Socialisation - Département de sociologie

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Introduction à la sociologie- Licence 1- Cours magistral 7 - Théories de la socialisation
Fabrice Guilbaud, Maître de conférences, Amiens.
Définition
La socialisation c’est l’ensemble des processus par lesquels l’individu est construit – on utilisera souvent
des verbes comme « former », « modeler », « façonner », « fabriquer » voire « conditionner » - par la société
globale et locale dans laquelle il vit ; processus au cours desquels l’individu « acquiert », on dira aussi
« apprend », « intériorise », « incorpore », « intègre » - des façons de faire, de penser et d’être qui sont
situées socialement. Définition simple : « façon dont la société forme et transforme les individus »
C'est-à-dire…
- « façon », on entend la question : Comment les socialisation s’opère-t-elle ? (fait écho au mot processus)
- « société » (qui ou qu’est-ce qui socialise ? > des agents socialisateurs ou des instances socialisatrices.
- « Forme et transforme » : donc action de la socialisation sur les individus : analyse des effets, des produits,
des résultats spécifiques de la socialisation (mais qu’est-ce qui est intériorisé par l’individu socialisé ?)
1. Socialisation communautaire et socialisation sociétaire
A travers l’opposition communauté / société (Ferdinand Tonnïes, sociologue allemand de la fin du XIXe),
on peut penser une forme d’évolutionnisme dans les modalités de la socialisation.
Le modèle évolutionniste de socialisation de l’individu à travers l’opposition communauté / société c’est
l’idée qu’avec l’industrialisation, l’urbanisation, l’essor de la rationalisation des entreprises et des
administrations, la séparation entre les individus, entraîne l’essor des relations contractuelles (sociales et
économiques) l’individualisation des personnalités mais dans le même temps une dépendance plus forte aux
composantes de la société (dépendance plus forte aux infrastructures, à la technique, au commerce, besoin
de corps intermédiaires pour agir sur le devenir des sociétés etc.).
Il y a une vision d’un passage du simple au complexe, de l’affectif au rationnel, du traditionnel au moderne,
qui se retrouve dans les pensées sociologiques de Spencer en Angleterre à travers l’opposition
(homogène/hétérogène), de Durkheim (sociétés à solidarité mécanique/sociétés à solidarité organique) et
chez Weber (désenchantement du monde à travers la rationalisation).
2. Socialisation et éducation.
La notion de socialisation est souvent associée à celle d’éducation ; la fortune du terme de socialisation est
aussi portée par la psychologie qui définit plutôt la socialisation en termes d’aptitudes et de compétences à
entretenir des relations avec autrui, du coup le langage courant véhiculé par les travailleurs sociaux et les
enseignants opère une confusion puisqu’il assimile la socialisation à un comportement valorisé socialement :
« être sociable », « avoir un bon relationnel », et on entendra que tel enfant est « bien socialisé », c'est-à-dire
qu’il s’est bien adapté à la vie en collectivité. Donc il y a dans ces visions une charge morale, normative, il y
a un implicite : la socialisation, c’est positif.
Si on confond socialisé avec sociable du coup on raconte des trucs comme « il n’est pas socialisé » ; on
pourra entendre des moralistes dirent que tel ou tel communauté ou individu ont été désocialisés.
En tout rigueur pour un sociologue tout cela n’a pas de sens, la socialisation n’est ni bonne ni mauvaise, elle
est là et les analyses doivent se concentrer sur les processus. L’association des notions de socialisation et
d’éducation provient aussi de la sociologie de Durkheim : chez lui comme chez le psycho-sociologue
George Mead, il y a une importance fondamentale des 1ères années d’existence dans la formation des
individus. Mais c’est devenu tellement évident qu’on n’explique même plus les causes d’une telle force
socialisatrice. Des sociologues comme Durkheim ou Norbert Elias affirment que l’enfant est un être
particulièrement influençable sur lequel le 1ères expériences ont une forte prise. De plus l’enfant aurait une
un véritable besoin, à ce moment là de l’influence des personnes qui l’entourent pour ne pas ou ne plus être
un animal (influence rousseauiste).
L’enfance est un âge de la vie au cours duquel l’enfant ne choisit ni ses parents ni l’action qu’ils vont avoir
sur lui, dans ce cadre les influences socialisatrices sont de fait imposées à l’enfant, et en plus cette contrainte
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socialisatrice est accompagné d’un contexte affectif qui renforce encore cet aspect coercitif de la
socialisation primaire (cet aspect affectif est particulièrement bien montré dans les écrits de George Mead).
Les 1ères expériences socialisatrices sont puissantes parce qu’elles sont fondatrices donc elles constituent des
filtres par lesquels les individus vont ensuite percevoir le monde extérieur, et puisqu’elles font office de
filtres, ces expériences permettent ensuite aux individus de sélectionner - parmi les événements, les
personnes - ceux et celles qui ne remettent pas en cause la manière dont ses 1ères expériences ont construit les
individus (c’est une dimension très présente dans la notion d’ethos chez Weber).
Socialisation et éducation ne sont pas des termes équivalents au sens où le processus de socialisation ne se
limite pas à l’effet des pratiques éducatives.
L’éducation c’est l’ensemble des actions explicitement entreprises par les parents dans le but d’élever les
enfants d’une certaine manière. D’ailleurs Durkheim propose une définition de l’éducation qui possède cette
aspect normatif: « Elle a pour objet de susciter et de développer chez l’enfant un certain nombre d’états
physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui et la société publique dans son ensemble et le milieu
spécial auquel il est particulièrement destiné » (cf. texte TD) Dans cette vision, la socialisation a une
fonction : former les individus à des places, un milieu.
Mais les approches sociologiques de la socialisation mettent l’accent sur les composantes, les aspects moins
conscients de ces actions, cet aspect est très présent dans la sociologie de Pierre Bourdieu et est fournit avec
la notion d’Habitus, marqué par la non conscience de l’incorporation. Cette non-conscience possède une
véritable dimension corporelle, on incorpore des manières d’être par le corps ; notamment des manières
d’être un garçon ou une fille (cf. cours sociologie du genre).
3. Les rôles sociaux et la socialisation
La notion de rôle a souvent été utilisée dans des études microsociologiques. Ainsi Erving Goffman a utilisé
cette notion en montrant que le rôle est d’une certaine manière un système de contraintes auxquelles sont
censés se conformer les individus qui se trouvent placés, appartenir ou occupés certaines positions sociales.
Le rôle fournit un modèle pour agir dans une situation donnée. Dans la dramaturgie comme dans la vie, les
instructions attachées aux rôles sont plus ou moins strictement définies. Nous apprenons assez rapidement à
nous tenir, à parler, à avoir les attitudes conformes à nos rôles (à tous les âges de la vie).
L’idée c’est que chaque individu occupe plusieurs positions (divers statuts) définies par un code de
comportement répondant aux attentes des positions complémentaires, c’est à dire un ensemble de rôles.
Ainsi, un prof doit répondre aux attentes parfois contradictoires des élèves, des parents, des collègues, des
autorités académiques. L’ensemble des positions occupées par un individu dans des sphères différentes
(famille, réseau amical, profession, club de sport…) lui confère des rôles multiples.
Pour la plupart d’entre nous, nous supportons plutôt bien la société. Le plus souvent, nous désirons nous
même ce que la société attend de nous, nous obéissons aux règles, bref nous sommes le plus souvent
conforme à nos différents rôles.
Avant la vie professionnelle, nous endossons différents rôles, l’institution scolaire attend des élèves un
certain comportement, qui peut varier… Elle n’aura pas les mêmes tolérances selon qu’il s’agit d’une fille
ou d’un garçon. Etre parent, bien plus tard grand-parent implique aussi certaines façons d’être.
Les rôles professionnels relèvent souvent d’une forme de présentation de soi, de formes de mise en scène
parfois extrêmement travaillées et sophistiquées (exemple : ce qu’on exige des candidats à l’embauche
autour de la présentation de soi…). Tout rôle a sa discipline intrinsèque, c’est ce que les moines catholiques
appelaient « formation ». Le rôle forme, façonne, modèle l’action et l’individu, il est souvent très difficile de
faire semblant, en règle générale, on devient ce dont on joue le rôle. En sociologie des professions, on décrit
souvent ces processus d’apprentissage en terme de socialisation professionnelle.
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Tenir un rôle, s’y conformer implique une certaine identité. Une identité n’est pas seulement ce que l’on est
(l’identité pour soi) mais ce que l’on est pour les autres (l’identité pour autrui) > Goffman
L’identité est conférée, confortée et transformée par des processus sociaux. L’identité n’est pas donnée
d’elle-même, pour Mead elle se construit d’abord dans l’enfance à partir des relations avec ce qu’il appelle
l’autrui significatif (essentiellement les parents qui transmettent un ensemble affectif et langagier), le
nombre des autruis significatifs se densifient au cours de l’existence et permet d’accéder au monde social
plus complexe, à la possibilité d’accéder à ce que Mead nomme alors l’autrui généralisé.
Le rôle s’accompagne parfois d’une forme de distance au rôle. En particulier lorsqu’on est dépouillé de ses
rôles antérieurs, nous sommes capables d’observer une certaine forme de distance au rôle. C’est le cas des
institutions totales étudiées par Goffman (dans Asiles).
Dans les institutions totales (la prison en particulier, mais aussi l’hôpital psychiatrique), les individus qui y
entrent perdent leurs statuts antérieurs, ils sont dépouillés de leur identité. Ils deviennent avant toute chose
ce qu’ils sont du point de vue de l’institution, c’est à dire un malade pour l’ensemble des personnels
soignants, un détenu pour l’ensemble des personnels de surveillance. Cela passe par un certains nombres de
rituels (de dépersonnalisation, de mortification, ex n° d’écrou, dossier médical), de procédures parfois
anodines, de comportements de la part de ceux qui vont avoir à prendre soin ou surveiller ces individus
placés dans ces institutions (c’est aussi le cas dans les maisons de retraite).
L’idée de succession des rôles indique que les processus d’apprentissage, d’incorporation relatifs à la
socialisation des individus sont dynamiques et s'inscrivent à l'échelle de la vie entière. De la naissance à la
mort, les individus sont amenés à vivre dans des groupes sociaux différents au sein d'instances de
socialisation diverses (la famille, l'école, les différents lieux de travail, de loisirs etc.). En ce sens il n'y a pas
une socialisation mais des socialisations successives qui passent par différents canaux.
Peter Berger et Thomas Luckman sont les auteurs qui ont conceptualisé cette idée avec la distinction opérée
entre socialisation primaire et socialisation secondaire. La première se définit avant tout par l'immersion
des individus dans le monde vécu qui est au départ le seul univers existant et possible, les enfants vivent
dans ce monde à partir d'un savoir de base, il y a appréhension immédiate du monde dans lequel ils sont
« pris en charge », ils incorporent des savoirs de base par l'apprentissage du langage qui constituent le
processus fondamental de la socialisation primaire. Celle-ci est très importante pour la suite et viendra
influer la socialisation secondaire. La socialisation secondaire est définie comme une « intériorisation de
sous-mondes institutionnels spécialisés et acquisition de savoirs spécifiques et de rôles directement ou
indirectement enracinés dans la division du travail », c'est à dire essentiellement des savoirs professionnels.
4. Théorie de la socialisation continue
Récemment, Muriel Darmon, dans un petit livre intitulé « La socialisation » (édition Armand Colin) propose
une grille de lecture qui approfondit la conceptualisation de cette notion et tente de dépasser le découpage
entre socialisation primaire et secondaire en proposant la notion de socialisation continue. L’auteure
construit une grille d’analyse qui précise que les instances d’une socialisation continue ne se limitent pas aux
institutions classiques (l’école, le milieu professionnel etc.), mais on doit inclure également la socialisation
conjugale (faire couple est devenu très important dans l’existence des individus, la norme conjugale n’a
jamais été aussi puissante). Par ailleurs, les événements historiques (collectifs) peuvent aussi être inclus dans
l’analyse des socialisations continues des individus : par exemple la guerre d’Algérie a été un moteur
essentiel pour toute une génération de militants avant 1968 ; la participation ou l’opposition à des
mouvements sociaux tels que le CPE a déjà contribué à façonner des regards et des implications politiques
différentes selon les individus.
Les événements historiques mais également les événements individuels. Introduire l’idée que l’événement
puisse être considéré comme une instance de socialisation est novateur puisque dans les conceptions
classiques des théories de la socialisation dans lesquelles l’origine sociale est puissante, et éventuellement
corrigible par le parcours scolaire (comme chez Bourdieu, où on peut trouver des « miraculés » du système
scolaire), le statut donné aux événements est lu comme une butée face aux instances de socialisation
communes, précisément parce qu’il est ponctuel, imprévisible, inédit ; or on peut englober les événements
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dans une sociologie de la socialisation continue si on analyse les conditions qui font que cet événement est
considéré et reçu par un individu, une génération ou un groupe, cela dépend beaucoup des « entrepreneurs
de réputation » et des « agents d’exemplarité » (journalistes, médias, enseignants ; leaders syndicaux). Les
effets de ce travail de traitement des événements ne sont pas uniformes, ils doivent donc être articulés aux
biographies individuelles et collectives, donc l’événement doit être situé dans les groupes réels d’âge ou
d’appartenance sociale. Les événements individuels sont susceptibles de produire des effets identitaires tout
au long de la vie : l’incident biographique tel que la perte d’un proche, d’un parent ou de son emploi peuvent
être à l’origine de crise biographique qui agisse sur la socialisation des individus. Les théories de la
socialisation butaient sur la prise en compte de l’échelle individuelle or la volonté individuelle est aussi une
dimension qui peut être intégrée à une analyse des socialisations continues : l’effort, le travail sur soi,
l’investissement dans un but sont des moteurs individuels qui trouvent parfois leur source dans des crises
biographiques ou des rencontres entre des individus et des organisations qui fondent des désirs particuliers
de transformations de soi.
Modalités et mécanismes de socialisations
Ces instances (classiques/événement/travail sur soi) opèrent sur les individus selon des modalités et des
mécanismes divers notamment selon le degré de conscience et de contrainte qui s’applique : a priori les
socialisations professionnelles sont souvent plus réflexives que les socialisations éducatives. La socialisation
conjugale en revanche est souvent un peu moins consciente (incorporation des rôles domestiques, ex : dans
toutes les enquêtes mondiales sur le partage du travail domestique, de plus en plus de couples déclarent
pratiquer l’égalité dans le travail domestique mais l’étude des temps et des actions montrent que se sont les
femmes qui continuent d’en faire plus : les hommes pensent qu’ils en font la moitié or ils en font plus
souvent 1 tiers et inversement : illusion du partage équitable).
Les effets des instances de socialisation, articulés à leurs modalités et mécanismes de transmission
s’emboîtent enfin différemment au niveau temporel (p. 108-113). Une optique en terme de socialisation
continue considère que les socialisations sont emboîtées les unes aux autres, donc qu’elles ne font pas que se
succéder comme l’indique a priori le découpage entre socialisation primaire et socialisation secondaire.
Dans le cas du rapport au corps, on conclue souvent que se sont les socialisations enfantines, jeunes qui
pèsent le plus ; en revanche le rapport au politique est plus souvent déterminé par les socialisations
postérieurs et on constate souvent des conversions d’idées de droite à gauche ou inversement selon
l’expérience des individus et leurs passages dans le sphères professionnelles et conjugales.
Tous ces éléments produisent des socialisations continues qui sont modélisables en trois types :
- les socialisations de renforcement,
Une opération donnée de socialisation (comme la reproduction du niveau scolaire / ex : fille d’instituteur
devenant professeur dans l’enseignement supérieur) peut être un processus puissant de modelage de
l’individu sans être transformatrice, on parlera de socialisation de renforcement dans tout ces cas où les
processus ont des effets « fixateurs »
- les socialisations de conversion
A l’extrême des socialisations de renforcement, les processus dit de conversion, c'est-à-dire de
transformation radicale et totale, sur le modèle de la conversion religieuse (ex : un fils d’industriel chef
d’entreprise devenant militant syndical et politique après un passage à l’université)
- les socialisations de transformation
Beaucoup de socialisations ne convertissent pas les individus au sens d’une transformation radicale mais ne
confirment pas non plus les socialisations antérieures. Le socialisations de transformation correspondent au
processus qui impliquent une transformation de l’individu sur un plan ou un autre, mais il s’agit d’une
transformation limitée (ex : chez Lahire, les professeurs du secondaire issus de milieux populaires ont connu
une mobilité sociale importante mais conservent des habitudes culturelles et sportives proches de leur milieu
de départ : football, musique populaire)
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