Influence des performances biomécaniques des capteurs de

Note technique
Influence des performances biomécaniques des capteurs de pression
artérielle sanglante non réutilisables sur la fiabilité des mesures
Influence of the biomechanical performances
on the accuracy of disposable catheter transducer systems
J.-F. Cochard
Service de réanimation chirurgicale et traumatologique, hôpital Pellegrin, Bordeaux, France
Résumé
La pression artérielle est un paramètre physiologique universellement mesuré en routine clinique. Cette mesure est très largement réalisée par
lintermédiaire de capteurs de pression artérielle sanglante. Ces systèmes possèdent des propriétés viscoélastiques qui sont susceptibles de modi-
fier la réponse à un signal périodique complexe comme celui de la pression artérielle. Cette modification de la réponse entraîne une distorsion du
signal qui se traduit habituellement par une amplification de celui-ci. Ce travail analyse les caractéristiques viscoélastiques des dispositifs de
mesure à considérer, les moyens de mesurer ces caractéristiques afin de guider le choix des utilisateurs dans le but de minimiser les erreurs de
mesure dues à ces caractéristiques.
© 2006 Publié par Elsevier SAS pour la Société de Réanimation de Langue Française.
Abstract
Arterial blood pressure is a basic physiological parameter routinely measured to assess haemodynamic status. This measurement is widely
performed by the means of disposable catheter transducer systems. These systems have biomechanical characteristics that are likely to alter the
response to a complex, periodical signal as the arterial blood pressure signal. The alteration of the obtained response leads to a distortion of the
signal which is usually an overestimation. This article analyses, the viscoelastic properties which are to be considered, how to measure these
properties to allow users to make their choice when acquiring these devices in order to minimize measurement errors due to these characteristics.
© 2006 Publié par Elsevier SAS pour la Société de Réanimation de Langue Française.
Mots clés : Pression artérielle ; Monitorage ; Capteur de pression ; Coefficient de damping ; Fréquence naturelle
Keywords: Blood pressure; Monitoring; Pressure sensor
La pression artérielle est un des paramètres hémodynami-
ques le plus anciennement mesuré en routine clinique. Elle
reste essentielle dans lévaluation et le monitorage cardiovas-
culaire, particulièrement chez les patients de soins intensifs.
Sa mesure sert de guide à des interventions thérapeutiques.
Or, du fait de la banalité de cette mesure et de limpact théra-
peutique quelle peut avoir, son adéquation à la réalité est es-
sentielle. Linverse pouvant mener à un diagnostic erroné et à
une intervention inadéquate, inutile ou potentiellement dange-
reuse.
La mesure et le monitorage de la pression artérielle san-
glante, par lintermédiaire de capteurs de pression non réutilisa-
bles, se sont imposés dans le domaine des soins intensifs au fil
des 20 dernières années. Or, la pression artérielle est une gran-
deur périodique et, à la différence de pressions constantes, les
caractéristiques biomécaniques des dispositifs utilisés peuvent
induire des artéfacts de mesure modifiant la valeur de la pres-
sion mesurée [1,2].
http://france.elsevier.com/direct/REAURG/
Réanimation 15 (2006) 103108
Adresse e-mail : [email protected] (J.-F. Cochard).
1624-0693/$ - see front matter © 2006 Publié par Elsevier SAS pour la Société de Réanimation de Langue Française.
doi:10.1016/j.reaurg.2005.12.018
1. Principe de la mesure
Le principe de la mesure de pression est relativement sim-
ple. Le signal de pression est recueilli au niveau dune artère
par lintermédiaire dun cathéter et transmis au capteur par une
tubulure remplie de sérum physiologique. Le capteur lui-même
est constitué par une membrane déformable sur laquelle est
fixé un pont de Weatstone dont toute déformation modifie la
résistance électrique et, par-là, lintensité du courant qui le tra-
verse. Ainsi, le signal de pression, par lintermédiaire des dé-
formations de la membrane quil génère, est converti en signal
électrique, transmis au moniteur où il est converti de nouveau
en signal analogique ou numérique.
La plupart des constructeurs assurent une parfaite linéarité
de réponse entre signal de pression et signal électrique généré
par le capteur, et ce dans une gamme de fréquence très large-
ment supérieure aux fréquences rencontrées en physiologie hu-
maine. Il sensuit une parfaite fiabilité des capteurs proprement
dits, membrane et pont de Weatstone.
Il nen est pas de même du système intermédiaire constitué
de la tubulure, des dispositifs de prélèvement et des accessoires
éventuellement interposés dont lensemble possède des carac-
téristiques biomécaniques très différentes dun constructeur à
lautre.
Ces caractéristiques biomécaniques confèrent au système in-
termédiaire des propriétés viscoélastiques susceptibles de mo-
difier, parfois considérablement à léchelle des critères clini-
ques exigés, la valeur quantitative de la pression artérielle
ainsi que la morphologie de la courbe, morphologie qui nest
pas sans intérêt dans lanalyse dune situation hémodynamique
donnée [3,4].
Typiquement, le capteur de pression utilisé en soins inten-
sifs est un système dynamique de second ordre. Grossièrement,
on peut le représenter par un tube déformable empli de liquide
mobilisé par une différence de pression entre les deux extrémi-
tés du tube. La différence de pression entre les deux points de
ce tube obéit à une équation de mouvement qui est une équa-
tion différentielle dénième ordre du type
dP ¼αdV þα2dV=dt þα3d2V=αt2þ:::::::: þαndnV=dtn
où P est la pression, V le volume, d
n
V/dt
n
la dérivée énième de
V en fonction du temps.
Dans un système de deuxième ordre, seuls les deux pre-
miers termes de cette équation différentielle interviennent. Il
sensuit que léquation de mouvement du liquide mobilisé dans
le tube sous laction dune différence de pression devient :
ΔP¼αΔVþα2ΔV=dt
αcaractérise lélastance (E) du système, α
2
la résistance (R)
àlécoulement et ΔV/dt le débit de liquide.
Ainsi, la perte de charge dans le système dépend de lélas-
tance et de la résistance de celui-ci, ainsi que du débit de li-
quide et du volume stocké. Le comportement dun tel système,
lorsquon lui applique ou relâche brutalement une contrainte,
est analogue au comportement dune masse, reliée à un point
fixe par un ressort, dune part, et à un disque plongé dans un
liquide possédant une viscosité donnée, dautre part. Le sys-
tème va osciller avec une certaine fréquence, dite fréquence
naturelle (F
n
), et avec une amplitude doscillation décroissante
dans le temps (Fig. 1)[5]. Ces caractéristiques (fréquence dos-
cillations et amplitude de décroissance) dépendent de la raideur
du ressort de la masse M et de la viscosité du liquide (résis-
tance au déplacement). On observe la même dynamique de re-
laxation pour le capteur de pression :
la raideur du système correspond à lélastance de lensemble
tubulure, accessoires, et membrane du capteur ;
la masse, à celle de la masse de liquide déplacée ;
la viscosité, à la résistance au déplacement du liquide.
Toutes ces caractéristiques dépendent de larchitecture du
système, de la longueur et de la section des différents consti-
tuants ainsi que des caractéristiques biomécaniques des maté-
riaux industriels utilisés (type de polymérisation, épaisseur des
matériaux, etc.).
2. Comportement dun tel système lorsquon lui applique
une pression sinusoïdale de fréquence croissante
Si lon enregistre un signal de pression périodique sinusoï-
dal de fréquence croissante généré par un générateur de pres-
sion, on obtient une réponse qui dans une certaine limite de
fréquence du signal sera adéquate avec un rapport amplitude
réponse/amplitude signal égal à 1. Au-delà dune valeur seuil
de fréquence, lamplitude de la réponse est amplifiée par rap-
port à celle du signal (Fig. 2), le maximum damplification se
produisant pour une fréquence égale à la fréquence naturelle du
capteur. La fréquence du signal à partir de laquelle la réponse
est amplifiée dépend de la fréquence naturelle du système, la
valeur de lamplification pour ces fréquences dépend dun co-
efficient appelé coefficient de damping (ζ= zéta) (Fig. 3).
Fig. 1. Modèle de comportement dun système de second ordre.
β0¼R=2Metωd¼½S=MðR=2MÞ21:
J.-F. Cochard / Réanimation 15 (2006) 103108104
Cette distorsion de la réponse est liée au phénomène de ré-
sonance (sommation des amplitudes des ondes incidentes et
des ondes restituées par le système). La zone de distorsion est
appelée zone de résonance.
Dans le système cardiovasculaire, la courbe de pression géné-
rée par le cœur est un phénomène complexe dépendant du vo-
lume déjection systolique et des propriétés iscoélastiques du
système vasculaire. Ce phénomène périodique peut être décom-
posé par transformation de Fourrier en une somme de signaux
sinusoïdaux simples (harmoniques), ayant une fréquence multi-
ple de la fréquence du signal de pression (fondamentale), et
damplitude donnée. Mathématiquement, cela est exprimé ainsi :
A¼a
0
þa
1
sinðωtÞþa
2
sinð2ωtÞþa
3
sinð3ωtÞþ:::::::::
þb
1
cosðωtÞþb
2
cosð2ωtÞþb
3
cosð3ωtÞþ:::::: (1)
où A
0
est lamplitude de la pression moyenne A
n
lamplitude
de pression de chaque harmonique (Fig. 4).
Cette équation peut être simplifiée en :
A¼A0þA1sinðωtþφ1þA2sinð2ωtþφ2Þ
þA3sinð3ωtþφ3Þþ::::::: þAnsinðnωtþφnÞ(2)
An¼±ðAnþBnÞ1=2et φn¼tan1ðan=bnÞ:
On considère que les 8 à 10 premières harmoniques du si-
gnal de pression suffisent pour obtenir un signal restitué adé-
quat.
On voit aisément que toute amplification dune ou, à fortio-
ri, de plusieurs harmoniques se traduit par une distorsion de la
courbe restituée.
Ainsi, plus la fréquence naturelle du capteur est faible, plus
le phénomène de résonance apparaît pour des fréquences bas-
ses, et plus le nombre dharmoniques inadéquatement resti-
tuées est élevé. La valeur de lamplification de chaque harmo-
nique intéressée dépend du coefficient de damping du capteur.
Il est à noter que le décalage de phase (φ
n
) intervient aussi dans
la genèse de la distorsion de la réponse. Or, ce décalage de
phase croit avec laugmentation de la fréquence du signal selon
une relation qui, elle aussi, dépend du coefficient de damping
du système. Finalement, les valeurs de la fréquence naturelle et
du coefficient de damping du capteur, sont donc susceptibles
Fig. 2. Modification de lamplitude de la réponse à un signal de pression
sinusoïdal de fréquence croissante, avec un système de mesure directe, non
viscoélastique (courbe de référence, en haut) et avec un capteur utilisé en
pratique clinique (courbe du bas).
Fig. 3. Importance de la distorsion dun signal de pression selon le coefficient
de damping du capteur.
Fig. 4. Reconstitution dune courbe de pression artérielle à partir des six
premières harmoniques obtenues par transformation de Fourrier. La courbe du
bas représente laddition des amplitudes des différentes courbes sinusoïdales.
J.-F. Cochard / Réanimation 15 (2006) 103108 105
de générer une distorsion de la courbe affichée de pression,
entraînant une mésestimation de la valeur de la pression arté-
rielle.
Cette distorsion de la réponse est en règle une surestimation
associée à un aspect accidenté de la forme de la courbe, aspect
dit sous-amorti (underdamped en anglais). Plus rarement, las-
pect est dit sur-amorti (overdamped), les valeurs sont alors
sous-estimées avec un aspect lissé de la courbe (Fig. 5).
À partir de ces deux paramètres aisément mesurables, Fn et
ζ, il est possible dévaluer par anticipation la fiabilité dun cap-
teur de pression. Gardner en 1981 [6], en modifiant ces deux
paramètres par injection de microbulles dans le système de me-
sure, a défini les performances dun capteur selon la qualité de
sa réponse à un signal de pression calibrée généré par un gé-
nérateur de pression reproduisant un signal de pression physio-
logique de type pression artérielle. Il définit quatre zones de
valeur de reproduction du signal (adéquate, acceptable, et ina-
déquate, avec, dans cette dernière, deux zones : amplifiée (un-
derdamped) et amortie (overdamped)(Fig. 6).
3. Évaluation de la fréquence naturelle et du coefficient
de damping
Elle peut être réalisée de deux façons à partir dun capteur
relié à un moniteur du type de ceux utilisés en clinique :
soit en utilisant un générateur de pression rectangulaire : le
capteur est relié à un générateur qui délivre une pression
calibrée constante pendant une durée de lordre de la se-
conde de façon répétitive ;
soit plus simplement au lit du patient en réalisant une purge
du dispositif au moyen du système de purge intégré (tech-
nique dite du « fast flush »), et en analysant le comporte-
ment de la courbe de pression à la fin de la purge. Cette
technique, simple à réaliser, nécessite une fréquence car-
diaque suffisamment basse et une courbe de pression pas
trop accidentée pour que les oscillations liées aux propriétés
dynamiques du capteur se détachent correctement de la
courbe et soient accessibles à la mesure (Fig. 7).
La courbe est analysée de deux façons :
soit à partir du signal numérique sil est possible de lex-
traire du moniteur ou après conversion du signal analogique
en signal numérique à condition de disposer dune fré-
quence déchantillonnage suffisante (nous utilisons une fré-
quence déchantillonnage de 200 Hz, soit un point toutes les
cinq millisecondes), pour disposer dun nombre de points
suffisant ;
soit graphiquement, à partir de lenregistrement de la courbe
à condition de disposer dun enregistreur à vitesse de défi-
lement rapide (100 mm/s).
Fig. 5. Exemples de distorsion dun signal de pression, généré par un générateur
de pression avec une fréquence de 1 Hz (60 bpm) obtenu avec un capteur de
pression possèdant une fréquence naturelle de 15 Hz et un coefficient de
damping de 0,13. Sur la courbe du haut, lamplification de la pression artérielle
systolique atteint 14 %, elle ne peut que croître avec laugmentation de la
fréquence cardiaque, du fait de laugmentation du nombre dharmoniques
amplifiées.
Fig. 6. Qualité de la réponse du capteur en fonction de la fréquence naturelle et
du coefficient de damping. La zone amplifiée est une zone où le signal est
amplifié et accidenté ; la zone amortie une zone où le signal est amorti et lissé.
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La fréquence naturelle (F
n
) est égale à linverse du temps
séparant deux pics doscillation.
Fn¼1=T
F
n
= 1/T. Le coefficient de damping (ζ) est calculé daprès lé-
quation suivante :
ζ¼LogðA2=A1Þ=½π2þLogðA2=A1Þ21=2
où A
2
/A
1
est égal au rapport de lamplitude de la deuxième
oscillation sur la première (Fig. 8).
Récemment, nous avons testé les caractéristiques bioméca-
niques de huit capteurs de pression non réutilisables disponi-
bles sur le marché européen, en mesurant leur fréquence natu-
relle et leur coefficient de damping par la technique décrite ci-
dessus. Les résultats montrent une grande hétérogénéité de
qualité selon les constructeurs. En effet, seul un capteur offre
une réponse adéquate, un autre une réponse acceptable tandis
que six montrent une réponse de type sous-amortie, à lorigine
dune amplification du signal du capteur qui peut dépasser
20 % du signal de référence, et donc une surestimation des
valeurs mesurées. Cette surestimation dépasse largement 5 %
pour les capteurs les moins fiables et augmente avec laugmen-
tation de la fréquence du signal ce qui est souvent le cas des
patients les plus graves. La disparité entre les capteurs nest pas
liée à la qualité de la membrane déformable mais à la qualité de
la ligne intermédiaire (surface de section, architecture, maté-
riaux utilisés, accessoires).
Cette surestimation peut aboutir à des erreurs diagnostiques
et potentiellement à des erreurs thérapeutiques (absence de dé-
cision chez des patients faussement normotendus ou prescrip-
tion dantihypertenseurs chez des patients faussement hyper-
tendus).
À ces considérations, il faut ajouter que les caractéristiques
biomécaniques de ces capteurs varient avec le temps, entraî-
nant une dégradation de leur performance [4]. Cette dégrada-
tion est essentiellement en rapport avec lintroduction de mi-
crobulles dans le système qui modifient la fréquence naturelle
et le coefficient de damping du capteur. Limportance de ces
microbulles est très liée à la qualité du système de purge et de
lergonomie du capteur, qui doivent donc, elles aussi, être pri-
ses en considération.
4. Conclusion
Lanalyse des caractéristiques biomécaniques des dispositifs
de mesure de la pression artérielle par méthode invasive, dis-
ponibles sur le marché, montrent une grande diversité des per-
formances de ces dispositifs. Du fait du risque derreurs diag-
nostiques et thérapeutiques que peut engendrer une médiocre
performance, il est nécessaire pour le clinicien de comprendre
les facteurs à lorigine de cette diversité. Lévaluation de ces
facteurs que sont la fréquence naturelle et le coefficient de
damping du dispositif, est facile à réaliser en pratique clinique
Fig. 7. Technique de « fast flush ». Elle nest pas toujours réalisable, les oscillations pouvant être masquées par la courbe de pression en particulier en cas de
tachycardie, ou daspect très accidenté de la courbe.
Fig. 8. Enregistrement des oscillations observées lors de la relaxation dune
pression constante générée par un générateur de pression. La fréquence
naturelle et le coefficient de damping du capteur sont mesurables simplement
(cf. texte).
Fn¼1=T:
ζ¼LogðA2=A1Þ=½π2þLogðA2=A1Þ21=2:
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