Compte tenu de cette avance italienne, rien de surprenant si des Italiens, Colomb,
Vespucci, les Cabot, etc..., participèrent de façon décisive à la découverte de l’Amérique,
même s’ils le firent pour le compte d’autrui. Rien d’étonnant, non plus, si les techniques
bancaires se répandirent en Europe à partir de l’Italie, si Galilée était italien et si la musique
moderne est née en Italie à la fin du XV° siècle et au début du XVII°.
Pourtant la marche en avant qui a caractérisé la civilisation de la Renaissance n’a pas été
seulement un phénomène italien. Il s’est agi d’une progression européenne. De nos jours
on ne considère plus Léonard de Vinci comme un inventeur isolé et on a identifié deux
grandes « écoles » d’ingénieurs de la Renaissance : l’italienne et l’allemande. Autrement
dit, la Renaissance a eu plusieurs pôles, en dehors de l’Italie : les Pays Bas, un des centres
économiques européens les plus importants aux XV° et XVI° siècles, mais aussi un foyer
artistique d’où rayonna la polyphonie flamande et où fut inventée la peinture à l’huile ; la
vallée du Rhin, route de diffusion de l’imprimerie, de l’humanisme et des contestations
religieuses ; les ports espagnols et portugais d’où partirent les grands voyages de
découverte ; les cours brillantes de France et d’Angleterre. Anvers au milieu du XVI° siècle
est la capitale économique de l’empire de Charles Quint. La Renaissance s’est donc
épanouie en de multiples sites : Florence, Rome et Venise, bien sûr, mais aussi Lyon,
Augsbourg, la ville des Fugger, Nuremberg, la cité de Dürer, Anvers, Prague, Cracovie,
Lisbonne, Séville et bien d’autres.
A partir du moment où le terme « Renaissance » devient synonyme d’avancée globale
d’une civilisation, on n’est plus embarrassé pour y intégrer des composantes qu’il était
difficile de situer auparavant à l’intérieur d’une Renaissance comprise étroitement comme un
retour à l’Antiquité. Car, dans cette signification restrictive, que faire de Bosch et de
Bruegel ? Ou du Gréco ? Ou du célèbre Transi de Ligier Richier à Bar-le-Duc ? Et doit-on
faire le silence sur l’invention du « verre blanc » à Murano vers 1460 ou sur la mise au point,
dans la première moitié du XVI° siècle en Bohême ou en Allemagne, du procédé de
« l’amalgame » pour traiter le minerai d’argent par le mercure liquide, procédé qui permit
l’exploitation intensive des mines du Mexique et du Pérou ? Si, en revanche, on se sert du
mot « Renaissance » pour signifier une période passionnante qui a cumulé bouillonnement
culturel et explosion artistique multiforme, mais aussi avancées techniques, consolidations
étatiques et effervescence religieuse, on se libère des limitations qu’imposait l’ancien sens
du terme, lorsqu’il était accroché à la seule résurrection, d’ailleurs plus apparente que réelle,
de l’Antiquité.
Mais, en même temps, on s’aperçoit avec humilité que, dans sa signification étroite comme
dans son acception la plus large, le mot « Renaissance » est quand même partiellement
inadéquat. Car il comporte une connotation joyeuse qui risque d’entraîner des gens pressés
vers de fausses pistes. On provoque sans doute l’étonnement si on rappelle, à la suite de
Jean-Claude Margolin, qu’Erasme, le plus connu des « humanistes » de la Renaissance,
fidèle à l’attitude des Pères de l’Eglise, était un farouche adversaire de la musique profane
et n’acceptait à l’église que le chant des psaumes.
Assurément les « fêtes de la Renaissance » ont existé, et avec beaucoup de musique.
Elles ont été brillantes à Florence, à Milan, à Anvers, à Paris, à Rouen et ailleurs. On en
possède de nombreuses descriptions qui ont valeur de documents. Mais, aspect social
qu’on ne saurait négliger, au cours du XVI° siècle, l’écart s’accrut entre riches et pauvres ;
l’augmentation des prix profita aux premiers et défavorisa les seconds ; les mendiants
affluèrent dans les villes . La Renaissance fut très dure socialement.
L’historien doit donc rappeler aussi ses multiples aspects sombres et, tout d’abord, apporter
un rectificatif au sujet du mot « humanisme », qui n’est apparu en français qu’au XVIII°
siècle. Depuis lors il a de plus en plus caractérisé une position philosophique qui met
l’accent sur la valeur fondamentale de l’homme. Mais, à l’époque de la Renaissance, on