gestions
hospitalières
…
Mars 2005
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nombre croissant d’autres professionnels: ergothérapeute,
orthophoniste, professeur d’éducation physique et spor-
tive adaptée, psychologue, psychomotricien, neuropsy-
chologue, orthoptiste, assistante sociale, animateur…, jus-
qu’aux bénévoles et, le cas échéant, l’aumônier.
Cet enrichissement est ressenti comme pertinent et utile à
la prise en charge: le patient en situation de handicap acquis
(paraplégie) déprime, il doit accepter la perte irrémédiable
de son autonomie, reconstruire une nouvelle image de soi
et un projet de vie… L’intervention d’un psychologue s’im-
pose. Dans le même temps, le retour à domicile pose pro-
blème, si bien qu’est ressentie la nécessité de faire interve-
nir l’ergothérapeute qui organisera avec l’assistante sociale
les conditions matérielles, sociales et financières de la vie
future: aménagement du logement, ressources, etc.
Analyse spectrale des besoins du patient
Le concept de la réadaptation est, en quelque sorte par
définition, pluridisciplinaire. Il repose sur l’idée générale et
au départ un peu vague de prendre en charge le patient
dans sa globalité; cela amène à identifier chez le patient
des besoins supplémentaires qui conduisent à envisager
comme souhaitable, voire nécessaire, de s’adjoindre des
compétences nouvelles. Au fil du temps se
constitue le «bouquet de ressources», selon
l’heureuse formulation de Hesbeen.
Exemple: Jacqueline est atteinte d’un loc-
ked in syndrom, qui se traduit par le fait de
jouir de sa conscience tout en étant enfer-
mée dans son propre corps dépourvu de
motricité. L’un des objectifs est de renouer
le fil de la communication, puisque cette
personne a perdu sa capacité de parler.
L’ergothérapeute et le kinésithérapeute
recherchent un petit mouvement volontaire qui possède
suffisamment de stabilité pour être utilisable. Le cli-
gnement des yeux habituellement utilisé n’est pas pos-
sible; en revanche, un mouvement de faible amplitude
du doigt est repéré. Le kinésithérapeute s’attache à
rééduquer ce mouvement tandis que l’ergothérapeute
se met en quête d’un dispositif technique permettant
d’utiliser ce geste, lorsqu’il aura été fiabilisé. Il découvre
une synthèse vocale qui fait défiler sur un écran et un
haut-parleur des lettres de l’alphabet jusqu’à ce que le
clic du doigt indique qu’il s’agit de la lettre voulue.
L’orthophoniste intervient ensuite pour l’apprentissage
de cette technique jusqu’à sa maîtrise: les lettres s’as-
semblent en mots qui constituent une phrase. Tout cela
nécessite que les intervenants se concertent, se consul-
tent et agissent de façon coordonnée pour atteindre cet
objectif si difficile car dépassant les compétences de
chacun pris isolément. La première phrase librement
produite par la patiente fut : « Je veux mourir. » Cette
déclaration ouvrira l’espace à d’autres intervenants: psy-
chologue, famille, aumônier…
L’extension des compétences et des métiers permet de
résoudre des problèmes de plus en plus nombreux; le
spectre de la prise en charge s’élargit et vise désormais la
personne toute entière. Cependant, des questions nouvelles
surgissent, par exemple : jusqu’où aller dans l’enrichisse-
ment de la prise en charge? Partant du désir d’améliorer
l’aide au patient, le système peut dériver et devenir totali-
taire: on s’occupera alors d’«améliorer » sa vie privée ou
familiale. Toutefois, dans cet élan, le mouvement est freiné
par la question économique, car les interventions s’ajou-
tant les unes aux autres, le coût de la prise en charge
s’élève rapidement. Les Canadiens ont posé une limite:
ramener le patient dans l’état antérieur, sans chercher à
améliorer cet état. S’il a été renversé par une voiture alors
que sans domicile fixe il déambulait en état d’ivresse, l’on
ne s’occupera ni d’améliorer son insertion sociale, ni de son
alcoolisme. Cette limite paraît sévère; néanmoins, elle rap-
pelle judicieusement que la réadaptation doit rester à sa
place et ne pas se poser comme chargée de la mission
impossible qui consisterait à «tout réparer», ce qui expri-
merait un désir latent de toute-puissance.
La notion d’équipe pluridisciplinaire
L’équipe, une notion ambiguë
L’organisation des soins en centre de réadaptation repose
sur plusieurs pôles : le médical, les soignants et les
réadaptateurs, chacun étant installé dans un espace par-
ticulier. Même si la notion d’équipe est très présente dans
le discours, le concept est ambigu. Il décrit autant
l’équipe professionnelle, par exemple l’équipe des kiné-
sithérapeutes, que le collectif des intervenants de toutes
les disciplines prenant en charge les patients. Ce qui
manque, dans l’organisation traditionnelle, c’est la volonté
de constituer l’équipe rassemblant l’ensemble des inter-
venants et, surtout, le moment concret et symbolique qui
confère à cette équipe une visibilité, une conscience et
une identité. Autrement dit, l’équipe reste virtuelle.
Le schéma du tapis roulant
Ce type d’organisation entérine une segmentation, qui s’ap-
parente à un morcellement de la prise en charge et n’est
pas sans rappeler la division du travail dans le milieu indus-
triel. Chaque intervenant accomplit une parcelle du travail
global selon un modèle séquentiel. Le modèle du tapis rou-
lant décrit de façon sans doute «idéale typique» ou carica-
turale que le patient reste morcelé entre les dimensions
prises en charge par les compétences multiples qui se
relaient. Concrètement, à défaut de tapis, c’est en fauteuil
roulant qu’il se déplace entre les secteurs allant de sa
chambre au plateau technique, de la kiné à l’ergo en pas-
note
(1)
Article paru dans la revue
Perspective soignante, n° 20,
septembre 2004, Seli Arslan.
L’organisation
des soins en centre
de réadaptation
repose sur plusieurs
pôles : le médical,
les soignants
et les réadaptateurs…