LE DROIT ET LA SOCIÉTÉ INTERNATIONALE
La réactivation de la diplomatie institutionnelle au sein du Conseil de sécu
rité des Nations unies a remis à l'ordre du jour, depuis la première guerre du
Golfe, la problématique traditionnelle relative à la primauté du droit dans les
relations internationales et a suscité une réflexion renouvelée sur la signifi
cation et la portée de l'approche normative sur la scène internationale.
Une longue tradition doctrinale explique le jeu politique et la dynamique des
rapports entre les États, par les traits de la société internationale, son carac
tère imparfait, inorganisé et peu structuré.
Constatant que le pouvoir y demeure décentralisé, inconditionné et souvent
violent et que l'ordre juridique repose sur le consentement des États, cette
école en a déduit que l'absence d'autorités instituées et de règles de conduite
communes justifiait la référence à la sécurité et à l'ordre international, par le
recours à la doctrine de la puissance et de l'équilibre des forces.
L'originalité de ce type de relations résiderait dans le fait que, à la différence
de toutes autres relations sociales, les rapports interétatiques se déroulent « à
l'ombre de la guerre » (R. Aron), où l'ordre y est moins juridique que poli
tique, moins institutionnel que relationnel.
Les conséquences de cette doctrine conduisent à une dévalorisation des soli
darités, due à la morale ou au droit et à une marginalisation relative du mo
dèle légaliste dans l'explication de la société internationale.
La surabondance du discours juridique et de la justification normative à pro
pos du « droit d'ingérence ou d’intrusion », évoquant l'avènement du règne
de la loi, traduitelle en profondeur un changement de la société interéta
tique ?
Si l'on accepte les axiomes des deux formules célèbres, celle de R. Aron
d'abord, selon lequel la politique internationale « a été, toujours et par tous
reconnue pour ce qu'elle est, une politique de puissance », et de H. J. Mor
genthau ensuite, pour qui « international politics, like all politics, is a
struggle for power », l'approche « moralistelégaliste » signale plutôt
l'impuissance du droit dans l'ordonnancement d'une société atomisée et non
intégrée que son primat sur la morale du combat ou sur les buts inavouables
de la force.
Aussi longtemps que les États n'auront pas conclu un « contrat social inter
national » et surmonté l'absence d'une sanction organisée, les rapports entre
les États seront soumis, selon cette doctrine, aux jeux des intérêts égoïstes,
au sein desquels règnent des facteurs de dissension plutôt que des principes