Tenir un rôle, s’y conformer implique une certaine identité. Une identité n’est pas seulement ce que l’on est
(l’identité pour soi) mais ce que l’on est pour les autres (l’identité pour autrui) > Goffman
L’identité est conférée, confortée et transformée par des processus sociaux. L’identité n’est pas donnée
d’elle-même, pour Mead elle se construit d’abord dans l’enfance à partir des relations avec ce qu’il appelle
l’autrui significatif (essentiellement les parents qui transmettent un ensemble affectif et langagier), le
nombre des autruis significatifs se densifient au cours de l’existence et permet d’accéder au monde social
plus complexe, à la possibilité d’accéder à ce que Mead nomme alors l’autrui généralisé.
Le rôle s’accompagne parfois d’une forme de distance au rôle. En particulier lorsqu’on est dépouillé de ses
rôles antérieurs, nous sommes capables d’observer une certaine forme de distance au rôle. C’est le cas des
institutions totales étudiées par Goffman (dans Asiles).
Dans les institutions totales (la prison en particulier, mais aussi l’hôpital psychiatrique), les individus qui y
entrent perdent leurs statuts antérieurs, ils sont dépouillés de leur identité. Ils deviennent avant toute chose
ce qu’ils sont du point de vue de l’institution, c’est à dire un malade pour l’ensemble des personnels
soignants, un détenu pour l’ensemble des personnels de surveillance. Cela passe par un certains nombres de
rituels (de dépersonnalisation, de mortification, ex n° d’écrou, dossier médical), de procédures parfois
anodines, de comportements de la part de ceux qui vont avoir à prendre soin ou surveiller ces individus
placés dans ces institutions (c’est aussi le cas dans les maisons de retraite).
L’idée de succession des rôles indique que les processus d’apprentissage, d’incorporation relatifs à la
socialisation des individus sont dynamiques et s'inscrivent à l'échelle de la vie entière. De la naissance à la
mort, les individus sont amenés à vivre dans des groupes sociaux différents au sein d'instances de
socialisation diverses (la famille, l'école, les différents lieux de travail, de loisirs etc.). En ce sens il n'y a pas
une socialisation mais des socialisations successives qui passent par différents canaux.
Peter Berger et Thomas Luckman sont les auteurs qui ont conceptualisé cette idée avec la distinction opérée
entre socialisation primaire et socialisation secondaire. La première se définit avant tout par l'immersion
des individus dans le monde vécu qui est au départ le seul univers existant et possible, les enfants vivent
dans ce monde à partir d'un savoir de base, il y a appréhension immédiate du monde dans lequel ils sont
« pris en charge », ils incorporent des savoirs de base par l'apprentissage du langage qui constituent le
processus fondamental de la socialisation primaire. Celle-ci est très importante pour la suite et viendra
influer la socialisation secondaire. La socialisation secondaire est définie comme une « intériorisation de
sous-mondes institutionnels spécialisés et acquisition de savoirs spécifiques et de rôles directement ou
indirectement enracinés dans la division du travail », c'est à dire essentiellement des savoirs professionnels.
4. Théorie de la socialisation continue
Récemment, Muriel Darmon, dans un petit livre intitulé « La socialisation » (édition Armand Colin) propose
une grille de lecture qui approfondit la conceptualisation de cette notion et tente de dépasser le découpage
entre socialisation primaire et secondaire en proposant la notion de socialisation continue. L’auteure
construit une grille d’analyse qui précise que les instances d’une socialisation continue ne se limitent pas aux
institutions classiques (l’école, le milieu professionnel etc.), mais on doit inclure également la socialisation
conjugale (faire couple est devenu très important dans l’existence des individus, la norme conjugale n’a
jamais été aussi puissante). Par ailleurs, les événements historiques (collectifs) peuvent aussi être inclus dans
l’analyse des socialisations continues des individus : par exemple la guerre d’Algérie a été un moteur
essentiel pour toute une génération de militants avant 1968 ; la participation ou l’opposition à des
mouvements sociaux tels que le CPE a déjà contribué à façonner des regards et des implications politiques
différentes selon les individus.
Les événements historiques mais également les événements individuels. Introduire l’idée que l’événement
puisse être considéré comme une instance de socialisation est novateur puisque dans les conceptions
classiques des théories de la socialisation dans lesquelles l’origine sociale est puissante, et éventuellement
corrigible par le parcours scolaire (comme chez Bourdieu, où on peut trouver des « miraculés » du système
scolaire), le statut donné aux événements est lu comme une butée face aux instances de socialisation
communes, précisément parce qu’il est ponctuel, imprévisible, inédit ; or on peut englober les événements