Voix plurielles 10.2 (2013) 408 Modalisation et actualisation de l

Voix plurielles 10.2 (2013) 408
Modalisation et actualisation de l’infinitif dans les énoncés avec les formules « faire +
infinitif » et « donner de + infinitif » : analyse du rapport syntaxe et discours
Koffi KONAN, Université lix Houphouet Boigny d’Abidjan, Côte d’Ivoire
Dans l’analyse des énoncés, la plupart des linguistes distinguent aujourd’hui quatre
niveaux de structures ou plus exactement de modes d’organisation : phonologique,
morphosyntaxique, sémantico-référentiel et énonciatif. Ces quatre niveaux sont indissociables à
l’encodage et au décodage du message. Cet article ayant une visée essentiellement didactique
1
,
veut s’appuyer sur le mode d’organisation énonciatif qui, semble-t-il, intègre les autres niveaux,
dans la mesure la théorie de l’énonciation admet que toute attitude discursive (un énoncé) est
la manifestation des rapports syntaxe, discours et sémantique. En effet, le sujet énonciateur
intervient de manière différente dans son énonsuivant l’organisation syntaxique qu’il met en
place ou l’intonation qu’il adopte face à son interlocuteur. On peut, de ce fait, dénombrer divers
procédés que le locuteur utilise pour marquer sa prise de position dans son discours. L’un de ces
procédés est ce qu’il est convenu d’appeler la modalisation (Gary-Prieur 38)
2
. Elle se manifeste
par le type de phrase, la mise en relief d’éléments linguistiques ou par l’usage de diverses
tournures parmi lesquelles on trouve l’emploi des locutions infinitives faire + infinitif et donner
de + infinitif dites de « la responsabilité partagée »
3
. Nous profiterons de l’opportunité qu’offre
ce travail pour examiner l’actualisation (voir Bally 7)
4
de ces locutions singulières dans des
énoncés. Ce sont ces deux procédés qui retiendront notre attention dans ce travail, l’un étant en
rapport avec le locuteur et l’autre en rapport avec le texte. C’est tout cela que cet article veut
synthétiser à travers une étude de la valeur communicative ou discursive des énoncés incluant
les formules « faire + infinitif » et « donner de + infinitif ». Mais avant, il s’emploiera à exposer
quelques théories définitionnelles relatives à la syntaxe et au discours ; ensuite, à décrire ces
formules et analyser leur valeurs syntaxique et sémantique pour situer les responsabilités du
sujet parlant et celle de l’autre actant qui intervient ou non dans l’acte de communication.
I. Description des structures contenant les formules « faire + infinitif » et « donner
de + infinitif »
Cette description s’appuie sur l’approche générative5 d’inspiration chomskyenne et plus
exactement sur la démarche transformationnaliste, qui reconnaît la double structure de l’énoncé :
la structure superficielle et la structure profonde.
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Il ressort qu’un type de construction tel que : « Il nous a été donné de constater son
incompétence » (propos oral extrait d’une conversation courante) renferme, sur le plan
syntaxique, deux propositions sous-jacentes. La première proposition, « il a été donné » étant
une impersonnelle par le pronom « il », qui n’a pas de référent contextuel, peut être dite
autrement en remplaçant ce pronom par un nom commun abstrait de préférence : « l’occasion a
été donnée ». La deuxième proposition « nous de constater son incompétence » est une
infinitive. Comme on peut le voir, ces deux propositions sont complémentaires : la seconde dont
la fonction principale est d’être un complément d’attribution, complète la première qui, en
apparence, est incomplète et imprécise, pour ne pas dire ambigüe. Mais, d’un point de vue
logique, la proposition « il a été donné » sous-entend une suite que vient donner la proposition
« nous de constater son incompétence ». Il en est de même pour la formule « factitive » (125)
« faire + infinitif » dans l’énoncé « tu nous as fait faire des progrès » (propos oral extrait d’une
conversation courante)8. La première proposition active est « tu as fait » et la seconde est
l’infinitive « nous… faire des progrès ». Ainsi démembrée, l’énoncé initial devient plus
analysable d’un point de vue syntagmatique et d’un point de vue sémantique : le sujet du verbe
de la proposition principale est le pronom de la deuxième personne du singulier « tu » dans la
structure profonde « tu as fait ». Celui du verbe infinitif de la deuxième proposition « faire des
progrès » est le pronom de la première personne du pluriel « nous ». Voici les deux phrases
initiales en structure profonde « Tu as fait. Nous avons fait des progrès ».
Ces descriptions syntagmatiques suggèrent une autre analyse d’ordre énonciatif que la
suite de l’article présentera. Pour revenir à l’énoncé précédent, en dépit du caractère impersonnel
ou neutre du pronom « il » dans la formulation « il nous a été donné de constater son
incompétence », en référence à son contexte de production, il y a un décor qui est censé être
planté par un tiers non identifié. Ce tiers inconnu est différent de la personne représentée par le
pronom complément « nous ». De toute évidence, il y a une équation à résoudre. Nous
pensons que la résolution de cette énigme passe nécessairement par l’analyse du rapport
syntaxe-discours.
II. Rapport entre syntaxe et discours dans ces actes d’énonciation
Avant tout propos, nous nous permettrons un petit exercice définitionnel des termes de
syntaxe et de discours. Ensuite, nous établirons le lien qui unit la syntaxe au discours dans
l’interprétation des énoncés en général, et en particulier, dans celle des énoncés contenant les
formules de modalisation « faire + infinitif » et « donner de + infinitif ».
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« La syntaxe étudie l’ordre des mots et les relations qui les unissent dans la phrase »
(Grévisse 7). « Etudier la syntaxe d’un mot, c’est décrire les relations qu’il entretient dans le
discours et spécifiquement dans la phrase, avec les différents éléments qui l’entourent »
(Bescherelle 114-115). « L’énoncé c’est tout fragment de la chaîne parlée ou de la phrase avant
ou après lequel il n’ya que vide » (Larousse, La grammaire française, 7). « Le discours est le
propos que l’on tient au cours d’un dialogue ou d’un monologue » (Dictionnaire Le Petit Robert
549). « Le discours est l’expression verbale de la pensée » (Gardes-Tamine et Pellizza 93).
« Selon la linguistique, le discours peut être assimilé à tout énoncé. L’analyse du discours prend
pour unité de base observable la phrase ou une suite plus étendue » (93).
Au regard de ces théories définitionnelles, il est clair que le discours s’appuie sur un
support formel qui permet d’entrer dans le message et saisir ainsi son sens. La disposition pour
ne pas dire l’organisation des éléments constitutifs du discours ou encore le choix de ceux-ci
oriente non seulement l’interprétation du discours, mais explicite surtout la pensée de
l’énonciateur. Une telle analyse ne peut pas laisser de côté la place prépondérante de
l’énonciateur. Celui-ci a une attitude qui influe sur son discours à travers sa modalisation. Joëlle
Gardes-Tamine et Marie-Antoinette Pellizza ne disent pas autre chose par cette assertion : « La
modalité est la marque de l’attitude du locuteur face à son énoncé et à son acte d’énonciation »,
pour traduire clairement le lien indissociable entre le triptyque locuteur - syntaxe - discours.
Le modèle de relation syntaxe-discours auquel nous faisons allusion dans ce travail n’a
nullement une vocation généralisante, il se limite donc aux structures ciblées par notre corpus de
phrases. En effet, la modalité linguistique tient compte de l’adéquation entre le discours, comme
l’expression de la pensée ou des intentions du locuteur et les attentes de l’interlocuteur. Cette
coïncidence crée la dynamique du discours qui est perceptible à l’orientation que le sujet parlant
veuille bien imprimer aux données linguistiques. Tout ceci pour dire que l’interprétation du
discours doit impliquer les trois dimensions ci-dessus indiquées.
Avec l’usage des formules sur lesquelles nous travaillons, et selon chaque formule, il
arrive que le locuteur n’assume pas la responsabilité de l’acte décrit dans l’assertion qu’il avance
et qu’il la mette au compte d’une tierce personne, comme en témoigne l’énoncé suivant : Il m’a
fait prendre des risques pour ma famille, je lui en veux terriblement. Le locuteur est omniprésent
dans les deux segments de son énoncé, respectivement par « m’ » et « je ». Il s’adresse à un
interlocuteur absent syntaxiquement de l’énoncé. Toutefois, le tiers agissant qui est la personne
dont on parle est représentée par les pronoms de la troisième personne « il et lui ».
Par ailleurs, lorsque le locuteur assume l’acte ainsi décrit, on dit qu’il prend ses
responsabilités, il se pose comme un participant avec un tiers participant qui s’efface derrière la
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situation de l’énonciation, exemple « Il nous a été donné de participer à sa réussite ». Le sujet
parlant est identifiable au pronom « nous ». Là encore, l’interlocuteur n’est pas représenté par un
signe dans le discours ; le pronom « il » étant un sujet apparent, ne désigne aucune réalité.
Dans tous les cas, la distanciation ou la présence du locuteur par rapport à son discours
n’a pas une pertinence particulière dans les relations communicationnelles établies dans les
énoncés en question ici. Cette dernière est surtout marquée par l’emploi de formules modales
comme « faire » et « donner de », qui traduisent ce que Joëlle Gardes-Tamine et Marie-
Antoinette Pellizza15 appellent la « modalisation en discours second ». Il s’agit en fait, de
formes ramassées ou figées dont les structures profondes expriment, dans leur proposition
principale, des actions ou des actes initialement exécutés avant ceux exécutés dans leur
subordonnée par les infinitifs que ces formules suivent. Ce sont surtout ces aspects qui
continuent d’entretenir une espèce d’ambiguïté que la suite de l’article s’emploiera à lever par
une analyse sémantico-référentielle.
III. Analyse sémantico-référentiel des formules factitives « faire + infinitif » et
« donner de + infinitif » dans le discours
Qu’ils servent à indiquer des caractéristiques ou des relations, les mots de la langue ne
peuvent jouer ces rôles que s’ils figurent dans un énoncé, autrement dit s’ils ont été actualisés.
« On appelle actualisation le passage d’un terme de l’état de concept dans le discours, lequel
est l’instrument de la communication des unités de la langue ». On va voir dans le
développement qui suit comment les infinitifs précédés de « faire » et « donner de » influent sur
le sens des énoncés qui les contiennent.
A l’opposé du verbe conjugué au mode indicatif, qui connaît une actualisation maximale
par les marques de temps et de personnes, l’infinitif, sans marques de personnes et n’inscrivant
pas de procès dans le temps, ne peut qu’actualiser l’idée du procès. Ainsi, de par l’acte
d’énonciation «il nous a été donné de constater son incompétence », on est à un degré élevé
d’actualisation avec l’infinitif : un acte semble avoir été posé avant celui exprimé par l’infinitif
« constater » de la seconde partie de l’énoncé. En effet, contrairement à la première partie de
l’énoncé qui a un sujet irréel ( il ), l’infinitif a un sujet explicitement identifié et réel (nous » qui
figure comme un agent du procès et qui a un complément syntaxique à travers le syntagme
nominal « son incompétence » qui précise l’idée exprimée par l’infinitif. Il y a comme dans la
première proposition, la création d’une situation concrète ou abstraite dans laquelle « l’agent-
complément » de la deuxième proposition est mise en situation ou en scène.
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Avec la formule « donner de + infinitif », on ne peut identifier qu’un seul acteur agissant
ou un acteur qui s’exprime dans l’énoncé qui la contient : c’est « nous » (qu’il s’agisse d’une
personne seule ou d’un collectif, peu importe). Ce « nous » a un référent contextuel, c’est le
sujet parlant, c’est ce qui importe. En inscrivant cette formule dans son énoncé, le locuteur
donne une consistance à une unité qui initialement n’en avait pas. En d’autres termes, il y
actualise l’infinitif. En conséquence de cela, le pronom « il » qui est, comme nous le
mentionnons au paragraphe précédent, un impersonnel sans référent, dès lors, le pronom « il »
peut avoir une réalité sémantique dans le discours, mais à travers la perception du locuteur. Il
peut ainsi le paraphraser ou l’exprimer au moyen de termes nominaux abstraits
comme, l’occasion ou l’opportunité.
Quant à la formule « faire +infinitif » dans un acte de communication comme « tu nous
as fait faire des progrès », elle met en présence deux actants : l’un représenté par le pronom
« nous » et l’autre par le pronom «tu ». Ils sont respectivement émetteurs et récepteurs et ils
s’inscrivent dans le schéma classique de communication. On peut considérer que les deux
actants agissent, mais différemment. Le locuteur à travers « nous » parle à « tu » de ce que « tu »
a fait. En effet, l’interlocuteur n’est pas inactif. Il anime la scène au même titre que le locuteur.
Le constat est encore plus clair ici : nous sommes dans un cas supérieur d’actualisation avec la
présence dans l’énoncé d’acteurs ou de référents participant à la réalisation des différents procès.
Cette situation aurait été différente si le locuteur avait intégré un pronom de la troisième
personne (il/ils), exemple : « il nous a fait faire des progrès ». Dans ce cas, ce serait le locuteur
seul qui aurait animé la scène, il aurait parlé de quelqu’un qui aurait été « un tiers présent » ou
« un tiers absent » du processus conversationnel, et dont le rôle serait assimilable à celui d’un
complice, d’un meneur ou d’un catalyseur (cela dépend de l’angle on se place pour
appréhender l’individu qu’incarne le pronom il). Dans ce dernier cas, le locuteur ne se serait pas
adressé directement à l’individu que désigne «-il ». L’acte de celui dont il parle aurait déjà eu
lieu. On note qu’il existe une dimension temporelle chronologique dans la réalisation des
procès, dont il faut tenir compte dans l’analyse des formes verbales en question.
En termes de rapport avec son discours, le locuteur peut tirer profit ou non de l’usage
qu’il fait de ces expressions. Dans l’emploi de la formule « faire + infinitif », la situation peut
être en faveur du locuteur ou de l’acteur-complément, si celui-ci s’en tire à bon compte,
exemples :
Tu nous as fait faire des progrès significatifs.
Il m’a fait faire une belle promenade.
Vous nous avez fait faire des exercices de français avant l’épreuve.
C’est lui qui nous a fait sortir du trou
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