est mauvaise conseillère et il faut prendre de la distance par rapport à ce que l’on ressent. Ainsi,
l’étudiant « devrait, par réflexion, deviner ici l’éloquence des passions, et refuser d’y croire, ce qui
détruirait soudainement le plus clair de son mal » (l. 30 à 34), ou pour l’homme en colère, « ici encore
il faut, par réflexion, deviner l’éloquence des passions et refuser d’y croire». Si le texte est clair, il est
aussi très expressif.
2. Une peinture vivante des passions et de la sagesse
Le théâtre des passions
L’expression répétée «!l’éloquence des passions!» est elle même très expressive. On retrouve un
procédé similaire avec «!la poésie de l’injustice!» - qui montre combien l’injustice crée de beaux
discours, de belles images, qui ne sont que des projections et contre lesquelles il faut lutter. Le
vocabulaire de la littérature introduit déjà la métaphore du théâtre qui sera développée par la suite.
Qu’est-ce que «!l’éloquence des passions?!» L’explication du titre est fournie dès le premier
paragraphe: les passions sont «éloquentes», elles parlent à l’imagination de celui qui les supporte. Alain
reprend ici les théories d’Aristote, dans La Rhétorique, où il définit chaque passion et montre l’emploi
que l’orateur peut avoir de chaque passion pour persuader son auditoire. L’homme en proie à la
passion est ainsi amené à se composer une « tragédie» (l. 40): le lexique du théâtre parcourt le texte
« Je ne suis qu’un acteur tragique qui déclame pour lui-même », l. 50-51 ; « le théâtre », l. 51 ; « les
brillants décors », l. 52. Cette analogie avec le théâtre rappelle les mensonges de l’imagination soumise
aux passions et rend l’argumentation efficace.
L’imagination et la projection
Le pouvoir de l’imagination est largement développé dans les différents exemples, et notamment dans
celui de l’étudiant en train de réviser, qui «fatigue ses yeux et ressent un mal de tête diffus», ce
qu’Alain qualifie de « petits maux » (l. 7-9). Il développe alors ses pensées («il constate d’abord que
[...]», l. 9; «il pense que [...], l. 16), ses sentiments («il s’attriste», l.11). Son imagination le force à
reconsidérer le passé («portant son regard sur le passé », l. 12) et à envisager l’avenir sous un jour
sombre («regardant maintenant vers l’avenir», l. 15-16). Les pensées de l’étudiant lui arrivent dans le
désordre: le constat présent («il n’apprend pas vite », l. 9) n’est pas expliqué par une cause objective
(le manque de lumière, la fatigue et le mal de tête). La projection dans le passé ou le futur empêche
toute considération de l’état présent. Les pensées de l’homme en colère sont développées également
aux lignes 40-41, à travers une énumération asyndétique qui traduit l’abondance de ses
fantasmagories et leur désordre «!tous les torts de son ennemi, ses ruses, ses préparations, ses mépris,
ses projets pour l’avenir!». La colère se nourrit d’elle-même, et le chiasme employé aux lignes 41-42
souligne ce mécanisme «!Tout est interprété selon la colère, et la colère en est augmentée.!»
L’homme ainsi représenté est ridiculisé à travers la comparaison à un «peintre qui peindrait les Furies
et qui se ferait peur à lui-même » (l. 43) - comparaison très expressive en même temps.
La sagesse salvatrice
Pour lutter contre l’éloquence des passions, il faut être sage, avoir «!la profonde sagesse des stoïciens
élucidée encore par Descartes et Spinoza!». Les références ici - arguments d’autorité aussi- nous
renvoient aux philosophies qui mettent en avant la raison et se méfient du corps (au contraire de
l’épicurisme, par exemple). Le discours «!sage!» est reproduit au discours direct, pour le dernier
exemple, ce qui rend l’exemple très concret «!Au lieu de dire: «!ce faut ami…, dire:!«!Dans cette
agitation…!»!». En outre le conseil donné est répété deux fois, avec une formulation identique, et de
l’insistance. : «!il devrait, par réflexion, deviner ici l’éloquence des passions, et refuser d’y croire!»
l30-32, puis «!Ici encore, il faut, par réflexion, deviner l’éloquence des passion et refuser d’y croire!»
l47-49. La sagesse est du côté de la réalité, et non de l’imagination, comme le montre la répétion.:
«!Sagesse réelle; arme réelle contre la poésie de l’injustice!»;