Première
Synthèse texte 18 - Alain, Propos sur le bonheur -Manuel p.384
Eléments pour l’introduction
Alain, (de son vrai nom Emile Chartier) est un philosophe du XXème siècle (1868-1951), également
professeur de philosophie et de littérature. Il signe de nombreuses chroniques dans les journaux qui
seront rassemblés par la suite dans un recueil de Propos.
Cet extrait relève donc de l’essai, la thèse du philosophe est que les passions nous trompent, elles
masquent la vérité, et aggravent notre situation. Le texte s’organise de façon très simple: énoncé de la
thèse, et trois exemples pour l’illustrer.
Que veut montrer Alain et en quoi son argumentation est-elle efficace?
1. Une thèse claire: condamnation des passions.
Le texte, qui appartient au genre de l’essai, offre une argumentation claire et directe, qui cherche à
convaincre - ce qui semble logique puisque la thèse condamne les passions et l’émotion.
On peut noter que le locuteur se fait assez discret - le vocabulaire appréciatif marque sa présence et
quelques rares occurrences de la première personne, comme pour donner à l’argumentation un
caractère plus objectif. Il s’adresse parfois directement à son destinataire «!vous verrez!» ou bien
utilise un «!nous!» qui le rapproche de lui.
Les passions
Le mot «passion» signifie, à l’origine, «souffrance», «affection de l’âme», et c’est dans ce sens qu’Alain
l’emploie. Il évoque à plusieurs reprises l’expression «l’éloquence des passions» (l. 1, 31-32, 48), qu’il
définit dans le premier paragraphe : « j’entends par cette fantasmagorie triste ou gaie, brillante ou
lugubre, que nous déroule l’imagination selon que notre corps est reposé ou fatigué, excité ou
déprimé » (l. 1-3). Les passions sollicitent l’imagination de l’homme - passion heureuse ou
malheureuse, comme le souligne avec insistance le rythme binaire. Le jugement porpar Alain est
dépréciatif, ce qui est visible dès le premier paragraphe: «l’éloquence des passions nous trompe
presque toujours». Elles masquent la vérité, elles constituent un «piège» (l. 39). Les passions amplifient
le mal: «le désespoir est terrible et aggrave de lui-même ses causes » (l. 37-38), sorte de
personnification dans laquelle le malheur de l’homme paraît s’amplifier de lui-même, grâce à
l’éloquence des passions, ce qu’Alain souligne par une métaphore, ligne 44: «une colère finit souvent
en tempête». Les hommes passionnés, ou les passions elles-mêmes, sont appelés «!moralistes
d’occasion!» - expression très dépréciative à nouveau - «!qui ne savent que se mettre en délire et
donner leur mal à d’autres!». L’expression «!d’occasion!» montre le caractère peu fiable des passions,
considérées comme des maladies «!délire!», «!mal!».
Les exemples de passion néfastes.
Deux exemples sont successivement développés par Alain. Le premier, le plus long, parcourt les lignes
6 à 38. Il s’agit de l’étudiant en proie à une fatigue physique lors de ses révisions, qui se met à douter
de lui et à amplifier son mal. Cet exemple est ici particulièrement efficace, puisqu’il est issu de la vie
courante et de ce que lui-même, en tant que professeur, pouvait constater. La date de parution de
l’article (14 mai 1913) correspond à une période de révision, comme il le rappelle: «Dans ce temps
les examens commencent à s’élever au-dessus de l’horizon » (l. 6). Des lignes 39 à 49, il prend
l’exemple de la colère, contre un «!ennemi!», qui s’accroît au fur et à mesure. Des lignes 49 à 51, il
évoque rapidement la réaction d’un homme blessé par celui qu’il croyait un ami (un écho du
Misanthrope?) qui peut constituer soit un nouvel exemple, soit un prolongement du précédent.
Chacun de ces exemples prend appui sur des situations concrètes, dans lesquelles on peut se
reconnaître. Le but d’Alain, en écrivant cet article est d’amener à une prise de conscience : la passion
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est mauvaise conseillère et il faut prendre de la distance par rapport à ce que l’on ressent. Ainsi,
l’étudiant « devrait, par réflexion, deviner ici l’éloquence des passions, et refuser d’y croire, ce qui
détruirait soudainement le plus clair de son mal » (l. 30 à 34), ou pour l’homme en colère, « ici encore
il faut, par réflexion, deviner l’éloquence des passions et refuser d’y croire». Si le texte est clair, il est
aussi très expressif.
2. Une peinture vivante des passions et de la sagesse
Le théâtre des passions
L’expression répétée «!l’éloquence des passions!» est elle même très expressive. On retrouve un
procédé similaire avec «!la poésie de l’injustice!» - qui montre combien l’injustice crée de beaux
discours, de belles images, qui ne sont que des projections et contre lesquelles il faut lutter. Le
vocabulaire de la littérature introduit déjà la métaphore du théâtre qui sera développée par la suite.
Qu’est-ce que «!l’éloquence des passions?!» L’explication du titre est fournie dès le premier
paragraphe: les passions sont «éloquentes», elles parlent à l’imagination de celui qui les supporte. Alain
reprend ici les théories d’Aristote, dans La Rhétorique, il définit chaque passion et montre l’emploi
que l’orateur peut avoir de chaque passion pour persuader son auditoire. L’homme en proie à la
passion est ainsi amené à se composer une « tragédie» (l. 40): le lexique du théâtre parcourt le texte
« Je ne suis qu’un acteur tragique qui déclame pour lui-même », l. 50-51 ; « le théâtre », l. 51 ; « les
brillants décors », l. 52. Cette analogie avec le théâtre rappelle les mensonges de l’imagination soumise
aux passions et rend l’argumentation efficace.
L’imagination et la projection
Le pouvoir de l’imagination est largement développé dans les différents exemples, et notamment dans
celui de l’étudiant en train de réviser, qui «fatigue ses yeux et ressent un mal de tête diffus», ce
qu’Alain qualifie de « petits maux » (l. 7-9). Il développe alors ses pensées («il constate d’abord que
[...]», l. 9; «il pense que [...], l. 16), ses sentiments («il s’attriste», l.11). Son imagination le force à
reconsidérer le passé («portant son regard sur le passé », l. 12) et à envisager l’avenir sous un jour
sombre («regardant maintenant vers l’avenir», l. 15-16). Les pensées de l’étudiant lui arrivent dans le
désordre: le constat présent («il n’apprend pas vite », l. 9) n’est pas expliqué par une cause objective
(le manque de lumière, la fatigue et le mal de tête). La projection dans le passé ou le futur empêche
toute considération de l’état présent. Les pensées de l’homme en colère sont développées également
aux lignes 40-41, à travers une énumération asyndétique qui traduit l’abondance de ses
fantasmagories et leur désordre «!tous les torts de son ennemi, ses ruses, ses préparations, ses mépris,
ses projets pour l’avenir!». La colère se nourrit d’elle-même, et le chiasme employé aux lignes 41-42
souligne ce mécanisme «!Tout est interprété selon la colère, et la colère en est augmentée.!»
L’homme ainsi représenté est ridiculisé à travers la comparaison à un «peintre qui peindrait les Furies
et qui se ferait peur à lui-même » (l. 43) - comparaison très expressive en même temps.
La sagesse salvatrice
Pour lutter contre l’éloquence des passions, il faut être sage, avoir «!la profonde sagesse des stoïciens
élucidée encore par Descartes et Spinoza!». Les références ici - arguments d’autorité aussi- nous
renvoient aux philosophies qui mettent en avant la raison et se méfient du corps (au contraire de
l’épicurisme, par exemple). Le discours «!sage!» est reproduit au discours direct, pour le dernier
exemple, ce qui rend l’exemple très concret «!Au lieu de dire: «!ce faut ami…, dire:!«!Dans cette
agitation…!»!». En outre le conseil donné est répété deux fois, avec une formulation identique, et de
l’insistance. : «!il devrait, par réflexion, deviner ici l’éloquence des passions, et refuser d’y croire!»
l30-32, puis «!Ici encore, il faut, par réflexion, deviner l’éloquence des passion et refuser d’y croire!»
l47-49. La sagesse est du côté de la réalité, et non de l’imagination, comme le montre la répétion.:
«!Sagesse réelle; arme réelle contre la poésie de l’injustice!»;
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Synthèse
L’efficacité de cette argumentation tient à
sa clarté: la thèse est énoncée dès le début et Alain a recours à deux exemples successifs pour
l’illustrer. Ceux-ci, en particulier, font appel à des expériences connues.
L’analogie avec le théâtre permet de faire saisir le sens du titre: «l’éloquence des passions».
Les procédés d’insistance.
Source: Français, 1ère, Empreintes Littéraires, Magnard 2011.
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