Anthropologie de la politisation du handicap

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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
Université de Provence Aix-Marseille 1
Département d’Anthropologie
MASTER PROFESSIONNEL
« Anthropologie & Métiers du Développement durable »
ETH.R11
Mémoire de recherche bibliographique
Handicap et politiques internationales
Anthropologie de la politisation du handicap
Margot Goudon
Sous la direction de
Marc Eric Gruénais
Juin 2008
1
GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
2007 -2008
« les opinions exprimées dans ce mémoire sont celles de l’auteur et ne sauraient en
aucun cas engager l’Université de Provence, ni le directeur de mémoire ».
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
Introduction .......................................................................................................................... 4
1) Handicap et exclusion : les modèles explicatifs ................................................................ 9
1.1 Les processus de normalisation excluant. .....................................................................................9
1.1.1 De l’exclusion à la normalisation ...............................................................................................................9
1.1.2 De la normalisation à la différenciation ...................................................................................................17
1.2
Modèle individuel et modèle social dans la recherche sur le handicap...............................20
1.2.1
Les modèles individuels ........................................................................................................................21
1.2.2 Les modèles sociaux..................................................................................................................................25
1.3 Des modèles discursifs : théorie et pratique................................................................................28
1.3.1 Discours et pratique : entre le modèle et l’action ....................................................................................28
1.3.2 Du discours théorique à la loi ...................................................................................................................30
1.3.3 De la recherche sur le handicap vers une science sociale ? ....................................................................34
2) Handicap et insertion : l’état des réponses sur le terrain................................................ 38
2.1. Enable : les Nations unies et le handicap ...................................................................................39
2.1.1 La notion d’incapacité ...............................................................................................................................40
2.1.2 Vulnérabilités et capabilités ......................................................................................................................44
2.1.3 Handicap et développement ......................................................................................................................47
2.2 Handicap et contextes locaux ........................................................................................................50
2.2.1 Diversité culturelle et mondialisation.......................................................................................................50
2.2.2 Contexte et politiques de santé en Afrique : l’exemple du Burkina Faso ..............................................52
2.3. Représentations culturelles et handicap .....................................................................................56
2.3.1 Le stigmate et la question de l’exclusion au Burkina Faso.....................................................................56
2.3.2 Représentations et handicap au Burkina Faso .........................................................................................59
2.3.3 Représentations du corps et de la maladie ...............................................................................................62
3) La recherche sur le handicap : déconstruction et délocalisation .................................... 65
3.1 diversité culturelle dans le domaine du handicap et des maladies ..........................................66
3.2 Du corps en déplacement ...............................................................................................................70
3.3 Le rôle d’une analyse anthropologique .......................................................................................74
3.3.1 Militantisme et recherche : The rewiew of disability Studies : An International Journal ....................74
3.3.2 Anthropologie, développement : déconstruire et comprendre................................................................75
Conclusion générale ........................................................................................................... 78
BIBLIOGRAPHIE ..............................................................................................................................................79
TABLE DES MATIERES..................................................................................................................................84
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
Introduction
L’objet de la recherche et le vécu des autres
Nous allons travailler sur deux objets : le handicap et les politiques internationales le
concernant. Nous, nous appuyons sur des analyses qui ont été faites en Afrique et en
particulier au Burkina Faso. « Je ne suis ni africaine, ni handicapée » alors comment se place
le chercheur par rapport à une recherche qui est dans cette double négation : « je suis
doublement différente de mon objet ». C’est précisément cette double différence que nous
allons interroger.
À propos du handicap, nous allons aborder un courant de recherche, celui des
disability studies et nous verrons qu’il est également un mouvement revendicatif autour de
« la recherche émancipatoire » qui formalise une analyse de leur propre expérience par euxmêmes. Cependant « Cette expression désigne une recherche qui n'est pas nécessairement
réalisée par des personnes invalidées, mais qui est contrôlée par elles et surtout, qui est
orientée et intégrée à leur action politique. La recherche doit avoir pour objectif d'émanciper
les personnes invalidées, c'est-à-dire leur donner la possibilité de contrôler leur existence; une
recherche n'est jamais purement théorique, mais politique et pratique : elle doit transformer
positivement la situation des personnes engagées dans la recherche »1. Dés à présent la
dimension profondément politique de l’objet de ce mémoire est soulignée. Cet aspect
implique également de se positionner dans le sens où l’acteur est le meilleur spécialiste de sa
vie, de son anthropologie : il est au centre de la recherche, il est acteur de la recherche.
Je présenterai ici deux expériences qui marquent mon intérêt pour le handicap. Durant
cinq années, j’ai travaillé dans un foyer résidence pour personnes handicapée et cette question
ne cessait de se poser à moi : serais-je actrice du processus d’invalidation ou participerai-je à
un processus d’autonomisation ? Une seconde expérience très personnelle me confronte à une
certaine expérience du handicap. L’expérience de surdimutité par le rêve : le rêve de silence.
N’avez-vous jamais rêvé de l’immobilité ? De l’incapacité de faire produire à votre corps un
mouvement de bras, de jambe ou même d’inspiration d’oxygène par les poumons parce que
noyé dans un rêve, noyé en rêve. N’avez-vous jamais eu cette sensation que jamais vous ne
1 STONE E. et PRIESTLEY M. 1996, « Parasites, pawns and partners : disability research and the role of nondisabled researchers. » British Journal of Sociology 47(4) : 669-716. BARTON L. et OLIVER M. (Eds), 1997,
Disability Studies : Past, Present and Future, Leeds, The Disability Press. Cités par WINANCE M. 2001, Thèse
et prothèse. Le processus d’habilitation comme fabrication de la personne, Ecole des Mines de Paris : 499p.
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serez comme eux ? Le rêve est une occasion d’exprimer des sentiments de différence, d’écart,
de solitude, de souffrance. L’interprétation, la sur interprétation peut amener à penser que
l’expérience de la différence est commune à beaucoup, car même si elle ne se traduit pas par
une expression consciente des sentiments (par la parole ou dans les gestes), elle s’exprime
dans le contenu, le récit des rêves où surgissent l’inconscient et les souffrances internes. Ce
qui nous intéresse c’est plus une approche du rêve comme expérience vécue : j’ai rêvé que je
ne bougeais plus, j’ai rêvé que j’étais muette (sensation de ne pouvoir sortir aucun son, j’ai
rêvé que j’étais sourde : à regarder sans entendre, à entendre sans voir, à vouloir m’enfuir sans
pouvoir, à tomber sans vouloir.)
À propos de l’Afrique et du Burkina Faso, je me dois également de justifier l’intérêt
que je leur porte dans le présent mémoire. Encore une fois c’est en raison de mon parcours
que j’ai choisi de me pencher sur ce continent. J’y ai vécu durant quinze années, j’y ai grandi
et j’y ai été « éduquée ». De plus j’ai réalisé un stage de six mois en 2007 au Burkina Faso,
dans le cadre de deux projets de l’organisation Handicap International dans ce pays.
La construction de l’objet : dépasser le sens commun
A propos des mots de la « langue usuelle » et en particulier du suicide, E.Durkheim
introduisait son étude en écrivant « non seulement la compréhension en est si peu circonscrite
qu’elle varie d’un cas à l’autre selon les besoins du discours, mais encore, comme la
classification dont ils sont le produit ne procède pas d’une analyse méthodique mais ne fait
que traduire les impressions confuses de la foule2 », et d’ajouter plus loin que l’explication
d’une « chose » telle que le suicide ne peut être investiguée scientifiquement qu’en
comparant, en classant les suicides d’après leurs « propriétés essentielles ». Il est remarquable
que l’introduction de l’ouvrage évoque le sens commun comme point de départ d’une étude
qui finalement n’analyse que peu ses dimensions. La dimension subjective, le mobile et la fin
poursuivie par l’acte de mise à mort volontaire ne sont pas considérés par l’auteur comme une
« propriété essentielle » car elle ne permet pas de distinguer, de classer les suicides selon des
catégories pertinentes3. L’approche sociologique du suicide que propose l’auteur cherche à
dépasser les conceptions « vulgaires » mais aussi le fondement subjectif de l’acte lui-même
dans la mesure où le propos de l’acteur concerné par le suicide ne peut pas être recueilli.
Durkheim peut expliquer son objet d’étude à partir d’une analyse fine de tous les cas de
suicide existant (qu’il recense dans les écrits de chercheurs en science, et en particulier de
2
3
DURKHEIM E. 1995 (1930), Le suicide, Quadrige, coll PUF, Paris.
DURKHEIM, opp cit, pp 32-33.
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psychiatres) en partant d’une définition de base : celle d’un acte produit volontairement pour
se donner la mort. La recherche concernant le « handicap » se situe dans une approche
opposée à celle du « suicide » car nous verrons que l’expression même du terme, handicap
pose problème autant dans la langue usuelle que dans celle des spécialistes de cette question.
Les études sur le handicap sont de plusieurs ordres et traduisent des réalités très diverses, nous
allons donc tenter d’en montrer la cohérence d’ensemble pour situer l’objet de ce mémoire et
répondre aux questionnements de départ. Le handicap est-il un fait social au sens de
Durkheim ? Est ce qu’on peut l’étudier dans sa totalité, est-il totalement et empiriquement
observable ? Où Commence le handicap, où s’arrête-t-il ? Si notre propos commence par la
définition du « handicap » ce n’est pas pour l’expliquer dans sa totalité mais, au contraire
pour définir les contours d’une approche compréhensive et empirique4 et le handicap ne peutêtre construit que dans son rapport à une réalité vécue et empiriquement observable. Ce qui
différencie les approches modernes en anthropologie de celles de nos classiques c’est la
dimension discursive de l’ethnographie qui justifie ses attentions à l’égard des « contextes de
négociation des savoirs et prête à les restituer dans le texte »5 et les réalités traduites dans les
textes sont plus l’objet de ces négociations qu’un traitement des faits « comme des choses ».
Notre tentative de « définition discursive » du handicap est une démarche d’objectivation par
le discours sans pour autant procéder à une capitalisation de tous les travaux effectués sur
cette même problématique. Mais comment s’y prend-on si l’objet représente des réalités si
diverses que le handicap ? Comment distingue-t-on les spécialistes des non spécialistes de la
question du handicap ?
Pour une construction discursive de l’objet « handicap »
Pour faire une étude anthropologique du handicap en tenant compte de ce qui se fait
actuellement dans ce domaine, il faudrait qu’il soit empiriquement observable et donc on se
pose la question de savoir ce qui est observable. A ce moment-là, on peut se pencher sur les
définitions d’une « population », d’un groupe de personne ou même des attributs des
personnes handicapées. Si on se demande ce qu’est un handicap, c’est surtout pour savoir qui
est considéré comme handicapé. Nous ne voulons pas définir ce terme car il faut lui laisser la
liberté de pouvoir se développer, se définir en relation avec d’autres notions, nous ne voulons
pas l’enfermer dans une définition. Quelle est la part du handicap qui relève du domaine
4
Et « C’est la fiction de la totalité qui garanti la réalité des faits rapportés car on n’observe jamais en entier une
société (…) le texte ethnographique dans sa dimension sémiotique doit être considéré dans sa capacité même de
représenter le réel » KILANI M. 1990, « Les anthropologues et leurs savoirs : du terrain au texte », in le discours
anthropologique, Edité par BOREL J-M. Adam, CALMANE C. et KILANI M. Méridiens Klincksiek, Paris.
5
KILANI.M, opp.cit, 1990.
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social et celle qui relève du domaine médical ? Qu’est ce que le médical dans le handicap,
qu’est ce que le social dans le handicap ?
Doit-on l’aborder comme une maladie ou un stigmate ? Nous n’avons pas défini le handicap
car le fait que ce terme et ce qu’il désigne soit l’objet de débat est intéressant en lui-même. Il
serait dommage de retirer de notre propos toutes les réflexions qui se chevauchent et se
contredisent. Si par moments nous allons affirmer certaines choses qui sont encore largement
interrogeables et discutables, c’est bien pour introduire une dimension discursive dans le
texte, c’est pour « faire réagir » sur des propos parfois injustifiés. Nous ne pourrons pas
amener toutes nos réflexions par des questions dociles qui s’emboîteraient parfaitement.
Le dernier aspect que nous devons justifier à présent est celui d’avoir choisi de traiter
la question du handicap en général et non d’un handicap en particulier. Il ne nous a pas
semblé pertinent de présenter un handicap en particulier étant donné que ce terme est
profondément lié à une histoire politique et sociologique. Dans le premier chapitre, nous
pouvons justifier en détail l’intérêt que nous portions sur le handicap en général et non sur un
handicap en particulier. Cette étude ne peut s’inscrire que dans une perspective internationale,
nous verrons que le modèle des Nations unies (l’OMS est en charge des classifications
internationales des handicaps) se calque sur celui de la réadaptation lui-même apparu au
moment de l’utilisation du terme handicap pour désigner au départ toute personne ayant une
altération dans l’action. Par moments, nous allons évoquer en particulier les infirmités
motrices ou encore les maladies mentales, mais dans chaque cas, ces appellations seront
interrogées dans une perspective comparative.
La première partie de ce mémoire est consacrée à l’analyse théorique du contexte
socio-historique qui fonde la notion de handicap. Nous verrons de quelle manière la question
du handicap est profondément liée à la recherche en sociologie de l’exclusion qui forme notre
corpus bibliographique dans tout le premier chapitre. Nous interrogerons la norme pour
comprendre les mécanismes qui expliquent les liens entre le thème du handicap et celui de
l’exclusion. Je présenterai les modèles qui expliquent l’exclusion par le handicap et d’autre
part les modèles qui expliquent le handicap par l’exclusion. Le point de départ de l'analyse
part de l'idée qu'il existe des normes extérieures à l'individu, par rapport auxquelles l'individu
est évalué. Il s’agit de la théorie du stigmate. Ensuite nous abordons les moments
d’incertitude de la norme et nous illustrerons notre propos par un exemple sur la norme de
validité. Enfin nous abordons la question du handicap par rapport à une histoire juridique en
France pour voir aussi quelles sont les propositions dans le domaine du droit international.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
Cette réflexion nous conduit à nous demander ce que signifie l’inverse de l’exclusion. Et c’est
dans le second chapitre que nous verrons les mises en application de normes internationales
qui traitent la question du handicap dans une volonté d’inclusion, d’intégration. Nous allons
interroger les manières de problématiser la question du handicap à l’échelle internationale
pour comprendre ce qui se joue par rapport au débat que nous aurons détaillé dans le premier
chapitre. J’analyserai la manière dont les Nations unies présentent la problématique du
handicap à l’échelle internationale puis à l’échelle locale. Quels sont les termes choisis pour
aborder le handicap à l’échelle internationale ? Nous interrogeons la notion de stigmate en
Afrique ainsi que le processus d’exclusion tels que nous les avons développés jusque-là.
Nous verrons en quoi cette approche est universelle et ne l’est pas. C’est à propos de
l’Afrique que je développe la notion de représentation pour mieux comprendre les
conceptions locales et leur prise en compte dans les politiques de développement en
particulier celles qui visent l’aide aux personnes handicapées.
Dans un troisième chapitre, nous justifions l’intérêt d’une recherche sur le handicap en
Afrique. Cette démarche nous permet de répondre à la question de la médicalisation du
handicap qui sous-tend les deux premiers chapitres. Nous allons de l’intérieur, par une
approche anthropologique du corps, de la souffrance et de la maladie ; vers l’extérieur par une
approche de l’espace des corps en action, de leurs interactions pour tenter de définir une
recherche des « lieux de l’autonomie ». Enfin nous interrogeons à nouveau le rôle de
l’anthropologue et de l’anthropologie par rapport à un objet politique : celui du handicap.
Nous allons voir dans quelle mesure cette recherche se veut engagée tout en gardant le souci
de rester dégagée pour éviter certains écueils.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
1) Handicap et exclusion : les modèles explicatifs
1.1 Les processus de normalisation excluant.
Dans son analyse de l’exclusion, J-C Abric6 aborde l’exclusion comme un processus. Ici nous
verrons comment certains auteurs traitent de l’exclusion et montrent que les démarches vers la
normalité sont en fait des manières d’exclure à nouveau. Certains parleront de
l’institutionnalisation comme fabrique de l’exclusion7, d’autres trouvent l’explication des
phénomènes dans une interprétation historique du processus de normalisation. Dans un
premier temps, nous avons choisi de présenter l’exclusion comme un processus qui entraîne
un processus de normalisation. Dans ce cas, la norme est un indicateur de sens, « une
direction » que les personnes exclues peuvent suivre pour être normalisés. Ensuite, il s’agira
de montrer que cette logique n’est pas toujours présente dans les analyses. En effet nous
verrons que la différenciation est un moment qui remet en question la norme et parfois le
moment de construction de nouvelles normes.
1.1.1 De l’exclusion à la normalisation
La littérature sur l’exclusion abonde en sociologie et ce concept a fait l’objet de nombreuses
analyses. Choisir une définition de l’exclusion nous mènerait à réduire notre réflexion dans la
mesure où « l’état des savoirs sur cette question est l’état des réponses sur le terrain »8. Cette
notion est une construction, « le produit d’un système social donné. Elle ne peut s’expliquer
simplement par les caractéristiques des exclus. Elle est le fruit d’une histoire et de
l’interaction d’un grand nombre de facteurs : le déviant présumé, les réactions du groupe, les
institutions sociales concernées »9. L’exclusion s’inscrit donc dans un contexte sociohistorique et « ce qui est nouveau, c’est l’existence politique de ce terme. Sinon il est inscrit
dans nos mémoires collectives. »10 Rouquette ajoute que depuis moins d’un siècle, la liste des
exclus n’a fait que s’allonger. Il interprète ce phénomène comme étant une banalisation (plus
il y a de catégorie d’exclus, moins l’ exclusion est un objet qu’on pourrait corriger) et un
aveuglement (où toute catégorie d’exclus se ressemble, la spécificité de chacun est gommée et
6
ABRIC J-C. 1996, Exclusion sociale, insertion et prévention, sous la direction de Jean-Claude ABRIC,
Editions Erès, Saint-Agne.
7
ROUQUETTE M-L. 1996, « Avant propos et leçon de lecture », in L’exclusion : fabriques et moteurs, sous la
dierction de ROUQUETTE. M-L. PU Perpignan.
8
ROUQUETTE M-L. L’exclusion : Fabriques et moteurs, Op. Cit.
9
ABRIC J-C. « De l’importance des représentations sociales dans les problèmes de l’exclusion sociale », in
Exclusion sociale, insertion et prévention, Op. Cit.
10
ROUQUETTE M-L. L’exclusion : Fabriques…, Op. Cit.
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cela permet de « distraire le regard de ce qui est bien présent, mais qu’on ne doit pas voir en
le fondant au milieu du reste »). La même réflexion est lisible dans le propos de Castel « Dire
de quelqu’un qu’il est exclus ne dit pas grand-chose de sa situation (…) Exclusion est un motvalise qui couvre des réalités complètement disparates»11.
Dans un premier temps nous allons analyser l’exclusion à travers les processus de
normalisation et les théorie qui décrivent ce processus. Ensuite nous analyserons ce que
représente la normalité à propos du handicap.
Stigmate et handicap : normalisation et société
L’analyse de Goffman part de la distinction entre le normal et le stigmatisé et la méthode qu’il
emploie est fondée sur l’observation des interactions quotidiennes entre les individus, il
examine « comment les non-spécialistes traitent du stigmate »12. Le stigmate est la « situation
de l’individu que quelque chose disqualifie et empêche d’être pleinement accepté par la
société. » Nous voyons déjà que sa définition du stigmate repose sur l’idée d’acceptation par
la société ; la norme serait définie de l’extérieure et l’individu stigmatisé en subirait les effets.
Mais le stigmatisé ne subit pas cette situation de manière passive, il élabore des stratégies
« d’alignement sur le groupe ». L’effort qu’accomplit le stigmatisé pour ressembler à un
« normal » est analysé par Goffman comme une réaction de normification, la normalisation
est pour lui l’effort des « normaux » pour traiter le stigmatisé comme si lui ne l’était pas.
Dans le présent chapitre, nous entendrons par processus de normalisation ces deux postures
(qu’elle provienne d’une volonté extérieure ou de celle du stigmatisé).
La normification est décrite par Goffman comme un monde de faux-semblants, si le stigmate
est visible, l’individu est discrédité et il tentera de manier le stigmate de sorte qu’il perturbe le
moins possible l’interaction. Si le stigmate est invisible, l’individu est discréditable alors il
tentera de le dissimuler. Mais pour Goffman, le processus de normalisation n’a pas de fin, si
l’individu arrive à dissimuler son stigmate, à faire semblant d’être normal, il devra à d’autres
moments au contraire, le révéler. Le stigmatisé doit donc savoir adopter les deux positions, à
la fois il doit faire comme s’il était normal, mais il doit également reconnaître et faire
reconnaître qu’il ne l’est pas.
Sticker13 prolonge le raisonnement de Goffman et analyse l’évolution historique des normes
et l’évolution corrélative des représentations et des manières de traiter l’infirmité. Pour lui, la
11
CASTEL R. 1999, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard.
GOFFMAN E. 1975, Stigmate, les usages sociaux des handicaps, editions de minuit, coll le sens commun,
Paris.
13
STICKER H-J. 1982, Corps infirmes et sociétés, Paris, Aubier Montaigne.
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différence peut se créer de toutes pièces sans qu’il y ait forcément un processus de
stigmatisation. Il présente l’infirmité comme un garant de la survie des sociétés, les
différences sont créatrices d’identité, c’est par la différence qu’on peut à la fois s’identifier,
identifier des groupes et édicter des normes. Il suit ce que dit Freud à propos de l’inquiétante
étrangeté où par exemple à la vue d’un cadavre, on est comme face à un « familier refoulé ».
À propos de l’infirmité, la familiarité se trouve dans le fait que les valides peuvent tous
devenir infirmes, ils représentent une menace potentielle inscrite en nous-même. Ils sont
semblables, mais les personnes valides ont du mal à le reconnaître. Selon Sticker, l’infirmité
est notre altérité, elle est en nous, elle est tenue à distance sans pour autant la faire disparaître.
Ainsi « faire disparaître les déficiences reviendrait à détruire ceux qui feraient ce geste (…)
Nous avons besoin d’elle, comme de ceux qui la portent, pour nous consoler d’être
vulnérables et mortels (…) Quand nous avons envie de les supprimer ou que nous les
étouffons, ou les normalisons par diverses manipulations, c’est parce qu’ils nous disent : ‘tu
es mortel, nous sommes l’image devancée de cette conclusion finale’. Mais quand nous les
gardons comme notre ombre, ils nous disent : toi au moins tu ne vas peut-être pas mourir. (…)
Tuer le double c’est se suicider. Donc garder les personnes handicapées est aussi un gage de
survie. Mais on ne peut avoir son double toujours et partout avec soi. » Ici, une réalité sociale
couvre l’ensemble de la société, et l’on se demande si dans la même approche, les inégalités
aussi sont nécessaires et inévitables. L’on serait tenté de dire que « pour qu’il y ait des riches
il faut qu’il y ait des pauvres », mais cette conclusion ne nous permet pas d’avancer dans le
questionnement. C’est un raisonnement trop simpliste qui ne propose aucune situation
intermédiaire comme celle, par exemple, de richesse dans la pauvreté ou, celle de validité
dans l’invalidité. Nous verrons plus tard que Murphy14 propose d’aborder ces situations
intermédiaires pour décrire le statut de la personne handicapée.
Dés à présent, ce que nous pouvons noter sur l’approche de Goffman et de Sticker, ce sont
leurs manières de surestimer la définition extérieure de l’identité. L’identité chez Goffman est
toujours définie de l’extérieur, par les cadres sociaux, par les attentes sociales et l’identité
sociale du stigmatisé prime dans l’image qu’il a de lui même, d’où ses tentatives de
ressembler aux « normaux ». S’il propose un ensemble de concepts (identité à soi, identité
pour soi, identité personnelle) chacune de ces identités est définie en relation à une identité
sociale (définie de l’extérieur) qui prime pour l’individu stigmatisé, autant que pour les
personnes normales dans l’interaction. Il en va de même dans l’analyse de Sticker où « Le
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MURPHY R. 1990, Vivre à corps perdu, Plon, coll. « terre humaine », Paris.
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handicap ne peut être pensé en dehors de la sphère psychique, car il renvoie toujours à
l’image de soi, chez celui qui en souffre comme celui qui le regarde (…) Le regard d’autrui
construit le regard que l’on porte sur soi mais en résulte également » Le regard de l’autre reste
donc le centre de l’image que se fait d’elle-même la personne handicapée.
Le normal n’est plus seulement un état, mais une fin : il est l’état que le stigmatisé cherche à
atteindre, il se l’impose comme un objectif. Le processus de normalisation, dans la mesure où
il se plie aux exigences d’un groupe social donné qui n’accepte pas une différence, est un
processus où le stigmatisé doit modeler son identité sociale, et pour utiliser les termes de
Goffman, le stigmatisé doit gérer son identité sociale réelle pour la faire ressembler à une
identité sociale virtuelle (correspondant aux attentes qu’un individu a lors de l’interaction). La
posture de Goffman est, selon nous, déterministe et laisse peu de place à la définition d’une
identité construite par la personne elle même. Les faux semblants peuvent être réellement ce
que pense être la personne, en fin de compte les stratégies du stigmatisé ne sont peut-être pas
des tentatives de dissimulations vis-à-vis de l’entourage mais vis-à-vis de lui-même. Il peut
avoir choisit de s’identifier de cette manière, sans simulacre vis-à-vis d’autrui. Le primat des
cadres sociaux et du regard d’autrui a-t-il tant de poids dans la construction identitaire ? Dans
les analyses que nous avons présentées, la représentation sociale l’emporte sur la
représentation subjective et individuelle. Le stigmate est bien défini de l’extérieur et la
personne stigmatisée ne « s’approprie » pas forcément cette réalité du stigmate. Goffman ne
définit aucune forme d’identité qui serait construite par le stigmatisé.
De la subjectivité
Le domaine de la psychiatrie est beaucoup plus ancien que celui de la recherche sur le
handicap. Devereux15 a lancé un courant de recherche qu’il a nommé ethnopsychiatrie et dans
son analyse, il explique que le normal et l’anormal sont deux catégories de base en
psychologie expérimentale alors que les cliniciens refusent de reconnaître l’idée d’une
normalité. Nous avons abordé la thématique de la « normalisation », dans une interrogation
d’ordre sociologique. Pour ce qui est de la psychologie, il ne s’agit pas d’aborder cette
réflexion en termes de processus (de normalisation, institutionnalisation) mais plutôt en des
termes cognitifs, ici nous passons de « la personne » au « sujet » (le je, le moi et le surmoi).
Devereux entame son raisonnement par une critique de la démarche diagnostique de
l’adaptation et l’originalité de sa réflexion est de considérer qu’il existe des sociétés tellement
15
DEVEREUX G. 1977 (1973), « Normal et anormal », Essai d’ethnopsychiatrie générale, Gallimard, Paris.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
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malades qu’il faut être soi-même malade pour s’y adapter. Pour lui l’acceptation passive de la
culture dans laquelle nous vivons n’est pas un critère de santé ou d’adaptation adulte, mais un
signe de passivité et de dépendance. L’individu se contente de reconnaître la réalité objective
de la société malade où il lui faut vivre. À partir de l’exemple d’un chaman qui paraît
« autonormal », adapté, Devereux dénoue un ensemble de pratiques de traitement des
maladies mentales et, pour lui, il faut distinguer l’adaptation extérieure d’une adaptation
intérieure. Il reprend également la figure de l’inquiétante étrangeté de Freud pour désigner
l’attitude des normaux face aux pratiques chamaniques, l’exhibition du chaman semble
insolite et troublante aux normaux, mais à la fois elle leur est familière. Le chaman est
« comme tout le monde » mais aussi « plus que tout le monde ». De la même manière que
pour Sticker, pour qui l’infirme est nécessaire à la survie des normaux, le chaman apparaît
comme une nécessité dans les sociétés chamaniques. « Le désordre psychique du chaman est
« utile » à sa tribu (…) il est fou au nom et pour le compte des autres, dans la mesure où sa
folie leur permet de conserver un semblant d’équilibre psychologique ». Il ajoute que la
société moderne a elle aussi ses « fous par procuration ». Certains argumenteraient que
l’utilité sociale du chamane est une preuve de sa normalité mais Devereux montre que des
chamans sont malades, malgré leur apparente adaptation à la société, à leur rôle et au statut
qu’on leur attribue. Il explique finalement que le chaman souffre de pathologies et de
névroses élevées mais ce n’est pas pour autant qu’il est catégorisé comme étant a-normal par
la société, Devereux distingue ici l’adaptation extérieure d’une adaptation intérieure.
Ce n’est pas la proximité du raisonnement de Sticker et Devereux qui nous intéresse mais
plutôt le moment où leurs propositions se distinguent. En effet, à aucun moment Sticker ou
Goffman n’évoque une « adaptation intérieure ». La distinction entre les deux adaptations
(intérieure et extérieure) montre que la notion de normalité n’est pas un gage : être conforme
aux normes sociales (en apparence) n’est pas le gage d’une normalité dans le sens d’une
adaptation psychologique (en référence aux normes de la santé mentale).
Peut-on distinguer ces deux formes d’adaptation à propos du handicap ? La question de
l’adaptation répond en partie à un questionnement sur la relation handicap/institutions:
pourquoi devrait-on favoriser une insertion des personnes handicapées alors même que leur
exclusion est expliquée par le social ? Cette question rejoint le propos de Devereux même si
nous ne parlons pas en termes de maladie. L’adaptation extérieure serait bien ce
qu’entendaient Sticker et Goffman par normalisation, tandis que l’adaptation intérieure nous
renvoie à une définition subjective de la normalisation et non à une définition par les cadres
sociaux.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
À propos des cadres sociaux, certains sociologues reconnaissent que ce que l’on nomme les
théories du « labelling »16 ont eu un impact dans la mise en œuvre de nouvelles législations
non-stigmatisantes par des politiques de « non-labelling ». Et pour Ville17 « une telle
démarche comporte un risque, celui de nier le handicap, de le rendre invisible par le biais de
la normalisation et de l’intégration, la déficience devenant une caractéristique banalisée de
l’individu au même titre que la couleur des yeux. Ce type de conception conduit à encourager
les comportements de négation, à faire ‘comme s’il n’y avait pas de handicap, incitant les
personnes handicapées qui sont ‘comme les autres’, à faire ‘comme les autres’ ». Ainsi,
« nier le handicap » semble être une posture que peut prendre la personne handicapée. Dans
ce cas pourquoi parlerait-on de négation ? Si une personne affirme ne pas être handicapée,
devrions-nous considérer qu’elle nie un handicap que nous aurions nous-même observé ou
devrions-nous prendre ce qui est dit comme cela est dit : comme la réalité ? Nous ne pouvons
pas savoir à l’avance quelle position nous prendrions si nous nous trouvions face à cette
situation mais il semble que ce soit l’interprétation de la personne confrontée à la nôtre qui
donne le sens et non la nôtre uniquement. L’on se demande également si la singularité, la
réalité du stigmate ne se trouve pas dans l’image que la personne se fait elle-même de son
stigmate. Ne peut-on pas considérer que l’aspect décalé de la vision qu’une personne se fait
elle-même, de son stigmate, revêt une dimension autre qu’une simple ignorance18 ? Au
contraire, l’on pourrait interpréter les choses à l’inverse et penser que si une personne a une
image spécifique de son handicap c’est qu’elle le connaît tellement bien (depuis longtemps)
qu’elle a intériorisé, extériorisé… qu’elle a expérimenté toutes sortes de considérations vis-àvis son handicap et que, finalement, la personne elle-même s’en fait la représentation la plus
complète. Pouvons-nous considérer qu’avec les outils de « traduction » du réel dont nous
disposons en sociologie et en anthropologie, nous pouvons mesurer (déconstruire ou
construire, conceptualiser) la représentation qu’un handicapé se fait de son handicap alors
qu’il a parfois passé sa vie à la construire ? Si nous avons tant insisté sur l’interprétation de
certains propos c’est bien pour « construire notre propre représentation » et en établir les
limites.
Une normalité difficile à définir
16
En référence à Goffman, Becker et ceux qui sont affiliés à l’école de Chicago.
VILLE I. 1997, « Approche psychosociologique des déficiences motrices », in RAVAUD J-F, DIDIER J-P. et
al, De la déficience à la réinsertion, Recherche sur le handicap et les personnes handicapées, Les éditions de
l’INSERM, Paris.
18
GOFFMAN E. 1963, Stigmate, Op. Cit. p 99, où le faux semblant « envahit tous les domaines de l’existence ».
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
« Cette notion d’exclusion est supposée désigner des gens qui sont en dehors de la société ;
cependant, si on se demande où sont les gens qui sont en dehors de la société, il n’y a qu’une
seule réponse : ils sont dedans »19.
Dans une approche différente de celle de l’école de Chicago, Murphy20 refuse de rabattre la
question du handicap sur une question sociale, avec des concepts comme oppression,
exploitation ou exclusion qui, selon lui, diluent la spécificité anthropologique des handicapés.
Il reprend l’analyse que fait Van Gennep des rites de passage comme des situations de seuil,
des situations liminales21. Il montre que, dans la représentation de l’entourage, ainsi que dans
des pratiques institutionnelles, les handicapés sont placés dans une situation intermédiaire
entre deux statuts de validité, celui d’avant, celui des autres et celui que l’on devrait retrouver.
Il établit une différence avec les situations de seuil, car les handicapés sont condamnés à
rester dans l’entre deux. Ils ont quitté le statut de normal, par leurs séquelles de maladie ou
d’accident, et aussi concrètement, ils sont partis dans des lieux spéciaux (hospitalisation,
centres de rééducation). Ils ne sont ni rejetés, ni pleinement acceptés ni tout à fait mis à
l’écart, ni tout à fait intégrés.
Sticker22 reprendra la notion de double contrainte de Georges Bateson pour évoquer la
situation du handicap par rapport aux normes sociales, ils ne sont pas totalement exclus ni
intégrés. D’autres l’appliqueront à plusieurs catégories d’exclus, Moscovici23 parle de
communication paradoxale et de représentations contradictoires « l’exclusion tend à
considérer les individus au-delà d’une frontière, et pourtant, les inclut dans des catégories qui
se situent en deçà. » Mais il ajoute par la suite que certaines représentations sociales
paradoxales (celles du handicap et de certaines maladies) étaient, malgré tout, préférables à
leur abandon car elles laissaient « passer l’oreille » vers une normalisation (selon lui les
représentations contradictoires ont été instituées puis abandonnées). Enfin, Rouquette24
aborde l’exclusion comme un processus de production et «être exclu ce n’est pas tomber dans
une poche de désordre, c’est se retrouver dans un réseau de contraintes où il faut paraître ce
que l’on est, être ce que l’on doit sous le regard des créanciers ». Il considère que la
fabrication d’exclus ne va pas sans la fabrication d’élus, ainsi il propose aux chercheurs qui
réfléchissent sur l’exclusion, de réfléchir également sur l’élection.
19
KARSZ S. cité par FRETIGNE C. Sociologie de l’exclusion,Op. Cit.
MURPHY R. 1990, Vivre à corps perdu, Op. Cit.
21
VAN GENNEP 1969, les rites de passage, 1ière ed, Picard, Paris, Cité par MURPHY R.
22
STICKER H-J. Corps infirmes... Op. Cit.
23
MOSCOVICI S. « Communication et représentations sociales contradictoires », in Exclusion sociale, insertion
et prévention, Op. Cit.
24
ROUQUETTE M-L. L’exclusion : Fabriques et Moteurs, Op. Cit.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
Ainsi, du handicap, nous sommes passés à une réflexion générale sur l’exclusion et en suivant
le raisonnement de Rouquette nous pouvons nous demander qui sont les élus dans le cas du
handicap. Pour Goffman le stigmatisé est le handicapé alors le normal est le valide, ainsi, l’élu
est le valide. Dans l’approche de Goffman, nous voyons se dessiner une identité de stigmatisé
mais l’on peut se demander ce que peut être une « identité de valide ». La validité serait en
tout cas, le repère de normalité qu’il faudrait atteindre, comme un idéal. Nous verrons dans
une autre partie que le processus de réadaptation fait partie de cette quête d’une normalité qui
se base sur la notion de validité. Mais si l’on se demande à quoi l’on réadapte, nous devrions
nous demander surtout à qui car c’est aux valides que se réadaptent les personnes
handicapées. Pourtant « "valide" est le terme non-marqué et non problématisé, et "handicapé"
le terme marqué et problématisé. Aucun chercheur ne s'est jamais posé la question de savoir
ce que signifiait être "valide", alors qu'il existe une multitude d'études sur le handicap, sur sa
signification sociale, individuelle, symbolique, psychologique, etc... La validité est la
catégorie naturelle et normale, le handicap est la catégorie de ceux qui ne sont pas valides, de
ceux qu'une caractéristique différencie des normaux. En s'interrogeant sur le second, le
handicap, on définit le premier, la validité; en s'interrogeant sur la différence, on renforce le
même, sans cependant mettre ce même en question et en lui donnant le statut de norme. »25
Cette réflexion va dans le sens du propos de Sticker sur la nécessité des infirmes pour la
survie des normaux. Mais Winance va plus loin et, pour elle, la norme serait le produit de
cette nécessité. Si Sticker écrivait que la différence peut être « inventée » sans nécessairement
qu’il y ait un stigmate, Winance dira que le normal n’est pas seulement un état, il est normatif
dans le sens où il permet de s’ajuster à l’autre (comme une direction à prendre), l’auteur écrira
même que la norme est normative car elle permet de se normaliser l’un l’autre (« en
s’interrogeant sur la différence, on renforce le même »).
L’on se demande si nous pouvons affirmer une identité de valide puisque nous sommes tous
renvoyés à une forme d’expérience de l’infirmité lors de nos interactions avec les personnes
handicapées (selon ces auteurs). En citant Otto Rank26 et sa description de la figure du double,
Sticker parlera d’une expérience du moi et du non-moi, nous avons vu qu’il écrivait
également que l’infirmité « est en nous ».
25
WINANCE M. 2001, Thèse et prothèse. Le processus d’habilitation comme fabrication de la personne, Ecole
des Mines de Paris.
26
RANK O. 1973, Don Juan et le double, trad.fr.S.Lauttamn, Payot, Paris, cité par STICKER, Corps infirmes et
société, Op. Cit.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
1.1.2 De la normalisation à la différenciation
Nous étudions ici les processus de normalisation mis en œuvre par les institutions ; nous
prendrons l’exemple des processus de réadaptation qui cherchent à « rendre autonome »,
autonomie qui dépend d’un certain nombre de techniques qui « rendent dépendant ». Ensuite
nous verrons que ce processus, en créant de la différence, construit de nouvelles normes.
Le processus de réadaptation : processus de différenciation
Nous partons d’une analyse de la réadaptation en tant que pratique professionnelle car elle est
souvent présentée comme une étape du processus de normalisation.
Dans un premier temps, nous avons choisi de citer une définition émic, c’est-à-dire la
définition des « professionnels » de la réadaptation, c’est celle que l’on retrouve dans une
multitude d’articles consacrés à la réadaptation. C’est Walter Hesbeen qui est le plus souvent
cité lorsqu’il s’agit de définir cette discipline : « La réadaptation est une discipline
scientifique pluridisciplinaire. Elle a pour but d’assurer à la personne infirme ou invalide ainsi
qu’à ses proches différentes actions permettant de supprimer, d’atténuer, de surmonter les
obstacles générateurs de handicaps. Elle se pratique au sein d’équipes spécialisées qui
utilisent au mieux les ressources offertes par les moyens de la rééducation fonctionnelle, de la
réinsertion sociale et du reclassement scolaire ou professionnel. Elle oeuvre pour rendre tout
individu et toute population concernés par une infirmité ou une invalidité, le moins handicapé
possible dans les situations qu’il rencontre afin que le poids de l’existence ne soit pas plus
lourd à porter à cause de cette différence »27. Nous voyons apparaître ici toute la particularité
de la réadaptation à la fois discipline, pluridisciplinaire et spécialisée autour de la personne en
situation de handicap.
Nous partons de l’étude anthropologique de Winance28 pour comprendre son analyse de la
pratique professionnelle en réadaptation fonctionnelle. Elle analyse les représentations de
cette pratique, les représentations de ses objectifs, de son « utilité » que ce soit du point de
vue des professionnels ou des personnes handicapées. Elle part de la vision classique de la
normalisation où la réadaptation a pour objectif une « mise en conformité » de la personne
handicapée avec la personne valide, une réintégration dans la société. Ensuite, elle évoque son
expérience dans le cadre d’une enquête dans un centre de rééducation et elle décrit un
ensemble de pratiques (la médecine de rééducation, la kinésithérapie, l’ergothérapie, la
balnéothérapie…). Elle remarque que le processus de rééducation se focalise sur le corps, sur
27
28
HESBEEN W. 1994, La réadaptation : du concept au soin, Éditions Lamarre.
WINANCE M Thèse et prothèse, Op. Cit.
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17
GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
ce que la personne peut faire ou ne pas faire à travers son corps. Les mesures et évaluations
sur lesquelles se fondent les pratiques de réadaptation se basent essentiellement sur les
performances du corps actuelles, et à acquérir. Elle ajoute que le corps est d’abord caractérisé
par la douleur, cette douleur « fait apparaître le corps », elle attire l’attention sur la partie du
corps qui fait mal. Ainsi le processus de réadaptation justifie une focalisation sur le corps dans
la mesure où il a pour but de faire disparaître la douleur. Alors, « le but de la rééducation n’est
pas de rendre le corps conforme, mais de supprimer ou d’atténuer la douleur ». Pourtant elle
ajoute que le processus est en lui-même long et douloureux, se pose alors un problème de
sens : soigner la douleur par la douleur semble contradictoire. C’est une question que l’auteur
ne pose pas mais nous nous permettons de dépasser le champ de la réadaptation pour parler
d’une problématique plus générale au domaine médical. À propos de la maladie mentale
Ehrenberg écrivait : « Le malade est plutôt un sujet souffrant qui ne peut se reconnaître guéri
qu’en intégrant la maladie dans son expérience et son histoire propre (…) L’idée de guérison
se caractérise non par un retour en arrière d’avant la maladie, mais par le fait que le médecin,
le psychothérapeute ou la molécule deviennent inutiles… »29. Il montre dans une étude sur la
dépression que la guérison n’est plus liée à une recherche de bien être mais se fait par « un
réaménagement du rapport à soi ». Le propos d’Ehrenberg confirme celui de Winance à
propos de la réadaptation où ce réaménagement du rapport à soi se traduit par un « processus
long et douloureux », où « la personne se replie sur son corps pour se le réapproprier et le
faire disparaître ». Winance explique que la douleur fait apparaître le corps comme un
obstacle à toute action et à travers des gestes (dictés par les professionnels), la personne
essaye de sentir son corps pour qu’il redevienne le sien. Elle illustre son propos par le cas du
réapprentissage de la marche où la personne acquiert des sensations différentes à travers
lesquelles elle peut avoir un autre corps et sans se rapprocher de la situation normale, elle s’en
écarte. Pour Winance, le cas de la marche comme mode de déplacement est ici un exercice et
un questionnement sur la norme. Plutôt qu’imposée, la norme est mise à l’épreuve et cette
épreuve permet de faire apparaître une nouvelle norme. Ainsi « l’exercice n’a pas pour but de
normaliser (…) mais bien de faire émerger une différence et une nouvelle norme d’action (…)
Mais la réadaptation est aussi un travail de normalisation dans un sens positif : il fait éclater et
multiplie les normes, il fait apparaître d’autres normes pour la personne ».
Ainsi l’auteur est partie d’une vision classique de la réadaptation comme un processus
participant à une logique d’alignement des identités pour montrer finalement, que la
réadaptation ne réduit pas les différences mais qu’au contraire, elle les fabrique.
29
EHRENBERG A. 1998, La fatigue d’être soi. Dépression et société, Odile Jacob, Paris.
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18
GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
Institution et différenciation
Le terme de réadaptation fonctionnelle est couramment utilisé dans le milieu professionnel, il
désigne une aide à l’autonomie par une amélioration des capacités motrices (dans le cas d’une
difficulté de cet ordre).
À propos de l’aide, nous avons cherché à comprendre de quel type d’interaction il s’agit dans
le cas de la réadaptation et nous nous sommes penchés sur une exposition thématique en
introduction à une publication dans la collection de l’association de Recherche clinique. La
question de l’aide y est conçue « comme une relation asymétrique et instrumentée, entre une
personne ayant un projet d’action (souhaité ou suggéré voire imposé) dont les modalités de
réalisation sont ignorées (ou oubliées) et une technologie
censée rendre explicite ces
modalités, d’une façon telle qu’elles soient appropriables par la personne sollicitant l’aide. »30
Dans ce cas bien précis, il y a une personne et une technologie et pas forcément un tiers. « De
façon générale, on peut poser que l'aide est une relation spécifique entre deux agents dont la
mise en œuvre et la dynamique ont pour effet l'appropriation et l'usage d'un schème nouveau
pour l'aidé et la mise à l'épreuve d'un parcours didactique pour l'aidant. La spécificité de cette
relation dont on peut dire qu'elle joue un rôle crucial dans l'évolution des communautés
humaines est d'instaurer une réflexivité émancipatrice. Il faut tout de suite poser que le
potentiel émancipateur est directement lié à la possibilité de s’affranchir, à terme, de l’aide ;
dans le cas contraire l’aide devient handicapante, aliénante. S'agissant d'une relation, cela
implique que cette émancipation passe par l'activité, l'engagement confiant des deux pôles et
leur couplage. » En ce qui concerne la réadaptation, l’interaction est cadrée par des objets
techniques (qui font partie de la pratique professionnelle). D’une autre manière, B. Latour31 a,
lui aussi, mis en évidence le rôle des objets dans les interactions. Pour lui les interactions
sociales sont cadrées par les objets dans la mesure où ils les réduisent, où ils isolent chaque
interaction du reste de la vie sociale. Les objets structurent les interactions et stabilisent les
relations sociales car ils incorporent de l’information sur les acteurs et leurs relations, ils
canalisent leurs actions et interactions. La matérialité des objets matérialise des informations,
des comportements. À la différence de Goffman, c’est cette matérialité qui cadre l’interaction
et non le social. Dans les interactions qui se déroulent dans le processus de réadaptation, nous
avons expliqué que les objets sont des dispositifs techniques. Et pour Winance, les institutions
de soins sont des dispositifs techniques (qui mettent en jeu : établissement, bâtiment,
30
GAPENNE O. 2006, Introduction : relation d’aide et transformation cognitive, in Intellectica.
LATOUR B. 2000, « Factures/fractures : de la notion de réseau à celle d'attachement », in MICOUD A. et
PERONI M. (dir.), Ce qui nous relie, La Tour d'Aigues, Editions de l'Aube, Cité par WINNANCE.
31
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19
GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
techniques d’appareillage, diverses techniques thérapeutiques…) et des dispositifs discursifs
(modèles, lois…). Pour elle, le processus de différenciation (que nous avons évoqué dans son
approche de la réadaptation) est en fin de compte institué. Ce discours va à l’encontre des
approches classiques de l’exclusion. Nous voyons par exemple chez Rouquette32 que
l’institutionnalisation est une des fabriques de l’exclusion. Il évoque en particulier la mise à
l’écart physique par les appareils institutionnels comme une exclusion. Et pour I.Ville, « en se
conformant aux attentes inhérentes au stigmate, la personne entre alors dans une carrière de
handicapé et, à la déficience initiale, vient se greffer une déviance secondaire. Le fait que
cette dernière soit directement associée à la déficience entérine le processus et permet le
contrôle
social.
Dans
cette
perspective,
la
stigmatisation
souvent
reliée
à
l’institutionnalisation, contribue à l’incompétence et à la dépendance des personnes
handicapées. »33
Nous voyons que cette approche de l’institution comme fabrique des exclus est à l’opposé de
celle de Winance qui montre que le processus de réadaptation (domaine institué et qui
institue) crée certes des différences mais celles-ci sont normalisées puis instituées.
Jusque-là nous avons traité la question de l’exclusion de manière générale pour définir le
cadre de notre réflexion. À présent nous verrons les deux grands modèles qui cherchent à
expliquer le handicap et les processus d’exclusion qui en découlent ou qui le construisent.
1.2 Modèle individuel et modèle social dans la recherche sur le
handicap.
Nous verrons que les organisations internationales qui s’intéressent à la question du handicap,
s’approprient à plusieurs reprises, des éléments de ces discours (du modèle médical ou du
modèle social) et les intègrent au leur. Il est donc nécessaire d’en avoir un aperçu pour
comprendre le point de vue des organisations internationales. Les deux modèles que nous
allons présenter sont en opposition et ce qui est au cœur de la rupture, c’est la question de la
causalité : quels sont les processus de production du handicap ? Quelles en sont les causes ?
Nous illustrons notre propos par une représentation de Ravaud qui décrit une situation pour
expliquer l’opposition entre les deux modèles. L’image est la suivante : « une personne en
fauteuil roulant face à un escalier, celle-ci ne peut pas aller voter. Quand on s’intéresse aux
32
ROUQUETTE M-L. L’exclusion : Fabriques et moteurs, Op. Cit.
VILLE I. 1997, « Approche psychosociologique des déficiences motrices : attitudes, représentations et
identités », in RAVAUD J-F. DIDIER J-P. et al, De la déficience à la réinsertion, Recherche sur le handicap et
les personnes handicapées, Les éditions de l’INSERM, Paris.
33
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20
GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
différentes causes évoquées de cette impossibilité d’aller voter, on obtient schématiquement
deux type de réponses, eux-mêmes subdivisibles en deux :
- Parce qu’elle est paralysée ou qu’elle ne peut pas marcher, c’est ce que nous appelons le
modèle individuel avec ses variantes biomédicales (l’explication c’est la paralysie) et
fonctionnelle (l’explication c’est l’impossibilité de la marche).
- Parce qu’il y a un escalier ou qu’on ne se préoccupe pas des personnes handicapées, c’est le
type d’approche explicative qu’on appelle le modèle social, avec ses variantes axées sur
l’environnement (barrière architecturale) ou sur les droits civiques (barrières sociales). »34
1.2.1 Les modèles individuels
Le modèle curatif, les classifications de l’OMS et la réadaptation
J-F Ravaud35 se refuse à séparer les trois modèles dans son analyse (celui de l’OMS, celui de
la réadaptation et le modèle curatif) car le passage d’un modèle à l’autre est historiquement
lié. Il qualifie de curative l’approche de la première classification internationale des maladies
(1893), celle-ci est sous tendue par un modèle médical d’orientation étiologique où les
principaux éléments de recherche sont la cause, la maladie et le traitement. Comprendre les
causes de la maladie permet de la guérir : on supprime l’agent pathogène, les symptômes et
les manifestations de la maladie. Dans cette approche, le médecin cherche à guérir le patient,
mais il ne s’intéresse pas aux conséquences de la maladie (uniquement à ses causes). Pour
Ravaud, ce modèle était efficace lorsque les maladies infectieuses dominaient mais on lui
reproche de ne pas se préoccuper des séquelles de maladie (comme la poliomyélite). Ce
modèle est qualifié de modèle individuel dans la mesure où la cause et la solution se trouvent
dans l’individu malade. Pour saisir les conséquences des maladies chroniques comme des
accidents et d’autres maladies, à distance de leur phase aiguë, l’OMS (déjà en charge de la
classification internationale des maladies) va élaborer un manuel de classification des
conséquences des maladies. Sur le plan politique les années 70 marquent un tournant dans la
conjoncture internationale dans le domaine du handicap. Les Nations unies commencent à
prendre en considération le handicap sous forme de la reconnaissance des droits, comme en
témoigne la Déclaration des droits des personnes handicapées en 1975. L’année 1981, est
proclamée année internationale des personnes handicapées et les Nations unies décident d’un
programme d’action mondiale pour la décennie des Nations unies pour les personnes
34
RAVAUD J-F. 2001, « Vers un modèle social du handicap. L’influence des organisations internationales et
des mouvements de personnes handicapées », in RIEDMATTEN.R, Une nouvelle approche de la différence,
comment repenser le handicap, Médecine et hygiène, Genève.
35
RAVAUD J-F. « Vers un modèle social du handicap… », Op. Cit.
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21
GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
handicapées. A ce moment, Philip Wood introduisait la notion de désavantage social qui fait
une place considérable aux conséquences sociales des déficiences et incapacités et il mit en
évidence tout le côté non-médical de la question du handicap. Finalement la Classification
Internationale des Déficiences, Incapacités et Handicaps (CIDIH)36 a été publiée en français
en 1988 par l’OMS. Trois niveaux y sont définis : un niveau lésionnel (celui des déficiences)
un niveau fonctionnel (celui des incapacités) et un niveau situationnel (celui du désavantage
social). Mais selon Ravaud, le modèle reste individuel car il explique l’expérience sociale
négative des personnes par leurs attributs personnels, sans tenir compte des facteurs
contextuels (environnementaux). Ainsi, malgré des évolutions, l’OMS reste dans une
conception médicale et individuelle du handicap.
Pour ce qui est du modèle de la réadaptation, nous quittons l’échelle internationale pour nous
pencher sur des analyse faites sur la France. « Le XIXe siècle a permis l’émergence du
monde hospitalier moderne caractérisé avec la médicalisation de l’hôpital, les progrès de la
médecine et la différenciation de métiers nouveaux : infirmières, masseurs-kinésithérapeutes,
ergothérapeutes (…) La rééducation - réadaptation, discipline d’apparition plus récente, a
suivi cette évolution. »37. Sticker écrit que « la réadaptation s’est trouvée en avance sur
l’hôpital (elle en sort, c’est donc logique). Elle clôt, dans son principe, l’enfermement. »38
Ainsi, au côté de l’approche curative, on trouve le modèle de la réadaptation qui apparaît
comme une nouvelle manière de traiter l’infirme au début du 20ième siècle. Les médecins ne
pouvant pas guérir ces maladies, les malades doivent vivre avec leurs conséquences, mais si
l’on ne cherche plus à guérir, on cherche à retrouver une situation d’avant (d’où le
vocabulaire en « re » qui désigne un retour : réadaptation, réinsertion, rééducation). À la
différence du modèle curatif, on va agir sur les conséquences de la maladie (ses symptômes et
manifestations). Cette réadaptation prend une forme médicale (l’objectif est de rétablir les
fonctions perdues) et une forme sociale (l’objectif est de permettre à la personne de retrouver
la place qu’elle a perdue dans la société), dans les deux cas, l’objectif est une réintégration.
Sticker retrace une histoire de la réadaptation et dans son propos on remarque que c’est la
Guerre de 14-18 qui impose une nouvelle représentation de l’infirmité. Le mot réadaptation
apparaît pour désigner l’ensemble des actions médicales, thérapeutiques, sociales,
professionnelles en direction de ceux que l’on nomme à partir de là «handicapés » (cette
dénomination s’applique autant aux « congénitaux » qu’aux accidentés). Pour Sticker, il s’agit
de revenir à un point, à une situation d’avant : situation ayant existé pour les bien portants,
36
OMS, 1988, Classification internationale des handicaps : déficiences, incapacités et désavantages. Un
manuel de classification des conséquences des maladies. CTNERHI/INSERM, Paris.
37
SCHWACH V. Obstacles et limites à l’interdisciplinarité en centre de réadaptation (en ligne).
38
STICKER H-J. Corps infirmes et sociétés, Op. Cit.
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22
GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
situation postulée pour les autres. On enlève la carence avec le préfixe « in », on ramène à
l’état antérieur et normal. A la sortie de la guerre les mutilés qui sont les hommes blessés (la
mutilation concerne toute altération de l’intégrité, de l’intégralité), « le mutilé est un
manquant de quelque chose de précis (un organe ou une fonction). La guerre a ôté, il va
falloir rendre »39.Le développement de la prothèse date de cette guerre et apparaît l’idée que
l’on peut remplacer l’organe ou le membre manquant. Sticker analyse cette volonté de
remplacement, de rétablissement comme une obligation morale liée à une culpabilité. La
volonté de réintégration naît également à cette époque. Aux côtés de cette nouvelle notion, il
y a l’apparition d’un discours législatif et d’une multitude d’institutions. C’est une notion
différente de celle de la guérison (qui concerne la santé), la réintégration se situe sur le plan
social. Sticker parle de principe de norme empirique pour désigner une tension qui parcourt la
réadaptation, « la personne dite handicapée est évaluée et s’évalue elle-même par rapport aux
valides. Imitation des bien-portant, égalité avec eux ». Il qualifie d’étiquetage les mesures
spécifiques qui permettent aux personnes handicapées d’avoir un statut normal en leur
appliquant un statut spécial. Pour lui il faut être étiqueté pour obtenir des droits, il faut être
reconnu comme « personne handicapée » par un organisme officiel.40 Malgré ces critiques le
modèle de la réadaptation va être soutenu par les premières associations de personne
handicapées qui se créent en France dans l’entre deux guerres à l’initiative des infirmes civils
(c’est-à-dire des personnes dont la déficience est due à des séquelles de maladies, de
traumatismes ou à une origine congénitale). Puis, dans les années 70, d’autres associations se
créent et se détachent du modèle réadaptatif et se fondent plutôt sur le modèle curatif comme
l’Association Française contre les Myopathies (leur volonté étant l’éradication de la maladie).
Ces revendications ne concernent plus la prise en charge des handicaps mais la découverte des
causes des maladies et leur traitement médical41. Ainsi ces revendications se basent sur une
représentation de la maladie comme une déviance par rapport aux normes sanitaires alors que
le modèle de la réadaptation se basait sur une représentation du handicap comme une
déviance par rapport à des normes sociales.
Classifications internationales
39
STICKER H-J. Corps infirmes et sociétés, Op. Cit.
C’est ce que nous verrons plus en détail dans le 3ième paragraphe de ce chapitre.
41
PATERSON F. et BARRAL C. 1994, « L'Association Française contre les Myopathies : trajectoire d'une
association d'usagers et construction associative d'une maladie. » Sciences Sociales et Santé 12(2) : 79-111. Cités
par WINANCE M. Thèse et prothèse. Op. Cit.
40
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23
GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
À la différence de J-F Ravaud, nous préférons consacrer une partie au modèle des
classifications de L’OMS en raison d’une attention particulière que nous accordons à cette
classification dans le troisième paragraphe. La classification de l’OMS de 1988 a été
considérée comme une systématisation et une mise en forme du modèle réadaptatif et cette
classification avait pour objectif d’être un outil d’évaluation du système de soins pour décrire
les changements et les améliorations de l’état de santé des patients. Comme nous l’avons vu,
la nouvelle classification a pour objectif de classer les conséquences à long terme des
maladies et les impacts sur la vie de l’individu. Mais l’on remarque que le premier niveau est
la maladie, le premier critère de classification reste la maladie, c’est donc un prolongement du
modèle curatif et c’est pour cela que la classification dite de Wood reste considérée comme
une approche individuelle du handicap.Le handicap y est présenté comme étant lié à la
maladie et le handicap y est expliqué par une cause biologique et individuelle : « Quelque
chose d’anormal se produit au niveau de l’individu, soit à la naissance (congénital), soit plus
tard (acquis). Une succession de circonstances causales « étiologie », entraîne des
modifications dans la structure ou le fonctionnement du corps, « la pathologie ». Les
transformations pathologiques peuvent être évidentes ou non ; si elles le sont, on les décrit
comme des « manifestations » qui, en termes médicaux, sont subdivisées en « signe et
symptômes ». Ces caractéristiques sont les composantes du modèle médical de la maladie »42.
Pour Wood, les éléments qui permettent d’identifier les conséquences des maladies sont la
déficience, l’incapacité et le désavantage. La déficience est l’altération du corps (au niveau
organique ou fonctionnel). L’incapacité est l’altération de la capacité d’action (sur cet aspect
l’incapacité se rapproche du modèle de la réadaptation). Enfin le désavantage (handicap)
réfère à l’impossibilité d’accomplir un rôle social normal « Le désavantage social pour un
individu donné, résulte d’une déficience ou d’une incapacité qui limite ou interdit
l’accomplissement d’un rôle normal (en rapport avec l’âge, le sexe, les facteurs sociaux et
culturels) »43 Malgré la considération des conséquences sociales dans la classification, on lui
reproche de présenter un système causal allant de la maladie au désavantage où la seule cause
du handicap est la maladie. Pourtant, Wood insiste sur le fait qu’un désavantage peut résulter
d’une déficience sans incapacité intermédiaire (il donne ici l’exemple d’une déficience
esthétique). Mais dans son propos, la description des déficiences est très détaillée (nous
pouvons interpréter et justifier cela par le fait qu’il est médecin) alors que le désavantage est
décrit brièvement, sa classification ne propose pas d’outil permettant d’appréhender le rôle de
l’environnement dans le processus de production du handicap.
42
43
OMS, Classification Internationale…, 1988, Op. Cit.
OMS, Classification internationale…, 1988, Op. Cit.
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24
GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
1.2.2 Les modèles sociaux
L’évolution, traduite par la CIDIH en 80 d’un modèle curatif vers un modèle réadaptatif est
considérée comme insuffisante par le mouvement des personnes handicapées, qui considère
que la perspective socio-politique principale en cause dans le processus de production du
handicap, n’y est toujours pas présente. Un modèle social a ainsi été développé, refusant
d’expliquer le handicap par des caractéristiques individuelles des personnes, mais l’expliquant
plutôt par l’ensemble des barrières physiques ou socioculturelles faisant obstacle à la pleine
participation sociale, et à la pleine citoyenneté des personnes concernées. Ce modèle est un
des point de clivage entre ce qui constitue le champ des disability studies et celui des
rehabilitation sciences.
Le modèle de l’accessibilité ou approche environnementale
Ravaud44 retrace l’approche environnementale qui commence en Amérique du nord (il y a 30
ans aux Etats-unis) où le mouvement de vie autonome est une forme alternative à la prise en
charge en institution spécialisée. Ce mouvement valorise cinq domaines clef de la vie
autonome : le logement, l’assistance personnelle, le transport adapté, l’accessibilité et le
conseil par les pairs. Parallèlement en Europe on a pu assister à une remise en question de la
prise en charge institutionnelle. Un mouvement de désinstitutionalisation s’est développé en
milieu psychiatrique (particulièrement en Italie) lié au mouvement de l’antipsychiatrie. Il y a
également des initiatives en Suède, au Danemark et aux Pays-Bas. Pour Ravaud il y a trois
raisonnements qui expliquent que ce mouvement soit né aux Etats-unis. Pour lui ce
phénomène est lié à l’histoire de la constitution et à l’influence du mouvement des droits
civiques, les problèmes sociaux sont traditionnellement perçus comme relevant des droits de
l’homme. Ensuite il l’explique par le fait qu’il y avait peu d’institutions pour personnes
handicapées et que le tissus associatif était restreint.
En France, le modèle de l’accessibilité est apparu dans le prolongement du modèle de la
réadaptation. Après avoir réintégré les personnes handicapées par l’acquisition d’un emploi,
se posait le problème du relogement accessible. En 1959, les pouvoirs publics créent
l’Association pour le Logement des Grands Infirmes (ALGI). Progressivement son action va
au-delà du relogement des personnes handicapées, il s’agira de définir des normes
d’accessibilités pour les bâtiments et les constructions publiques (normes intégrées dans la loi
44
RAVAUD J-F. « Vers un modèle social du handicap… », Op. Cit.
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25
GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
45
d’orientation en faveur des personnes handicapées de 1975). Pour J. Sanchez
on passe de
l’idée de la réinsertion de l’individu à celle de l’accessibilisation de l’environnement ; de
l’action sur l’individu, l’on est passé à l’action sur l’environnement (il s’agit de normaliser
l’environnement).
Les disability studies
Le courant des disability studies naît dans les années 70 aux Etats-Unis et en GrandeBretagne. Les chercheurs de ce champ sont eux-mêmes handicapés et ils critiquent les
analyses qui reposent sur le modèle médical. Ils proposent une alternative qui explique le
handicap par une analyse de leur expérience vécue en société, des problèmes qu’ils
rencontrent quotidiennement dans leurs activités.Ces chercheurs se présentent comme
activistes, leur revendication est de produire eux-mêmes l’analyse de leur situation. En
Grande-Bretagne, les premiers activistes interprètent la situation des personnes handicapées
comme étant le résultat d’une oppression par les personnes normales et la société, ils
considèrent qu’ils sont victimes de ségrégation et d’exclusion. Le mouvement des disability
studies est simultanément un mouvement de recherche et un mouvement politique, cela par
l’intrication entre l’expérience, la théorie et l’action politique. Certains chercheurs sont allés
jusqu’à affirmer que seules les personnes handicapées ont le droit de parler d’elles mêmes et
d’analyser leur expérience. Ils appellent « recherche émancipatoire » une recherche qui a pour
objectif d’émanciper les personnes handicapées, de leur donner la possibilité de contrôler leur
existence. Ainsi il existe une relation forte entre la recherche et l’action, entre le modèle
social et le politique. Le modèle social est donc un modèle théorique et activiste (le théorique
justifiant l’action).
Pour illustrer cette relation entre recherche et action, Winance46 donne l’exemple d’un cours
d’introduction sur les disability studies qu’elle a suivi dans une université américaine. Elle
décrit ce cours et souligne une confusion entre la théorie et l’action. « Le professeur a débuté
son cours par une présentation personnelle en demandant aux étudiants quelles étaient les
deux déficiences qu’il possédait. Les étudiants ont facilement trouvé la première : une
déficience de la vue, mais ont eu des difficultés à deviner la seconde : sa calvitie. (…)
Lorsqu’il a présenté le modèle social, il n’a pas hésité à prendre position et à dire son
engagement actif dans le mouvement des disability ». Pour Winance, ce discours n’était pas
45
SANCHEZ J. 2000, "L'accessibilisation et les Associations dans les années soixante", in Barral. C, Paterson.
F, STICKER H-J. et CHAUVIERE M. (Eds), L'institution du handicap. Le rôle des associations, Rennes, Le
Presses Universitaires de Rennes, cité par WINANCE, Thèse et prothèse. Op. Cit.
46
WINANCE M. Thèse et prothèse, Op. Cit.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
une simple présentation théorique mais il avait quelque chose de politique car il incitait les
étudiants à se positionner dans le débat. Elle explique qu’il montrait que les modèles n’étaient
pas seulement théoriques mais aussi politiques, pour elle le discours est toujours une action.
L’approche des disability studies a été prise en compte dans certaines classifications des
handicaps, notamment au Québec où la classification s’inspire d’une explication des
processus de production du handicap.
Les Processus de Production du Handicap
Ravaud47 présente le processus de production du handicap comme un compromis entre les
deux modèles. Au cours du processus de révision de la CIDIH par l’OMS en 2001, les travaux
de Patrick Fougeyrollas ont tenté de concilier ces deux courants de pensée par une approche
interactive, définissant la situation de handicap comme une limitation des habitudes de vie
d’un individu découlant d’une interaction entre des facteurs personnels (déficience,
incapacité) et des facteurs environnementaux agissant comme « facilitateurs » ou
« obstacles ».
En donnant une place claire aux facteurs environnementaux, le PPH (nom donné à la
classification québécoise) apparaît comme une forme de compromis compatible avec les
perspectives de changements personnels mais aussi socio- politiques. Mais pour Ravaud,
l’enjeu est d’éviter toute forme de réductionnisme (médical ou social), pourtant, il ne faudrait
pas négliger la question du sujet et la dimension identitaire. Selon lui la place du jugement
porté par la personne sur ses déficiences, ses restrictions d’activité et le rôle de
l’environnement, en fait l’évaluation subjective de la situation de handicap, est mal prise en
compte aujourd’hui. Ravaud propose de l’intégrer dans un modèle général du processus de
handicap. Le jugement correspond au point de vue de la personne, à son appréciation aussi
bien de ses incapacités que des obstacles qu’elle rencontre et de leur interaction. Quelle
méthode propose-t-il pour recueillir ces points de vue ? Comment les interprète-t-il ensuite ?
L’auteur souligne la possibilité que le jugement soit formulé par l’entourage ou la société, en
fonction de ce qui est attendu par la personne, et cela peut laisser la possibilité d’un écart ou
d’un désaccord entre ces différents jugements.
L’autre obstacle décrit par Ravaud dans la définition du handicap comme simple interaction
entre environnement et incapacité, est lié à la temporalité des problèmes de santé : par
exemple une personne épileptique est en situation de handicap même quand elle n’a pas de
crise. Sa maladie perturbe, la personne même quand elle va bien. L’instantanéité d’un modèle
47
RAVAUD J-F. « Vers un modèle social du handicap… », Op. Cit.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
ne prend pas en compte cette dynamique et a tendance à figer l’interaction dans le présent.
Avoir été handicapé ou savoir que l’on est prédisposé génétiquement (par exemple dans le cas
d’une sclérose en plaque) à le devenir, intervient sur le « vécu » de la santé au présent. C’est
ainsi que Ravaud insiste sur l’introduction de la question identitaire dans l’approche du
handicap.
Nous avons présenté les modèles qui expliquent les processus de production du
handicap. À présent il s’agit de comprendre de quelle manière ces modèles sont des discours
qui expliquent la pratique ou qui la fondent.
1.3 Des modèles discursifs : théorie et pratique
1.3.1 Discours et pratique : entre le modèle et l’action
Le modèle des disability studies propose de séparer la déficience comme expérience
corporelle et l’invalidité comme expérience sociale. Et pour Winance, cette séparation permet
de montrer les causes de l’invalidation et, en même temps, de définir une action politique.
Pour elle une caractéristique forte de ce mouvement était l’intrication de l’engagement
politique et de la recherche théorique, entre le discours et l’action. Cela signifie qu’elle
considère la recherche théorique comme un discours et l’engagement politique comme une
action. Sur ce point, l’auteur se démarque de la position de Sticker qui distingue la théorie et
le modèle.
Nous avions signalé que la position des deux modèle se distingue sur la question de la
causalité : quel est le processus de production du handicap, quelle est l’origine du handicap ?
Dans le cas du modèle social, la cause est la société et celle-ci est rendue responsable de la
situation des personnes handicapées. Dans le cas du modèle individuel, les causes se trouvent
dans l’individu, c’est l’individu qui est responsable de sa situation. C’est donc en définissant
une cause que l’on détermine le processus qui peut faire disparaître le handicap et qu’on
recommande une action et pour Sticker le discours est descriptif et prescriptif. Selon le
modèle de la réadaptation, l’on attribue des droits spécifiques à la personne pour compenser la
situation de désavantage, c’est une forme de discrimination positive. Cette manière d’agir,
attribuant une étiquette (un statut), est souvent critiquée et interprétée comme une façon
négative de produire du handicap, de produire de l’exclusion. Nous prendrons, une fois de
plus, l’exemple de la classification de l’OMS pour illustrer sa manière de passer de la
description à la prescription. Cette classification propose un modèle pour décrire les
conséquences des maladies. Le modèle ne décrit pas une causalité unique (allant de la
déficience à l’incapacité puis au désavantage) mais, chaque processus est décrit au cas par
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28
GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
cas, chaque plan de l’expérience (déficience, incapacité, désavantage) est analysé dans sa
relation à l’environnement. Enfin, chaque plan correspond à une modalité d’action, la
déficience correspond au soin, l’incapacité à la réadaptation et le désavantage à l’action
sociale. La stratégie va consister à choisir le plan sur lequel agir, sachant que l’action sur un
plan aura des répercutions sur un autre et que la manière d’agir, en aura au niveau de la
personne, de l’environnement ou des deux à la fois. Le modèle de Wood (classification de
l’OMS en 1988), compose des catégories analytiques et descriptives, qui sont aussi des
catégories prescriptives. Ainsi selon Sticker, « dire c’est agir ».
Comme nous l’avons vu, les partisans du modèle des disability studies adoptent une posture
volontairement activiste et leur discours permet de faire émerger un collectif. En déterminant
les causes de l’invalidation au niveau de la société, ils font émerger une « Cause » qui
rassemble les individus dans un collectif. Mais contrairement à ce que nous pourrions déduire
naïvement, le modèle individuel rend également possible la formation d’un collectif. Prenons
l’exemple de la formation d’associations qui luttent contre telle déficience ou telle incapacité
(décrites à l’époque du modèle curatif et réadaptatif), comme l’Association des Paralysés de
France ou l’Association Française contre la Mucoviscidose : Ces associations mettent en
avant deux identités, une identité individuelle (où les personnes sont atteintes de la même
maladie ou incapacité) et une identité collective (la cause les réunit).
Le modèle individuel définit un collectif à partir d’un corps, mais cette identité n’est pas
facile à transformer en une identité positive48 et, pour I.K.Zola49, la déficience et l’incapacité
sont des expériences douloureuses et « non-désirables », il est difficile de positiver ces deux
expériences. Nous prenons encore une position qui va à l’encontre des propositions de
Goffman, expliquant les problématiques par des causes externes, des cadres sociaux. Il
n’intègre pas dans son approche, la subjectivité de l’expérience. Du point de vue de
l’anthropologie, si on fait disparaître les souffrances d’une personne derrière un « ensemble
de causes sociales » préexistantes (les représentations sociales) alors une étude qui questionne
la souffrance (l’expérience de cette douleur) n’aurait pas lieu d’être. En postulant que, ainsi
que toute personne, la personne handicapée souffre, comment étudier ses souffrances
propres ? Comment faire pour interroger la souffrance alors que celle-ci ne serait que
contextuelle
donc
déjà
définie
(liée
à
l’environnement,
cette
souffrance
serait impersonnelle) ? A partir de là, il sera difficile de développer une identité « positive »,
c’est-à-dire une identité où la personne accepte son handicap car celui-ci ne trouverait ses
48
Ici je me réfère à l’identité négative et identité positive définies par GOFFMAN, Stigmate, Op. Cit.
ZOLA I-K. 1989, Missing pieces : A chronicle of living with a disability, Philadelphia, Temple University
Press, cité par WINANCE M. Thèse et prothèse, Op. Cit.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
causes que dans la société. Sans pour autant nous inscrire dans des représentations qui «
réduisent le handicap à des affects de souffrance »50, nous considérons que le discours qui
expliquerait le handicap par des causes externes à la personne ne résout pas la problématique
posée par Zola où la déficience reste une expérience douloureuse. Winance montre que les
disability studies, en construisant une identité positive, ont pu se sortir de cette problématique
tout en se dégageant d’une analyse proche du modèle individuel. Nous l’avons vu, les
disability studies séparent la déficience de l’invalidation, ce qui est une position de celui qui,
atteint d’une déficience est exclu et opprimé par la société : c’est une position que l’on
pourrait qualifier de « subie ». Cette position met en avant le fait que s’il n’existait pas de
barrières sociales ou architecturales, les personnes atteintes d’une déficience seraient
« validées » et intégrées. C’est ainsi que l’identité liée à l’invalidation peut être positivée : la
personne peut s’identifier comme invalidée et non comme déficiente.C’est pour cette raison
que le vocabulaire « disabled people » (personne invalidée) est revendiqué par les disability
studies car c’est ce qui fait leur identité collective.
1.3.2 Du discours théorique à la loi
Dans ce paragraphe nous cherchons à faire apparaître un paradigme dans la recherche sur le
handicap. En effet, plusieurs sociologues se sont penchés sur une analyse déconstructionniste
de la notion de handicap. Ils ont cherché à établir des liens entre les discours juridiques et les
discours politiques, économiques et sociaux. Il ne s’agit plus de parler en termes de modèle
explicatif mais plutôt en termes d’analyse des systèmes de pensée.
Sticker51 fait une analyse de l’évolution historique des lois concernant le handicap. En France,
son histoire remonte à la fin du 19ième siècle avec, la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du
travail, étendue en 1919 aux maladies d’origine professionnelle puis au secteur agricole et aux
gens de maison. En juillet 1883 avait été votée une loi créant l’assistance médicale gratuite.
Le même vocabulaire est repris en 1904 sur les enfants assistés et en 1905 pour les vieillards
infirmes et incurables. C’est après la guerre que se continue le travail juridique, la nouvelle
législation est coiffée par le concept d’assistance (lié à la pratique de bienfaisance de la classe
bourgeoise, paternaliste, catholique). Pour Sticker, l’assistance est en relation avec le contrôle
social des personnes, plus que liée à la bienfaisance bourgeoise. Ensuite l’assistance laisse la
50
BAZIER G. et MERCIER M. 2003, Représentations sociales du handicap et de la mise au travail des
personnes handicapées, publié par le département de psychologie de la faculté de médecine « notre dame de la
paix », Namur.
51
STICKER H-J. Corps infirmes et sociétés, Op. Cit.
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30
GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
52
place à l’intégration. Dans un ouvrage collectif , les auteurs, en analysant les rapports entre
la citoyenneté et la folie, cherchent à saisir de quelle façon la maladie mentale est devenue
objet du droit. Ils interprètent la loi de 1975 ainsi que celle de 1990 en France (loi sur la
protection des personnes handicapées) et, pour eux, si la protection des personnes handicapées
a été renforcée à cette époque, ce fut au prix d’une « dépersonnalisation-désocialisation ». Ils
justifient leur propos par le fait que les personnes handicapées sont inscrites dans des
instruments de mesure de leurs capacités et aptitudes. Leur raisonnement débute par une
analyse de la constitution de 1958 qui reconnaît à tous citoyens sans exclusion le droit à
l’emploi. Et c’est en 1957, que pour la première fois un texte de loi utilise les termes de
travail et de handicapé. En 1960 se met en place un dispositif technique et administratif,
prenant en compte de façon spécifique la situation des handicapés, en tant que catégorie
sociale. Ensuite, les auteurs évoquent l’émergence, au lendemain de la première guerre
mondiale, d’une approche culturelle et sociale de l’infirmité qui donnera naissance aux
notions de réadaptation et de reclassement, instituant un dispositif permettant aux infirmes de
réintégrer le monde du travail.
La thèse de ces auteurs se démarque de toute l’approche que nous avons eue jusque-là dans la
recherche sur le handicap. En effet, selon eux la notion de handicap est avant tout le résultat
d’une classification (ce qui n’est pas nouveau dans notre développement) mais ils ajoutent
qu’elle est un produit de l’organisation sociale dépendant étroitement de ses conditions
matérielles et de son développement. Ce qui signifie qu’ils ne cherchent pas à comprendre les
processus de production du handicap, ni à présenter un modèle explicatif de ses causes mais
plutôt à analyser un « contexte » d’émergence de cette notion, sans pour autant expliquer l’un
par l’autre : ils déconstruisent.
A partir de 1975, n’est travailleur handicapé, que la personne reconnue comme telle par la
Commission Technique d’Orientation et de Reclassement Professionnel (COTOREP). « Ce
dispositif légal qui identifie les individus par l’intermédiaire d’une instance administrative (la
COTOREP), distingue les « travailleurs handicapés » des autres travailleurs en les faisant
« bénéficier » d’un statut particulier subordonné à une reconnaissance préalable. Le terme
handicapé est, par voie de conséquence, uni aux systèmes de représentations liés à
« l’exclusion », renforçant ainsi l’idée d’étrangeté et d’anormalité de cette catégorie »53.
Parler de handicapé c’est donc faire référence à une notion stable, puisque reconnue par la loi,
ce qui, selon les auteurs, autorise le découpage, dans l’univers des représentations, entre
52
DEMONET R. et MOREAU de BELLAING L. 2000, Déconstruire le handicap, citoyenneté et folie. Analyse
d’un système de pensée, CTNERHI, Paris.
53
DEMONET R. et MOREAU de BELLAING L. Déconstruire le handicap, citoyenneté et folie. Op. Cit.
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31
GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
54
handicapé et non-handicapé. Les auteurs reprennent les termes de Foucault
pour désigner
les conséquences de ce phénomène, où l’on effectue un passage entre critères externes,
visibles et critères fonctionnels. Phénomène qui peut permettre de penser que l’évolution
d’une représentation est, en partie, liée à l’évolution des structures sociales. Si les termes
handicap et handicapé sont aussi affirmés dans l’espace social (ce sont des catégories
opératoires car elles sont évoquées dans le sens commun), les auteurs soulignent qu’ils restent
des concepts flous auxquels les textes de loi (1975, 1987), et les définitions du Conseil de
l’Europe en 1975 ou les classifications internationales, n’ont pas apporté de précision. Or,
« seules les institutions peuvent définir des rapports de ressemblance. Le rapport de similarité
est une institution (…) il existe un conflit pour l’individu entre ce qu’il peut attendre s’il
dépense du temps et de l’énergie à résoudre seul des problèmes difficiles, et d’un autre côté la
tentation de se reposer et de compter sur les analogies fondatrices de la société
environnante »55. Mais ce qui semble paradoxal est qu’à la fois ces auteurs56 dénoncent cet
aspect où l’institution « établit les ressemblances » mais ils soulignent également le fait que le
handicap et les handicapés sont une production sociale qui ne correspond qu’à une catégorie
d’ensemble et à un acte de désignation. Cette désignation est aussi le moment de rencontre
entre handicap et maladie mentale qui vise, à l’exemple de la division du travail, « à
différencier les individus en les rendant de moins en moins semblables, on renforce leur
division en établissant des figures de plus en plus affinées, voire contradictoires »57. En
déconstruisant le terme de handicap, plusieurs auteurs58 le définissent comme étant le produit
d’une nouvelle pratique mais aussi d’une nouvelle orientation politique (en termes de prise en
charge et d’accompagnement)
59
. Nous, nous demandons à présent, si les constructions
historiques du terme de handicap permettent de mieux comprendre les usages qui en sont faits
dans la langue usuelle (le sens commun). L’utilisation de ce terme ne recouvre-t-elle pas
d’autres réalités que la perspective historique ?
54
FOUCAULT M. Histoire de la folie à l’âge classique, Cité par DEMONET, Op. Cit.
DOUGLAS M. 2004 (1986), Comment pensent les institutions, La découverte, Paris.
56
DEMONET R. et MOREAU de BELLAING L. Déconstruire le handicap, citoyenneté et folie. Op. Cit.
57
DURKHEIM E. 1996, De la division du travail social, PUF, 4ième édition, Paris. Cité par DEMONET et al.
Op. Cit.
58
Consulter à ce propos les ouvrages et le texte disponible en ligne au même lien que la référence précédente :
STIKER H-J. 2002, Aspect socio-historique du handicap moteur in « déficience motrice et situations de
handicap », ed. APF.
W
Dans une même perspective, une étude politique affirme : « la notion de handicap est récente. Son émergence
progressive, à partir du début du XXièmes siècle (après 195059), est liée au contexte social général (notamment
l’apparition de l’Etat providence) et à la mise en place de nouvelles pratiques de prise en charge des personnes
atteintes d’une déficience (pratique de rééducation, de réadaptation professionnelles). » WINANCE M. 2004,
Handicap et normalistion. Analyse des transformations du rapport à la norme dans les institutions et les
interactions, Politix, Volume 17, numéro 66.
55
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
Pour expliquer les fondements historiques de la notion de handicap, R. Demonet et ses coauteurs abordent la problématique en termes de compromis entre l’Etat et le système
industriel. Ce compromis s’explique de deux manières : D’abord, l’évolution du construit
social que représente le groupe « handicapé », tient au fait que la pluralité des sujets relève
d’une phase de l’évolution des sociétés et des Etats et correspond à une certaine division du
travail. Cette position implique que la société civile et l’Etat s’accordent sur un principe de
fonctionnement établi sur des « privilèges » (lois spécifiques pour telle ou telle catégorie de
population, ce qui laissera place à un Etat de droit et à une société homogène : c’est le
discours de 1789). Ensuite, selon eux, les processus de différenciation sont considérés comme
éléments constitutifs de la formation des sociétés. Dans ce cas de figure, la dénégation et le
refus de l’existence d’autrui font de la différence, de l’anormalité, une catégorie apparentée à
une « sous-humanité » et c’est ce qui permet à l’humanité d’exister. Ici nous retrouvons la
même interprétation qu’avait Sticker sur « l’utilité » de l’infirmité.
Sticker et les auteurs de déconstruire le handicap, citoyenneté et folie se rejoignent dans leurs
analyses. Pour Sticker, avec la loi de 1975 le terme handicapé couvre toutes les inadaptations
reliées à une déficience, sans distinction et cette définition se traduit par une grande
complexité administrative pour les spécialistes qui se chargent du placement de chaque
individu concerné (COTOREP). En 2005, une nouvelle loi supprime ces commissions au
profit d’une nouvelle, située dans les maisons du handicap, qui ont une vocation d’écoute de
la personne, d’étude de son projet et d’orientation vers les bons interlocuteurs. Sticker
interprète toutes les démarches juridiques d’intégration comme étant des processus
d’effacement « car la ruse (travaillée par des législations et des institutions) dans une société
libérale, riche et technicienne, est que les moyens seront donnés pour qu’ils ne paraissent plus
comme différents. Ils seront admis à condition d’être parfaitement assimilés aux valides. Cette
assimilation peut passer par un maintien de l’exclusion : ressources faibles, institutions
spécialisées, lieux de travail à part. Mais l’exclusion ne fait plus problème, elle est elle-même
au service de l’effacement. » Pour lui, légiférer correspond à la complexification et au
centralisme de l’Etat. C’est imposer une norme, un ordre commun. Les infirmes sont
« paradoxalement désignés pour disparaître, ils sont dits pour être tus. Leur existence
médicale, psychologique, voire sociologique est d’autant plus affirmée que leur annulation
sociale est possible. »60 Pour Sticker les processus de réinsertion, de réadaptation et
d’insertion sont une nouvelle forme d’enfermement dans la mesure où la spécificité et la
60
STICKER H-J. Corps infirmes et sociétés, Op. Cit.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
déviance sont corrigés, travaillés, refusés et qu’« il faut enfermer le différent dans le
commun ».
A travers ce paragraphe nous avons vu de quelle manière les modèles explicatifs ont une
influence sur les pratiques institutionnelles. Nous avons également souligné les explications
historiques qui déconstruisent la notion de handicap dans un rapport aux évolutions
législatives. A présent, nous allons tenter de comprendre quelle place occupe le handicap dans
la recherche en science sociale. Nous verrons que la question des termes utilisés pour désigner
l’objet des recherches sur le handicap est au centre des attentions.
1.3.3 De la recherche sur le handicap vers une science sociale ?
La psychosociologie
La psychosociologie est une discipline récente qui s’intéresse à la question de l’exclusion. Les
années 50 voient l’avènement d’une psychosociologie de handicap physique aux Etats-Unis.
En 1948, un auteur dénonce l’amalgame généralement fait entre les aspects cliniques et
sociaux du phénomène, conduisant à une explication du handicap en termes de
caractéristiques individuelles. Les chercheurs américains montrent également la volonté d’une
approche pluridisciplinaire. Plus largement dès 1948, l’accent est mis sur la signification
sociale du handicap, sur la construction culturelle de la catégorie des personnes handicapées.
Hanks et Hanks61 montrent que le sens attribué aux déficiences et par conséquent les attitudes
à l’égard des personnes handicapées physiques, varient d’une culture à l’autre en relation avec
le système économique et politique en place. Un autre psychosociologue analyse que le
groupe des personnes handicapées constitue un groupe social minoritaire, avec une
spécificité : la déficience bien réelle va, par effet de halo dans les représentations, s’étendre
des capacités physiques à la participation sociale et à l’ajustement psychologique. Sur le plan
psychologique, l’on s’intéresse non pas au défaut mais au sens qu’il prend pour la personne
concernée, sens qui ne peut lui-même, être détaché des relations interpersonnelles et de
l’image de soi renvoyée par l’autre (ici nous retrouvons les processus de construction de
l’identité que nous avions interrogés dans le premier paragraphe). Nous reposons donc la
même question sur l’approche des psychosociologues : si le sens est « subjectif », pourquoi
rapporter ce sens à d’autres couches de sens qui seraient données de l’extérieur ? Pourquoi ne
pas considérer, dès le départ, le sens tel qu’il est donné par la personne, sans ajouter une
61
HANKS J-R. HANKS. L-M Jr. 1948, The physical handicapped in certain non-occidental societies, Journal
of Social Issues, 4(4) : 11-20. Cités par VILLE I. « Approche psychosociologique des déficiences motrices :
attitudes, représentations et identités », in RAVAUD J-F. DIDIER J-P. et al, De la déficience à la réinsertion,
Recherche sur le handicap et les personnes handicapées. Op. Cit.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
62
couche qui serait « l’image de soi renvoyée par l’autre » ? Adler
est un précurseur de la
recherche sur le handicap physique en psychologie et, selon lui, la présence d’un défaut ou
d’une fonction déficiente va stimuler le système nerveux. Une imperfection organique peut
être la source de grands avantages. C’est l’idée de compensation psychologique d’une
déficience. C’est une approche dialectique qui met l’accent sur les forces créatrices de
l’histoire sociale.
L’approche psychosociologique ne se situe ni dans le modèle social ni dans le modèle
individuel. Elle se place, parfois, dans le champ culturel, autrefois dans celui du social et
enfin, dans celui de la psychologie.
Du Handicap à la personne en situation de handicap : la question de l’autonomie
Dans le modèle de l’accessibilité, le handicap est le résultat de l’inaccessibilité. Pour désigner
le processus de production du handicap, la notion de « handicap de situation » est définie par
P. Minaire à la fin des années 197063.
« On peut suggérer de retenir l’appellation de
personnes en situation de handicap moteur comme la moins mauvaise, dès lors que l’on
comprend bien qu’elle désigne des restrictions de participation sociale résultant (…) de
déficiences motrices (…) d’incapacités motrices (limitations fonctionnelles touchant la
posture, le mouvement, la mobilité), de facteurs socio-environnementaux constituant des
obstacles à l’exercice des aptitudes et capacités motrices (comme l’absence de plan incliné ou
d’ascenseur par exemple)»64. Et « La démarche, fondée sur l'utilisation de la notion de
"situation handicapante", fabrique un individu autonome, ayant une vie privée – un espace
protégé et individuel –, et citoyen. (…) jusqu'où, à quel prix et comment ce sujet moderne
peut-il tenir ? La réalisation va montrer que d'une part ce sujet ne tient que s'il est attaché à
une série d'entités humaines et non-humaines, que s'il est équipé de nombreuses prothèses, et
d'autre part, que, même alors, il y a des moments où la personne existe sous des modalités
différentes. »65. Winance définit l’autonomie dans un contexte particulier, celui de la situation
de personnes atteintes de myopathie en France. Et elle aborde la notion d’autonomie « comme
capacité mentale, qui n'émerge qu'à partir d'une succession de petites actions concrètes et
banales (…) pour réaliser l'ensemble de ces actions concrètes, (la personne) recourt au
62
ADLER A. 1917, Study of organ inferiority ans its psychical compensation. Nervous and Mental Disease
Monograph,New York, cité par VILLE I. « Approche sychosociologique des déficiences… », Op. Cit.
63
MINAIRE P. 1983, « Le handicap en porte à faux. » Prospective et Santé(26) : 39- 46. Cité par WINANCE M.
Thèse et prothèse, Op. Cit.
64
DECLEY M. 2002, Notion de situation de handicap (moteur), Les classifications internationales des
handicaps, pp15-16 , Source : "DEFICIENCES MOTRICES ET SITUATIONS DE HANDICAPS" , ed. APF.
65
WINANCE M. Thèse et prothèse, Op. Cit.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
dispositif technique et humain mis en place : il délègue son action. Celle-ci passe par une
chaîne d'entités humaines et non-humaines. (…) Cependant, même s'il délègue la réalisation
de l'action, il est au début et à la fin de la chaîne d'actions. Il est autonome non pas dans la
mesure où il réalise l'action, mais où il enclenche et termine la chaîne d'actions qui
remplissent et font la vie quotidienne, car il faut savoir déléguer certaines actions. » Ainsi, en
étant au début et à la fin de la chaîne d'action, la décision de l'action, et même l'action en ellemême, lui est attribuée. L'autonomie comme capacité mentale résulte de la construction d'une
situation qui permet à la personne de faire et de faire faire. Être autonome, c'est « se prendre
en charge » tout en apprenant « à se décharger » sur d'autres entités. » L’auteur montre
ensuite comment le modèle de l’autonomie (se prendre en charge et se décharger) est une
situation vers laquelle tendent autant les personnes handicapées que les personnes valides.
« Dans leurs travaux, J. Law et I. Moser 66, ces deux auteurs postulent qu'il faut analyser de la
même manière l'action des personnes "handicapées" et celle des personnes "valides". Pour
montrer cela, ils comparent la manière dont le directeur d'une entreprise est rendu compétent
et la manière dont Liv, paraplégique, est rendue compétente. Dans les deux cas, le directeur
ou Liv, la capacité d'agir est une propriété émergente de l'interaction entre des entités
hétérogènes et spécifiques. L'in/capacité de Liv ou du directeur est fonction de ces spécificités
et du passage réalisé ou non entre ces spécificités. Cette approche de l'in/capacité leur permet
de tirer la conclusion suivante : nous sommes tous (valides et handicapés) plus ou moins
in/capables de manière spécifique. L'individu est rendu capable à travers un réseau
hétérogène. » Cette analyse nous permet de répondre partiellement à un questionnement sur la
notion d’invalidité. Nous verrons par la suite que celle-ci construit la notion de validité.
Le handicap : un objet ? Un champ ? Un domaine ? Un Symbole ?
Pour Sticker67 le handicap constitue un de ces « symbolisateurs nodeux (…) points privilégiés
d’un réseau symbolique où se trouvent rassemblées et nouées les significations les plus
valorisées par le groupe68 » A l’intersection du social et du vécu psychique il est facile de
reconnaître les ambivalences qui habitent chacun : le handicapé comme rejeté et fascinant,
comme trop semblable à la part de nous même que nous refusons d’accepter. Autrement dit,
66
LAW J. 1998, Political Philosophy and Disabled Specificities (unpublished paper), Department of Sociology
and Social Anthropology, Keel University, Keele, Staffs ST5 5BG, UK. Cité par WINANCE M. Thèse et
prothèse, Op. Cit
67
STICKER H-J. Corps infirmes et sociétés, Op. Cit.
PASSERON J-C. Le raisonnement sociologique, Paris, Nathan, 1992, cité par STICKER, Corps infirmes et
sociétés, Op. Cit.
68
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
sous le handicap il y a toujours un problème d’infirmité mobilisant du symbolique. Ainsi
Sticker aborde la question du handicap « à la croisée de l’image individuelle de soi et de
l’image collective du groupe, à la croisée des chemins entre le fantasme et la représentation
culturelle. »
Il existe également une théorie culturaliste du handicap. Sticker donne l’exemple du
mouvement culturaliste des sourds aux Etats Unies. L’analyse culturelle a joué à deux
niveaux : les représentations du handicap peuvent dépendre de facteurs liés à des données
religieuses, langagières et traditionnelles ; par ailleurs les personnes handicapées se
constituent en groupes culturels, avec leurs traits singuliers, à partir de conditions de vie,
d’une histoire. De même que le mouvement des femmes a engendré les women studies, sur la
base de la revendication d’une culture féminine, seule complètement compréhensible par les
femmes elles-mêmes, de même en va-t-il des personnes handicapées. Pour ce qui est des
sourds, leurs revendications sont les suivantes : ils sont parlants, ils ont une langue à part
entière, ils ont une façon de penser, de se situer69. À partir de là, on voit bien comment la
notion de handicap est rejetée. Au premier élément culturel certains ajoutent celui du
caractère naturel de la surdité. Le sourd est sourd comme certains sont noirs ou à la manière
d’être femme ou homme. Vouloir transformer cette condition serait aussi absurde que de
vouloir rendre un noir, blanc ou une femme, homme.
Certains chercheurs du modèle social ont tenté d’analyser la déficience comme un résultat du
fonctionnement de la société. Ils développent une interprétation matérialiste et néomarxiste de
l’invalidité. Pour eux, la déficience a pour origine le contexte socio-économique. Ils
établissent un lien entre certaines occupations professionnelles et l’apparition de certaines
maladies. Ainsi, l’invalidité n’est pas seulement le résultat d’attitudes sociales mais l’origine
des phénomènes matériels donne lieu à une idéologie et une exclusion des personnes
handicapées.
En dernier lieu, nous devons revenir ici au modèle des disability studies car nous n’avons pas
décrit un aspect essentiel de leur approche. En effet nous devons aborder la question du
vocabulaire. Pour désigner la personne handicapée, les chercheurs des disability studies
emploient le mot « disabled people ». Winance traduit « Disability » par « invalidité » et
« disabled people » par « personne invalidée ». Elle se justifie de deux manières. D’abord,
c’est une question de contexte, lors de la révision de la classification internationale du
handicap, la question du vocabulaire s’est posée puisque cette révision voulait intégrer un
modèle social. Les chercheurs ont finalement choisi de traduire « disablement » par
69
LANE H. 1991, Quand l’esprit entend. Histoire des sourds et muets, Odile Jacob, Paris, cité par STICKER
H-J. Corps… Op. Cit.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
« invalidation » (cette dénomination signifie que la société a une part de responsabilité dans le
handicap). Ensuite, dans un raisonnement d’ordre sémantique, le verbe « invalider » peut être
utilisé dans le sens de « rendre non valide » c’est-à-dire rendre non capable de remplir
certaines activités. Le mot « impairment » lui, renvoie à la déficience.
CONCLUSION
Un sociologue travaillant lui-même à l’élaboration des classifications internationales du
handicap décrivait la difficulté à répondre à la question de la contribution d’un outil
scientifique à l’élaboration d’une politique publique. Dans le cas des classifications, il
réfléchit sur deux binômes (classifications internationales/classifications nationales et
politiques d’action sociale/politiques de santé). Si l’élaboration des politiques publiques « en
faveur des personnes handicapées » est liée à l’élaboration de classification, l’auteur souligne
que la politique publique n’est pas mise en œuvre avant une consultation des citoyens « …les
débats sur la notion de participation dans la CIH-2, renvoient à des choix sociétaux et à des
valeurs inscrites dans un contexte historique. » Ce propos révèle une dimension de « débat
citoyen » ayant pour objectif d’aider à la réalisation des classifications, qui selon l’auteur ne
relèvent pas seulement des compétences de l’expert mais « la façon de pondérer, de
hiérarchiser des urgences, des catégories… relève toujours (…) de choix citoyens. »70 sans
préciser de quelle manière se traduit cette participation citoyenne, l’auteur en montre surtout
la nécessité. Nous avons montré les liens entre les modèles explicatifs et les évolutions
législatives. A présent nous allons tenter de comprendre de quelle manière se traduit ce lien
sur le terrain de l’action. Nous verrons si la dimension citoyenne et participative est présente
dans les propositions faites par les Nations unies à l’échelle internationale.
2) Handicap et insertion : l’état des réponses sur le terrain
De manière générale, l’insertion sociale a pour but d’amener l’individu à intérioriser les
différentes valeurs de la société dans laquelle il vit et chaque société possède ses propres
valeurs. On se demandait jusque-là si la situation de handicap permet de répondre à ces
normes et valeurs. Nous avons présenté l’insertion comme un processus qui présuppose un
70
JAEGER M. 2001, « Apports et limites de la CIH-1 et de la CIH-2 pour les politiques d’aide et de soins en
santé mentale », in Classification Internationale des handicaps et santé mentale, CTNERHI et GFEP.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
désaccord préalable entre un individu et la position sociale qu’il devrait avoir dans la société.
Pour M. Héraud71, l’insertion est subordonnée à trois facteurs :
-
Elle suppose l’épanouissement individuel par l’acquisition d’un minimum
d’autonomie,
-
Elle implique également l’aptitude à établir des relations humaines harmonieuses,
-
Enfin la coopération tient une place importante. Il s’agit de pouvoir collaborer
avec d’autres personnes pour résoudre des problèmes communs.
Dans ce chapitre, il s’agit de voir de quelle manière ces trois conditions sont l’objet ou non
d’une pratique de terrain. Jusque-là, nous avons concentré notre attention sur les analyses
sociologiques qui traitent la question du handicap en lien à celle de l’exclusion. Il s’agit à
présent de porter notre regard sur les politiques internationales qui traitent de la question du
handicap. Le sens de notre réflexion n’est pas dirigé vers la recherche d’une seule réponse.
Pour illustrer notre propos, nous passons de l’échelle internationale à l’échelle nationale. En
premier lieu avec une analyse de la manière dont les Nations unies présentent la
problématique du handicap à l’échelle internationale. Nous verrons comment le handicap est
profondément lié à la notion de développement. Nous évoquerons la notion de mondialisation
pour voir ensuite de quelles manières des organisations internationales agissent localement en
tenant compte des contextes locaux, des problématiques locales dans le domaine de la santé.
De cette manière, nous verrons comment ces organisations répondent à ces problématiques.
Ensuite, l’étude se localise au Burkina Faso, où nous allons tenter de dé-problématiser le
contexte en présentant une étude sur les représentations du handicap, de l’exclusion et de
l’insertion dans ce pays. En dernier lieu, nous allons éloigner à nouveau notre regard en nous
intéressant à des études anthropologiques sur les représentations du corps et de la maladie en
général.
2.1. Enable : les Nations unies et le handicap
Dans cette partie, il s’agit d’analyser la manière dont les Nations unies présentent la
problématique du handicap à l’échelle internationale
« Enable United nation : right and dignity for persons with disabilities »72. Nous voyons déjà
que le vocabulaire employé ici se distingue de celui qu’utilisent les disability studies pour
71
HERAUD M. 2005, Les représentations du handicap au Burkina Faso : processus de marginalisation et
d’intégration des personnes en situation de handicap, Handicap International, Ouagadougou.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
désigner les personnes handicapées. Ensuite, nous traduisons enable par le terme
capabilisation, to enable somebody to do something signifie « permettre à quelqu’un de faire
quelque chose », c’est le fait de rendre capable : de capabiliser. Nous devons signaler ici que
le terme « capabilité, capabilisation ou capabiliser » ne sont pas employés dans les traductions
françaises des rapports de l’ONU sur le handicap, on y emploie le terme de capacité.
Nous verrons que la notion d’incapacité (en français) est au centre des réflexions sur la mise
en oeuvre de politiques internationales en faveur des personnes handicapées. Nous verrons
également dans quel modèle s’inscrit le discours des Nations unies et nous tenterons d’en
comprendre les fondements. Ensuite il s’agit d’exposer l’approche des capabilités qui, dans sa
traduction française dans les rapports des Nations unies, semble être l’approche qui prévaut
dans les propositions de réponses à la problématique du handicap à l’échelle internationale.
Enfin nous verrons de manière critique comment le handicap se rapproche de la thématique
du développement.
2.1.1 La notion d’incapacité
La notion d’incapacité est toute relative : « chaque pays et chaque culture véhiculent une
certaine conception de l’incapacité qui doit être lue à la lumière de la situation qui prédomine
dans chaque pays »73. C’est en fonction des activités valorisées par la société que la situation
de handicap sera plus ou moins « handicapante ». « Ce sont les activités quotidiennes et
domestiques, ainsi que les rôles sociaux valorisés par le contexte socioculturel selon son âge,
son sexe et son identité sociale et personnelle. La notion d’habitudes de vie évite le recours à
celle de normalité et respecte celle de relativisme socioculturel. Les habitudes de vie diffèrent
selon les appartenances d’une personne, son identité et les diverses sociétés »74. Il faut
prendre en compte la matrice sociale dans laquelle vit la personne pour évaluer la présence et
le degré d’incapacité d’un individu.
Les notions de capacité et d’incapacité sont au centre du discours des Nations unies dans leurs
démarches d’aide aux personnes handicapées. Quels sont les termes choisis pour aborder le
handicap à l’échelle internationale ? Qu’implique la classification internationale de l’OMS et
la notion d’incapacité ? Nous verrons qu’elle est définie en rapport à une norme de capacité et
permet d’articuler le champ médical.
72
C’est l’expression utilisée pour désigner le site internet des Nations unies consacré au handicap :
http://www.un.org/esa/socdev/enable/rights/a_ac265_2003_2f.htm
73
STICKER, cité par MELEY M-F. 2004, Paroles et silences autour des séquelles d’injections au Burkina
Faso. Système médical et handicap, Mémoire de DEA, Université Aix-Marseille III.
74
FOUGEYROLLAS et BLOUIN, 1989, cité par MELEY M-F, Paroles et silences… Op. Cit..
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
Les Nations unies ont dû définir qui est handicapé : « les handicaps comprennent des
déficiences physiques, mentales ou sensorielles telles que la cécité, la surdité, une immobilité
restreinte ou un déficit intellectuel ou constitutif. Certaines personnes sont atteintes de
plusieurs formes de handicap et un grand nombre d’individu, sinon la plupart d’entre eux
seront touchés à un moment ou à un autre d’un handicap dû à une blessure physique, à la
maladie ou au vieillissement. Les négociations continuent autour de la définition de la
personne handicapée qui figurera dans la convention. Un consensus est en train de s’établir
qui veut que le terme « incapacité » s’applique à tout déficit physique, mental ou sensoriel qui
limite la capacité d’accomplir des tâches quotidiennes et qui est causé ou aggravé par des
conditions sociales ou environnementales. »75 Selon l’échelle de Wood, (CIDIH), l’incapacité
est définie par rapport à la normalité : « L’incapacité correspond à toute réduction (résultant
d’une déficience) partielle ou totale de la capacité d’accomplir une activité d’une façon ou
dans des limites considérées comme normales pour un être humain »76. Pour le sociologue,
« Le concept d’incapacité permet toutefois d’articuler le champ médical (intervention des
disciplines médicales agissant au niveau de la pathologie et des déficiences) au champ social
(ensemble des dispositifs sociaux visant à réduire les handicaps)». Mais nous voyons
qu’encore une fois ce concept est défini par référence à une normalité qui est, elle, difficile à
définir77.
« En ce nouveau siècle, il importe, surtout au stade de la formulation des politiques, de tenir
compte encore davantage des incapacités dans les activités de développement, en mettant
l'accent sur le «nouvel univers des incapacités» et sur l'intégration sociale dans les politiques,
sur la prise en compte de l'incapacité dans tous les aspects de la vie quotidienne et sur
l'égalisation des chances pour permettre aux handicapés de participer à la vie sociale et au
développement. »78 Dans cette formulation, il y a plusieurs affirmations : l’intégration et
l’égalité permettent la participation et les incapacités ne sont pas prises en compte dans les
activités de développement ; enfin les handicapés ne participent pas à la vie sociale et au
développement, ils n’ont pas les mêmes chances et ils ne sont pas intégrés dans les politiques.
Nous pourrions continuer cette lecture, mais nous soulignons déjà l’ambiguïté de cette
formulation, qui fait référence à des notions comme la participation, l’égalité des chances,
l’intégration, sans pour autant prendre la précaution de définir ce qui est entendu par là, sans
75
Cette
citation
est
extraite
du
cite
des
Nations
unies
consacré
au
handicap :
http://www.un.org/french/disabilities/convention/faq.shtml#qui
76
RAVAUD J.F. DIDIER J-P. et al, De la déficience à la réinsertion, Recherche sur le handicap et les
personnes handicapées. Op. Cit.
77
Sur cette question, se reporter au Chapitre I, paragraphe 1, sous partie b.
78
Consulter
le
site
de
Nations
unies
à
l’adresse
URL :
http://www.un.org/esa/socdev/enable/rights/a_ac265_2003_2f.htm
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
définir au préalable ce que signifient ces notions. Ceci peut s’expliquer dans la suite du texte
qui n’a pas pour objectif de définir ces notions mais plutôt de définir des stratégies pour
atteindre les objectifs d’égalité des chances, de participation et d’intégration. Nous verrons
que, d’une certaine manière, les propositions d’orientation qui sont faites dans ce texte
contribuent à une définition. Bien sûr la question qui se pose est de savoir si ce sont les
démarches qui permettent d’atteindre un objectif, qui fabriquent du sens, ou bien si c’est la
définition précise de l’objectif à atteindre qui permet de comprendre la démarche et le sens
qu’elle prendra.
L’incapacité est définie de manière négative dans le texte des Nations unies : elle n’est pas un
état nécessitant un traitement et, selon l’auteur, cette conception négative évite d’aboutir à
des politiques d'exclusion et d'institutionnalisation.
Nous allons maintenant interpréter la démarche qui est mise en œuvre dans le texte.
Ce texte propose d’élaborer un « instrument international global et intégré » qui vise à
promouvoir et protéger les droits des personnes handicapées et surtout à faciliter la
formulation de politiques dans le contexte du développement. Mais, plus loin, on s’aperçoit
que les politiques d’amélioration de la condition des personnes handicapées se font « dans
l’optique du développement » ce qui signifie que l’objectif global est d’atteindre « le
développement ».
Pour cela, la mise en place d’un Programme d’action est prévue pour que les incapacités
soient prises en compte dans le développement et cela « par opposition aux approches
antérieures qui qualifiaient de «vulnérables» les personnes handicapées et présentaient
l'incapacité comme un problème relevant des soins médicaux et de services de réadaptation et
de protection sociale. » Cette nouvelle démarche est axée sur les handicapés en tant qu'agents
et bénéficiaires du développement des sociétés dans lesquelles ils vivent. Pour la promotion
des droits et la participation des personnes handicapées, le Programme d’action se propose de
faciliter la création d’organisations de personnes handicapées « avec lesquelles on
s'emploierait à établir des contacts directs et auxquelles on fournirait des moyens d'influer sur
les politiques et décisions gouvernementales qui les concernent ». Nous voyons donc qu’il
s’agit d’une « démarche citoyenne » où l’implication des personnes handicapées dans la
défense de leurs intérêts (à l’échelle politique) serait centrale. Il est précisé que les démarches
soucieuses du respect des droits de l’homme sont axées sur les droits auxquels toutes les
personnes, qu’elles soient handicapées ou non, peuvent prétendre. Sur cette question, l’auteur
se réfère non seulement à Sticker et Ravaud mais aussi à un ouvrage sur les disability studies.
La définition du mot handicap qui a été choisie pour le programme d’action est «Le handicap
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
est donc fonction des rapports des personnes handicapées avec leur environnement. Il surgit
lorsque ces personnes rencontrent des obstacles culturels, matériels ou sociaux qui les
empêchent d'accéder aux divers systèmes de la société qui sont à la portée de leurs
concitoyens. Le handicap réside donc dans la perte ou la limitation des possibilités de
participer sur un pied d'égalité, avec les autres individus, à la vie de la communauté». Cette
définition diffère grandement des modèles individuels (curatif, celui de la classification
internationale ou celui de la réadaptation), elle s’apparente plutôt au modèle social : celui de
l’accessibilité. Dans le texte l’accessibilité est un élément d’égalisation des chances, elle n’est
ni un état ni une action mais une liberté. Cette démarche « exige que les personnes
handicapées prennent pleinement et effectivement part aux décisions, qu'il s'agisse de la
formulation des politiques ou de l'élaboration des programmes, et à la prise de décisions
relatives au développement, qu'elles contribuent aux efforts de développement et qu'elles
profitent, sur un pied d'égalité, des fruits de ce développement ». Du côté des politiques et des
aspects institutionnels et structurels, l’accent est mis sur l’égalisation des chances et l’action
menée en matière d’invalidité et de réadaptation s’inscrit dans une activité de développement
institutionnel et de renforcement des capacités, « la notion de ressources a dépassé le cadre
financier pour inclure le personnel national et les technologies appropriées ». Ainsi il s’agit de
faciliter l’expansion des programmes de coopération internationale (multi et bilatéraux). Dans
les instruments qu’elle proposent les Nations unies ont élaboré un ensemble de règles et
« Bien que les Règles ne soient pas un instrument juridiquement contraignant, elles
représentent l'engagement moral et politique ferme des gouvernements de prendre des
mesures pour instaurer l'égalisation des chances pour les handicapés. » Elles formulent des
directives pratiques dans plusieurs domaines. Par exemple le mécanisme de suivi est destiné à
assurer l’application effective des règles pour aider les Etats à évaluer le degré de leur
application dans le pays, pour mesurer les progrès réalisés. Le suivi serait réalisé par un
« rapporteur spécial »,
mais le document ne nous informe pas plus sur les modalités de
mesure des progrès ou des freins. D’autres instruments internationaux sont mobilisés sur la
question du handicap. En 1983, l’Organisation Internationale du Travail a adopté une
convention concernant la réadaptation professionnelle (elle a été ratifiée par 68 Etats
membres). En 94, l’Organisation des Nations unies pour l’Education, la Science et la Culture
(UNESCO) proclame que l’éducation est un droit de chaque enfant, et que les personnes
ayant des besoins éducatifs spéciaux doivent pouvoir accéder aux écoles ordinaires ayant une
orientation intégratrice.
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Un chapitre spécifique est consacré aux mesures de suivi et d’évaluation de la situation des
personnes handicapées. Il y est souligné le fait que ces mesures ont une tendance à n’évaluer
que les conditions relatives aux incapacités des personnes aux niveaux de l’individu. En 1982,
l’Organisation Mondiale de la Santé mettait en priorité les procédures de classement des
conséquences des maladies. Il est dit dans ce rapport que « Certains ont critiqué la CIH,
l'estimant trop axée sur une conception médicale de l'incapacité; de nombreux défenseurs de
la cause des handicapés ont noté que la notion de handicap renvoyait aux facteurs sociaux qui
désavantageaient certaines personnes dans toutes sortes de circonstances. » Les questions
concernant le recueil de données, statistiques relatives aux incapacités sont centrales dans
l’approche des Nations unies. Les résultats des enquêtes statistiques leur permettent non
seulement de justifier leurs propositions mais aussi d’en apporter de nouvelles. L’ONU a mis
en place une base de donnée statistique provenant des recensements des incapacités
(DISTAT). Cette base de donnée a permis de montrer que la mesure des facteurs
socioéconomiques est la même, qu'elle porte sur les personnes handicapées ou non et les
données de la base DISTAT concernant le niveau d'instruction montrent les effets
handicapants de l'incapacité chez les enfants, du fait de l'absence de possibilités de
scolarisation. L’ONU a publié un manuel d’indications pour produire et utiliser les données
en vue de la mise en œuvre de politiques en matière d’incapacité aux échelles nationales. A
l’échelle régionale, c’est en Asie que des commissions ont organisé la préparation d’une
stratégie à long terme de promotion des droits des personnes. En Asie et dans le Pacifique, la
Commission Economique et Sociale pour L’Asie et le Pacifique a décidé de faire de la
période 1993-2002 la décennie Asie-Pacifique pour les handicapés dont l'objectif est de
favoriser la pleine participation et l’égalité des personnes handicapées.
Finalement, le rapport définit trois priorités pour la poursuite de l'action en faveur de
l'égalisation des chances : l'accessibilité, les services sociaux et les filets de sécurité; l'emploi
et les moyens de subsistance durables.
2.1.2 Vulnérabilités et capabilités
Dans le propos qui suit, nous faisons référence à une littérature bien spécifique, celle qui
s’intéresse aux politiques de développement. Nous allons tenter d’analyser le discours autour
de la notion de vunérabilité pour tenter de l’appliquer à la question du handicap et des
politiques de lutte contre la vulnérabilité de cette population. En effet, ici nous parlons en
terme de populations, où les personnes handicapées seraient un groupe intégré soit dans la
population dénomée « vulnérable » soit dans celle des « pauvres ». Car nous le verrons, la
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
notion de pauvreté se distingue de celle de vulnérabilité. La notion de vulnérabilité renvoie à
« la probabilité qu’une personne voie sa situation ou ses conditions de vie se dégager ou
s’enfoncer, quelque soit le niveau de sa richesse, face aux fluctuations de la vie »79. Ce
qu’entend Rousseau par capabilité est directement lié à la notion de vulnérabilité car face à
une situation, il s’agirait d’identifier la menace et le risque encouru par les personnes
vulnérables mais aussi la « capacité de réaction » de la personne face aux changements :
l’auteur parle de résistance aux changements. Dans son « approche des capabilités » Rousseau
emploie des termes de l’économie et, sans pour autant définir ce qu’elle entend par là (sans
doute
s’adresse t-elle à des spécialistes), elle distingue trois ensembles pouvant être
vulnérables : les ménages, les individus ou les communautés. Chacun pouvant être vulnérable
« s’il n’a pas la capacité de réaliser les ajustements nécessaires pour protéger son bien-être
lorsqu’il est exposé à des évènements externes défavorables ». La notion de bien-être est
décrite comme un « accomplissement » où l’individu mange suffisament, est en bonne santé,
est heureux, reste digne à ses propres yeux, prend part à la vie de la communauté. L’auteur va
rapprocher le bien être d’une personne à la « qualité de son existence ». S. Rousseau
commence par une volonté d’éclaircir les définitions que donnait Sen80 de la notion capabiltié.
Pour cela, elle décrit les différentes « potentialités » d’un individu comme étant des dotations
en capital. Les individus peuvent disposer d’un capital financier qui est l’ensemble des
ressources destinées à faciliter les dépenses de nourriture, d’éducation, de santé, de logement
et qui donc permet d’améliorer les conditions de vie de ces individus (il permet également de
faire face à des imprévus). Le capital physique est l’ensemble des stock détenus par les
individus (outils, équipement, bétail mais aussi logement, et même vêtements). Le capital
humain est un stock de ressources personnelles (par exemple « un enfant naît avec un stock de
capital humain qui lui vient de ses parents (…) si la mère a eu une bonne hygiène de vie et
une bonne alimentation pendant la grossesse, alors l’enfant aura de meilleures chances d’être
en bonne santé et plus résistant aux maladies »). Enfin l’auteur définit le capital social à la
manière du sociologue Coleman81 comme étant une ressource issue des interactions avec
d’autres individus (solidarité familliale…). L’auteur souligne que la disparition d’un capital
social peut s’avérer être une cause de vulnérabilité et d’appauvrissement : « le capital social
peut être assimilé à une assurance informelle permettant de se prémunir contre le risque. C’est
79
ROUSSEAU S. 2003, « Capabilités, risques et vulnérabilité » in Pauvreté et développement durable,
DUBOIS J-L. (dir.), Presse universitaire de Bordeaux.
80
SEN A. 1985, Commodities and Capabilities, Amsterdam, North-Holland, in Nussbaum, Cité par
ROUSSEAU S. in Capabilités… Op. Cit.
81
COLEMAN J. 1988, Social Capital in the Creation of Human Capital, American Journal of Sociologie,
N°94, Cité par ROUSSEAU, in Capabilités… Op. Cit.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
une épargne de précaution ». Après avoir défini les potentialités des individus, Rousseau
propose un approche qui a pour objectif « de réduire la vulnérabilité, d’une part en diminuant
les risques encourus par les ménages et d’autre part en augmentant leurs capabilités ». Pour
cela, elle distingue plusieurs formes de risques. La fréquence des risque en est une (celle ci
peut être plus ou moins élevée). Il y a également l’intensité des risques (forte ou faible). Enfin
les risques auto-corrélés sont ceux qui agissent comme un cercle vicieux (par exemple lors
d’une catastrophe naturelle où les récoltes sont ravagées, cela se traduit par une famine et la
malnutrition diminue la résistance aux maladies). Pour mieux comprendre la vulnérabilité et
la « combattre », l’auteur détermine les principaux risques encourus par les « ménages des
pays en développement ». Il y a, en premier lieu, les risques sur la santé où les conséquences
des maladies sont beaucoup plus dures sur les pauvres que sur les riches, le cercle est vicieux
dans la mesure où, par exemple, les pauvres ont un accès plus limité aux services de santé.
Autre exemple que cite l’auteur : la consommation alimentaire des pauvres est limitée donc ils
deviennent moins productifs, donc ils sont pénalisés sur le marché du travail. En second lieu il
y a les risques associés à l’âge (selon l’auteur, les personnes agées sont plus enclines aux
maladies, aux baisses de productivité, à l’exclusion sociale). Ensuite il y a les risques
agricoles (incertitudes climatiques… et « tous les fermiers n’ont pas le même accès aux
technologies agricoles pour faire face aux risques »). Enfin il y a les risques sur le marché du
travail lié au secteur informel (non-contractualisé) et encore une fois, l’auteur dessine un
cercle vicieux où les ménages les plus pauvres, en voulant réduire leur vulnérabilité font
travailler leurs enfants mais en même temps ils limitent leur capital humain.
Alors, ce que propose l’auteur pour lutter contre ces cercle vicieux est de trouver des
stratégies de lutte contre la vulnérabilité qui permettent de se protéger contre les risques et
d’acquérir des capabilités, ceci grâce à la mise en place de politiques de lutte contre la
pauvreté en s’attaquant à la vulnérabilité. Ainsi le concept vulnérabilité devient « un moyen
de lutte préventive contre la pauvreté (…) c’est donner à la population vulnérable les moyens
de devenir les artisans de leur propre bien-être plutôt que de rester les éternels bénéficiaires de
la charité ou de l’aide. C’est en cela que réside le véritable progrès et qu’on aboutit à un
développement humain durable ».
Nous voyons que cette approche nous permettrait d’intégrer la dimension « situationnelle » de
chaque personne handicapée à notre approche. Cependant si les situations diffèrent, nous
voyons que l’approche des capabilités n’intègre aucun questionnement critique quant aux
critères qui fondent cette démarche. À aucun moment, dans les textes que nous avons lus, ne
sont interrogées les notions de bien-être, de qualité d’existence, de qualité de vie, de
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
bonheur… Les critères sont présupposés : bonne santé, réseau social, emploi… sans définir ce
que peuvent impliquer de telles notions. Nous l’avons vu, dans son texte Rousseau décrit la
notion de bien-être comme un « accomplissement » où l’individu mange suffisamment, est en
bonne santé, est heureux, reste digne à ses propres yeux, prend part à la vie de la
communauté. Ce sont les mots de l’auteur et nous avons du mal à comprendre une approche
qui partirait de notions aussi floues que le bonheur. Se sont des notions qui sont certe,
définissables subjectivement, individuellement mais selon des critères qualitatifs qui seraient
difficilement définissables de l’extérieur. Que signifie être heureux, ou être en bonne santé ?
A l’inverse que signifie être malheureux et en mauvaise santé ? Ces catégories sont elles
interdépendantes ? « la mesure de la qualité de vie peut servir de nombreux objectifs dont
chacun peut nécessiter des méthodes et des outils appropriés »82. Nous voyons que la méthode
et les outils que propose Rousseau constituent une approche de la pauvreté à l’échelle
universelle, ses concepts ainsi que son approche sont censés s’appliquer à « des pays en
développement » et c’est bien ce qui nous pose problème. L’on se demande sur quelle base se
fonde sa démarche, ce qui la légitime, sur quelle base pourrait on généraliser cette démarche ?
Sur quelle expérience effective ? La première chose à faire serait donc sans doute de
reprendre tous les concepts (bien-être, capacité, pauvreté, vulnérabilité) pour savoir si ce sont
des catégories qui existent dans les lieux où l’approche serait appliquée, sinon que faire ?
Que faire si le bien être d’une personne (sa propre idée du bien-être) n’est pas dans le fait
d’être en bonne santé ? Si cette personne se considère comme étant en bonne santé et
qu’extérieurement les critères de bonne santé de Rousseau ou d’un système extérieure ne
correspondent pas aux critères de la personne elle même ? Ici nous nous situons dans une
impasse, d’où seule une autre démarche permettrait de sortir.
2.1.3 Handicap et développement
Nous avons évoqué l’histoire de la notion de handicap, nous avons montré les évolutions du
traitement juridique de cette question. Certains auteurs montrent que l’après-guerre (seconde
guerre mondiale) marque un tournant dans l’élaboration de politiques sur la question du
handicap en France. Parmi les analyses historiques de ces changements, on trouve des
interprétations qui mettent en avant l’idée que l’intégration des personnes handicapées par le
travail défendait des intérêts économiques à l’échelle nationale. Pour Demonet, la notion de
handicap est le produit d’une organisation sociale dépendant étroitement de ses constructions
82
TERRA J-L. « Qualité de vie et handicap », in RAVAUD J-F. DIDIER J-P. et al, De la déficience à la
réinsertion, Recherche sur le handicap et les personnes handicapées. Op. Cit.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
matérielles et de son développement. A propos de la loi de 1975 il écrit « la bonne volonté des
dirigeants n’est pas en cause, mais ils participent tous d’un même esprit économiste,
managérial, fondé sur l’efficacité, qui poussé à l’extrême, annule les effets porteurs de la loi
sur le handicap et disqualifie ce qu’on appelle la maladie mentale. »83 Sticker analyse les
motifs de la loi de 1975 (loi d’orientation en faveur des personnes handicapées) dont il cite un
extrait : « le 6ième plan de développement économique et social a souligné que l’orientation
générale de l’action en faveur des handicapés devrait être de leur assurer dans toute la mesure
du possible, l’usage de leur autonomie »84. Il fait remarquer que toutes les démarches
énumérées (prévention, travail, ressources) proviennent d’un plan de développement
économique et social. Ainsi « La question des personnes handicapées est exigée par et donc
dépendante de ce développement (…) On surprend, à fleur de texte, la justesse de l’analyse
précédente sur le fait que le soulagement des personnes est soumis au bien être et aux
possibilités de la société »85 puisque l’on agit « dans toute la mesure du possible ».
Les discours économiques sont aussi présents dans les arguments qui légitiment le « système
de pensée » des Nations unies. Ici nous nous permettons de mettre en avant un propos qui
nous a marqué, mais en aucun cas nous ne pouvons qualifier ce propos comme étant
représentatif du discours des Nations unies dans la mesure où il est ici décontextualisé. Dans
un document récent de l’ONU, on peut lire : « Sauf à intégrer les personnes handicapées dans
le développement, il sera impossible de réduire de moitié la pauvreté d’ici à 2015 comme
convenu par les chefs d’État et de gouvernement lors du Sommet du Millénaire, en septembre
2000. »86
« Dans la perspective du développement humain, le PNUD a introduit la notion de capacité.
De ce point de vue, l’accent est mis sur les potentialités qu’un individu est en mesure ou non
de réaliser, en fonction des opportunités dont il dispose »87.
M. Héraud88 explique que, dans les pays comme le Burkina Faso, c’est l’activité qui va
permettre de régler la question, ce qui est conforme à l’argumentaire des Nations unies sauf
que M.Héraud justifie son propos à une échelle locale : « Les attitudes des populations sont à
comprendre tout autant en fonction de cette représentation du handicap que de l’objectivité
d’une déficience organique, dans cette société où le superflu n’a pas de place, où finalement
le handicap est un luxe. Chacun doit occuper une fonction bien précise, les ressources sont
83
DEMONET R. MOREAU de BELLAING L. Déconstruire le handicap, Citoyenneté et folie. Op. Cit.
STICKER H-J. Corps infirmes et sociétés. Op. Cit.
85
STICKER H-J. Corps infirmes et sociétés. Op. Cit.
86
Voir le lien sur le site des Nations unies : http://www.un.org/french/esa/social/disabled/
87
ROUSSEAU S. « Capabilités… ». Op. Cit.
88
HERAUD M. Représentations et handicap… Op. Cit.
84
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
trop limitées pour prendre en charge les personnes en situation de handicap. Il faut parfois
agir sur le contexte pour réintégrer cette normalité. La population doit être sensibilisé sur la
situation des personnes handicapées et redéfinir leurs capacités et incapacités en fonction des
différents handicaps. De là, la création d’activités génératrices de revenus peut être une voie
vers l’indépendance financière, l’affirmation de soi, mais aussi un moyen de prendre une
place active dans le tissu social, voire de rompre un fort sentiment d’inutilité. Le respect des
autres passe par la démonstration de leurs capacités à évoluer dans la société »89.
L’un des axes de l’ONU concernant le handicap est celui de l’application universelle des
Droits de l’Homme et l’égalisation des chances pour toute personne. « En reliant l'approche
d'application universelle et l'analyse des considérations d'économie politique de l'incapacité,
le rapport montrait que le développement durable exigeait une participation pleine et entière
de tous les protagonistes en tant qu'acteurs et que bénéficiaires ». Ainsi le développement
économique nécessite la participation des personnes handicapées. « Le rapport notait que les
mesures permettant de savoir si on avait donné aux personnes handicapées la capacité de
prendre elles-mêmes des décisions concernant leur vie, d'être maîtresses de l'utilisation de leur
temps, de planifier l'utilisation de leurs ressources économiques et d'en décider, et de se
préparer aux principaux changements de la vie correspondaient à la catégorie d'indicateurs qui
permettaient d'annoncer si les résultats escomptés étaient atteints. »90 Nous remarquons ici
plusieurs justifications à la participation : d’abord celle-ci est présentée comme une
participation au développement économique (qui favorise donc des intérêts économiques à
l’échelle nationale) mais aussi la participation est présentée comme un moyen d’atteindre
l’égalité des chances. Il y a également une formulation troublante dans cette citation, « donner
la capacité de prendre des décisions ». La capacité est ici définie comme le produit d’un don,
comme une acquisition qui a été faite de l’extérieur et non comme un processus où la
personne acquiert elle-même une capacité décisionnelle. Cela signifie que la capacité serait
« échangeable », qu’elle serait dépendante d’éléments supra-individuels. Le problème qui se
pose est en fait la question de la source du droit. Il apparaît que dans l’approche des Nations
unies ce sont des instances internationales (comme la Commission Universelle des Droits de
l’Homme) qui sont les sources du droit, qui « donnent droit » et l’on se demande où se situe la
notion de souveraineté du peuple, celle de démocratie. Et même si la formulation ci-dessus
insiste sur la prise de décision par les personnes handicapées elles-mêmes, cette démarche
suppose qu’au préalable des décisions aient été prises à propos de « ce qui est mieux de faire
89
HERAUD M. 2004, Paroles de femmes : handicap et santé de la reproduction. Cercles de Tombouctou, Diré
et Gourma Rharous, Mali, Handicap International, cité par HERAUD M. Représentations et handicap. Op. Cit.
90
Consulter
le
site
de
Nations
unies
à
l’adresse
url :
http://www.un.org/esa/socdev/enable/rights/a_ac265_2003_2f.htm
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
pour les personnes handicapées » et non, en définitive, de ce qu’elles ont à dire et à
revendiquer.
2.2 Handicap et contextes locaux
2.2.1 Diversité culturelle et mondialisation
Dans un article publié par l’Université d’Ottawa (Canada) dans une unité intitulée « Human
Rights Researche and Education Centre » Lucie Lamarche analyse la mondialisation
culturelle ainsi que les propositions du Programme des Nations unies pour le Développement
avec la notion de « liberté culturelle »91. Il s’agit ici d’une littérature spécifique, l’auteur de
cet article enseigne le droit de la personne et nous verrons qu’elle fait appel à des notions liées
à sa formation et au thème de son étude et nous verrons que cet article tient du discours
politique et pose des questions dans le domaine juridique.
Pour définir ce qu’elle entend par mondialisation culturelle elle expose la définition de
plusieurs auteurs et elle critique celle de Leclerc92 « Leclerc parle de mondialisation culturelle
comme état d’aboutissement d’une première phase de mondialisation économique. » Car
selon elle, il ne s’agit pas d’un aboutissement, ni d’un continuum mais d’un processus
permanent où toutes les facettes de la mondialisation sont reliées et entraînent des
conséquences sur la culture, l’identité et le lien social. Son étude porte donc sur les liens entre
la diversité culturelle et la mondialisation (économique, politique…), dans une analyse de la
mondialisation culturelle comme une source de conflits et d’exclusion (dans un dualisme
dominant/dominé). Elle observe les enjeux de la liberté culturelle comme garants de la
protection de la diversité culturelle. Nous devons signaler dés à présent que l’auteur se
positionne dans le débat : elle ne remet pas en question l’idée de promotion et de protection
de la diversité culturelle. Selon nous il y a une ambiguïté dans son discours, car elle met en
avant une dynamique propre au phénomène de la mondialisation mais elle en critique les
conséquences néfastes sans en valoriser les conséquences « positives ». Pour expliquer la
mondialisation culturelle, l’auteur évoque les notions de temps et d’espaces de la
mondialisation. « Le temps des traditions (plus lent) devient un temps culturel métissé (plus
rapide en raison de la pénétration accélérée des nouveaux signes et des symboles culturels) ».
En abordant le thème de l’identité, elle explique que dans les sociétés riches ce sont les
91
LAMATCHE L. Mondialisations et cultures, enfin de bonnes nouvelles,
http://www.cdp-hrc.uottawa.ca/eng/publication/index.php
92
LECLERC G. 2000, La mondialisation culturelle, les civilisations à l’épreuve, PUF, Paris, cité par
LAMARCHE.L, Mondialisation et culture… Op. Cit.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
membres de groupes dominants qui « se distinguent par leur capacité de construire et de
déconstruire des marqueurs identitaires, au gré de leurs préférences et de leurs
besoins ( ...) Au sein des sociétés les plus pauvres, la même information transmise à la même
vitesse, produira des résultats variés qui iront de la colère (de ne pas exister culturellement ou
encore d’être culturellement menacé), à la frustration (d’être avalé par une culture qui prône
une idéologie de marché accablante et appauvrissante) à l’intérêt (à l’heure de la
mondialisation des communications, certains nouveaux savoirs et pouvoirs deviennent
accessibles et compréhensibles). » Nous voyons déjà que le vocabulaire de la recherche sur le
thème de la mondialisation est assez flou : on se demande de qui elle parle. L’auteur ne
précise pas qui sont les pauvres, qui sont les dominants dans les sociétés riches. Elle le sousentend comme si c’était une évidence et nous avons du mal à comprendre quels sont les
processus qui mènent à définir ces deux groupes, on se demande également à quels critères et
méthodes elle se réfère pour définir ces différences. Elle répond à nos questionnements par
une théorie du conflit où « dans des espaces très localisés, ou totalement délocalisés,
s’opposent : la pluralité et l’unité, l’isolement et l’échange, les traditions particularistes et la
modernité universaliste, les religions et la science, ainsi que les réactions identitaires et les
nécessités de la communication et de l’échange ». Selon elle, la mondialisation reproduit des
rapports économiques entre les cultures dominantes et les cultures dominées au plan national
et
international
(respectivement
économie dominante et
économie dominée).
Et
l’identification d’une personne à une de ces cultures aura des conséquences sur l’exercice de
tous ses droits.
Elle ajoute que les corrections proposées pour corriger les effets préjudiciables de la
mondialisation « imposent à leurs victimes des étiquettes issues de catégories réductrices :
pauvres, vulnérables, etc …Ces nouvelles catégories identitaires, créées par les managers de
la mondialisation, s’ajoutent à des marqueurs identitaires plus classiques : origine ethnique,
langue, religion, race, etc ….» Il nous est difficile de réfuter ces propos car ils font référence à
des idées très généralisantes « tous les droits », « sur le plan international ».
Ensuite elle cite un extrait de la déclaration du millénaire des Nations unies où elle critique la
réification des identités culturelles qui y est faite et la dévalorisation de la lutte contre les
discriminations. Il est vrai que cette citation est troublante, nous nous devons de la retranscrire
ici : « les différences qui existent au sein des sociétés et entre les sociétés ne devraient pas être
redoutées ni réprimées, mais vénérées en tant que biens précieux de l’humanité ». L’auteur
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
93
explique que le rapport du PNUD sur le développement humain (2004)
a été précisément
produit dans le but d’éclaircir la question de la diversité culturelle. Pour l’auteur, cette
démarche s’est traduite par une transcription juridique de la notion de diversité culturelle qui
a donné lieu au thème de la liberté culturelle.
Lamarche tente d’analyser le discours du PNUD sur la liberté culturelle. Selon elle, la liberté
culturelle est importante pour évaluer les échecs et les succès dans les sphères sociales,
politiques et économiques du développement. Elle explique que le PNUD donne deux natures
à l’exclusion de la participation citoyenne : une exclusion de participation (discriminations et
inégalités de participation à la vie politique) et l’exclusion fondée sur le mode de vie
(négation de la diversité). C’est dans cette dernière forme d’exclusion que se trouve le
principe de liberté culturelle. Le PNUD souhaite établir un cadre juridique pour la
reconnaissance de cette diversité. « Les valeurs de justice et d’équité ainsi promues
dépendront à leur tour d’une mobilisation identitaire destinée à l’identification des zones
d’aménagement de la richesse collective (institutions publiques, écoles, hôpitaux, etc …) et
l’ampleur de ces zones sera fonction des capacités politiques de résoudre les conflits entre la
répartition des libertés et celle des privilèges destinés aux groupes les plus puissants dans une
société donnée (concurrence). » Cela signifie que la liberté culturelle va nécessiter des
mesures (politiques publiques) destinées à la «reconnaissance» des identités culturelles. Dans
une même perspective, L’UNESCO a adopté en octobre 2005 la Convention sur la protection
et la promotion de la diversité des expressions culturelles94, cette Convention propose la
diversité culturelle comme élément stratégique des politiques de développement. « La
Convention reconnaît la nature spécifique des activités, biens et services culturels en tant que
porteurs d’identité et engagent les États parties en vue du renforcement de la coopération afin
de promouvoir la diversité des expressions culturelles au sein des pays en voie de
développement. »
2.2.2 Contexte et politiques de santé en Afrique : l’exemple du Burkina
Faso
Santé et décentralisation
93
Programme des Nations unies pour le développement, PNUD, Rapport mondial sur le développement humain
2004,
La
liberté
culturelle
dans
un
monde
diversifié.
En
ligne
à:
http://hdr.undp.org/reports/global/2004/francais/
94
Disponible en ligne à : http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001429/142919f.pdf
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
Si la santé est aussi un domaine d’application de « la bonne gouvernance », les tentatives pour
que ce mode de développement soit fonctionnel sont passées par la « décentralisation » des
services publics. Que signifie ce terme ? Est ce une politique qui favorise l’initiative locale ou
s’appuie-t-elle sur un système d’Etat décentralisé ? Pour répondre à ces interrogations nous
montrerons comment la « décentralisation » s’est d’abord réalisée dans le domaine
administratif qui avait pour but d’étendre sur tout le territoire, une politique (de santé,
agricole, économique, d’éducation…) dont les représentants, les pouvoirs se situaient dans la
capitale.
Dans cette partie nous aborderons les transformations politiques récentes en lien avec la
réhabilitation du rôle de l’Etat entreprise par les organisations financières internationales vers
la fin des années 90. Il s’agit donc d’une question de gouvernance globale qui se traduit au
niveau local par des réformes de l’administration publique. Nous désignerons
par
décentralisation, l’ensemble des réformes mises en œuvre pour « relocaliser » le pouvoir
administratif de l’Etat sur son territoire. Au Burkina Faso c’est en juin 1993 que cinq textes
de loi redéfinirent l'organisation territoriale du pays, créant des collectivités territoriales
décentralisées au plan des provinces et des communes.
À l’échelle de la ville, les premières élections municipales se déroulèrent à Ouagadougou en
1995. Et la décentralisation s’est traduite par la redéfinition des limites administratives,
l’attribution de nouvelles compétences parallèlement à l’instauration d’un système électoral
représentatif, la modification de la structure des services publics municipaux et la
participation à l’édiction de nouvelles normes urbaines. Cette redéfinition des pouvoirs
conférés aux instances municipales locales a déjà eu pour effet d’entraîner une recomposition
des acteurs locaux. D’abord, nous pouvons analyser la traduction des politiques d’ajustement
structurel au sein de l’administration publique. Menées par le FMI, elles ont visé à
rééquilibrer les finances publiques (réduction des dépenses publiques tout en augmentant les
pressions fiscales). Marc Raffinot, montre les impacts de la question de la rémunération des
agents de recouvrement (les services de recouvrement ne doivent pas faire les frais de la
réduction des dépenses publiques).95 En résumé, il faut maintenir ou augmenter la
rémunération des agents chargés du recouvrement d’impôt pour éviter la corruption. En ce qui
concerne le Burkina Faso, le programme d’ajustement structurel (PAS) de 1991 (l’un des plus
tardif en Afrique subsaharienne) comprenait dès le début des conditions liées à une réforme
fiscale. Celle-ci prévoyait une réorganisation du ministère des finances, de manière à assurer
95
RAFFINOT M. 2001, « Motiver » et « chicoter » : l’économie politique de la pression fiscale en Afrique
subsaharienne, in Les fonctionnaires du sud entre deux eaux : sacrifiés ou protégés ?, Aube, IRD, Autrepart.
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53
GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
le contrôle et le suivi budgétaire. Un service spécialisé chargé du recouvrement des impôts
des grandes entreprises est créé en 1993 et plus tard, un nouveau système d’organisation de
recouvrement est institué. Mais le programme ne fait pas état d’un changement de
rémunération de toute la fonction publique et Raffinot met en évidence les risques
d’augmentation du niveau de la corruption si cette question n’est pas prise en compte. Pour
lui, l’indice de rémunération devrait se baser sur la « fonction d’effort » (par rapport au
nombre de contribuables c’est-à-dire au nombre de dossiers à traiter pour les services de
recouvrement). Or le processus d’ajustement structurel rend plus pénible le travail de collecte
des taxes car cela suppose que les agents doivent faire face à plus de contribuables donc plus
de dossiers. De plus, la réduction de gain ou de possibilité de gain par la corruption que les
réformes peuvent provoquer, accroît l’effort nécessaire pour atteindre un niveau de gain
donné pour les agents de recouvrement.
Raffinot conclut que les PAS ont exercé un effet dépressif sur la motivation des agents
chargés de la collecte et donc sur la pression fiscale alors même qu’un objectif premier des
politiques d’ajustement structurel était la croissance de celle-ci.
Enfin, l’auteur met l’accent sur une forte asymétrie d’information entre les dirigeants (le
gouvernement) et les agents de recouvrement des impôts et taxes. En effet, les personnes qui
prennent les décisions en matière de définition du système budgétaire savent difficilement
quel système fiscal est effectivement appliqué par le corps chargé de la collecte des impôts.
Cette zone d’opacité explique en partie la raison pour laquelle les réformes introduites par les
PAS n’ont pas réussi à produire une augmentation significative et durable du taux de pression
fiscale.
La difficulté du gouvernement à connaître le fonctionnement effectif du système
bureaucratique de l’administration publique est également celle des usagers des services
publics. Nous avons vu que les réformes d’ajustement structurel tentent de simplifier les
modes de recouvrement fiscal pour en faciliter l’accès aux contribuables, par ailleurs, il est
possible de s’interroger sur la facilité d’accès aux autres services publics pour les usagers.
Les administrations publiques jouent-elles le rôle d’intermédiaire entre les gens et les
institutions centrales du pouvoir ? Ne disposant pas de données suffisantes sur le Burkina,
nous réfléchirons sur cette question à partir d’une interprétation d’autres travaux sur cette
dimension de l’Etat local.
Nous voyons à travers cet exemple que la décentralisation s’est aussi traduite par un biais
auquel les ONG sont sensibles : celui d’une pratique accrue de « la petite corruption » ou
comme on vient de le voir « corruption nécessiteuse » puisqu’elle est le fait d’un
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
dysfonctionnement de l’appareil administratif. Ce biais s’est traduit par un recul de l’aide
budgétaire par les organisations internationales alors même qu’elles sont à l’origine des
pratiques préjudiciables (celles de la corruption).
En matière de santé, comment s’est traduite la décentralisation et les formes d’aide apportées
aux publics ?
Une étude de cas : la gouvernance dans le domaine de la santé
Cette étude a été réalisée dans un cadre particulier, celui d’un centre hospitalier régional qui
se situe dans une ville de province du Burkina Faso96. Nous nous devons de présenter
succinctement le fonctionnement de la santé publique du Burkina avant d’aborder les propos
de l’auteur. Dans le cadre de la décentralisation et de la « communalisation », le Burkina a été
divisé en une dizaine de « régions sanitaires », chacune étant reliée au ministère de la santé
par l’intermédiaire de la direction régionale de la santé. Celle ci gère le suivi des activités des
subdivisions par district eux-mêmes divisés en aires sanitaires. Cette conception aboutit à une
carte sanitaire où le niveau le plus local est celui des centres de santé et de promotion sociale.
Les centres hospitaliers régionaux ont une vocation d’aide médicale et se situent dans les
grandes villes de province.
L’auteur montre en premier lieux que la dimension économique ne peut être éloignée d’une
telle réflexion : les infrastructures sont très limitées (en termes de personnel et de matériel) et
cela en raison d’un manque de ressource. Et l’auteur analyse comment, dans ce contexte
difficile, les pratiques professionnelles de l’aide se traduisent. Elle présente les raisons qui ont
poussé les professionnels de la santé à exercer dans ce domaine et cette approche peut aider à
comprendre la relation d’aide par le côté de l’aidant. Elle s’appuie sur le discours de ces
derniers pour montrer que ces raisons sont souvent liées à l’ « accumulation de capital social »
des personnes qui travaillent dans ce domaine. Ainsi elle tente de relever les manières dont se
traduit cette accumulation dans les pratiques. Elle constate la préférence et la priorité accordée
aux « parents » (dans un sens large) dans l’attribution de soins mais aussi la pratique du « potde-vin » pour exercer la thérapie, bref toutes sortes de pratiques qui s’appuient sur une
reconnaissance de la profession. Ici, l’on peut se demander dans quelle mesure de telles
pratiques sont reconnues et de quelle manière les populations se laissent entraîner dans ces
réseaux d’interconnaissances qui permettent « d’être prioritaire » pour être soigné ?
96
OUATTARA F. «Gouvernances quotidiennes au cœur des structures de santé. Les cas d’Orodara et de
Banfora, Burkina Faso», Le bulletin de l'APAD, n° 23-24, La gouvernance au quotidien en Afrique , [En ligne],
mis en ligne le : 15 décembre 2006. URL : http://apad.revues.org/document145.html. Consulté le 22 août 2007.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
Se pose alors la même question que celle posée par les développeurs : comment considérer et
utiliser les réseaux d’interconnaissance pour permettre une appropriation des questions de
développement sans générer ou amplifier une appropriation (privative) des moyens de cette
aide ? La « solidarité mécanique » africaine est-elle un stéréotype ou une réalité ? Dans les
deux cas, doit-on exagérer ces dimensions ?
2.3. Représentations culturelles et handicap
2.3.1 Le stigmate et la question de l’exclusion au Burkina Faso
Ici nous présentons une analyse des représentations de l’exclusion au Burkina Faso. Dans une
étude sur les représentations sociales du handicap au Burkina Faso, M.Héraud97 montre
comment les notions d’exclusion et d’insertion peuvent s’appliquer au contexte du Burkina.
Dans les propos qui suivent, nous ne parlerons que du cas du Burkina Faso et principalement
de personnes handicapées physiques.
L’auteur montre que lorsqu’on parle d’exclusion au Burkina Faso, on évoque le banissement
de la communauté. L’exclusion est physique et la personne quitte la communauté, cette
sanction est appliquée dans des cas précis de transgressions de règles sociales strictes. Elle
cite les raisons qui peuvent pousser à exclure un individu de la communauté98 à savoir :
l’inceste, le meurtre, la sorcellerie et le vol avec récidive. L’accusation en sorcellerie concerne
principalement des femmes qui « mangent des enfants », elles perturbent la reproduction du
groupe en s’attaquant aux enfants. Pour ce qui est de l’inceste, pour un homme, il concerne
les relations sexuelles avec une femme de la famille (une femme du père ou du frère). Ce qui
est condamnable pour la société c’est que l’auteur de l’inceste exprime par cet acte son désir
de voir son frère ou son père mort. Et selon D. Bonnet99, la condamnation de l’inceste met
essentiellement l’accent sur le refus de se plier à cet ordre temporel des générations, plus que
sur l’interdit sexuel proprement dit. Lors d’un banissement, la personne est exclue
physiquement et cette exclusion est considérée comme la pire souffrance, elle est interprétée
comme une mort sociale étant donné que « la force vitale de l’individu est en relation
constante avec celle des ancêtres et des membres du groupe, aussi le plus grand des malheurs
consiste à être retranché des membres du groupe, sans protection, voué au néant »100. Et pour
M. Héraud le handicap n’est pas traditionnellement une cause d’exclusion au sens de
97
HERAUD M. Représentations et handicap…, Op. Cit.
Ici, elle précise de quelle communauté il s’agit.
99
BONNET D. 1988, Corps biologique, corps social, Editions de l’ORSTOM, Paris, cité par HERAUD M.
Représentation et handicap. Op. Cit.
100
HERAUD M. Représentation et handicap. Op. Cit.
98
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
bannissement. Elle note que les personnes handicapées sont présentes physiquement dans la
communauté, qu’elles ne sont pas exclues au sens propre. Cependant, l’auteur montre qu’elles
peuvent être écartées de certaines activités de la vie communautaire. Elle cite l’exemple d’une
exclusion symbolique qui a été mise en avant lors de son enquête : celle du droit de parole ou
de sa dévalorisation. Elle montre également que les personnes handicapées se sentent exclues
de certains évènements qui rassemblent la communauté (mariages, baptêmes, funérailles).
L’auteur remarque que cette situation n’est pas généralisable à l’ensemble des personnes
handicapées, il semble que le sentiment d’exclusion est surtout lié à un sentiment d’inutilité
qui est plus marqué en milieu rural, alors qu’en milieu urbain, le contexte semble plus propice
à l’accès des personnes handicapées à une activité. M.Héraud explique cette différence par le
fait que les activités en milieu rural sont peu diversifiées et, à part les travaux champêtres ou
pastoraux, auxquelles les personnes handicapées ne peuvent souvent pas participer, il existe
peu d’alternatives pour ces personnes. Le problème de l’activité est un problème familial car
la personne handicapée ne peut subvenir à ses besoins, il devient donc dépendant de sa
famille. M. Héraud insiste sur le fait qu’en milieu rural l’intégrité physique est
particulièrement valorisée dans la mesure où le corps est l’instrument de travail (pour
cultiver). Et « Le problème est bien là : à cause d’un handicap ou d’un désavantage, l’individu
ne parvient pas ou plus tout à fait à tenir son rôle social considéré comme « normal » »101.
Dans un deuxième temps, M.Héraud présente les difficultés d’accès au mariage comme une
forme de marginalisation. Elle explique que l’insertion d’une femme dans la société passe par
le mariage, où son mari pourra subvenir à ses besoins. L’auteur présente le mariage plus
comme une nécessité de complémentarité dans les tâches quotidiennes que comme une union
élective. Ainsi les difficultés d’une femme handicapée à accomplir des activités domestiques
physiques (comme piler, chercher l’eau, du bois, aller au marché, semer en milieu rural)
« dissuadent la plupart des hommes ». Du côté des hommes, sans activité rémunératrice, un
homme ne peut accéder au mariage. Pour M.Héraud, « l’argent est à la base des unions » et un
homme ou une femme handicapés peuvent compenser leurs handicaps s’ils disposent de
moyens financiers. Cependant l’auteur souligne qu’en milieu rural, les conditions
économiques sont telles, que les personnes en situation de handicap ne peuvent compenser
leur handicap par une bonne situation financière. Une dernière remarque semble différencier
les conditions du mariage d’une femme handicapée de celles d’un homme handicapé : «une
femme handicapée sera passivement épousée » par une compensation financière alors qu’un
101
SIEGRIST D. 2000, Oser être femme. Handicaps et identité, Editions Desclée de Brouwer, Paris, cité par
HERAUD M. Représentations et handicap… Op. Cit.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
homme handicapé peut avoir l’épouse qu’il aurait eu sans handicap s’il dispose de moyen
financier. Ainsi il réduit son handicap social à travers l’alliance.
M. Héraud présente la mendicité comme une réduction dans la mesure où c’est l’une des seule
source de revenu possible pour les personnes handicapées. Encore une fois, elle insiste sur les
difficultés d’accès à une activité en milieu rural, mais elle montre qu’étant donné les rapports
stricts de parenté dans lesquels s’inscrit la personne handicapée, celle-ci s’humilierait en
mendiant (dans les petites sociétés d’interconnaissance, le regard porté sur la mendicité est
porteur de « honte »102.) Du fait de son anonymat en milieu urbain, la personne handicapée
peut utiliser son handicap pour mendier. Mais en définitive, même en ville M.Héraud qualifie
la mendicité comme une activité socialement peu valorisante au Burkina Faso (même si celleci est mieux acceptée par la société lorsqu’il s’agit d’une personne handicapée, étant donné
qu’une personne valide, par exemple les enfants mendiants, seraient capables de travailler).
Pour ce qui est de la prise en charge des personnes handicapées au Burkina Faso, l’auteur se
réfère au propos de V. Hertrich pour qui « la réalisation des activités de production dans le
cadre d’une collectivité élargie apparaissait comme la solution la plus sûre pour assurer la
sécurité alimentaire dans des conditions écologiques et sanitaires aléatoires : la disponibilité
d’une main d’œuvre nombreuse, dirigée avec fermeté, permet de faire face aux contraintes
climatiques en réalisant les travaux de culture au moment opportun et dans les meilleurs
délais, de compenser l’immobilisation de producteurs due à la maladie, et finalement
d’obtenir un équilibre satisfaisant entre l’effectif des actifs et celui des inactifs »103. Elle cite
également P. Ouedraogo104 pour justifier qu’avant, la personne handicapée était prise en
charge par la société et avait sa part d’activités au sein de la famille. Par exemple, la société
Mossi prévoyait une place pour les invalides (vieux et personnes handicapées) et la
responsabilité des parents était allégée. M. Héraud parle même de « surprotection » étant
donné que les handicapés, tout comme les jumeaux, étaient censés détenir des pouvoirs
surnaturels. Cependant l’auteur note que cela n’excluait pas un sentiment de rejet car d’un
autre côté, les personnes abandonnées ou rejetées étaient celles que l’on accusait de détenir
des pouvoirs maléfiques ou d’être des « mangeurs d’âme ». Ici nous retrouvons la notion de
double contrainte soulignée par Abric et Sticker. « La représentation sociale du handicap et de
certaines maladies est ambivalente. On les tiens pour sacrés dans certains contextes –la
102 JAFFRE Y. 1993, « Etre aveugle », la cécité entre une définition épidémiologique et sociale », in Bulletin de
la société de pathologie exotique, n° 86, cité par HERAUD M. Représentations et handicap… Op. Cit.
103
HERTRICH V. 1996, Permanences et changements de l’Afrique rurale. Dynamiques familiales chez les Bwa
du Mali, Paris, Les Etudes du CEPED, n° 14, cité par HERAUD M. Représentations et handicap… Op. Cit.
104
OUEDRAOGO P. 1983, Contribution à l’intégration socio-économique des jeunes handicapés physiques :
l’exemple de Ouagadougou (Haute-Volta), Mémoire pour l’obtention du diplôme de Conseiller Principal de
Jeunesse et d’Animation, Yaoundé, cité par HERAUD M. Représentationset handicap. Op. Cit.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
sagesse de l’aveugle, le mal sacré de l’épileptique, etc- et pour profanes voire nocifs, dans
d’autres circonstances. Le changement, surtout la nouveauté de notre culture a été
d’abandonner cette ambivalence, voire de la juger suspecte. »105 Sticker, lui parle de double
impératif contradictoire « On désire une chose et son contraire, comme disent les gens dans le
langage ordinaire »106 . Enfin M. Héraud explique que l’économie de marché, et la croissance
démographique ont provoqué des bouleversements dans les structures de solidarité
traditionnelles, ces deux changements peuvent « générer des tensions au sein des structures
relationnelles (d’autorité en particulier) et par la suite contribuer à une remise en question des
arrangements familiaux, des rôles et des rapports inter-individuels (…) Une érosion des unités
familiales pourrait ainsi signifier un glissement du lieu de prise en charge des enfants au
niveau individuel ou conjugal »107. Les parents biologiques se voient assumer seuls la
responsabilité de leurs enfants, notamment handicapés. Enfin, pour l’auteur, « les limites du
réseau de solidarité traditionnel sont vite atteintes et les membres du ménage sont obligés de
compter sur eux-mêmes pour survivre. »108
2.3.2 Représentations et handicap au Burkina Faso
« Une représentation sociale est l’ensemble organisé et hiérarchisé des jugements, des
attitudes et des informations qu’un groupe social donné élabore à propos d’un objet. Les
représentations sociales résultent d’un processus d’appropriation de la réalité, de
reconstruction de cette réalité dans un système symbolique. Elles sont intégrées par les
membres du groupe social et donc collectivement engendrées et partagées. Elles sont les
visions du monde que développent les groupes sociaux ; visions du monde qui dépendent de
leur histoire, du contexte social dans lequel ils baignent et des valeurs auxquelles ils se
réfèrent. Elles correspondent au sens commun (…) »109 Abric présente les représentations
sociales comme les résultats d’un processus d’appropriation de la réalité et sa reconstruction
dans un système symbolique. Intériorisées par le groupe, ces représentations sont en quelque
sorte des « visions du monde » partagées par le groupe et modelées par leur histoire, le
contexte social dans lequel le groupe évolue et les valeurs auxquelles il se réfère.
105
ABRIC J-C. « De l’importance des représentations sociales dans les problèmes de l’exclusion
sociale ».Exclusion sociale, insertion et prévention. Op. Cit.
106
GRIM O-R. 2000, Du monstre à l’enfant. Anthropologie et psychanalyse de l’infirmité, CTNERHI, cité par
STICKER. H-J, Corps infirmes et sociétés. Op. Cit.
107
HERTRICH V. Cité par HERAUD M. Représentations et handicap… Op. Cit.
108
HERAUD M. Représentations et handicap. Op. Cit.
109
ABRIC J-C. « De l’importance des représentations sociales dans les problèmes de l’exclusion
sociale ».Exclusion sociale, insertion et prévention. Op. Cit..
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
Dans son étude sur les représentations sociales du handicap au Burkina Faso, M. Héraud
explique qu’une telle étude permet de comprendre les déterminants des comportements et des
pratiques sociales. Mais elle souligne le fait que le lien entre les représentations et les
comportements est complexe. Pour répondre à cette problématique, elle se pose la question de
savoir dans quelle mesure les croyances traditionnelles influencent les comportements. Avant
de répondre à ces questions, elle dresse un éventail des diverses croyances sur la personne
handicapée et l’origine du handicap. Elle s’intéresse d’abord à tout ce qui entoure les causes
des maladies, ainsi qu’à la consultation divinatoire au Burkina Faso. Son analyse l’amène à la
notion de faute et de culpabilité et finalement la question qui revenait dans son enquête était
celle de savoir à qui revenait la responsabilité du handicap. Enfin elle se demande si les
croyances traditionnelles sur le handicap sont à la base des processus de marginalisation.
Sur les raisons qui expliquent le handicap, M.Héraud constate qu’il y a souvent un vide
explicatif. Le même constat a été fait par M-F Méley dans son mémoire intitulé « paroles et
silences autour des séquelles d’injection »110 où elle montre que la notion de faute
professionnelle est rarement évoquée comme une cause du handicap.
Selon M. Héraud, la consultation chez le devin est le seul espace où le problème de l’origine
du dysfonctionnement est dit, verbalisé. Dans le propos de l’auteur, le handicap est considéré
comme la manifestation d’un interdit, l’expression d’une sanction. Parmi les causes des
maladies, il existerait les maladies de dieu qui sont des « maladies naturelles » et ne sont pas
toujours perçues comme l’expression d’une punition. Au contraire parfois elles seraient
comme une épreuve où dieu a considéré que la personne ou ses parents pouvaient surmonter.
Pour les autres maladies, celles du « destin », les génies, les ancêtres, les sorciers ou les
jumeaux peuvent déclencher un événement maladie. Il apparaît que les causes qui les ont
poussés à agir peuvent être attribuées au non-respect des valeurs morales pour les femmes et
de manière plus étendue, tout manquement aux respects des communautés peut être
sanctionné. Cependant « de nombreux actes peuvent être sanctionnés alors qu’aucune faute
n’a été commise (…) et certaines maladies peuvent être la punition d’une faute commise une
génération auparavant. »
Après avoir présenté les conceptions traditionnelles de plusieurs maladies et handicap au
Burkina Faso (l’épilepsie, l’éléphantiasis, la « folie » et les malformations de naissance), M.
Héraud fait une critique des messages sanitaires qui « continuent d’être élaborés comme si les
individus pouvaient modifier un aspect de leur vie sans déstabiliser le reste ». Selon elle, nous
110
MELEY M-F. 2004, Paroles et silences autour des séquelles d’injections au Burkina Faso. Système médical
et handicap, Mémoire de DEA, Université Aix-Marseille III.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
ne pouvons pas séparer le médical du social. Elle prend l’exemple de la rougeole, cette
maladie a un sens social (sorcellerie, génie) qui implique un traitement social (sacrifice
animal). D’un autre côté, elle précise que les systèmes de pensée traditionnels et modernes se
superposent et ceci expliquerait des parcours thérapeutiques qui pourraient paraître
incohérents (la maladie peut être traitée à la fois médicalement et socialement).
Elle montre qu’une maladie peut être rapportées à différentes causes et avoir plusieurs
significations. De même, des maladies différentes peuvent avoir une même cause, mais avec
des relais différents : génies, ancêtres, etc. Elle explique qu’il faut remonter dans le temps
pour trouver la cause première et finalement, la cause du mal direct n’étant pas le sujet luimême, mais le génie, la sorcière ou l’ancêtre. Le sujet se trouve en partie déresponsabilisé. La
transgression serait souvent commise involontairement, le sujet est donc considéré comme
responsable mais pas coupable. Le fait d’introduire des intermédiaires comme les génies ou
les ancêtres dans la cause du mal contribue à déresponsabiliser le sujet lui-même. « Cette idée
ne signifie pas, pour autant, que toute notion de culpabilité soit exclue de cette société. Elle
traduit simplement qu’elle n’est pas intégrée de manière morbide, délirante ou névrotique
comme elle peut l’être en Occident. Elle n’ôte absolument pas la notion de faute comme celle
de responsabilité »111. Héraud pose notre attention sur la question de l’imputation de
responsabilité car elle est centrale dans les représentations du handicap, un individu qui est
considéré comme responsable de son affection ne sera pas traité de la même manière qu’une
personne qui ne l’est pas. Elle s’interroge sur le phénomène de l’attribution de la faute dans le
cas d’une maladie ou d’un handicap pour savoir comment cela se traduit ensuite pour la
personne affectée. Elle remarque que le devin détermine l’origine d’une maladie ou d’un
handicap en révélant l’objet qui persécute112 le patient et si c’est un ancêtre ou un génie, la
personne ne sera pas tenue pour responsable. Si c’est une faute commise par la personne ou
un parent, cette personne sera tenue pour responsable de la transgression mais pas coupable.
« Un constat ancien et banal des africanistes : le seuil de l’angoisse une fois franchi,
certaines « maladies » - graves, aiguës, atypiques, chroniques, répétitives, etc. – sont
expliquées, légitimées et disculpées de la même manière que les autres infortunes sociales qui
affectent le corps, les biens et la vie sociale des individus »113. Les prescriptions du devin ne
sont pas des punitions, mais des actes réparateurs. La sanction, si s’en est une, est déjà là, il
s’agit du handicap. Il ne fait que la désigner en interprétant l’évènement. Finalement, l’auteur
111
BONNET D. Corps biologique, corps social, Cité par HERAUD.M, Représentations et handicap. Op. Cit.
Sur ce point l’auteur précise que la divination n’est pas exclusivement réservée à la maladie.
113
ZEMPLENI, 1985, cité par EGROT M. 1999, La maladie et ses accords. Le sexe social, mode de déclinaison
et espace de résonance de la maladie chez les Moose du Burkina Faso, Thèse de doctorat en Anthropologie,
Université d’Aix-Marseille, Cité par HERAUD M. Représentations et handicap. Op. Cit.
112
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61
GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
constate que la communauté n’a pas les moyen de connaître la cause originelle du handicap
(cette fonction revient au devin), elle portera donc un jugement (stigmatisant ou non) selon la
personnalité de la personne handicapée. Ainsi le jugement et les comportements de la
communauté vis à vis d’une personne handicapée est rarement fonction des causes originelles
du handicap.
2.3.3 Représentations du corps et de la maladie
Représentation du corps
« Le corps est une frontière épistémologique car il n’appartient pas à une discipline
spécifique. Il est un objet toujours objectivé par les sciences exactes et humaines, mais aussi
subjectivé car le corps est à la fois objet et sujet. Entre deux sciences, il échappe à toute
définition exhaustive même si ses variations thématiques le révèlent de part en part comme
objet d’étude. »114
Dans un article sur l’exclusion, deux sociologues115 présentent le corps comme le premier
médium de la communication, le lieu fondamental de l’exclusion. « Mon corps est le pointzéro qui est l’ouverture sur le monde et sur les autres ». La thèse de cet article est que le corps
est d’abord une source de l’exclusion ensuite, qu’il en est l’expression. Le corps est un moyen
de l’exclusion car il est un signe de ralliement qui dessine les contours du groupe et par suite
sa délimitation symbolique. Mais « aux antipodes d’une culture occidentale où le corps est
chosifié, la culture africaine propose une vision unifiée de l’ensemble du corps/psychisme,
dans laquelle le corps participe du psychisme collectif présent et passé »116.
Sur le corps dans la culture occidentale, Le Breton décrit de multiples procédés qui existent
sur « le marché des soins » en occident où plusieurs couches de savoirs relatifs au corps se
superposent et l’acteur, à la recherche de soins efficaces, passe d’un type de guérisseur à un
autre selon le caractère de son trouble. « Mais l’homme occidental est aujourd’hui animé du
sentiment que son corps est de quelque façon, autre que lui, qu’il le possède à la façon d’un
objet très particulier, certes plus intime que les autres. »117 Le Breton parle d’effacement
ritualisé du corps. Il interprète le handicap physique comme une impossibilité de se plier aux
symboliques du champ social, comme « un caractère insolite ». Dans son anthropologie du
114
ANDRIEU B. 2006, Le corps humain : une anthropologie bioculturelle, sous la direction de BRETON. S,
Coédition Musée du quai Branly et Flammarion, Paris.
115
GARNIER C. et GOHIER C. « Le corps, double exclusion : le corps communiquant » in ROUQUETTE. ML, L’exclusion fabrique et moteurs. Op. Cit.
116
GARNIER C. et GOHIER C. « Le corps, double exclusion : le corps communiquant » in ROUQUETTE. ML, L’exclusion fabrique et moteurs. Op. Cit.
117
LE BRETON D. 1990, Anthropologie du corps et de la modernité, Paris, PUF.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
corps et de la modernité, Le Breton voit l’image du corps comme la représentation que le
sujet se fait de son corps, comme la façon dont il apparaît plus ou moins consciemment à
travers un contexte social et culturel particulier par son histoire personnelle. Dans cette
représentation, l’image du corps s’organise autour d’une forme (qui est le sentiment d’unité
des différentes parties du corps et de leurs limites dans l’espace) et d’un contenu (qui est la
sensation prévisible et reconnaissable que le corps produit). Il ajoute également que le savoir
est un axe lié au corps, il est la connaissance de « l’épaisseur invisible », savoir par exemple,
comment s’agencent les organes. Enfin, « l’image du corps n’est pas une donnée objective, ce
n’est pas un fait, c’est une valeur qui résulte de l’influence de l’environnement et de l’histoire
personnelle du sujet ». La dimension subjective est ici essentielle et dans cette approche de
l’image du corps, nous pouvons affirmer que l’auteur accorde une importance centrale au
regard émic (plus encore, aux interprétations que la personne a de son propre corps).
Cependant, il souligne que la médecine n’a pas cette démarche « pour mieux la comprendre,
le médecin dépersonnalise la maladie. Celle-ci n’est pas perçue comme l’héritage de
l’aventure individuelle d’un homme situé et daté, mais comme la faille anonyme d’une
fonction ou d’un organe. » Selon Le Breton, pour mieux soigner on déshumanise la maladie.
Représentation de la maladie
« Sans les concepts de normal et de pathologique la pensée et l'activité du médecin sont
incompréhensibles. Il s'en faut pourtant de beaucoup que ces concepts soient aussi clairs au
jugement médical qu'ils lui sont indispensables. Pathologique est-il un concept identique à
celui d'anormal ? Est-il le contraire ou le contradictoire du normal ? Et normal est-il identique
à sain ? (...) On a souvent noté l'ambiguïté du terme normal qui désigne tantôt un fait capable
de description par recensement statistique -moyenne des mesures opérées sur un caractère
présenté par une espèce et pluralité des individus présentant ce caractère selon la moyenne ou
avec quelques écarts jugés indifférents- et tantôt un idéal, principe positif d'appréciation, au
sens de prototype ou de forme parfaite (...). dans une telle vue, le singulier, c'est-à-dire l'écart,
la variation, apparaît comme un échec, un vice une impureté (...) Le problème théorique et
pratique devient donc d'étudier " les rapports de l'individu avec le type " ? Ce rapport paraît
être le suivant : " La nature a un type idéal en toute chose, c'est positif ; mais jamais ce type
n'est réalisé. S'il était réalisé, il n'y aurait pas d'individu, tout le monde se ressemblerait (...) on
peut donc conclure que le terme de " normal " n'a aucun sens absolu ou essentiel. »118
118
CANGUILHEM G. 1966, Le normal et le pathologique, Quadrige, Presses Universitaires de France, Paris.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
Nous avons déjà consacré plusieurs paragraphes à l’analyse de la norme sociale à travers les
discours de la recherche sur le handicap. A présent, nous allons présenter le discours médical
car il nous aidera à mieux comprendre le sens de « représentation de la maladie ». Nous
appuyant sur le propos de Winance, nous avons montré que le corps d’une personne qui suit
un processus de réadaptation, « apparaît » avec la douleur. Nous avons vu qu’après être
apparu, ce corps disparaît pour laisser place à « un nouveau corps ». L’analyse que fait
Canguilhem des représentations de la maladie montre qu’un individu malade est passé dans
un autre univers, il est devenu un autre homme. Ainsi, l’on distinguera la maladie du handicap
(et uniquement dans le cas du modèle de la réadaptation) sur ce point : la maladie fait
apparaître un nouvel homme par rapport à une idée des normes de santé, la personne
handicapée se crée une nouvelle identité en créant une nouvelle normalité.119
En d’autres termes, ceux du champ de la maladie, c’est sur la question de la douleur que se
distinguent les représentations du sujet malade de celle du médecin. Dans le cas d’un cancer,
si le sujet ne ressent aucune douleur, il jugera que son état de corps se situe dans la normalité,
tandis que du point de vue du médecin, le silence des organes n'équivaut pas forcément à
l'absence de maladie. Et à l’inverse, une personne peut solliciter un médecin en raison de
souffrance et de douleur sans que le médecin ne considère que cette personne a une maladie.
C’est là que le jugement du médecin revêt une dimension de « jugement de valeur » car il
décide de ce qui est normal et de ce qui ne l’est pas.
Irving Zola est un chercheur qui se situe dans le mouvement des disability studies. Nous
avons déjà fait référence à lui à propos de la douleur et d’une critique qu’il émettait sur l’un
des biais du modèle social.
Il a effectué des travaux sur la discrimination des symptômes120 en s’inscrivant dans une
analyse des représentations culturelles du corps et de la maladie. L'auteur a étudié comment
des patients décrivaient leurs symptômes au médecin et il a comparé l'expression des plaintes
dans des couples de malades, l'un d'origine irlandaise, l'autre d'origine italienne sur lesquels
avaient été posé le même diagnostic. Les Irlandais indiquent plus souvent des localisations
précises pour leurs symptômes, décrivent un dysfonctionnement circonscrit et minimisent leur
souffrance. Les Italiens se plaignent de symptômes plus nombreux, mais ceux-ci sont plus
diffus ; ils insistent sur la douleur ressentie et soulignent que leur humeur et leurs relations
avec autrui sont perturbées. Les différences de réaction selon les cultures ne concernent pas
seulement le style de la plainte ou la nature de l'angoisse associés à différents symptômes.
119
Se référer au chapitre I au paragraphe : « normalisation et différenciation ».
ZOLA I-K. 1970, « Culture et symptômes : analyse des plaintes du malade », cité dans : HERZLICH C.
Médecine, maladie et société, Mouton, La Haye : pp. 27-41.
120
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
« Selon les sociétés, on attache un intérêt plus ou moins grand à différents organes ou
différentes parties du corps. Dans les sociétés occidentales, le cœur est investi de
significations particulières. Au Japon, traditionnellement, c'est à l'abdomen (hara) que l'on
accorde la plus grande attention. »121 Ainsi l’analyse de Zola s’intéresse aux manières de dire
et de penser la douleur.
CONCLUSION
Notre manière de procéder nous mène à des interrogations d’ordre épistémologique. Nous
cherchons en fait à savoir comment l’anthropologie peut nous permettre ou non de traiter un
sujet comme celui des politiques internationales et du handicap dans toutes les généralités que
comportent ces deux objets. Nous avons dessiné un mouvement dans l’écriture de ce
chapitre en commençant par une lecture des textes qui réfléchissent sur le handicap, la
vulnérabilité et la culture à l’échelle internationale. En nous focalisant sur le Burkina Faso
pour repasser à une réflexion plus générale. Nous avons évoqué les manières dont les
organisations internationales problématisent les contextes locaux et c’est le point essentiel de
notre réflexion dans ce chapitre. Nous voulions montrer, à travers l’étude des représentations
du handicap au Burkina, que finalement l’exclusion n’est pas un processus subi par toutes les
personnes handicapées et qu’il existe aussi des manières locales de traiter le handicap. Pour
dire les choses simplement, les problématiques que se posent les organisations internationales
sont les mêmes que celles que se posent les « populations » ciblées par ces organisations et
qu’il existe souvent des manières de répondre à ces problématiques avant même que des
actions soient mises en œuvre par des organisations. Nous soulignons le fait que les réponses
que ces populations apportent quotidiennement apparaissent peu dans les faits que les
organisations internationales prennent en compte.
3) La recherche sur le handicap : déconstruction et
délocalisation
Nous avons vu des analyses sociologiques qui déconstruisent la notion de handicap à travers
les évolutions juridiques et politiques. À présent nous allons nous demander s’il est possible
de « délocaliser », de décontextualiser le terme de handicap. Nous nous demandons si
l’emploi de ce terme est pertinent dans d’autres contextes. D’abord nous verrons des études
121
FRIARD.D, « les représentatations de la maladie ». Article en
http://www.serpsy.org/formation_debat/diagnostic/diagnostics_sommaire.html
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ligne
à
l’adresse
url :
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
« culturalistes » qui ont été réalisées sur la souffrance et la douleur. Ensuite nous allons tenter
de nous dégager de cette thématique centrée sur le corps pour définir une approche plus
générale du handicap. Enfin nous allons nous interroger sur la posture du chercheur lorsqu’il
étudie un objet politique comme le handicap.
3.1 diversité culturelle dans le domaine du handicap et des
maladies
De l’expression de la souffrance
« Il est ainsi pertinent de repositionner notre réflexion du côté de l'éprouvé de la maladie ainsi
que sur celui du statut social qu'elle entraîne, particulièrement lorsque des maladies
occasionnent une dépréciation sociale, comme le Sida ou la maladie mentale. »122
On se demande comment s’expriment les souffrances intérieures (celles de l’Intérieure du
corps : qu’elles prennent la forme d’une douleur ou d’une souffrance) ?
« En même temps que la maladie transforme le corps de monsieur, qu’elle prive de sa
mobilité, elle transforme son monde. »123 L’auteur de cette citation interprète le propos de
deux personnes pour analyser perceptions que se font les malades (myopathes) de leurs corps.
Ces effets sont d’ordres psychiques et sociaux et l’auteur parle d’une « déshabilitation » de la
personne où l’ensemble des liens entre elle et les autres humains se défait car la singularité
perd ses capacités : « Peu à peu le monde de monsieur se limite au corps, à la survie du corps,
devenu immobile ». Et pour répondre à un questionnement sur la relation entre la douleur
exprimée (vécue) par la personne souffrante et l’interprétation que peut en faire la personne
qui propose une aide, on peut poser les choses dans une analyse du lien entre la douleur
intérieurement vécue et l’expression verbale que la personne fait pour décrire sa souffrance.
Ainsi, la souffrance peut être abordée comme l’expression (avec la dimension corporelle ou
verbale) de la douleur. La souffrance devient une notion centrale pour étudier la relation
d’aide puisque c’est elle (en tant qu’expression de la douleur) qui définit la manière d’aider,
les modalités d’une pratique de l’aide. La forme corporelle ou verbale de la souffrance va
permettre au médecin, au travailleur social ou au psychiatre de faire un « diagnostique » (une
traduction de la souffrance), qui est une grille d’indicateurs pour adapter son aide. Mais selon
E. Scarry. 124, la douleur résiste à l’objectivation et à l’expression par le langage car la douleur
est un état de passivité absolue, elle enferme le sujet dans son corps ce qui rend impossible le
122
FRIARD D. « Les représentations de la maladie ». Op. Cit.
WINANCE, « l’action de la maladie sur la singularité et le collectif », Handicap et normalistion. Analyse des
transformations du rapport à la norme dans les institutions et les interactions. Op. Cit.
124
SCARRY E. 1985, The Body in Pain. The Making and unmaking of the World, New York - Oxford, Oxford
University Press.
123
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
lien entre « l’intérieur » du sujet et son « extérieur », elle coupe le lien entre un sujet et un
objet. Scarry montre que ce processus est une déconstruction du monde dont l’analyse permet
de comprendre le processus de construction du monde par une tentative de réduction de la
douleur qui doit nécessairement passer par la création d’un objet, d’un monde imaginaire, le
sujet s'étend mentalement dans un monde imaginaire et opère une réinvention totale du
monde. La création est ensuite celle d'un artifice (verbal ou matériel), mais la création opérée
par le sujet n'est alors que partielle, même si cette création partielle permet la communication,
le partage de l'expérience et de l'action. Le corps n’est donc pas construit en fonction d’une
extériorité (d’un monde d’objet) mais de la douleur du sujet. Dans cette partie, nous voyons
que la dimension « indicible »125 de la douleur est aussi un « processus créatif » où la
personne doit objectiver sa douleur par un travail d’imagination.
Itinéraires thérapeutiques et recherches de guérison
À présent nous allons évoquer le cas d’une maladie dite invalidante : la filariose lymphatique.
« Parce que éloignés des postes de santé ou plus encore enclavés, les villages, notamment les
peuls nomades continuent des pratiques autocratiques avec les médecines traditionnelles et
marabouts. (…) On retrouve le phénomène d’accommodation. Les gens vivent avec leur
maladie tant que la gêne occasionnée est acceptable. C’est uniquement lorsque l’urgence
apparaît ou que la douleur devient intolérable que l’on se résout au départ vers des structures
de santé. »126
Ici, on peut rapprocher ce propos de ce que disait M. Héraud sur l’éléphantiasis. Avant cela
nous devons préciser que l’éléphantiasis est l’un des symptômes les plus répandus de la
Filariose Lymphatique. C’est également celui qui est considéré comme étant le plus
douloureux des symptômes (la douleur se manifeste dans des moments de « crises aiguës »).
Le proverbe Mossi « Yam zaad pooga : « la malice entretient l’éléphantiasis »127. Et d’ajouter
« L’éléphantiasis provoque une difformité voyante et gênante. Aussi le proverbe souligne la
nécessité d’être malin pour vivre avec, pour « l’entretenir », c'est-à-dire tout à la fois assumer
la présence de la difformité, mais aussi la faire oublier à soi-même et aux autres, éviter un
accident ou une aggravation du mal. Le malade doit rendre sa malformation presque naturelle,
même s’il en souffre. A travers l’image de la personne atteinte d’éléphantiasis, ce proverbe
apprend qu’il faut être « malin » et intelligent pour affronter les situations difficiles.
125
Nous entendons par là une impossibilité de formuler verbalement la douleur.
PROVOST P. Les paralysies consécutives aux injections intramusculaires. Op. Cit.
127
BONNET D. 1982, Le proverbe chez les Mossi du Yatenga (Haute-Volta), Paris, Société d’Etudes
Linguistiques et Anthropologiques de France, cité par HERAUD M. Représentations et handicap. Op. Cit.
126
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
L’éléphantiasis est aussi évoqué dans un chant du warba, danse traditionnelle des Mossi :
« faites en sorte que l’éléphantiasis s’enroule autour du poteau ». Autrement dit, les tam-tams
doivent jouer de façon à faire danser même celui qui est atteint d’éléphantiasis. »128
On peut donc se demander jusqu’où les malades s’accomodent et quelles implications cette
attitude peut avoir en terme de recherche de soins et de mieux être. Est-ce pour autant que les
gens ne traitent pas leur éléphantiasis ? Comment d’ailleurs peuvent ils « oublier la
diformité » dans les moments de crise ?
Parler de la douleur
« La douleur peut priver le malade de tout moyen de s’exprimer (…) Que faire d’autre pour
soulager une douleur aiguë : la disponibilité, l’écoute empathique, la présence d’un proche, la
clarté des explications réduit l’anxiété du malade et diminue l’intensité de sa douleur (…) La
perception de la douleur augmente avec le stresse. Souffrir psychologiquement à cause d’une
douleur : se surajoute à la douleur et augmente la perception. Il faut sortir du cercle vicieux
douleur-dépression-douleur (…) Un traitement uniquement fondé sur la médication
d’antalgiques ne fera pas disparaître la dépression. »129
Cet article valorise le pouvoir de la parole en tant qu’acte thérapeutique, l’approche
empathique du traitement par les mots et l’écoute fait partie du traitement. Mais selon Elain
Scarry, comme nous l’avons vu, la douleur résiste à l’expression par le langage.130
Et dans l’article du ministère de la santé que nous avons cité précédemment nous lisons qu’il
est parfois nécessaire de calmer les douleurs avec des antalgiques avant de pouvoir
communiquer avec le malade.
Des causes magiques de la souffrance
À propos des causes magiques « les gens ne les auront jamais mentionnés durant l’enquête
devant un étranger qu’ils craignent peu perméable à ce genre d’explication. Le corps soignant
fait, cependant, remarquer que les croyances populaires sont omniprésentes. Les populations
dans leur ensemble croient une cause scientifique ou tout au moins rationnelle. Mais cette
cause provient elle-même d’une cause magique (une maladie contractée serait due à un
mauvais sort) ». (…) « L’aspect religieux ne fonde pas le comportement, mais le cautionne. »
128
HERAUD M. Les représentations du handicap au Burkina Faso. Op. Cit.
Article dans le dossier « douleur » du ministère de la santé
http://www.sante.gouv.fr/htm/pointsur/douleur/ (« La douleur en question ».)
130
SCARRY E. The Body in Pain. The Making and unmaking of the World. Op. Cit.
129
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disponible
en
ligne :
68
GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
131
L’auteur de cette citation dira que les croyances conditionnent la façon de se soigner
(retard dans le traitement : on consulte d’abord le marabout ; renonce aux soins, la médecine
ne pourrait rien contre une malédiction ; tabous sur certains traitements, on refuse les piqûres
pour traiter les jaunisses). Sur la Filariose Lymphatique, on se pose les mêmes questions, de
savoir si les croyances ont des effets sur les pratiques ou inversement. On se demande
également si les causes attribuées à la maladie peuvent avoir un impact sur les itinéraires
thérapeutiques.
« Le garçon qui s’est blessé en trébuchant sur une racine d’arbre n’ignore pas la cause
immédiate de cette plaie torpide ; cependant il ne peut s’empêcher de s’étonner, d’une part, de
n’avoir pas vus la racine alors qu’il faisait attention et, d’autre part, de n’avoir pas cicatrisé
rapidement comme à l’habitude, d’où cette certitude qu’un acte de sorcellerie est en jeu ».
(…) « lorsqu’une personne développe une lèpre et qu’on retrouve une histoire d’insecte alors
on parlera de rupture de tabou et non de sorcellerie. »132 Mais est-ce pour autant qu’une
personne qui attribue sa maladie à un acte de sorcellerie se rendra chez un sorcier ou un
guérisseur ?
Le sens des guérisseurs
« Les barrières économiques, les interdits matrimoniaux, les oppositions religieuses, tous ces
écartèlements de la société sont à la source d'un enchaînement de malheurs et de maladies. Est
alors thérapeute, celui qui met en scène une autre présentation de la société. Il soigne par son
être, et non par son discours et ses pratiques, car sa situation de passeur entre les opposés lui
permet en quelque sorte de les éroder. »133
Nous pouvons donc nous demander dans quelle mesure le guérisseur, thérapeute influence la
pratique des patients. Nous devons aussi tenir compte du fait que malgré les aspects irréalistes
des actions magiques ou religieuses, certains choisissent ces actes car « ‘ je veux agir, je veux
que ce qui est change’ nous voulions dire par là que tout irréalistes qu’ils n’y paraissent ces
131
HANDICAP INTERNATIONAL, 2000, Enquête sur la population rurale de Ross Béthio sise dans la région
de Saint-Louis, Handicap International, Sénégal.
132
EVANS-PRITCHARD E.E. 1976 (1937), wichcraft, oracles and magic among the Azande, Clarendon Press,
abriged version, Oxford.
133
BENOIST J. 1996, Prendre soins, un chapitre publié dans l’ouvrage sous la direction de Jean Benoist,
Soigner au pluriel : essais sur le pluralisme médical, Les Éditions Karthala,, Paris. Et il ajoute : « Etre
thérapeute dans une société qui vous tient à distance et par cela manipuler malgré soi l'image de la société et ce
qui dans son ordre est traumatisant n'est pas un privilège des Indiens du Chaco. L'immigré haïtien en Guyane,
l'homéopathe mauricien ou le Père de Saint umbandiste traversent eux aussi les barrières sociales et les
hiérarchies ethniques. Le pluralisme est alors un agent de convergence qui dément par des actes les discours
d'exclusion ».
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
actes ont un fondement rationnel et ils se font « en dehors de toute intention de signifier »134.
« La pratique, même apparemment théorisée, l'emporte sur la théorie au moment de la
décision, et nous devons nous méfier de notre tendance à croire que la pensée précède
l'acte. »135
Et « Tout cela pourrait être résumé de façon plus simple et plus directe en disant que les
malades ne procèdent ni par le seul effet de logique sous-jacentes qui détermineraient des
stratégies, ni par un simple bricolage qui tirerait parti de tout ce qui s'offrirait. Soucieux avant
tout de résultats, ils ont une conduite, à leurs yeux, pratique, une conduite pragmatique qui ne
s'embarrasse ni d'objections ni d'interdits.»136
Du côté des malades, et selon Benoist « On ne cherche vraiment de sens qu'au mal qui dure, à
celui qu'on ne voit pas disparaître. (…) Il fait ressortir combien pragmatique est la demande,
et combien la réponse, lorsqu'elle porte sur le sens du mal est jaugée comme un préalable
accessoire à l'action espérée. »137
3.2 Du corps en déplacement
Dans cette partie, il s’agit de sortir de la problématique du corps souffrant pour intégrer la
dimension interactive qui sous-tend les relations médecin-patient mais aussi les relations entre
les personnes handicapées et les personnes qui travaillent dans le domaine du handicap. Nous
parlerons en termes de relation d’aide.
Corps souffrant et interactions
Une recherche sur un groupe d’entraide dans un service de soins psychiatrique138 montre que
« l’expérience de la souffrance est un des éléments constitutifs du lien social. Partager une
souffrance avec son semblable constitue bel et bien un objet d’échange pouvant influencer
nos rapports au monde et à autrui. » Paquet considère l’expérience de la souffrance comme un
vécu enraciné à l’intérieur d’un espace social délimité (local world) constitué d’échanges et
de relations interpersonnelles. Et nous pouvons en déduire que l’aide ne serait pas uniquement
134
BOURDIEU P. 1980, Le sens pratique, 1980, Paris, Ed. de Minuit. Cité par BENOIST, Prendre soins. Op
Cit.
135
BENOIST.J, Prendre soins. Op. Cit.
136
JAFFRE Y. 2006, Les services de santé « pour de vrai ». Politique sanitaire et interaction au quotidien dans
quelques centres de santé (Bamako, Dakar, Niamey), Le Bulletin de l’APAD, n°17, Anthropologie de la santé,
(en ligne).
137
BENOIST J. Prendre soins. Op. Cit.
138
PAQUET S. 2000, Folie, entraide et souffrance. Anthropologie d’une expérience parentale, Paris / SainteFoy, L’Harmattan / Les Presses de l’Université Laval.
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70
GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
du ressort de la médecine. Pourtant il s’agit bien d’un groupe d’entraide (composé des
personnes malades et de certains membres de leur famille) qui s’est constitué au sein d’un
service psychiatrique. Cette démarche qui n’est pas purement médicale,
cherche à impliquer
les familles dans le processus d’aide. Notre panel de personnes intervenant dans la relation
d’aide aux personnes handicapées est donc plus large. Cependant cet élargissement est
amoindri dans la mesure où la relation d’entraide dont nous parlons a lieu dans une institution,
qui joue un rôle dans la participation et qui a initié la dynamique de groupe (la relation d’aide
ici n’est pas endogène, mais elle a été l’initiative d’un tiers).
L’anthropologie peut-elle permettre d’analyser la relation d’aide en dehors des cadres
institués ? D’ailleurs serait-il pertinent de le faire ? Oui, si effectivement cette relation d’aide
est une réalité. Mais si la réalité de la relation d’aide est ce que nous avons élaboré depuis le
commencement de ce mémoire, sans jamais vraiment la circonscrire, la définir, alors elle
recouvre toutes sortes de phénomènes. Pour circonscrire notre réflexion, nous pouvons dire à
la manière d’Olivier de Sardan, à propos du développement, qu’il existe une aide là où il y a
des gens qui disent qu’ils aident, cela nous permettrai de situer, de comprendre les
représentations qu’ils se font de la relation d’aide. Mais au-delà des représentations « Aucune
participation des citoyens, aucune pluridisciplinarité pour trouver des solutions à des
problèmes de santé et de maladie de plus en plus complexe (…) Quant à la demande
d’expertise anthropologique, avec sa spécificité du terrain, l’observation fine, elle est presque
inexistante. »139 C’est ce qu’Hubert affirme à propos des questions de santé publique en
France. Ce propos se rapporte surtout à un questionnement sur l’application de
l’anthropologie médicale, mais nous préférons nous questionner sur « l’expertise
anthropologique ». En quoi consiste-t-elle, que peut elle apporter à notre questionnement qui
porte sur la santé ? L’anthropologie médicale « recouvre le vaste champ des représentations et
des réalités physiologiques de corps, dans son environnement »140 et les notions de maladie et
de santé sont le support de ces recherches. L’application se fait dans le but de trouver une
solution ou une explication à un problème complexe. Hubert prend le cas d’une étude qu’elle
a réalisé au Maroc et en Chine pour déterminer, avec une équipe composée
d’épidémiologistes et de biochimistes, l’origine chimique d’un cancer de la gorge.
L’anthropologue explique qu’elle a tout de suite fait son étude sur les aliments qui pouvaient
comporter la substance cancérigène, bref, en définitive les travaux anthropologiques qu’elle a
réalisés ont contribué à déterminer la cause pour l’élimination d’un cancer. Mais qu’en est-il
139
HUBERT A. 1995, « Anthropologie et recherche biomédicale », in Les applications de l’anthropologie,
Karthala, Paris.
140
HUBERT, « Anthropologie et recherche biomédicale ». Op. Cit.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
de notre questionnement ? Le handicap n’est pas la maladie par contre il est parfois lié à une
maladie et nous avons vu que les deux notions sont liées.
Ce qui différencie le handicap de la maladie c’est que celui-ci est considéré comme dépendant
d’un environnement et qu’il n’est pas spécifique (alors que pour la maladie, les altérations de
la santé sont caractérisables, elles possèdent des causes qui se manifestent par des symptômes
que le médecin évalue pour établir son diagnostique). L’anthropologie s’intéresse au discours
et dans le domaine du handicap, les idéologies, les divergences de conception, de
conceptualisation foisonnent, alors comment aborder cette thématique sans s’inscrire dans
l’un ou l’autre des discours ?
Handicap et maladie
« Par différents mécanismes, la personne handicapée reste reliée à une catégorie proche de
celle du malade dans l’imaginaire collectif, et cela même à une époque où la santé n’est pas
communément et clairement définie. »141
L’auteur dénonce l’amalgame entre maladie et handicap car selon lui il masque le profond
malaise que l’on ressent vis-à-vis d’un malade. Avant tout, il montre qu’il faudrait clarifier la
notion de santé. L’OMS définit la santé comme « un état de complet bien-être physique,
mental et social, et ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité »142.
L’auteur explique que dans le sens commun, la santé est une notion vaguement définie. Alors
que « la norme sociale dicte autoritairement qui est malade, qui est fou, qui est handicapé et
qui ne l’est pas », il y a une confusion sur la notion de « bonne santé » et les moyens d’y
parvenir. L’auteur explique que paradoxalement, au lieu d’en tracer les contours, c’est
l’avancement médico-scientifique qui questionne les champs de la maladie. Il cite l’exemple
des personnes séropositives : sont-elles malades, handicapées ou invalides ? Rien de visible
pour l’homme de la rue ne permet de les traiter comme handicapé, ni comme malade, ce
qu’elles sont pourtant, aux yeux de la loi sur l’assurance maladie, qui leur fournit un droit aux
tri-thérapies. Pour l’auteur, les conceptions populaires associent le handicap à la maladie. Il
note quatre aspects de cette non-distinction : d’abord, une maladie peut être handicapante
mais la personne handicapée n’est pas un malade définitif. Le handicap n’est pas vécu
comme un épisode, contrairement à la maladie. Dès lors, une forme d’acceptation s’installe
chez l’individu qui ne vit pas dans l’attente de fin ou de commencement d’une autre
141
KESSLER S. « Peut on guérir du handicap ? essai sur les liens sociaux entre maladie et handicap dans un
climat d’égalisation des chances », in RIEDMATTEN.R, Une nouvelle approche de la différence, comment
repenser le handicap. Op. Cit.
142
Constitution de L’OMS, 22 juillet 1948, cité par KESSLER, « Peut on guérir du handicap ? ». Op. Cit.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
condition. Ensuite, « les personnes désignées comme non-handicapée témoignent volontiers
aux personnes handicapées de leur propre épisode de maladie ou d’accident qu’ils associent à
la condition de handicap. » Il explique que la maladie se conçoit mieux par l’atteinte
corporelle visible, que par un « mal intérieur ». Comme nous l’avons vu, un autre aspect est le
fait que le modèle médical, centré sur la déficience biologique, justifie la situation de
handicap par une atteinte à la santé. Enfin, la représentation médiatique des personnes
handicapées n’est pas neutre, pour l’auteur, l’image de la victime persiste.
De nombreuses personnes visiblement handicapées se définissent comme étant en bonne
santé. Pour l’auteur, le bien-être prime, du fait de leur intégration sociale réussie, de leur
activité professionnelles, mais le refus d’une définition plurielle de la « bonne santé » oblige à
penser que rares sont les personnes qui bénéficient de ce bien-être. « Associée à la maladie, la
personne handicapée n’a aucune chance de s’intégrer pleinement à la communauté. On ne
peut guérir du handicap. » L’évolution du modèle médical vers le modèle social est
primordiale pour l’auteur car l’origine du handicap réside dans la privation d’autonomie et
non dans la maladie. Il explique qu’en acceptant ça on pourra entamer une forme de guérison.
En revenant sur ce que nous avons vu dans le premier chapitre où la catégorie « handicap »
est utile à la société, l’auteur écrit « tout comme le Nord se réalise parce qu’il éternise
l’existence du Sud « en voie de développement », c’est par la négative que chacun tente de se
définir par ce qu’il n’est pas ». Et « S’il n’y avait pas le handicap, il faudrait l’inventer. »
Sortir des corps : étudier les lieux de l’invalidation, trouver ceux de l’autonomie.
À propos de l’interdisciplinarité dans le domaine de la réadaptation, on peut lire qu’ « elle a
certes enrichi la prise en charge, mais au prix d’une segmentation du patient et du
morcellement du travail des professionnels. Comme dans l’usine, l’intervention est organisée
de façon séquentielle, avec son fauteuil roulant le patient qui va de sa chambre au plateau
technique, de la kiné à l’ergo, de la psychologue à la balnéo… »143. Or, nous avons vu que Le
Breton écrivait à propos des sciences de la médecine et des représentations qu’elle diffuse, il
expliquait que le corps « se voit aujourd’hui morcelé à l’extrême ». Dans le chapitre
précédent, nous avions également souligné le fait que le corps est difficile à étudier car il est à
la fois un objet et un sujet. Pour raisonner de manière empirique, l’anthropologue prend pour
objet premier un terrain. Ce terrain ne désigne pas un repère spatio-temporel prédéfinit, il
sous-entend un ensemble méthodologique. « c’est le terrain qui guide l’enquête » voici en
143
SCHWACH V. Obstacles et limites à l’interdisciplinarité en centre de réadaptation, en ligne à
l’adresse :www.airr.info/docs/spec_congres_2004/Lamalou%20N12.doc
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73
GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
résumé ce qu’affirme une anthropologie contemporaine où l’anthropologue fait partie des
interactions et où il reconnaît les processus interprétatifs qui sous-tendent sa recherche, sa
manière de traiter un objet, une « réalité ». Nous considérons donc comme acquis le fait que
notre objet : le handicap est difficilement situable dans un espace-temps limité. Et que
l’anthropologie, du fait qu’elle n’étudie plus de société fermée a construit des outils qui lui
permettent d’étudier des « phénomène » globaux. Il serait donc possible de procéder à la
manière décrite par Marcus dans la « multisited ethnographie ». Une ethnographie itinérante
où il s’agirait de suivre des « contextes sociaux » à travers une succession d’expériences,
« folow the life of biographie ». Etudier les lieux du handicap, les lieux de l’invalidation (au
sens des disability studies) permettrait peut-être de trouver les lieux de l’autonomie, de
découvrir les lieux de validation. De là, on pourrait observer les « processus » qui mènent à
une forme de guérison non à travers un corps mais au travers d’espaces et d’interactions. De
cette manière, nous nous dégageons de la problématique du corps et de la maladie pour
étudier des espaces et des interactions sans oublier les objets qui les composent (nous avons
vu leur importance dans les interactions).
3.3 Le rôle d’une analyse anthropologique
3.3.1 Militantisme et recherche : The rewiew of disability Studies : An
International Journal
Cette revue va nous permettre de montrer de quelle manière la recherche et le militantisme se
présentent dans le mouvement des disability studies. Chaque revue est composée d’essais,
d’articles de recherches et des critiques littéraires. Pour nous permettre de cerner la démarche
de cette revue, nous allons analyser une critique littéraire.
La critique144 littéraire porte sur un ouvrage intitulé
145
Crip Theory: Cultural Signs of
Queerness and Disability. Il nous est difficile de traduire ce titre car il comporte des impasses
de sens, des jeux de mots à plusieurs niveaux. Nous verrons qu’il traite en partie de la
question de l’homosexualité et du handicap. Pourtant Queer exprime à la fois une manière
péjorative de désigner l’homosexualité dans le langage familier, mais il désigne également ce
qui est étrange, curieux.
Dans un premier temps, Griffin présente l’auteur qui fait partie du courant des disability and
queer studies. Celui-ci analyse les disability and queer theory en les situant en opposition
144
GRIFFIN B-C. 2007, critique littéraire, in The Review of Disability Studies: An International Journal,
Volume 3, Issues 1 & 2.
145
RUER Mc. 2006, Crip Theory: Cultural Signs of Queerness and Disability, New York University Press.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
avec le paradigme dominant de « l’hétéronormativité »
et le « able-bodiedness » qu’on
traduira par « corps robuste ». Selon lui, l’homosexualité et le handicap partagent un passé
pathologique. Son analyse porte sur la société américaine contemporaine et il explique que les
homosexuels et les personnes invalidées sont perçus comme des non-identités dans le sens où
ces corps seraient étrangers dans la mesure où ils expérimentent de manière différente le
monde perceptible (les sensations de plaisir…). Pourtant il explique qu’à travers,
l’invalidation et l’homosexualité les corps et les positions peuvent être changées (par rapport
à une norme) et que ces changements permettent aux personnes de construire une nouvelle
identité. Mc Ruer relie ces « corps émergents » aux théories des woman studies. Il souhaite
créer un nouveau courant, celui des queer and disability studies. Il propose par exemple
d’analyser en parallèle l’annonce d’une pathologie invalidante à l’annonce publique de
l’homosexualité. Selon lui, la société demande aux personnes invalidées et aux personnes
homosexuelles d’être « dociles », d’être discipliné (au sens de Foucault). Selon lui, ces
demandes s’inscrivent dans une démarche de rééducation mise en œuvre par « les normaux »,
qui apparaissent dans le texte comme des « dominants », des gouvernants. Il s’accorde avec
les disability studies qui valorisent le fait que chaque personne (normale) peut expérimenter
l’invalidation, cependant il va plus loin en disant qu’en vivant plus longtemps, les personnes
invalidées tendent vers la normalité. Ainsi, il fait appel à l’engagement actif des étudiants des
disability studies pour qu’ils évaluent eux-mêmes leur histoire et oeuvrent pour construire leur
avenir.
3.3.2 Anthropologie, développement : déconstruire et comprendre
« Le délicat travail de l'ethnologue est de rendre compte de façon équilibrée de la
structuration du social et de la liberté des sujets, et le risque est grand de pencher d'un côté ou
de l'autre. Au moment de conclure, il est nécessaire de garder plus que jamais la mesure, afin
que ce qui se dégage se tienne à l'écart du risque toujours présent de surinterpréter les faits.
Dans ce domaine les généralisations sont discutables.»146
« Je crois. Et je dirais que le travail de l'intellectuel, c'est bien en un sens de dire ce qui est en
le faisant apparaître comme pouvant ne pas être, ou pouvant ne pas être comme il est. Et c'est
pourquoi cette désignation et cette description du réel n'ont jamais valeur de prescription sous
146
BENOIST J. Prendre soins. Op. Cit.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
la forme "puisque ceci est, cela sera". [...] Puisque ces choses-là ont été faites, elles peuvent, à
condition qu'on sache comment elles ont été faites, être défaites.»147
La position de l’anthropologue
« Soit l’anthropologue est dans une position d’extériorité, autrement dit prend pour objet de sa
recherche des programmes ou des politiques de santé ; soit il se trouve directement impliqué
parce qu’il fait partie de l’équipe d’un projet ou qu’il appartient à une institution de
développement sanitaire »148. Et pour Fassin, l’anthropologie est « de nature critique dans la
mesure où elle ne considère pas comme donnés les présupposés du programme ou de la
politique et va au contraire tenter de construire un cadre de compréhension incluant ces
derniers au même titre que les populations auxquelles ils s’adressent. »149 Comment investir
une recherche anthropologique dans un cadre de programme ou de projet de développement ?
Ici nous pouvons citer à nouveau l’étude réalisée par une anthropologue au Burkina Faso,
pour une ONG
150
. Cette étude « s’inscrit dans la stratégie d’intervention de l’ONG
concernant la promotion et la valorisation des personnes en situation de handicap. Elle avait
pour objectif d’affiner la connaissance des situations des personnes handicapées dans deux
régions du Burkina Faso, à travers l’étude des représentations liées au handicap.
L’approfondissement des connaissances liées au contexte culturel est indispensable pour
l’amélioration en terme de qualité des projets de développement.» Par une recherche et une
analyse fondée sur le discours, elle construit une représentation sociale du handicap au
Burkina Faso et montre que « les croyances », la dimension culturelle ne sont pas à l’origine
des pratiques d’exclusion, elles n’en sont pas la cause ; contrairement à ce que pensaient les
professionnels de l’ONG : « Les croyances sur le handicap ne déterminent pas les
comportements d’ostracisme, mais dans notre cas elles les légitiment. »
Ainsi, on peut dire que le rôle de cette anthropologue au sein de l’ONG a été celui de la
traduction des représentations éloignées d’une réalité en une réalité du proche, de l’émic.
Le rôle de traduction
147
FOUCAULT M. 1994, "Structuralisme et poststructuralisme", in DEFERT. D et EWALD. F (Eds), Dits et
Ecrits, Gallimard, Paris : pp.448-449.
148
GRUENAIS M-E. et al, 1995, « Anthropologie médicale appliquée », in Les applications de l’anthropologie,
Karthala, Paris.
149
FASSIN D. 1990, « société et développement », FASSIN, JAFFRE et al, Société, développement et santé,
université francophones, Ellipse, Paris.
150
HERAUD M. 2005, Malédiction et handicap : à qui la faute ? , Handicap International France. Lien dans
les publications en lignes du site de handicap international.
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
« Les sciences sociales ne peuvent pas résoudre les problèmes de notre société, non plus
qu’une autre à sa place, mais seulement aider à les poser »151. Nous voyons qu’il y a deux
type de traduction, il y a celle, impliquée et celle appliquée à des situations de développement,
il y a celles qui participent du processus décisionnel et celles qui le regardent de
« l’extérieur » sans y prendre part. « Soit l’anthropologue est dans une position d’extériorité,
autrement dit prend pour objet de sa recherche des programmes ou des politiques de santé ;
soit il se trouve directement impliqué parce qu’il fait partie de l’équipe d’un projet ou qu’il
appartient à une institution de développement sanitaire »152. Mais dans quelle mesure une
« traduction » est elle possible. On peut se demander si au départ, les institutions du
développement ne cherchent pas juste un outil de traduction culturelle dans l’anthropologie ?
« L’anthropologie a montré que des tâches de vie essentielles et partagées par les membres de
groupes humains sont des activités repérables dans le monde entier. Mais les anthropologues
ont également insisté sur le fait que des significations différentes sont souvent attachées à ces
activités, d’un milieu social local à l’autre. C’est la culture, en tant qu’ensemble de façons
acquises de penser et d’agir qui donne sens aux choses et expériences de la vie
quotidienne »153. Est ce réelement le rôle de l’anthropologue que de traduire une culture ?
Apparament, c’est celui que souvent on lui assigne : «Classer, nomer …ces opérations
interogent tout particulièrment les historiens et les ethnologues . Il est bien évident qu’il existe
des sensibilités nationales, elles même hétérogènes, inscrites dans des cultures qui condensent
des héritages historiqeus, des représentations collectives… »154
L’anthropologie comme recherche « aidante », si on considère la relation d’aide comme une
relation entre une personne et une technique, les deux opérant pour un tiers, alors on peut
reconsidérer la participation de l’anthropologie qui devient cette technique. Etant donné
l’objet de cette étude, nous préfèrerons dire que l’anthropologie peut prendre pour objet de
recherche le handicap, cela dans le but de contribuer à l’émancipation de la personne
invalidée comme le font les disability studies. Et comme nous l’avons souligné dés
l’introduction de ce mémoire, cette recherche n’est pas nécessairement réalisée par les
personnes invalidées mais elle devrait être contrôlée par elles et intégrées dans leurs actions
politiques. Ainsi, son rôle sera défini en fonction de ces actions, tantôt un outil de traduction,
tantôt une manière d’agir et de s’engager.
151
FASSIN, in Société, développement et santé. Op. Cit.
GRUENAIS, in Les applications de l’anthropologie. Op. Cit.
153
COOK J. 2000, Le handicap est culture. Document non publié (mis à disposition en ligne par l’auteur), cité
par MELEY M-F. Paroles et silences autour des séquelles d’injections au Burkina Faso. Système médical et
handicap. Op. Cit.
154
JAEGER M. 2001, « Apports et limites de la CIH-1 et de la CIH-2 pour les politiques d’aide et de soins en
santé mentale », in Classification Internationale des handicaps et santé mentale, CTNERHI et GFEP.
152
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
Conclusion générale
Dans ce travail, nous avons parlé d’exclusion, d’engagement, de représentations, d’identité à
propos du handicap. Comme prévu dans l’introduction, nous n’avons pas défini le terme de
handicap, nous l’avons laissé se développer par plusieurs approches. Nous nous sommes
dégagés de la problématique de l’exclusion en montrant que le thème de l’exclusion est
profondément lié à l’engagement politique des personnes handicapées. En Afrique et dans la
littérature des Organisations internationales, nous avons interrogé la notion de vulnérabilité :
les personnes handicapées sont-elles plus vulnérables que les Autres ? Les Nations unies
pensent qu’il faudrait que les personnes handicapées participent davantage au processus de
développement. N’y participent-elles pas déjà ? De quelle manière ?
Comme je l’ai évoqué dans l’introduction, j’ai travaillé dans un foyer-résidence adapté pour
des personnes handicapées en France, mais aussi j’ai participé à la réalisation d’une enquête à
propos des centres de réadaptation au Burkina Faso. J’ai remarqué qu’il existe un grand
nombre d’associations de personnes handicapées au Burkina. Dans leurs histoires, ces
mouvements associatifs sont nés d’une volonté de réunir les personnes handicapées autour
d’une cause autre que celle qui touche au domaine de la santé : celle de l’égalité dans les
droits et l’égalisation des chances face à l’emploi, l’éducation pour permettre une plus grande
accessibilité aux différents services. Il semble que ceci suit les évolutions que nous avons
dessinées dans notre mémoire. Pouvons-nous parler de modèle social et de modèle individuel
en ce qui concerne les mouvements de personnes handicapées en Afrique ? Pouvons-nous y
transposer notre raisonnement et les catégories que nous avons élaborées dans le premier
chapitre ? Les Nations unies s’inscrivent explicitement dans un mouvement qui tend vers le
modèle social. Ce mouvement peut-il se traduire à l’échelle universelle ?
En introduction, nous avons évoqué le suicide pour nous démarquer de l’approche de
Durkheim. Dans une vision ordinaire, on pourrait penser que le suicide, en tant qu’acte de
mise à mort volontaire est à l’opposé des mouvements activistes de personnes handicapées.
On se demande qu’est ce qui pousse une personne handicapée à s’engager dans la vie, pour la
vie ? Quelles sont les histoires, les démarches et les actions et les volontés qui dessinent cet
engagement ?
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78
GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
TABLE DES MATIERES
Introduction .......................................................................................................................... 4
L’objet de la recherche et le vécu des autres.............................................................................................4
La construction de l’objet : dépasser le sens commun .............................................................................5
Pour une construction discursive de l’objet « handicap » ........................................................................6
1) Handicap et exclusion : les modèles explicatifs ................................................................ 9
1.1 Les processus de normalisation excluant. .....................................................................................9
1.1.1 De l’exclusion à la normalisation ...............................................................................................................9
Stigmate et handicap : normalisation et société ......................................................................................10
De la subjectivité.......................................................................................................................................12
Une normalité difficile à définir...............................................................................................................14
1.1.2 De la normalisation à la différenciation ...................................................................................................17
Le processus de réadaptation : processus de différenciation..................................................................17
Institution et différenciation .....................................................................................................................19
1.2
Modèle individuel et modèle social dans la recherche sur le handicap...............................20
1.2.1
Les modèles individuels ........................................................................................................................21
Le modèle curatif, les classifications de l’OMS et la réadaptation........................................................21
Classifications internationales..................................................................................................................23
1.2.2 Les modèles sociaux..................................................................................................................................25
Le modèle de l’accessibilité ou approche environnementale.................................................................25
Les disability studies.................................................................................................................................26
Les Processus de Production du Handicap ..............................................................................................27
1.3 Des modèles discursifs : théorie et pratique................................................................................28
1.3.1 Discours et pratique : entre le modèle et l’action ....................................................................................28
1.3.2 Du discours théorique à la loi ...................................................................................................................30
1.3.3 De la recherche sur le handicap vers une science sociale ? ....................................................................34
La psychosociologie .................................................................................................................................34
Du Handicap à la personne en situation de handicap : la question de l’autonomie..............................35
Le handicap : un objet ? Un champ ? Un domaine ? Un Symbole ? .....................................................36
CONCLUSION ..............................................................................................................................................38
2) Handicap et insertion : l’état des réponses sur le terrain................................................ 38
2.1. Enable : les Nations unies et le handicap ...................................................................................39
2.1.1 La notion d’incapacité ...............................................................................................................................40
2.1.2 Vulnérabilités et capabilités ......................................................................................................................44
2.1.3 Handicap et développement ......................................................................................................................47
2.2 Handicap et contextes locaux ........................................................................................................50
2.2.1 Diversité culturelle et mondialisation.......................................................................................................50
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GOUDON M. ETH R11, Mémoire bibliographique, Handicap et politiques internationales, une Anthropologie de la politisation du
handicap.
2.2.2 Contexte et politiques de santé en Afrique : l’exemple du Burkina Faso ..............................................52
Santé et décentralisation ...........................................................................................................................52
Une étude de cas : la gouvernance dans le domaine de la santé ............................................................55
2.3. Représentations culturelles et handicap .....................................................................................56
2.3.1 Le stigmate et la question de l’exclusion au Burkina Faso.....................................................................56
2.3.2 Représentations et handicap au Burkina Faso .........................................................................................59
2.3.3 Représentations du corps et de la maladie ...............................................................................................62
Représentation du corps............................................................................................................................62
Représentation de la maladie....................................................................................................................63
CONCLUSION ..............................................................................................................................................65
3) La recherche sur le handicap : déconstruction et délocalisation .................................... 65
3.1 diversité culturelle dans le domaine du handicap et des maladies ..........................................66
De l’expression de la souffrance ..............................................................................................................66
Itinéraires thérapeutiques et recherches de guérison ..............................................................................67
Parler de la douleur ...................................................................................................................................68
Des causes magiques de la souffrance.....................................................................................................68
Le sens des guérisseurs.............................................................................................................................69
3.2 Du corps en déplacement ...............................................................................................................70
Corps souffrant et interactions .................................................................................................................70
Handicap et maladie..................................................................................................................................72
Sortir des corps : étudier les lieux de l’invalidation, trouver ceux de l’autonomie. .............................73
3.3 Le rôle d’une analyse anthropologique .......................................................................................74
3.3.1 Militantisme et recherche : The rewiew of disability Studies : An International Journal ....................74
3.3.2 Anthropologie, développement : déconstruire et comprendre................................................................75
La position de l’anthropologue ................................................................................................................76
Le rôle de traduction .................................................................................................................................76
Conclusion générale ........................................................................................................... 78
BIBLIOGRAPHIE ..............................................................................................................................................79
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