COMMENTAIRE DES DOUZE LIVRES DES METAPHYSIQUES
D'ARISTOTE
1193- Sachons donc que les propos d'Avicenne doivent s'entendre en supposant
qu'aucun empêchement ne s'oppose à la cause. Il est, en effet, nécessaire qu'une
fois l'agent présent, l'effet se produise,
sauf
lorsque s'interpose, de temps à
autres, un obstacle occasionnel.
C'est
pourquoi
le
Philosophe écrit qu'il n'est pas
obligatoire que la génération ou la corruption se produisent après que leurs
causes soient apparues.
1194- Mais, si ce que nous disons n'était pas vrai, toutes choses se produiraient
alors nécessairement. À condition d'adjoindre à la proposition : "une fois la cause
présente,
il
est obligatoire que l'effet advienne", cette autre: "de tout ce qui advient
ou disparaît, existe nécessairement une cause par soi et non par accident". Avec ces
deux prémisses, nous concluons, en effet, que toutes choses se produisent avec
nécessité. Ce qui se démontre comme suit.
1195- Quand on s'interroge sur la certitude ou non d'un événement futur, on conclut
de ce qui vient d'être dit, qu'une de ces éventualités est inéluctable, car
si
tout ce qui
arrive possède une cause productrice par soi, à chaque fois que celle-ci se présente,
le
changement s'enclenche immanquablement. L'événement sur la possibilité duquel
on s'interroge, se déroule donc lorsque sa cause existe, et
ne
commence pas tant
qu'elle n'existe pas. Et l'on doit tenir
le
même discours sur
la
cause: on l'observera
chaque fois qu'autre chose, qui est sa propre cause, se présente dans
le
futur.
1196- Or, on constate qu'un temps futur, fut-il de cent ans ou de mille ans, est
toujours limité, car
il
commence à l'instant-même et s'achève
au
tenne fixé. Or, la
génération de la cause précède chronologiquement celle de l'effet, et en remontant
de celui-ci à celle-là, on raccourcit
le
temps futur, et l'on s'approche davantage du
présent. Car on épuise une quantité finie en lui ôtant régulièrement une portion. En
remontant donc de l'effet à la cause, puis de cause en cause, on consomme tout le
temps futur imparti, et l'on aboutit à l'instant présent.
1197- Un exemple rendra cela évident. Si, à
la
vérité, tout effet possède une cause
par soi à laquelle
il
ne manque pas de faire suite, tel quidam, alors, devra
obligatoirement mourir soit de maladie, soit de mort violente, au sortir de sa
maison. Le franchissement du seuil sera donc responsable de son décès, par
violence, s'il se retrouve face à face avec des brigands qui
le
tuent, ou bien à la
suite d'une maladie, s'il subit une averse qui lui provoque une fièvre mortelle.
Mais nécessairement,
il
faudra, s'il a soif, qu'il sorte pour puiser de l'eau, et de
même, devra se produire un autre changement pour expliquer sa
soif;
et en
remontant ainsi de proche en proche, on aboutira à
un
fait « actuel
»,
autrement dit,
-24-
LES MODES DE DETERMINATION DE
L'ETRE
à
un
événement présent, ou même à
un
fait « déjà réalisé » dans
le
passé ; nous
dirions, par exemple, que sa soif a été provoquée par
un
met épicé ou une sauce, or,
le
fait qu'il consomme ou non ce plat est affaire du temps présent, duquel
découlera nécessairement«
le
futur en question», à savoir, s'il mourra ou non.
1198-
Toute conditionnelle vraie est nécessaire. Aussi, lorsque l'antécédent est
effectif,
le
conséquent doit-il obligatoirement l'être.
Il
est, par exemple, exact que
si
Socrate court, c'est qu'il
se
meut. Or,
il
court; donc,
il
se
mouvra durant
le
temps
qu'il courra. Car
si
n'importe quel effet possède une cause par soi, à laquelle
il
fait
immanquablement suite, alors, une conditionnelle dont l'antécédent est
la
cause et
le
conséquent l'effet, devra être vraie. Certes,
il
existe parfois, entre
la
cause
actuellement présente et son effet futur, de nombreux intennédiaires dont chacun sera
le
résultat
du
précédent et
le
déclencheur du suivant; néanmoins,
la
conditionnelle
dont l'antécédent est présent et
le
conséquent futur, sera vraie de
la
première à
la
dernière étape. Comme par exemple, cette proposition:« s'il prend de
la
sauce,
il
se
fera tuer», car l'antécédent est tiré
du
temps présent, et
le
meurtre sera donc
nécessaire, comme
le
seront tous
les
autres mouvements futurs, au fur et à mesure de
l'actualité des causes prochaines et lointaines.
1199- Cette même raison s'impose lorsqu'on remonte des effets aux causes; on
aboutit « aux faits historiques
»,
autrement dit aux événements du passé,
en
réduisant les résultats futurs dans une cause non plus actuelle, mais révolue, car
être dans
le
passé, c'est être encore selon
un
certain mode.
En
mode révolu et
passé, voulons-nous dire. Bien que
la
vie de César ne soit plus d'actualité, elle est
véritablement
un
être du passé, car César a vraiment vécu. Nous pouvons donc
énoncer la vérité de l'antécédent d'une conditionnelle, où se situe la cause révolue,
et où
le
conséquent sera
la
cause future. Comme tous les effets futurs doivent se
rattacher à une cause présente ou passée,
il
en résulte que tous les futurs se
produiront avec nécessité, de la manière dont on dit que
le
vivant doive
inévitablement mourir un jour, car c'est la suite obligée de ce qui fut naguère
réalisé :
un
mélange biologique de deux contraires. Cette conditionnelle, en effet,
est vraie :
si
un
corps est composé de contraires,
il
se décomposera.
1200- Mais il est inconcevable que tous les futurs se produisent avec nécessité. Par
conséquent, les deux propositions d'où découlait cette conclusion - à savoir:
"n'importe quel effet possède une cause par soi" et "la cause étant présente, l'effet
doit suivre nécessairement"- sont impossibles, car sinon s'ensuivrait ce qu'on a
dit :
la
cause de n'importe quel événement futur est déjà présente, comme pour
la
-
25-