OD ON
Lettre No 3
Odéon-Théâtre de l’Europe janvier 2013
FIN DE PARTIE
Samuel Beckett – Alain Françon
LA RÉUNIFICATION
DES DEUX CORÉES
Joël Pommerat
DER WEIBSTEUFEL
Le Diable fait femme
Karl Schönherr – Martin Kušej
2 3
© Dunnara Meas
FIN DE PARTIE «Fini, c'est fini, ça va finir, ça va peut-être finir.
Les grains s'ajoutent aux grains, un à un et un
jour, soudain, c'est un tas, un petit tas,
l'impossible tas.»
Par la grâce de cette réplique inaugurale, Fin de partie entre dans l'histoire du théâtre, quatre
ans après En attendant Godot, comme la goutte qui fait déborder un très vieux vase dramatur-
gique. Hamm est aveugle dans son fauteuil roulant. S’il ne peut plus voir venir la fin, il la sent
sourdre dans sa tête. Clov, lui, ne s'assied jamais; jamais encore il n'a désobéi aux ordres
du tyran dont il est peut-être le fils. Auprès d'eux, accroupis dans des poubelles dont ils sur-
gissent de temps à autre comme de pauvres marionnettes cases, Nagg et Nell, les parents
de Hamm – car le vieux Hamm n'est même pas encore orphelin : à vieillard, vieillard et demi,
dans ce monde qui agonise si interminablement que nul ne parvient jamais à atteindre la posi-
tion couchée. Mais aujourd'hui, «quelque chose suit son cours» : aujourd'hui, «ça va peut-être
finir», au delà de toute fin...
10 janvier – 10 février 2013 / Odéon 6e
FIN DE PARTIE
de Samuel Beckett
mise en scène Alain Françon
scénographie et costumes
Jacques Gabel
lumière
Joël Hourbeigt
avec
Serge Merlin, Gilles Privat,
Michel Robin, Isabelle Sadoyan
production
Théâtre de la Madeleine
coréalisation
Odéon-Théâtre de l'Europe
en collaboration avec
Scène Indépendante
Contemporaine (SIC)
créé le 10 mai 2011 au
Théâtre de la Madeleine
à lire Fin de partie de Samuel Beckett,
Les Éditions de Minuit, 1957.
Sommaire
p. 2 à 4
FIN DE PARTIE
Samuel Beckett / Alain Fraon
p. 5 et 6
LES BIBLIOTHÈQUES DE L'ODÉON
p. 7 à 11
LA RÉUNIFICATION DES DEUX CORÉES
Une création de Jl Pommerat
p. 12 et 13
CITIES ON STAGE / MOVING CITIES
p. 14 à 16
DER WEIBSTEUFEL Le Diable fait femme
Karl Schönherr / Martin Kušej
p. 17
Le nouveau site de l'Odéon
Devenez mécène de l'Odéon
p. 18
Avantages abonnés
p. 19
Location
Calendrier
4 5
LES BIBLIOTHÈQUES
DE L’ODÉON
GRANDE SALLE
Anis par Paula Jacques - enregistrement public
En coproduction avec France Inter
HAMM. – Je ne te donnerai plus
rien à manger.
CLOV. – Alors nous mourrons.
HAMM. – Je te donnerai juste
assez pour tempêcher de mourir.
Tu auras tout le temps faim.
CLOV. – Alors nous ne mourrons
pas.
(U n t e m p s.)
Je vais chercher le drap.
Il va vers la porte.
HAMM. – Pas la peine.
(Clov
sarrête.)
Je te donnerai un
biscuit par jour.
(U n t e m p s.)
Un biscuit et demi.
(U n t e m p s.)
Pourquoi restes-tu avec moi ?
CLOV. – Pourquoi me gardes-tu ?
HAMM. – Il ny a personne dautre.
CLOV. – Il ny a pas dautre
place.
Un temps.
HAMM. – Tu me quittes quand
même.
CLOV. – Jessaie.
HAMM. – Tu ne maimes pas.
CLOV. – Non.
HAMM. – Autrefois tu maimais.
CLOV. – Autrefois !
Samuel Beckett :
Fin de partie
(Les éditions de Minuit, 1957)
HAMM: Ill give you nothing
more to eat.
CLOV: Then well die.
HAMM: Ill give you just
enough to keep you from dying.
Youll be hungry all the time.
CLOV: Then we shant die.
[P a u s e.]
Ill go and get the sheet.
[He goes toward the door.]
HAMM: No!
[C L O V h a l t s.]
I’ll
give you one biscuit per day.
[P a u s e.]
One and a half.
[P a u s e.]
Why do you stay with me?
CLOV: Why do you keep me?
HAMM: Theres no one else.
CLOV: Theres nowhere else.
[P a u s e.]
HAMM: Youre leaving me all
the same.
CLOV: Im trying.
HAMM: You dont love me.
CLOV: No.
HAMM: You loved me once.
CLOV: Once!
Samuel Beckett :
Endgame
(version anglaise de lauteur,
Faber and Faber, 1964)
Fin de partie Endgame
Alain Françon Lundi 28 janvier / 20h
Je continue de croire que toute repsentation théâtrale est susceptible d’arra-
cher un bout de sens au chaos du monde. Comment ne pas être déclaratif quand
ce monde est devenu un immense abattoir et un égout à déverser du langage ? [...]
Adorno a écrit que la psie n’était plus possible après les bombes et les camps, elle
l’est toujours, mais en enfer, avec les grands poètes qui sont nos guides parmi les
ruines. J’entends les reproches de catastrophisme, je lis que tout ça est noir, froid,
sans gérosi. Comme si le sens ne pouvait pas aller avec le plaisir et la jubilation !
Un des sophismes employés est de prétendre que les publics dépris ont besoin
d’être divertis, doivent oublier. Je crois au contraire que le public a le droit d’accès
à un théâtre ni simplié, ni réduit, ni effroyablement réconfortant, à un tâtre qui
produise des paradoxes et d’où l’on sorte en ayant «faim de changement».
1997-1998 LEXI/textes (Théâtre national de la Colline/Les éditions de l’Amandier)
Exils
Réalisées par Blandine Masson / Préparées par Baptiste Guiton
Animées par Arnaud Laporte - enregistrement public
En coproduction avec France Culture
Scènes imaginaires
Vous faites du théâtre depuis plus de
quarante ans. Pourquoi avoir attendu
toutes ces années pour aborder
l'œuvre de Samuel Beckett ?
En réalité, bien que cela ne figure pas
dans ma biographie, j'ai déjà mis en
scène Fin de partie lorsque j'avais vingt
ans, dans les anes 1970. C'était l'un
de mes premiers spectacles, à Saint-
Étienne. Je jouais Clov, Hamm était inter-
prété par André Marcon, Nagg par Pierre
Charras (l'écrivain) et Nell par Chantal
Montellier. Samuel Beckett a été le
premier auteur contemporain pour
lequel je me suis enthousiasmé. J'étais
fanatique de son écriture. Ensuite, je me
suis tourné vers d'autres dramaturges :
Edward Bond, Michel Vinaver, etc. Mais
je n'ai jamais cessé de lire les textes
de Beckett.
Que retenez-vous de son écriture ?
Cet aspect lapidaire associé à un
humour dévastateur. Cette façon de
dire un maximum de choses avec un
minimum de mots. Un matériau d'une
densité exceptionnelle. Une manière
– «d'être dans les mots» –... J'ai long-
temps vu dans cette écriture de la
noirceur un enracinement radical
dans l'attente. Et puis j'ai fini par y voir
un aspect beaucoup plus lumineux.
Contrairement à En attendant Godot,
Fin de partie met un terme à l'attente.
Il n'y a pas de rachat possible, pas de
salut possible, pas même de ma-
diction possible, ce texte aboutit «au
rien». Mais ce rien ouvre sans doute
sur quelque chose.
Quel pourrait être ce «quelque chose» ?
La lumière dont je viens de parler, une
lumière qui est la substance même de
l'obscurité. Dans cette pièce, la catas-
trophe a eu lieu, c'est un déluge. Et
dans cette perspective, Hamm, Clov,
Nagg et Nell sont des survivants, donc
ils ne sont pas des victimes mais des
élus. Des élus qui rompent l'alliance
passée avec le ciel en mettant un
terme à toute attente. Je trouve que
c'est une belle idée.
Par quel biais avez-vous choisi d'abor-
der cette pièce ?
Le texte, son architecture. Les comé-
diens ont fait un travail prosodique
afrmé, en rentrant dans le corps du
texte, et en en creusant la matériali.
Fin de partie est une partition. Je n'ai
pas essayé d'avoir une vision géné-
rale en surplomb. La meilleure fon
d'appréhender la pièce a été de tra-
vailler précisément la suite d'instants
qui la composent.
Réalisé par Manuel Piolat Soleymat
pour
La Terrasse
, mai 2011
«Mettre un terme à l'attente»
Entretien avec Alain Françon
Joseph Roth Lundi 10 décembre / 20h
En présence de Florence Noiville
Textes lus par Michel Vuillermoz, sociétaire de la Comédie-Française
Les auberges juives de la Hirtenstrasse à Berlin sont tristes, froides et silen-
cieuses. Les restaurateurs juifs parisiens sont gais, chaleureux et bruyants.
Il font tous de bonnes affaires. J’ai parfois mangé chez M. Weingrod. Il pro-
pose dexcellentes oies rôties. Il fait un bon schnaps, très fort. Il amuse les
clients. Il dit à sa femme : «Donne-moi le livre de comptes, s’il vous plaît
Et sa femme lui répond : «Allez le prendre sur le buffet, si vous voulez.»
Ils parlent un charabia vraiment réjouissant. J’ai demandé à M. Weingrod :
«Pourquoi êtes-vous venu à Paris ?» Et M. Weingrod de répondre : «Excusez-
moi, monsieur, pourquoi pas à Paris ? En Russie on m’expulse ; en Pologne, on
me met en prison et on ne me donne pas de visa pour l’Allemagne. Pourquoi ne
serais-je pas venu à Paris ?» Monsieur Weingrod est un homme plein de cou-
rage, il a perdu une jambe, il a une prothèse et il est toujours de bonne humeur.
Joseph Roth, Juifs en errance (éd. du Seuil, 2009)
1894 - Brody en Galicie (Empire autrichien)
1939 - Paris
Diffusion sur France Inter
le dimanche 27 janvier à 14h
dans Cosmopolitaine
Bertolt Brecht Lundi 14 janvier / 20h
En présence de Gérard Mordillat
Textes lus par Evelyne Didi
Sur le sens du mot Émigrant
J’ai toujours trouvé faux le nom qu’on nous donnait : émigrants
Le mot veut dire expatriés ; mais nous
Ne sommes pas partis de notre g
Pour librement choisir une autre terre ;
Nous n’avons pas quitté notre pays pour vivre ailleurs, toujours s’il se pouvait.
Au contraire nous avons fui. Nous sommes expuls, nous sommes des proscrits
Et le pays qui nous reçut ne sera pas un foyer mais l’exil. […]
Bertolt Brecht, Poèmes de Svendborg, 1939 (éd. l’Arche, 1966)
1898 - Augsbourg (Bavre)
1950 - Naturalisé autrichien
1956 - Berlin-Est
Diffusion sur France Inter
le dimanche 24 février à 14h
dans Cosmopolitaine
Samuel Beckett Lundi 4 février / 20h
En présence de Nancy Huston
Textes lus par Denis Podalydès, sociétaire de la Comédie-Française
[…] Plus qu’à repartir. Où changer encore. D’où trop tôt revenus. Changés pas
assez. Étrangers pas assez. À tout le mal vu mal dit. Puis revenir encore. Faibles
de ce qu’il faut pour en finir enn. Avec elle ses cieux et lieux. Et si encore trop tôt
repartir encore. Changer encore. Revenir encore. Sauf empêchement. Ah. Ainsi
de suite. Jusqu’à pouvoir en finir enfin. Avec tout le fatras. Dans la nuit continue.
La pierre partout. Donc d’abord partir [...]
Absence meilleur des biens et cependant. Illumination donc repartir cette fois
pour toujours et au retour plus trace. À la surface. De l’illusion. Et si par malheur
encore repartir pour toujours encore. Ainsi de suite. Jusqu’à plus trace. À la sur-
face. Au lieu de s’acharner sur place. Sur telle et telle trace. Encore faut-il le pou-
voir. Pouvoir s’arracher aux traces. De l’illusion. Vite des fois que soudain oui adieu
à tout hasard. Au visage tout au moins. D’elle tenace trace.
Samuel Beckett, Mal vu mal dit, (Les Éditions de Minuit, 1981)
1906 - Banlieue de Dublin
1989 - Paris
Diffusion sur France Inter
le dimanche 31 mars à 14h
dans Cosmopolitaine
Diffusion sur France Culture
le dimanche 3 février à 21h
dans Théâtre et Compagnie
Samuel Beckett, 1977 © Roger Pic / BnF
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LES BIBLIOTHÈQUES
DE L’ODÉON
GRANDE SALLE SALON ROGER BLIN
Montaigne / La Boétie
avec Pierre Magnard
lectures par Georges Claisse et Jean-Louis Jacopin
Montaigne, La Boétie et le deuil de soi
«Parce que c’était lui, parce que c’était moi»: quelle définition de l’amitié recouvre le
plus bel alexandrin de la pene fraaise?
Pierre Magnard est un philosophe et Professeur de philosophie érite à la
Sorbonne, lauat du Grand Prix de Philosophie de l’Acamie Fraaise. Très
influencé par l’humanisme de la Renaissance et par la figure de Dieu dans la
taphysique classique, il a produit une œuvre reconnue d’élucidation de l’his-
toire de la pene occidentale et française. Sa contribution essentielle aux lec-
tures et compréhensions contemporaines de Montaigne, et son immense talent
de pédagogie et de clarté, en font l’interlocuteur idéal pour évoquer la relation
d’une amitié si singulière entre Montaigne et La Boétie.
Samedi 19 janvier / 15h
Platon
avec Dimitri El Murr
lectures par Georges Claisse et Julie-Marie Parmentier
Platon, ou l’impossible amitié
L’amitié est-elle impossible si elle nt de la contrarté?
Dimitri El Murr est aggé de philosophie et Maître de conrences en Histoire de
la philosophie antique à la Sorbonne. Il est devenu en quelques années une réfé-
rence incontournable des études platoniciennes et des lectures des dialogues
du grand Platon. Son érudition et sa clarté rendront l’élucidation de la philia, ou
l’amitié grecque, aussi passionnante que profonde.
Samedi 9 février / 15h
Aristote
avec Francis Wolff
lectures par Julie-Marie Parmentier
Aristote et Philia
Un homme heureux a-t-il besoin d’amis? L’amitié entre inégaux est-elle pensable ?
Comment passe-t-on de l’amour de soi au bientre d’autrui?
Francis Wolff est philosophe et Professeur de philosophie à lécole Normale
Supérieure, spécialiste de philosophie antique. Depuis des années, son enga-
gement pour le renouvellement de la «philosophie générale» l’a conduit à ériger
la simplicité des ies et la force des arguments en une méthode philosophique
redoutablement efficace. Fin connaisseur de la métaphysique et de la politique
d’Aristote, il saura reconstruire avec nous sa pene et sa pratique de l’amitié.
Samedi 23 février / 15h
Comment se fait-il que les philosophes aient si peu parlé d’amitié? À quel malen-
tendu doit-on un silence qui court, quasiment, de lAntiquité jusqu’à Montaigne?
Est-ce parce que l’amitié n’est pas une vertu chtienne mais hérie du paga-
nisme? Parce que l’universel n’est pas son affaire? Ou qu’une vertu sélective
n’est pas une vertu? Et si l’amitié, cette évidence, ce communisme à deux, était
plus dangereuse quon ne pense? Et si, loin d’être un amour pâle, elle délivrait
la formule secrète d’un amour sans amour-propre? C’est à ces questions, entre
autres, que nous tenterons de ne pas répondre lors des six rencontres organi-
es au Théâtre de l’Odéon, en coproduction avec France Culture selon le même
dispositif que l’an dernier: un invité spécialiste de l’auteur en question, deux
lecteurs, un animateur, un public nombreux et une diffusion sur France Culture.
Le Salon Roger Blin, créé à la fin du XIXe siècle, à l'origine un petit foyer ouvert
sur le grand foyer du tâtre, est aujourd'hui dédié aux lectures et aux discus-
sions litraires et philosophiques inscrites dans le cadre des Bibliothèques
de l'Odéon. En 1967, Jean-Louis Barrault avait fait transformer cet espace en
un «laboratoire pour textes inédits, un théâtre intime pour création d’œuvres
nouvelles», baptisé pour l'occasion Petit Odéon. C'est en 1984 qu'il prend le
nom de Salle Roger Blin, en hommage à celui qui fut à l'Oon un immense
artisan du théâtre.
L'Amitié dangereuse Les Dix-huit Heures
de l’Odéon
POURQUOI AIMEZ-VOUS ?
Christian Garcin Mardi 18 décembre / 18h
Le Colonel Chabert d'Honoré de Balzac
Animé par Daniel Loayza
En partenariat avec Flammarion
RENDEZ-VOUS PHILOSOPHIQUES
Michaël Fœssel Jeudi 20 décembre / 18h
Aps la fin du monde - Critique de la raison apocalyptique
Animé par Jean-Marie Durand
En partenariat avec Le Seuil
VINGT ANS DE LECTURES AVEC FOLIO TÂTRE
Sophocle / Antigone Mardi 15 janvier / 18h
En présence de Jean-Louis Backès
Animé par Jean-Yves Tadié
En partenariat avec Gallimard
POURQUOI AIMEZ-VOUS ?
Philippe Jaenada Mardi 22 janvier / 18h
Jacques le Fataliste de Denis Diderot
Animé par Daniel Loayza
En partenariat avec Flammarion
RENDEZ-VOUS PHILOSOPHIQUES
Gérard Genette Jeudi 24 janvier / 18h
Apostille
Animé par Jean-Marie Durand
En partenariat avec Le Seuil
VINGT ANS DE LECTURES AVEC FOLIO TÂTRE
James Joyce / Exils Mardi 5 février / 18h
En présence de Jean-Michel Rabaté
Animé par Jean-Yves Tadié
En partenariat avec Gallimard
POURQUOI AIMEZ-VOUS ?
Laurent Seksik Mardi 19 février / 18h
Vingt-quatre heures de la vie d’une femme de Stefan Zweig
Animé par Daniel Loayza
En partenariat avec Flammarion
RENDEZ-VOUS PHILOSOPHIQUES
Fabrice Midal Jeudi 21 février / 18h
Auschwitz, l’impossible regard
Animé par Jean-Marie Durand
En partenariat avec Le Seuil
RENSEIGNEMENTS
les.bibliotheques@theatre-odeon.fr
POUR UN COMPLÉMENT D'INFORMATIONS
theatre-odeon.eu
LA RÉUNIFICATION
DES DEUX CORÉES
Animée par Raphaël Enthoven
Assisté de Julien Tricard
Enregistrement public
En coproduction avec France Culture
TARIFS
Exils, Scènes imaginaires, L'Amitié dangereuse :
Plein tarif 10€ / Tarif réduit 6€
Les Dix-huit Heures de l'Odéon : Tarif unique 6
Location ouverte 01 44 85 40 40 – theatre-odeon.eu
17 janvier – 3 mars 2013 / Berthier 17
e
une cation de
Joël Pommerat
scénographie et lumière
Éric Soyer
costumes
Isabelle Deffin
son
Fraois Leymarie et
Grégoire Leymarie
musique originale
Antonin Leymarie
vidéo
Renaud Rubiano
avec
Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon,
Yannick Choirat, Philippe Frécon,
Ruth Olaizola, Marie Piemontese,
Anne Rotger, David Sighicelli,
Maxime Tshibangu
production
Odéon-Théâtre de l'Europe,
Compagnie Louis Brouillard,
Théâtre National – Bruxelles,
Folkteatern – Göteborg,
Teatro Stabile di Napoli – Naples,
Théâtre français du Centre national
des Arts du Canada – Ottawa,
Centre National de Cation et de
Diffusion Culturelles de Châteauvallon,
la Filature Scène Nationale – Mulhouse,
les Théâtres de la Ville de Luxembourg
en collaboration avec
Teatrul National Radu Stanca – Sibiu
avec le soutien
du Programme Culture
de l'Union européenne,
dans le cadre du projet
Villes en sne/Cities on stage
Ce projet est nancé avec le soutien de la Commis-
sion européenne. Cette publication n’engage que
son auteur et la Commission n’est pas responsable
de l’usage qui pourrait être fait des informations qui y
sont contenues.
Joël Pommerat est associé à
l’Odéon-Théâtre de l’Europe
jusqu’en juin 2013,
et au Théâtre National – Bruxelles.
avec le soutien
du Cercle de l'Odéon
Pages 7 à 11
Les photographies ou détails
de photographies du matériel de
répétitions de La Réunification
des deux Corées, création de
Joël Pommerat, ont été réalisés
par Laure Vasconi aux Ateliers
Berthier en octobre 2012.
Rediffusions radiophoniques.
Dates communiquées ultérieurement
sur theatre-odeon.eu
8 9
© Benjamin Chelly
Pour le moment je ne sais pas ts bien
comment parler de cette pièce. Pour-
tant elle est relativement simple. C’est
une suite d’instants sans unité décla-
rée ou cohérence narrative. Elle res-
semble plus à une succession de petits
fragments fictionnels, comme des nou-
velles, sur un thème à peu près commun.
Pourtant ce n’est pas une pce abs-
traite. Au contraire, elle est dans la
veine d’écriture réaliste et humoris-
tique débue avec Je tremble (1 et 2)
et Pinocchio, qui s’est accentuée avec
Cercles/Fictions, Ma chambre froide,
Cendrillon et La Grande et fabuleuse
histoire du commerce.
En plus dêtre réaliste, c’est un tâtre
d’action, comme je l’ai déjà formu,
plus qu’un tâtre de texte, de p-
sie textuelle. Ce tâtre, il me semble,
vaut par ce qu’il met en jeu entre des
individus, ce qu’il montre, ce qu’il sug-
re sur un plan relationnel et existen-
tiel, plus que par ce qu’il dit, ce qu’il
formule. Je pense que dans ce théâtre,
par exemple, il est formulé beaucoup
de banalis. Et le style de l’écriture
textuelle n’y est guère intéressant ou
recherché, encore moins original.
C’est un tâtre réaliste, quon pour-
rait presque qualifier de théâtre de
situation, mais je pre le terme de
tâtre d’action, qui est plus drôle et
plus ambigu. C'est-à-dire que l’action
prévaut sur la parole.
C’est un tâtre réaliste, donc, c'est-
à-dire simple et compréhensible, avec
une psychologie relativement concrète.
Sans arrière-plan. Pourtant dans cette
pièce, La Réunification des deux Corées,
il n'y a pas d’unité narrative.
Au moment où nous parlons, le tra-
vail d’écriture n’est pas terminé, et la
cohérence qui pourrait soutenir ce pro-
jet se cherche encore. Et je plaiderai
certainement coupable si elle n’est tou-
jours pas là le 17 janvier. J’essaie néan-
moins de la trouver, mais de façon non
préméditée, et peut-être même non
rationnelle. Je cherche quelque chose
qui pourrait se révéler à moi au fur et
à mesure de l’avancement de notre
travail, écriture sur le papier et sur le
plateau avec les codiens. D’où la dif-
ficul, bien sûr, de parler aujourd’hui
de ce quelque chose de non pétabli,
et qui va se constituer, se former.
Plus concrètement, cette pièce
démarre avec une scène tirée d’un
scénario de Bergman, Scènes de la vie
conjugale. Il y a plusieurs autres frag-
ments fictionnels ensuite, trois exacte-
ment (sur à peu près une vingtaine en
tout), qui sont inspirés de Schnitzler:
une de ses nouvelles, Rien qu’un rêve,
et une pièce, La Ronde.
J’aimerais insister sur le fait que ces
noms que j’ai cis ne sont pas forcé-
ment des sources d’inspiration glo-
bale, mais dans le cas de Schnitzler
des amorces d’inspiration pour ces
trois fragments de l’ensemble. Pour
Bergman, je ne lui ai emprunté qu’un
tout petit instant de son film formidable.
J’ai voulu commencer par lui et cette
petite scène pour situer quelque chose,
ouvrir une thématique bien particulière.
En termes d’influence, je pourrais
citer Tchekhov, celui des nouvelles
et des pces en un acte. Cruelles et
humoristiques, presque satiriques. Il
y a quelque chose chez moi qui cor-
respond très fort à cette sensibilité-là.
Je pourrais qualier cette pièce en
cours, aussi, de «pièce spontanée»,
pour la différencier de pces écrites
de fon plus réfléchie et mûrie
telles Ma chambre froide, Cendrillon,
Les Marchands.
«Pièces spontanées» telles que
Je tremble (1 et 2), Cercles/Fictions, qui
se cherchent en se faisant. Avec des
matériaux précis au départ, mais des
matériaux non «raffinés» au sens où
l’on dit que le pétrole se rafne.
Et aussi «pièces spontanées» parce
qu’elles se sont constituées tout
d’abord en tant que rapport à un
espace de tâtre particulier. Et non
pas à partir d’un concept fictionnel ou
intellectuel, une «idée» d’écriture au
sens habituel.
La snographie a depuis toujours
une importance déterminante dans
mon écriture et dans mon inspira-
tion. Une snographie du vide, des
espaces sans matière, des fondations,
des architectures appelant lumières et
sonorités pour se révéler pleinement
(c’est pourquoi la rencontre avec Éric
Soyer cateur de lumières a été aussi
importante pour moi, ainsi que celle de
Fraois Leymarie au son). C’est à par-
tir de là que mon imaginaire d’auteur et
d’écrivain se met en marche.
Au tout départ de ma formation d’au-
teur (au début des anes 1990), cest
parce que j’ai pu définir (et visualiser)
avec précision des espaces théâtraux
que j’ai pu me libérer en tant qu’écri-
vain et ainsi commencer à écrire.
Écrire des mouvements de corps, des
déplacements en silence, des immo-
bilis, avant toute parole. Seul devant
une page blanche ou un ordinateur je
serais resté bloqué, j’en suis sûr. Ima-
giner des gestes, puis de la parole, des
sons, retranscrire des mots entendus
à l’intérieur de soi, développer un ima-
ginaire, former des images scéniques
et surtout alimenter une inspiration,
c'est-à-dire un désir de créer et d’in-
venter, c’est grâce à un rapport concret
à l’espace que j’ai pu faire ça…
C’est pour ça que je dis souvent que je
ne suis pas metteur en sne, du fait
que sans une vision intérieure concrète
de l’espace (ou bien si l’on devait m’en
imposer une qui n’aurait pas pris racine
à l’intérieur de moi) je serais incapable
«Instants sans unité»
À l'occasion des répétitions de La Réunification des deux Corées,
Joël Pommerat a rencontré Daniel Loayza, conseiller artistique de l'Odéon-Théâtre de l'Europe.
Il dresse ici, à la suite de leur entretien, un état des lieux intérieur(s) de ses intuitions artistiques.
de créer. Je dis que je ne suis pas met-
teur en scène parce que je ne pourrais
pas travailler dans des univers d’écri-
ture ou des espaces scénographiques
qui ne seraient pas naturellement en
lien avec moi et issus de moi.
Ces autres pièces dites «spontanées»
dont je parle sont donc Je tremble
(1 et 2) et Cercles/Fictions et ont comme
point de déclenchement le rapport à
l’espace. Un lieu fictionnel pour ce qui
est de Je tremble (1 et 2): «théâtre dans
le théâtre, rideau rouge, cabaret, entre
alité physique et mentale, lieu de tous
les possibles et paradoxes, caisse de
sonance de l’intime et spectacle de la
pensée» et une scénographie circulaire
pour Cercles/Fictions: une aire de jeu
au centre d’un gradin (en cercle donc),
l’acteur encerclé par le public.
Pour ce qui est de La Réunification des
deux Corées son point de départ essen-
tiel a été le désir de travailler dans un
espace bifrontal. C'est-à-dire deux gra-
dins de spectateurs se faisant face, éti-
rés latéralement, creusant une aire de
jeu centrale, comme un couloir entre
deux montagnes. Un espace plus banal
que le cercle, espace confiné mais dans
lequel je n’avais jamais évolué encore.
Ce que je veux dire par là c’est que dans
de nombreux exemples (dont cette
dernière création) l’espace scénogra-
phique est l’élément dramaturgique
premier de mes pièces. La source
d’inspiration qui va conduire l’écriture.
Est venu ensuite, en ce qui concerne
La Réunification, le choix des ma-
riaux dramaturgiques plus classiques:
tmes, sujets, point de départ fiction-
nels. Matériaux qui ont été explos et
mis à l’épreuve dans les conditions
elles du bifrontal pendant deux ate-
liers de recherche organis pour une
cinquantaine de comédiens en tout,
pendant deux sessions d’un mois à
Bruxelles. De ces ateliers se sont déga-
gés beaucoup d’éléments essentiels
de cette création et je voudrais rendre
hommage ici à tous ces comédiennes
et comédiens qui m’ont accordé leur
confiance, et avec qui j’ai aimé travail-
ler et qui mont inspiré. Je voudrais
les remercier. J’ai d’ailleurs demandé
à cinq d’entre eux s’ils voulaient bien
rejoindre l’équipe de ce projet. Ils ont
accepté. Si l’on compte le temps de ces
deux ateliers à Bruxelles, c’est presque
six mois de travail et de recherche que
nous aurons menés dans les condi-
tions quasiment réelles de représen-
tation et dans cet espace bifrontal.
Pour revenir à La Réunification des
deux Corées plus concrètement, on
pourrait donc dire que cette pièce se
présente sous la forme d’une suite de
petits fragments fictionnels. Ces frag-
ments sont des instants singuliers et
clos. À la difrence de Cercles/Fictions,
où lon pouvait parler de fils narratifs,
qui se prolongeaient et qui en chevau-
chaient d’autres, ici, chaque morceau
est unique. Ce n’est pas du tissage, plu-
tôt de la mosaïque. Se juxtaposent des
morceaux, des éclats singuliers. C’est
une petite nuance, mais elle est impor-
tante. Il y avait dans Cercles/Fictions
un élément presque feuilletonesque…
Ici nous sommes plutôt du côté de la
somme de petits récits. Mais comme
dans Cercles/Fictions j’espère que tous
ces fragments, ces petits dessins, com-
poseront un dessin plus grand, abstrait
peut-être mais néanmoins signifiant.
Il faut peut-être parler du titre. S’il y a un
certain mystère du titre, évidemment, il
faut qu’il soit pser. C’est comme la
fin d’un film à suspense, il ne faut pas la
raconter à ceux qui font la queue devant
le cinéma. C’est essentiel. Pour moi, le
titre est quelque chose qui doit se révé-
ler à celui ou à celle qui est plongé dans
l’œuvre. C’est à ce moment-là qu’il prend
tout son sens. Avec Les Marchands,
Cercles/Fictions ou Ma chambre froide,
c’était déjà le cas: on ne peut pas com-
prendre tout ce que veut signifier un
titre avant d’y être allé voir. Ce titre-ci
est particulièrement énigmatique, c’est
vrai. Il faut lui garder son étrangeté. Il
provoque l’imagination, et par là, c’est
jà le travail de la pièce qui commence.
L’imagination nest justement pas sans
rapport avec ce dont il est question dans
cette pièce
Mais bon, puisque j’ai du mal, je le vois
bien, à parler de cette pièce en elle-
me, j’aimerais évoquer la veine, le sil-
lon artistique que nous sommes en train
de creuser, mon équipe et moi, sous mon
impulsion. Je qualifierais ce sillon de
relativement conventionnel ou acadé-
mique. Je pense qu’avec les collabora-
teurs de ma compagnie nous avons créé
au fur et à mesure du temps des prin-
cipes de travail et des principes formels
assez précis et que nous ne cessons pas
de les perfectionner. Je pense que cela
nous donne les moyens d’une certaine
créativité. Nous avons cé des outils et
des cadres et ainsi nous pouvons inven-
ter et produire avec une certaine effica-
cité (terme péjoratif en matre d’art et
sans doute avec raison). En ce moment,
comme je le disais au début de cet entre-
tien, je situerais mon travail de drama-
turge du côté du réalisme psychologique.
Cela depuis Je tremble (1 et 2), et après
Les Marchands. Cela s’accompagne d’un
approfondissement de l’humour qui était
présent depuis le début dans mes pièces,
mais pas développé, plutôt retenu.
Avec les pièces précédant et incluant
Les Marchands, nous étions dans un
«faux» réalisme au sens où les histoires
et les personnages avec leur fon de
parler ne valaient que par la dimension
abstraite et souterraine à laquelle ils
étaient rels. La psychologie était plu-
tôt «psychologie des profondeurs» que
«psychologie naturaliste». Les person-
nages incarnaient plus qu’eux-mêmes,
ils incarnaient des idées et des notions
poétiques. Ils ne s’incrivaient pas dans
une temporalité précise. Mes histoires
et mes personnages évoluaient dans un
cadre intemporel.
À l’époque je parlais de «réali» et
de «réel» et cela a beaucoup pté à
confusion. Mes visées étaient plus abs-
traites que naturalistes. Et je me rat-
tachais à cette notion de «el» tout
en expliquant que pour moi le «rée
s’appliquait davantage aux principes
de ma tâtralité qu’à mes histoires
en elles-mêmes, qui elles avaient tout
sauf l’apparence de la réalité (aucun
de mes personnages n’était vraiment
crédible, les premiers qui l’ont été,
ce sont les personnages de la pièce
Cet enfant). Je cherchais le «el» en
tant qu’il est selon moi beaucoup plus
abstrait que figuratif. Et aussi en tant
que reconstruction, refabrication
de celui-ci. Comme si j’avais voulu,
presque comme un alchimiste, parve-
nir à créer du «el pur».
Aujourd’hui, dans mes dernières pièces,
il y a un rapprochement plus grand
entre ce qui est montré, raconté et le
propos qui est visé. C’est plus qu’une
nuance. Du coup je crois que je fais
actuellement un théâtre beaucoup
plus accessible. Quon pourrait quali-
fier de naturaliste et donc de populaire.
Ce qui reviendrait à dire que je suis
dans un «conservatisme» artistique,
au sens que ma forme d’expression
se rapproche de la forme dominante
dans tous les arts: quelque chose de
directement accessible. Directement
compréhensible. Directement sen-
sible. Je ne l’ai pas fait que par calcul.
Si tant est que j’aie pu le faire aussi par
calcul, dans la mesure où une part de
moi aurait pu craindre de ne pas trou-
ver assez d’écho, de réception, de com-
préhension, d’adhésion; ce n’est pas
seulement pour cela que j’ai pris cette
voie. Il y a une part de moi qui a beau-
coup à dire de cette manre-, une
manière qu’on pourrait aussi quali-
fier de «concrète» (une manière d’ap-
proche presque documentaire dans
certains cas); une part de moi a beau-
coup de plaisir à travailler de cette
manière-là. Et parmi toutes les pistes
à explorer dans ma vie artistique, tous
les potentiels, il était important que je
la développe, que je l’explore, que je
continue à la développer jusqu’au bout,
jusqu’à ce qu’elle s’épuise par mouve-
ment naturel, pas par dégt mais par
satiété.
Voilà. Il fallait donc dire qu’avec cette
pièce en cours de création je n’ai pas
pris le risque de renouveler ma forme
d’expression artistique. Et même si
j’abandonne la narration – et en ce sens
je prends un risque quant à la com-
préhension, la lisibilité – par ailleurs
je sais que mon propos sera quand
me très accessible pour les autres.
J’aime travailler sur un langage quoti-
dien, par exemple. J’ai l’impression que
j’ai trouvé presque une aisance, venue
sans doute de l’accumulation d’inom-
brables heures de travail, et aussi de la
maturité. J’ai envie de laisser cela s’ex-
primer parce que c’est comme le pro-
duit d’un acquis.
Bien sûr il reste la question de savoir
quand cela s’arrêtera – quand vais-
je passer ailleurs, quand vais-je en
ressentir le désir et la nécessité.
D’autant qu’il y a une chose dont on n’a
pas parlé et qui me constitue – je sou-
ris quand même un peu car ce que je
vais dire est un peu pompeux – c’est
que je suis quelqu’un d’à la fois très
structuré dans son travail et très inco-
hérent. Plus gentiment dit, ma per-
sonnalité artistique n’est pas ts bien
unifiée. C’est-à-dire je crois que je n’ai
pas une seule identité sur un plan sen-
sible, esthétique et même philoso-
phique. Je suis presque un Zelig, pour
prendre la figure d’un film de Woody
Allen. C’est bien pour cela aussi que
j’ai autant de mal à trouver une syn-
tse, un discours, et à me sentir légi-
time en tant qu’artiste, à me sentir tout
simplement dans un rapport simple à la
communication sur mon travail. Je suis
vraiment animé par plusieurs person-
nalis qui ont l’obligation de se parta-
ger les commandes et les outils de ma
création. Il arrive à certains moments
que ces personnalis travaillent à plu-
sieurs, qu’elles forment une sorte de
communauté ou d’association, avec
des consensus, avec des compromis.
Mais dans certains cas je sens que
cela n’est pas possible et finalement
le volant, le gouvernail, la direction des
opérations est laissée à une seule des
personnalités à qui les autres disent,
un peu comme dans la formation d’un
gouvernement: «Écoute, moi je ne suis
pas d’accord avec tes grandes options,
je n’y rentre pas… je préfère attendre
le moment où j’aurai vraiment la
possibilité de m’exprimer, gouvernez
sans moi.» Ce dialogue en moi c’est
quelque chose de quasi concret. Je ne
tiens pas de journal intime. J’ai fait très
peu d’introspection. Mais je sais tout
cela depuis un certain temps.
Je pense aussi à Pessoa, un exemple
pour moi tout à fait édiant de la possi-
bilité de vivre ce phénomène. Lui a
donné une vie extérieure et réelle à ses
différentes personnalités intérieures. Il
leur a donné la possibilité de s’expri-
mer chacune individuellement plutôt
que d’avoir à rechercher un compro-
mis entre elles, d’ailleurs difficile à
trouver et sans doute contre-productif
sur le plan catif. Il a bâti des œuvres
qui étaient intégralement l’expression
d’une partie cohérente de lui-même, et
en totale opposition avec d’autres de
ses personnalités. C’est une manière
de conduire sa vie et sa cation qui
m’inresse et même me fait rêver.
Dans ma vie personnelle j’ai ce projet
de prendre une ou deux anes de dis-
tance avec ma compagnie, de me déga-
ger totalement du travail de création
et d’accompagnement des spectacles.
Il y aura des moments consacs à
la vie toute simple, au voyage, et des
moments pour réfléchir à la continuité
de mon travail pour l’avenir. Avec, pour-
quoi pas, des pratiques d’écriture dif-
rentes, une autre approche de l’écriture
théâtrale, pourquoi pas en contradic-
tion avec ce que j’ai toujours dit, par
exemple écrire sans le plateau une
pièce qui demanderait un travail parti-
culier, plus long. Au sortir de tout cela,
je voudrais bien sûr reprendre ma place
et mon travail avec ma compagnie,
continuer à créer pour elle et avec elle,
je voudrais que ma compagnie conti-
nue à vivre, mais je voudrais aussi
inventer et cer autre chose. En sui-
vant le mole que je viens dévoquer
précédemment, j’aimerais bien essayer
de matérialiser ces différentes impul-
sions, ces désirs artistiques que je res-
sens à l’inrieur de moi et les faire vivre
de manière autonome. Par exemple
en créant d’autres identités créatives
que celle existante sous le nom de Joël
Pommerat. Donner une existence, et
un nom avec, à d’autres sensibilités
esthétiques et philosophiques qui me
constituent. Je pourrais créer d’autres
compagnies dirigées et animées par
d’autres Louis Brouillard. Ainsi faire
des spectacles sous d’autres identités.
D’ailleurs Louis Brouillard, qui est une
figure imaginaire, qui a donné son nom
à ma compagnie, pourrait se mettre à
créer lui aussi. Tout ce jeu de création
d’identis devrait se faire dans une
grande transparence, pour éviter le
coté «Fanmas» et pril de la chose
et puis parce que de toutes fons ce
serait impossible et peu intéressant de
garder le secret. Au contraire même
j’expliquerais pourquoi j’en arrive là,
j’exposerais les raisons qui me font agir
de cette manre-là, ce que ça me per-
met de faire, et de libérer en moi, ce qui
fait que j’ai besoin de passer par là pour
évoluer… Une certitude, ça se passe-
rait toujours dans le théâtre. Parce
que c’est ma voie, parce que le théâtre
c’est ma philosophie de vie, et parce
que dans la vie il faut faire des choix et
s’y tenir. C’est comme un calcul, un pari.
Je fais le choix de la continuité et de la
persistance plutôt que de la diversi-
fication. Mais dans cette constance,
dans cette persistance avec le théâtre,
j’aimerais trouver la possibilité de
m’échapper, de me diversifier, de deve-
nir à l’image de ce que je vis intérieu-
rement : c’est à dire être vraiment
«plusieurs».
Joël Pommerat
(Paris, 8-11 novembre 2012)
«Espace
sans
matièr
«Un
théâtre
d'action»
«Je suis
presque
un Zelig»
© Laure Vasconi (détail)
Do I contradict myself ?
Very well then I contradict myself,
(I am large, I contain multitudes.) «Song of Myself» (
Leaves of Grass
)
Est-ce que je me contredis ?
Très bien ma foi je me contredis,
(je suis vaste, je contiens des multitudes.) «Chant de moi-même» (
Feuilles d'herbe
)
Walt Whitman
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