travailleurs affecté à la recherche est obtenu en remplaçant la valeur du taux d’intérêt dans l’équation (21) par sa valeur d’équilibre, L At ∗ (1 − α )δ A (At ∗ At )L − ρ = . ∗ δ A (At At )(1 − α + σ ) (26) D’où, le taux de croissance à l’équilibre décentralisé 8 g= (1 − α )δ A (At ∗ ) At L − ρ . 1− α + σ (27) La croissance du pays émergents est d’autant plus forte que l’écart technologique est important. Elle dépend également positivement de l’importance de la main-d’œuvre disponible dans l’économie. En effet, l’imitation nécessite l’existence de travailleurs ayant un certain niveau de qualification. L’importance du nombre de main-d’œuvre qualifié dans le pays émergent peut être analysée à partir de l’équation de la croissance à l’équilibre. L’équation (27) révèle un nombre minimal de main-d’œuvre à partir duquel le pays émergent ne pourra générer de la croissance à long terme. En égalisant cette équation à zéro, on obtient Lmin = ρ (1 − α )δ A (At ∗ At (28) ). Dans ce contexte, l’économie n’affecte aucun travailleur aux activités permettant le développement technologique. En effet, l’équation (17) implique que Lmin = LYt et L At = 0 lorsque g = 0 . Le modèle montre que l’utilisation des connaissances produites dans les économies plus avancées permet le décollage du pays émergent où le niveau de capital humain est trop faible pour effectuer de l’innovation radicale. Pour un système national de recherche dont l’objectif est de créer de nouvelles variétés de produit est associé à At ∗ At = 1 . Dans cette situation, le nombre de travailleurs minimal dont l’économie a besoin pour soutenir le changement technologique est plus élevé par rapport au cas où elle adapte les technologies des pays avancés ( At ∗ At > 1 ). On montre ainsi que l’adaptation des technologies avancées au niveau locale permet le décollage du pays émergent. 3.2. La croissance à l’équilibre centralisé Le Hamiltonien H associé au programme d’optimisation de l’agent représentatif s’écrit H = e − ρt C 1−σ − 1 α α 1− α ∗ + θ t1 (L − L At ) At K t η α −1 − C t + θ t 2 δ A At L At . 1− σ { } { } 9 Les conditions de premier ordre sont données par les relations suivantes : ∂H ∂H ∂H ∂H & ∂H . = 0, = 0, = 0 , λ&1 = ρ − , λ2 = ρ − ∂C ∂L A ∂LB ∂A ∂K Nous en déduisons λ&1t C& = −σ t , λ1t Ct (29) ∗ λ1t δ A At , = λ2t α (L − L At )α −1 A α K t 1−α η α −1 (30) λ&2t λ α α −1 1− α = ρ − 1t α(L − L At ) At K t η α −1 , λ2 t λ2 t (31) λ&t1 α α −α = ρ − (1 − α )(L − L At ) At K t η α −1 . λt1 (32) La combinaison des équations (30) et (31) donne ∗ λ&2t A = ρ − δ A t (L − L At ) . λ2 t At (33) L’équation (30) implique λ&2t λ&1t A& t = + . λ2t λ1t At (34) Le nombre de travailleurs employés dans le secteur de la recherche est obtenu grâce à l’égalisation des deux dernières équations, L At = ( δ A At ) ∗ ( At L − ρ . (35) At L − ρ . σ (36) δ A At ∗ ) At σ On en déduit le taux de croissance g= ( δ A At ∗ ) La solution du modèle à l’équilibre centralisé confirme les enseignements tirés à partir de l’analyse de la croissance à l’équilibre décentralisé. Nous constatons que le taux de croissance est ici plus élevé que dans le cas du paragraphe précédent. 10 4. Les enseignements de politique économique 4.1. L’importance de la politique éducative Nous avons présenté un modèle prenant en compte l’ouverture à la technologie étrangère. Ce modèle aide ainsi à expliquer l’implication de l’interaction entre le changement technologique et le niveau de qualification de la population active dans la croissance des pays émergents. L’imitation ou l’adaptation des technologies étrangères nécessite l’existence de main-d’œuvre qualifiée. Le modèle apporte ainsi des enseignements intéressants de politique économique. En favorisant le progrès technique, l’imitation joue un rôle essentiel dans la croissance rapide des pays émergents d’Asie, mais c’est les innovations technologiques qui sont susceptibles de générer de la croissance à long terme. La politique éducative joue ainsi un rôle essentiel en favorisant l’offre de main-d’œuvre qualifiée. Nous pouvons enfin remarquer que l’État doit favoriser les activités ayant pour but d’innover puisqu’elles permettent de soutenir la croissance à long terme. En effet, après avoir atteint le niveau technologique des pays développés les pays émergents ne peuvent plus se contenter d’imiter pour maintenir un accroissement continu de leur production. Un certain nombre de pays émergents d’Asie développent progressivement des activités de plus en plus centrées sur l’innovation. Nous pouvons illustrer c propos par l’exemple de la Corée du Sud. Les groupes sud-coréens ont progressivement élaboré leurs capacités industrielles par l’imitation et l’apprentissage à partir des années soixante (Kim, 1997). Ils ont effectué des efforts afin d’absorber les nouvelles technologies produites dans les pays plus industrialisés et d’accroître leur capacités technologiques. Ils ont ensuite cherché à passer de l’imitation à l’innovation au cours de la décennie 1990. Plus récemment, la Chine a également délaissé petit à petit la stratégie de développement fondée sur l’imitation pour passer à l’innovation (qui s’accompagne d’une volonté de dépendance technologique). La Chine a notamment développé ces propres normes technologiques. Le consortium chinois E-World Digital Technology, en collaboration avec l’entreprise américaine ON2 Technologies, a notamment lancé en 2003 le codec de compression audio/vidéo VP6, qui est au cœur d’un format alternatif de disque vidéo numérique, l’EVD (Enhanced Versatile Disc). Il permet aux autorités chinoises de faire des 11 économies sur le paiement de redevances versées pour l’utilisation du format de compression Mpeg2.1 4.2. Le rôle des droits de propriété intellectuelle L’abondance de la main-d’œuvre qualifiée est un facteur essentiel du changement technologique dans les pays émergents d’Asie, mais les décisions prises par leur gouvernement en matière de brevets joue également un rôle essentiel. Dans un rapport commandé par le gouvernement anglais, Barton (2002) note que des pays ont utilisé les régimes de propriété intellectuelle pour poursuivre leurs propres intérêts économiques. Un grand nombre de pays ont ainsi modifié leur régime à différentes étapes de leur développement, au rythme de l’évolution de leur impression sur ces sujets (et leur statut économique). L’idée est que l’existence de monopole dans un secteur d’activité essentiel ne peut être acceptée, et que les gains liés aux mesures favorisant le libre accès aux technologies étrangères sont plus importants que les gains associés aux incitations de l’innovation dans l’économie nationale. Cette approche a notamment été adoptée dans les économies d’Asie de l’Est parmi lesquelles la Corée du Sud et Taiwan. Elles ont utilisé des formes faibles de la protection des propriétés élaborées en fonction de leurs contextes selon leur phase de développement. Au cours de leur croissance rapide entre les années 1960 et 1980, la Corée du Sud et Taiwan se sont notamment appuyés sur l’imitation et l’ingénierie inverse afin de développer leur système national d’innovation. Par exemple, la Corée du Sud a adopté la législation sur les brevets en 1961, mais elle ne porte pas sur les produits alimentaires, chimiques et pharmaceutiques. De plus le délai de protection des brevets était seulement de 12 ans. Les lois sur les brevets n’ont été révisées qu’au milieu des années quatre-vingt, sous la pression des États-Unis, utilisant la Section 301 du Trade Act de 1974. Toutefois, les normes définies par les Aspects des droits de propriété intellectuelle touchant au commerce (ADPIC), dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ne sont pas encore atteintes.2 L’Inde a également joué sur les lois sur les droits de propriété intellectuelle au cours de son apprentissage technologique. Le cas de son industrie pharmaceutique est souvent cité (Latrive, 2004). Avant les années soixante-dix, la production locale est faible et les prix des médicaments sont élevés à cause des politiques tarifaires des firmes étrangères qui sont 1 La Chine doit payer les licences associées à la technologie Mpeg-2 utilisée pour les DVD. Les droits de cette technologie sont détenus par un consortium de 18 entreprises américaines, européennes et japonaises (dont Microsoft, Sony et Philips). 2 Barton (2002, p. 18). 12 propriétaires des brevets. Cette situation s’explique également par loi datant de 1911 qui assure une protection forte aux médicaments. En 1970, ce pays a décidé de remédier à cette situation en réformant le système au début des années 1970, avec une loi qui fournit uniquement une protection sur le procédé (pendant une période de sept ans) sur les produits alimentaires, chimiques et les médicaments. Cette loi permet notamment de pratiquer l’ingénierie inverse sur les médicaments brevetés. Cette situation favorise ainsi le développement des laboratoires indiens qui vont copier les médicaments élaborés par les firmes étrangères. C’est notamment le cas des médicaments où la législation indienne ne reconnaît pas la protection par des brevets.3 5. Conclusion Nous nous sommes attaché à analyser la relation entre le progrès technique et la croissance dans les pays émergents. Nous avons montré que ces pays connaissent une forte croissance qui est tirée par l’adaptation des technologies produites dans les économies plus avancées. De plus, le taux de croissance est d’autant plus élevé que l’écart technologique est élevé. Dans la première phase du développement des pays émergents, le changement technologique s’explique essentiellement par l’imitation des technologies crées dans les pays industrialisés, et moins par les innovations technologiques. Comme l’une activité de R&D dont l’objectif est de produire de nouvelles technologies, l’imitation nécessite des investissements en capital humain. L’idée que l’adaptation des technologies produites dans les pays avancés a un impact favorable dans les pays émergents a enfin une implication en matière de politique économique. Les pays en développement doivent favoriser les transferts de technologies. La politique éducative a ici un rôle essentiel. Les pouvoirs publics doivent aussi favoriser les échanges et les IDE qui constituent des vecteurs de progrès technique (Artus, 2005). 3 Latrive (2004) prend l’exemple du laboratoire indien Cipla produisant des traitements antiviraux contre le Sida en copiant les molécules des firmes pharmaceutiques occidentales, mais qui est considéré comme une entreprise légale du point de vue de la loi indienne. 13 Bibliographie Aghion, P., Howitt P. (1992), “A Model of Growth through Creative Destruction”, Econometrica, 60 (2), p. 323-351. Arrow, K. J. (1962), “The Economic Implication of Learning by doing”, Review of Economic Studies, 29 (3), 152-173. Artus, P. (2005), « Les effets des particularités de la situation de la Chine sur les conséquences de l’ouverture des échanges commerciaux entre la Chine et les pays avancés », Document de travail IXIS No 21, juillet. Barton, J. (2002), “Integrating Intellectual Property Rights and Development Policy”, Commision on Intellectual Property Rights, Londres. Bessen, J. (1998), “Productivity Adjustments and Learning-by-Doing as Human Capital”, Mimeo. Dixit, A. K., Stiglitz J.E. (1977), “Monopolistic Competition and Optimal Product Diversity”, American Economic Review, 67, 297-308. Grossman, G.M, Helpman E. (1990), “Comparative Advantage and Long-run Growth”, American Economic Review, 80 (4), 796-815. Kuznets, S. (1966), Modern Economic Growth, Yale University Press: New Haven. Latrive, F. (2004), Du bon usage de la piraterie – Culture libre, sciences ouvertes, Éditions Exils. Pissarides, C. A., “Learning by Trading and the Returns to Human Capital in Developing Countries”, The World Bank Economic Review, 11 (1), p. 17-32. Romer, P. M. (1986), “Increasing Returns and Long Run Growth”, Journal of Political Economy, 94, p. 1002-1037. Romer, P. M. 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