La légalité de l'intervention humanitaire en droit international: entre la non-violence et le respect des droits de l'homme François Villeneuve Institut de droit comparé Université McGill, Montréal Août 2005 A thesis submitted to McGiIl University in partial fulfIlment of the requirements of the degree of Master oflaws (LL.M.) © François Villeneuve 2005 1+1 Library and Archives Canada Bibliothèque et Archives Canada Published Heritage Branch Direction du Patrimoine de l'édition 395 Wellington Street Ottawa ON K1A ON4 Canada 395, rue Wellington Ottawa ON K1A ON4 Canada Your file Votre référence ISBN: 978-0-494-25058-7 Our file Notre référence ISBN: 978-0-494-25058-7 NOTICE: The author has granted a nonexclusive license allowing Library and Archives Canada to reproduce, publish, archive, preserve, conserve, communicate to the public by telecommunication or on the Internet, loan, distribute and sell theses worldwide, for commercial or noncommercial purposes, in microform, paper, electronic and/or any other formats. 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Le présent mémoire examine tour à tour ces divers arguments et en vient à la conclusion que l'intervention humanitaire demeure toujours illégale en vertu du droit international. Malgré la formidable avancée qu'ont connu les droits de l'homme au cours des soixante dernières années, la règle prohibant tout emploi de la force conserve auprès des États toute sa force normative en ce début de 21 ième siècle. Abstract In spite of the general prohibition of the use of force in international relations contained in the UN Charter, sorne jurists maintain that humanitarian intervention is valid under comtemporary internationallaw. Too make their case, they put forward a series of arguments which can be divided into two categories. The fIfst holds that humanitarian intervention is compatible with the UN Charter, and the second, which is used more often, that a right of humanitarian intervention has arise out of state's practice. The present thesis surveys these arguments and cornes to the conclusion that humanitarian intervention remains illegal under internationallaw. Notwithstanding the formidable progression of human rights in international society, the mIe prohibiting recourse to force still enjoys great currency among states at the beginning of this new millenium. Remerciements Dans le cadre de la réalisation de ce présent mémoire, j'ai pu compter sur l'aide et le soutien de multiples personnes. Tout d'abord, je désire souligner l'indéfectible appui de ma conjointe Fotini. Sa patience et son indulgence à mon égard ont été exemplaires. Sans ses nombreux encouragements, l'aventure qu'est l'écriture d'un mémoire de maîtrise m'aurait été plus pénible. Ensuite, je ne peux passer sous silence le soutien de mes parents Lucie et Richard, de même que l'aide apportée par Gaston Denis et Me José Bonneau. Chacun d'entre eux a été d'un grand secours. Je voudrais aussi remercier chaleureusement mon directeur de thèse, le professeur Stephen J. Toope, pour son amabilité, sa diligence et ses judicieux conseils. Ses suggestions et sa direction m'ont permis d'éviter de nombreux pièges auxquels succombent trop souvent les étudiants. Je lui en suis grandement reconnaissant. Je me dois également de remercier mes amis et proches, qui ont fait preuve d'une admirable patience devant mes trop nombreuses absences au cours des derniers mois. Enfin, je souhaite également remercier le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) pour leur soutien financier. Sans leur bourse de maîtrise, il m'aurait été impossible d'investir autant d'efforts à la présente recherche. François Villeneuve août 2005 Liste des principaux acronymes CEDEAO Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest CIJ Cour internationale de Justice ECOMOG ECOWAS Cease-fire Monitoring Group KFOR NATO Kosovo force MINUK Mission d'administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo ONG Organisation non gouvernementale ONU Organisation des Nations Unies OSCE Organisation de la sécurité et de la coopération en Europe OTAN Organisation du traité de l'Atlantique Nord OUA Organisation de l'unité africaine RFY République fédérale de Yougoslavie TPIY Tribunal pénal international pour l' ex-Yougoslavie UCK Armée de libération du Kosovo URSS Union des républiques socialistes soviétiques Table des matières Introduction 1 Première partie: La définition et l'origine de l'intervention humanitaire 5 I. L'intervention définie 5 A) « Intervention» 8 B) « Humanitaire» 11 C) Notre définition de l'intervention humanitaire 15 II. L'origine de la doctrine de l'intervention humanitaire A) La théorie de la guerre juste 17 17 l. L'Empire romain et le Moyen-Âge 17 2. La Renaissance 19 3. Le principe de non-intervention et l'avènement du positivisme 23 B) La pratique des États de 1815 à 1945 1. La pratique des États avant la première Guerre mondiale 26 26 a) La France, la G.B. et la Russie en Grèce en 1827-1830 26 b) L'Autriche, la France, la G.B.et al. en Syrie en 1860-61 28 c) Les États-Unis à Cuba en 1898 29 2. Les auteurs et la doctrine de l'intervention humanitaire 31 3. La période de l'entre-deux-guerres 34 Deuxième partie: L'intervention humanitaire à la lumière de la Charte de l'ONU et de la pratique des États de 1945 à 2005 I. Les arguments fondés sur la compatibilité avec la Charte de l'ONU 38 42 II. Les arguments fondés sur la pratique générale des États de 1945 à 2005 52 A) Les arguments fondés sur l'inefficacité du Conseil de sécurité de l'ONU 53 B) Les arguments fondés sur la « révolution des droits de l'homme» 58 C) Les arguments fondés sur les divers cas d'interventions armées depuis 1945 66 1. Les cas présumés d'interventions humanitaires durant la Guerre froide 68 a) L 'Inde au Bengale oriental en /97/ 68 b) Le Vietnam au Kampuchéa (Cambodge) en 1978-79 73 c) La Tanzanie en Ouganda en /978-79 78 d) La France en République centrafricaine en /979 81 2. Analyse des cas d'« interventions humanitaires» de 1945 à 1989 85 3. Les cas présumés d' « interventions humanitaires» depuis 1990 89 a) La CEDEA 0 au Libéria en /990 89 b) Les alliés (É.-U.,G.-B.et la France) en Irak en /99/-92 106 c) L'OTAN en RFY en 1999 125 4. Analyse des cas d'« interventions humanitaires» de 1990-2005 160 Conclusion 171 Bibliographie 177 Introduction Le droit sans laforee, c'est l'impuissance; laforee sans le droit, c'est la barbarie Eric David Ces mots paraphrasant l'une des plus célèbres citations du philosophe français Blaise Pascal décrivent peut-être le mieux le dilemme moral qui hante l'un des débats les plus épineux des relations internationales modernes, la question de l'intervention humanitaire. D'une part, les États doivent-ils, au nom du droit international, qui interdit en principe l'emploi de la force armée dans les relations interétatiques, s'abstenir d'intervenir militairement lorsqu'en quelques lieux sont perpétrés, de manière systématique, des crimes contre les droits élémentaires de l'homme? En effet, que valent ces droits s'ils ne sont pas épaulés par un système coercitif assurant leur respect effectif? Sans la possibilité d'user de tels mécanismes, la communauté internationale n'est-elle pas impuissante? D'autre part, peut-on raisonnablement faire abstraction de ce droit international et laisser comme au 19ième siècle le libre arbitre à chaque État de recourir comme bon lui semble à la guerre avec tous les abus et les dommages humains que cela occasionne ? N'y aurait-t-il pas danger que le mobile humanitaire ne devienne qu'un prétexte servant les visées hégémoniques des grandes puissances? Cela ne constituerait-t-il pas un retour à la loi de la jungle et à la barbarie dans la société internationale? Ce dilemme ne peut être aisément résolu. Car il implique une confrontation entre deux valeurs fondamentales pour l'homme, la non-violence et le respect des droits de la personne. Laquelle doit prédominer? Depuis maintenant plusieurs années, les théologiens, les philosophes et les politologues se sont penchés sur cette question. Le droit international actuel n'échappe pas au débat. Si la Charte de l'ONU adoptée en 1 Propos tenus par le professeur Eric David lors d'un débat présidé par Jean Salmon à l'occasion d'un colloque portant sur l'intervention du Kosovo et organisé par le Centre de droit international et de sociologie appliquée en droit international de l'Université Libre de Bruxelles le 10 décembre 1999. «Débats, sous la présidence de Jean Salmon» dans Corten Olivier et Barbara Delcourt, Droit, légitimation et politique extérieure: L'Europe et la guerre du Kosovo, Bruxelles, Bruylant et Université de Bruxelles, 2000, à la p. 304. [Corten et Delcourt] L'énoncé du professeur Eric David s'avère néanmoins une traduction quelque peu inexacte de la fameuse citation de Pascal. Celui-ci, dans son ouvrage intitulé Pensées, aurait plutôt affirmé: «La justice sans la force est impuissante, la force sans lajustice est tyrannique». 1 1945 a un parti pris pour la non-violence, les droits de l'homme ont connu un développement spectaculaire au cours des soixante dernières années. De sorte qu'il n'y a pas d'unanimité parmi les auteurs sur la question de la légalité de l'intervention humanitaire. Elle demeure un sujet hautement controversé en droit international. Et il faut le croire, il le restera encore pour longtemps. Même si aujourd'hui l'attention des États occidentaux est tournée vers la lutte au terrorisme suivant les attentats meurtriers de New York, Bali, Madrid et plus récemment Londres, tôt ou tard, il surgira des tragédies humanitaires qui réanimeront la polémique comme l'ont cruellement rappelé les tristes événements du Darfour il y a quelques mois. Pour ces raisons, l'étude de l'intervention humanitaire conserve toute son utilité. C'est pourquoi il nous est apparu opportun d'étudier son statut en droit international, même si bien d'autres nous ont précédé. Ainsi, l'objectif du présent mémoire est de réexaminer la légalité de l'intervention humanitaire à la lumière de l'évolution qu'a connu le droit international depuis la fin de la deuxième Guerre mondiale et de déterminer, plus spécifiquement, si elle ne constitue pas, en ce début du 21 ième siècle, une exception légale à l'article 2 (4) de la Charte de l'ONU. Pour ce faire, nous analyserons ses aspects légaux à travers l'examen des principaux arguments soulevés par les auteurs qui y sont favorables. Notre étude sera divisée en deux grandes parties. La première aura pour but d'éclaircir les contours de notre sujet et de mettre en contexte les composantes légales de l'intervention humanitaire, lesquelles seront ensuite approfondies dans une deuxième partie. Puisque le concept de l'intervention humanitaire a été par le passé soumis à diverses interprétations, nous croyons nécessaire de consacrer nos premières pages à exposer dans le détaille sens particulier qu'il peut avoir en droit international, à la suite de quoi nous formulerons notre propre définition. Une fois l'intervention humanitaire explicitée, nous pourrons explorer ses origines historiques dans une deuxième section. Après un aperçu de la théorie de la guerre juste qui est aux fondements même de la doctrine de l'intervention humanitaire, nous ferons un court résumé de la pratique et du contexte légal applicables aux interventions armées « humanitaires» du début du 19ième siècle jusqu'à 1945, année de l'adoption de la Charte de l'ONU. 2 La deuxième partie examinera la légalité de l'intervention humanitaire qui est au cœur de notre étude. Partant de l'examen du contenu normatif de la Charte de l'ONU quant à l'usage de la force armée, et tout spécialement de son article 2 (4), nous étudierons par la suite, les deux grandes catégories d'arguments qui sont les plus fréquemment soulevés par les tenants de la légalité de l'intervention humanitaire. Dans une première section, nous analyserons le postulat souvent réitéré qu'elle serait compatible avec la Charte. Certains juristes réfutent l'idée généralement reçue que la prohibition de l'emploi de la force contenue à l'article 2 (4) de la Charte ne souffrirait d'aucune exception. Ils sont plutôt d'avis que cette disposition permet par ses termes l'intervention humanitaire. La deuxième série d'arguments, contrairement à la précédente, ne repose pas sur la Charte de l'ONU, mais sur l'idée que la pratique ultérieure des États a eu pour effet d'altérer le caractère obligatoire et absolu de l'article 2 (4). Trois arguments spécifiques seront alors analysés dans une deuxième section. Premièrement, certains auteurs font valoir que la paralysie du Conseil de sécurité occasionnée par les rivalités géopolitiques entre les deux superpuissances durant la Guerre froide n'avait pas été prévue par les membres fondateurs de l'ONU et qu'en conséquence, il serait loisible aux États de recourir à l'intervention humanitaire de manière unilatérale lorsque le Conseil est dans l'incapacité d'agir. Deuxièmement, plusieurs juristes expriment l'opinion que le développement du régime international de protection des droits de l'homme au cours des soixante dernières années, ce qui est convenu d'appeler la « révolution des droits de l'homme », a favorisé l'apparition d'un droit d'intervention humanitaire. Enfin, un dernier groupe plus nombreux croit que certaines opérations armées survenues depuis 1945 constitueraient de véritables interventions humanitaires et qu'elles témoigneraient de l'émergence, mieux de la concrétisation, d'une coutume internationale qui aurait aujourd'hui préséance sur l'article 2 (4). Ceux-ci s'appuient sur une multitude de cas. Mais pour les fins de ce mémoire, sept incidents seront évalués, le dernier en date étant l'intervention de l'OTAN en RFY en 1999. Ce n'est qu'après la revue et l'analyse de tous ces arguments que nous pourrons conclure à la licéité ou non de l'intervention humanitaire. Avant de commencer notre travail toutefois, nous désirons émettre quelques précisions préliminaires que nous jugeons importantes. Sur le plan méthodologique en 3 premier lieu, notre choix d'étudier la légalité de l'intervention humanitaire par le biais des arguments de ses adeptes s'explique par le fait que l'article 2 (4) de la Charte de l'ONU contient explicitement une interdiction générale de recourir à la force armée dans les relations internationales. En conséquence, le fardeau de démontrer sa validité en droit international repose donc sur ceux qui le prétendent. Ensuite, nous tenons à préciser dès le départ que notre travail de recherche porte une attention particulière à l'étude de la pratique des États, surtout aux cas présumés d'interventions humanitaires qui sont survenus depuis 1990. Ce n'est pas sans raison. Puisque l'État par ses faits et gestes est le principal créateur de normes internationales, nous croyons que toute recherche de droit international aurait avantage à s'attarder aux comportements étatiques. Enfin, nous désirons souligner que notre analyse juridique est essentiellement basée sur une approche positiviste du droit. Malgré certaines lacunes, nous sommes d'avis qu'elle demeure la meilleure méthode pour disséquer le droit international. 4 Première partie La défmition et l'origine de l'intervention humanitaire 1. L'intervention définie Malgré le vaste éventail de publications de science politique et de droit abordant le concept d'intervention humanitaire, une confusion persiste sur son sens et sa portée véritable. Le droit d'intervention humanitaire semble, en effet, être sujet à de multiples interprétations. D'une part, il est très souvent confondu avec d'autres notions politiques ou juridiques. Les médias français ont régulièrement assimilé le droit et le devoir d'ingérence2 à différents types d'immixtions dans la souveraineté des États, incluant celles impliquant l'utilisation de la force 3 • Et plus récemment, l'on s'aperçoit que certains semblent avoir du mal à distinguer le concept actuellement en vogue de la « responsabilité de protéger », qui traite essentiellement des actions militaires multilatérales, de l'intervention humanitairé. D'autre part, le peu de juristes qui ont tenté de le définir ne s'entendent pas sur une signification commune. Il y a d'âpres débats entre eux, notamment lorsqu'il est temps de donner un sens aux termes « intervention» et « humanitaire ». De sorte que le profane ne sait plus exactement ce Le droit et le devoir d'ingérence ont été popularisés à la fin des années 80 et au début des années 90 par le médecin sans-frontièriste Bernard Kouchner et le juriste Mario Bettati. Voir à ce sujet Mario Bettati et Bernard Kouchner, Le devoir d'ingérence: Peut-on les laisser mourir ?, Paris, Éditions Denoel, 1987 et Mario Bettati, « Un droit d'ingérence?» (1991) 95 Revue Générale de Droit International Public 639. [Bettati). Les deux expressions ont été, par la suite, reprises amplement dans les médias français, notamment lors de la première Guerre du golfe en 1991. (Olivier Corten et Pierre Klein, Droit d'ingérence ou obligation de réaction? Les possibilités d'action visant à assurer le respect des droits de la personne face au principe de non-intervention, Bruxelles, Bruylant, 1992, à la p. 2.) (Corten et Klein) 3 Bettati, supra note 2 à la p. 640. En fait, le devoir et le droit d'ingérence ne se retrouvent dans aucun instrument international contraignant. Le devoir d'ingérence, de l'avis même d'un de ses créateurs, ne devait avoir aucun avenir juridique en droit international. Il a été introduit « par commodité de langage pour désigner une attitude éthique» (voir ibid. à la p. 643), celle représentée par les diverses actions humanitaires d'ONG comme Médecins du Monde. Pour ce qui est du droit d'ingérence, terme n'ayant aucune valeur juridique toujours selon Bettati (Mario Bettati, « Le droit d'ingérence: sens et portée» (1991) 67 Le Débat 4, à la p. 5.), il s'agit d'une variante populaire du droit d'assistance humanitaire qui est mieux défini et qui possède une histoire plus longue en droit international. 4 Le concept de « responsabilité de protéger » a été adopté suivant les travaux tenus par la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États qui visait à établir une nouvelle norme en matière d'intervention internationale pouvant faire consensus. Dans son rapport rendu publique en 2001, les commissaires abordent peu l'intervention humanitaire sans mandat de l'ONU. En fait, il semble, malgré une prise de position quelque peu ambiguë de la Commission, que la notion de « responsabilité de protéger» ne renferme pas un droit unilatéral d'intervention humanitaire pour les États. (Commmission Internationale de l'Intervention et de la Souveraineté des États, La responsabilité de protéger, (Décembre 2001), en ligne: <http://www.iciss.ca/report2-fr.asp> au para. 6.36 à 6.39, à la p. 59. (Date d'accès: 20 août 2005) [Responsabilité de protéger] 2 5 que peut vouloir dire l'expression « intervention humanitaire ». Désigne-t-elle toute ingérence dans un autre pays visant à secourir une population en détresse ? Comprend-t-elle l'aide humanitaire délivrée par une ONG comme le Comité international de la Croix-Rouge ou l'emploi de la force armée autorisé par le Conseil de sécurité ? Ces ambiguïtés terminologiques minent grandement toute analyse de la légalité du droit d'intervention humanitaire. C'est pourquoi, il nous est apparu primordial d'éclaicir ses contours conceptuels avant de procéder à toute discussion ultérieure, et ce malgré le scepticisme de certains quant à l'utilité d'une telle démarche5• A tout le moins, ces éclaircissements auront l'avantage de délimiter avec plus d'acuité le sujet de la présente étude, ce qui ne peut que faciliter sa compréhension globale. Puisqu'aucun instrument de droit international ne définit explicitement ce qu'est une intervention humanitaire, il est nécessaire de se tourner vers la doctrine, qui elle s'est prononcée, sans toutefois en arriver à un consensus sur une définition particulière6 • Traditionnellement, les auteurs ont eu tendance à adopter des définitions vagues à l'intérieur desquelles la moralité avait une place de choix. Au début du 20ième siècle, l'intervention humanitaire était typiquement celle par laquelle un État employait la force contre un autre État afm de mettre un terme à des traitements contraires aux lois de l'humanitë ou lorsque certains actes perpétrés dépassaient les limites de l'acceptabilité et du tolérable. Antoine Rougier par exemple, dont la définition a inspiré bon nombre de générations successives de juristes8, assimilait la 5 Ce qui a fait dire à un juriste que ces confusions terminologiques rendent illusoire toute tentative de définir les contours du concept d'intervention humanitaire. (Michael J. Bazyler, « Reexaminig the Doctrine of Humanitarian Intervention in Light of the Atrocities in Kampuchea and Ethiopia» (1987) 23 Stariford Journal ofinternationallaw 547, à la page 547 [Buyler]) Pour d'autres, toute définition générale serait très difficile à formuler et impossible à appliquer avec rigueur. (Thomas M. Franck and Nigel S. Rodley, « After Bangladesh: The Law of Humanitarian Intervention hy Military Force» (1973) 67(2) American Journal of International Law 275, à la p. 305. [Franck and Rodley)) En fait, les auteurs ne s'entendent pas sur les conditions d'exercice d'un éventuel droit d'intervention humanitaire. Elles varient d'un auteur à l'autre. Certains modulent leur définition en assouplissant ces critères dans le but de rendre légal l'intervention humanitaire (Sean D. Murphy, Humanitarian Intervention: The United Nations in an Evolving World Order, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1996, à la p. 11.) [Murphy). Une telle approche est évidemment à éviter. 7 En anglais, l'expression équivalente était « Rights ofhumanity». 8 Un de ceux-là, Charles Rousseau, donna écho dans les années 70 à la définition de Rougier. Pour lui, l'intervention dite humanitaire correspondait à « l'action exercée par un État contre un gouvernement 6 6 théorie de l'intervention d'humanitë à «celle qui reconnaît pour un droit l'exercice du contrôle international d'un État sur les actes de souveraineté intérieure d'un autre État contraires «aux lois de l'humanité» »10. Tandis qu'un de ses contemporains, Ellery StoweU, définissait la doctrine de l'intervention humanitaire de la manière suivante: «[T]he reliance upon force for the justifiable purpose of protecting the inhabitants of another state from treatment which is so arbitrary and persistently abusive as to exceed the limits of that auhority within which the sovereign is presumed to act with reason and justice» II. Il faut cependant attendre quelques années pour voir les auteurs élaborer une doctrine plus moderne de l'intervention humanitaire basée sur la protection des droits de la personne. Le professeur lan Brownlie capta cette nouvelle approche lorsqu'il définit laconiquement l'intervention humanitaire comme étant la menace ou l'emploi de la force par un État, un groupe d'État ou une organisation internationale dans le but de protéger les droits de l'homme l2 • Nonobstant ce développement, il faut admettre que le libellé de lan Brownlie demeure incomplet sur le plan juridique et peu satisfaisant lorsque vient le temps de conceptualiser dans le détail la notion d'intervention humanitaire. Pour ce faire, il est nécessaire d'examiner exhaustivement le sens que peut revêtir les termes « intervention» et « humanitaire ». Ceci facilitera l'adoption d'une définition avec laquelle nous pourrons travailler. étranger dans le but de faire cesser les traitements contraires aux lois de l'humanité qu'il applique à ses ~ropres ressortissants». Charles Rousseau, Droit international public, Paris, Sirey, 1971, à lap. 49. Cette expression réfère davantage aux interventions humanitaires qui avaient cours au 19,eme siècle dans le cadre du Concert de l'Europe. Celles-ci seront étudiées plus abondamment un peu plus loin. Voir deuxième section de cette première partie, ci-dessous aux pp. 26 et ss. Il est à noter toutefois que plusieurs juristes français contemporains utilisent toujours cette expression pour désigner les interventions humanitaires. Voir notamment les deux auteurs suivants: Mario Bettati, Le droit d'ingérence: mutation de l'ordre international, Paris, Odile Jacob, 1996 et Serge Sur, Le recours à la force dans l'affaire du Kosovo et le droit international: une analyse de l'intervention de l'OTAN au Kosovo, au regard du droit international et de la Charte des Nations Unies, Série Atlantique, Notes de l'IFRI 22, Paris, IFRI, 2000. [Sur] 10 Antoine Rougier, « La théorie de l'intervention de l'humanité» (1910) 17 Revue Générale de Droit International 468, à la p. 472. [Rougier] Il Ellety Stowell, Intervention in International Law, Washington, John Byme Co., 1921, à la p. 53. [Stowell] 12 Sa définition originale est la suivante: « the threat or use of armed force by a state, a belligerent community, or an international organization, with the object of protecting human rightS». (lan Brownlie, « Humanitarian Intervention» dans John Norton Moore, dir., Law and Civil War in the Modern World, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1974,217 à la p. 217.) 7 A) « Intervention» Le terme « intervention» en droit international englobe une multitude d'interférences dans les affaires intérieures et extérieures des États. Il n'implique pas nécessairement l'emploi de la force contre un autre État ou même la violation transfrontalière du territoire national 13 • Ainsi, le retrait d'une mission diplomatique, la condamnation publique d'un État, l'imposition de sanctions économiques ou le financement de groupes d'opposition peuvent, le cas échéant, être qualifiés d'intervention en regard du droit international 14 • Néanmoins, les auteurs sont généralement d'avis qu'une intervention « humanitaire» doit être de nature plus coercitive, c'est-à-dire qu'elle se limiterait aux cas de menace ou d'emploi réel de la force armée 15 • L'envoi d'un contingent armé dans un pays étranger serait donc le type d'ingérence le plus familier lorsqu'il est question de l'intervention humanitaire 16 • Cela n'empêche pas quelques auteurs d'assimiler certaines mesures moins astreignantes à des interventions humanitaires 17 , comme par exemple des sanctions économiques onéreuses qui obligeraient un État à revoir ses pratiques en matière de droits de l'homme. Mais pour les fins de la présente étude, ces dernières ne seront pas abordées. Après avoir examiné la nature des actes qui entrent dans le définition d'intervention humanitaire, voyons qui peut en être les instigateurs. Sur ce point particulier, il y a peu de dissensions parmi les auteurs 18 • L'intervention humanitaire peut être entreprise par un État seul. Dans ce cas, elle est unilatérale. Un groupe d'États peut également intervenir collectivement en formant une coalition ad hoc ou 13 Une majorité d'auteurs considèrent néanmoins que ces interférences doivent, minimalement, avoir pour but d'imposer un diktat à un autre État (qu'il s'agisse de le contraindre à poser certains actes ou à adopter une quelconque politique), pour que l'on puisse être en présence d'une intervention en droit international. Voir à ce sujet notamment Wil D.Verwey, « Humanitarian Intervention under International Law» (1985) 32(3) Netherlands International Law Review 357 à la p. 364-65. [Verwey] 14 Murphy, supra note 6, à la p. 9. 15 Verwey, supra note 13, à la p. 374. 16 Toutefois, les mesures qui correspondent à des menaces d'utilisation de la force sont également comprises dans la définition d'intervention humanitaire. Il semble bien y avoir un consensus à ce sujet parmi la doctrine. En effet, une menace de recourir à la guerre peut, dans certaines circonstances, constituer une mesure aussi coercitive que la force elle-même. (Murphy, supra note 6, à la p. 13). Notons d'ailleurs que la communauté internationale l'a érigé, tout comme l'emploi de la force, en acte illégal par l'entremise de l'article 2 (4) de la Charte de l'ONU. 17David J. Scheffer, « Towards a Modem Doctrine of Humanitarian Intervention» (1992) 23 University o/Toledo Law Review (1992) 253 à la p. 266 [Scheffer]; Fernando Téson, Humanitarian Intervention: An Inquiry into Law and Morality, 2nd ed. Irvington-on-Hudson, Transnational Publishers, 1997 à la p. 135. [Téson] 18 Verwey, supra note 13, à la p. 374. 8 inversement agir à l'intérieur d'un mandat d'une organisation intergouvernementale régionale, économique ou militaire comme par exemple l'OUA, la CEDEAO ou l'OTAN. Par contre, les interventions menées par des États ou des organisations régionales et dûment autorisées par le Conseil de sécurité de l'ONU sont, de l'opinion d'une majorité de spécialistes 19, exclues du domaine des interventions humanitaires. En effet, des normes juridiques complétement différentes s'appliquent à ces utilisations autorisées de la force armée car, contrairement aux interventions non approuvées, leur légalité ne fait aucun doute. Elles constituent des exceptions valables à la prohibition générale de recourir à la force que l'on retrouve à l'article 2 (4) de la Charte de l'ONU20 • Dans le but de ne pas complexifier inutilement la présente analyse, il est préférable de ne pas les insérer sous le vocable des interventions humanitaires. Elles ne seront étudiées, dans cet ouvrage, que pour illustrer certains points. Un autre type de recours à la force ne doit pas être considéré, à plus forte raison, d'interventions humanitaires. Il s'agit des opérations militaires dont l'ONU assume le commandement comme par exemple les opérations de maintien et d'imposition de la paix21 • Il en va de même des missions humanitaires à l'étranger des ONG qui ne constituent pas des « interventions» au sens du droit international. Ainsi, l'aide alimentaire, l'assistance médicale et le soutien logistique apportés à des populations étrangères en détresse par des organismes privés comme Médecins du Monde constituent, sur le plan de la terminologie juridique, de l'assistance humanitaire. Le droit international confère d'ailleurs aux victimes se trouvant en situation de catastrophes naturelles ou de crises humanitaires un droit d'assistance humanitaire, droit qui leur permet de recevoir, sans aucune discrimination, de l'aide humanitaire de la part de pays étrangers ou d'ONG22 • Il apparaît donc, à l'évidence, 19 Voir cependant les opinions discordantes de certains auteurs tels Sean D. Murphy et FernandoTéson. (Murphy, supra note 6 à la p. 14 et Téson, supra note 18). 20 Il en sera question un peu plus tard. Voir l'introduction de la deuxième partie ci-dessous à la p. 40. Pour plus de déJaiis sur ce type particulier d'opérations, voir notamment Claude Emmanuelli, Les actions militaires de l'ONU et le droit international humanitaire, Montréal, Éditions Wilson & Lafleur inc., 1995. [Emmanuelli] 22 La CIJ a reconnu ce droit d'assistance humanitaire dans l'affaire sur le Nicaragua. (Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis), arrêt du 27 juin 1986 (au fond) [1986] C.U. rec. 14, à la p. 124 et 125. [Nicaragua]). D'autres instruments du droit international témoignent également de la reconnaissance de ce droit. D'une part, en temps de guerre, les Conventions de Genève de 1949 ainsi que ses Protocoles additionnels confèrent un droit d'initiative humanitaire aux ONG, et tout particulièrement à la Croix-Rouge. D'autre part, en temps de 21 9 d'importantes divergences entre l'intervention et l'assistance humanitaire. La plus significative est que cette dernière activité n'implique, plus souvent qu'autrement, aucune force armée. Ce qui n'est pas le cas de l'intervention humanitaire, qui par définition comprend l'emploi de la force armée, comme nous l'avons énoncé un peu plus haut. Il peut arriver cependant, compte tenu des conditions sur le terrain, qu'une force militaire soit déployée dans le but de protéger des convois d'aide humanitaire 23 dans des zones de turbulence pOlitique • Ces cas de déploiements expliquent, en partie, la difficulté qu'ont certains de différencier l'intervention de l'assistance humanitaire. Une autre distinction à relever entre ces deux notions est le fait que les spécialistes du droit international sont généralement d'avis que la délivrance de l'assistance humanitaire à l'étranger par un État ou une ONG n'enfreint pas, en principe, la souveraineté du pays qui reçoit l'aide, car la plupart du temps ce dernier y aura consente 4 • Les interventions effectuées à la demande d'un gouvernement étranger aux prises avec des troubles internes ne peuvent également recevoir le qualificatif d'« humanitaire ». Ceci s'applique que l'invitation provienne d'une autorité légitimement élue25 (de jure) ou qui assume de fair 6 (de facto) le pouvoir sur le territoire nationat27• De telles conclusions proviendraient du fait que l'utilisation de la force lors d'interventions par invitation serait, avant tout, considérée comme de la 28 coopération militaire • Ce qui revient à dire qu'elle n'enfrendrait aucunement la souveraineté de l'État-hôte. paix, le droit résolutoire de l'Assemblée de l'ONU, inspiré des travaux de Bettati et Kouchner, permet aux États et aux ONG étrangères d'offrir de l'aide aux victimes lors de catastrophes humaines et naturelles. Voir à ce sujet Nguyen Quoc Dinh, Patrick Daillier et Alain Pellet, Droit international gublic, 6 e ed., Paris, LGDJ, 1999, aux pp. 444 à 446.) [Dinh, Daillier et Pellet] 3 Quelquefois, ils peuvent être assimilés à des interventions humanitaires. La mission « Provide comfort» menée en vue de délivrer de l'aide alimentaire aux kurdes irakiens en 1991 en est un exemple. Voir à ce sujet ci-dessous les pp. 106 et ss. 24 Certains auteurs sont également d'avis que l'intervention humanitaire ne viole pas la souveraineté étatique. Il en sera question un peu plus loin. Voir ci-dessous aux p. 42-43. 25 Qu'il soit en exil ou non. 26 Par exemple, un groupe armé qui a obtenu le pouvoir à la suite d'un coup d'État. 27 Les auteurs sont divisés néanmoins sur la question de savoir s'il en serait de même pour l'invitation donnée par un groupe de rebelles qui contrôlerait effectivement une parcelle du territoire en proie à la guerre civile ou à une crise humanitaire. Voir à ce sujet la discussion dans Murphy, supra note 6, à la p. 19 (note 19). Pour notre part, nous croyons qu'une telle invitation faite par un groupe d'insurgés serait légitime dans la mesure où il y aurait absence d'un gouvernement apte à diriger les destinées d'un gays. 8 Ibid., à la p. 18. 10 B) « Humanitaire » Le tenne « humanitaire» est aussi problématique sur le plan de la sémantique que peut l'être « intervention». Dans son sens ordinaire, cet adjectif désigne toute action « [q]ui vise au bien de l'humanité ))29. Ce n'est donc pas surprenant qu'il a été employé à toutes les sauces au cours des dernières années. Il peut désigner, en effet, de multiples actions initiées par les États, les organisations internationales ou les organisations non gouvernementales aspirant à améliorer le bien-être des individus et à les délivrer de leurs souffrances. Nous n'avons qu'à penser aux expressions suivantes: action humanitaire, aide humanitaire, assistance humanitaire, droit international humanitaire et bien entendu intervention humanitaire, etc. À en croire certains, il y a de quoi faire une indigestion3o • Mais lorsqu'il vient après le mot « intervention », le qualificatif « humanitaire)) a une signification toute particulière, limitée à une situation bien précise. L'intervention dite humanitaire est celle qui a pour objectif de mettre un tenne à l'existence d'une situation préoccupante au niveau des droits de l'homme, qui très souvent dégénère et déstabilise politiquement une région du monde. Situation qui peut résulter soit de la conduite d'un État envers ses citoyens ou encore des exactions survenant à l'occasion de désordres internes lorsque le gouvernement est dans l'incapacité de maintenir l'ordre et de rétablir son autoritë l . Ainsi sur le plan conceptuel, l'intervention humanitaire doit être distinguée de l'intervention prodémocratique puisque, contrairement à cette dernière, elle ne vise pas stricto sensu à remplacer par la force un régime tyrannique par un gouvernement démocratique32 • Elle n'aspire qu'à éradiquer les crises humanitaires occasionnées par la négation des droits de l'homme sans nécessairement s'attaquer directement aux régimes politiques qui peuvent en être quelquefois la cause. 29 Le Robert illustré d'aujourd'hui en couleur, 1997, s.v. ({ humanitaire». 30 Jean-Christophe Rutin, « La maladie infantile du droit d'ingérence» (1991) 67 Le débat 24. Il n'est donc pas nécessaire que la négation des droits de l'homme soit le fait d'un gouvernement être en présence d'une intervention humanitaire. (Murphy, supra note 6, aux pp. 17-18.) 2 Pour plus de détails sur ce type d'intervention très controversé en droit international voir notamment: Christine Gray, International Law and the Use of Force, 2nd ed., Oxford, Oxford University Press, 2004, aux pp. 49-52 [Gray]; Brad R. Roth, ({ Governmental Illegitimacy Revisited: Pro-Democratie Armed Intervention in the Post-Bipolar World» (1993) 3 Transnational Law and Contemporary Prob/ems 481; Oscar Schachter, ({ Is There a Right to Overthrow an Illegitimate Regime? )) dans Michel Virally, Le droit international au service de la paix de la justice et du développement, Paris, Pedone, 1991,423. 31 ~ur 11 Cela étant dit, on peut se demander à quel moment une situation devient assez préoccupante pour légitimer une intervention extérieure ? En premier lieu, il est généralement admis qu'on doit être en présence de violations massives des droits humains33 . Ces violations doivent être, en quelque sorte, étendues et systématiques, de sorte que se crée un sentiment d'urgence de la part de la communauté internationale. Ainsi, une forte quantité de transgressions aux normes internationales est habituellement requise avant d'intervenir dans un État étranger. A contrario, quelques atteintes épisodiques aux droits de l 'homme ne rencontrent pas les conditions suffisantes pour justifier l'emploi de la force. L'étendue des exactions devient donc un facteur important à considérer préalablement à toute intervention. Ce critère est quelquefois jumelé à un autre. Celui d'un certain degré de récurrence des violations massives des droits de l'homme. Ce facteur, moins considéré par la doctrine, demeure tout de même pertinent. En effet, la communauté internationale laisse généralement, à l'occasion d'une première violation significative, l'opportunité au gouvernement impliqué de mettre fin à ses pratiques illégales ou de résoudre par lui-même les difficultés rencontrées. Elle commençera très souvent par condamner cet État en faute avant de se lancer dans une intervention onéreuse en vies humaines et pertes matérielles. Autrement dit, elle essaiera, avant de recourir à la force armée, de résoudre l'imbroglio international par les mécanismes classiques de la diplomatie34 . Il peut cependant arriver des circonstances où les atteintes sont si graves et étendues qu'il y a urgence d'intervenir sans se préoccuper de savoir si les violations ont une certaine continuité dans le temps35. Deuxièmement, une situation devient préoccupante dans un pays lorsque sont bafoués certains droits de l'homme qui ont un caractère fondamentae 6 • Le droit à la vie possède, de l'opinion de plusieurs publicistes, ce statut particulier3? Sa violation répétée occasionne des pertes substantielles de vies humaines, ce qui en retour justifie très souvent une intervention humanitaire. D'autres droits peuvent, pour les fins de la définition d'intervention humanitaire, revêtir ce caractère exceptionnel si leur négation Verwey, supra note 13, à la p. 368. Plusieurs auteurs sont même d'avis qu'il s'agirait d'un préalable nécessaire à toute intervention humanitaire. Voir la note 668 ci-dessous. 35 La tragédie, qui a frappé le Rwanda il y a maintenant plus de dix ans, nous vient immédiatement à l'esprit. 36 Voir notamment Manouchehr Ganji, International Protection of Human Rights, Paris, Minard, 1962, à lap. 9. 37 Verwey, supra note 13, à la p. 369. 33 34 12 est systématique38 . Le droit à l'intégrité physique, le droit à la non-discrimination, le droit à la liberté et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes39 sortent du loéo. Mais tout compte fait, c'est fréquemment la gravité de certains actes commis par les forces gouvernementales ou les factions rebelles comme par exemple le génocide, l'esclavage ou encore la torture qui légitime, en bout de ligne, l'intervention humanitaire. Ces pratiques tout particulièrement abhorrées par la communauté internationale constituent, en fait, de graves violations à des normes universellement reconnues41 • Ce rejet planétaire s'explique par le caractère particulièrement odieux de ces entreprises qui nient toute dignité à l'être humain. Elles dépassent ce qui peut être considéré comme humainement tolérable et elles choquent, très souvent, la «conscience morale de l'humanité »42 pour reprendre une expression souvent employée dans la littérature. Si la violation effective des droits humains dans un pays étranger a souvent été un événement préalable aux interventions humanitaires, elle n'est pas un prérequis obligatoire. Plusieurs auteurs s'entendent sur le fait qu'on peut être en présence d'une intervention humanitaire même si aucun déni de droit a été commis43 • L'intervention menée dans le but de parer à une menace imminente de violations massives et répétées des droits fondamentaux de l'homme est généralement comprise dans le concept 44 d'intervention humanitaire • Une telle inclusion est tout à fait compréhensible. Considérant que la protection des droits de l'homme constitue le motif premier de l'intervention humanitaire, il serait illogique d'exclure de sa définition le recours Murphy, supra note 6, à la p. 17. Franck et Rodley, supra note 5, à la p. 277. Néanmoins, la violation de ce droit, ainsi que d'autres droits politiques internationalement reconnus s'appliqueraient davantage sur le plan conceptuel aux interventions pro-démocratiques. 40 De graves violations aux droits de l'homme en temps de guerre, c'est-à-dire au droit international humanitaire, pourraient, le cas échéant, servir aussi de fondement à une intervention humanitaire. La définition que donne l'Institut danois des affaires internationales de l'intervention humanitaire comprend ce type de violations. (Danish Institute of International Affairs, Humanitarian Intervention: Legal and Political Aspects, Copenhagen, Danish Institute of International Affairs, 1999, à la p. Il. 38 39 [Danish Institute]) L'interdiction de l'esclavage et du génocide aurait même le statut de norme de jus cogens en droit international. (Barce/ona Traction Light and Power Compagny (Belgique / Espagne), arrêt (fond), [1970] C.I.J. rec. 3, à la p. 33.) [Barcelona Traction] 42 Michael Wal:ler, Just and Unjust Wars: A Moral Argument with Historical Illustrations, Ist ed., New York, Basic Books, 1977, à la p. 107 [Walzer]. 43 Verwey, supra note 13, à la p. 370. 44 La menace devrait cependant être sérieuse, évidente et ne laisser aucune place à délibération selon le juriste Wil Verwey qui se réfère à la définition classique de la légitime défense anticipée de Webster. 41 (Ibid.) 13 préventif qui vise à éviter qu'une région du monde bascule dans l'atrocité et le chaos45 , Il demeure néanmoins que ce type d'intervention fondé sur l'anticipation de violations massives aux droits de l'homme est propice à l'abus et, à ce titre, est 46 dangereux pour la stabilité des relations internationales , Une question plus épineuse et qui ne fait pas l'unanimité parmi les spécialistes du droit est celle de savoir si la ou les parties intervenantes doivent avoir pour seul motifla protection des droits de l'homme pour que l'on puisse conclure à l'existence d'une intervention humanitaire47 , Autrement dit, les États ou organisations intergouvernementales doivent-ils, lorsqu'ils interviennent, être complètement désintéressés ? Plusieurs l'affirment48 , Il nous semble, pour notre part, irréaliste d'apposer des conditions aussi strictes à la définition d'intervention humanitaire, S'il en était ainsi, peu sinon aucune intervention à ce jour ne pourrait être qualifiée d'« humanitaire », Les cas étudiés révèlent, invariablement, la concomitance de motifs politiques49 • D'ailleurs, comment les juristes pourraient-ils être instruits des motivations qui animent les dirigeants politiques lorsqu'ils prennent la décision d'employer la force armée? On peut toujours spéculer, mais il est impossible de connaître avec certitude leurs véritables intentions, Par conséquent, nous croyons qu'il est préférable de conférer le qualificatif d'humanitaire aux incidents dans lesquels une des justifications offertes témoigne du souci de sauvegarder les droits de l'homme et que cette préoccupation affichée soit en quelque sorte corroborée par des actes subséquents, Autrement dit, il doit ressortir d'un cas d'espèce que le ou les États intervenants ont agi de bonne foi et que leur conduite générale corresponde relativement bien aux prétentions soutenues. L'intervention humanitaire doit être Richard Lillich, « Forcible Self-help to Proteet Human Rights », (1967-68) 53 Iowa Law Review 325, à la p. 348. [Lillicb «Self-Help »] 46 Jonathan Charney, « Anticipatory Humanitarian Intervention in Kosovo », (1999) 93(4) American Journal of International Law 834, à la p. 841. [Cbarney) 47 Il est à souligner que la question de déterminer les motivations des États intervenants diffère de celle de l'opiniojuris qui possède ses propres critères. Voir ci-dessous les pp. 160-161. 48 Voir notamment Jean-Pierre L. Fonteyne, « The Customary International Law Doctrine of Humanitarian Intervention: Us Current Validity under the UN Charter », (1974) 4 Ca/ifornia Western International Law Journal 203, à la p. 261[Fonteyne] et Elisa Perez-Vera, « La protection d'humanité en droit international» (1969) Revue Belge de Droit International 401, à la p. 417. D'autres sont d'avis que le motif humanitaire doit être prédominant. (Murpby, supra note 6, à la p. 14-15;Verwey, supra note 13, à la p. 418; Téson, supra note 18, aux pp. 121-122.) ème 49 Antoine Rougier avait, dès le début du 20· siècle, compris cette évidence. Il a écrit: « La conclusion qui se dégage de cette étude, c'est qu'il est pratiquement impossible de séparer les mobiles humains d'intervention des mobiles politiques et d'assurer le désintéressement absolu des États intervenants ». (Rougier, supra note 10, aux pp. 525-526.). 45 14 perçue comme telle et le mobile philanthropique ne doit pas servir de prétexte à quelques autres desseins so . Ces derniers critères seront pris en compte tout au long de cette étude lors de l'examen du caractère « humanitaire» d'une intervention armée. Pour terminer, notons que les opérations militaires visant à secourir des nationaux lors de troubles politiques ou de crises humanitaires se déroulant à l'étranger n'entrent pas dans la définition des interventions humanitairess1 • Si auparavant les auteurs ne dissociaient pas ces deux catégories d'intervention, aujourd'hui elles sont clairement différenciées dans la littérature. Avec raison, puisque l'opération armée d'urgence visant à protéger les nationaux à l'étrangerS2 , a des implications juridiques différentes que celles de l'intervention humanitaire. Tout d'abord, elle n'a généralement aucun impact sur les structures gouvernementales et sur l'indépendance politique du pays dont la souveraineté est entamée car elle est souvent de nature éphémère. Elle ne dure habituellement que quelques heures. Ensuite, il y a des liens juridictionnels lors d'une telle ingérence, liens qui rattachent les victimes à ou aux États intervenants, qui n'existent pas pour l'intervention humanitaire53 • C) Notre défmition de l'intervention humanitaire Ce bref examen de la signification des termes «intervention» et « humanitaire» nous amène à configurer une définition pouvant servir de base à une analyse juridique rigoureuse. Certaines définitions élaborées récemment réflètent grosso modo ce qui a été écrit dans les pages précédentes54 • Sans reprendre mot à mot 50 Il n'est cependant pas toujours facile de faire la part des choses. Les justifications officielles qui sont formulées par les acteurs politiques dans des communiqués officiels ou des allocutions sont utiles à cet égard mais pas nécessairement fiables. Une analyse complète et objective des faits d'une intervention est indiquée. 51 Une majorité de juristes opinent qu'elle vise à secourir toutes les victimes de violations massives aux droits élémentaires de l'homme dans un pays étranger, à l'exception des nationaux du ou des États intervenants qui y résident. Voir à ce sujet Verwey, supra note 13, aux pp. 371-373. 52 L'intervention pour protéger les nationaux à l'étranger fait l'objet d'une étude particulière dans plusieurs ouvrages. Voir notamment Michael Akehurst, «The Use of Force to Protect Nationals» (1977) 5 International Relations 9 et Natolito Ronzitti, Rescuing Nationals Ahroad Through Military Coercition and Intervention on Grounds of Humanity, Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1985 aux pp. 89lB. [Ronzitti] S3 Murphy, supra note 6, à la p. 16. 54 Par exemple, un comité d'experts formé par un groupe de juristes néerlandais en est venu à la conclusion, dans un rapport soumis au gouvernement des Pays-Bas, que l'intervention humanitaire 15 ces dernières, voici la définition qu'elles nous ont inspirée et qui sera utilisée pour les fins de notre recherche : L'intervention humanitaire est la menace ou l'utilisation de la force armée par un État, un groupe d'État ou une organisation intergouvernementale sur le territoire d'un autre État: (a) dans le but de prévenir ou de mettre un terme aux violations massives des droits fondamentaux de 1'homme, commises à l'encontre de personnes autres que les nationaux du ou des États participants et, (b) sans l'autorisation du Conseil de sécurité de l'ONU ou le consentement des autorités qui assument le pouvoir de jure ou de facto sur le territoire où a lieu l'intervention. devrait être définie de la manière suivante: « The threat or use of force by one or more states, whether or not in the context of an international organisation, on the territory of another state : (a) in order to end existing or prevent imminent grave, large-scale violations of fundamental human rights, particularly individuals' right to life, irrespective oftheir nationality; (b) without the prior authorisation of the Security Council and without the consent of the legitimate government of the state on whose territory the intervention takes place». (Advisory Council on International Affairs and Advisory Committee on Issues of Public International Law, Humanitarian Intervention, The Hague, Advisory Council on International Affairs, 2000, à la p. 7. [Netherlands Report]). Cette dernière définition est cependant large. Elle comprend les interventions dans le but de protéger les nationaux. Voir aussi la définition formulée par J.L. Holzgrefe, avec l'aide d'Allen Buchanan, pour les fins de l'ouvrage collectif dont ils assuraient conjointement la direction éditoriale: « The threat or use of force across state borders by a state (or group of states) aimed at preventing or ending widespread and grave violations of the fundamental human rights of individuals other than its own citizens, without the permission of the state within whose territory force is applied ». (J.L. Holzgrefe, «The Humanitarian Intervention Debate» dans J.L. Holzgrefe and Robert o. Keohane, Humanitarian Intervention: Ethical, Legal end Po/itical Dilemmas, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, à la p. 18. [Holzgrefe et Keohane]). Cette définition est également incomplète. Elle ne fait aucune distinction entre l'intervention humanitaire unilatérale et celle autorisée par le Conseil de sécurité de l'ONU. De plus, elle ne mentionne pas qu'une intervention humanitaire peut être conduite par une organisation internationale. 16 ll. L'origine de la doctrine de l'intervention humanitaire Le mobile humanitaire lorsqu'il était temps d'aborder la guerre a cruellement fait défaut pour une bonne partie de l'histoire de l'humanité. Ce n'est, après tout, qu'à la fin du 19ième siècle que la doctrine de l'intervention humanitaire, telle que conceptualisée aujourd'hui, est apparue dans les traités juridiques55 • Il ne faut pas croire pour autant que cette doctrine s'est révélée abruptement aux juristes. En fait, elle puise sa source dans la théorie de la guerre juste étayée et développée de l'Antiquité à la Renaissance par d'innombrables jurisconsultes, canonistes, théologiens et philosophes56 • A) La théorie de la guerre juste 1. L'Empire romain et le Moyen-Âge Ce sont les Romains, qui les premiers, ont jeté les bases du concept de la guerre juste. Dans la Rome antique, à l'époque dite des Rois (735-508 av. J.C.), la justesse d'une guerre devait être établie formellement par un collège de prêtres, les fetiales 57, avant que Rome puisse déclarer la guerre à un souverain étranger ayant commis une faute envers elle58 • L'institution des fetiales disparut à la naissance de SS Selon Simon Chesterman, la paternité du concept de l'intervention humanitaire reviendrait à l'auteur britannique William Edward Hall qui l'invoqua dans un ouvrage datant de 1880. (Simon Chesterman, Just War or Just Peace? Humanitarian Intervention and International Law, Oxford, Oxford University Press, 2001, à la p. 24. [ChestermanD. D'autres designations du même concept furent cependant adoptées auparavant, notamment par les publicistes français. (Rougier, supra note 10, à la p. 473.) S6 Une telle doctrine était devenue inévitable. Elle répondait aux besoins de l'homme de justifier la guerre par des paramètres moraux, religieux et juridiques. (Frederick Russell, The Just War in the Middle Ages, Cambridge, Cambridge University Press, 1975 à la p. 1.) Elle avait aussi pour but de « civiliser» la conduite de la guerre. Elle visait à circonscrire le penchant naturel des sociétés humaines à guerroyer entre elles. (Joachim von Elbe, « The Evolution of the Concept of the Just War in International Law» (1939) 33(4) American Journal ofInternational Law 665 à la p. 665. [Von Elbe]) 57 Ces prêtres détenninaient lors d'une cérémonie religieuse si une cité ou une nation étrangère avait commis un affront ou une faute envers Rome. À la demande de l'adversaire fautif, une période d'environ un mois lui était octroyée afin qu'il remédie au défaut prétendu par Rome. En cas de nonexécution de ses obligations ou de l'insatisfaction de Rome, lesfetiales certifiaient l'existence d'une juste cause. La guerre était ensuite officiellement déclarée juste et pieuse, c'est-à-dire bel/um justum et pium. (G. 1. A. Draper, « Grotius Place in the Development of Legal Ideas about War », dans Hedley Bull et al., dir., Hugo Grotius and International Relations, Oxford, Oxford University Press, 1992, à la E' 178. [Bull « Grotius»D· g Selon lan Brownlie, lesfeliales ne se questionnaient pas à savoir si la guerre était réellement juste. Ils s'assuraient surtout que certaines formalités étaient remplies avant de se prononcer sur son bien-fondé. 17 l'Empire romain, mais le concept même de la guerre juste perdura par l'entremise de philosophes et jurisconsultes romains tel Cicéron (106-43 av. J.C.)59. L'héritage romain de la guerre juste a ensuite été récupéré par les théologiens chrétiens, qui l'ont ajusté en fonction de leurs préceptes moraux. Adaptation qui ne fut pas sans heurts60 • Un travail de symbiose s'imposa entre l'idéal pacifique des chrétiens et la nécessité pour Rome de maintenir son empire par la force. Il fut réalisé par le théologien et évêque d'Hippone Saint-Augustin (354-430). S'inspirant grandement des idées avancées par Cicéron61 , ce dernier posa les fondements religieux et moraux du droit d'aller en guerre (jus ad bellum) durant tout le Moyen-Âge62 • Comme Cicéron, Saint Augustin avançait l'idée qu'une guerre ne pouvait être juste que si elle était menée avec l'intention de rétablir l'ordre et l'harmonie63 • Plus spécifiquement, les guerres justes étaient celles qui vengaient « des injustices, lorsqu'un peuple ou un État, à qui la guerre doit être faite, a négligé de punir les (lan Brownlie, International Law and the Use of Force by States, Oxford, Clarendon Press, 1963 à la p. 4.) [Brownlie] 59 Pour ce dernier, l'imposition de balises préalablement au recours à la guerre était éthiquement souhaitable. De plus, la guerre ne devait être utilisée qu'en dernier recours, et pour être juste, devait avoir pour ultime objectif la paix. (Voir à ce sujet Murphy, supra note 6, à la p. 39). De plus, une guerre juste devait être précédée de formalités particulières, c'est-à-dire d'une déclaration formelle de la faute reprochée ainsi que d'un avertissement et, le cas échéant, d'une déclaration de guerre en bonne et due forme. (Voir Ibid., à la p. 4. qui cite l'ouvrage de Cicéron De Officiis). Des motifs de guerre valables étaient pour Cicéron (a) la violation des frontières de Rome (b) une attaque ou une insulte à l'endroit d'un ambassadeur de Rome (c) la violation d'un traité dans lequel Rome est une des partie (d) un allié de Rome qui complote avec un de ses ennemis. (Voir G. l. A. Draper, « Grotius Place in the Development of Legal Ideas about War», dans Bull « Grotius», supra note 57, à la p. 179). 60 Car les chrétiens étaient au préalable réfractaires à toute idée de guerre. Pacifistes, ils la jugaient moralement injustifiable. Jusqu'en 170 ap. J-C., il était interdit pour un chrétien de s'enrôler dans l'armée impériale de Rome. (Brownlie, supra note 58, à la p. 5). Mais tout changea lorsque le christianisme devint la religion officielle de l'Empire romain en 380 ap. J-C. sous le règne de l'empereur Théodose. Les pacifistes durent s'avouer vaincus par le réalisme politique. 61 G. I. A. Draper, « Grotius Place in the Development of Legal Ideas about War », dans Bull« Grotius », supra note 57, à la p. 180. 62 Saint Augustin aurait été inspiré par les écrits de l'évêque de Milan Saint Ambrose (340-397). Ce dernier était d'avis que tout chrétien avait le devoir de porter secours à son prochain victime d'une injustice, même par la force si nécessaire: « Ceux qui, en mesure de le faire, n'écarte pas de son prochain une injustice, est aussi coupable que celui qui commet l'injustice» (Traduction de Robert H. W. Regout, La doctrine de la guerre juste: de Saint Augustin à nos jours d'après les théologiens et les canonistes catholiques, Réimp. d'une ière éd., Aalen, Scientia, 1974, à la p. 40. [Regout]). L'argument fut repris par Saint-Augustin dans le but de justifier l'enrôlement des chrétiens dans l'armée impériale. Puisque conformément à leurs valeurs pacifistes, les chrétiens ne pouvaient se défendre eux-mêmes par la force lorsqu'ils étaient menacés, d'autres bons samaritains (les soldats chrétiens de l'empire) devaient les secourir. (Voir à ce sujet James Turner Johnson, « Humanitarian Intervention, Christian Ethical Reasoning, and the Just-War Idea» dans Luis E. Lugo, dir., Sovereignty at the Crossroads ?: Morality and International Politics in the Post-Cold War Era, Lanham, Rowman & Littlefield, 1996 à la p. 129.) 63 Dans son ouvrage, Saint Augustin utilise le mot latin « pax » signifiant la paix. Mais selon Regout, pris dans son contexte, il a un sens différent. Il désignerait le rétablissement de l'ordre et de l'harmonie. (Regout, Ibid.). 18 méfaits des siens ou de restituer ce qui a été ravi au moyen de ces injustices})64. Ainsi, Saint Augustin postulait que la guerre conduite par un prince chrétien devait être motivée par une faute préalable d'un souverain étranger, à savoir la commission d'une injustice. Ces principes furent reformulés lors du Bas Moyen-Âge sous la plume du dominicain Saint Thomas d'Aquin (1226-1274)65. La théorie de la guerre juste prit alors une tournure plus moralisatrice et vindicative, étant davantage imprégnée des enseignements théologiques et moraux de la chrétienté66 , Pour Saint Thomas d'Aquin, ce n'était plus uniquement l'acte injuste en tant que tel qui justifiait la guerre, mais la faute intentionnelle derrière cet acte. Autrement dit, la guerre juste pour les thomistes était celle qui punissait l'esprit coupable du fautif(mens rear. 2. La Renaissance Il faut attendre la période de la Renaissance pour voir la théorie de la guerre juste subir une autre évolution marquante et déterminante. C'est à cette époque qu'apparaît plus distinctement l'ancêtre légal de la doctrine de l'intervention humanitaire. En effet, la justesse d'une guerre ne s'appuie plus uniquement sur la faute qu'un souverain étranger commet à l'endroit d'une autre communauté (royaume, empire, duché, autre communauté religieuse, etc). La nouvelle doctrine porte une attention toute particulière aux mauvais traitements dont est responsable un souverain à l'encontre de ses propres sujets. Ainsi, on se rapproche davantage du concept actuel d'intervention humanitaire. Comme l'affirme Terry Nardin, pour que l'on soit en présence de la notion même d'intervention humanitaire, il était nécessaire que les théologiens et juristes s'intéressent principalement aux exactions perpétrées par un gouvernant sur ses propres sujets et non nécessairement à celles qu'une communauté fait subir à une autre68 , Il ressort ainsi de cette évolution significative de la théorie de la guerre juste deux principes fondamentaux. Premièrement, l'autorité des souverains sur leurs sujets n'est plus absolue et deuxièmement, les autres princes ont un droit de Tel que traduit par Regout, supra note 62, à la p. 42. Dans la deuxième partie de son oeuvre Summa theologiae. 66 Arthur Nussbaum, A Concise History of the Law of Nations, rev. ed., New York, MacMillan, 1962 à la p. 36. [Nussbaum] 67 Von Elbe, supra note 56, à la p. 669. 68 Terry Nardin, « The Moral Basis for Humanitarian Intervention» dans Anthony Lang Jr., dir., Just Intervention, Washington, Georgetown University Press, 2003 1, à la p. 13. [Lang Jr.] 64 65 19 regard sur le traitement qu'ils réservent à leurs ressortissants. Bref, le vieux dicton « the King can do no wrong ~~ ne tient plus. Le dominicain Francisco de Vittoria (1483-1546), théologien et professeur à la prestigieuse Université de Salamanque, semble avoir été le premier, à travers la doctrine de la guerre juste69, à exprimer clairement ces idées nouvelles. Se basant essentiellement sur le droit naturel, il était d'avis qu'un prince chrétien avait le droit d'entreprendre une guerre dans le but de sauver des innocents de la mort, peu importe où ils se trouvaient. C'est dans un contexte de conquête espagnole du Nouveau Monde et des relations nouvelles entre conquistadores et autochtones que de Vittoria écrivit ses deux célèbres ouvrages De lndis et De jure Belli. Faisant allusion aux sacrifices humains et au cannibalisme des Aztèques, qu'ils jugaient d'ailleurs barbares, il mentionna dans De lndis, que les Espagnols pouvaient interdire ces pratiques contre nature car « ils ont le pouvoir de préserver les innocents d'une mort injuste ». Il ajouta par la suite, que tout homme «a le droit de les défendre contre la tyrannie et l'oppression, droit qui, au premier chef, appartient au prince ». Il termine en précisant que si les dirigeants barbares ne veulent pas renoncer à leurs rites, il semit juste « de leur déclarer la guerre», et même de les déposer pour «établir de nouveaux maîtres» 70. Son compatriote Francisco Suarez (1548-1617) issu également de l'école scholastique espagnole, était aussi de la même opinion. Dans des termes plus laconiques, il affirma dans son traité De Bello que le droit naturel permet à un prince chrétien d'entreprendre une guerre en raison « d'une injustice ou pour défendre des innocents »71. Ces deux théologiens fondaient, contrairement à leurs prédécesseurs, la doctrine de la guerre juste sur un droit naturel d'application universelle72 • Ainsi pour L'avocat et humaniste Thomas More avait, en dehors de la théorie de la guerre juste, exprimé de telles idées novatrices dans un ouvrage intitulé« Utopie»: « [... ] les Utopiens ne font jamais la guerre sans de graves motifs. Ils ne l'entreprennent que pour défendre leurs frontières, ou pour repousser une invasion ennemie sur les terres de leurs alliés, ou pour délivrer de la servitude et du joug d'un tyran un peuole opprimé par le despotisme. En cela. ils ne consultent pas leurs intérêts, ils ne voient gue le bien 69 de l'humanité» [Nous soulignons J. Thomas More, L'utopie, trad. par Victor Stouvenel, édition librio, Paris, La dispute, 1997 à la p. 100. 70 Vitoria et Suarez, Contribution des théologiens au droit international moderne, Paris, Pedone, 1939 aux pp. 69-70, reproduite dans « L'intervention pour cause d'humanité» (1996) 19 (74) Commentaire aux pp. 434-35. [Commentaire] 71 Vitoria et Suarez, Contribution des théologiens au droit international moderne, Paris, Pedone, 1939 à la p. 205, reproduite dans Ibid., p. 435. 72 Pour l'auteur James Turner Johnson, Vittoria aurait été le premier à fonder la théorie de la guerre juste sur le droit naturel. (James Turner Johnson, Just War Tradition and the Restraint ofWar: A Moral and Historica/ Inquiry, Princeton, Princeton University Press, 1981 à la p. 176. [Johnson]) 20 de Vittoria et Suarez, la théorie de la guerre juste s'appliquait à tout conme3, incluant celui impliquant des princes « barbares »74. De sorte qu'on ne pouvait leur faire la 75 guerre que si on avait une cause juste à faire valoir • Cause d'ailleurs qui ne pouvait être la différence de religion76 • Quelques années plus tard, alors que la Guerre de trente ans faisait rage en Europe, la doctrine de la guerre juste prit une autre direction décisive. Grotius (15831645), considéré par plusieurs comme le père du droit international moderne, adopta une approche essentiellement séculaire77 dans un traité écrit en 162578 • Même s'il cita de nombreux ouvrages bibliques et théologiques en appui de ses arguments, il se démarqua de Vittoria et Suarez, en se basant sur un droit naturel exempté de ses sources divines. Comme l'affirme Johnson, la doctrine de la guerre juste passe, avec Grotius, d'une moralité chrétienne à une moralité entièrement naturelle79 • Ainsi, une guerre juste n'est plus celle qui vise à punir une quelconque faute d'un souverain étranger ou celle d'un de ses sujets mais bien de punir une violation excessive au droit naturel ou au droit des gens80 • Autrement dit, tout souverain était justifié de déclarer la guerre à une autre nation lorsque ses représentants commettaient des actes qui contrevenaient aux lois de la nature tels le cannibalisme ou la piraterie81 • Ibid. Auparavant, il était généralement entendu que la théorie de la guerre juste ne s'appliquait qu'entre nations chrétiennes ou « civilisées », ce qui comprenait les peuples musulmans. (Voir à ce sujet Terry Nardin, « The Moral Basis for Humanitarian Intervention » dans Lang Jr., supra note 68, aux pp. 1314). 7S Nussbaum, supra note 66, à la p. 81. 76 Toutefois, l'idéologie chrétienne et l'impérialisme n'étaient pas exempts des enseignements de Vittoria et Suarez. Le premier arguait qu'un prince était justifié de faire la guerre aux dirigeants autochtones si ceux-ci empêchaient les missionnaires d'enseigner la foi ou si le pouvoir indien prenait des mesures discriminatoires contre des nouveaux convertis indiens. Pour les mêmes raisons, il était d'avis que le Pape pouvait également déclarer la guerre à un chef indien et le renverser. (Voir Ibid.). Pour ce qui est de Suarez, une guerre punitive contre un prince autochtone qui forcerait ses sujets à pratiquer l'idôlatrie paienne était juste. (Voir à ce propos la note 44 dans Francis Kofi Abiew, The Evolution of the Doctrine and Practice of Humanitarian Intervention, The Hague, Kluwer Law International, 1999 à la p. 34. [Abiew] 77 Ce serait néanmoins Alberico Gentili (1550-1608) qui aurait été le premier à développer un système de normes séculaires dans les relations internationales. (Brownlie, supra note 58, à la p. Il). 78 Hugo Grotius, De jure belli ac pacis libri Ires, ([1646] Classics of International Law; Kelsey trans; Oxford: Clarendon Press, 1925, tel que cité dans Cbesterman, supra note 55, à la p. 8. 79 Johnson, supra note 72, à la p. 178. 80 Cbesterman, supra note 55, à la p. 12. 8\ Selon la conception naturaliste, affirme Nardin, cette guerre punitive serait nécessaire, car un état d'impunité générale nuirait à tous les autres souverains en raison du discrédit que subirait le droit naturel. (Terry Nardin, « The Moral Basis for Humanitarian Intervention » dans Lang Jr, supra note 68, à la p. 16). 73 74 21 Grotius admettait tout autant qu'une guerre s'avèraitjuste si elle était conduite dans le but de porter secours à des individus oppressés. Il a répondu positivement à la question de savoir si on pourrait légitimement prendre les armes pour délivrer de la tyrannie les citoyens d'un autre État. N'admettant pas toutefois qu'un peuple puisse se révolter contre son propre roi, il affirmait qu'« il ne s'ensuivrait point de là que d'autres ne pussent déclarer la guerre au souverain pour la défense de ses sujets opprimés ))82. Grotius reconnaît néanmoins que ce type de guerre sert souvent de prétexte à des invasions83 • C'est pourquoi, il estimait que la guerre ne pouvait être juste que si l'oppression du souverain était «manifeste ))84. Un de ses contemporains, l'allemand Samuel Pufendorf (1632-94) était aussi d'avis qu'une population soumise à la brutalité d'un souverain était en droit de recevoir une assistance militaire85 • À la différence de Grotius toutefois, il postulait qu'une telle intercession ne pouvait s'effectuer que si le peuple opprimé en faisait la requête expresse86• Ainsi donc, Grotius et Pufendorf avaient une vision plus solidariste des relations internationales que leurs précurseurs. Car dans l'esprit des deux juristes, c'est au nom des liens qui unissent chaque homme8? que les souverains avaient le devoir d'offrir assistance à des sujets étrangers victimes d'actes disgracieux. En d'autres termes, chaque monarque avait une responsabilité non seulement envers leur nation respective mais aussi envers le genre humain au sens large88 • C'est sur cette prémisse que reposait le droit d'intervenir dans un autre État tel que théorisé par Grotius et Pufendorf. Droit qui toutefois s'avérait limité dans son exercice à des circonstances particulières, puisque la norme demeurait la non-intervention. En effet, Grotius est habituellement considéré comme un non-interventionniste en raison de la Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, nouvelle traduction du Latin par Jean Barbeyrac, tome II, Bâle, 1746, pp. 176-79, reproduite dans Commentaires, supra note 70, à la p. 436. 83 Ibid. 84 Ibid. Ainsi pour Grotius, il faut que les crimes commis aient été particulièrement évidents et atroces. (Terry Nardin, « The Moral Basis for Humanitarian Intervention» dans Lang Jr., supra note 68, à la p. 16). 85 Samuel Pufendorf, De Jure naturae el genlium libri oelo ([1688] Classics of International Law; 82 Oxford: Clarendon Press, 1934) VIII, vi, par. 14 tel que cité dans Chesterman, supra note 55, à la p. 15. Samuel von Pufendorf, On the duty of Man and citizen, ed. James Tully, Cambridge, Cambrigde University Press, 1991 à la p. 170. 87 Ibid.; Grotius, De Jure Belli ac Pacis Libri tre (1625), Kelsey trans. (New York: Bobbs-Merrill Co., 1925) at 504-505, 508, 582 tel que cité dans Abiew, supra note 76, à la p. 35 (note 47). 88 R.J. Vincent, « Grotius, Human Rights, and Intervention» dans BuU « Grotius », supra note 57, à la p. 247. À cet effet, il est intéressant de constater que Louis XIV s'était proclamé en 1649 le protecteur de la communauté maronite au Liban. (William A. Schabas, Précis du droit international des droits de lapersonne, Cowansville,Yvon Blais ine., 1997 à la p. 9). 86 22 déférence qu'il accordait aux pouvoirs inhérents des rois89 . Il précise, à ce titre, dans son ouvrage que les puissances ne doivent pas, de manière générale, se mêler de ce qui se passe dans un autre État: « Il est certain que, depuis l'établissement des sociétés civiles, le souverain de chaque État a acquis un droit tout particulier sur ses sujets, en vertu duquel il peut les punir, sans qu'aucune autre puissance doive se mêler de ce qui se passe chez lui »90. 3. Le principe de non-intervention et l'avènement du positivisme Ce principe de non-intervention prendra de l'importance à partir de la fin du l7 ième siècle suivant l'adoption de Traité de Wesphalie. L'on voit apparaître, à quelques reprises, dans la littérature juridique et philosophique une proscription absolue de l'ingérence extérieure91 • D'autres auteurs, ardents défenseurs du principe de non-intervention, étaient cependant plus nuancés. Tel était le cas de l'allemand Christian Wolff (1679-1754) et, dans une plus large mesure, du suisse Emmerich de Vattel (1714-1767)92. Wolff a été l'un des premiers auteurs à expressément invoquer le principe de non-intervention. Il était d'opinion qu'un État étranger n'était pas justifié de recourir à la force dans le but de venir en aide à des citoyens maltraités: « [i]fthe ruler of astate should burden his subjects too heavily or treat them too harshly, Pufendorf le serait tout autant. Il rejetait l'idée de Grotius voulant que tout État puisse intervenir dans le but de faire respecter les principes du droit naturel et de punir ceux qui l'ont violé. Pour l'allemand, cela aurait pour résultat de conférer à tout homme le rôle de juge et partie d'une guerre et, en fin de compte, de favoriser l'émergence de prétextes fallacieux. (Voir Samuel von Pufendorf, Of the Law of Nature and Nations (1672), trans, C.H. Oldfather and W.A. Oldfather, (Oxford: Clarendon Press, 1934), 847 tel que cité dans Terry Nardin, « The Moml Basis for Humanitarian Intervention» dans Lang Jr., supra note 68, à la p. 16 (note 14). 90 Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, nouvelle traduction du Latin par Jean Barbeymc, tome II, Bâle, 1746, p. 176-79, reproduite dans Commentaires, supra note 70, à la p. 436. 91 Voir notamment Thomas Hobbes, Leviathan ([1651]) London: Dent 1914) II, xviii et Jean Bodin, The Six Books of a Commonweale ([1577] A facsimile reprint of the English translation of 1606, corrected and supplemented in the light of a new comparison with the French and Latin texts; McRae trans; Cambridge, MA: Harvard University Press, 1962) tel que cité dans Cbesterman, supra note 55, 89 à la p. 16. Le philosophe Emmanuel Kant (1724-1804) était également un ardent défenseur du principe de noningérence. Il opinait, dans son projet de paix perpétuelle, qu'« aucun État ne doit s'immiscer par la violence dans la constitution et le gouvernement d'un autre État ». (Emmanuel Kant, Pour la paix perpétuelle, trad. par Joël Lefebvre, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1985 à la p. 52). Certains auteurs modernes croient cependant que la pensée kantienne serait plutôt favorable à un droit d'international humanitaire. Selon Téson, il aumit été en faveur de la légalisation des interventions impliquant la chute de gouvernements non-démocmtiques étant donné qu'il préconisait comme modèle de gouvernement la république. (Fernando Téson, « the Kantian Theory of International Iaw », (1992) 92 Columbia Law review 53). 92 23 the ruler of another state may not resist that by force .... For no ruler of astate has a right to interfere in the government of another, nor is this a matter subject to his judgement »93. Il niait tout autant la validité de l'argument de Grotius à savoir qu'une guerre contre un souverain qui viole outrageusement le droit naturel est juste94 • Son disciple, Emmerich de Vattel, réfutait également Grotius sur ce poinf5. Aussi, tout comme son mâttre, il adopta pour règle générale celle du principe de non-ingérence dans les affaires internes des États96 • Néanmoins, l'opinion du suisse différait de celle de Wolff sur un point important. Il était d'avis que le droit naturel accordait, à certaines conditions, un droit d'assistance à des citoyens aux prises avec un gouvernement tyrannique. Ces conditions étaient cependant plus onéreuses que celles de Pufendorf. En plus d'une demande formelle d'assistance du peuple asservi, ce dernier devait avoir un droit de révolte contre son souverain et devait, dans les faits, être en train de lui mener une rebellion nationale. Il était donc nécessaire, selon Vattel, qu'il y ait existence d'une guerre civile opposant les autorités gouvernementales à des rebelles97 • Suivant Wolff et Vattel, l'idée que le droit international prend sa source du droit naturel connue un déclin importanf8. La fin du lS ième siècle mais surtout le début du 19ième siècle allait voir l'émergence et la prédominance du droit positif dans les relations internationales, à savoir la conviction que le droit international doit être fondé sur la volonté des États telle que manifestée par leurs actions et leur libre consentement et non sur une certaine moralité issue du droit naturel. Avec le C. Wolff, lus Gentium Methodo Scientifica Pretractatus [1749], sec. 258, p. 132 (Drake, trans. 1964) reproduite dans Téson, supra note 18, à la p. 58. Wolff était cependant prêt à reconnaître un droit limité d'assistance non armée. 94 Pour Wolff, une guerre punitive ne pouvait être déclarée que si un État a été victime d'un dommage irréparable ou ne pouvait obtenir satisfaction autrement que par la guerre. (Christian Wolff, Jus gentium methodo scientifica pretractatus ([1764J Classics of International Law ; Drake trans; Oxford: Clarendon Press, 1934, para. 636, tel que cité dans Chestennan, supra note 55, à la p. 17.) 95 Il était d'avis que cela mènerait à des abus de droit. Il serait à craindre selon lui que des dirigeants ambitieux ou des fanatiques religieux invoquent ce prétexte à leur guise. (Emmerich de Vattel, The Laws of Nations: Princip/es of the Law of Nature, Applied to the Conduct and Affairs of Nations and Sovereign ([1758] Classics of International Law; Fenwick trans; Washington, DC: Carnegie Institution, 1916), II, i, para 7 tel que cité dans Chestennan, supra note 55, à la p. 18). 96 Emmerich de Vattel, The Law of Nations : Principles of the Law of Nature, Applied to the Conduct and Affairs of Nations and Sovereign ([1758] Classics of International Law; Fenwick trans., Washington, DC: Carnegie Institution, 1916, l, iii, para. 37 tel que cité dans Chestennan, supra note 55, à la p. 18. 97 Vattel reste tout de même imprécis sur le type d'assistance que ce droit conférait au peuple oppressé. Pour Simon Chesterman, cela n'impliquerait pas nécessairement l'emploi de la force armée. (Chestennan, supra note 55, aux pp. 18-19.) 98 Nardin, supra note 68, à la p. 17. 93 24 positivisme, le droit devient, en quelque sorte, une discipline autonome dans laquelle la moralité et l'éthique perdent de leur vigueur normative. C'est durant cette période qu'un nouveau jus ad bellum essentiellement basé sur la pratique des États voit le jour, remplaçant graduellement la vétuste doctrine de la guerre juste99 • Il postule que les États, de par leur souveraineté inhérente, sont libres de faire la guerre comme bon leur semble et d'en juger par eux-mêmes les mérites 100. Ils ne sont pas tenus de justifier leur acte de guerre par une cause juste. Bref. le déclenchement de la guerre, instrument des politiques nationales, n'était pas interdit et, à toutes fins utiles, peu réglementé par le droit international. La seule véritable limite à la guerre fut qu'elle devait être déclarée officiellement par les belligérants lOl , car il faut comprendre que sans cet « état de guerre» formel entre nations, toute intervention étrangère, armée ou non, demeurait interdite, à moins d'être justifiée par certaines exceptions issues pour la plupart du droit coutumier comme par exemple la légitime défense, la représaille ou encore la riposte à la violation d'un traité international 102 • 99 Comme le fait remarquer Bacot, l'ère du positivisme juridique a sonné le glas à cette doctrine, qui avait été la conception dominante en ce qui concerne le droit d'aller en guerre jusqu'au 16ième siècle et qui persista, avec plus ou moins d'influence, jusqu'à la fin du 18ième siècle (Guillaume Bacot, La doctrine de la guerre juste, Paris, Économica, 1989 à la p. 57.) 100 Murphy, supra note 6, à la p. 47;Yorarn Dinstein, War, Agression and Se/f-Defence, 3rd ed., Cambridge, Cambridge University Press, 2001 à la p. 71. [Dinstein] 101 Anthony Clark Arend and Robert J. Beck, International Law and the Use of Force: Beyond the UN Charter Paradigm, London, Routledge, 1993 à la p. 17 [Arend et Beek]. Quelquefois également, les États limitaient par eux-mêmes leur champ d'action en signant des pactes bilatéraux de non-agression ~u'ils signaient (Voir Dinstein, Ibid., aux pp. 73 et ss.) 1 2 Voir à ce sujet l'excellent exposé d'Ian Brownlie (Brownlie, supra note 58, aux pp. 26 -49.) 25 B. La pratique des États de 1815 à 1945 1. La pratique des États avant la première Guerre mondiale 103 C'est dans cet environnement juridique qu'est apparue, parmi les auteurs, la doctrine de l'intervention humanitaire lO4 inspirée en outre par la théorie de la guerre juste, mais surtout par la pratique des États au cours du 19ième siècle. En effet, on recense de 1815 à 1914, c'est-à-dire du Congrès de Vienne au déclenchement de la première Guerre mondiale, une demi-douzaine d'interventions unilatérales et collectives que certains qualifient d'« humanitaires ». Mais lorsqu'on y regarde de plus près, trois de ces incidents sortent du lot\05. Il s'agit de l'intervention de la France, de la Grande-Bretagne et de la Russie en Grèce en 1827-30, celle de la France dans la grande Syrie en 1860-61, et enfin celle des États-Unis à Cuba en 1898. a) La France, la G-B et la Russie en Grèce en 1827-1830 Sous la domination de l'Empire ottoman, la Grèce fut l'objet de conflits internes au début du 19 ième siècle impliquant d'une part les autorités turques et d'autre part une population grecque désirant s'affranchir du joug de l'oppression. Ces convulsions culminèrent en une série de massacres de grecs orthodoxes commis aux mains du pouvoir turc. Devant ces événements malheureux, la France, la GrandeBretagne et la Russie s'allièrent et se mirent d'accord sur un plan d'action commun. Le résultat fut la signature du Traité de Londres du 6 juillet 1827, dans lequel les parties impliquées offraient leur médiation et énonçaient leurs conditions de paix. 103 Pour plus de détails sur la pratique des États concernant l'intervention humanitaire au cours de cette période voir notamment Rougier, supra note 10; Stowen, supra note Il; Abiew supra note 76;· Murphy, supra note 6; Fonteyne, supra note 48; Brownlie, supra note 58 et Chesterman, supra note 55. 104 Voir ci-dessus la note 55 et le texte correspondant. 105 Deux autres interventions sont souvent répertoriées par la doctrine. Il s'agit de l'intervention russe en Bosnie, Herzégovine et Bulgarie en 1877-1878 et de l'opération militaire de la Grèce, de la Bulgarie et de la Serbie en Macédoine en 1913. Toutefois, ces deux opérations ne peuvent être assimilées à des interventions humanitaires. Dans le premier cas, il appert que la Russie n'a pas agi conformément aux motivations humanitaires soutenues (la protection des populations chrétiennes réprimées). Elle était animée par le désir d'acquérir de nouveaux territoires, ou du moins, d'accroître son influence vis-à-vis l'empire ottoman. La Russie avait d'ailleurs conclu une entente secrète avec l'Empire austro-hongrois à cet effet. Il en résulta que ce dernier occupa la Bosnie et Herzégovine (Stowen, supra note Il, aux pp. 128-31.) Dans le deuxième cas, l'assistance à la population chrétienne de la Macédoine semble également n'avoir été qu'un prétexte. A la fin des hostilités, une partie de la Macédoine fut divisée et fut partagée entre les États intervenants (Bulgarie, Grèce et Serbie). (Murphy, supra note 6, à la p. 57) 26 L'accord stipulait que les turcs devaient mettre fin aux exactions dont ils étaient responsables et, du même coup, reconnaître une certaine autonomie à la Grèce. Les grecs devaient, de leur côté, payer un tribut au Sultan. Une clause secrète du traité prévoyait qu'en cas de violation de l'armistice par l'une ou l'autre des parties, les alliés forceraient la paix par tous les moyens jugés nécessaires. Les trois alliés précisèrent également dans le préambule qu'ils désiraient mettre un terme à l'effusion de sang autant dans l'intérêt de la stabilité en Europe que par humanisme lO6 • Le Sultan refusa ces conditions arguant que les troubles survenus en Grèce relevaient de sa seule juridiction. Le triumvirat européen n'eut alors d'autre choix que de recourir à la force armée. Les alliés gagnèrent la bataille de Navarino le 20 octobre 1827 et la Sublime Porte accepta finalement les conditions du Traité de Londres le 9 septembre 1829. Plusieurs auteurs sont d'avis qu'il s'agit là d'un des premiers cas réels d'interventions humanitaires 107 • S'il n'est pas exclu que certaines considérations humanitaires aient pu animer les alliés lO8, on ne peut nier l'existence d'autres motifs étroitement liés à la situation politique en Grèce. Pour la France, la Grande-Bretagne et la Russie, les affrontements répétitifs entre les forces de l'ordre et le mouvement indépendantiste grec étaient devenus un sérieux obstacle au commerce et à la stabilité géopolitique de la région lO9 • Ils se devaient donc d'intervenir. Ceci dit, l'intervention en Grèce constitue, à notre avis, le cas le plus probant d'intervention humanitaire avant l'avènement de la Charte de l'ONU. lOt> Il était stipulé dans le traité qu'ils agissaient « no less by sentiments of humanity, than by intc::rc::sts for the tranquility of Europe ». (Treaty for the Pacification of Greece, July 6, 1827, Gr.Brit.-Fr.-Rus., 14 British and Foreign State Papers 632, 633 (1826-1827) reproduit dans Murpby, supra note 6, à la ~. 52.) 07 Voir notamment Stowell, supra note Il, aux pp. 126-27 et Fonteyne, supra note 48, à la p. 208. 108 Même les auteurs les plus réfractaires à l'idée qu'il s'agit d'une intervention humanitaire semblent admettre le fait que des considérations humanitaires ont animé les états intervenants. (Brownlie, supra note 58, à la p. 339). 109 Ces préoccupations sont clairement exprimées dans le préambule et dans la clause secrète du Traité de Londres. Pour plus de précisions voir Cbesterman, supra note 55, aux pp. 29-30. 27 b) L'Autriche, la France, la G-B, la Prusse et la Russie en Syrie en 1860-61/l 0 Un autre cas impliquant le massacre de populations chrétiennes dans l'Empire ottoman est à l'origine d'une intervention que certains caractérisent d'humanitaire. Cette fois-ci, les événements se déroulent en 1860 à l'intérieur de la grande Syrie lI 1, où une population locale musulmane et druze s'en prend à la minorité chrétienne avec la complicité des turcs lI2 . En moins d'un mois, plus de 11 000 chrétiens sont assassinés. Et plus de 100 000 autres ont abandonné leurs habitations!!3. Préoccupées, l'Autriche, la France, la Grande-Bretagne, la Prusse et la Russie décident de convoquer une rencontre d'urgence avec des représentants de l'Empire ottoman à Paris. Les diverses parties conviennent d'envoyer une force d'interposition européenne en Syrie dans le but de rétablir la paix. Les troupes, dont la moitié des effectifs est composée de soldats français, sont déployées et une fois rendues sur place, constatent que l'ordre avait été rétabli par les autorités locales. Les soldats coalisés décident alors de demeurer en Syrie afin de participer à la délivrance de l'aide alimentaire. Cette opération militaire, tout comme celle en Grèce, est parfois assimilée à une intervention humanitaire !14. Le professeur lan Brownlie, pourtant réfractaire à reconnaître un droit coutumier d'intervention humanitaire, concède qu'il s'agit là du seul cas réel d'intervention humanitaire avant 1945 115 • Une telle interprétation n'est pas sans fondement. Les parties avaient signé un protocole d'entente avec l'Empire ottoman dans lequel il était stipulé que les forces alliées ne devaient occuper la Syrie que pour une période maximale de six mois. Les nations européennes avaient aussi, dans un deuxième protocole, garanti qu'elles ne profiteraient pas de l'occasion qui leur était offerte pour acquérir un avantage territorial, une concession commerciale ou 110 Pour plus de détails sur cette intervention spécifique, voir l'ouvrage spécialisé suivant: Istvan pogany, Humanitarian Intervention in International Law: the French Intervention in Syria Reexaminated », (1986) 35 International and Comparative Law Quaterly 182. [Pogany] 111 La grande Syrie de l'époque comprenait les territoires actuels du Liban, de la Jordanie, d'Israël, des territoires occupés palestiniens et évidemmment celui de la Syrie. Les massacres ont eu lieu dans une région qui fait aujourd'hui partie du Liban. 112 Pour les auteurs Franck et Rodley, les chrétiens auraient été les instigateurs de la furie dont ils ont été victimes. Ils auraient provoqué eux-mêmes les massacres car ils complotaient d'extenniner et d'expulser les membres de la communauté druze. (Franck and Rodley, supra note 5, à la p. 282.) 113 Pogany, supra note 110, à la p. 184. 114 Voir notamment Rougier, supra note 10, à la p. 525 ; Stowell, supra note 11, à la p. 63. 115 Brownlie, supra note 58, à la p. 340. 28 encore exercer une influence indue sur la Syrie l16 . Or, les forces d'intervention ont, dans l'ensemble, respecté ces engagements. Elles ne sont restées en Syrie que dix mois sans acquérir quelques bénéfices que ce soit1J7 • Toutefois, on peut difficilement prétendre à l'existence d'une intervention humanitaire au sens où nous l'entendons aujourd'hui puisque l'Empire ottoman a acquiescé l18 à l'ingérence européenne et à la violation de sa souveraineté en signant ces deux protocoles. Comme nous l'avons vu précédemment l19, les interventions armées qui sont consenties par 1'« État-hôte» sont ordinairement exclues du concept de l'intervention humanitaire. c) Les États-Unis à Cuba en 1898/20 Dans un contexte totalement différent, l'intervention américaine à Cuba en 1898 représente un autre cas d'intérêt. Quelques auteurs le considèrent d'ailleurs comme l'exemple le plus éloquent d'intervention humanitaire avant la deuxième Guerre mondiale l21 • Les faits qui ont amené les forces américaines sur l'île de Cuba sont les suivants. Dans le but de mater une insurrection du peuple cubain, les autorités espagnoles décidèrent de forcer la population rurale (dont la guérilla était issue) à se relocaliser dans des camps de concentration situés dans les plus grandes villes du pays. L'objectif recherché était de démasquer les guérilleros et ainsi tuer dans l'œuf leur mouvement. Selon certaines estimations, quelques 200 000 cubains seraient alors morts des suites des problèmes d'hygiène et d'alimentation qu'entraînèrent ce déplacement forcé 122 • Grandement influencé par une opinion publique américaine outragée mais également par l'explosion du USS battleship Maine 123 , le Président McKinley décida d'intervenir. À l'occasion d'un discours tenu au Congrès américain le 11 avril 1898, le Président motiva l'engagement des États-Unis par différentes 116 Protocols of Coriferences Between Great Britain, France, Prussia, Russia and Turkey, Relative 10 the Pacification of Syria, signed at Paris, 3 Aug 1860, in Edward Hertslet, The Map of Europe by Treaty (London: Buttenworths, 1875), vol. 1,769-70, tel que cité dans Chesterman, supra note 55, à lap.33. 117 Leur mandat aurait été prolongé pour quelque temps. (Stowell, supra note Il, aux pp. 65-66) 118 Selon certains juristes, la Turquie n'aurait cependant accepté que parce qu'elle y était contrainte et dans le but d'éviter le pire. De sorte que la validité du consentement peut être remise en cause. (Ibid., à la p. 66 et Fonteyne, supra note 48, à la p. 209) 119 Voir ci-dessus à la p. 10 du présent mémoire. 120 Pour une analyse de cette intervention voir notamment Walzer, supra note 42, aux pp. 102-105. 121 Voir notamment Franck and Rodley, supra note 5, à la p. 285 et Stowell, supra note Il, aux pp. 65-66. rd 122 Robert H. Ferrell, America Diplomacy: A History, 3 ed., New York, Norton, 1975, à la p. 350. 123 L'explosion aurait été probablement le fait d'une mine sous-marine espagnole. (Voir à ce propos Chesterman, supra note 55, à la p. 34.) 29 considérations. En plus de la cause humanitaire 124 , il invoqua d'autres raisons parmi lesquelles figuraient la protection des citoyens et des intérêts commerciaux américains ainsi que l'intérêt national des États-Unis 125 • Le Congrès autorisa l'intervention dans une résolution conjointe. L'intervention fut un succès sur le plan militaire. Les ÉtatsUnis furent victorieux et pavèrent la voie, après la tenue d'une élection et l'élaboration d'une constitution, à la République de Cuba l26 • Cette intervention est moins citée par les auteurs que les deux autres cas étudiés auparavant. Et pour cause. Son caractère humanitaire peut être mis en doute. Les actions subséquentes des États-Unis tendent à confirmer que le bien-être des cubains était, comparativement aux intérêts géostratégiques des américains, une préoccupation négligeable. Les États-Unis s'immiscèrent pendant plusieurs années dans les affaires internes du Cuba l27 malgré l'engagement préalable du Congrès américain à l'effet que leur nation n'avait aucune intention d'exercer la souveraineté en lieu et place des cubains ni d'exercer un contrôle après que l'île ait été pacifiée l28 • Ainsi, l'intervention américaine à Cuba doit être interprétée à la lumière de la lutte que se livrait les États-Unis et l'Espagne pour accroître leur sphère d'influence respective dans les Amériques et dans le Pacifique. Après Cuba, les États-Unis prirent également le contrôle politique de Puerto Rico, d'Hawaii et des Phillippines l29 , attestant ainsi de leurs visées impérialistes sur cette région du globe. Considérant ce 124 Le Président McKinley affirma que les États-Unis se devaient d'intervenir « [ ... ] to put an end to the barbarities, bloodshed, starvation, and horrible miseries now existing there, and which the parties to the contlict are either unable or unwilling to stop or mitigate. It is no answer to say this is all in another country, belonging to another nation, and therefore none of our business ». Tel que cité dans Thomas & Thomas, Non Intervention: The Law and its Import in the Americas, Dallas, Southern Methodist University Press, 1956, à la p. 22. [Thomas & Thomas] 125 President McKinley, Special Message to Congress, Il Apr. 1898, in John Basset Moore, A Digest of International Law (Washington, OC,: Govemment. Printing Office, 1906), vol. 6, p. 211 et 219-220 tel que cité dans Chesterman, supra note 55, à la p. 34. 126 Il est à noter que l'élection et la constitution ont été réalisées alors que Cuba était toujours occupé militairement par les États-Unis. 127 Ils ont occupé Cuba pendant trois ans avant de lui octroyer une indépendance limitée en 1902 par les Amendements de Platt. (Walzer, supra note 42, aux pp. 103-104.) 128 La résolution conjointe mentionna « that the people of the island of Cuba are and ofright ought to be free and independent ... [and that] ... the United States hereby disclaims any disposition or intention to exercise sovereignty, jurisdiction, or control over said island, except for the pacification thereof, and asserts its determination when that is accomplished to leave the government and control of the island to its people)}. Elle est reproduite dans Thomas & Thomas, supra note 123, à la p. 23. 129 Murphy, supra note 6, à la p. 56. 30 qui précède, il n'est donc pas surprenant que l'éminent Michael Walzer ait considéré l'intervention américaine comme un acte d'« impérialisme bienveillant »\30. 2. Les auteurs et la doctrine de l'intervention humanitaire l3l Ces trois cas illustrent la difficulté inhérente que peuvent avoir les juristes à étiqueter d'« humanitaire» certaines ingérences. L'intervention purement humanitaire n'existe pas. Dans les meilleurs cas, des intérêts nationaux ou des considérations géopolitiques se mêlent aux motifs humanitaires. Devant cette pratique quelque peu bigarrée, les opinions des spécialistes du droit divergent et se confrontent. Ainsi, il n'est pas surprenant de constater que la doctrine de la fin du 19ième siècle et du début du 20ième siècle était divisée lorsqu'il était temps d'évaluer l'existence d'un droit coutumier d'intervention humanitaire. Pour les uns, la souveraineté des États et le principe de non-intervention n'étaient pas absolus. Un argument souvent réitéré par nombre de ces juristes, était à l'effet que le principe d'humanité ou encore les «lois de l'humanité» devaient, lorsque des actes choquent la conscience humaine 132, avoir préséance sur la souveraineté des États-nations 133 • Ainsi lorsque ces « lois de l'humanité» étaient enfreintes, l'intervention extérieure était justifiée. D'autres publicistes favorables à l'intervention humanitaire étaient néanmoins plus précis. Ils limitaient son exercice à des circonstances exceptionnelles, comme par exemple l'oppression excessive d'une minorité basée sur de la discrimination 134 ou encore les cas de persécutions religieuses étendues et démontrées 135 • Tandis qu'une autre série d'auteurs étaient prêts à reconnaître un droit d'intervention pour des raisons de morale et de justice, mais 130 Dans son célèbre ouvrage, Walzer emploie les termes suivants: « benevolent imperialism ». (Walzer, supra note 42, à la p. 104.). Il est à noter que pour Walzer, les États-Unis auraient surtout agi afin de protéger leurs intérêts commerciaux sur l'île. ième 131 Pour un excellent résumé des opinions des publicistes du 19 siècle et du début du 20 ième sur l'intervention d'humanité, voir notamment Chesterman, supra note 55, aux pp. 36-42. 132 Notamment lorsqu'une minorité ou un peuple est oppressé d'une manière excessive. 133 Voir en outre Rougier, supra note 10, à la p. 472; Henry Wheaton, Elements of International Law, Ist ed, Philadelphia, Carey Lea & Blanchard, 1836, à la p. 91; Theodore D Woolsey, Introduction to the Study of International Law, 4th edn, London, Sampson, Low, Marston, Low & Searle, 1875, à la p. 32; « Lettre de M. Amtz », dans Rolin-Jaecquemyns, Note sur la théorie du droit d'intervention, (1876) 8 Revue de Droit International et de Législation Comparée 675. 134Creasy, First Platform of International Law 303 (1876) aux pp. 303-305 tel que cité dans Fonteyne, sUf,ra note 48, aux pp. 218-219. 13 Philimore, International Law, vol. 1 (1879) p. 622-623 tel que cité dans Abiew, supra note 76, à la p.40. 31 convenaient tout de même que la doctrine d'intervention humanitaire ne relevait pas du domaine du droit positif. Il s'agissait pour eux, avant tout, d'une question de morale et de politique 136• Quant à ceux qui refusaient d'admettre l'existence d'un droit coutumier d'intervention humanitaire, leurs raisonnements étaient tout aussi variés. Certains avançaient, sans autre explication, que la souveraineté et le principe de nonintervention prévalaient sur un éventuel droit coutumier d'intervention humanitaire 137 • Les autres le niaient en raison des abus potentiels que sa reconnaissance internationale impliquait 138 • Cependant, les détracteurs les plus convaincants d'un tel droit étaient d'opinion que la pratique des États avant la première Guerre mondiale n'était pas édifiante à ce titre, et que conséquemment, un droit coutumier n'avait pas pu naître 139 • Nonobstant ce manque d'unanimité doctrinaire, quelques auteurs modernes sont d'avis qu'une majorité de leurs prédécesseurs étaient favorables à la reconnaissance d'un tel droit 140 • Cette légère majorité semble s'expliquer par l'immixtion inopportune de la morale dans le domaine du droit. Au lieu de déterminer ce qu'était le droit (lex lata), plusieurs juristes de cette période s'intéressaient davantage à ce qu'il devrait moralement être (lexferenda)141. En somme, ils prenaient leurs intentions bienveillantes pour de la réalité. De sorte que l'analyse juridique en subit les contrecoups. Car il y a un véritable décalage entre d'une part la pratique des États et d'autre part l'opinion majoritaire de la doctrine. Décalage que l'on s'explique mal. Et pour cause, les cas étudiés d'interventions humanitaires au 19ième siècle sont \36 Pour l'un d'entre eux, William Vernon Harcourt: « Intervention is a question rather of poHcy than oflaw. It is above and beyond the domain oflaw, and when wisely and equitably handlOO [ ... J, may be the highest poHcy of justice and humanity ». (William Vernon Harcourt, Letters by Historicus on Some Questions of International Law: Reprinted from the Times with Considerable Additions, London, MacMillan, 1863 à la p. 14). Voir aussi les auteurs suivants: M. Bernard, On the Principle of NonIntervention, pp. 33-34 (1860) tel que cité dans Fonteyne, supra note 48, à la p. 218 et T. J. Lawrence, The Principles of International Law, London, Macmillan, 1895, à la p. 132. 137 Voir P. Pradier-Fodéré, Traité de droit international européen et américain 655 (1885) et CamazzaAmari, Traité de Droit International en Temps de Paix 557 (Montanari-Revest transI. 1880) tel que cité dans Fonteyne, supra note 48, aux pp. 215-16. Pour une revue d'autres auteurs qui sont de la même opinion voir Ibid. p. 215-217 et Chesterman, supra note 55, à la p. 38. 138 Robert Philimore, Commentaries upon International Law, (London: Benning & Co, 1954) vol 1, p. 442 tel que cité dans Chesterman, supra note 55, à la p. 39. \39 Pour une revue de ces auteurs voir Fonteyne, supra note 48, aux pp. 223-26. 140 8rownlie, supra note 58, à la p. 338; Fonteyne, supra note 48, à la p. 223. ième 141 Murphy, supra note 6, à la p. 48. Un juriste du début du 20 siècle nommé W.E. Hall a exprimé son malaise vis-à-vis une telle négation du droit positif. Il affirmait que si nous devions conclure éventuellement à l'existence d'un droit d'intervention humanitaire, il ne devrait pas être fondé sur une certaine moralité mais bien sur la reconnaissance des États qu'un tel principe soit reconnu comme faisant partie du droit. (William Edward Hall, A Ireatise on International Law, 6th 00., Oxford, Oxford University Press, 1909, à la p. 284.) 32 peu concluants en ce qui concerne l'émergence en droit international d'une nouvelle coutume. Premièrement, même si on en venait à la conclusion que les trois opérations militaires décrites ci-haut constituaient de véritables interventions humanitaires, ce qui est pour le moins discutable, on ne peut affirmer qu'il s'agissait d'une pratique établie. Étalée sur une période de près de 100 ans, du Congrès de Vienne à la première Guerre mondiale, cette pratique n'a pas atteint le degré de constance nécessaire à l'établissement d'une nouvelle norme internationale. Pour reprendre les propos du juriste Sean D. Murphy, l'emploi par les États de l'intervention humanitaire a été, durant cette intervalle, sporadique et inégal 142 • Deuxièmement, la pratique de l'intervention humanitaire n'était pas d'application universelle. Elle n'était exercée que par des nations occidentales et ne ciblait que des populations chrétiennes. La grande majorité des interventions du 19 ième siècle ont été menées par des puissances européennes contre un Empire ottoman en perte de puissance politique qui tolérait que ses minorités chrétiennes soient maltraitées. À ce sujet, il est intéressant de constater que ces puissances européennes, qui d'ailleurs avaient une conduite loin d'être exemplaire envers leurs propres sujets coloniaux et même nationaux l43 , n'ont pas cru bon d'intervenir lorsque d'autres groupes minoritaires étaient opprimés, d'Europe l44 • notamment les communautés juives Enfin, ces « croisades» dans l'Empire ottoman étaient essentiellement eurocentriques et fondées sur un certain sentiment de supériorité à l'intérieur duquel la dichotomie entre nations civilisées et barbares prévalait. C'est du moins l'opinion du juriste Hans Kochler, qui est également d'avis que la doctrine dite « humanitaire» servait de prétexte et avait pour but de camoufler les desseins impérialistes des nations européennes sur un Empire ottoman en décrépitude l45 • 142 143 Murphy, Ibid. à la p. 63. À titre d'exemple, rappelons que l'objectif primordial de la Sainte-Alliance (qui regroupait la Russie, l'Autriche et la Prusse) créée à l'issue du Congrès de Vienne de 1815 était d'empêcher l'émergence de mouvements républicains hostiles aux régimes monarchiques. (Henry Kissinger, Diplomatie, trad. par Marie-France de Paloméra, Paris, Fayard, 1996 aux pp. 73 et ss.) 144 Franck and Rodley, supra note 5, aux pp. 291 et ss. 145 Hans Küchler. Global Justice or Global Revenge?: International Criminal Justice al the Crossroads, New York, Springer, 2003, aux pp. 274-276. Ainsi, il serait irréaliste de nier, malgré les préoccupations humanitaires que pouvait représenter la répression envers les chrétiens, l'intérêt que possédaient les puissances industrielles de l'Europe à accentuer leur influence sur les affaires ottomanes. 33 Troisièmement, les États intervenants n'ont pas explicitement justifié leur ingérence par la doctrine de l'intervention humanitaire, mais sur des considérations humanitaires ponctuelles et/ou sur la prémisse que l'Empire ottoman avait violé ses obligations internationales relativement aux traités qu'il a signé avec eux et qui garantissaient certains droits aux minorités chrétiennes vivant sur son territoire l46 • Par conséquent, ces puissances européennes ne possédaient pas l' opinio juris nécessaire, à savoir la conviction que l'intervention humanitaire était devenue une norme exécutoire du droit international, pour qu'on en vienne à conclure à la naissance d'une coutume internationale. Malgré ce constat, il est indéniable que la doctrine de l'intervention humanitaire avait, avant la première Guerre mondiale, atteint un certain degré d'acceptation en Europe 147. Il est également clair qu'elle a influencé la politique mondiale de l'époque, même si elle n'a pas été un de ses principes directeurs. Enfin, il est devenu apparent que l'immunité dont pouvait jouir un gouvernement dans la conduite de ses affaires internes n'était plus sans faille. 3. La période de l'entre-deux-guerres La pratique des États ainsi que l'adoption de grandes conventions internationales entre les deux grandes guerres ne supportent guère l'existence d'un droit d'intervention humanitaire. Il serait plus exact d'affirmer que la doctrine de l'intervention humanitaire a perdu, durant cette période, de l'influence normative. Tout d'abord, le Pacte de la Société des Nations paraphé en 1919 et le Pacte BriandKellogg signé en 1928 ne traitent pas spécifiquement de l'intervention humanitaire. En fait, ils semblent, par leurs dispositions respectives, créer des limites, plus ou moins efficaces, à son exercice. 146 De l'avis des chancelleries européennes, le Traité de Paris en 1856 ainsi que celui de Berlin de 1878 imposaient à l'Empire ottoman l'obligation de traiter ses sujets chrétiens sans aucune discrimination. Il est clair cependant que ces traités ne prévoyaient pas expressément la possibilité pour les États européens d'intervenir en cas de violation à ses dispositions (Murphy, supra note 6, aux pp. 51-52). Cela n'a pas empêché certaines puissances d'utiliser cet argument lors de l'intervention dans la grande Syrie en 1860-61, dans les Balkans et en Bulgarie en 1876-78 et en Macédoine au début du 20 ième siècle (Fonteyne, supra note 48, aux pp. 208-213). 147 Murphy, supra note 6, à la p. 63. 34 Contrairement à la Charte de l'ONU que nous aborderons plus loin, le Pacte de la Société des Nations ne prohibe pas l'emploi de la force dans les relations internationales. La guerre n'est pas stricto sensu interdite. La convention prévoit néanmoins une exigence procédurale préalable à son recours. Un membre de la Société des Nations qui désirait faire la guerre à un autre membre était tenu de se soumettre auparavant à une procédure de résolution de conflit l48 • Il pouvait alors aller en arbitrage, se soumettre à une décision judiciaire ou encore à une enquête du Conseil de la Société des Nations l49 • Il appert donc que, théoriquement, un ou plusieurs États membres de la Société prévoyant intervenir sur une base humanitaire dans un autre État signataire l50 , aurait dû passer par une telle procédure avant de lui déclarer la guerre l51 . Le Pacte Briand-Kellogg conclu en 1928 à Paris a, quant à lui, davantage affecté la légalité des interventions humanitaires, qu'elles soient collectives ou le fait d'un seul État. Le pacte, en véritable prélude à la Charte de l'ONU, contient de l'avis de plusieurs juristes 152, une prohibition générale de recourir à la guerre pour les États signataires, y compris, semble-t-il, l'intervention humanitaire. Bien que le pacte 148 Le Pacte de la Société des Nations n'est pas le premier instrument à contenir une telle exigence. Les deux Conventions 1 de la Haye sur le règlement pacifique des conflits internationaux de 1899 et 1907 prévoyaient également la nécessité pour toute partie ayant un différend avec une autre de tenter une procédure de règlement pacifique avant d'avoir recours à la guerre. Voir à ce sujet Dinstein, supra note 100, aux pp. 74-75. 149 Art. 12 du Pacte de la Société des Nations. Si les États refusaient de se soumettre à l'arbitrage ou au processus judiciaire, c'est le Conseil qui entendait le litige. 150 Une telle restriction n'était pas de mise toutefois si l'État responsable des violations des droits de l'homme n'était pas membre de la Société des Nations. L'article 12 du pacte mentionnait expressément ~ue seuls les membres de la Société étaient visés par cette obligation. liEn effet, l'objection d'un État vis-à-vis le bilan des droits de l'homme d'un autre membre de la Société, aurait pu être assimilée à une dispute, enclenchant ainsi une procédure de résolution de con~it. Procédure qui, dans l'éventualité d'une résolution favorable de l'Etat objecteur, aurait forcé l'Etat violateur à se conformer à la décision judiciaire, d'arbitrage ou encore au rapport unanime du Conseil de la Société des Nations. À défaut de quoi, des sanctions auraient pu être prises contre l'État récalcitrant, incluant une intervention humanitaire collective. (Murphy, supra note 6, à la p. 59). Il est toutefois pour le moins douteux, que le ou les États désirant intervenir seraient sortis victorieux d'une telle procédure et que finalement une intervention humanitaire soit approuvée par le système de la Société des Nations. Les droits de l'homme étaient, au début du 20 ième siècle, une question essentiellement interne, hors du droit international. L'arbitre, le juge ou le Conseil de la Société des Nations saisis d'un tel litige seraient assurément venus à cette conclusion. D'ailleurs, en vertu du paragraphe 8 de l'article 15 du Pacte de la Société des Nations, le Conseil, advenant que les parties en litige refusaient de se soumettre à une décision arbitrale ou judiciaire, n'avait pas la compétence voulue pour entendre un contentieux qui, selon le droit international, relevait exclusivement de la juridiction interne des États. 152 Pour le professeur Ian Brownlie, le pacte contient une prohibition générale de la guerre en raison de la pratique subséquente des États. (BrownIie, supra note 58, à la p. 87). D'autres sont toutefois d'opinion qu'il ne s'agit pas d'une prohibition exécutoire mais davantage d'une déclaration de principe, voire même d'une disposition programmatoire. (À ce sujet voir également Ibid., aux pp.. 83-89). 35 demeure silencieux sur un éventuel droit d'intervention humanitaire, ses dispositions générales constituent une réelle entorse à sa légalité. En vertu de son article premier, les États signataires déclarent solennement qu'ils condamnent le recours à la guerre en ce qui concerne la solution de controverse internationale, et qu'ils renonçent qu'elle devienne un instrument de leur politique nationale. De plus, ces mêmes États s'entendent, suivant l'article subséquent, pour que les disputes ou conflits internationaux, peu importe leur nature 153 , soient réglés uniquement par des moyens pacifiques. Pour finir, ses travaux préparatoires révèlent que l'intervention humanitaire, malgré l'appui d'une partie de la doctrine, n'avait été ni proposée ni étudiée comme possible exception à la prohibition générale de la guerre l54 • La pratique des États à partir de la première Guerre mondiale est encore plus révélatrice de l'absence d'une conduite attestant de l'émergence d'un droit d'intervention humanitaire. On n'en recense aucune durant la période de l'entre-deuxguerres, malgré les génocides perpétrés contre des groupes minoritaires. Que ce soit le génocide arménien de 1915 aux mains des Turcs 155 ou l'Holocauste à l'aube de la deuxième Guerre mondiale, les grandes puissances sont restées muettes devant ces tragédies humaines. Mais pire encore, les années 30 ont vu des États fascistes justifier leurs agressions territoriales par des considérations soi-disant humanitaires, jetant ainsi le discrédit sur la doctrine de l'intervention humanitaire. Tout d'abord, le Japon a légitimé son occupation de la Mandchourie en 1931 en prétendant qu'il agissait en vue de protéger et de sécuriser la population chinoise l56 • L'Italie fasciste a, quant à elle, motivé son invasion de l'Éthiopie en 1935, en outre, par la pratique de l'esclavagisme qui selon elle y était répandue 157 • Mais la palme du faux prétexte humanitaire revient à l'Allemagne nazie. L'annexion de la Bohème et de la Moravie en 1939, toutes deux des régions de la Tchécoslovaquie, aurait été réalisée, selon Hitler, dans le but de protéger les populations germaniques et autres minorités dont la vie et la sécurité étaient mises en péril par les soldats tchèques et les bandes terroristes qui s'y Incluant présumément des disputes concernant des questions liées aux droits de l'homme. Seule la légitime défense avait été soulevée. (Brownlie, supra note 58, aux pp 74-92 et 235-247.) 155 Un million d'Arméniens semient morts lors de ce génocide. Malgré les pressions d'un diplomate américain, les pays européens n'ont pas cru bon d'adopter des mesures coercitives contre les autorités turques. (Franck and Rodley, supra note 5, aux pp. 294-295). 156 Murphy, supra note 6, aux pp. 60-61. 157 Ibid., à la p. 61. 153 154 36 trouvaiene s8 • Tous ces incidents démontrent clairement l'envers de la médaille de la doctrine de l'intervention humanitaire, c'est-à-dire sa récupération politique sous de fausses représentations. Elle a régulièrement permis par le passé à des nations bellicistes de satisfaire leur appétit de conquête. L'esprit guerrier de ces États fascistes et les exactions dont ils ont été responsables allaient, au sortir de la deuxième Guerre mondiale, faire naître un nouveau régime juridique international. Dans la suite logique du Pacte BriandKellogg, une nouvelle proscription générale du recours à la force armée apparaîtra à l'article 2 (4) de la Charte de l'ONU, changeant drastiquement les règles juridiques en ce qui concerne les interventions humanitaires. Ce sera le prochain sujet abordé. 158 Le 15 mars 1939, Hitler a dans une proclamation annonçant l'occupation de la Bohémie et de la Moravie fait référence aux assauts « on the Iife and liberty of minorities » by « the intolerable terroristic regime of Czecho-Slovakia ». Il a également fait mention que l'objectif des troupes allemandes était de désarmer « the terrorist bands and the Czech troops who are shielding them ». (Sir N Henderson to Viscount Halifax, 15 Mar 1939, in E L Woodward and Rohan Butler (eds.) Documents on British Foreign Policy 1919-1939 (London: HMSO, 1949) Series Three, iv, no 256,257; ibid 257,256 tel que cité dans Chesterman, supra note 55, à la p. 27.) Voir également la lettre qu'a envoyé Hitler au Premier ministre britannique Chamberlain quelques mois plus tôt dans laquelle il mentionne que les minorités germaniques de la Tchècoslovaquie sont torturées et sont empêchées de réaliser leur droit des peuples à diposer d'eux-mêmes. Ce qui aurait eu pour résultat, toujours selon Hitler, de mettre en danger la vie de trois millions de personnes. (Letter from Reich Chancellor Hitler to Prime Minister Chamberlain, The Crisis in Czechoslovalda, April 24 -October 13, 1938,44 Int. Conc. 433 (1938) tel que cité dans Franck and Rodley, supra note 5, à la p. 284.) 37 Deuxième partie L'intervention humanitaire à la lumière de la Charte de l'ONU et de la pratique des États de 1945 à 2005 À l'issue de la deuxième Guerre mondiale, conflit d'une indescriptible barbarie, il était devenu évident pour les juristes, diplomates et politiciens que l'ordre mondial devait être remanié. Le système hérité de la première Guerre mondiale avait étalé toutes ses lacunes. Malgré la conclusion du Pacte de la Société des Nations et celui de Briand-Kellogg, le recours à la guerre est demeuré, durant la période de l'entre-deux-guerres, un instrument privilégié de la politique étrangère des États, n'apportant sur son passage que désordres, destructions et désolations. La défaite des régimes fascistes fut donc l'occasion d'une modification en profondeur du droit international, qui prit la forme d'un système de sécurité collective mais surtout d'une sévère limite quant à l'emploi des armes comme possible moyen de règlement des différends. Résolus à « préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l'espace d'une vie humaine a infligé à l'humanité d'indicibles souffrances »159, les quarante-cinq peuples fondateurs de l'ONU promulguèrent une prohibition générale pour tout État de recourir à la force dans leurs relations internationales. Cette importante restriction qui a pour but de donner effet à la raison d'être première de l'organisation, soit le maintien de la paix et de la sécurité internationales l60, est prévue à l'article 2 (4) de la Charte de l'ONU qui se lit comme suit: Les Membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies. Cette disposition, considérée comme le cœur de la Charte de l'ONU 161 , se distingue du jus ad bellum qui avait cours avant la deuxième Guerre mondiale à deux niveaux. Premièrement, l'article 2 (4) ne proscrit pas uniquement la guerre comme le 1er paragraphe du préambule de la Charte des Nations Unies, 26 juin 1945, R.T. Cano n° 7. (ci-après Charte de l'ONU). 160 Ibid., art. 1 (1). 161 Louis Henkin, « The Reports of the Death of Article 2(4) are Greatly Exaggerated », (1971) 65 American Journal ofInternational Law 544 à la p. 544. 159 38 faisait le Pacte Briand-Kellogg, mais bien tout emploi de la force armée l62 • La portée de la restriction s'étend donc à des actes d'agression qui ne s'inscrivent pas dans le cadre d'une guerre ouverte et déclarée l63 • Ainsi, les représailles armées en temps de paix seraient également non permises par la Charte 164. Deuxièmement, la simple menace de recourir à la force est tout aussi interdite que son usage en tant que te1 165 • Mais la singularité de l'article 2 (4) se fonde particulièrement dans l'autorité morale qu'il recèle. Écrit dans des termes plus solennels et contraignants que son prédécesseur, qui ne faisait que condamner la guerre «en tant qu'instrument de politique nationale })166, la nouvelle prohibition du recours à la force a une portée plus universelle. La quasi-totalité des États souverains sont devenus, au fil du temps, membres de l'ONU et, à ce titre, ont adhéré à la norme inscrite à l'article 2 (4)167. Il est de plus reconnu aujourd'hui qu'elle constitue une règle coutumière de jus cogens l68 • Elle serait donc applicable à tous les États sans exception, même à ceux qui ne sont pas membres de l'ONU. En comparaison, 63 pays avaient, à l'aube des années 40, signé et ratifié le Pacte Briand-Kellogg qui est limité dans son application aux 162 Bien que les termes de l'article 2(4) ne font référence qu'à l'emploi de la «force», il est généralement admis que le type de force dont il est question est celui de la force armée. (Dinstein, supra note 100, à la p. 81; Michel Virally, «Article 2, paragraphe 4» dans Jean-Pierre Cot et Alain Pellet, dir., La Charte des Nations Unies: commentaire article par article, 2ième éd., Paris, Economica, 1991, 115 aux pp. 122-23 [Cot et Pellet]; Albrecht Randelzhofer, « Article 2 (4)) in Bruno Simma, (ed.), The Charter of the United Nations. A Commentary, 2nd ed., vol. l, Oxford, Oxford University Press, 2002, 112 aux pp. 118-19 [Simma]). Certains néanmoins postulent que des mesures économiques, politiques ou diplomatiquès ayant un caractère coercitif seraient incluses dans la prohibition de l'article 2(4). (Aristidis S. Calogeropoulos-Stratis, Le recours à laforce dans la société internationale, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1986 aux pp. 62-63). Mais il s'agit bien là d'un courant minoritaire. 163 Une telle réforme s'est avérée nécessaire car auparavant certains États avaient l'habitude d'argumenter que, sans état formel de guerre, l'usage de la force armée contre une nation ne violait pas la prohibition générale de guerre contenue dans le Pacte Briand-Kellogg. Le Japon invoqua un tel ~ument lors de son invasion de la Mandchourie dans les années trente. 1 Browntie, supra note 58, à la p. 281. L'agression indirecte, c'est-à-dire « l'assistance, sous quelque forme que ce soit, à des forces ou bandes armées opérant contre un autre État, ou, a fortiori, l'organisation de ces irréguliers» est aussi assimilée à un emploi illicite de la force conformément à la résolution de l'Assemblée Générale 2625 (XXV). (Michel Virally, « Article 2, paragraphe 4» dans Cot et Pellet, supra note 162, à la p. 123). 165 Bien qu'il n'existe aucun consensus doctrinaire sur ce que peut signifier une menace de recourir à la force, une majorité d'auteurs sont d'avis qu'elle doit être accompagnée d'une certaine intention d'employer la force en vue de modifier une conduite spécifique d'un État ou de le forcer à faire certaines concessions (e.g. concessions politiques ou territoriales) qui nuiraient à son indépendance politique. (Albrecht Randelzhofer, « Article 2 (4)) in Simma, supra note 162, à la p. 124; Oscar Schachter, « The Right of States to Use Armed Force» (1984) 82 Michigan Law Review 1620 à la p. 1625. [Schachter]) 166 Art. 2 du Pacte Briand Kellogg. 167 Au mois d'août 2005, il y avait 191 pays qui étaient membres de l'ONU. 168 La Commission du droit international des Nations Unies a exprimé cette opinion lors de ses travaux portant sur la codification du droit des traités (Report of the International Law Commission, 18th Session, [1966] HIL.e Yearbook 172 à la p. 247) L'arrêt de la CU sur les activitées militaires et paramilitaires au Nicaragua a aussi entériné ce point de vue. (Nicaragua, supra note 22, à la p. 100). 39 seuls États qui y ont adhérés 169 • Il n'y a, par conséquent, rien de surprenant que certains perçoivent l'avènement de l'article 2 (4) comme une mutation révolutionnaire de l'ordre intemational 170 • L'interdiction de l'emploi de la force armée à l'article 2 (4) n'est cependant pas totale. Elle souffre d'exceptions reconnues par la Charte de l'ONU. Pour un, la réplique armée est permise en cas de légitime défense. Cette exception prévue à l'article 51 permet à un ou plusieurs États préalablement attaqués d'employer une force proportionnelle et nécessaire afin qu'il(s) se défende(nt) contre leur(s) agresseur(s). Dans ce cas spécifique, l'application de l'article 2 (4) est levée. Il en est de même lorsque le Conseil de sécurité autorise des paysl71 ou des organisations régionales 172 à utiliser la force armée conformément aux chapitres VII et VIII de la Charte 173. L'histoire récente compte quelques interventions de ce genre 174. Enfin, la Charte prévoit une troisième dérogation relative aux États ennemis qui est cependant devenue obsolète avec le temps 175. Ce sont là, les seules exceptions expressément prévues dans la Charte. Ainsi, la doctrine de l'intervention humanitaire, pourtant bien connue par les juristes en 1945, a été complètement évacuée par le nouveau régime de la Charte. Aucune disposition n'y fait référence. De plus, elle aurait fait l'objet de peu de débats Dinstein, supra note 100, à la p. 78. Michel Virally, ({ Article 2, paragraphe 4» dans Cot et PeUet, supra note 162, à la p. 115. 171 Charte de l'ONU, art. 42. Il est généralement admis que le Conseil de sécurité doit préalablement constater qu'il y a existence d'une menace à la paix età la sécurité internationales, d'une rupture de la ~aix ou d'un acte d'agression avant d'autoriser tout État à employer la force armée. (Ibid., art. 39) 72 Charte de l'ONU, art. 53. 173 Le Conseil de sécurité peut aussi autoriser des missions de maintien et d'imposition de la paix de l'ONU à employer la force. (Voir à cet effet notamment Emmanuelli, supra note 21.). 174 Dernièrement, l'ONU a autorisé le déploiement d'une force multinationale en Irak suivant la prise de Bagdad par les alliés afin de maintenir l'ordre et de sécuriser le pays (La situation entre l'Iraq et le Koweit, Rés. CS 1511, Doc. Off. CS NU, 58e sess., Doc NU AlRES/1511 (2003)). Elle a aussi autorisé 169 170 l'envoi d'une force intérimaire en Haïti au début de l'année 2004 suite aux troubles internes que ce pays a connu. (La question concernant Haiti, Rés. CS 1529, Doc. Off. CS NU, 58e sess., Doc NU AlRES/1529 (2004)). 175 Son article 107 permettait à tout membre de l'ONU de passer outre l'interdiction du recours à la force si cette dernière était employée contre un État ennemi au moment de la deuxième Guerre mondiale. Les rédacteurs de la charte faisait ainsi référence implicitement aux membres de l'Axe, soit l'Allemagne, l'Italie et le Japon. Un tel pouvoir d'exception était également attribué aux organisations régionales par l'entremise de l'article 53 (1). Maintenant que ces « ennemis» d'hier sont des membres à part entière de l'ONU, ces deux dernières dispositions sont devenues caduques. (Albrecht Randelzhofer,« Article 2 (4)) in Sim ma, supra note 162, à la p. 125) 40 lors de la Conférence de San Francisco menant à son adoption 176 • En fait, c'est la paix et la sécurité collectives qui étaient au cœur des préoccupations des diplomates et hommes d'États de l'époque. Une place secondaire était laissée à lajustice ou encore aux droits de l'homme comme le témoigne d'ailleurs le rejet d'un amendement de la France permettant l'intervention extérieure lorsqu'un État est responsable de violations significatives aux droits de l'homme et devant ultimement constituer une exception au principe de la non-intervention dans les affaires intérieures des États que l'on retrouve aujourd'hui à l'article 2 (7) de la Charte 177 • L'absence de cette doctrine dans le texte constitutif de l'ONU n'a cependant pas empêché quelques spécialistes du droit, issus pour la plupart des facultés américaines, de prétendre à l'existence d'un droit unilatéral d'intervention humanitaire. Leurs arguments juridiques peuvent être subdivisés en deux grandes catégories. Une première regroupe les arguments fondés sur la compatibilité de l'intervention humanitaire avec la Charte. Ils seront examinés en premier. Une seconde série d'arguments est reliée à la pratique des États durant les soixante dernières années. Elle sera exposée et analysée dans un deuxième temps. 176 Thomas M. Franck, Recourse to Force: States Action Against Threats and Armed Attacks, Cambridge, Cambridge University Press, 2002 à la page 136. [Franck] 177 12 U.N. C.I.O., Commission III, Committee 2, Doc. 207, IIU2/A/3, May 10, 1945, 179 à la page 19l. D'autres propositions d'amendements qui prévoyaient de rendre les États responsables devant la communauté internationale de leurs violations des droits de l'homme ont été repoussées à l'occasion de la Conférence de San Francisco. (Voir Franck, Ibid., aux pp. 17-19; Murpby, supra note 6, aux pp. 6768). 41 I. Les arguments fondés sur la compatibilité avec la Charte de l'ONU Depuis 1945, certains juristes ont avancé l'argument que la Charte de l'ONU reconnaîtrait implicitement un droit d'intervention humanitaire. Ces auteurs fondent généralement leur raisonnement sur une interprétation littérale de la Charte, mais aussi quelquefois, sur la pratique subséquente des États et de l'ONU qui auraient, disent-ils, validement modifié son contenu normatif 78. Pour les fins de notre recherche cependant, nous nous concentrerons sur l'argument qui est le plus fréquemment utilisé, à savoir que l'article 2 (4) de la Charte incluerait, par ses termes, des exceptions qui ouvriraient la porte à un éventuel droit d'intervention humanitaire. Selon une interprétation restrictive de cet article, défendue par une série d'auteurs 179, l'interdiction de l'utilisation de la force ne couvrirait que trois cas potentiels. Pour être proscrite, la force devrait être employée contre l'intégrité territoriale d'un État, son indépendance politique ou encore de toute autre manière qui serait incompatible avec les buts de l'ONU. Autrement dit, un emploi de la force armée qui n'entrerait dans aucune de ces catégories, s'avérerait conforme à la Charte. Tel serait le cas de l'intervention humanitaire, qui, selon certains, ne violerait pas l'intégrité territoriale et l'indépendance politique d'un État ainsi qu'aucun des 178 Ce dernier type d'argumentation fondé sur l'idée que la Charte serait un document vivant n'est pas sans fondement. La pratique des organes des Nations Unies tels l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité est venue régulièrement modifier le contenu normatif de la Charte. Dans l'arrêt Namibie, la CIJ a confirmé que les gestes posés par les États à l'intérieur des organes de l'ONU peuvent venir réinterpréter et modifier le contenu normatif de la Charte. Elle a reconnu que l'abstention volontaire d'un membre permanent lors d'un vote au Conseil de sécurité ne constituait pas un véto, allant ainsi à l'encontre des termes de l'article 27 (3) de la Charte qui prévoit qu'une décision du Conseil ne peut être prise que si les membres permanents votent d'une manière « affirmative ». (Conséquences juridiques pour les ÉtaiS de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie, Avis consultatif, [1971] C.LJ. rec. 16 à la p. 22). Ceci étant, il est plus que douteux que l'article 2 (4) de la Charte ait été valablement modifié par la pratique subséquente des Etats de telle sorte qu'aujourd'hui, il permettrait l'intervention humanitaire. Au contraire, la conduite des États au cours des soixante dernières années supporte plutôt la thèse inverse, à savoir que les États ont par leurs actes confirmé l'interprétation qu'avait donnée les membres fondateurs de l'ONU à cette disposition en 1945. Voir ci-dessous les pp. 65-66. 179 Les premiers furent Julius Stone et Derek Bowett. (Julius Stone, Aggression and World Order: A Critique of United Nations Theories of Aggression, London, Stevens, 1958 à la p. 43.[Stone]; Derek Bowett, Self-Defence in International Law, Manchester, Manchester University Press, 1958). Ils ont été par la suite suivis par une série d'autres auteurs comme Richard Lillich, Michael Reisman et Myres S. McDougal. (LUUch « Selp-help )), supra note 45, à la p. 336; Michael W. Reisman and Myres S McDougal, dans Richard B. Lillich, dir., Humanitarian Intervention and the United Nations. Charlottesville, University Press of Virginia, 1973 167, à la p. 177 [Lillich]). Plus récemment, une telle interprétation restrictive fut notamment adoptée par Fernando Téson, Julie Mertus et Serge Sur. (TésoD, supra note 17, aux pp. 150-51; Sur, supra note 8, à la p. 25; Julie Mertus, « The Legality of Humanitarian Intervention: Lessons from Kosovo» (2000) 41(5) William and Mary Law Review 1743 à la p. 1756. [Mertus]) 42 objectifs qui sous-tendent l'ONU. Selon Michael Reisman et Myres S. McDougal, l'intervention humanitaire ne vise pas à obtenir des gains territoriaux ou à défier l'autorité politique d'un État. De plus, ce type d'ingérence ne serait nullement incompatible avec la Charte. Ils soutiennent, au contraire, que la Charte reconnaît comme valeur fondamentale le respect effectif des droits de l'homme, notamment par °. l'entremise de ses articles 1 (3), 55 et 56 18 Reprenant le même type d'argumentation, Fernando Téson appuie l'opinion de ses confrères. Il est aussi d'avis qu'une véritable intervention humanitaire ne résulte pas en conquête territoriale ni domination politique et qu'elle servirait, en fm de compte, l'un des buts centraux de l'ONU, à savoir la promotion des droits de l'homme l81 • L'interprétation restrictive telle que formulée ci-dessus n'est pas sans fondement. Une lecture rapide de l'article 2 (4) semble confirmer une telle position. À première vue, il semble contenir trois cas distincts de force prohibée. Comme l'affirme Téson, s'il en était autrement, les rédacteurs de la Charte auraient vraisemblablement interdit expressément toute utilisation de la force sans faire aucune autre précision J82 . Ils n'auraient pas ajouté à la fin de l'article 2 (4), une énumération d'exemples spécifiques de recours à la force. En somme, ils se seraient limités au libellé suivant: «Les Membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leur relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force )). Mais le sens ordinaire des mots peut en cacher un autre lorsque l'on approfondit l'analyse. Il ressort, en effet, des travaux préparatoires menant à l'élaboration de la Charte que les termes «soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État) ont été ajoutés dans le but de renforcer la prohibition générale du recours à la force et non de la restreindre. Cet ajout proposé par le représentant de l'Australie à l'occasion de la Conférence de San Francisco aurait été entériné par les délégués présents afin de satisfaire les préoccupations de certains États jaloux de leur souveraineté et méfiants envers l'appétit, quelquefois vorace, des grandes puissances. Par cette modification, ces « petits )) États désiraient ainsi conférer à la prohibition de l'article 2 (4) un caractère absolu et ne laisser aucune Michael W. Reisman and Myres S. McDougal dans Lillich, Ibid. Téson, supra note 17, à lap. 151. 182 Ibid., p. 150. 180 181 43 place à quelque exception que ce soie 83 . C'est cette dernière interprétation qui a été retenue par une majorité de délégués 1g4 à l'issue des discussions et qui fut fmalernent sanctionnée par le rapporteur du comité chargé de sonder le sens qu'avait cette disposition en vue de son adoption ultérieure 185 • Il semble donc que, malgré une écriture quelque peu maladroite de l'article 2 (4), l'intention réelle des pères fondateurs de la Charte était d'exclure toute forme d'usage de la force armée qui était non prévue. On peut toujours rétorquer que l'examen des travaux préparatoires n'est qu'une méthode complémentaire d'interprétation des traités et conséquemment y accorder moins de signification 186. Mais même si l'on acceptait la thèse de l'interprétation restrictive de l'article 2 (4), il n'en résulterait pas moins qu'en se basant sur le sens ordinaire de ses termes 187, une intervention humanitaire violerait la Charte de l'ONU. Par essence, ce type particulier d'emploi de la force entame toujours l'intégrité territoriale et très souvent, l'indépendance politique de l'État visé. Affirmer le contraire mènerait à une interprétation « orwellienne )} de l'article 2 (4)188 et irait à contre-courant d'un certain consensus doctrinaire. D'une part, il est depuis longtemps admis que l'expression « intégrité territoriale » est synonyme d'inviolabilité territoriale l89 • En ce sens, le passage, même temporaire, de troupes armées étrangères ou d'avions de chasse sur le territoire d'un Brownlie, supra note 58, à la p. 267. Notamment par les délégués de la Grande-Bretagne et des États-Unis. Un des rapports résumant les délibérations sur le futur article 2 (4) fait mention que ce dernier aurait affirmé que la prohibition de l'usage de la force était absolue: « The Delegate of the United States made it clear that the intention of the authors of the original text was to state in the broadest terms an absolute ali-inclusive prohibition; the phrase 'or in any other manner' was designed to insure that there should be no loopholes». (6 UNCIO 335 reproduit dans Chesterman, supra note 55, à la p. 49.) 185 Il aurait écrit dans son rapport devant être présenté à la Commission 1, laquelle était mandatée d'adopter une à une les propositions d' article de la Charte, que « the unilateral use of force or any other coercive measure of that kind is neither authorized nor admitted ». (6 UNCIO 400, Report of Rapporteur of Committee 1 to Commission 1,9 june 1945 reproduit dans Chesterman, supra note 55, à la p. 49.). 186 Il est vrai que l'article 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (23 mai 1969, 1155 U.N.T.S. 331. [Convention de Vienne] ), qui s'applique également à la Charte puisque ces dispositions font partie du droit coutumier, précise qu'on ne peut faire appel à ce type de document que si le sens ordinaire des mots est ambiguë. 187 Ibid., art. 31 (1). 188 Oscar, Schachter « The Legality of Pro-Democratie Invasion » (1984) 73(3) American Journal of International Law 645 à la p. 649. [Schachter <<pro-democratic»] th 189 Oppenheim, L., International Law ii, Disputes, War and Neutrality (Lauterpacht, H., 7 edn., 1952) p. 154 tel que cité dans Albrecht Randelzhofer, « Article 2 (4») in Simma, supra note 162, à la p. 123. 183 184 44 État sans le consentement préalable de ses autorités gouvernementales viole son intégrité territoriale l90 . En effet, tout État possède le pouvoir souverain de limiter et de contrôler l'accès à son territoire national 191 . Même si de tels énoncés sont quelquefois contestés 192, ils s'avèrent conformes aux vues subséquemment exprimées par les États dans le cadre des institutions de l'ONU. À titre d'exemple l93 , la résolution de l'Assemblée générale 2625 (XXV) du 24 octobre 1970 (ci-après surnommée « Déclaration sur les relations amicales »)194, qui sert à interpréter les dispositions de la Charte, prévoit au quatrième paragraphe traitant du principe de la non-utilisation de la force que tout « État a le devoir de s'abstenir de recourir à la menace ou à l'emploi de la force pour violer les frontières internationales existantes d'un autre État [ ... ] » [Nous soulignons]. Cette résolution vient ainsi préciser le sens à donner aux termes « intégrité territoriale» et enlève tout doute possible, en tant qu'instrument faisant partie du droit coutumier l95 , sur une interprétation différente. Pour les mêmes raisons, on ne peut donner suite à l'argument voulant qu'une opération armée temporaire, de quelques heures par exemple, ne viole pas la souveraineté territoriale d'un État. La majorité des auteurs, même les plus nuancés, sont formels sur ce pointl96 • Notons fmalement les enseignements que nous pouvons tirer de certains avis de la CU. Dans l'Affaire sur les activités militaires et paramilitaires au Nicaragua par exemple, la cour était d'avis que les États-Unis avaient violé la règle codifiée à l'article 2 (4) sans Ronzitti, supra note 52, à la p. 8. Schachter «pro-democratic», supra note 188, à la p. 649. 192 Le professeur Anthony d'Amato prétend, sur la base de ses recherches, qu'il est au mieux incertain que l'expression « la force contre l'intégrité territoriale et l'indépendance politique d'un État» pouvait signifier et recouvrir en 1945 tous les cas d'intervention armée transfrontalière. (Anthony D'Amato, International Law: Process and Prospects, Dobbs Ferry, Transnational, 1987 aux pp. 59-69.) 193 La résolution 2625 ne constitue qu'un exemple parmi tant d'autres. Voir également Définition de l'agression, Rés. AG 3314 (XXIX), (1970). [Définition de l'agression] 194 Déc/aration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États coriformément à la Charte des Nations Unies, Rés. AG 2526 (XXV), (1970). [Déclaration sur les relations amicales] 195 Dans son avis sur les activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, la CIJ en vient à la conclusion que l'adoption de la Déc/aration sur les relations amicales témoigne de l'existence d'une opinio juris généralisée envers le principe coutumier de l'interdiction de recourir à la force dans les relations internationales. (Nicaragua, supra note 22, aux pp. 99-100) 1% Voir notamment Fonteyne, supra note 48, à la p. 255; Michael Akehurst, « Humanitarian Intervention» dans Hedley Bull, dir., Intervention in World Politics, Oxford, Clarendon Press, 1984 95 à la p. 105.[BuO]; Ved P. Nanda, « Tragedies in Northern Iraq, Liberia, Yugoslavia and Haiti: Revisiting the Validity of Humanitarian Intervention under International Law: Part 1 » (1992) 20 (2) Denver Journal of International Law and Policy 305 à la p. 311; Oscar Schachter, International Law in Theory and Practice, Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1991, aux pp. 112-113. 190 191 45 qu'ils n'acquièrent, dans les faits, de territoire 197 • Il serait donc faux de prétendre comme le font certains partisans de la légalité de l'intervention humanitaire, que la seule force interdite, en regard de la violation de l'intégrité territoriale d'un pays, serait celle qui viserait la prise de contrôle d'une partie du territoire d'un autre État. D'autre part, on peut croire également qu'une intervention humanitaire est dirigée contre l'indépendance politique d'un pays. Pour un, la pratique des États révèle que le renversement d'un gouvernement accompagne souvent l'intervention humanitaire. Ensuite, ce type d'intervention ne peut, par sa nature, qu'empiéter sur l'indépendance politique d'un État. Bien que son objectif n'est pas en soi, contrairement à l'intervention pro-démocratique, de remplacer par la force un gouvernement ou une autorité de facto, il reste qu'il vise à modifier, par des mesures coercitives 198, les politiques internes d'un État et de fait, tend à réduire son pouvoir politique sur un territoire ou sur une population donnée, même si ce n'est que pour un court laps de temps\99. Le raisonnement voulant qu'une intervention humanitaire serait compatible avec les buts des Nations Unies doit tout autant être réfuté. Bien que le respect effectif des droits de l'homme s'avère être un objectif significatif de l'ONU, il est pour le moins douteux qu'il permette ou justifie l'envoi de troupes militaires dans un autre pays. Les articles de la Charte qui traitent expressément des droits de l'homme sont davantage de nature déclaratoires ou programmatoires, en ce sens qu'ils engagent uniquement les États à « encourager », « développer» ou encore « favoriser» leur respect effectif. Pour un, l'article 1 (3) stipule que l'un des buts de l'organisation est de « [r]éaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l 'homme et des libertés fondamentales pour tous sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion ». Aucune autre précision n'est faite à cet égard. L'article 55 c), souvent réitéré par les adeptes d'un droit 197 Nicaragua, supra note 22, à la p. 146. Les actes reprochés aux États-Unis n'allaient pas jusqu'à l'acquisition de nouveaux territoires. Ils auraient bombardé des infrastructures portuaires et financé et entraîné les contras en vue de déstabiliser le régime sandiniste. 198 Selon plusieurs auteurs, l'indépendance politique d'un État est compromise lorsqu'un autre tente de le contraindre à poser certains gestes en employant des moyens coercitifs. Voir notamment Michael J. Levitin, « The Law of Force and the Force of Law: Grenada, Falklands Island and Humanitarian Intervention}) (1986) 27 Harvard International Law Journal (1986) 62l. 199 Corten et Klein, supra note 2, à la p. 164. 46 d'intervention humanitaire, prévoit quant à lui que le respect effectif des droits de l'homme doit être favorisé par les États membres afin de réaliser un autre des buts de l'ONU, soit de développer entre les nations des relations amicales et pacifiques. L'article suivant énonce qu'à ce titre, les États se doivent d'agir « tant conjointement que séparément, en coopération avec l'Organisation». Aucun de ces articles ne prévoit de mécanismes concrets par lesquels serait réalisé le respect des droits de l'homme20o . On est donc loin d'un droit ou d'une obligation pour les États de faire appliquer et respecter par la force armée ces droits de 1'homme à l'échelle internationale et encore moins, de manière unilatérale, c'est-à-dire en dehors du système de sécurité collective instauré par la Charte. Il faudrait par conséquent avoir l'esprit particulièrement tordu pour fonder la légalité de l'intervention humanitaire sur des termes aussi évasifs. Si les rédacteurs de la Charte avaient réellement voulu insérer la doctrine de l'intervention humanitaire, qui était déjà connue et étayée en 1945, ils l'auraient prévu expressément et n'auraient jamais utilisé un langage aussi nébuleux. De plus, comme l'affirmait Michael Akehurst, accepter l'argument voulant qu'une intervention armée soit conforme à la Charte si elle rejoint un des buts de l'ONU aurait de fâcheuses et d'inacceptables conséquences. Selon un tel raisonnement, un État aurait carte blanche d'employer la force contre un peuple qui ferait preuve d'un manque de coopération sur des problématiques sociales, culturelles ou économiques2ol . Il lui serait tout aussi loisible de recourir à la guerre afin de punir un autre État qui n'aurait pas favorisé « le relèvement des niveaux de vie, le plein emploi et des conditions de progrès et de développement dans l'ordre économique et social »202. L'argument de la compatibilité de l'intervention humanitaire avec les buts et objectifs de l'ONU peut donc difficilement être soutenu en toute logique. Voir à ce sujet les avis de Sean D. Murphy et de Mary Ellen O'Connell. (Murphy, supra note 6, à la p. 70; Mary Ellen O'Connell, « Regulating the Use of Force in the 21st Century: The Continuing Importance ofState Autonomy », in Jonathan 1. Chamey, Donald K. Anton and Mary Ellen O'Connell, PoUties, Values and Functions: International Law in the 2Ist Century: essays in honor of Louis Henkin, The Hague, Martinus Nijhoff, 1997,443 à la p. 446. [O'ConneU]) 201 Michael Akehurst, « Humanitarian Intervention» in Bull, supra note 196 à la p. 105. 202 Charte de l'ONU, art. 55 a). 200 47 Surtout lorsque l'on sait que l'objectif du maintien de la paix et de la sécurité internationales est considéré comme le premier des buts de l'organisation20J • C'est du moins l'opinion exprimée par une partie de la doctrine. Dans un commentaire sur le premier paragraphe de l'article premier de la Charte, l'ancien juge Bedjaoui mentionne que le « but des buts apparaît bien comme étant la paix »204. Pour sa part, Tom Farer précise dans un article que toute analyse objective de la logique normative de la Charte ne peut résulter qu'à la conclusion que la promotion des droits de l'homme s'avère être une considération éloignée des Nations Unies par rapport au maintien de la paix et à la souveraineté nationale205 • Enfin, la CU aurait également admis cette prédominance en 1962 dans son avis consultatif relatif à Certaines dépenses des Nations Unies tout en ajoutant que la concrétisation des objectifs pacifiques et sécuritaires était un prérequis essentiel à la pleine réalisation des autres fins de l'ONU: « [i]l est naturel d'accorder le premier rang à la paix et à la sécurité internationales, car les autres buts ne peuvent être atteints que si cette condition fondamentale est acquise »206. Il est vrai cependant qu'aujourd'hui on peut remettre en question cette préséance de la paix sur les droits de l'homme considérant la pratique récente des États207 • Il semblerait que les deux buts ont atteint une certaine parité. Ceci étant, cette importance accrue de l'objectif du respect des droits de l'homme ne peut en aucun cas appuyer la thèse de la compatibilité de l'intervention humanitaire à la Charte. En effet, comment peut-on conclure à une telle conformité si la réalisation de l'un des buts de Cela ne faisait aucun doute au moment de la création de l'ONU. C'est ce qu'indique non seulement les travaux préparatoires, mais aussi son emplacement à l'article 1 de la Charte. Le maintien de la paix et de la sécurité internationales est le tout premier objectif exposé. (Charte de l'ONU, art. 1 (1» 204 Mohammed Bedjaoui, « Article 1 »dans Cot et Pellet, supra note 162, aux. pp. 24-25. 205 Il affirme: « Anyone who considers with sorne measure of objectivity the Charter's normative logic, its allocation of coercive jurisdiction, its omissions, as weil as the preferences manifested by most participants in the drafting process and their immediately subsequent behavior, cannot help concluding that the promotion of human rights ranked far below the protection of national sovereignty and the maintenance of peace as organizational goals ». (Tom Farer, « An Inquiry into the Legitimacy of Humanitarian Intervention» dans Lori Fisler Darnrosch and David J. Scheffer, dir., Law and Force in the New International Order, Boulder, Westview, 1991 185, à la p. 190.) 206 Avis sur certaines dépenses des Nations Unies, Avis consultatif, [1962] C.U. rec. 151, à la p. 168. 207 Voir notamment la Déclaration finale de la Conférence mondiale de Vienne sur les droits de l'homme tenue en juillet 1993 adoptée par consensus par les 171 États qui y ont participé. Son quatrième paragraphe stipule que: « [l]a promotion et la protection de tous les droits de l'homme et de toutes les libertés fondamentales doivent être considérées comme un objectif prioritaire de l'Organisation des Nations Unies conformément à ses buts et principes, eu égard en particulier à l'objectif de coopération internationale» [Nous soulignons]. (Déclaration et programme d'Action de Vienne, Doc. Off. AGNU, 1993, Doc. NU AlCONF.157/23, para. 4. [Conférence mondiale]) 203 48 l'ONU a pour effet de nier un autre tout aussi primordial? N'y aurait-t-il pas de toute manière violation à la Charte? C'est bien là où réside l'incohérence et la faiblesse de l'argumentation des pro-interventionnistes. Car, comme l'affirme pertinemment les auteurs Olivier Corten et Pierre Klein, « il y a donc tout lieu de penser que, pour respecter l'article 2 § 4, un recours à la force doit respecter tous les buts des Nations Unies »208, y compris bien entendu l'objectif de paix qui est au coeur du système onusien. Les auteurs favorables à un droit d'intervention humanitaire ont toutefois tenté de contourner cette prétention par un autre argument. À leur avis209, l'intervention humanitaire n'irait pas à l'encontre de la paix et de la sécurité internationales, puisque les violations massives des droits de l'homme ou du droit humanitaire mèneraient, la plupart du temps, à une menace ou à une rupture de la paix internationale. Autrement dit, le respect des droits de l'homme serait une précondition essentielle à la paix universelle. Une telle affirmation est partiellement véridique. Il est indéniable qu'il peut y avoir des liens corrélatifs importants, bien que non nécessairement obligatoires, entre la dégradation des droits de l'homme dans un pays et l'insécurité régionale ou internationale. La fuite précipitée des communautés kurdes et chiites d'Irak au printemps 1991 suivant la répression de Saddam Hussein en est un exemple21O • De plus, les institutions onusiennes que sont l'Assemblée générale2ll et le Conseil de sécurité2l2 ont déjà reconnu cette filiation. Corten et Klein, supra note 2, à la p. 166. Michael Reisman et Myres S. McDougal, « Rhodesia and the United Nations: The Lawfulness of International Concern », (1968) 62 American Journal of International Law 1, à la p. 15; Téson, supra note 17, aux pp. 152-53. 210 Pour plus de détails voir ci-dessous les pp. 106 et ss. 211 La résolution 721 de l'Assemblée générale a reconnu cette corrélation dans son paragraphe premier. Il y est écrit que:« [ ... ] le maintien d'une paix réelle et durable dépend aussi de l'observation de tous les buts et principes énoncés dans la Charte des Nations Unies [ ... ] et qu'il dépend, en particulier, du respect effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous [...]». (Question du conflit racial en Afrique du Sud provoqué par la politique d'apartheid du Gouvernement de l'Union Sud-Africaine, Rés. AG 721 (VIII), (1953». La même instance a cependant reconnu l'inverse, à savoir que le maintien de la paix constitue la meilleure garantie de l'effectivité des droits de l'homme. Dans la résolution 2852, l'Assemblée mentionne que« [ ... ] pour garantir effectivement le respect des droits de l'homme, il faudrait que tous les Etats s'efforcent de prévenir le déclenchement de guerres d'agression et de conflits qui violent la Charte des Nations Unies. C'est le maintien de la sécurité internationale qui constitue la meilleure garantie des droits de l'homme ». (Respect des droits de l'homme en période de conflits armés, Rés. AG 2852 (XXVI), (1971». 212 Le Conseil de sécurité a, à quelques reprises, exprimé que la dégradation des droits de l'homme dans un pays pouvait constituer une menace ou une rupture de la paix. La première fois fut en regard de la politique d'Apartheid de l'Afrique du sud en 1977. (L'Afrique du sud, Rés. CS 418, (1977». Plus récemment, il a établi cette filiation directe en regard de la situation particulière du Timor oriental (Rés. 208 209 49 Mais ce courant doctrinaire fait abstraction d'un autre principe directeur du droit international, celui du règlement pacifique des différends internationaux. Le troisième paragraphe de l'article 2 de la Charte postule que les membres de l'ONU se doivent de résoudre leurs contentieux par des moyens pacifiques afin que la paix et la sécurité internationales de même que la justice ne soient pas compromises. Certains de ces moyens sont énumérés explicitement à l'article 33 de la Charte. La négociation, la médiation, la conciliation, l'arbitrage, le règlement judiciaire sont quelques-unes des options à envisager par les États lorsqu'ils sont en conflit avec un autre membre. La force armée n'est donc pas une alternative envisageable. À la lumière des autres dispositions de la Charte et notamment de son corollaire logique, l'interdiction de l'usage de la force 213 , l'article 2 (3) viserait donc à forcer un État à gérer toute mésentente interétatique par les mécanismes prévus à l'article 33 au lieu de recourir à la force. En fait, il ressort du système international élaboré en 1945 que le monopole de la violence est, à l'exception des cas de légitime défense, retiré aux États souverains et placé entre les mains de l'institution multilatérale qu'est le Conseil de sécurité de l'ONU214 • Les États seraient donc non admis à utiliser la force, d'une manière unilatérale, contre un autre pays. Bref, c'est uniquement par les mécanismes des chapitres VII et VIII de la Charte, soit en obtenant l'autorisation du Conseil de sécurité, qu'un État ou une organisation régionale pourra finalement intervenir par la CS 1264, Doc. Off. CS NU, Doc NU AlRES/1264 (1999)) et lorsqu'est venu le temps de créer les tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l'Ex-Yougoslavie. (Rés. CS 808, Doc. Off. CS NU, Doc NU NRES/808 (1993); Rés. CS 827, Doc. Off. CS NU, Doc NU AlRES/827 (1993); Rés. CS 955, Doc. Off. CS NU, Doc NU AlRES/955 (1994)). 213 Jean Charpentier, « Article 2, paragraphe 3 » dans Cot et PeUet, supra note 162, à la p. 104. 214 En plus de son article 2 (4) et des dispositions du Chapitre VII, la Charte de l'ONU contient d'autres indices démontrant un parti pris pour ce multilatéralisme. Tout d'abord, son préambule mentionne que les peuples des Nations Unies sont résolus, aux fins de l'organisation, à unir leurs « forces pour maintenir la paix et la sécurité internationales» et à « instituer des méthodes garantissant qu'il ne sera pas fait usage de la force des armes, sauf dans l'intérêt commun ». Ensuite, l'article 1 (1), énumérant le but premier de l'ONU, prévoit qu'aux [ms de maintenir la paix et la sécurité internationales, les Nations Vnies se doivent de « prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces à la paix ». Enfin, l'article 24 (1) attribue au Conseil de sécurité la responsabilité principale en matière de paix et de sécurité. Voir également l'article 8 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, 9 décembre 1948,78 R.T.N.V. 271. [Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide] 50 force à des fins humanitaires. Mais comme il a été précisé plus ci-haut, ce type d'action n'entre pas dans la définition usuelle de l'intervention humanitaire215 • L'examen des divers arguments présentés par les tenants de l'intervention humanitaire révèle que toute tentative d'en établir la légalité par les dispositions de la Charte de l'ONU demeure futile. Il est généralement établi que les seules exceptions à l'article 2 (4) contenues dans la Charte sont celles qui y sont explicitement prévues, soit la légitime défense individuelle ou collective conformément à son article 51 et l'emploi de la force dûment autorisé par le Conseil de sécurité tel que prescrit par ses chapitres VII et vm216 • Cela étant dit, on peut se poser la question si la pratique des États suivant l'adoption de la Charte apporte un éclairage nouveau au débat. Voir ci-dessus à la p. 9. Une majorité des auteurs sont de cet avis. Voir à ce sujet Albrecht Randelzhofer, « Article 2 (4)) in Simma, supra note 162, à la p. 123. 215 216 51 ll. Les arguments fondés sur la pratique générale des États de 1945 à 2005 Comme on le sait tous, le droit international n'est pas statique. Hautement dépendant de la politique internationale, il est en constante évolution. En principe, rien n'exclut que la pratique ultérieure des États rende inapplicable le contenu juridique d'un écrit aussi solennel que la Charte. Les membres de l'ONU peuvent toujours décider de réviser leur position. Il y a généralement deux moyens d'y parvenir. Une première option est d'amender la Charte ou de conclure un nouveau traité multilatéral. C'est la voie conventionnelle. L'autre alternative est qu'une coutume internationale naisse d'actes répétés par les États et vienne primer sur les dispositions de la Charte. Pour ce faire, il est requis que ces gestes soient répandus et que les États expriment ce qui est convenu d'appeler de l'opiniojuris, c'est-à-dire la conviction qu'ils deviennent obligatoires sur un plan juridique. Il est reconnu par contre que cette conviction doit être généralisée. Seule l'apparition d'une norme coutumière acceptée par l'ensemble de la communauté internationale serait assez forte pour venir annuler l'application d'une disposition d'un traité multilatéral comme l'article 2 (4) de la Charte217 • Gardant en mémoire ces principes, on peut se demander maintenant qu'elle a été la teneur des agissements des États envers la doctrine de l'intervention humanitaire. Autrement dit, la pratique des États suivant 1945, qu'elle soit conventionnelle, coutumière ou résolutoire, s'est-elle démarquée du contenu normatif de la Charte de l'ONU? Les États auraient-ils, par des faits et gestes, indiqué leur intention d'assouplir ou de rendre caduque la prohibition du recours à la force à l'article 2 (4), afin de permettre à des États d'intervenir unilatéralement contre des régimes politiques exécrables au niveau des droits de l'homme? Certains auteurs sont de cet avis. Ils affirment que le climat international a évolué et que certains faits politiques inexistants en 1945 sont venus changer le contexte légal relatif aux interventions humanitaires. Leurs principaux arguments sont au nombre de trois et réfèrent tous à des circonstances politiques particulières survenues entre 1945 et 2005. La première de ces circonstances est l'inhabileté du Conseil de sécurité de l'ONU à remplir son mandat durant la Guerre froide compte 217 Convention de Vienne, supra note 186 , art. 53. 52 tenu de la confrontation idéologique entre les États-Unis d'Amérique et l'URSS. La deuxième est la « révolution des droits de l'homme» apparue dans les années qui ont suivi l'adoption de la Charte. Finalement, le dernier élément des États auquel ont recours les adeptes d'un droit d'intervention humanitaire réfère aux diverses interventions armées qui se sont produites dans les années 70 et 90. Chacun de ces arguments sera examiné à tour de rôle. A) Les arguments fondés sur l'inefficacité du Conseil de sécurité de l'ONU Peu de temps après la naissance de l'ONU, les tensions internationales rendirent illusoire le système de sécurité collective hérité de la Charte. Les divisions idéologiques et les rivalités géopolitiques entre les États-Unis et l'URSS étaient devenues trop grandes. La confrontation est-ouest se répercuta au Conseil de sécurité où les deux superpuissances apposèrent régulièrement leur droit de véto. Constamment entravé par les impératifs stratégiques de la Guerre froide, le Conseil fut incapable d'agir et de remplir convenablement son rôle qui est le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Au total, il n'aura autorisé que deux interventions armées coercitives durant toute cette période218 • Cette inhabileté qui frappait le Conseil fut rapidement constatée par les membres de l'ONU. Dans le but de sauvegarder le dispositif multilatéral de sécurité, ils adoptèrent en 1950, la résolution « Union pour le maintien de la paix ». Celle-ci octroyait à l'Assemblée générale, en cas de paralysie du Conseil, le pouvoir de recommander aux membres certaines mesures collectives, y compris le recours à la force armée lorsqu'il y avait rupture de la paix ou acte d'agression219 • Cette initiative fut cependant peu fructueuse. Elle fut reléguée aux oubliettes22o • 218 Soit en Corée en 1950 et en Rhodésie du Sud dans les années 60. (Murphy, supra note 6, aux pp. 116 et ss.) L'union pour le maintien de la paix, Rés. 377 (V), Doc. AG NU (1950), para. l. [Union pour le maintien de la paix] 220 Murphy, supra note 6, à la p. 120. 219 53 Devant cette double incapacité de l'ONU, quelques auteurs221 mirent en doute la nature impérative de la prohibition générale de l'emploi de la force se basant sur une théorie connue en droit international classique, le « self-help »222. Grosso modo, ils arguaient que l'article 2 (4) de la Charte devait être réinterprété dans son contexte, de telle manière que son application serait intimement liée à la capacité d'action du Conseil de sécurité. Ainsi lorsque ce dernier serait dans l'impossibilité d'agir, le droit coutumier renaîtrait et permettrait à un État de faire fi de l'article 2 (4) et d'invoquer la doctrine de l'intervention humanitaire qui préexistait la Charte. Pour l'un des représentants de ce courant doctrinaire, Richard Lillich, il semble logique d'user du droit coutumier lorsque le système onusien est incapable de remplir ses responsabilités : « When it is clear that the international authorities cannot or will not discharge their responsabilities, it would seem logical to resort again to customary international law, to accept its mIes and the validity of the doctrine of humanitarian intervention»223. Un tel argument n'est cependant guère convaincant d'un point de vue strictement juridique. Premièrement, il est incertain qu'un tel droit coutumier d'intervention ait existé avant 1945 comme il en a été question plus haur24 • Ensuite, même si on en vient à reconnaître son existence, il est encore plus douteux qu'un tel droit ait survécu à l'avènement de la Charte de l'ONU. Il est difficile de concevoir qu'en 1945, existait parallèlement au nouvel article 2 (4), un droit coutumier permettant à des États de recourir unilatéralement à la force armée. Comme le mentionne Yoram Dinstein, il est à peu près certain que le jus ad bellum antérieur à la Charte a été absorbé par celle-ci au moment de sa mise en vigueur225 • A-t-on d'ailleurs besoin de rappeler le caractère fondamental de ce texte juridique, considéré par les 221 Fonteyne, supra note 48, à la p. 257; Michael W. Reisman and Myres S McDougal dans LUlich, supra note 179, à la p. 177; LiUich « selp-help », supra note 179; et Richard A. Falk, « The BeirutRaid and the International Law of Retaliation » (1969) 63 American Journal of International Law 415 à la p. 430. Ces auteurs se fondent sur les théories développées après la deuxième Guerre mondiale par certains de leurs prédécesseurs. (Stone, supra note 179, à la p. 99; Philip A. Jessup, A Modern Law of Nations, New York, Macmillan, 1948, aux pp 170-171; Thomas & Thomas, supra note 124, à la p. 209.) 222 Pour un exposé de cette théorie qui a une longue histoire en droit international voir Brownlie, supra note 58, aux pp. 281 et ss. 223 Citation reproduite dans Verwey, supra note 13, à la p. 394. 224 Voir la partie précédente ci-dessus aux pp. 32 à 34. 225 Il affirme dans son ouvrage : « It can be taken for granted that pre-Charter customary international law was swayed by the Charter and that, in large measure, customary and Charter jus ad bel/um have converged ». (Dinstein, supra note 100, à la p. 91.) 54 membres de l'ONU comme « le pacte de paix le plus solennel qui ait jamais été conclu »226? Troisièmement, l'attitude des États suivant la deuxième Guerre mondiale ne dénote nullement un comportement manifestant l'acceptation de la théorie du « selfhelp ». Le droit résolutoire a, en effet, laissé peu de place au déterminisme et à l'unilatéralisme étatiques, malgré la faillite du système de sécurité collective. Tout d'abord, le préambule de la résolution intitulée «Union pour le maintien de la paix» atteste clairement du rejet de tout argument fondé sur la déficience de l'ONU. Il est écrit que l'Assemblée générale est: [plersuadée que, si le Conseil de sécurité manque à s'acquitter des fonctions qui lui incombent au nom de tous les États membres, [ ... l, il n'en résulte pas gue les États membres soient relevés de leurs obligations ni l'Organisation de sa responsabilité aux termes de la Charte en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales. 227 [Nous soulignons1 Par ailleurs, la communauté internationale a toujours privilégié non seulement les moyens pacifiques mais également la voie du multilatéralisme228 lorsqu'il est temps de résoudre les différends internationaux, même s'ils ne finissent plus de perdurer. La Déclaration de Manille sur le règlement pacifique des différends internationaux a précisé quelle devait être la conduite des États lors de telles circonstances. Lorsqu'un conflit persiste, les États impliqués doivent continuer à chercher une solution pacifique et, en cas d'échec, saisir le Conseil de sécurité de la question. Le recours à la force n'est, en aucun cas, une alternative envisageable229 • Enfin, est-il nécessaire de souligner que les États ont, à plusieurs occasions, réaffirmé la nature péremptoire du principe de la non-utilisation de la force dans diverses résolutions de l'ONU23o • Éléments essentiels de lapaix, Rés. 290 (IV), Doc. AG NU (1949), para. 1. Union pour le maintien de la paix, supra note 219, préambule. 228 Pour l'attachement au multilatéralisme des États voir plus particulièrement la résolution suivante: Réaffirmer le rôle central de l'Organisation des Nations Unies dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales et la promotion de la coopération internationale, Rés. AG 58/317, Doc. Off. AG NU, Doc. NU A/58/317 (2004), para 3. (93 votes en faveur, 2 contre, 47 abstentions). [Résolution 58/317] 229 Déclaration de Manille sur le règlement pacifique des différends internationaux, Rés. AG 37/lO, Doc. Off. AG NU, Doc. NU A/37/l0 (1982), aux paras 7 et l3. 230 Voir ci-dessous les pp. 63 à 65. 226 227 55 Tout comme les États, la CU a remis en cause la pertinence d'une argumentation basée sur l'inefficacité du système onusien dans son Avis sur le Détroit de Corfou. Les faits de cette affaire sont les suivants. Suite aux dommages causés par l'explosion de mines marines sur deux de leurs navires de guerre, la Grande-Bretagne décida, sans le consentement préalable de l'Albanie, de mener une opération de dragage de mines dans ses eaux territoriales. Objectant qu'il y avait eu atteinte à sa souveraineté, l'Albanie réclama réparation. Le litige fut finalement entendu par la Cour. À cette occasion, la Grande-Bretagne invoqua, au soutien de ses arguments, une nouvelle application de la théorie de l'intervention selon laquelle un pays serait en droit de récupérer des éléments de preuve en territoire étranger devant ultimement servir à démontrer, lors d'une audience, la responsabilité internationale d'un État. La Cour rejeta cet argument. Elle affirma que ce nouveau droit invoqué par la GrandeBretagne: « [ ... ] ne peut être envisagé [ ... ] que comme la manifestation d'une politique de force, politique qui, dans le passé, a donné lieu aux abus les plus graves et qui ne saurait, quelles que soient les déficiences présentes de l'organisation internationale, trouver aucune place dans le droit international» [Nous soulignons]231. Il appert donc que la Cour a été peu encline, malgré l'incapacité de l'ONU de remplir ses fonctions, à permettre à un État d'enfreindre la souveraineté d'un autre dans le seul but de recueillir des preuves matérielles servant à établir sa culpabilité. Nous pouvons croire, à plus forte raison, qu'il en serait de même pour une opération militaire plus musclée comme l'intervention humanitaire. Fernando Téson présente, pour sa part, un autre argument en faveur de la légalité de l'intervention humanitaire qui découle de l'inefficacité de l'ONU232 . Il prétend que celle-ci constituait un changement imprévisible et fondamental de circonstances par rapport à celles qui prévalaient à l'occasion de la conclusion de la Charte. Ce qui selon l'article 62 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, permettrait à l'une de ses parties de suspendre, de mettre fin ou de se retirer de l'application de l'article 2 (4). L'impossibilité pour l'ONU au temps de la Guerre froide d'enrayer les violations sérieuses aux droits de l'homme remplit, à son avis, les deux conditions pour que l'on soit en présence d'un « changement fondamental de circonstances ». D'une part, il est d'opinion que ces nouvelles circonstances, si elles 231 2J2 Affaire du Détroit de Coifou (Royaume-Uni / Albanie), [1949] C.U. Tee. 4 à la p. 35. Téson, supra note 17, aux pp. 157-162. 56 avaient été connues à l'époque, auraient été une base essentielle du consentement des parties. D'autre part, il croit que ces mêmes circonstances ont radicalement transformé la portée des autres obligations contenues dans la Charte. Il mentionne à cet effet que lorsque les États ont renoncé à l'emploi de la force en 1945, ils croyaient que l'ONU serait efficace. Par conséquent, il est raisonnable de penser que le contenu de l'article 2 (4) aurait été différent si les États avaient pu prévoir toutes les ramifications qu'impliquerait la Guerre froide. Si d'un premier coup d'œil un tel plaidoyer peut plaire, il n'en demeure pas moins qu'il possède plusieurs lacunes. En premier lieu, le climat géopolitique actuel ne se prête plus à ce type de raisonnement. En effet, depuis la fin de la Guerre froide, le Conseil de sécurité, malgré quelques ratés, a été plus actif sur la scène internationale en matière de droits de l'homme. Il a remplit à quelques reprises la mission qu'on lui avait assignée. Nouveau contexte politique nullement ignoré par Téson, qui admet que son argumentation est devenue « contestable» en raison de cette évolution233 • Sur le plan juridique ensuite, il semble que des bouleversements politiques profonds ne puissent constituer « un changement fondamental de circonstances» au sens de l'article 62 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. La CU a écarté un tel argument préconisé par la Hongrie dans son Avis Gabcikovo-Nagymoros rendu en 199i34 • Il est ainsi douteux que le déclenchement de la Guerre froide ait pu légalement justifier l'inapplication de l'article 2 (4) de la Charte. Finalement, Téson omet une réalité indéniable du droit international, c'est-àdire que le droit coutumier possède sa propre existence et identité, qui évoluent simultanément avec le droit conventionnet235 • Or, nous savons que la prohibition générale de recourir à la force fait également partie du droit coutumier dans une forme quasi-similaire à l'article 2 (4i 36 • Elle constituerait même une règle de jus cogenJ37 qui, par conséquent, ne pourrait être altérée que par une règle de même nature238 • 233 Ibid., à la p. 158 (note 81). 234 Affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros (Slovaquie c. Hongrie), arrêt, [1997] C.I.J. rcc. 7 aux pp. 61-62. 235 L'affaire sur les activités militaires et paramilitaires au Nicaragua mentionne à cet effet à son paragraphe 179 qu'il est « clair que les règles du droit international coutumier conservent une existence et une applicabilité autonomes par rapport à celles du droit international conventionnel lors même que les deux catégories de droit ont un contenu identique». (Nicaragua, supra note 22, à la p. 96.) Voir également à ce sujet Dinstein, supra note 100, à la p. 91. 236 Toutefois, elles ne seraient pas identiques en tout point. Voir Nicaragua, Ibid., aux pp. 93-97. 237 Voir ci-dessus la note 168 et le texte correspondant. 238 Convention de Vienne, supra note 186, art. 53. 57 Ainsi même si on acceptait la thèse de Téson, à savoir que l'article 2 (4) serait devenu caduque en raison de l'inhabileté de l'ONU, la norme coutumière en ce qui concerne l'utilisation de la force interdirait un État ou un groupe d'États de procéder à une intervention humanitaire. Rappelons que la Convention de Vienne sur le droit des traités tel que précitée ne sert à interpréter que les dispositions des traités internationaux. Elle n'a aucun effet sur le droit coutumier qui a un fonctionnement distinct. B) Les arguments fondés sur la « révolution des droits de l'homme» Un deuxième argument quelquefois évoqué par les partisans de l'intervention humanitaire est le développement spectaculaire des droits de l'homme et du droit international humanitaire qui a suivi l'avènement de la Charte de l'ONU. Cette révolution aurait, affirment-ils, transformé le droit international de telle sorte que l'intervention internationales humanitaire 239 • serait maintenant tolérée dans les relations Afin d'étoffer leur raisonnement, ils énumèrent habituellement une pléiade d'instruments internationaux et de conventions relatives aux droits de l'homme, à commencer par la Déclaration universelle des droits de l'homme et les deux pactes internationaux24o • Soulignant le caractère universel des normes et des valeurs qui y sont inscrites, ils insistent sur le fait que les États y ont adhéré en grand nombre241 et qu'en conséquence plusieurs de ces règles feraient maintenant partie du droit coutumier. Ils précisent également que certains droits fondamentaux de l'homme Voir en outre les auteurs suivants: Abiew, supra note 76, aux pp. 131-132; Mertus, supra note 179, à la p. 1773; Sur, supra note 9, aux pp. 25-27. 240 Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966, 999 R.T.N.U. 171 et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels,16 décembre 1966, 993 R.T.N.U. 3. Parmi les autres conventions significatives, citons la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, Doc. Off. NU, A/39/51, (1984), p. 197; la Convention relative aux droits des erifants, 20 novembre 1989, Rés. AG 44/25, (1989), Annexe; la Convention sur l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes, 18 décembre 1979, 1249 R.T.N.U. 13, la Convention sur l'élimination de toutes formes de 239 discrimination raciale, 21 décembre 1965,660 R.T.N.V. 195 et la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, supra note 214. À titre d'exemple, 192 pays ont ratifié, en date du 9 juin 2004, la Convention relative aux droits des enfants et 177, 169 et 152 l'ont fait respectivement en ce qui concerne la Convention sur l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes, la Convention sur l'élimination de toutes formes de discrimination raciale et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Voir à ce sujet le rapport élaboré par le Haut-Commissariat pour les droits de l'homme des Nations Unies. (<< Status of Ratifications of the Principal International Human Rights Treaties» en ligne: le HautCommissariat pour les droits de l'homme des Nations Unies <www.unhchr.ch/pdf/report.pdf> (Date d'accès: 20 août 2005)). 24\ 58 sont devenus des normes de jus cogem conférant aux États des obligations erga omnes, les engageant envers l'ensemble de la communauté internationale. Dans d'autres cas, ils font mention de l'existence de divers mécanismes visant à assurer le respect effectif des droits de la personne et à réprimer les conduites jugées répréhensibles. Ils soulignent tout particulièrement la formidable avancée qu'a connu le droit pénal international au cours des dernières années. En particulier, ces auteurs font état de la création récente de la Cour pénale internationale et des tribunaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda ainsi que la perte d'immunité judiciaire dont pouvaient jouir auparavant certains dirigeants politiques ayant commis des crimes contre les droits de l'homme comme l'ex-dictateur chilien Pinochet. Ce nouvel ensemble législatif témoignerait, selon eux, d'un changement révolutionnaire d'attitude en regard du concept même de la souveraineté étatique. Selon une telle théorie, l'individu ne serait plus isolé et serait un sujet à part entière du droit international. Il serait possesseur de droits et l'État dont il est le ressortissant serait tenu, dans la mesure qu'il est partie à ces grandes conventions du droit international, de les respecter. Il ne pourrait plus se cacher derrière sa souveraineté ou encore le principe de non-intervention dans les affaires intérieures lorsqu'il est coupable de violations aux droits de l'homme. Sa responsabilité internationale serait alors directement impliquée. En résumé, plusieurs juristes sont d'avis que la question des droits de l'homme s'est internationalisée lors de la deuxième moitié du 20 ième siècle et ne serait plus l'apanage exclusif des États242 • Il Y a un fond de vérité à ce type d'argumentation. Il n'est plus controversé aujourd'hui d'affirmer que les droits de l'homme relèvent du domaine internationaf43 et que chaque État a individuellement l'intérêt juridique, voire l'obligation244, de les protége~45. En conséquence, chaque gouvernement aurait donc un droit de regard246 et 242 Pour un excellent résumé des opinions doctrinales sur cet aspect voir Abiew, supra note 76, aux pp. 82-83. 243 Ce fait a été notamment reconnu en 1993 par les États participants à la Conférence internationale de Vienne sur les droits de l'homme. Il est stipulé au quatrième paragraphe de la Déclaration finale de cette conférence qu'en regard des buts et principes de l'ONU, « la promotion et la protection de tous les droits de l'homme est une préoccupation légitime de la communauté internationale. » (Conférence mondiale, supra note 207, au para. 4). 244 Stephen J. Toope, « Does International Law Impose a Duty upon the United Nations to Prevent Genocide? », (2000) 46 McGiII Law Journal, 187. 245 8arcelona Traction, supra note 41, à la p. 32. 59 même un droit de réagi~47 relativement aux violations des droits de l'homme qui surviennent à l'étranger. Cela n'est plus contesté. Mais ce qu'il l'est davantage est la question de savoir si ce droit de réaction comprend le moyen ultime qu'est le recours à la force armée. Le droit international est clair à ce sujet. Malgré le développement spectaculaire des droits de l 'homme, la répression armée ne constitue pas une sanction appropriée contre les États fautifs en matière des droits de l'homme. Premièrement, aucun instrument du droit international ne contient une règle permettant, directement ou indirectement, le recours unilatéral de la force armée dans le but de mettre en œuvre les droits de l'homme lorsqu'un État faillit à ses obligations internationales248 . Au mieux, le système conventionnel de protection des droits de l'homme n'autorise les autres États qu'à se plaindre via des mécanismes non contentieux de règlemenr49 • Yves Sandoz, « Droit ou devoir d'ingérence, droit à l'assistance: de quoi parle-t-on? » (1992) 74 Revue Internationale de la Croix-Rouge 225. 247 Il en est abondamment question dans l'ouvrage d'Olivier Corten et de Pierre Klein. (Corten et Klein, supra note 2.) 248 Murphy, supra note 6, à la p. 122. Certains prétendent néanmoins que l'article premier de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide pourrait reconnaître le droit de recourir à la force afin de mettre fin à une situation génocidaire. (Mertus, supra note 179, à la p. 1776; Scheffer, supra note 17, à la p. 289. Pour un point de vue plus nuancé voir William A. Schabas, Genocide in International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, à la p. 500). Cette disposition stipule, en somme, que les parties contractantes « s'engagent à prévenir» et à punir le crime du droit des gens qu'est le génocide. Aucune précision n'est apportée par la suite sur les actes qu'impliquerait cette prévention. L'on peut croire cependant que cela ne va pas jusqu'à l'intervention armée externe. Tout d'abord, tout indique que seul le Conseil de sécurité pourrait en venir à une telle mesure de coercition. En effet, l'article 8 de la même convention stipule que« toute partie contractante peut saisir les organes compétents des Nations Unies afin que ceux-ci prennent, conformément à la Charte des Nations Unies, les mesures qu'ils jugent appropriées pour la prévention et la répression des actes de génocides [ ... ]». Ensuite, la pratique des États va à l'encontre d'une telle interprétation. Depuis 1951, date d'entrée en vigueur de la convention, il n'y a eu aucune intervention de ce type. Enfin, la prohibition générale de l'emploi de la force dans les relations internationales fait aussi partie du droit coutumier. Elle constituerait même une norme de jus cogens à laquelle aucune dérogation n'est envisageable. (Voir Yoram Dinstein, « The Collective Human Rights of Religious Groups: Genocide and Humanitarian Intervention» (2000) 30 Israel Yearbook on Human Rights 235.) D'autres ont soutenu que les quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 «(1950) 75 R.T.N.U. 287.) permettraient l'intervention humanitaire. Le juriste français Serge Sur a avancé l'argument que l'article premier qui est commun à chacune de ces conventions pourrait fonder positivement un droit d'intervention humanitaire. (Sur, supra note 9, à la p. 26). Cet article premier stipule que: « Les Hautes Parties contractantes s'engagent à respecter et à faire respecter la présente Convention en toutes circonstances ». Mais une telle conclusion va au-delà du sens que les États parties ont voulu donner à cette disposition en 1949. (Voir les commentaires sur l'article premier dans Jean Pictet, dir., Les conventions de Genève du 12 août 1949: commentaire, Genève, CICR, 1952-1959.). Les États ont d'ailleurs pris grand soin de préciser, dans le préambule du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif aux victimes des conflits internationaux «1979) 1125 R.T.N.U. 3), leur conviction qu'aucune des dispositions des conventions de 1949 «ne peut être interprétée comme légitimant ou autorisant tout acte d'agression ou tout autre emploi de la force incompatible avec la Charte des Nations Unies ». 249 Corten et Klein, supra note 2, à la p. 176. 246 60 Ils peuvent envoyer une communication aux divers comités créés à cette fin, saisir, le cas échéant, la CIJ ou, dans un contexte régional, la Cour européenne des droits de l'homme, la Cour interaméricaine des droits de l'homme ou la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples 250 • Deuxièmement, le droit international rejette de manière générale toute mesure impliquant l'usage de la force armée à l'encontre d'un État qui a violé ses engagements internationaux. Le projet d'articles de la Commission du droit international concernant la responsabilité internationale des États, qui a codifié le droit coutumier en la matière, interdit spécifiquement à son article 50 de telles représailles: Un État lésé ne doit pas recourir, à titre de contre-mesure: a) à la menace ou à l'emploi de la force, interdits par la Charte des Nations Unies [... ] )}25I. Il ne faut pas croire qu'un État violant impunément les droits de l'homme en est quitte pour autant. Le même projet d'articles autorise sous certaines conditions les ripostes non-violentes 252 • Ainsi, les États conservent en raison de leur souveraineté inhérente, une liberté d'action. Ils peuvent toujours adopter divers actes unilatéraux de rétorsion afin de forcer une État paria à modifier sa conduite jugée répréhensible. À titre d'exemple, ils pourront lui suspendre son aide au développement, lui imposer certaines sanctions économiques bénignes, faire pression sur lui au sein d'une institution multilatérale ou le condamner publiquement. Mais ils n'ont en aucun temps le loisir d'agir en gendarme et de faire leur propre justice par la voie de la force armée253 • Pour plus de détails sur le processus de ces plaintes interétatiques voir notamment Schabas, supra note 88, aux pp. 184-197. 251 Le projet de la Commission du droit international de l'ONU a d'ailleurs été adopté par l'Assemblée générale de l'ONU sans qu'un vote ne soit tenu dans une résolution en 2002. (Voir Responsabilité de l'État pour fait internationalement illicite, Rés. AG 56/83, Doc. Off. AG NU, AlRES/56/83 (2002), annexe.) Cette restriction quant aux contre-mesures armées rejoint d'ailleurs celle des représailles armées en droit international reconnues depuis longtemps par la doctrine. (Voir notamment Dinh, Daillier et Pellet, supra note 22, à la p. 908.) 252 Responsabilité de l'État pour fait internationalement illicite, Ibid., art. 49 à 54. 253 C'est aussi à cette conclusion qu'en est venu l'Institut de droit international lors de sa conférence annuelle tenue à Saint-Jacques-de-Compostelle au mois de septembre 1989. Lors d'une séance plénière, une commission composée de juristes de renom tels Schachter, Ago, Verhoeven, De Visscher, De Aréchaga a adopté à l'unanimité la résolution suivante: « Sans préjudice des fonctions et pouvoirs que la Charte attribue aux organes des Nations Unies en cas de violation des obligations assumées par les membres de l'Organisation, les Etats, agissant individuellement ou collectivement, sont en droit d'adopter, à l'égard de tout autre Etat ayant enfreint l'obligation énoncée à l'article premier, [c'est-à250 61 La CIJ a d'ailleurs confirmé dans l'Affaire sur les activités militaires el paramilitaires du Nicaragua rendu en 1986 qu'un État ayant un contentieux avec un autre au sujet du traitement qu'il réserve à ses citoyens ne peut employer la force afin de le dissuader de sa conduite irrespectueuse en matière des droits de l 'homme. La Cour avait à déterminer dans cette affaire si l'implication active des États-Unis dans le conflit interne entre les contras et le gouvernement sandiniste violait la prohibition du recours à la force que l'on retrouve en droit coutumier. Les actes qui étaient reprochés aux États-Unis était le minage et le bombardement de ports, la destruction d'installations pétrolières, l'attaque d'une base navale et enfin, le recrutement, l'entraînement, le financement et l'approvisionnement en armes des contras. Bien que les États-Unis n'aient pas plaidé devant la Cour un droit d'intervention humanitaire (ils ont plutôt motivé leur action par la légitime défense collective), celle-ci a jugé bon, à titre surabondant, d'examiner certaines considérations politiques avancées par les États-Unis au soutien de leur ingérence, dont celle du Congrès américain relative aux prétendues violations des droits de l'homme du régime sandiniste. Elle affirma, tout d'abord, que lorsque les droits de l'homme sont insérés dans des conventions internationales, leur protection doit prendre la forme prévue dans ces traités254 • Ensuite, elle précisa que l'usage de la force n'est pas un moyen approprié pour assurer le respect effectif des droits de l'homme: [ ... ], si les Etats-Unis peuvent certes porter leur propre appréciation sur la situation des droits de l'homme au Nicaragua, l'emploi de la force ne saurait être la méthode appropriée pour vérifier et assurer le respect de ces droits. Quant aux mesures qui ont été prises en fait, la protection des droits de l'homme, vu son caractère strictement humanitaire, n'est en aucune façon compatible avec le minage de ports, la destruction d'installations pétrolières, ou encore l'entraînement, l'armement et l'équipement des contras. La Cour conclut que le motif tiré de la préservation des droits de l'homme au Nicaragua ne peut justifier juridiquement la conduite des Etats-Unis et ne s'harmonise pas, en tout état de cause, avec la stratégie judiciaire de l'Etat dire l'obligation de respecter les droits de l'homme] des mesures diplomatiques, économiques et autres, admises par le droit international et ne comportant pas l'emploi de la force armée en violation de la Charte des Nations Unies» [Nous soulignons]. (Annuaire de l'Institut de Droit international, Vol. 63, Tome II, 1990, à la p. 342.) 254 La Cour mentionne au paragraphe 267 que: « [ ... ] quand les droits de l'homme sont protégés par des conventions internationales, cette protection se traduit par des dispositions prévues dans le texte des conventions elles-mêmes et qui sont destinées à vérifier ou à assurer le respect de ces droits. ». Ce qui revient à dire que les États ont l'obligation de s'en tenir aux mécanismes et sanctions que l'on retrouve dans les conventions internationales lorsqu'un État transgresse les droits de l'homme qui y sont enchâssés. (Nicaragua, supra note 22, à la p. 134.) 62 défendeur fondée sur le droit de légitime défense collective.255 [Nous soulignons] Certains auteurs ont tenté de relativiser ce dernier passage en limitant son application aux seuls faits en présence. À leur avis, cet obiter dictum de la Cour n'abordait que la force spécifique employée par les États-Unis au Nicaragua qui était, en l'espèce, disproportionnée et n'avait rien d'humanitaire256 • Néanmoins, un regard plus attentif des mots soulignés ci-dessus démontre clairement que la Cour fait, en premier lieu, un énoncé général contre l'utilisation de la force avant de traiter, par la suite, des actes précis commis par le gouvernement américain. C'est aussi l'interprétation que semble retenir plusieurs juristes257 , pour qui cet extrait enlève toute validité à l'argument voulant qu'il existe un droit coutumier d'intervention humanitaire. L'argument fondé sur le développement spectaculaire des droits de l'homme doit également être rejeté en raison d'une autre particularité de la pratique des États suivant l'adoption de la Charte de l'ONU. Lors de cette période, les États ont, à maintes reprises, réaffirmé leur foi inébranlable en la prohibition de l'emploi de la force dans les relations internationales. Que ce soit en plein cœur de la Guerre froide ou plus récemment, les États ont, individuellement ou sous les auspices d'organisations multilatérales258, souscrit de nouveau à cette règle. Ils ont, de plus, confirmé son caractère absolu par le droit résolutoire, attestant une fois pour toute de l'invalidité de la thèse pronant une interprétation restrictive de l'article 2 (4). En plus de reconnaître qu'une simple transgression des frontières nationales par un contingent armé constituait une dérogation à cette disposition, quelques résolutions de l'Assemblée générale ont confirmé qu'aucune exception à la règle contenue à l'article 2 (4) ne pouvait être tolérée, ce qui inclut bien entendu l'intervention humanitaire. Ibid., aux pp. 134-35. Dino Kristisiotis «Reappraising Policy Objections to Humanitarian Intervention» (1998) 19 Michigan Journal of International Law 1005; Téson, supra note 17, à la p. 270; Murphy, supra note 6, aux pp. 129-130. Sean D. Murphy est également d'opinion que l'avis sur le Nicaragua n'est pas si antipathique à l'intervention pour cause d'humanité, car la CIl a, dans la même décision à son paragraphe 242, confinné la légalité du droit d'assistance humanitaire (Ibid., p. 130). Mais un tel raisonnement ne peut tenir car comme nous l'avons vu précédemment, le droit d'assistance humanitaire est sur le plan conceptuel différent du droit d'intervention humanitaire. Voir ci-dessus aux pp. 9 et 10. 257 Voir notamment Nigel S. Rodley « Human Rights and Humanitarian Intervention: The Case Law of the World Court» (1989) 38 International and Comparative Law Quaterly 321, à la p. 332; Chesterman, supra note 55, à la p. 62; Gray, supra note 32, à la p. 33. 258 Le principe du non-recours à la force est notamment inscrit à l'article premier du Traité de l'Atlantique Nord, à l'article 5 de la Charte de la Ligue des États arabes. Plus récemment, il a été inséré à l'article 4 t) de la nouvelle Charte de l'Union Africaine. 255 256 63 Elles sont venues préciser que le recours à la force ou toute autre forme d'intervention ne peut être justifié par aucune cause, aussi légitime soit-elle. Une première résolution significative à ce sujet est la résolution 2131 (XX) du 21 décembre 1965, aussi intitulée Déclaration sur l'inadmissibilité de l'intervention dans les affaires intérieures des États et la protection de leur indépendance et de leur souveraineté. À son premier paragraphe, l'Assemblée générale déclare à la quasiunanimité259 qu' : [a]ucun État n'a le droit d'intervenir, directement ou indirectement, QQ!!I quelque raison que ce soi!, dans les affaires intérieures ou extérieures d'un autre État. En conséquence, non seulement l'intervention armée, mais aussi toute autre forme d'ingérence ou toute menace, dirigées contre la personnalité d'un État ou contre ses éléments politiques, économiques et culturels, sont condamnées. [Nous soulignons] N'en restant pas là, la résolution précise à son quatrième paragraphe que toute forme d'intervention ou d'ingérence constitue une menace à la paix mondiale et est prohibée par la Charte des Nations Unies: « [ ... ] la pratique de l'intervention, sous quelque forme que ce soit non seulement constitue une violation de l'esprit et de la lettre de la Charte des Nations Unies, mais encore tend à créer des situations qui mettent en danger la paix et la sécurité internationales» [Nous soulignons]. De tels énoncés sont réitérés dans la fameuse Déclaration sur les relations amicalei 60 • Ce qui apporte encore davantage de poids à l'argument voulant que la prohibition de l'usage de la force soit absolue, car cette dernière résolution, adoptée sans qu'un vote ne soit tenu et après des années de négociation entre les membres de l'ONU261 , est considérée comme faisant partie du droit coutumiei62 • Il est d'ailleurs significatif de constater qu'encore aujourd'hui les membres de l'Assemblée générale y font constamment 259 109 pays ont voté en faveur de cette résolution, aucun contre. Il n'y a eu qu'une seule abstention, celle de la Grande-Bretagne. (Voir Ian Brownlie, « The Principle of Non-Use of Force in Contemporary International Law » dans William E. Butler, dir, The Non-Use of Force in International Law, Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1989, 17 à la p. 19. [Brownlie «Non-use»] 260 Voir le huitième considérant dans le préambule de la résolution et le premier paragraphe sous la rubrique intitulée « principe de non-intervention» dans Déclaration sur les relations amicales, supra note 194. 261 Pour plus de détails voir Hurst Hannum, « Rethinking Self-Determination» (1993) 34 Virginia Journal of International Law t à la p. 14. 262 Voir ci-dessus la note 195 et le texte correspondant. 64 263 référence dans d'innombrables résolutions . Ensuite, la Déclaration sur la définition de l'agression, prévoit à son cinquième paragraphe qu': « [a]ucune considération de quelque nature que ce soit, politique, économique, militaire ou autre, ne saurait justifier une agression »264. Précisons enfin qu'une autre résolution et une série d'instruments internationaux d'importance reprennent le même principe265. Bien que l'intervention humanitaire n'est pas spécifiquement prohibée par ces diverses résolutions et instruments mentionnés, il n'en demeure pas moins qu'ils rejettent, par leurs termes généraux, toute forme d'ingérence étatique dans les affaires intérieures ou extérieures d'un autre pays, y compris l'intervention humanitaire. D'ailleurs, le fait que l'intervention humanitaire ait été l'objet de débats266 , lors des délibérations précédant l'adoption des résolutions 2131 (XX), 2625 (XXV) et 3314 267 (XXIX) de l'Assemblée générale, milite en faveur d'une telle conclusion • Il appert, en effet, que les rédacteurs n'ont pas cru bon de l'inclure en tant que possible exception à la prohibition du recours à la force ou au principe de non-intervention. Certains répliqueront que ces résolutions n'ont pas de force contraignante et, à ce titre, qu'elles ne peuvent avoir d'effets juridiques. Mais une telle conclusion s'avère inexacte. Car de telles résolutions, dont quelques-unes ont été sanctionnées par consensus, nous informent grandement sur l' opinio juris des États en regard des principes coutumiers de l'interdiction de l'usage de la force et de la non-intervention. Elles servent tout autant à interpréter et à préciser les dispositions de la Charte de l'ONU à la lumière de la pratique subséquente des États268 • Sur ce dernier point, on ne Voir notamment les résolutions suivantes: Respect des principes de la souveraineté nationale et de la diversité des systèmes démocratiques en ce qui concerne les processus électoraux en tant qu'élément important de la promotion et de la protection des droits de l'homme, Rés. AG 58/189, Doc. Off. AG NU, Doc. NU A/58/189 (2004); Résolution 58/317, supra note 228. 264 Définition de l'agression, supra note 193. 265 Déclaration sur le renforcement de l'efficacité du principe de l'abstention du recours à la menace ou à l'emploi de laforce dans les relations internationales, Rés. AG 42/22, Doc. Off. AG NU, Doc. NU A/42/22 (1987), para. 3. À part le droit résolutoire, d'autres instruments ont exprimé ce même principe. e Voir notamment le 1er paragraphe du 2 principe de l'Acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe de 1975, l'article 19 de la Charte de ['Organisation des États Américains de 1957, l'article 3 a) du Pacte de non-agression et de défense commune de l'Union Africaine signé en janvier 2005 mais non en vigueur pour le moment et les Cinq principes de co-existence pacifique formulés initialement par l'Inde et la Chine dans le cadre d'un accord de coopération et repris par la suite dans une série de documents juridiques. Pour plus de détails sur ces Cinq principes voir Brownlie, sutra note 58, aux pp. 117 et ss. 26 Voir à ce sujet Ronzitti, supra note 52, aux pp. 106-108 et Jean-Pierre Fonteyne, « Forcible SelfHelp by States to Protect Hurnan Rights : Recent Views from the United Nations », dans Lillich, supra note 179, aux pp. 213 à 218. 267 Michael Akehurst, « Humanitarian Intervention» dans Bull, supra note 196, aux pp. 108-109. 268 Brownlie «Non-use», supra note 259, à la p. 19. 263 65 peut qu'en venir à la conclusion qu'elles confirment la nature absolue de l'article 2 (4) et son statu quo juridique par rapport à son contenu normatif de 1945. Surtout que plusieurs de ces résolutions contiennent des dispositions finales affirmant qu'elles ne visent pas à modifier les dispositions de la Charte 269 • C) Les arguments fondés sur les divers cas d'interventions armées depuis 1945 L'argument le plus sérieux des tenants du droit d'intervention humanitaire est celui fondé sur les divers conflits internationaux susceptibles de correspondre à des interventions «humanitaires» qui se sont produits entre 1945 et 2005. Ces incidents attesteraient, selon eux, de l'émergence d'une nouvelle pratique internationale et de l'acceptation de la doctrine de l'intervention humanitaire. Dans le but d'étayer leurs argumentations, ces académiciens font référence à une multitude de conflits armés pouvant être assimilés à des interventions humanitaires. Mais plusieurs doivent être mis de côté en ce qu'ils s'éloignent des caractéristiques qui sont propres à cette variété d'intervention. Premièrement, les excursions militaires belges et américaines au Congo en 1960 et 1964270 ainsi que celle d'Israel en Ouganda en 1976271 s'apparentent davantage à des opérations de secours de nationaur72 qu'à des interventions humanitaires273 • Deuxièmement, les ingérences répétées des États-Unis en République Dominicaine en 1965, à la Grenade en 1983 et au Panama en 1989 ont été menées sous des motifs officiels excluant toute considération pour les droits de l'homme274 • Enfin, trois autres interventions plus récentes doivent également être Par exemple, la Déclaration sur les relations amicales mentionne que: « [r]ien dans la présente Déclaration ne doit être interprété comme affectant de quelque manière que ce soit les dispositions de la Charte ou les droits et devoirs imposés aux États Membres par la Charte [... ] ». (Déclaration sur les relations amicales, supra note 194.) 270 Dans le cas de cette dernière, les États-Unis et la Belgique seraient intervenus également sur l'invitation du gouvernement central congolais. (Abiew, supra note 76, à la p. 105) 269 271 À propos de cette intervention voir Chesterman, supra note 55, à la p. 76 et Francis A. Boyle « The Entebbe Hostages Crisis» (1982) 29 Netherlands International Law Review 32. 272 Elles ont, du moins, toutes été justifiées de cette façon. (Schachter, supra note 165, à la p. 1629.) 273 Il est généralement reconnu que ce genre d'intervention est exclu de la définition de l'intervention humanitaire. Voir ci-dessus à la p. 15. 274 Dans le cas de la République Dominicaine, les États-Unis auraient apporté deux justifications officielles, la protection de leurs nationaux et l'invitation des autorités militaires dominicaines (Murphy, supra note 6, à la p. 95). En ce qui concerne l'intervention en Grenade, la mission « Urgent Fury » aurait été fondée sur trois motifs juridiques distincts. Dans un premier temps, le gouvernement américain a invoqué l'invitation du Gouverneur-Général de la Grenade. Ensuite, il a affirmé qu'il est 66 écartées de la présente étude. Le déploiement de soldats français en République centrafricaine en 1996 a été justifié publiquement par la nécessité de protéger les ressortissants français 275 , l'envoi d'une force multinationale par la CEDEAO en 1997 en réplique au coup d'État perpétré contre le gouvernement légitime du Sierra Leone doit être classé dans les interventions pro-démocratiques276, alors que l'invasion des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de l'Australie en Irak en 2003 a été principalement légitimée, si l'on se fie aux dires des alliés, par la menace internationale que constituait la présence en sol irakien d'armes de destruction massive277 • Ce qui laisse sept épisodes qui nous sont parus plus plausibles ou, à tout le moins, plus significatifs sur le plan du droit international. Il s'agit des interventions de l'Inde au Bengale oriental en 1971, du Vietnam au Kampuchéa en 1978, de la Tanzanie en Ouganda en 1978-79, de la France en République centrafricaine en 1979, de la CEDEAO au Libéria en 1990, des alliés (É-U., G-B. et la France) en Irak en 1991-92 et finalement de l'OTAN en RFY en 1999. Pour chacune d'entre elles, nous analyserons leur qualité d'intervention humanitaire ainsi que leurs effets possibles sur le droit coutumier. Elles seront étudiées suivant leur chronologie. Notons enfin qu'une attention toute particulière sera portée aux trois plus récentes. intervenu suivant la requête de l'Organisation des États des Caraibes de l'Est. Troisièmement, il aurait envahi l'île dans le but de protéger les citoyens américains qui y résidaient. (Chesterman, supra note 55, aux pp. 100-101). De l'avis même d'un conseiller juridique du Département d'État, les États-Unis n'auraient pas agi en fonction de la doctrine de l'intervention humanitaire (Davis R. Robinson, « Letter dated 10 February 1984, addressed to Professor Edward Gordon, Chairman of the Committee on Grenada of the American Bar Association's Section on International Law and Practice» (1984) 78 American Journal of International Law 661.) Enfin, pour le Panama, le gouvernement de George Bush père serait intervenu pour quatre raisons différentes: la sauvegarde des américains, la défense de la démocratie, la lutte au traffle de la drogue et la protection de l'intégrité des traités abordant la question du Canal de Panama. (Franck, supra note 176, aux pp. 91-92). 275 Mais il semble que le réel motif était d'apporter un soutien militaire au Président légitime, Ange- Félix Patasse, qui était en lutte armée contre d'anciens soldats devenus mutins. (Chesterman, supra note 55, à la p. 138.) 276 Voir à ce sujet ci-dessus à la p. 11. Pour plus d'informations sur cet épisode voir notamment Gray, sUfra note 32, aux pp. 312 et ss. 27 Il est vrai que des motifs humanitaires ont été invoqués par les États-Unis et la Grande-Bretagne après leur invasion de l'Irak. Mais, ce justificatif ex post facto disqualifie cet incident de la rubrique des interventions humanitaires. (Voir notamment Gray, supra note 32, à la p. 49; Jutta Brunnée et Stephen J. Toope, « The Use of Foree : International Law after Iraq» (2004) 53 International Comparative Law Quaterly 785, à la p. 802. [Brunnée et ToopeD 67 1. Les cas présumés d'interventions humanitaires durant la Guerre froide a) L'Inde au Bengale oriental en 1971 278 Au début des années 70, le Bengale oriental (pakistan de l'Est), créé à la suite de la partition de l'Inde en 1947, était dominé économiquement et politiquement par le Pakistan de l'Ouest. Ne supportant plus cette suprématie, les citoyens du Bengale Oriental, d'origine ethnique différente des autres pakistanais, revendiquaient une plus grande autonomie. Une élection nationale fut décrétée et la ligue Awani, le parti en faveur de l'autonomie, remporta l'élection grâce à la supériorité démographique des bengalis279 • Le Président du Pakistan, Yahya Khan constatant son revers suspendit les travaux de cette nouvelle assemblée législative prétextant que les résultats électoraux constituaient une menace à l'intégrité territoriale de l'État pakistanais. La tension s'intensifia lorsque le 23 mars 1971, le Chef du parti de la Ligue Awani, Sheik Mujibur Rahman, déclara l'indépendance du Bangladesh par proclamation d'émancipation. Deux jours plus tard, l'armée pakistanaise déferla sur Dacca, la capitale du Bengale oriental. S'ensuivit une campagne de terreur. Dans le but de mater le mouvement indépendantiste, des actes de tortures, des viols et de nombreux meurtres autant envers les civils que les activistes furent perpétrés28o • Rapidement, l'Inde alerta la communauté internationale des atrocités commises et saisit l'ONU de la question281 • Rien n'y fit. Avant que l'Inde ne décide d'intervenir plus activement dans le conflit, à la fin du mois de novembre 1971, plus d'un million de personnes étaient mortes et des millions d'autres s'étaient réfugiées à 278 our un résumé des faits de cette intervention voir le rapport de la Commission Internationale de juristes. (International Commission of jurists, The Events in East Pakistan 1971, Geneva, ICI, 1972. [ICJ report]). 279 La ligue Awani remporta la presque totalité des sièges dévolus au Bengale oriental soit 167 sur 169. Le rapport de la Commission internationale de juristes décrit ces exactions de la manière suivante: « The principal features of this ruthless oppression were the indiscriminate killing of civilians, including women and children and the poorest and weakest members of the community; the attempt to exterminate or drive out of the country a large part of the Hindu population; the arrest, torture and killing of Awani League activists, students, professional and business men and other potentialleaders among the Bengalis; the raping of women; the destruction of villages and towns; and the looting of property. Ali this was done in a scale which is difficult to comprehend ». (ICJ report, supra note 278, aux pp. 26-27). 281 Franck, supra note 176, à la p. l39. 280 68 l'intérieur de ses frontières 282 , exerçant une pression financière soutenue sur son économie. À la suite d'une série d'escarmouches entre l'Inde et le Pakistan, la guerre monta d'un cran le 3 décembre lorsque ce dernier mena un raid aérien préventif contre l'Inde et pris le contrôle d'une partie de la province du Cachemire. L'Inde répliqua en envahissant le Pakistan à l'est comme à l'ouest. Le 16 décembre, le Pakistan abdiqua et le Bangladesh naissait. C'est devant le Conseil de sécurité, au moment même où son armée combattait, que l'Inde présenta ses justifications relativement à l'invasion du Pakistan. Son argument premier fut la légitime défense. Elle aurait répliqué à l'agression préalable du Pakistan qui prit la forme selon elle, d'une part, d'une série de bombardements de l'aviation pakistanaise en territoire indien et, d'autre part, de l'afflux de millions de réfugiés bengalis qui entamait sérieusement son économie et sa sécurité nationale283 • Puis, l'Inde introduisit une série d'arguments humanitaires. Le représentant de l'Inde exposa, dans un premier temps, les conditions atroces auxquelles étaient confrontées leurs voisins de l'Est. Par la suite, expliquant les raisons du refus indien d'une proposition de cessez-le-feu et de retrait de ses troupes du Pakistan de l'est, il statua que cette dernière solution ne mettrait aucunement fin à l'oppression subie par le peuple du Bengale oriental et que la seule conduite civilisée à adopter était de protéger et de sauver les bengalis de cette terreur: « 1 wish to give a very serious warning to the Council that we shall not be a party to any solution that will mean continuation of oppression of East Pakistan people, [ ... ]. So long as we have any light of civilized behaviour left in us, we shall proteet them )) 284. Enfin, répliquant à l'argument voulant que l'action de l'Inde équivalait à une violation de la souveraineté et de l'intégrité territoriale du Pakistan, l'ambassadeur indien argumenta que le respect des droits de l'homme et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes représentaient également des principes directeurs de la Charte de l'ONU: « 1 wonder why we should be shy about speaking of human rights )). Et il ajouta: « What Le nombre de réfugiés est disputé dans la littérature. Certains prétendent qu'il y en aurait eu 2 millions, d'autres 10 millions, mais vraisemblablement il était au moins 8 millions. (Téson, supra note 17, à la p. 203). 283 Ronzitti, supra note 52, à la p. 96. Pour Ronzitti, cet argument constituerait la principale justification de l'Inde. 284 26 U.N. S.C.O.R., 1606th meeting, 4 dec. 1971, para. 175. 282 69 happened to the Convention on genocide? What happened to the principle of selfdetermination » 285? Les autres membres du Conseil de sécurité n'ont pas, de manière générale, endossé ce point de vue. Les États-Unis, la Chine, la Tunisie, l'Argentine et bien entendu le Pakistan ont tous condamné l'action indienne 286 . À leur avis, elle constituait une intervention non permise dans les affaires intérieures d'un pays souverain287 • L'Arabie Saoudite a aussi blâmé l'Inde arguant que l'assistance armée à un mouvement sécessionniste étranger était contraire au droit internationae 88 • Et lorsqu'un projet de résolution fut présenté par les États-Unis demandant l'arrêt complet des hostilités et le retrait immédiat du personnel militaire sur le territoire de chacun des États, faisant ainsi indirectement référence à l'armée indienne qui contrairement au Pakistan occupait toujours le territoire de son rivae 89, une majorité d'États votèrent en faveur 90 • En fait, seule l'URSS, qui usa de son droit de véto pour bloquer le projet américain de résolution, appuya formellement l'Inde 291 • Quelques jours plus tard, ce fut au tour de l'Assemblée générale de débattre de la question. Encore une fois, les membres de l'ONU ont, dans l'ensemble, rejeté les prétentions indiennes292 • À part les pays du Bloc de l'Est et le Bhoutan, une majorité d'entre eux étaient d'avis que, malgré les actes répréhensibles du Pakistan, le conflit au Bengale oriental était une affaire interne et ne justifiait nullement la violation de la 26 U.N. S.C.O.R., 1608th meeting, 6 dec. 1971, para. 262. ICJ report, supra note 278, aux pp. 5, 7-8 et 1O-1l. La France et la Grande-Bretagne auraient par contre exprimé des vues plus nuancées. Voir à ce propos Franck, supra note 176, à la p. 141. 287 Franck, Ibid., aux pp. 140-141; Abiew, supra note 76 à la p. 116; Ronzitti, supra note 52, à la p. 97. Par exemple, pour le représentant américain, même si la répression pakistanaise contre les bengalis constituait une erreur tragique, cela ne justifiait pas la violation de son indépendance politique et de son intégrité territoriale: « The fact that the use of force in East Pakistan in March can be characterized as a tragic mistake does not, however, justify the actions of India in intervening militarily and placing in jeopardy the territorial integrity and political independence of its neighbour Pakistan. ». (SIPV.1611 (1971) para 19 reproduite dans Chesterman, supra note 55, à la p. 73 (note 202)). 288 ICJ Report, supra note 278, aux pp. 32-37. 289 L'armée du Pakistan s'était, quant à elle, retirée du territoire de l'Inde. 290 Onze États ont voté en faveur et deux se sont opposés (URSS et Pologne). Il y a eu également deux abstentions (France et G.-B.). (26 U.N. S.C.O.R., 1606th Meeting, 4 December 1971, para. 371.) 291 Ronzitti, supra note 52, aux p. 96-97. 292 Lors des débats à l'Assemblée générale qui se sont tenus le 7 décembre 1971, l'Inde souleva de nouveau un motif humanitaire. Elle affirma, qu'elle ne pouvait rester inactive devant la répression dont étaient victimes les Bengalis et qu'en fin de compte, l'immobilisme aurait été le pire des maux: « No country in the world can remain unconcemed [ ... ] Inaction and silence in the face of this human tragedy could be interpreted by ail those who suffer as helplessness, if not indifference, of the outside world. » (26 U.N. G.A.O.R, 2003 rd Plen. Meetings, 7 dec. 1971, para. 156.) 285 286 70 souveraineté et de l'intégrité territoriale du Pakistan293 • Refusant néanmoins de condamner l'invasion indienne à titre d'acte d'agression294 , ils n'étaient pas prêts à renier la prohibition générale du recours à la force. Le discours de l'ambassadeur de la Suède incarne bien l'état d'esprit des délégués présents. Tout en déplorant les conditions inhumaines dans lesquelles la population du Bengale oriental vivait, il était d'opinion que la force employée par l'Inde était non seulement injustifiée mais également un moyen d'action inapproprié: «The Charter of the United Nations forbids the use of force except in self-defense. No other purpose can justify the use of military force by States. The Swedish Govemment firmly opposes such methods wherever they may occur »295. Lorsque les discussions cessèrent, l'Assemblée générale adopta, à la quasi-unanimité296, une résolution déclarant que les hostilités entre l'Inde et le Pakistan constituaient une menace immédiate à la paix et à la sécurité internationales et ordonnant, en outre, que les deux protagonistes retirent chacun leurs troupes du territoire de leur voisin. Il n'est jamais aisé de jauger les intentions réelles des États lorsqu'ils interviennent, de départager le vrai du faux. Cette maxime s'avère tout à fait vrai pour l'intrusion indienne au Pakistan. D'un côté, certains faits laissent présager que l'Inde aurait agi à des fins humanitaires. L'Inde avait dès le mois d'avril 1971 soulevé devant les instances de l'ONU les atrocités qui étaient perpétrées au Bengale oriental. Et après l'abdiquation du Pakistan, le 16 décembre 1971, l'armée indienne n'a pas occupé indûment le Bangladesh. De plus, l'Inde n'a pas entravé outre mesure les destinées politiques du nouvel Étar97 • De l'avis de Michael Walzer, l'opération de l'Inde représente bel et bien une intervention humanitaire car, dans les faits, elle s'apparente étrangement à une mission de sauvetage298 • Il ne faudrait pas croire pour autant que l'Inde n'avait que les intentions les plus pures comme son représentant à l'ONU le prétendit au Conseil de sécurité299 • L'Inde avait, d'un autre côté, un 293 ICJ Report, supra note 278, à la p. 90. 294 Seule la Chine et l'Albanie étaient de cet avis. Voir à ce sujet Ronzitti, supra note 52, à la p. 97. 26 U.N. G.A.O.R, 2003rd Plen. Meetings, 7 december 1971, para. 302. 296 Question examinée par le Conseil de sécurité à ses 1606e, 1607e, et 1608e séances, les 4, 5 et 6 décembre 1971, Rés. AG 2793 (XXVI), (1971).104 pays votèrent pour, onze y étaient opposés et dix se sont abstenus. 297 Walzer, supra note 42, à la p. 105. 298 Ibid. 299 Il aurait affirmé alors: « we have on this particular occasion absolutely nothing but the purest of motives and the purest of intentions: to rescue the people of East Bengal from what they are suffering ». (26 U.N. S.C.O.R., 1606th meeting, 4 dec. 1971, para. 186.) 295 71 avantage géopolitique certain à voir son éternel rival se scinder en deux. Au surplus, il est indéniable qu'un Bengale oriental pacifié et stable eut été un baume pour le souscontinent indien. Rappelons que la présence sur son territoire de réfugiés bengalis pesait lourdement sur le pays. Malgré ces intérêts politiques coïncidents, la protection de vies humaines ainsi que la réalisation de l'autodétermination du peuple bengali semblent avoir été de réelles préoccupations pour les autorités indiennes et, à ce seul titre, leur intervention doit être qualifiée d' « humanitaire 301 partage plusieurs juristes »300. Une opinion que • Cette constatation ne lui confère pas pour autant le sceau de la légalité car l'opinio juris nécessaire fait en l'espèce défaut. D'une part, l'Inde n'a pas légitimé expressément son emploi de la force par la doctrine de l'intervention humanitaire302 • D'autre part, les États tiers au conflit ont majoritairement rejeté les prétentions altruistes de l'Inde. Ils sont demeurés attachés à l'esprit et à la lettre de la Charte et plus particulièrement au principe de non-intervention, en dépit des terribles exactions qui avaient lieu au Bengale oriental et qui étaient connues de tous. L'heure n'était manifestement pas encore venue d'accorder une quelconque prééminence aux valeurs de justice sur celles de la paix. Nous pouvons croire par contre que la dégradation des droits de l'homme au Bengale oriental et l'intervention « propre}) de l'Inde ont atténué le blâme international envers le gouvernement d'Indira Gandhe03 • Après tout, l'Inde n'a pas été formellement condamnée dans le texte de la résolution 2793 (XXVI) de l'Assemblée générale. Son libellé fait preuve d'une certaine clémence à son égard. De même, elle n'a subi aucune sanction de la part de la communauté internationale. 300 En fait, si l'on doit considérer les agissements de l'Inde comme étant une intervention humanitaire, ce serait davantage parce que les motifs de l'Inde ont, à un moment précis de 1971, coïncidé avec ceux de la population du Bengale oriental. C'est la conclusion à laquelle en vient Michael WaIzer, en précisant que quelquefois les circonstances font des saints de nous tous. (Walzer, supra note 42, à la p. 105.) Voir notamment Fonteyne, supra note 48, à la p. 204; Derek W. Bowett,« The Use of Force for the Protection ofNationals Ahroad)} dans Antonio Cassese, dir., The Current Legal Regulation of the Use of Force, Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1986,39, aux pp. 39 et 50 [Cassese). Même Chesterman qui est défavorable à la doctrine de l'intervention humanitaire ne nie pas ce fait. (Chesterman, supra note 55, à la p.74.) 302 La Commission internationale de juristes en vient à la même conclusion. (CIJ Report, supra note 278, à la p. 96.) 303 Chesterman, supra note 55, aux pp. 74-75. 301 72 Enfin, la reconnaissance rapide du nouvel État du Bangladesh suggère également une approbation post hoc de l'intervention indienneJ04 • b) Le Vietnam au Kampuchéa (Cambodge) en 1978-79 Un autre événement sur lequel se fonde régulièrement les défenseurs d'un droit coutumier d'intervention humanitaire est l'invasion du Vietnam au Kampuchéa à la fin de l'année 1978. Les origines de ce conflit remontent à la prise du pouvoir des Khmers rouges au Cambodge. Non satisfaits d'avoir instauré de 1975 à 1978 un régime de terreur à l'encontre de ses propres citoyens, où les meurtres et la torture étaient le lot quotidien305 , les Khmers rouges procédèrent à de multiples incursions meurtrières en territoire vietnamien, à proximité de la frontière séparant les deux pays. Vivement agacé, le Vietnam communiste décida d'envahir le Kampuchéa le 25 décembre 1978, accompagné par un groupe nouvellement formé d'exilés cambodgiens, le United Front for the National Sa/vation of Kampuchea. Deux semaines plus tard, le 7 janvier 1979, Phnom Penh tomba et la République populaire du Kampuchéa mené par Heng Samrin, un ex-khmer rouge, fut instituée. Cette prise de possession de la capitale précipita la fuite des Khmers rouges qui n'eurent d'autre choix que de battre retraite dans les régions montagneuses du Cambodge, d'où ils menèrent une guérilla contre le nouveau gouvememenf06. Le Vietnam justifia sa conduite au cours d'une séance au Conseil de sécurité le Il janvier, soit quatre jours après la chute des Khmers rouges. D'une part, il invoqua un droit de légitime défense contre le Kampuchéa qui avait commencé les hostilités en attaquant, à plusieurs reprises, des villages vietnamiens frontaliers. Il était donc en droit, selon son représentant à l'ONU, de répondre par la force armée. D'autre part, il précisa que le renversement du régime des Khmers rouges était le fait d'une guerre révolutionnaire du peuple kampuchéen dirigé par un front uni d'expatriés qui étaient Mark A.Weisburd, Use of Force: The Practice of States since World War II, University Park, Pa., Pennsylvania State University Press, 1997, à la p. 150. [Weisburd]. 305 L'ampleur des exactions commises par Pol Pot et les siens était telle que l'on parle de génocide. Un million de cambodgiens seraient morts sous le régime des Khmers rouges de 1975-1979 sur une population d'environ six millions selon les estimés les plus conservateurs. (Murpby, supra note 6, à la p. 103). Certaines sources chiffrent néanmoins les victimes à deux millions ou encore au tiers de la ~pulation totale du Cambodge de l'époque. (Voir Ronzitti, supra note 52, à la p. 98). 06 La guerre civile s'est poursuivie jusqu'au début des années 90. 304 73 excédés du traitement réservé aux leurs307 • Le Vietnam nia toute implication dans ce conflit entre cambodgiens. Il n'aurait, selon les dires de son gouvernement, ni participé aux combats ni apporté une aide militaire aux rebelles308 • Ce qui évidemment est totalement faux 309 • Le Vietnam reçut un appui des autres membres du bloc soviétique3 \o, qui s'empressèrent de corroborer sa version des faits tout en écorchant au passage le régime oppressant des Khmers rouges311 • Au contraire, les pays occidentaux et nonalignés ne crurent aucunement les explications vietnamiennes et condamnèrent son action. Pour la plupart d'entre eux, le Vietnam n'avait aucun droit d'intervenir au Kampuchéa et de déposer les Khmers rouges malgré leur piètre dossier en ce qui concerne les droits de l'homme. Pour un, le délégué de la France au Conseil de sécurité déclara : The notion that because a reglme is detestable foreign intervention is justified and forcible overthrow is legitimate is extremely dangerous. That could ultimately jeopardize the very maintenance of international law and order and make the continued existence of various régimes dependent on the judgement of their neighbours. 3J2 Dans le même ordre d'idées, la Norvège, de la bouche de son représentant à l'ONU, a affirmé qu'en dépit de leurs objections aux violations sérieuses des droits de l'homme attribuées au gouvernement de Pol Pot, «[ ... ] the domestic policies of that government cannot - we repeat, cannot - justify the actions of [Vietnam] over the last days and weeks »313. Plusieurs ambassadeurs d'autres nations ont tenu des propos similaires314 • A la fin des débats, un vote fut demandé sur un projet de résolution émanant d'États non-alignés qui enjoignait toutes les forces armées étrangères de se 307 34 U.N. S.C.O.R., 2108th meeting, Il january 1979, para. 115. Ibid., aux para. 126-127 et 135-136. 309 Le Vietnam aurait lui-même fonné le front de libération en question. (Weisburd, supra note 304, à la p.43.) 310 C'est-à-dire de l'URSS, de la Bulgarie, de la Hongrie, de la Mongolie, de la Tchècoslovaquie, de l'Allemagne de l'est, de la Pologne et de Cuba. 311 En outre, le représentant de l'Allemagne de l'Est affinna que le renversement des Khmers rouges « should he welcomed and supported by ail those who earlier spared no words to complain about the massive violations ofhuman rights [ ... ]». (34 S.C.O.R., 2109th meeting, 12january 1979, para. 68.) 312 SIPV. 2109 (1979) para 36. reproduit dans Chesterman, supra note 55, à la p. 80. 313 Ibid., au para 18. 314 Notamment les représentants de la Grande-Bretagne, du Portugal, de Singapore, du Nigéria, de la Bolivie, de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie. Pour un aperçu de ces déclarations voir Chesterman, supra note 55, à la p. 80 et Ronzitti, supra note 52, aux pp. 99-101. 308 74 retirer du Cambodge (donc seulement les forces vietnamiennes) et toutes les parties impliquées d'adhérer au principe de non-intervention315 • Treize pays votèrent en faveur de la résolution. Mais elle ne vit pas le jour car encore une fois l'URSS, alliée 316 du Vietnam communiste, apposa son droit de vét0 • Comme il est coutume en cas d'inaction du Conseil de sécurité, la question s'est retrouvée, quelques mois plus tard, entre les mains de l'Assemblée générale. Sauf qu'avant de débattre à proprement parler de l'intervention vietnamienne, un problème de représentativité devait être résolu par les membres de l'OND. Le nouveau gouvernement cambodgien ainsi que les anciens dirigeants des Khmers rouges aspiraient chacun à être accrédité par l'ONU en tant que seul représentant officiel de leur pays. Suivant les recommandations d'un comité interne, l'Assemblée générale vota en septembre 1979 pour l'accréditation de l'ancien régime déchu317 , témoignant ainsi de la désapprobation de l'action vietnamienne et du manque de légitimité des nouveaux dirigeants au pouvoir. Ce droit de représentativité fut d'ailleurs reconduit par l'Assemblée jusqu'en 1988318 • Cette question préliminaire réglée, les débats sur l'intervention du Vietnam purent reprendre. Par une écrasante majorité, les pays membres de l'ONU votèrent en faveur d'une résolution essentiellement similaire à celle qui avait été rejetée au Conseil de sécurité en raison du véto de l'URSS319 Le seul ajout significatif fut la mention que le peuple de Kampuchéa devait avoir la possibilité de choisir démocratiquement leur propre gouvernement sans interférence ou pression extérieure32o • Notons enfm que plusieurs États ont réaffirmé, dans le cadre des Pour plus de détails sur ce projet de résolution avorté voir Michael Akehurst, «Humanitarian Intervention» dans Bull, supra note 196, aux pp. 97-98. 316 L'autre État qui vota contre la résolution était la Tchècoslovaquie. 317 Pouvoirs des représentants à la trente-quatrième session de l'assemblée générale, Rés. AG 34/2A 315 (XXXIV), (1979). Cette résolution fut adoptée par un vote de 71 pour, 35 contre et 34 abstentions. (1979 U.N.Y.B. 291 tel que cité dans Franck, supra note 176, à la p. 150). À l'occasion de ce vote, quelques États ont déclaré que malgré le dossier accablant des Khmers rouges, ils ne pouvaient accréditer un régime gouvernemental contrôlé par un État étranger. D'autres ont précisé que leur décision était motivée par le respect de la Charte et que nul devait y voir un quelconque appui aux Khmers rouges. (Ibid., aux pp. 292-93.) 318 Franck, supra note 176, à la p. 150. 319 La situation du Kampuchea, Rés. AG 34/22 (XXXIV), (1979). Le projet de résolution fut entériné r:ar le vote positif de 91 pays. c 20 Ibid., 10 paragraphe. 75 délibérations menant à l'adoption de cette résolution, que le Vietnam ne pouvait justifier son recours à la force par la protection des droits de l'homme321 • Comme le souligne Leifer322, la République Démocratique du Kampuchéa était une candidate rêvée comme cible d'une éventuelle intervention humanitaire. L'étendue des crimes commis par le régime khmer contre leurs propres concitoyens motivait amplement leur chute par la force armée. Il n'y a aucun doute sur ce point. Mais dans les faits, l'ingérence vietnamienne ne peut servir de précédent valable pour les tenants de l'intervention humanitaire323 • Premièrement, il y a tout lieu de croire que les dirigeants vietnamiens visaient davantage par leur intervention à accroître leur influence régionale par l'établissement d'un régime allié que d'assurer le bien-être des Kampuchéens324 • Suivant son invasion du Cambodge, le Vietnam a contrôlé la vie politique et militaire de ce pays par l'instauration d'un gouvernement factice qui fut à leur solde tout au long des années 80325 • Qui plus est, les violations massives des droits de l'homme ont continué suite à l'intervention vietnamienne326 • Il n'est donc pas surprenant que relativement peu d'auteurs s'aventurent à inclure l'incident du Kampuchéa sous la rubrique des interventions humanitaires327 • D'un point de vue juridique maintenant, la sauvegarde des droits de l'homme n'a jamais été alléguée par le Vietnam comme possible motif à son emploi de la force. Il a préféré user d'une justification plus classique, le droit à la légitime défense. En Fait révélateur, certains de ces États dont la Grèce avaient, quelques années auparavant été favorables à un droit d'intervention humanitaire. (Michael Akehurst, « Humanitarian Intervention» dans Bull, supra note 196, à la p. 98.) 322 Michael Leifer, « Vietnam's Intervention in Kampuchea: the Right of State vs. the Right of People » dans Ian Forbes et Mark Hoffman, dir., Political Theory, International Relations, and the Ethics of Intervention, Hamphire, Macmillan Press Ltd, 1993, à la p. 155. 323 Voir généralement à ce sujet Bazyler, supra note 5, aux pp. 607-610. 324 Comme le fait remarquer une organisation composée de juristes américains dans un de ses rapports datant d'une vingtaine d'années, le principal motif du Vietnam semble avoir été de remplacer un régime qui lui était hostile par un autre plus docile et conciliant. Le rapport conclut de la manière suivante: « The primary purpose of the [Vietnamese] invasion had been to bring about the replacement of Pol Pot's regime, which had been unremittingly violent in its hostility toward the Socialist Republic of Vietnam (SRV) since 1977, by one that could be relied upon to be friendly to it ». Lawyer's Committee for Human Rights, Kampuchea: After the Worst (1985), 17 reproduit dans Ibid., à la p. 609. 325 En fait, il a contrôlé politiquement le Cambodge jusqu'aux accords de paix de Paris de 1991. (Murphy, supra note 6, à la p. 103.) 326 Lawyer's Committee for Human Rights, Kampuchea: After the Worsl (1985), 5-6 tel que cité dans Bazyler, supra note 5, à la p. 609. 327 Fernando Téson, grand défenseur de la légitimité de l'intervention humanitaire exclut avec raison cet exemple dans son traité. (Téson, supra note 17.) 32\ 76 fait, les autorités vietnamiennes ont fait une seule référence explicite aux exactions des Khmers rouges et c'était pour expliquer les raisons qui ont amené certains kampuchéens exilés à se soulever et non pour motiver leur propre guerre328 • Mais le plus révélateur dans cette guerre est la réaction des pays non impliqués. Un bon nombre d'États ont, à l'intérieur des organes de l'ONU, carrément rejeté la validité de la doctrine de l'intervention humanitaire alors même qu'elle n'était pas prônée par le Vietnam. Notant au passage le caractère ignoble du système implanté par les Khmers rouges, ils ont avancé le principe voulant que le bilan d'un gouvernement en matière de droits humains ne saurait autoriser sa destitution par l'usage de la force armée. Autrement dit, ils ont exprimé leur adhérence au concept de souveraineté au détriment des droits de l'homme. Mais ils ont fait davantage. Ils ont continué de reconnaître, pendant près de dix ans, la légitimité internationale de l'un des pires régimes politiques de l'histoire récente. En fait, loin de soutenir la thèse de l'émergence d'un droit coutumier d'intervention humanitaire, le cas du Kampuchéa démontre exactement le contraire. Comme le mentionne Thomas Franck dans un ouvrage récent, rares ont été les exemples depuis l'entre-deux-guerres où les États ont, d'une manière aussi évidente, valorisé la paix plutôt que lajustice329 • Franck, supra note 176, à la p. 147. Il écrit: « Rarely, at least since the Munich Pact of 1938 had dismembered Czechoslovakia to appease Hitler, were states so blatantly ready to choose the value of peace above that of justice ». (Ibid., à la p. 150.) 328 329 77 c) La Tanzanie en Ouganda en 1978-79 Un autre conflit est régulièrement cité dans les ouvrages de droit international comme possible intervention humanitaire. Il s'agit de l'invasion de la Tanzanie en Ouganda, à la fin des années 70, qui a mené à la chute du dictateur sanguinaire Idi Amin Dada. Les hostilités entre ces deux nations africaines commencèrent en octobre 1978 lorsque les troupes ougandaises occupèrent une partie de la région frontalière tanzanienne de Kagera Salient. Prétextant la légitime défense, Amin Dada motiva son geste par la prétendue assistance que la Tanzanie accordait à des groupes de dissidents ougandais. Ajoutant l'insulte à l'injure, il proclama le 1er novembre que la région de Kagera Salient faisait maintenant partie du territoire de l'Ouganda. Le Président de la Tanzanie, Julius Nyerere vit dans cet acte une déclaration de guerre. Malgré le retrait unilatéral de l'armée ougandaise dans les jours qui suivirene3o, la Tanzanie attaqua l'envahisseur au motif que les deux pays étaient en état de guerre en raison du pillage, de la destruction et des exactions perpétrés précédemment par les forces d'occupation du dictateur. Au début de l'année 1979, les forces tanzaniennes poursuivirent leurs agresseurs jusqu'en sol ougandais. Avec l'aide du Front de Libération Nationale de l'Ouganda (NLFO), un groupe de rebelles, elles s'emparèrent de la capitale Kampala, puis déposèrent Amin Dada le 11 avril 1979. Un nouveau gouvernement fut alors formé. Se basant sur certains éléments factuels, quelques auteurs ont prétendu qu'il s'agissait là d'une véritable intervention humanitaire331 • Il est vrai qu'à première vue plusieurs faits tendent vers cette conclusion. En premier lieu, le régime du dictateur était tout particulièrement inhumain et sanglant. Selon certaines sources, le gouvernement ougandais aurait été directement responsable de la mort de 300 000 individus332 • Ensuite, la Tanzanie n'aurait ni exercé un contrôle politique sur l'Ouganda ni pris possession d'une partie du territoire suivant la prise de la capitale333 • L'armée tanzanienne n'est restée sur place que deux ans, le temps que la stabilité et 330 Avant ce retrait, l'Ouganda avait fait une offre à la Tanzanie. Elle offrait de retirer ses troupes si cette dernière acceptait de cesser de soutenir les dissidents ougandais. La Tanzanie refusa. (Murphy, sura note 6, à la p. 105.) 33 Voir notamment Téson, supra note 17, aux pp. 184 et ss et Bazyter, supra note 5, aux pp. 591 et ss. 332 Henry Kyemba, State of Blood : the Inside Siory ofIdi Amin, New York, Ace Books, 1977, à la p. 9. 333 Bazyler, supra note 5, à la p. 591. 78 l'ordre réapparaissent à Kampala334 • Enfin, le Président Nyerere avait souvent signifié son dégoût pour Amin Dada et ses sbires et ce bien avant le début des affiontements d'octobre 1978335 • Toutefois, la Tanzanie n'a, à aucun moment du conflit, avancé d'arguments humanitaires au soutien de son action militaire336 • Elle a toujours motivé son intervention en Ouganda par l'agression préalable sur son territoire. En mars 1979, alors que les forces tanzaniennes combattaient en Ouganda, le Président Nyerere aurait affirmé qu'il existait deux guerres simultanées. La première mettait aux prises l'Ouganda et la Tanzanie et était la suite logique de l'action en légitime défense entreprise quelques mois plus tôt. La deuxième, qui se déroulait dans le nord du pays, constituait une guerre de libération nationale opposant le NLFO et les forces gouvernementales d'Amin Dada337 • Ensuite, suivant la chute d'Amin Dada, Nyerere aurait affinné que la Tanzanie a toujours eu pour objectif de le punir pour l'attaque initiale dont il était responsable. Le Président aurait déclaré ceci: «From outset we said our aim was to punish Amin» 338. Pour finir, la Tanzanie divulgua dans un rapport officiel publié à l'occasion d'une assemblée des Chefs d'États et de gouvernements de l'OUA en juillet 1979, les raisons suivantes pour son invasion de l'Ouganda: «The war between Tanzania and Idi Amin's regime in Uganda was caused by the anny's aggression against Tanzania and Idi Amin's claim to have annexed part ofTanzania territory. There was no other cause for it »339. Il ressort donc de ces diverses déclarations que c'est l'agression de l'Ouganda qui était la cause première de la réaction armée défensive puis ensuite punitive de la Tanzanie et non les violations systématiques des droits de l'homme du régime d'Amin Dada. Même ceux qui prétendent à l'intervention humanitaire reconnaissent le fait que le Président Nyerere n'aurait jamais déposé le tyran n'eut été de son agression du mois 334 Franck, supra note 176,àlap.145. Nyerere considérait Amin Dada un « meurtrier ». Il refusait de s'asseoir à la même table que lui lors de rencontres panafricaines. (11 Africa Contemporary Records (C.Legum ed. 1978-79) tel que cité 335 dans Téson, supra note 17, à la p. 185.) 336 Elle n'aurait mentionné qu'au passage le bilan peu éloquent en matière de droits de l'homme de l'Ouganda dans un rapport présenté à l'OAo en juillet 1979. Voir à ce sujet Africa Research Bulletin, Political, Social and Cultural Series, Vol. 16, (1979) à la p. 5328. [Africa] 337 Ronzitti, supra note 52, aux pp. lO2-lO3. 338 Africa, supra note 336, à la p. 5323. Natalito Ronzitti croit que la Tanzanie aurait agi par crainte qu'Amin Dada mette à exécution sa menace d'envahir à nouveau la région de Kagera Salient. Conséquemment, la Tanzanie n'eut d'autre choix, selon Nyerere, que d'agir en policier et de le punir. Pour plus de détails sur cette déclaration voir Ronzitti, supra note 52 aux pp. 103-104. 339 Africa, supra note 336, à la p. 5328. 79 d'octobre précéden240 • Le motif humanitaire, s'il est existant, n'a eu en fin de compte que peu d'impacts dans la décision d'intervenir. Après tout, le Président Nyerere a toujours précisé que le renversement d'Amin Dada était l'affaire des ougandais et non de la Tanzanie341 • La communauté internationale, quant à elle, est restée silencieuse dans toute cette affaire. Elle a peu réagi à l'intervention tanzanienne. L'ONU a refusé de répondre aux demandes successives des gouvernements ougandais et libyen qui se sont plaints de l'occupation armée de la Tanzanie au mois de février et mars 1979, soit quelques semaines avant la prise de Kampala342 • Pour leur part, les États ont été peu nombreux à condamnef43 ce qui de fait constituait une atteinte à la souveraineté politique et territoriale de l'Ouganda. En effet, le plaidoyer de légitime défense présenté par la Tanzanie ne tenait pas la route. La force employée en l'espèce était nettement disproportionnée344 • Elle ne justifiait aucunement le renversement du régime d'Amin Dada. Il est de plus significatif que l'OUA n'a jamais désavoué cette violation à la règle de la non-intervention bien qu'il s'agissait d'un de ses principes cadres345 et que le nouveau gouvernement mis en place ait été rapidement reconnu346 • En fait, il semble que l'exil d'Amin Dada en Libye ait été le bienvenu et que, par conséquent, les États ont décidé de passer outre les violations à la Charte de l'ONU. Son régime avait, en effet, perdu toute légitimité politique en raison des atrocités qu'il commettait à l'encontre de ses propres citoyens et de l'agression sur la Tanzanie347 • Bien que certains voient dans cet acquiescement implicite une légitimation des interventions d'humanitë48, on ne doit pas pour autant y voir une quelconque reconnaissance de leur légalité. La Tanzanie a motivé son emploi de la force principalement par une exception reconnue par la Charte, la légitime défense. Téson, supra note 17, à la p. 185. Nyerere aurait déclaré:« The aim ofuprooting Amin was not our task; it was the task of the people ofUganda ». (Africa, supra note 336, à la p. 5323.) 342 L'ONU a refusé de soumettre la plainte au Conseil de sécurité comme le demandait l'Ouganda. 340 341 (Franck, supra note 176, à la p. 143). La seule implication de l'ONU a été très tardive. Le Secretaire général tenta, au dernier moment, d'agir en médiateur dans le but d'en arriver à un cessez-le-feu. (Murphy, supra note 6, à la p. 106) 343 Seuls les pays africains du Kenya, de la Libye, du Nigéria, du Soudan et du Maroc se sont opposés à l'intervention de la Tanzanie. (Murphy, Ibid., à la p. 106; Téson, supra note 17, à la p. 187). 344 Téson, Ibid., à la p. 188. 345 Comme l'ONU, l'OUA tenta uniquement la médiation. (Murphy, supra note 6, à la p. 106) 346 Weisburd, supra note 304, à la p. 41. 347 Franck. supra note 176, aux pp. 144-145. 348 Téson, supra note 17, à la p. 187. 80 Les réactions auraient été, de toute évidence, différentes si le Président Nyerere avait invoqué la doctrine de l'intervention humanitaire. Les autres États auraient vraisemblablement sorti le spectre du dangereux précédent. Notons que ceux qui se sont déclarés en faveur de la Tanzanie l'étaient essentiellement pour le motif de légitime défense qu'elle avait expressément soulevë49 • Bref, la défense présentée par la Tanzanie arrangeait tout le monde, même si elle était douteuse sur le plan légal. d) La France en République centrafricaine en J979 Cinq mois après la chute d'Idi Amin Dada, un autre despote sanguinaire et excentrique, l'empereur centrafricain Jean-Bédel Bokassa, tomba grâce à l'intervention de l'armée française. Les faits menant à sa déconfiture sont les suivants. Après la publication en mai 1979 d'un rapport d'Amnistie internationale relevant le massacre et la torture d'une centaine d'écoliers et de jeunes adultes qui avaient désobéi à Bokassa, la sixième Conférence franco-africaine institua une commission d'enquête composée de cinq magistrats africains en vue d'élucider cette scabreuse affaire. La Commission termina ses travaux le 16 août. Elle confirma la véracité des faits tels que présentés par Amnistie internationale et conclut, avec une quasicertitude, que l'empereur Bokassa avait personnellement participé aux massacres. Dans la nuit du 20 au 21 septembre suivant, alors que l'empereur était en visite officielle en Libye, David Dacko, ancien Président de la République centrafricaine (qui avait d'ailleurs été délogé de son poste en 1966 à la suite d'un coup d'État orchestré par Bokassa) s'empara à nouveau du pouvoir avec l'aide de soldats français. La France prétendit initialement que leur implication survint après le putch et qu'elle avait eu l'autorisation d'agir du nouveau régime de Dack0350 • Quelques jours plus tard cependant, le ministre de la Coopération de l'époque, Robert Galley, admit que la France avait participé activement au coup d'État. En réalité, Monsieur Dacko était arrivé à Bangui dans un avion français accompagné par un contingent de 1 800 soldats351 • Chesterman, supra note 55, à la p. 78. Keesing's Contemporary Archives: Record ofWorld Events, Vol. 25, 1979, à la p. 29934. 351 Charles Rousseau, « Chronique des faits internationaux)} (1980) 83 Revue Générale de Droit International Public 351, aux pp. 364-65. [Rousseau] 349 350 81 La nature humanitaire de cette opération française, surnommée « Barracuda », n'est pas aisée à évaluer. La difficulté vient du fait que la France n'a, en aucun temps, émis quelque casus belli officielle que ce soit. Contrairement aux autres cas précédents, elle n'a pas eu à faire face à la communauté internationale et à s'expliquer devant des instances intergouvernementales. La question n'a été débattue ni à l'ONU ni à l'OUA et très peu d'États se sont prononcés sur le bien-fondé de cette ingérence. Seuls la Libye, le Bénin et le Chad ont critiqué l'action française tandis que le Sénégal et le Zalre l'ont approuvée352 • En dépit de ce manque d'éclaircissements sur les motivations de la France353 , quelques juristes persistent à affirmer que l'intervention française en République centrafricaine constitue un cas exemplaire d'intervention humanitaire354 • Pour Fernando Téson, cette exemplarité s'explique par une panoplie de facteurs. Tout d'abord, le coup d'État s'est réalisé d'une manière propre, sans aucune effusion de sang. Ensuite, il a eu pour effet de mettre un terme au règne d'un dictateur qui s'est rendu coupable de crimes graves contre l'humanitë55 • Enfin, il est d'avis que les intentions de la France étaient purement humanitaires. Il affirme que la France aurait changé sa politique envers la République centrafricaine et décidé de précipiter la chute de l'empereur autoproclamé, dès la publication du rapport d'Amnistie internationale exposant le massacre d'enfants et de jeunes adultes. Elle aurait dès lors établi la commission d'enquête et coupé l'aide militaire au régime356• Par ailleurs, certaines déclarations de hauts fonctionnaires français et du nouveau Président Dacko, postérieures aux événements, confirmeraient également que des motifs humanitaires aient joué un rôle central dans la décision de déposer Bokassa. La France, résume-t-il, serait intervenue parce qu'elle se sentait coupable d'avoir maintenu par le passé des liens si étroits avec un tyran tel que Bokassa357 • Franck, supra note 176, à la p. 152. Toutefois, d'autres pays africains auraient critiqué la France de manière privée. (Weisburd, supra note 304, à la p. 227) 3S2 353 Elle aurait cependant averti qu'elle n'avait aucune intention d'occuper le pays ou d'acquérir une ~artie du territoire ou toute autre concession. (Franck, Ibid.,) Pour Sean D. Murphy, elle constituerait « probably the best example of humanitarian intervention during the Cold War that was accepted as lawful by the international community» et pour Fernando Téson « an instance of humanitarian intervention par excellence ». (Murphy, supra note 6, à la p. 108 et Téson, supra note 17, à la p. 199.) 355 Téson, Ibid. 356 Un excellent résumé des mesures préalablement adoptées par la France à l'endroit de la République centrafricaine sont détaillées dans Rousseau, supra note 351, aux p. 364-365. 357 Téson, supra note 17, à la p. 198. S4 82 Nonobstant ce qui précède, la France semble avoir eu d'autres intérêts moins nobles à défendre dans cette aventure centrafricaine. En premier lieu, nous pouvons croire qu'elle soit intervenue surtout dans le but de préserver son honneur qui avait été bafoué. Elle avait constamment soutenu financièrement de même que cautionné l'un des pires régimes de l'Afrique pendant des années. Sans oublier que certains membres de l'establishment français dont le général De Gaulle et le Président de l'époque Valéry Giscard D'Estaing maintenaient des liens amicaux avec Bokassa358 • Il est établi d'ailleurs que le règne de ce dernier n'aurait pas pu se prolonger sans cette aide et ce soutien providentiels359 • À cet effet, on peut se demander pourquoi la France a tant tardé avant d'agir. Il était de notoriété publique que le gouvernement centrafricain était responsable de violations massives des droits de l'homme et ce, bien avant la publication du rapport accablant d'Amnistie internationale360 • En second lieu, certains analystes croient que le véritable motif de l'opération « Barracuda» était de sauvegarder les intérêts financiers de la France en République centrafricaine, notamment le commerce de métaux précieux. Puisque les liens économiques entre les deux pays étaient substantiels, la France privilégiait de saines relations avec les dirigeants centrafricains. Considérant que l'opposition à l'empereur devenait, en 1979, de plus en plus persistante, elle craignait qu'un coup d'État fomenté par des militants communistes ne survienne et qu'il vienne rompre ces liens361 • Par conséquent, il est permis d'affIrmer que l'intervention française en était une qui visait essentiellement à maintenir la République centrafricaine dans la sphère d'influence économique de la France362, pouvant être ultimement assimilée à du néocolonialisme363 • Ainsi, on ne peut ignorer les intérêts nationaux et économiques de 358 Rousseau, supra note 351, à la p. 362. 359 C'est à cette conclusion qu'en est venue le Président de la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée Nationale française en 1979. Pour lui, Bokassa « n'aurait pas pu, sans le soutien de la France, se prolonger comme il l'a fait et dans des conditions de plus en plus tragiques. » (Reproduite dans Ibid., à la p. 365.) 360 Ibid., aux pp. 361-62. 361 Weisburd, supra note 304, aux pp. 226-227. 362 Mark Weisburd la classe d'ailleurs dans ce type particulier d'intervention. (Ibid. à la p. 226.) 363 Dans un contexte politique plus large, la France avait effectué cinq interventions sur le continent africain depuis 1977, lui assurant un plus grand contrôle dans les affaires africaines. (Rousseau, supra note 351, aux pp. 364-65). 83 la France dans cette intervention. Au mieux, ses motivations étaient partiellement . . 364 h umanltalres . Quant au silence relatif de la communauté internationale en regard de cette violation flagrante de la souveraineté de la République centrafricaine, il révèle, tout comme l'épisode ougandais, que les États sont prêts à fermer les yeux lorsqu'il y a éviction d'un régime dictatorial particulièrement honni par le concert des nations. Cela, par contre, ne peut venir avaliser la légalité de l'action française car un silence n'équivaut pas au cautionnement d'un acte international non justifié et, à plus forte raison, d'un emploi de la force prohibé par la Charte de l'ONU. Comme le souligne Mark A. W. Weisburd dans son ouvrage: « The intervening state's motives may have been partly humanitarian, in view of the terrible repressive character of Bokassa's government, but they clearly were not entirely disinterested, given France's extensive economic interests in the target state and its reluctance to admit its role in the coup. » (Weisburd, supra note 304, à la p. 227.) 364 84 2. Analyse des cas d'« interventions humanitaires» de 1945 à 1989 Les quatre interventions étudiées ont un point en commun. On ne peut remettre en cause leur justesse et, pour la plupart d'entre elles, leurs bienfaits. Elles étaient toutes, en quelque sorte, un mal nécessaire, un remède contre des régimes politiques défiant toute décence humaine. Et elles ont toutes, excluant peut-être celle du Kampuchéa, servi relativement bien la cause des droits de 1'homme et celle de la démocratie. Leur opportunité et légitimité ne font aucun doute. Mais la question de déterminer leur légalité en est une autre. En vertu des canons du droit international, elle pose en effet problème. Comme il en a été question un peu plus haue65 , un droit d'intervention humanitaire nécessite deux éléments pour devenir une norme coutumière aspirant éventuellement à se substituer à l'article 2 (4) de la Charte: une pratique constante d'interventions humanitaires et la conviction, par une majorité d'États, que celle-ci soit rendue obligatoire par l'existence d'une règle de droie 66 • Or, chacun de ces éléments fait défaut lorsque l'on recense les divers incidents présumés d'interventions humanitaires survenus à l'occasion de la Guerre froide. Tout d'abord, l'intervention humanitaire, du moins telle que nous l'avons défini, a été très peu pratiquée durant cette période. Le seul épisode digne de mention est celui du Bengale oriental, mais il s'agit là d'une exception car le contexte politique de la Guerre froide a été dominé par la non-intervention, les droits de l'homme étant relégués au second plan. Dans un deuxième temps, l'absence flagrante d'opinio juris sive necessitatis constitue également une entrave majeure à l'établissement d'un droit coutumier. Et pour cause, un examen attentif de cas d'interventions armées de l'époque indique qu'aucun des pays intervenants n'a évoqué expressément un droit d'intervention humanitaire au soutien de son recours à la force et que, tout compte fait, très peu l'ont justifié officiellement par des considérations humanitaires367 • Voir ci-dessus à la p. 52. du Plateau continental de la Mer du Nord (Danemark et Pays-Bas c. RFA), arrêt, [1969] C.U. rec. 4 à la p. 44. Ce principe a été repris dans l'avis sur le Nicaragua. (Nicaragua, supra note 22, à la p. 109). 367 Seulement l'Inde lors de son implication dans le conflit pakistanais, l'Égypte et les pays arabes à l'occasion de leur intervention en Palestine en 1948 ont motivé leur action par un argumentaire humanitaire. Voir le relevé que font les auteurs Arend et Beck des cas potentiels d'intervention humanitaire durant la période de la Guerre froide. (Arend et Beek. supra note 101.) 365 366Affaire 85 Ainsi, même s'il était opportun de le faire, ces États ont préféré reculer et avancer d'autres arguments juridiques plus conventionnels comme la légitime défense, l'invitation d'une autorité gouvernementale compétente ou encore la protection de leurs nationaux368 • C'est bien à cette conclusion qu'en vient un document de travail publié en 1984 par le Foreign and Commonwealth Office du Royaume-Uni. Il conclut que la pratique internationale après 1945 constitue une base incertaine en ce qui concerne l'émergence d'un droit d'intervention humanitaire, notamment en raison du fait que les États ne revendiquent pas les bénéfices humanitaires d'une intervention et qu'ils prétèrent souvent invoquer un droit de légitime défense comme dans le cas de l'Inde au Bengale oriental et de la Tanzanie en Ouganda369. Cette attitude de s'en tenir à des justifications moins controversées que la doctrine d'intervention humanitaire constituant souvent des exceptions reconnues à l'article 2 (4) montre que les États demeuraient, au temps de la Guerre froide, attachés à l'interdiction générale de recourir à la force et qu'ils n'étaient pas prêts à y reconnaître certaines failles 37o . Ce constat est tout particulièrement fatal aux partisans de l'intervention humanitaire car, comme l'a souligné la CU dans un passage de l'Avis sur les activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, c'est la nature des justifications juridiques invoquées par les États et non leurs actes sur le terrain ou leurs motivations politiques obscures ou réelles comme le propose quelques auteurs37 1, qui doit être sondée 368 O'ConneU, supra note 200, à la p. 447; Ronzitti, supra note 52, aux pp. 108-109. Les auteurs Arend et Beek mentionnent également le fait que plusieurs des États qui avaient, dans un premier temps, émis des justifications humanitaires se seraient par la suite rétractés lorsqu'il était temps de présenter une arlumentation plus juridique. (Arend et Beek, Ibid., aux pp. 129-130). 36 Il Y est écrit que : «The state practice to which advocates of the right of humanitarian intervention have appealed provides an uncertain basis on which to rest such a right. Not least this is because history has shown that humanitarian ends are almost always mixed with other less laudable motives for intervening, and because often the "humanitarian" are either not claimed by the intervening state or are only put forward as an ex post facto justification of the intervention. [ ... ] The two most discussed instances of alleged humanitarian intervention since 1945 are the Indian invasion of Bangladesh in 1971 and Tanzania's "humanitarian intervention" invasion ofUganda in 1979. But, although both did result in unquestionable benefits for, respectively, the peoples of East Bengal and Uganda, India and Tanzania were reluctant to use humanitarian ends to justity their invasion of a neighbour's territory. Both preferred to quote the right to self-defence under Article 51.». (Planning Staff of the Foreign and Commonwealth Office, « Is Intervention Ever Justified ?» (internai document), released as Foreign Policy Document No 148, reproduit dans (1986) 57 British Yearbook International Law 614, aux pp. 614-15. [Document des affaires étrangères de la Grande-Bretagne] 370 Schachter, supra note 165, à la p. 1633. 371 Voir notamment Anthony, D'Amato, The Concept ofCustom in International Law, Ithaca, Comell University Press, 1971, à la p. 88 [D'Amato]; Téson, supra note 17, aux pp. 192-193 et Karol Wolfke, Custom in Present International Law, 2nd ed., Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1993, à la p. 42. [Wollke] 86 lorsqu'il est temps d'évaluer l'opinio juris des États à l'égard d'une nouvelle pratique internationale ; La signification pour la Cour de comportements étatiques à première vue inconciliables avec le principe de non-intervention réside dans la nature du motif invoqué comme justification. L'invocation par un Etat d'un droit nouveau ou d'une exception sans précédent au principe pourrait, si elle était partagée par d'autres Etats, tendre à modifier le droit international coutumier. En réalité la Cour constate cependant que les Etats n'ont pas justifié leur conduite en prenant argument d'un droit nouveau d'intervention ou d'une exception nouvelle au principe interdisant celle-ci. A diverses occasions les autorités des Etats-Unis ont clairement exposé les motifs qu'elles avaient d'intervenir dans les affaires d'un Etat étranger [... ]. Mais il s'agissait là de l'exposé de considérations de politique internationale et nullement de l'affinnation de règles du droit international actuel. 372 [Nous soulignons] Ce fait est constamment omis par la doctrine favorable au droit d'intervention humanitaire qui prétend, parfois, que certaines interventions armées suivant la deuxième Guerre mondiale doivent être qualifiées d'humanitaires car les États impliqués auraient pu ou auraient dû se réclamer d'un tel droiiJ73 • Qu'on le veuille ou non, la réalité démontre clairement que ces États ne l'ont pas fait. Ce même courant doctrinaire fait également abstraction d'un autre élément qui tend à établir l'absence d'opinio juris. La communauté internationale a, plus souvent qu'autrement, condamné ces interventions malgré le fait que plusieurs d'entre elles ont permis d'enrayer de graves violations des droits de l'homme374 • Et lorsqu'une minorité d'États les ont appuyées, ils ne l'ont pas fait au nom d'un droit d'intervention humanitaire, mais reprenaient, la plupart du temps, les mêmes arguments moins 375 controversés formulés par les États intervenants • Ceci dit, il reste que la communauté internationale est demeurée, à quelques occasions, silencieuse devant certains emplois de la force armée visant à déposer des dictateurs particulièrement cruels. Nous pensons ici à Idi Amin Dada et à Bokassa. Si cette passivité sporadique Nicaragua, supra note 22, à la p. 110. Voir également les arrêts suivants de la CU : Droit d'asile (Colombie c. Pérou), arrêt au fond, [1950] C.U. ree. 266, à la p. 277; Droits des ressortissants des États-Unis d'Amérique au Maroc (France c. Etats-Unis), arrêt au fond, [1952], C.U. ree. 176 à la p. 200. 373 Gray, supra note 32, à la p. 32. 374 Ronzitti, supra note 52, aux pp. 109-110. L'exemple du Kampuchéa est sûrement le cas le plus éloquent en la matière. 375 Arend et Beek, supra note 101, à la p. 130. 372 87 des États ne peut s'assimiler à une quelconque fonne d'acquiescement de la doctrine de l'intervention humanitaire (après tout, la Tanzanie et la France n'ont nullement fondé leur action par cette exception humanitaire), elle indique une tolérance plus grande envers certaines interventions nécessaires d'un point de vue moral et politique. Quoiqu'il en soit, les différentes interventions années survenues aux cours de la période sous étude révèlent non seulement le nombre limité, voire inexistant, de réelles interventions humanitaires376 mais surtout l'absence d'une opinio juris témoignant de la naissance d'une coutume en ce sens. Pour reprendre les tennes de la CU, les États n'ont pas exprimé, et c'est là une évidence, la conviction qu'un droit d'intervention humanitaire était devenu obligatoire. Plusieurs auteurs sont d'opinion que cette période n'a accouché d'aucun cas réel d'intervention humanitaire. (Derek W. Bowett, « The Use of Force for the Protection of Nationals Abroad» dans Cassese, supra note 301, à la p. 60; Chesterman, supra note 55, à la p. 84; Gray, supra note 32, aux pp. 31-33; Arend et Beek, supra note 101, à la p. 129; Ronzitti, supra note 52, à la p. 108.) 316 88 3. Les cas présumés d' « interventions humanitaires» depuis 1990 a) La CEDEAO au Libéria en 199(f77 Peu de temps après la fm de la Guerre froide, un premier cas d'intervention armée humanitaire est survenu en Afrique, celui de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) dans la guerre civile libérienne. Moins discutés dans la littérature juridique que les épisodes de l'Irak en 1991-92 et du Kosovo en 1999 dont les descriptions suivront, les événements du Libéria sont pourtant significatifs. C'est en effet le première intervention humanitaire menée par une coalition d'États depuis l'adoption de la Charte en 1945. Voyons ce qu'il en est. Le Libéria bascula dans la guerre civile le 24 décembre 1989 lorsque Charles Taylor, un ancien ministre déchu, traversa la frontière entre la Côte-d'Ivoire et le Libéria à la tête d'une poignée de rebelles dans le but déclaré de déposer l'impopulaire Président du moment, Samuel Doe. Mais ce qui n'était au départ qu'une incursion insignifiante aux yeux du gouvernement devint en l'espace de quelques mois une véritable insurrection. L'armée incapable d'en finir avec le Front national patriotique du Libéria (NPFL 378 ) que Taylor avait institué commença à s'en prendre à la population civile de la province de Nimba composée principalement des ethnies Gio et Mano, réputées sympathisantes du NPFL 379 • Cette politique fut mauvaise conseillère car le conflit s'intensifia, de nombreux civils gonflèrent les rangs des insurgés. Fort de ces nouvelles recrues, le Front national patriotique prit le contrôle de la province de Nimba puis progressivement du reste du pays, tuant sur son passage de nombreux Sur le cas libérien, voir généralement les ouvrages suivants: Murphy, supra note 6, aux pp. 146 à 165; Abiew, supra note 76, aux pp. 200 à 212; Gray, supra note 32, aux pp. 302 et ss.; Marc WeIler, (dir.), Regional Peacelœeping and International Enforcement: The Liberian Crisis, Cambridge, Cambridge University Press, 1994 [WeBer]; David Wippman, « Enforcing the Peace: ECOWAS and the Liberian Civil War)} dans Lori Fisler Damrosch, dir., Etiforcing Restraint: Collective Intervention in Internai Cotiflicts, New York, Council on Foreign Relations Press, 1993 157 [Damsrosch]; Anthony Chukwuka Odofile, « The Legality of ECOWAS Intervention in Liberia» (1994) 32(2) Columbia Journal of Transnational Law 381 [Odorde]; Antoine-Didicr Mindua, « Intervention année de la CEDEAO au Libéria: illégalité ou avancée juridique )} (1995) 7(2) Revue Africaine de Droit International et Comparé 257 [Mindua]; Jeremy Levitt, « Humanitarian Intervention by Regional Actors in Internal Conflicts: The Cases of ECOWAS in Liberia and Sierra Leone)} (1998) 12(2) Temple International and Comparative Law Journal 333 [Levitt]. 378 En anglais, ce patronyme signifie National Patriotic Front of Liberia. 379 Selon un diplomate occidental présent à l'époque au Libéria: «The arrny started shooting and hacking at anyone they thought was a rebel. They didn 't care if they were civilians or not. From ail accounts, they were cornmitting real atrocities ». (K. Noble, «Masses of Liberians Refugees Flee Rebellion and Reprisai Killings» New York Times (31 janvier 1990) Al.) 377 89 fonctionnaires et partisans de Doe. Lorsqu'en juin les troupes de Taylor s'approchèrent de la capitale Monrovia, où étaient retranchés le Président et les derniers officiers de l'année, un troisième groupe annë 80, qui avait fait scission avec le Front patriotique, entra dans la mêlée. Ce groupe était dirigé par un certain Prince Johnson. L'arrivée de ce troisième joueur ralentit l'avancée des hommes de Taylor et prolongea le calvaire de la population laissée à elle-même. Aucune des trois factions n'avait la capacité ni le pouvoir d'assurer les services de première nécessité au peuple libérien car chacune contrôlait une partie distincte du territoire. Résultat: la situation humanitaire était devenue catastrophique. Une brève description nous est donnée par Sean D. Murphy : [C]ombatants were not physicaIly distinguishable from non-combatants, and targeting on ail sides was indiscriminate. Civil administration, social services, and economic activities (including the banking system) throughout the country began to disintegrate, and shortages of foreign exchange virtually precluded the import of food, fuel, and other essential consumer goods. It was believed that eventually widespread disease would break out. Massive numbers of civilians continued to flee to Monrovia for protection, more than doubling its population, while others left the country.381 Après sept mois d'un conflit extrêmement cruel au cours duquel on ne faisait pas la distinction entre les combattants et les civils, 5 000 personnes étaient mortes et près de 60 % des 2.6 millions de libériens s'étaient réfugiés en Côte-d'Ivoire, en Guinée et au Sierra Leone ou étaient déplacés à l'intérieur du pays382. Tout au long du conflit, diverses tierces parties tentèrent de convaincre les belligérants de renouer le dialogue dans l'espoir de dénouer la crise. Ces discussions achoppèrent principalement en raison du refus du Président Doe de rencontrer les demandes des rebelles, à savoir de démissionner de son poste. Alors même qu'il était confiné dans son palais présidentiel et était encerclé par les forces de Taylor, il refusait toujours d'abdiquer. Il espérait toujours une intervention extérieure. Près de la chute, il multiplia les appels en ce sens. Il demanda l'aide, en outre, de l'ONU et des 380 381 382 Independent National Patriotic Front of Liberia (ci-après le INPFL) Murphy, supra note 6, à la p. 148. Keesing's Record ofWorld Events, Vol 36 (1990) à la p. 37601. 90 États-Unis. En mai, le Libéria tenta de saisir le Conseil de sécurité de la question, mais le Zaïre et l'Éthiopie, tous deux membres du Conseil cette année-là, s'opposèrent à cette requête. Ils craignaient qu'une éventuelle intervention de l'ONU ne serve de précédent pour leur pays respectif 83 • Les autres membres du Conseil n'étaient guère plus intéressés à intervenir dans le conflit au Libéria puisque la crise ne fut même pas discutée. Un peu plus tard, les États-Unis, pourtant son allié historique384, refusa d'envoyer ses marines affirmant que la désintégration du Libéria était une affaire interne. N'ayant plus d'intérêt stratégique spécifique au Libéria depuis le déclin politique de l'URSS385 , Washington jugeait chacune des trois factions inapte à gouverne~86. L'action américaine se résuma à une opération d'évacuation de citoyens américains et de certains étrangers résidant au Libéria. Devant ce manque de volonté des États-Unis et de l'ONU, tous deux préoccupés par l'invasion irakienne du Koweil, la CEDEAO, une organisation sousrégionale d'intégration économique regroupant seize pays de l'Afrique de l'Ouesf87 , décida de s'impliquer activement dans le conflit libérien. A l'occasion de sa réunion annuelle de 1990, la CEDEAO ordonna l'établissement d'un comité permanent de médiation chargé d'étudier les conflits survenant au sein de la communauté. Ce dernier se mit immédiatement à l'ouvrage et choisit de se pencher sur le Libéria. Dans un premier temps, il tenta sans succès de trouver une issue pacifique à la guerre civile qui faisait rage. Ensuite, quelques semaines après avoir reçu une requête officielle du Président Doe demandant à la CEDEAO qu'elle envoie une force de maintien de la paix, le comité convint le 7 août de prendre des mesures concrètes afin de mettre fin à l'état d'anarchie dans lequel était le Libéria. Le comité alla cependant bien au-delà de la requête du Président Doe. Premièrement, il exigea que les parties observent immédiatement un cessez-le-feu. Ensuite, il créa une force d'intervention nommée 383 Abiodun Aloa, The Burden of Collective Goodwill: The International Involvement in the Liberian Civil War, Aldershot, Ashgate, 1998, à la p. 101. 384 Fondé en 1822 par des esclaves noirs libérés des États-Unis avec l'aide du Président Monroe, le Libéria a toujours maintenu des liens particuliers avec les États-Unis. 385 Le gouvernement américain avait pourtant soutenu militairement le régime de Doe au cours des années 80. (Voir Statement of Hon. Herman J. Cohen, Assistant Secretary of State, Bureau of African A/lairs reproduit dans WeUer, supra note 377, à la p. 46.) 3 ~avid Wippman, « Enforcing the Peace: ECOWAS and the Liberian Civil War » dans Damrosch, sUfra note 377, à la p. 165. 38 La CEDEAO a été instituée en 1975. Ses membres sont le Bénin, le Burkina Faso, le Cape Verde, la Côte-d'Ivoire, la Gambie, le Ghana, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Libéria, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Nigéria, le Sénégal, le Sierra Leone et enfin le Togo. 91 ECOMOO388 chargée de maintenir la paix, de rétablir l'ordre et la loi et de surveiller le cessez-le-feu. Enfm, il demanda à Samuel Doe de démissionner afin qu'une conférence nationale composée des représentants des divers partis politiques du Libéria forme, au plus tôt, un gouvernement par intérim jusqu'à ce qu'une élection libre et supervisée par la communauté internationale puisse avoir lieu 389 • Après deux semaines de préparation, le comité agissant au nom de la CEDEAO déploya le 24 août un premier contingent de 3 500 hommes à Monrovia390, alors même qu'aucun cessez-le-feu n'avait été conclu et que le NPFL y était fermement opposé. Trois jours plus tard, la conférence nationale fut initiée telle que prévue. À cette occasion, les participants, notant qu'il n'y avait pas de gouvernement en place au Libéria, déclara la suspension de certaines dispositions de la constitution, nomma un gouvernement provisoire devant être dirigé par Amos Sawyer et adopta à l'unanimité le plan de paix édicté quelques jours plus tôt par le comité permanent de médiation391 • L'annonce de cette conférence n'a cependant pas arrêté la détermination des troupes de Taylor puiqu'avant même qu'elle ne débute ses troupes attaquèrent les forces de l'ECOMOG. Ces dernières les repoussèrent à l'extérieur de Monrovia et purent établir un sanctuaire humanitaire, acheminer l'aide à la population et mettre en place le gouvernement intérimaire d'Amos Sawyer. Lors des affrontements subséquents avec le NPFL au courant de l'automne 1990, l'ECOMOG, prétendument une mission de maintien de la paix, prit part directement au conflit. Elle utilisa la force de manière agressive, c'est-à-dire en dehors des situations de légitime défense et elle combattit aux côtés de l'armée et des forces de Johnson contre le NPFL 392 • Elle fut d'ailleurs le premier belligérant à user de 388 Mindua traduit ECOMOG qui signifie en anglais « ECOWAS monitoring Group» de la manière suivante: « Groupe d'observation de la CEDEAO». (Mindua, supra note 377, à la p. 258 (note 5)). 389 ECOWAS, Standing Mediation Committee, Final Communiqué of the tirst session, Aug. 7, 1990, ~aras. 10-14, 18 reproduit dans Weiler, supra note 377, à la p. 73. [Communiqué] Ces premiers soldats étaient originaires de la Gambie, du Ghana, de la Guinée, du Nigéria et du Sierra Leone. 391 Final Communiqué of the National Conference of AU Liberian Political Parties, Patriotic Front's, Interest Groups and Concerned Citizens, Banjul, Republic of the Gambia, August 27-September 1, 1990, pp. 25-26 tel que cité dans David Wippman, « Enforcing the Peace: ECOWAS and the Liberian Civil War» dans Damroscb, supra note 377, à la p. 168. 392 David Wippman, « Enforcing the Peace: ECOWAS and the Liberian Civil War» dans Damroscb, supra note 377, à la p. 169. 90 92 frappes aériennes, bombardant les positions des rebelles hors de Monrovia393 • Ces offensives portèrent fruit puisqu'elles forçèrent le NPFL à s'entendre sur les termes d'un cessez-le-feu lors d'une session extraordinaire de la CEDEAO en novembre 1990394 • Néanmoins, la paix ne dura guère et les attaques sporadiques du NPFL continuèrent encore quelques années malgré la conclusion d'une série d'accords 395 et l'implication de l'ONU396 dans le processus de paix. Ce n'est finalement qu'en 1996, avec les accords de paix d'Abuja II et l'élection à la présidence de Charles Taylor l'année suivante, qu'un semblant d'accalmie put être établi au Libéria, avant qu'à son tour, ce dernier dû démissionner de son poste en août 2003 suite aux pressions internationales et à l'opposition armée de groupes rebelles. Encore une fois, la CEDEAO dut envoyer des forces de maintien de la paix 397 • La CEDEAO n'a offert aucune justification juridique au moment d'intervenir 398 au Libéria • Néanmoins, son comité permanent de médiation a dans son communiqué du 7 août fourni un résumé des circonstances qui l'aurait poussé à s'investir dans la guerre civile du Libéria : The failure of the warring parties to cease hostilities has led to the massive destruction of property and the massacre by aIl the parties of thousands of innocent civilians including foreign nationals, women and children, sorne of whom had sought sanctuary in churches, hospitals, diplomatic missions ans under Red Cross protection, contrary to aIl recognised standards of civilised behaviour. Worse still, there are corpses lying unburied in the streets of cities and towns, which could lead to a serious outbreak of an epidemic. The civil war has also trapped thousands of foreign national s, including ECOWAS citizens, without any means of escape or protection. K. Noble, « Ghana Is Said to Strike Liberian Rebels» New York Times (17 septembre 1990) A3. ECOWAS, Authority of Heads of State and Governments, Decision A/DEC.l/Il/90 Relating to the Approval of the Decision of the Community Standing Mediation Committee Taken During its First Session from 6 to 7 August 1990, Bamako, Republic of Mali, November 29 1990 reproduit dans Weiler, supra note 377, à la p. II 1. 395 C'est-à-dire l'Accord de Yamousskra IV d'octobre 1991, l'Accord de Cotonou de juillet 1993, l'Accord d'Akosonbo de septembre 1994, l'Accord d'Accra de décembre 1994 et enfin l'Accord d'Abuja en août 1995. Pour plus de détails voir Murpby, supra note 6, aux pp. 153 à 158 et Abiew, s':l'ra note 76, aux pp. 203-04. 393 394 3 Une mission d'observation fut envoyée au Libéria par l'ONU. La MONUL avait notamment pour mandat de surveiller l'impartialité de l'ECOMOG qui, elle avait la responsabilité de superviser l'application de l'entente de Cotonou de 1993. (Voir Rés. CS 866, Doc. Off. CS NU, Doc. NU AlRES/866 (1993).) 397 Voir sur les événements de 2003 notamment Gray, supra note 32, aux p. 308 et 321. 398 Par contre, le Président en exercice de la CEDEAO, Jawara, rejeta l'affirmation que l'ECOMOG était une force d'invasion et déclara que la mission était principalement humanitaire. (David Wippman, « Enforcing the Peace: ECOWAS and the Liberian Civil War» dans Damroscb, supra note 377, à la p. 179.) 93 The result of ail this is a state of anarchy and the total breakdown of law and order in Liberia. Presently, there is a government in Liberia which cannot govern and contending factions which are holding the entire population as hostage, depriving them of food, hea1th facilities and other basic necessities of life. These developments have traumatised the Liberian population and greatly shocked the people of the sub-region and the rest of the international community. They have also led to hundreds of thousands of Liberians being displaced and made refugees in neighbouring countries, and the spilling ofhostilities into neighbouring countries. 399 Ces fondements représentent un excellent condensé des motifs exprimés subséquemment par les États membres de la CEDEA04OO • Ceux-ci auraient formulé une série de justifications reprenant les préoccupations du comité, à savoir la nécessité d'arrêter les massacres de civils, de sauvegarder la stabilité régionale, de rétablir l'ordre et de secourir leurs nationaux séjournant au Libéria401 • Bien que toutes ces causes aient été invoquées, il ressort des déclarations officielles de ces pays que la sécurité des libériens a été la principale justification avancée402 , quoique des considérations de stabilité régionale soient revenues avec une certaine régularité 403 • Le Nigéria, le principal acteur et pourvoyeur404 de l'intervention de la CEDEAO, a affirmé dans un rapport soumis au Conseil de sécurité relativement à l'établissement de l'ECOMOG qu'il avait pour premier objectif d'arrêter le massacre 405 d'innocents et d'aider les libériens à restaurer leurs institutions démocratiques • Un discours à caractère humanitaire que le Nigéria aurait répété sur diverses tribunes aux cours des mois qui ont suivi l'intervention406, tout comme d'ailleurs la Gambie407 et la Communiqué, supra note 389, aux paras 6 à 8. Ces fondements ne peuvent servir par contre de justifications juridiques. En effet, au moment où le comité émit son communiqué, il n'était pas encore question que l'ECOMOG intervienne sans la conclusion du cessez-le-feu ou l'accord de tous les belligérants. (David Wippman, « Enforcing the Peace: ECOWAS and the Liberian Civil War» dans Damrosch, supra note 377, à la p. 177.) 401 Ibid., à la p. 176. 399 400 402 Ibid., à la p. 181. Mindua, supra note 377, aux pp. 258-260. Le Nigéria était le principal pourvoyeur en soldats et en argent. 405 Le représentant du Nigéria aurait alors affirmé: « ECOMOG is going to Liberia first and foremost to stop the senseless killing of innocent civilian nationaIs and foreigners and to help the Liberian people to restore their democratic institutions. The ECOWAS intervention is in no way designed to save one part or to punish another». (Letter from the Permanent Representative of Nigeria to the United Nations addressed to the Secretary, 9 August 1990 reproduite dans WeUer, supra note 377, à la p. 75.) 406 Pour plus de détails voir notamment les sources suivantes: Abiew, supra note 76, à la p. 206 et Murphy, supra note 6, aux pp. 159-60. 403 404 94 Guinéé08• D'autres États ouest-africains, surtout les membres francophones de la CEDEA0409, ont plutôt opté pour une double justification. Ils étaient préoccupés non seulement par le sort des libériens mais aussi par l'effet que pouvait avoir la guerre civile au Libéria sur la stabilité régionale. Par exemple, le Chef de la diplomatie sénégalaise, Seydina, aurait dit le 24 août à un quotidien local que « [l]e principe de non-ingérence dans les affaires intérieures a été battu en brêche au nom de la paix sous régionale et de la nécessité d'arrêter des tueries inutiles »410. La seule note discordante au sein de la communauté des États ouest-africains fut celle du Burkina Faso, qui appuyait politiquement le front mené par Charles Taylor. S'opposant à l'intervention de la CEDEAO, le Président Blaise Compaore a dénoncé, au début du mois d'août, la décision du comité permanent déclarant qu'il « n'a nullement compétence pour connaître des conflits internes aux Etats» et que la CEDEAO ne devait pas intervenir avant d'avoir obtenu le consentement de toutes les parties impliquées dans la guerre civile au Libéria411 . Peu d'États tiers ont repris les doléances formulées par le Capitaine Compaore. Au contraire, parmi les pays qui se sont exprimés, un seul a condamné l'initiative de la CEDEA0412 tandis qu'un grand nombre l'a appuyée413 . Les commentaires les plus enthousiastes sur la légalité de l'intervention sont venus de l'Afrique. Pour un, l'OUA, Le Président de la Gambie aurait déclaré que l'ECOMOG n'était pas une force d'invasion et que son mandat était strictement humanitaire. (West Africa Magazine, November 26-December 2, 1990, at 2895 tel que cité dans Abiew, Ibid., aux pp. 205-206.) 408 Voir Horoya, Conakry, 4 août 1990 tel que cité dans Mindua, supra note 377, à la p. 259. 409 Les pays francophones de la CEDEAO (Burkina Faso, Côte-d'Ivoire, Mali, Sénégal et le Togo) excepté la Guinée auraient au début été opposés à l'initiative du comité permanent de médiation. Plusieurs soutenaient la guérilla de Taylor et la plupart d'entre eux craignaient que le Nigéria ne se serve de cette intervention pour étendre son influence dans la région (David Wippman, « Enforcing the Peace: ECOWAS and the Liberian Civil War» dans Damrosch, supra note 377, aux pp. 167-68). Ils se seraient par contre ralliés en novembre 1990 au sommet extraordinaire de la CEDEAO à Bamako au Mali. Il y aurait alors eu acquiescement unanime par les membres de la CEDEAO du plan de paix du comité permanent, de la création de l'ECOMOG et enfin de l'instauration du gouvernement intérimaire. (Ibid., p. 169) 410 Le Soleil, 24 août 1990 reproduit dans Mindua, supra note 377, à la p. 260 (note 19). 411 Sidwaya, Ouagadougou, 14 août 1990 reproduit dans Ibid., à la p. 259 et « Compaore Rejects ECOWAS Intervention », Ouagadougou Domestic Service, FBIS-AFR-90-157 (August 14, 1990) tel que cité dans David Wippman, « Enforcing the Peace: ECOWAS and the Liberian Civil War » dans Damrosch, supra note 377, à la p. 168. 412 Seule la Libye dirigée par le Colonel Khadafi semble avoir été défavorable à l'intervention de la CEDEAO. (Africa Report, May/June 1992, p. 53 tel que cité dans Mindua, supra note 377, à la p. 259.) 413 Dès le début de l'intervention de l'ECOMOG, de nombreux États et organisations internationales dont la Communauté européenne et les États-Unis encouragèrent la CEDEAO à poursuivre ses efforts de paix et financèrent l'opération de l'ECOMOG. (Murphy, supra note 6, à la p. 153). L'apport financier est venu principalement des États-Unis et de la Grande-Bretagne. 407 95 de la bouche de son Secrétaire général, Salim A. Salim, rejeta l'affmnation que la CEDEAO avait violé le principe de non-intervention inséré dans la Charte africaine. Il était d'avis au contraire que cette dernière permettait aux États africains d'être concernés lorsque des violations massives des droits de l'homme surviennent dans un autre pays membre414 • De la même manière, le Président du Zimbabwe, Robert Mugabe, et celui de l'Ouganda, Yoweri Museveni, exerçant également à l'époque la fonction de Président tournant de l'OUA, ont émis l'idée que la norme de nonintervention n'était pas absolue. Pour eux, elle serait inopérante lorsqu'aucun gouvernement n'est en mesure d'exercer de pouvoirs réels sur le territoire national comme ce fut le cas pour le gouvernement de Doe à l'été 1990415 • L'ONU, quant à elle, mit du temps à s'exprimer sur la question, même si la CEDEAO l'informa régulièrement de ses différentes actions. Le 22 janvier 1991, près de cinq mois après le début de l'intervention de l'ECOMOG, le Président du Conseil de sécurité loua les efforts déployés par la CEDEAO afin de promouvoir la paix et la stabilité au Libéria et demanda aux pays membres de l'ONU de coopérer avec l'organisation régionale416 • Ce communiqué laconique fut la seule réponse de l'ONU jusqu'en mai 1992417 • Et ce n'est qu'en novembre 1992, à la suite d'une requête du gouvernement intérimaire du Libéria, que les représentants du Conseil se réunirent et purent discuter plus amplement du cas libérien. L'administration Sawyer désirait que le Conseil impose un embargo sur les armes contre le NPFL. Lors des délibérations, les délégués présents ont appuyé et même félicité la CEDEAO pour son implication au Libéria418 • Le plus élogieux a été l'ambassadeur américain. Il aurait affirmé: Dans une entrevue, le Secrétaire général, Salim A. Salim, a déclaré au sujet de la Charte africaine: «You cannot use a clause of the charter to oppress the African and say that you are implementing the OAU charter. What has happened is that people have interpreted the charter as if to mean that what happens in the next house is not one's concern. This does not accord with the reality of the world)}. (<< Africa's Destiny », West Africa, October 22-28,1990, p. 2690 reproduite dans David Wippman, « Enforcing the Peace: ECOWAS and the Liberian Civil War » dans Damroscb, supra note 377, à la p. 181.) 415 Voir leurs déclarations dans David Wippman, « Enforcing the Peace: ECOWAS and the Liberian Civil War)} dans Damroscb, supra note 377, à la p. 182. 416 Dans une note, le Président du Conseil de sécurité a notamment écrit: «The members of the Security Council commend the efforts made by the ECOWAS Heads of State and Government to promote peace and normalcy in Liberia ». (Note by the President of the Security Council, Doc. Off. SC UN, Doc. S/22133 (1991». 417 Dans une seconde note, le Président du Conseil de sécurité a exprimé son appui à l'Accord de paix de Yamoussoukro IV. Voir à ce sujet Murpby, supra note 6, à la p. 153. 418 47 UN S.C.O.R., 3138th meeting, nov. 19 1992; U.N. Doc. SIPV.3138. Seul le représentant du Burkina Faso contesta explicitement la légalité de l'intervention de l'ECOMOG. Pour plus de 414 96 [W]e must not lose sight of what ECOWAS has accompli shed through intervention and negotiation. The dispatch of a six-nation West African peace-keeping force in August 1990 demonstrated unprecedented African determination to take the lead in regional conflict resolution. ECOMOG ended the killing, separated the warring factions, allowed relief assistance to flow to avert starvation and established a cease-fire and framework for peaceful negotiations [ ... ] Although the dispatch of peace-keeping forces to Liberia was a decision taken by the ECOWAS Governments on their own initiative, we have supported this effort from its inception. 419 Ce dernier aurait même suggéré que l'intervention de la CEDEAO constituait un modèle pour de futures interventions régionales. Un avis partagé, en quelque sorte, par les délégués de la Chine et de la Russie qui étaient d'opinion que l'action d'une organisation régionale était un recours peut-être plus réaliste en pareilles circonstances42o • Au terme de cette réunion, l'embargo fut accordé par le Conseil de sécurité, qui remercia la CEDEAO pour les «efforts qu'elle fait pour rétablir la paix, la sécurité et la stabilité au Libéria »421. Cette approbation générale de l'intervention de la CEDEAO au Libéria est dfficilement compréhensible d'un point de vue juridique, car elle ne peut être strictement définie comme une mission de maintien de la paix. Même s'il est vrai qu'au cours des six années de sa présence au Libéria, l'ECOMOG a agi plus souvent qu'autrement à titre de force de maintien de la paix, elle a, à quelques reprises, dépassé cette fonction que lui avait attribué le comité permanent au début du mois d'août 1990. Dans les faits, loin d'être neutre, impartiale et passive, l'ECOMOG a joué un rôle déterminant dans l'issue de la guerre civile tout particulièrement à l'été et à l'automne 1990. Créée au début du mois d'août par le comité permanent dans le but de mettre en œuvre un cessez-le-feu qui n'existait pas, l'ECOMOG dut, après plusieurs tentatives infructueuses de régler pacifiquement le conflit, imposer la paix par la voie armée et prendre position dans la guerre civile en raison de l'opposition du NPFL422. précisions voir notamment David Wippman, « Enforcing the Peace: ECOWAS and the Liberian Civil War» dans Damrosch, supra note 377, à la p. 185. 419 47 UN S.C.O.R., 3138th meeting, nov. 19 1992; U.N. Doc. SIPV.3138, aux paras 74-76. 420 Ibid. 421 Voir Rés. CS 788, Doc. Off. CS NU, Doc. NU AlRES/788 (1992), au para. 1. [Résolution 788] 422 Avant même que les troupes n'atterrissent à Monrovia, le NPLF, voyant la victoire proche, était opposé à l'implication de la CEDEAO. Charles Taylor affirma qu'il luttera jusqu'au dernier homme 97 Elle mena une offensive majeure contre les hommes de Taylor avec l'aide de l'armée et du INPFL de Prince Johnson, forçant ainsi Taylor à accepter les termes d'un cessezle-feu au mois de novembre 1990. Il ne s'agit pas là d'une force de maintien de la paix dans le sens où on l'entend habituellement. Dans son acception classique423 , ce type d'opération est établi suivant la signature d'un accord de paix et nécessite le consentement de toutes les parties au conflit armé424 , deux éléments qui faisaient défaut en l'espèce. En plus de ces deux attributs, une mission de maintien de la paix n'est autorisée à utiliser la force uniquement en cas de légitime défense425 • Enfin, elle doit être neutre et ne favoriser aucune des parties impliquées dans les hostilités426 • On ne peut donc assimiler les actions de l'ECOMOG à l'été et l'automne 1990 à des opérations de maintien de la paix, surtout qu'à l'époque aucun traité sous-régional ne permettait à la CEDEAO d'envoyer une force de maintien de la paix sur le territoire d'un de ses membres427 • En fait, on saurait difficilement trouver un fondement juridique à l'intervention de l'ECOMOG. Premièrement, la CEDEAO n'est pas intervenue au Libéria conformément à la volonté de ses dirigeants politiques, ce qui, dans le cas contraire, aurait pu constituer une exception à la règle de non-intervention dans les affaires 428 intérieures des États • Si le Président Doe a requis au mois de juin des autorités ouest-africaines qu'elles lui envoient un contingent de soldats de maintien de la paix afin de l'aider dans sa lutte contre le NPFL, il n'a pas été consulté lorsque plus d'un mois plus tard le comité permanent décida unilatéralement d'imposer son plan de paix prévoyant sa destitution. Ensuite, même si des doutes persistent à l'effet qu'il aurait accepté cette présence étrangère dans les jours précédents l'intervention de pour défendre le Libéria de cette intrusion étrangère. (Voir à ce sujet David Wippman, « Enforcing the Peace: ECOWAS and the Liberian Civil War » dans Damrosch, supra note 377, à la p. 167). La plupart des membres du Comité permanent étaient déterminés à aller de l'avant en dépit du refus de Charles Taylor. Le Président de la Guinée déclara dans un énoncé au début du mois d'août: « [W]e have [ ... ] decided that whether they [the NPFL] like it or not, the ECOWAS should accomplish its mission». (<< Conte Retums From Banjul ECOWAS Summit», Conakry Domestic Service, FBISAFR-153 (August 8,1990), p. 45 reproduit dans Ibid.) 423 Pour plus de détails voir notamment Emmanuelli, supra note 21. 424 Sur la nécessité du consentement des parties voir notamment Gray, supra note 32, aux pp. 232 et ss. et Odofile, supra note 377, aux pp. 412-13. 425 Gray, Ibid., à la p. 236. 426 Odofile, supra note 377, à la p. 413. 427 Mindua, supra note 377, aux pp. 277-78. 428 Voir ci-dessus à la p. 10. 98 l'ECOMOG429, il demeure que la CEDEAO n'a jamais fait référence à la lettre de Doe du mois de juin ou encore à son éventuel consentement subséquent au moment d'intervenir. Elle n'a d'ailleurs pas agi par la suite comme si elle appuyait son gouvernement430 . Deuxièmement, le traité fondateur de la CEDEA043 1, tout comme d'ailleurs ses deux protocoles additionnels, celui de non-aggression de 1978 et d'assistance mutuelle de défense de 1981, n'autorisaient nullement la CEDEAO, une organisation sous-régionale ayant principalement une vocation de développement économique, à déployer une force multinationale à l'occasion d'un conflit interne se déroulant sur le territoire d'un de ses pays membres432 . Il n'est donc pas surprenant que les États participants au comité permanent n'aient pas au moment de la création de l'ECOMOG cité ces instruments au soutien de leur décision433 . On s'explique mal, par contre, l'affirmation du Secrétaire général de l'ONU à l'effet que la CEDEAO aurait agi en fonction des protocoles de 1978 et de 1981 lorsqu'elle a établi l'ECOMOG434 . Car, dans les faits, la CEDEAO a excédé son mandat. L'action de la CEDEAO ne pouvait également être autorisée par la Charte africaine, en dépit de l'opinion contraire exprimée par son Secrétaire général et par quelques Chefs d'États africains. Cela allait Certains articles de presse le laissent entendre (Nine Months of Liberian Conflict, Africa News, Sept. 17, 1990 tel que cité dans Odof"de, supra note 377, à la p. 384). D'autres, par contre, affinnent le contraire. (K. Noble, « Liberia Leader, Rejecting Truce Offer, Won't Quit» New York Times (21 août 1990) AIL) 430 Levitt, supra note 377, à la p. 350. 431 Le nom exact en français de ce traité constitutif est le Traité de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest. Pour un aperçu de la version anglaise du traité voir Treaty of the Economie Community of West African States, May 28th 1975, U.N.T.S. 17, 14 I.L.M. 1200 reproduit dans WeUer, supra note 377, à la p. 1. 432 Ces divers instruments et tout particulièrement les deux protocoles additionnels qui traitent davantage des questions de sécurité, ne pennettaient pas à la CEDEAO d'intervenir par la force dans une guerre purement interne d'un de ses membres. En fait, la seule disposition significative qui aurait pu amener une action semblable de l'organisation dans ce cas de figure est l'article 4b) du Protocole d'assistance mutuelle de défense de 1981. Ce dernier pennet à la communauté d'intervenir lorsqu'un conflit interne est orchestré ou est supporté par un État non membre et qu'il risque de menacer la stabilité de l'Afrique de l'Ouest. Ce qui est le cas pour le Libéria puisque la Libye soutenait clairement les rebelles de Charles Taylor. Mais ce protocole stipule au même article, ainsi qu'à d'autres endroits 429 dans le texte, que toute décision de l'Autorité de la CEDEAO doit être prise en étroite collaboration avec les autorités compétentes du pays membre affecté par la guerre civile. Comme on le sait, la CEDEAO n'a aucunement collaboré avec le Président Doe lorsque son comité pennanent énonça son plan de paix au début mois d'août 1990. Au contraire, le plan prévoyait la destitution du Président Doe. 433 Seule la Côte-d'Ivoire aurait, à un moment ou à un autre, justifié l'intervention de l'ECOMOG par l'article 4b) du Protocole d'assistance mutuelle de défense de 1981 lors des débats au Conseil de sécurité précédant l'adoption de la résolution 788 en novembre 1992. Voir à cet effet, Murphy, supra note 6, à la p. 161. 434 United Nations, Report of the Secretary-General on the question of Liberia, 12 March 1993 reproduit dans Weiler, supra note 377, à la p. 283. 99 directement à l'encontre de son principe de non-intervention qui jusqu'alors avait toujours été interprété de manière restrictive435 • Ainsi, la CEDEAO n'avait pas, par ses propres règles ou encore celles de son grand frère panafricain, l'assise juridique nécessaire pour intervenir. Mais même si elle la détenait, encore aurait-il fallu qu'elle obtienne en tant qu'organisation sous-régionale436 l'autorisation préalable du Conseil de sécurité, étant donné que son recours à la force allait au-delà de la légitime défense et qu'il ne découlait pas d'une invitation valable d'un gouvernement. L'article 53 (1) de la Charte de l'ONU prévoit en effet qu' « aucune action coercitive ne sera entreprise en vertu d'accords régionaux ou par des organismes régionaux sans l'autorisation du Conseil de sécurité ». Or, comme nous l'avons mentionné un peu plus tôt, la résolution 788 est survenue plus de deux ans après le déploiement initial de l'ECOMOG et ne traite aucunement de son utilisation agressive de la force à la fin de 437 l'été 1990 438 Libéria • • Pas plus d'ailleurs que les résolutions subséquentes qui concernent le Il faut comprendre que ces diverses résolutions ont été adoptées dans un tout autre contexte, c'est-à-dire suivant l'imposition de cessez-le-feu et la conclusion d'accords de paix, alors que l'ECOMOG était devenue une réelle force de maintien de la paix439 • Considérant ce qui précède, on peut difficilement conclure que la résolution 788, comme celles qui l'ont suivie, autorise de quelque manière que ce soit les diverses offensives de l'ECOMOG. Affirmer comme le font certains440 que les louanges envers la CEDEAO et l'implication plus directe du Conseil de sécurité vaut autorisation après les faits des emplois de la force en dehors des situations de légitime David Wippman, « Enforcing the Peace: ECOWAS and the Liberian Civil War )} dans Damrosch, supra note 377, à la p. 187. 43 Plusieurs auteurs sont d'avis que la CEDEAO constitue une organisation régionale au sens de l'article 52 de la Charte et serait ainsi assujettie à la nécessité d'obtenir une autorisation préalable du Conseil de sécurité avant d'intervenir par la force. (Voir notamment Odotile, supra note 377, aux pp. 410-411; Ibid., aux pp. 185-186) De toute manière, même s'il en était autrement, les États ouestafricains de la CEDEAO seraient tenus d'obtenir à titre individuel une telle autorisation du Conseil de sécurité en vertu de l'article 42 de la Charte de l'ONU. 437 Il en est de même des discussions qui ont précédé le vote de la résolution. Voir à cet effet Darnrosch, Ibid., à la p. 185. 438 Rés. CS 813, Doc. Off. CS NU, Doc. NU AlRES/8l3 (1993); Rés. CS 856, Doc. Off. CS NU, Doc. NU AlRES/856 (1993); Rés. CS 866, Doc. Off. CS NU, Doc. NU AlRES/866 (1993). 439 À ce moment précis, il n'y a plus de doute possible. L'ECOMOG était devenue une réelle force de maintien de la paix puisque le NPFL, initialement réfractaire à sa venue au Libéria, avait acquiescé à sa présence. (David Wippman, « Enforcing the Peace: ECOWAS and the Liberian Civil War » dans Damrosch, supra note 377, à la p. 178) 440 Ibid. aux pp. 185 et 187; Levitt, supra note 377, à la p. 347. 435 100 défense, constitue une déformation non seulement des termes de la dite résolution mais aussi du contexte particulier et de l'esprit dans lesquels elle a été adoptée. Bref, l'intervention de l'ECOMOG n'a été menée sous l'autorité d'aucun texte juridique existant et la CEDEAO a agi de sa propre initiative avec l'assentiment général de plusieurs États. Doit-on pour autant conclure à l'intervention humanitaire et, le cas échéant, à l'émergence d'une coutume en ce sens? Si l'on s'en tient aux actes de l'ECOMOG, rien ne laisse présager que le justificatif humanitaire invoqué par certains pays membres de la CEDEAO n'ait été qu'un simple prétexte. L'ECOMOG s'est généralement conformé, dans ses faits et gestes, à la mission que le comité permanent avait lui-même fixée441 • Elle a, tout d'abord, créé une zone de sécurité autour de Monrovia afm de permettre la délivrance de l'aide humanitaire à la population civile. Ensuite, elle a œuvré au rétablissement de la paix en invitant les parties à un cessez-le-feu et à l'instauration d'un nouveau gouvernement suivant un processus électoral442 • Autre signe qui ne ment pas, le peuple libérien aurait dans l'ensemble bien accueilli l'intervention de l'ECOMOG selon David Wippman, un temoin privilégié de la scène libérienne443 • Néanmoins, on ne peut occulter le fait que d'autres motivations, celles-là moins nobles, aient possiblement guidé certains membres influents de la CEDEAO. Premièrement, certains croient que plusieurs gouvernements ouest-africains dont le Nigéria sont intervenus par crainte que l'exemple libérien ne se répande comme une traînée de poudre dans la région et vienne menacer leur propre pouvoir444 • Deuxièmement, plusieurs membres de la CEDEAO, surtout parmi les pays anglophones, étaient opposés aux troupes de Charles Taylor. Et il était de notoriété publique que le Président nigérian de l'époque, Ibrahim Babaginda, était un ami personnel du Président Doe445 • Une question se pose alors. Le Nigéria et ces autres membres 441 Il est à noter toutefois que certains officiers de l'ECOMOG se sont adonnés au pillage et à l'exploitation de certaines ressources du pays. (Murphy, supra note 6, à la p. 160.) Ibid. Wippman a été conseiller auprès du gouvernement interimaire d'Amos Sawyer de 1990 à 1992. (David Wippman, « Enforcing the Peace: ECOWAS and the Liberian Civil War » dans Damrosch, ~ra note 377, à la p. 175.) Voir en outre Odofile qui fonde son opinion sur une déclaration du Ministre des Affaires étrangères du Nigéria, J.O.S. Nwanchukwu. Ce dernier aurait affirmé que de laisser Charles Taylor prendre le pouvoir par les armes risquait de créer un exemple néfaste pour la région et, en ce sens, de multiplier les rébellions armées et le chaos. (Odofile, supra note 377, à la p. 403) 445 Ibid. 442 443 101 défavorables à Taylor auraient-ils voulu empêcher la venue d'un gouvernement hostile à leur porte ?446 Rien n'est moins sûr. Bien que la neutralité de l'ECOMOG ait été mise en doute447, il apparaît qu'elle a utilisé la force offensive contre le NPFL uniquement dans le but de forcer les rebelles à négocier une entente qui mettrait fin au conflit armé. Il aurait été assez aisé pour l'ECOMOG, composée de 15 000 soldats bien entraînés, de mettre en pièces les hommes de Taylor, moyen militaire qu'elle a toujours refusé d'employer. De plus, on ne doit pas oublier que la CEDEAO a toujours tenté d'en venir avec Taylor à des ententes raisonnables et qu'en fin de compte, ce dernier est devenu Président du Libéria en 1997 après plusieurs années d'affrontements armés et d'accords de paix avortés448 • D'ailleurs, pourquoi la CEDEAO aurait-elle attendu que le NPFL contrôle près de 90 % du pays pour agir? Si le désir de ses membres était réellement d'empêcher Taylor de prendre le pouvoir, ne seraient-ils pas intervenus plus tôt, par exemple au printemps 19907 Certes, il n'est pas impossible que plusieurs pays dont le Nigéria ont décidé de s'immiscer dans le conflit libérien en raison de leur opposition à Taylor. Mais cela n'enlève rien au fait que l'action concrète de l'ECOMOG au Libéria semble avoir généralement correspondu aux motifs humanitaires affichés. Il n'est donc pas surprenant que David Wippman, conclut que l'intervention de la CEDEAO constitue un excellent modèle d'intervention humanitaire, rencontrant à peu près tous les critères proposés par la doctrine449 • Cependant, ce constat ne peut à lui seul venir modifier le droit existant. Il faut qu'en l'espèce, l'opinio juris accompagne la pratique d'intervention humanitaire. C'était l'avis de Charles Taylor (Gray, supra note 32, à la p. 305). Le Nigeria aurait d'ailleurs fourni une aide financière et matérielle au Président Doe dans sa lutte contre le NLFP. Voir à ce propos Levitt, supra note 377, à la p. 345 (note 59). 447 Les pays francophones de la CEDEAO, en outre, doutaient initialement de la sincérité du Nigéria. Pour plus de détails voir Gray, Ibid., aux pp. 304-05. 448 Levitt, supra note 377, à la p. 345. 449 En effet, comme il écrit pertinemment: « ECOWAS made ail reasonable efforts to obtain the warring parties' consent to a cease-fire, and to a Community interposition force. The decision to intervene was a multilateral one, undertaken by a subregional organization with a direct interest in the preservation ofpeace in the region. [ ... ] Further, the intervention was proportional to the humanitarian crisis that precipitated it; a minimum of force was used to end the fighting and to create a modicum of order and security in which relief supplies could be delivered to the Liberian population. A large majority of Liberians, [ ... ], enthusiastically welcomed the intervention. In addition, ECOWAS took great care to minimize the impact of the intervention on Liberian sovereignty interests. The Community did not impose a govemment on Liberia. [... ] Finally, long after the initial intervention, ECOWAS has continued to shoulder the financial, political, and military burden of efforts to preserve the peace, and has continued to seek a negotiated political solution to the conflict ». (David Wippman, « Enforcing the Peace: ECOWAS and the Liberian Civil War» dans Damrosch, supra note 377, aux pp. 179-180.) 446 102 Si par le passé, notamment pour ce qui est des interventions en Ouganda et en République centrafricaine, la communauté internationale est demeurée silencieuse devant des violations claires à la Charte de l'ONU, cette fois-ci, de nombreux acteurs internationaux ont encensé l'intervention de la CEDEAO. Ainsi, contrairement aux cas précédents, elle a été ouvertement sanctionnée par un nombre important d'États. Ceci étant, très peu se sont prononcés à proprement parler sur la légalité de son utilisation de la force. En fait, comme l'affirme David Wippman, la plupart d'entre eux ont validé les résultats de l'intervention et non les moyens utilisés par la CEDEA045o • Il semble que plusieurs pays étaient reconnaissants, voire même soulagés, qu'elle prenne l'initiative de s'attarder à la débâcle que constituait le Libéria, car les membres du Conseil de sécurité n'étaient visiblement pas prêts à s'impliquer eux-mêmes en 1990451 • Rappelons d'ailleurs que l'ONU a été inactive pendant plusieurs mois avant d'intervenir plus directement au Libéria. En ce sens, cette réaction internationale témoigne autant des limites inhérentes du système de sécurité collective à prendre en charge toutes les menaces à la paix pouvant exister que de l'indifférence généralisée des puissances pour les conflits africains. De manière plus importante, lorsqu'il s'agit d'examiner le cas libérien en tant que possible précédent à l'émergence d'un droit coutumier d'intervention 452 humanitaire , il faut comprendre que l'ingérence ouest-africaine a toujours été présentée comme une mission de rétablissement de la paix, et non comme une intervention humanitaire. Un fait d'ailleurs nullement mis en doute par les membres du Conseil de sécurité lors des discussions de novembre 1992. En effet, les délégués ont alors pris pour acquis les allégations de la CEDEAO selon lesquelles l'ECOMOG constituait une force de maintien de la paix453 • Plusieurs auraient même fait expressément référence au rôle de maintien de la paix qu'a joué l'ECOMOG45\ ce 450 Ibid., à la p. 175. 451 Franck, supra note 176, aux pp. 158-59. Jeremy Levitt est d'avis pour sa part que le cas libérien est créateur d'une nouvelle coutume internationale en ce sens. (Levitt, supra note 377, à la p. 351.) 453 Dès le départ, la CEDEAO a présenté l'ECOMOG comme une mission de maintien de la paix. Même après les premiers affrontements armés du mois d'août 1990 avec le NPFL, le Président en exercice de la CEDEAO, Dawda Jawara, a continué d'affirmer qu'il s'agissait d'une force de maintien de la paix. Voir à ce sujet David Wippman, « Enforcing the Peace: ECOWAS and the Liberian Civil War» dans Damrosch, supra note 377, à la p. 171. 454 Voir les déclarations émises par les délégués américain et chinois dans 47 UN S.C.O.R., 3138th meeting, nov. 19 1992; U.N. Doc. S/PV.3138. 452 103 dont atteste d'ailleurs la résolution 788455 • C'est pourquoi, il ne faudrait pas voir dans cet épisode, les premiers balbutiements d'une opinio juris favorable à l'intervention humanitaire. Ce n'est pas sur ces derniers fondements que repose l'acquiescement élargi de la communauté internationale456 • En guise de conclusion, s'il y a une leçon à tirer de l'intervention de la CEDEAO au Libéria c'est la suivante. L'intervention armée, même la plus attentionnée, constitue jamais une panacée, une solution miracle. Ses bienfaits sont souvent strictement limités à l'aide humanitaire d'urgence et à la sécurité« humaine }) à court terme. Elle ne peut venir régler tous les problèmes auxquels est confronté un peuple éprouvé par la guerre civile, la haine ethnique ou l'autoritarisme. Malgré la bonne foi apparente des États d'Afrique de l'Ouest, l'implication de la CEDEAO n'a pas pu juguler, d'une part, l'engrenage meurtrier de la guerre qui se prolongea encore six longues années, augmentant, de ce fait, le nombre des victimes de la guerre. De 5 000 à l'arrivée de l'ECOMOG au mois d'août 1990, le bilan des décès s'est sensiblement alourdi trois ans plus tard pour atteindre 150 000457 • Certes, la décision du comité permanent a permis à une population de souffler un peu, mais on ne peut s'empêcher de penser que la non-intervention armée aurait été préférable dans les circonstances, puisque les rebelles du NPFL étaient à quelques jours ou quelques semaines de la conquête du pouvoir lorsque le comité opta de s'immiscer dans l'imbroglio libérien458 • D'autre part, l'initiative de la CEDEAO n'a pas empêché que le Libéria plonge à nouveau dans la tourmente politique dans les années 2000. La communauté internationale n'aura pas su, malgré l'instauration d'un processus de démocratisation, trouver des solutions aux causes structurelles qui ont fait basculer le En fait, il semble également que le Conseil de sécurité prend pour acquis que l'ECOMOG est une force de maintien de la paix. En vertu de la résolution 788, le Conseil décide, confonnément au Chapitre VII, que tous les États appliqueront un embargo général sur les livraisons d'armes et de matériel militaire au Libéria, à l'exception « des forces de maintien de la paix de la CEDEAO ». (Résolution 788, supra note 421, au para. 8) 456 David Wippman, qui est du même avis, conclut que « for the most part, the international community, and ECOWAS itself, implicitly approved of the Committee's decision to use force, without overtly 455 endorsing the principle of humanitarian intervention». (David WippmWl, « Enforcing the: Pc:ace:: ECOWAS and the Liberian Civil War» dans Damroscb, supra note 377, à la p. 180.) 457 Voir Keesing's Record of Wor/d Events, Vol 36 (1990) à la p. 37644 et United Nations, Report of the Secretary-General on the question of Liberia, 12 March 1993 reproduit dans Weiler, supra note 377, à la p. 282. 458 Ainsi, on peut présumer qu'il y aurait eu moins de victimes à moyen tenne sans l'intervention de la CEDEAO, même si évidemment il est impossible de le prévoir avec certitude. En effet, étant donné l'historique de violence de Taylor, on ne peut jurer de rien. Aussi, son arrivée au pouvoir en 1997 était légitime. S'il avait obtenu le pouvoir par la force, on peut présumer que cela aurait engendré plus d'opposition et en retour, de répression de la part de son gouvernement. 104 Libéria dans la guerre civile et qui le privent toujours aujourd'hui d'être un havre de paix et de sécurité. 105 b) Les alliés (É-U, G.-B. et /a France) en Irak en 1991_92 459 Les interventions successives des alliés dans le nord puis ensuite dans le sud de l'Irak au début des années 90 ont pour origine la première Guerre du golfe et la répression du régime de Saddam Hussein. Peu de temps après le cessez-le-feu du 28 février 1991 entre les forces alliées et l'Irak qui mettait fin à cette guerre, le gouvernement baasiste fut confronté à deux insurrections simultanées. Profitant de sa défaite et encouragés par certaines déclarations d'hommes d'État occidentaux, dont celle du Président George Bush père460, des groupes d'insurgés kurdes et chiites contestèrent l'autorité du dictateur. De multiples manifestations antigouvernementales eurent lieu dans les villes chiites du sud de l'Irak, culminant en de violents affrontements armés entre des combattants islamistes et l'armée irakienne à Bassorah. Au Nord, les kurdes croisèrent le fer avec les forces de l'ordre et prirent possession de nombreuses villes. Les officiers de la garde républicaine reprirent néanmoins le contrôle de la situation à la fin du mois de mars, avec l'aide de chars d'assaut et d'hélicoptères armés de mitrailleuses, alors même que des troupes alliées occupaient toujours une partie de l'Irak et surveillaient ses activités militaires aériennes. 461 Le gouvernement de Saddam Hussein mena, tout d'abord, une campagne meurtrière au sud contre les combattants chiites mais aussi contre sa population, qui se réfugia en masse en Iran462 • Une fois la rébellion chiite réprimée, l'armée irakienne lança une offensive similaire Sur cet incident international voir notamment les ouvrages de Nicholas J. Wheeler, Saving Strangers: Humanitarian Intervention in International Society, Oxford, Oxford University Press, 2000, aux pp. 139-171. [Wheeler]; Marc WeIler, dir., Iraq and Kuwait: The Hostilities and Their Aftermath, Cambridge, Grotius Publications, 1993 [WeBer « Irak »]; Peter Malanczuk. « The Kurdish Crisis and Allied Intervention in the Aftermath of the Second Gulf War » (1991) 2(2) European Journal of International Law 114 [Malanczuk]; Corten et Klein, supra note 2, aux pp. 223-240; Murphy, supra note 6, aux pp. 165-198; Gray, supra note 32, aux pp. 264-267. 460 Le Président Bush aurait, dans une déclaration datée du 15 février 1991, encouragé les irakiens à se révolter contre Saddam Hussein: « [T]here's another way for the bloodshed to stop, and that is for the 459 Iraqi military and the Iraqi people to take matters into their own hands - to force Saddam Hussein, the dictator, to step aside, and to comply with the United Nations resolutions and then rejoin the family of peace-Ioving nations». ("Remarks to the American Association for the Advancement of Science", 15 Feb 1991, in [1991] Bush Papers 145. reproduite dans Chesterman, supra note 55, à la p. 196.) 461 En fait, les pilotes alliés avaient reçu ordre de ne pas venir en aide aux kurdes et aux chiites. Les dirigeants irakiens avaient convaincu les généraux alliés qu'ils avaient besoin d'employer des hélicoptères afin de déplacer leurs troupes. (Wheeler, supra note 469, à la p. 141). Le seul avertissement que les alliés donnèrent aux irakiens fut de ne pas user d'armes chimiques. 462 Selon toute probabilité, il y aurait eu jusqu'à 850 000 réfugiés qui prirent la direction de l'Iran. (Murphy, supra note 6, à la p. 169.) 106 contre les rebelles kurdes et récupéra, tour à tour, les villes qu'elle avait perdues. Les 463 civils furent exposés eux aussi à la médecine de Saddam Hussein • Ayant en mémoire les attaques aux gaz chimiques dans le village de Halabja au mois de mars 1988, qui avaient coûté la vie à plus de 5000 personnes464 , la population kurde apeurée et en panique s'enfuit vers les régions montagneuses en direction de la Turquie sous les tirs nourris de l'armée irakienne. Constatant la présence sur son territoire des premiers réfugiés kurdes, la Turquie ferma sa frontière aux 800 000 autres qui allaient leur succéder invoquant le manque d'infrastructures et de ressources adéquates465 • Des abris de fortune furent néanmoins installés le long de la frontière entre la Turquie et l'Irak. S'ensuivit une grave crise humanitaire. Entassés dans les montagnes et soumis au froid, aux intempéries, à la privation de nourriture, ainsi qu'à des conditions sanitaires déplorables, les réfugiés kurdes furent laissés à eux-mêmes. Plusieurs succombèrent. Les agences internationales d'aide humanitaire estimèrent qu'entre 400 et 1000 mouraient chaque jour des suites de l 'hypothermie, de la fatigue extrême ou de la maladie466. L'opération « Provide comfort » Malgré un appel des dirigeants indépendantistes kurdes, la communauté internationale tarda à réagir devant l'urgence de la situation. Lorsque le Ministre français des Affaires étrangères, Roland Dumas, proposa le 2 avril d'inclure une disposition fondée sur le droit d'ingérence dans une résolution du Conseil de sécurité ratifiant les termes du cessez-le-feu avec l'Irak, il reçut peu d'appui des autres membres467. Ce n'est fmalement que trois jours plus tard qu'une résolution fut adoptée grâce à la persistance de la France et aux demandes successives de la Turquie et de l'Iran. Dans des lettres adressées au Conseil, ces deux pays exprimèrent la nécessité 463 D'après certains articles de presse, les kurdes furent chassés de leurs villages, l'objet de fusillades et mêmes gazés. Voir notamment Keesing's Record of World Events, Vol 37 (1991) à la p. 38126. [Keesiog's] 464 MaIanzcuk, supra note 469, à la p. 117. 465Keesing's, supra note 463, à la p. 38128. Telle était du moins la raison officielle donnée par la Turquie. On peut croire cependant qu'elle a agi surtout pour des raisons de sécurité nationale. Elle devait redouter que des militants indépendantistes kurdes d'Irak entrent au pays et viennent appuyer leurs congénères de la Turquie. Notons toutefois que deux jours plus tard, le Président Ozal révisa sa ~sition. Il permit à 100 000 réfugiés kurdes de s'établir en territoire turc. Thomas G. Weiss, Military-Civilian Interactions: Intervening in Humanitarian Crises, Oxford, Rowman & Littlefield, 1999, à la p. 50. [Weiss] 467 Voir à ce sujet Wheeler, supra note 459, aux pp. 141-142. 107 qu'une action soit entreprise d'urgence468 • Contrairement aux revendications humanitaires de la France, l'Iran et la Turquie employèrent un argumentaire plus conventionnel. Ils prétendaient que l'affiux transfrontalier de réfugiés, étant donné son ampleur, constituait une menace à la paix régionale, rendant ainsi le Conseil de sécurité compétent à intervenir. L'argument fut mieux accueilli par le Conseil, puisqu'un projet de résolution, présenté par la France et la Belgique et appuyé par les États-Unis et la Grande-Bretagne, fut entériné par le vote de dix membres469 • Par cette résolution47o, le Conseil de sécurité condamnait « la répression des populations civiles iraquiennes dans de nombreuses parties de l'Iraq» et spécifiquement « dans les zones de peuplement kurde» qui avait « pour conséquence de menacer la paix et la sécurité internationales dans la région », De plus, il exigeait que l'Irak «mette fin sans délai à cette répression et, dans ce contexte, exprim[ait] l'espoir qu'un large dialogue s'instaure[rait] en vue d'assurer le respect des droits de l'homme », Il insistait également pour que l'Irak « permette un accès immédiat des organisations humanitaires internationales à tous ceux qui ont besoin d'assistance dans toutes les parties de l'Iraq et qu'il mette à leur disposition tous les moyens nécessaires à leur action », Enfin, le Conseil lançait un appel « à tous les États membres et à toutes les organisations humanitaires pour qu'ils participent à ces efforts d'assistance humanitaire », Suivant l'adoption de cette résolution 688, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France organisèrent l'assistance humanitaire, Ils annoncèrent, en premier lieu, leur intention de larguer par les airs divers articles de première nécessité aux réfugiés kurdes, ce qu'ils firent dans les jours suivants471 , Ensuite, les États-Unis ordonnèrent à Voir Letter from the Permanent Representative of Turkey to the United Nations addressed to the President of the Security Council, 2 April 1991 et Letter from the Permanent Representative of the Islamic Republic of Iran to the United Nations addressed to the Secretary -General, 4 April 1991 reproduites dans Weiler «Irak», supra note 459, aux pp. 604 et 606. 469 Trois membres votèrent contre (Cuba, le Yémen et le Zimbabwe) tandis que deux s'abstinrent (l'Inde et la Chine). 470 Rés. CS 688, Doc. Off. CS NU (1991). [Résolution 688] 471 Cbesterman, supra note 55, à la p. 197. L'Irak protesta contre cette mesure affirmant que cela constituait une violation de sa souveraineté et du droit international. Le gouvernement irakien ajouta également que l'assistance humanitaire ne pouvait être acheminée que par les autorités irakiennes et la Société du Croissant-Rouge de l'Irak (Identicalletters from the Permanent Representative of Iraq to the United Nations addressed respectively to the Secretary-General and the President of the Security Council, 8 April 1991 reproduites dans Weiler <drak», supra note 459, à la p. 607.) 468 108 e 472 , l'Irak de cesser toute activité militaire au nord du 36 parallèle dans le but de protéger leur personnel humanitaire. Rapidement cependant, il était devenu évident que l'accès aux réfugiés kurdes s'avérait problématique compte tenu de leur positionnement géographique. C'est alors que la solution des « enclaves humanitaires» apparut. L'idée était d'acheminer l'aide humanitaire à l'intérieur des terres dans des zones protégées par des forces de sécurité internationale afin d'estomper les craintes des réfugiés kurdes vis-à-vis de possibles représailles de l'armée irakienne. Verbalisée pour la première fois par le Président turc Turgot Oza1473 , cette alternative fut reprise et précisée le 8 avril par le Premier ministre de la Grande-Bretagne John Major, à l'occasion d'un sommet regroupant plusieurs Chefs d'États de la Communauté européenne au Luxembourg. Il suggéra alors la création d'enclaves sécurisées par les soldats de l'ONU. Son plan reçut l'assentiment des autres gouvernements européens dont celui de la France. Les États-Unis furent moins enthousiastes. Ils étaient toujours réticents à intervenir. Le Président américain affIrma, le 12 avril, qu'il n'avait aucune intention d'envoyer des soldats américains dans la « guerre civile irakienne »474. Le Pentagone appréhendait que l'Irak ne devienne un autre Vietnam475 , avis que le Président suivait à la lettre. Il semble également que l'administration Bush, pressée notamment par ses partenaires moyen-orientaux qu'étaient la Turquie et l'Arabie Saoudité76, craignait que les enclaves n'occasionnent la partition de l'Irak, ce qui en retour aurait forcé les États-Unis, mais aussi leurs alliés, à un engagement à plus long terme qu'ils ne 477 désiraient nullement • Toutefois le 16 avril, le Président Bush père fit volte-face. Devant les pressions des membres du Congrès, mais surtout du public américain avivé Il fut clairement stipulé aux autorités irakiennes qu'en cas d'interférence dans l'acheminement de l'aide humanitaire, les États-Unis n'hésiteraient pas à employer la force armée. Voir notamment 472 Wheeler, supra note 459, à la p. 150. Keesing's, supra note 463, à la p. 38127. «Bush will not he Drawn into a Civil War », DaUy Telegraph, 12 Apr. 1991 tel que cité dans Wbeeler, supra note 459, à la p. 150. 475 Ibid. 476 La Turquie était aux prises avec son propre mouvement sécessionniste kurde et craignait que la partition de l'Irak ne serve la cause des turques d'origine kurde. Pour ce qui est de l'Arabie Saoudite, elle appréhendait que le démembrement de l'Irak ne favorise la montée en puissance des chiites, jugée néfaste pour leurs intérêts. (Ibid., aux pp. 147-48.) 477 Ibid., à la p. 149. 473 474 109 478 par la diffusion quotidienne d'images terrifiantes du supplice des kurdes , il annonça que l'année américaine, accompagnée des troupes britanniques et françaises, entrerait dans le nord de l'Irak afin d'établir des « refuges humanitaires» temporaires qui serviront à délivrer l'aide et à assurer la protection des kurdes. Il précisa que l'administration ainsi que la sécurité de ces campements seraient transférées dès que 479 possible aux Nations Unies . Le lendemain, l'opération baptisée « Provide corn fort » était née. Malgré les protestations de l'Irak, les forces alliées occupèrent le sol irakien et mirent sur pied les camps. Une immense zone sécuritaire de 10 000 Km2 bordant la frontière avec la Turquie, fut formée pour accueillir les réfugiés kurdes. Elle fut surveillée à un certain moment donné par plus de 20 000 soldats originaires de treize pays, pour la plupart membres de l'OTA~8o. Les dernières troupes quittèrent le 15 juillet laissant leur place à une force réduite de 500 casques bleus de l'ONU, chargés d'assurer la protection de son personnel demeuré sur les lieux481 . Le gouvernement irakien fut cependant avisé que la zone d'exclusion de vol au nord du 36e parallèle demeurait effective482 . Enfin, une force terrestre multinationale de déploiement rapide stationnée en Turquie fut créée au cas où les kurdes seraient à nouveau réprimés483 . Celle-ci quitta définitivement la Turquie le 10 octobre. La mission « Provide corn fort » aura permis de sauver de nombreuses vies, même s'il est impossible de les quantifier. Dès la première semaine d'opération des « refuges humanitaires », le nombre de morts panni les réfugiés kurdes passa de 400 à Sans ce facteur de politique intérieure, il est plus qu'incertain que les États-Unis, et en fin de compte la Grande-Bretagne et la France, aient eu l'audace d'aller de l'avant avec leur projet des « refuges humanitaires» . 479 US President's New Conference, 16 April 1991 reproduite dans Weiler <drak», supra note 459, à lap.717. 480 Outre évidemment les trois instigateurs du projet, l'Autriche, la Belgique, le Canada, l'Allemagne, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, l'Espagne, la Turquie et l'Australie ont participé à l'opération « Provide comfort» en envoyant des effectifs militaires sur le terrain. Au-delà de cette implication militaire, trente pays et une cinquantaine d'ONG contribuèrent et participèrent à l'aide d'urgence. (Téson, supra note 17, à la p. 238.) 481 Cette présence internationale avait été préalablement consentie par l'Irak dans une annexe à l'entente de principe qu'elle avait signé avec l'ONU le 18 avril. (Memorandum of Vnderstanding Between Iraq and the United Nations, Apr. 18, 1991, V.N. Doc. S/22663 (1991) tel que cité dans Murphy, supra note 6, à la p. 174.) 482 Wheeler, supra note 459, à la p. 157. 483 L'opération s'intitulait« Operation Poison Hammer». 478 110 1000 par jour à 60484 • Et pendant les trois mois de la présence militaire alliée, c'est près de 450 000 exilés qui ont trouvé asile dans ces gîtes provisoires avant de regagner leur domicile485 • Il n'est donc pas surprenant que la Haut Commissaire pour les réfugiés de l'époque, Sadako Ogata, ait conclu que l'établissement de ces «refuges humanitaires» était un sUCCèS486 • Malgré tout, entre 6 700 et 13 000 kurdes seraient morts des suites de leur exodé 87 • Les trois principaux acteurs de l'opération « Provide comfort », c'est-à-dire les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, n'ont pas justifié leur emploi de la force sur la doctrine de l'intervention humanitaire488 • À vrai dire, ils n'ont pas apporté de nouvelles justifications juridiques, soutenant que la résolution 688 les autorisait pleinement à agir. En ce sens, il n'était pas nécessaire, selon eux, d'obtenir une seconde autorisation du Conseil de sécurité ni le consentement de l'Irak, une position douteuse sur le plan légal comme nous le verrons plus loin. Cette ligne d'argumentation fut suivie dès la conférence de presse du 16 avril tenue par le Président américain George Bush père, qui, la veille, avait consulté ses partenaires français et britanniques489 • Précisant que les États-Unis n'étaient animés que par des motifs humanitaires, il statua que l'opération projetée était « conforme» à la résolution 688490 ; Consistent with United Nations Security Council Resolution 688 and working closely with the United Nations and other international relief organizations and our European partners, 1 have directed the U.S. military to begin immediately to establish several encampments in northern Iraq 484 Lawrence Freedman et David Boren, « 'Safe Havens' for Kurds in Post-War Iraq » dans Nigel S. Rodley, dir., To Loose the Bands of Wiclœdness: International Intervention in Defence of Human Rights, London, Brassey's, 1992, 43 à la p. 51. 485 Malanzcuk, supra note 459, à la p. 121. 486 Weiss, supra note 466, à la p. 68. 487 Malanzcuk, supra note 459, à la p. 121. 488 Jane E. Stromseth, « Iraq's Repression of its Civilian Population: Collective Responses and Continuing Challenges» dans Damsroch, supra note 377, à la p. 90; Franck, supra note 176, à la p. 154. 489 Wheeler, supra note 459, à la p. 151 (note 61). 490 Le Premier ministre britannique John Major, contrairement au Président américain, avait adopté préalablement à ce discours un argumentaire plus humanitaire. Au début du mois d'avril, il avait déclaré publiquement que son plan des « enclaves humanitaires» ne violait pas la règle de noningérence dans les affaires intérieures de l'Irak étant donné qu'il ne visait qu'à protéger une population qui était oppressée. (A. Riding, « Europeans Urging Enclave for Kurds in Northern Iraq », New York Times, April 9 1991, Al.) 111 where relief supplies for these refugees will he made available in large quantities and distributed in an orderly way.491 [Nous soulignons] Les trois alliés ne dérogèrent pas à cette position officielle par la suite. Les États-Unis comme la Grande-Bretagne répétèrent dans les jours suivants que la résolution 688 leur permettait d'agir. Différents porte-parole de l'administration Bush s'exprimèrent à ce sujet et Douglas Hurd, le Ministre britannique des Affaires étrangères réitéra, à plusieurs reprises, que la résolution 688 les autorisait pleinement à mener l'opération «Provide Comfort »492. Enfm, la France, qui avait prônée deux semaines auparavant le concept du devoir d'ingérence, resta silencieuse. Ce n'est qu'à la fin de l'année 1992, donc longtemps après les faits, qu'un représentant du gouvernement britannique aurait justifié l'intervention de son pays dans le nord de l'Irak par un droit limité d'intervention humanitaire. Dans le cadre de cette première tentative d'élaboration d'une doctrine d'intervention humanitaire par un pays depuis la création de l'ONif93, le conseiller juridique du Foreign and Commonwealth Office, Anthony Aust, aurait déclaré à la Chambre des communes, le 2 décembre 1992, que l'opération « Provide comfort » n'a pas été dûment autorisée par la résolution 688 mais que les pays alliés ont agi dans l'exercice du principe coutumier d'intervention humanitaire lors de circonstances extrêmes494 : Resolution 688, which applies not only to northern Iraq but to the whole of Iraq, was not made under Chapter VII. Resolution 688 recognized that there was a severe human rights and humanitarian situation in Iraq and, in particular, northern Iraq; but the intervention in northern Iraq 'Provide Comfort' was in fact not specifically mandated by the United Nations. but the states taking action in northern Iraq did so in exerCÎse of the customruy international law principle of humanitarian intervention. 495 [Nous soulignons] US President's New Conference, 16 April 1991 reproduite dans Weiler <drak», supra note 459, à la p. 717. 492 Voir à cet effet l'ouvrage de Sean D. Murphy qui fait état de nombreuses déclarations des représentants des gouvernements britannique et américain. (Murphy, supra note 6, aux pp. 187, 188 et 491 191.) La Grande-Bretagne a dans les mois suivants élaboré davantage cette doctrine. Pour plus de détails voir Gray, supra note 32, à la p. 35. 494 Il est à noter cependant que dans une réponse écrite à la même chambre, Monsieur Aust aurait spécifié que les zones d'exclusion créées au sud et au nord de l'Irak étaient conformes à la Résolution 688. (Parliamentary Papers, 1992-93, HC, Paper 235-iii, p. 85 reproduit dans (1992) British Yearbook of International Law 827.) 495 The Expanding Role of the United Nations and its Implications for u.K. Policy: Minutes of Evidence, Hearing Before the Foreign Affairs Comm. Of the House ofCommons, See. 1992-93, Dec. 2, 1992, at 84 tel que cité dans Murphy, supra note 6, à la p. 188. 493 112 Et lorsque interrogé plus amplement sur ce nouveau principe, il précisa que: There is no agreement in the sense of rules which have been laid down by any international body, but the practice of states does show over a long period that it is generally accepted that in extreme circumstances astate can intervene in another state for humanitarian reasons [ ... ].496 [Nous soulignons] Ce plaidoyer a posteriori ne peut évidemment servir de justificatif juridique plus d'un an et demi après les événements dans le nord de l'Irak, mais il s'avère exact sur un point, l'action des alliés était illégale puisqu'elle a outrepassé les termes de la résolution 688497 • Sans entrer trop dans les détails, notons que cette résolution n'autorisait pas les États à user de la force dans le cadre de leur opération d'assistance humanitaire ni à imposer une zone d'exclusion de vol. L'expression usuelle « utiliser tous les moyens nécessaires» n'a pas été employée par les membres du Conseil de sécurité498 • De plus, contrairement à la Charte de l'ONU, mais également à une certaine pratique internationale, lorsque le Conseil de sécurité autorise la force, il fait habituellement mention dans ses résolutions qu'elles sont adoptées en vertu du Chapitre Vil, seul chapitre de la Charte qui permet au Conseil d'envisager et de prendre des mesures contraignantes. Or, la résolution 688 est muette à ce sujet499, contrairement à la quasi-totalité des résolutions précédentes qui concernent l'Irak5OO • En conséquence, la seule argumentation juridique officielle offerte par les alliés ne tient pas la route501 • 496 Ibid., à la p. 92. Ce qui a fait dire à David J. Scheffer que le Président Bush aurait été plus honnête de justifier l'établissement des refuges humanitaires par la doctrine de l'intervention humanitaire. David J. Scheffer, «Use of Force After the Cold War: Panama, Iraq, and the New World Order », dans Louis Henkin, Stanley Hoffmann, Jeane J. Kirkpatrick, Allan Gerson, William D. Rogers et David J. Scheffer, dir., Right v. Might: International Law and the Use of Force, New York, Council on Foreign Relations Press, 1991, aux pp. 146-47 [Henkin] 498 Corten et Klein, supra note 2, à la p. 233. 499 Au-delà de cette absence d'invocation du Chapitre VII, la résolution 688, par ses termes, ne tombe f<as dans le champ juridictionnel du Chapitre VII (Wheeler, supra note 459, à la p. 14) 00 Comme l'énonce Sean D. Murphy, les résolutions 660, 661, 664, 666, 667, 670, 674, 677, 678, 686 et 687 du Conseil de sécurité qui traitent tous de l'Irak évoquent expressément le Chapitre VII. (Murphy, supra note 6, à la p. 196 (note 222).) 501 Un constat qui s'induit égaiement des discussions informelles qui se sont tenues entre diplomates au moment de l'élaboration de la résolution 688 (WheeIer, supra note 469, à la p. 146) ainsi que des agissements et paroles de certains acteurs politiques importants comme le Sénat américain (David J. Scheffer, «Use of Force After the Cold War: Panana, Iraq, and the New World Order », dans Henkin, supra note 497, aux pp. 147-148), le Président Bush et le Premier ministre Major (Murphy, supra note 6, à la p. 191 et Wheeler, supra note 459, aux pp. 152-153). 497 113 Malgré ce fait, il y a eu peu de réactions de la part des autres États à l'opération « Provide comfort ». À part l'Irak qui, dans une série de lettres adressées au Secrétaire général de l'ONU, assimilait la création de ces refuges sur son territoire à une violation de sa souveraineté et de son intégrité territoriale502, peu d'États se sont prononcés officiellemenfo3• L'ONU par l'entremise de ses institutions principales n'a pas émis d'opinions504 • Il n'y a eu aucune condamnation de la part du Conseil de sécurité ni de l'Assemblée générale. Au contraire, cette dernière a plutôt désapprouvé la conduite de l'Irak envers ses ressortissants dans une résolution505 • Ainsi, la communauté internationale est restée passive devant ces emplois de la force clairement illégaux. « Southem watch » Victimes eux aussi de la sévère répression de Saddam Hussein au printemps 1991, les chiites n'ont pas bénéficié de la même bienveillance que les kurdes au Nord. Pendant que l'on discutait de l'opportunité d'ériger des refuges humanitaires pour les kurdes, les forces armées de la coalition, qui avaient participé à la Guerre de golfe, se retirèrent du sud de l'Irak vers le Koweit. L'ONU prit ensuite le relais506 et déploya une équipe de travailleurs humanitaires accompagnée de soldats de maintien de la paix afin de prendre soin des centaines de milliers de chiites déplacés séjournant dans une région située au nord de Bassorah que l'on surnomme les «Marais ». Malgré cette présence internationale, les médias firent état de la reprise des attaques contre les civils et les réfugiés chiites à l'été 1991. Considérant ces nouvelles allégations, la Commission des droits de l'homme de l'ONU dépêcha en Irak le rapporteur spécial, Max Van Der Stoel, afm qu'il étudie la situation des droits de l'homme et qu'il évalue Letter from the Minister for Foreign AffaiTS of Iraq addressed to the Secretary-General, 21 April 1991 reproduite dans WeUer <drak», supra note 459, à la p. 720. 503 Pour un pour bon résumé de la réaction internationale à cette intervention voir Murphy, supra note 6, à la p. 193. Le peu d'États qui ont formulé une opinion étaient divisés sur la question notamment lors des discussions qui se sont tenues à l'Assemblée Générale en décembre 1991. 504 Honnis la réserve juridique exprimée par le Secrétaire général Javier De Cuellar au début de l'opération « Provide Comfort » (Voir Corten et Klein, supra note 2, à la p. 235), l'Organisation des Nations Unies est demeurée silencieuse. 505 Situation des droits de "homme en Iraq, Rés AG 46/134, Doc. Off. AG NU, Doc. NU AlRES/46/134 (1991). Elle a été adoptée à la quasi-unanimité (129 vote pour, 1 contre, 17 abstentions). Pour les mêmes raisons, la Commission des droits de l'homme a condamné à son tour l'Irak l'année suivante. (E.S.C. Rés. 92/71, U.N. ESCOR, 48th Sess., Supp. No. 2, at 166, U.N. Doc. E/I992/22 (1992» 506 Cette implication de l'ONU a été rendue possible grâce à l'entente de principe du 18 avril 1991 signée avec le gouvernement irakien. Voir ci-dessus la note 481. 502 114 le degré de confonnité du gouvernement irakien relativement aux exigences énoncées dans la résolution 688. Après quelques mois d'investigations, monsieur Van Der Stoel présenta son rapport au Conseil de sécurité le 11 août 1992. Il conclut que l'Irak continuait à commettre de sérieuses violations aux droits de l'homme. Il était notamment spécifié que des réfugiés chiites avaient été la cible de tirs d'hélicoptères et que certains généraux irakiens avaient eu pour consigne de « nettoyer» et de relocaliser certaines tribus arabes de la région des « Marais »507. Malgré la sévérité du rapport, le Conseil ne prit aucune mesure coercitive envers l'Irak. Il se limita à condamner sa répression à l'égard des chiites et des arabes des « Marais »508. Mais les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France ne l'entendaient pas ainsi 509 • Après une série de négociations et de discussions avec leurs alliés du MoyenOrient, ils annoncèrent le 26 août la création d'une seconde zone d'exclusion de vol dans le but de mettre [m aux exactions contre les chiites5 \O. L'Irak fut dûment averti alors que tout appareil irakien volant dans cette zone serait abattu sur-le-champs. Dès le lendemain, des avions de surveillance et de reconnaissance, surtout américains, survolaient l'espace aérien irakien au sud du 32e parallèle, région couvrant environ 140000 km2 • La réaction de l'Irak ne se fit pas attendre. Avant même que la coalition ait annoncé l'application de la zone d'exclusion de vol, l'Irak, sachant pertinemment ce qui se tramait, envoya une note verbale au Secrétaire général de l'ONU le 21 août. Le gouvernement irakien affinna dans cette lettre que la décision des trois alliés n'avait pas été autorisée par le Conseil de sécurité et que leur véritable objectif était de diviser l'Irak sur la base des différences ethniques et religieuses dans le but de contrôler et d'appauvrir leur pays51J. En dépit de ses objections, l'Irak se confonna à l'interdiction de survol dans les mois qui suivirent, ce qui ne l'a pas empêché de Report on the situation of human rights in Iraq, prepared by Mr. Max van der Stoel, Special Rapporteur of the Commission on Human Rights, in accordance with the Commission resolution 1991/74, 18 February 1992 reproduit dans WeUer, supra note 459, à la p. 671. 508 Wheeler, supra note 459, à la p. 161. 509 Suivant le débat au Conseil concernant le rapport accablant du Rapporteur spécial, ils menaçèrent l'Irak de représailles si son gouvernement poursuivait ses politiques répressives. (Murphy, supra note 6,àlap.179.) 510 Statement issued by the Members of the Coalition at New York., 26 August, 10 a.m. (New York time) reproduit dans WeUer, supra note 459, à la p. 725 [Communiqué conjoint]. Il est à noter que préalablement à cette déclaration les alliés avaient refusé une offre de Saddam Hussein, à savoir que l'ONU envoie une équipe de sages chargée d'enquêter sur les violations des droits de l'homme dans son pays. (Murphy, supra note 6, aux pp. 179-80) Sil Letter from the Permanent Representative of Iraq to the United Nations addressed to the SecretaryGeneral, 21 August 1992 reproduit dans Weiler, supra note 459, à la p. 724. 507 115 continuer sa campagne de violence contre les chiites. En fait. l'armée irakienne intensifia ses opérations militaires au sol seulement quelques jours après l'établissement de l' interdiction512 • D'une manière similaire à l'intervention« Provide comfort », la création d'une zone d'exclusion de vol dans le sud de l'Irak a également été motivée juridiquement par la résolution 688, quoique cette fois-ci le justificatif avancé par les alliés était différent. Selon les dires des coalisés, l'opération « Southern watch » avait pour but de prévenir toute dérogation future à la résolution. Dans un communiqué conjoint, les trois partenaires ont signifié qu'étant donné les violations répétées par l'Irak de la résolution 688, la coalition se devait de surveiller elle-même son application par l'instauration d'une seconde zone d'exclusion aérienne513 • Le Président Bush reprit ensuite sensiblement le même leitmotiv au mois de septembre lorsqu'il fit rapport de la situation irakienne au Congrès américain514 • Face à ces prétentions, la communauté internationale est dans l'ensemble restée silencieuse, un peu comme elle l'avait été quelques mois auparavant pour l'opération en faveur des kurdes. À nouveau, le Conseil de sécurité et l'Assemblée générale passèrent sous silence cette violation à la souveraineté de l'Irak515 • Néanmoins, un nombre plus important d'États ont émis des réserves516 , Murphy, supra note 6, à la p. 180. Au 5e paragraphe de ce communiqué, il est mentionné: « In view of these failures to comply with UNSCR 688, the coalition has concluded thal it must itself monitor Iraqi compliance with UNSCR 688 in the south. Coalition aircraft will therefore begin flying surveillance missions over Iraqi territory south of 32 degrees north to monitor and report on the state of Iraqi compliance with the provisions of the resolution ». (Communiqué conjoint, supra note 510). Cette déclaralion tripartite ne doit pas nous tromper cependant. Il semble que le gouvernement britannique ait été prêt, quelques jours avant cette déclaration, à justifier la zone d'exclusion au sud par un droit d'intervention humanitaire. Le 20 août, l'honorable Douglas Hurd affirma que les actions des alliés n'ont pas toujours besoin d'être spécifiquement prévues dans une résolution de l'ONU pour qu'elles puissent être justifiées, car le droit international reconnaît les « nécessités humanitaires extrêmes». (Douglas Hurd, Secretary of State, UK, interview with 'Today' programme: 19 August 1992 reproduit dans WeIler, supra note 459, à la p. 723.). Mais, suivant les pourparlers avec les États-Unis et la France, le gouvernement britannique a vraisemblablement changé d'opinion sous la pression de ses partenaires. 514 Letter to Congressional Leaders Reporting on Iraq's Compliance with Security Council Resolutions, 28 Weekly Comp. Pres. Doc. 1669 (Sept, 16, 1992) tel que cité par Murphy, supra note 6, à la p. 191. 515 Murphy, supra note 6, à la p. 193. Cependant encore une fois, l'Assemblée générale a condamné les agissements de l'Irak envers sa populalion dans une résolution. (Situation des droits de l'homme en Iraq, Rés. AG 47/145, Doc. Off. AG NU, Doc. NU AlRES/47/145 (1992». 516 Murphy, Ibid. On peut croire que l'opposition plus grande envers cette deuxième zone d'exclusion s'explique par le fait qu'elle aurait été motivée par une résolution daIant de plus d'un an. 512 513 116 principalement les pays du Moyen-Orienfl7. Mais, comme l'énonce Sean D. Murphy, ces pays se sont objectés davantage en raison de leurs appréhensions politiques que juridiques. Grosso modo, ils craignaient que cette mesure ne provoque la partition de l'Irak et déstabilise la région518 • Le silence relatif de la communauté internationale envers ces deux opérations alliées a amené plusieurs juristes à se questionner sur leur effet en droit international. Doit-on considérer le cas irakien comme un précédent apportant une certaine reconnaissance de l'intervention humanitaire? Certains répondent par l'affirmative519 • Pierre Labergé, à titre d'exemple, était d'avis que le silence des membres du Conseil de sécurité qui se sont abstenus ou qui ont voté en faveur de la résolution 688 au mois d'avril 1991 attesterait de l'acceptation de l'opération «Provide comfort» et qu'en conséquence, elle constituerait un «précédent par omission» modifiant le droit coutumier international520 • Pour notre part, nous ne croyons pas qu'il s'agit d'un précédent sur lequel devrait miser les tenants de l'intervention humanitaire. Trois éléments factuels conduisent à cette conclusion. D'un point de vue strictement juridique tout d'abord, on ne peut déduire, de l'absence de réaction négative de la communauté internationale, quelque acceptation que ce soit du concept de l'intervention humanitaire, puisque les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne n'ont pas justifié leurs actions sur cette doctrine. Lorsqu'est venu le temps d'apporter une justification commune, ceux-ci ont jeté leur dévolu sur la résolution 688. Bien que leurs discours aient été parsemés de sentiments humanitaires, leur seul motif juridique a toujours été que la résolution 688 leur permettait d'agir. Pourtant, la France et la Grande-Bretagne étaient à l'époque respectivement favorables au devoir d'ingérence et à un droit limité d'intervention humanitaire. Alors pourquoi ont-elles fait marche arrière et refusé d'émettre un tel La Turquie, la Syrie, le Yémen, l'Arabie Saoudite, l'Algérie, l'Égypte, la Jordanie, le Soudan el la Ligue des Etats arabes ont clairement exprimé leur opposition. (Keesing's Record ofWorld Events, Vol 38 (1992) à la p. 39068.) 518 Murphy, supra note 6, à la p. 193. 519 Voir notamment Christopher, Greenwood, « Is There a Right of Humanitarian Intervention? », (1993) 49(2) The World Today 34, à la p. 40; Pierre Labergé, « Humanitarian Intervention: Three EthicaI Positions» (1995) 9 Ethics and International Affairs 31. Mais ils sont relativement isolés, car la plupart des partisans de l'intervention humanitaire sont d'avis que la résolution 688 autorisait implicitement les alliés à employer la force armée. (Téson, supra note 17, à la p. 239 et ss; Bettati, sUf,ra note 2, à la p. 663). 52 Labergé, Ibid, à la p. 31. 517 117 justificatif? On ne peut que spéculer ici, mais il est raisonnable de croire que les États-Unis préféraient une argumentation basée sur la résolution 688, ou encore que l'enthousiasme des deux pays européens ait été ralenti par le fait que les autres pays auraient difficilement accepté une telle rupture de l'ordre wesphalien qu'implique l'invocation de ces deux concepts. En effet, les trois alliés devaient savoir que de telles argumentations seraient rejetées du revers de la main et n'auraient pu servir à légitimer leurs intrusions en Irak sur la scène internationale521 • Leurs initiatives auraient, selon toute évidence, été contestées tant sur le plan juridique que politique. C'est le constat qui s'impose si l'on considère le Conseil de sécurité, un forum un tant soit peu représentatif de l'opinion internationale. Tout d'abord, le projet de résolution présenté par la France le 2 avril 1991 et fondé sur le« droit d'ingérence)} a été rejeté par les autres membres du Conseil de sécurité. Puis, les débats informels précédant l'adoption de la résolution 688 indiquent clairement que plusieurs membres du Conseil n'avaient aucune intention d'autoriser quiconque à employer la force 522 • Comme le fait remarquer Nicholas J. Wheeler, qui se base sur le témoignage de Sir David Hannay, représentant de la Grande-Bretagne à l'ONU à l'époque, il y a tout lieu de croire que la résolution votée à l'arraché n'aurait jamais vu le jour si le recours à la force avait été prévu. La Russie tout comme la Chine aurait vraisemblablement apposé leur droit de vét0523 • Ainsi, l'on peut croire, à plus forte raison, qu'un recours unilatéral à la force armée comme l'intervention humanitaire aurait été repoussé. C'est d'ailleurs ce qui s'est produit en 2001 lorsque la Grande-Bretagne justifia en partie sa décision de bombarder l'Irak sur une doctrine particulière d'intervention humanitaire. Peu d'États appuyèrent l'action anglo-américaine et la France, la Russie et la Chine jugèrent ces frappes illégales524 • Cette réticence pour l'intervention humanitaire semble expliquer pourquoi les alliés ont finalement opté pour une justification basée sur la résolution 688. Ne C'est ce que laisse entendre d'ailleurs Thomas M. Franck dans son dernier volume. (Franck, supra note 176, à la p. 155.) 522 David J. Scheffer, «Use of Force After the Cold War: Panama, Iraq, and the New World Order », dans Henkin, supra note 497, à la p. 145. D'ailleurs, la question des droits de l'homme a été peu discutée lors de ces débats. (Wheeler, supra note 459, aux pp. 143 à 145.) 523 Wheeler, Ibid., à la p. 146. 524 Christine Gray, « From Unity to Polarization: International Law and the Use of Force against Iraq» (2002) 13 (1) European Journal of International Law 1, à la p. 10 [Gray <draq»]; Keesing 's Record of World Events, Vol 47 (2001) à la p. 44026. 521 118 pouvant obtenir une seconde résolution du Conseil les autorisant spécifiquement à employer la force ou invoquer la doctrine de l'intervention humanitaire sans une forte adhésion des autres nations, ils ont choisi de se replier sur la résolution préalablement adoptée, bien que contestable sur le plan légal525 • Il faut comprendre que des pays non-interventionnistes comme la Chine et la Russie pouvaient vivre avec cette argumentation, puisque cette résolution ne remettait nullement en cause le paysage juridique existant. A bien des égards, elle demeure en effet timorée526 • Premièrement, elle correspond assez bien à l'évolution qu'avait pris le droit d'assistance humanitaire au début des années 90, demeurant déférente envers la souveraineté de l'Irak527 • Deuxièmement, elle reste conventionnelle dans la mesure où elle fait expressément mention dans son préambule que la menace à la paix internationale provient du déplacement transfrontalier de réfugiés en Turquie et en Iran et non directement de la répression de Saddam Hussein528 • Le cas irakien n'apparaît guère un précédent intéressant pour un deuxième motif. Les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France n'ont pas démontré un attachement soutenu aux droits de l'homme ni à la situation désastreuse que pouvait vivre la population irakienne. Certains impératifs essentiellement politiques ont restreint leur niveau d'implication en Irak. Avec le recul, on s'aperçoit que les alliés, mais tout spécialement les États-Unis, ont agi en fonction de considérations classiques de politique étrangère et non sur une vision solidariste des relations internationales. Suivant l'engagement exceptionnel envers le peuple kurde que constituait l'opération « Provide comfort », les vieux réflexes de la « realpolitik » sont réapparus. 525 À défaut de conférer une certaine légalité, cette résolution a pennis aux trois alliés de légitimer auprès du reste de la communauté internationale leur violation de la souveraineté de l'Irak. 526 Corten et Klein, supra note 2, aux pp. 233-34. 527 La résolution 688 réaffirme dans son préambule l'importance pour les États membres qui participent aux efforts d'assistance humanitaire « de respecter la souveraineté, l'intégrité territoriale et l'indépendance politique de l'Iraq ». De plus, le Conseil de sécurité ne fait dans cette même résolution qu' « insister» pour que l'Irak permette un accès immédiat des organisations internationales aux populations affligées. Ce langage respectueux de la souveraineté des États est similaire à celui employé dans les résolutions de l'Assemblée générale portant sur le droit d'assistance humanitaire. Voir notamment Assistance humanitaire aux victimes de catastrophes naturelles et situations d'urgence du même ordre, Rés. AG 43/131, Doc. Off. AG NU, Doc. NU AlRES/43/131 (1988) e 528 Voir le 3 considérant du préambule de la résolution 688 dans lequel le Conseil se déclare profondement préoccupé « par la répression des populations civiles iraquiennes dans de nombreuses parties de l'Iraq, y compris très récemment dans les zones de peuplement kurde, laquelle a conduit à un flux massif de réfugiés vers des frontières internationales et à travers celles-ci à des violations de frontière, qui menacent la paix et la sécurité internationales dans la région» [Nous soulignons]. (Résolution 688, supra note 470.) 119 Comme il avait été ignoré pendant des années auparavant, le sort des Kurdes irakiens ne semble pas avoir préoccupé outre mesure les alliés après l'été 1991. Il n'y a eu aucun élan humanitaire à l'occasion des bombardements de camps de réfugiés kurdes dans le nord de l'Irak par l'aviation turque, attaques qui pourtant ne sont survenues que quelques mois après le retrait des coaliséss29 • En fait, les alliés qui, tout au long des années 90, survolaient quotidiennement avec leurs avions de chasse la zone d'exclusion de vol au nord du 36e parallèle, ne se sont pas objectés aux multiples incursions de l'armée turque ou à celles du régime iranien visant à contenir toute menace séparatiste kurde en provenance de l'Irak. Même Saddam Hussein put continuer, en toute impunité, sa répression contre le peuple kurde s3o • La seule exception digne de mention fut l'intervention de l'aviation américaine de 1996 qui avait pour but de contrer l'ingérence du gouvernement irakien dans un conflit impliquant deux factions rivales kurdes. Il est d'ailleurs significatif que les États-Unis n'aient, à cette occasion, émis aucun justificatif fondé sur un droit d'intervention humanitaireS3 !. En fin du compte, l'on peut se questionner sur les effets à long terme de l'implication alliée dans le nord de l'Irak532 • Au-delà de l'aide d'urgence qu'ont reçu les kurdes au printemps 1991 et qui, rappelons-le, a été grandement bénéfique pour la population, leur droit à la vie et à la sécurité ainsi que leur droit à l'autodétermination ont été subséquemment négligés par les pays alliés, qui n'ont pas cherché à trouver une solution politique durable à la « question kurde ». La solidarité envers les communautés chiites et les tribus arabes du sud de l'Irak a été encore plus déficiente. L'imposition d'une zone d'interdiction du survol au sud du 32e parallèle au mois d'août 1992 est non seulement une mesure qui s'est avérée inadéquate à les protéger des frasques de Saddam Hussein, mais est arrivée beaucoup trop tard. Au printemps 1991, alors que battaient son plein les opérations de secours pour les réfugiés kurdes, l'Iran proposa l'établissement de «refuges humanitaires» dans le sud de l'Irak pour venir en aide aux réfugiés chiites. La réponse de l'Occident fut cette fois-ci négative. De toute évidence, le supplice des chiites au Corten et Klein, supra note 2, à la p. 240. Christopher de Bellaigue, « Justice and the Kurds », New York Review, 24 June 1999, 19,22 tel que cité dans Chesterman, supra note 55, à la p. 204. 531 En fait, ils n'ont émis aucun justificatif, rapportant uniquement l'incident au Conseil de sécurité. Selon Christine Gray, les États-Unis ne seraient pas intervenus pour des motifs humanitaires mais parce ~u'ils favorisaient une faction kurde plutôt qu'une autre. (Gray <draq», supra note 524, aux pp. 10-11.) 52 Jane E. Stromseth, « lraq's Repression of its Civilian Population: Collective Responses and Continuing Challenges» dans Damsroch, supra note 377, à la p . 99; Weiss, supra note 466, à la p. 68. 529 530 120 sud n'a pas soulevé le même élan de sympathie en Occident que celui subi par leurs compatriotes au nord. Pourtant, lorsque l'on consulte les chiffres, il semble que l'ampleur de la crise humanitaire et de la répression durant le printemps 1991 ait été aussi grande, sinon plus, au sud qu'au nord. Sans minimiser la situation d'urgence particulière dans laquelle se trouvait les réfugiés kurdes, il y aurait eu un nombre plus élevé de morts suivant les insurrections au sud533 . Alors comment expliquer cette réponse distincte à deux catastrophes humanitaires relativement similaires ? Il semble qu'il y ait deux causes principales. Tout d'abord, l'attention des grands médias internationaux était tournée vers les kurdes et non les chiites534. Ensuite, les alliés moyen-orientaux de la coalition, tout particulièrement l'Arabie Saoudite, étaient davantage inquiets des répercussions géopolitiques qu'impliquaient les refuges humanitaires dans le sud qu'ils ne pouvaient l'être pour ceux du nord. Ils craignaient que l'Irak ne se fragmente et que les chiites viennent à former un nouveau pays535. Par ailleurs, la promulgation de la zone d'exclusion de survol en août 1992 n'a pas réellement permis de mettre fin aux exactions du régime de Saddam Hussein. Puisque cette mesure empêchait uniquement les avions et hélicoptères de l'armée irakienne de survoler l'espace aérien au sud du 32e parallèle, le gouvernement put, sans aucune entrave, continuer sa répression par d'autres moyens. Il y a eu, au cours des dix années suivantes, de nombreuses attaques contre les civils536 sans que les coalisés n'interviennent directement par des actions coercitives. Les seules représailles armées des alliés après 1992 ont été menées principalement dans le but de punir Saddam Hussein pour son manque de coopération et pour ses fréquentes violations à ses engagements internationaux notamment en matière de réarmement et d'inspection d'armements537 . Alors, même si les alliés avaient soi-disant imposé les zones 533 Le nombre de réfugiés tant au sud qu'au nord aurait, selon les estimations les plus crédibles, avoisiné les 800 000-900 000. (Murpby, supra note 6, aux pp. 168-69). Pour ce qui est du nombre de décès, un nombre plus élevé a été recensé dans le sud selon une déclaration d'un responsable de Middle East Watch devant le Congrès américain. (Mass Killings in Iraq: Hearing Belore Senate Comm. On Foreign Re/ations, 102d Cong., 2d Sess. 10 (1992) tel que cité dans Ibid., à la p. 169) Wbeeler, supra note 459, aux pp. 161 et 169. C'est du moins l'opinion de Sir David Hannay, à l'époque représentant de la Grande-Bretagne aux Nations Unies. (Ibid., à la p. 161.) 536 Voir à ce propos les rapports annuels d'Amnistie internationale et de Human Rights Watch des années 1992 à 2002 sur leur site internet respectif. (En ligne: Amnistie Internationale <http://www.amnesty.org> et Human Rights Watch <http://www.hrw.org>). 537En 1993, 1998 et 2001, des raids aériens punitifs eurent lieu avant que l'opération « Iraqi freedom» menée en mars 2003 ne conduise à la fin du règne et à l'arrestation de Saddam Hussein. Pour plus de détails sur les aspects légaux de ces divers raids et sur l'opération « Iraqi freedom» de 2003 voir 534 535 121 d'exclusion en confonnité avec la résolution 688, c'est-à-dire avec l'objectif d'arrêter les massacres de civils, les événements ultérieurs démontrent qu'ils étaient davantage préoccupés par la stabilité internationale et par l'éviction de Saddam Hussein538 que par la sécurité des citoyens irakiens539 • En ce sens, on peut même douter que l'établissement des zones d'exclusion de vol puisse être de la nature d'une intervention humanitaire54o • Pour une troisième raison tout aussi significative, les diverses ingérences alliées en Irak de 1991-92 ne peuvent servir de précédent pour la doctrine de l'intervention humanitaire. Les circonstances particulières dans lesquelles elles ont eu lieu nous empêchent d'y voir quelques effets pour le futur. Comme l'énonce le professeur Pierre-Marie Dupuy, la situation de dépendance de l'Irak suivant la guerre contre les alliés constituait un fait exceptionnel et, en conséquence, « n'autorise nullement à ce qu'on voie dans la 688 un précédent suffisant pour autoriser désonnais par voie coutumière des Etats souverains à intervenir à titre humanitaire sur le territoire d'un autre sans l'accord de ce dernier [ ... ] »541. En effet, les actions militaires des États-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne s'inscrivent dans un contexte plus large de la première Guerre du golfe et de la défaite de l'Irak. D'une part, il n'est pas déraisonnable d'affinner que, sans cette guerre, les alliés ne seraient jamais intervenus. Les forces américaines occupaient toujours une partie du sud de l'Irak au mois d'avril 1991 lorsque la décision d'implanter des refuges humanitaires dans le nord a été prise. Sur le plan logistique, les interventions en Irak en étaient donc grandement facilitées. L'on peut croire également que les alliés notamment Gray, supra note 32, aux pp. 264-67 et p. 270-79; Gray <draq», supra note 524; Jules Lobel et Michael Ratner, « Bypassing the Security Council: Ambiguous Authorizations to Use Force, Cease-Fires and the Iraqi Inspection Regime» (1999) 93 (1) American Journal of International Law 124 [Lobel et Ratner]. 538 Les États-Unis ont publiquement admis ce mobile quelques années avant le renversement de Saddam Hussein. (Gray «Iraq», Ibid., à la p.ll) 539 Le fiasco qu'a été le programme « Pétrole contre nourriture}) témoigne également de ce manque flagrant de préoccupations humanitaires envers le peuple irakien. (Pour plus d'informations voir la note explicative écrite par Human Rights Watch en 2000: Human Rights Watch, « Explanatory Memorandum regarding the comprehensive embargo on Iraq» (15 janvier 2000) en ligne: Human Rights Watch <http://hrw.org/english/docs/2000/01/15/iraq5783.htm> (Date d'accès: 20 août 2005). 540 Pour reprendre l'expression employée par Simon Chesterman qui se réfère à Adam Roberts, il constituerait, à tout le moins, un exemple peu orthodoxe d'intervention humanitaire. (Chestennan, note 55, à la p. 204.) 541 Pierre-Marie Dupuy, « Après la guerre du Golfe» (1991) 95 Revue Générale de Droit International Public 621 à la p.630. 122 sont intervenus principalement en raison des responsabilités qui leur incombaient en tant que belligérants victorieux et non pour y faire respecter les droits de l'homme 542 • D'autre part, certains faits particuliers reliés au contexte d'après-guerre pourraient venir expliquer le silence de la communauté internationale envers la création des refuges humanitaires et des zones d'exclusion de vol. La réplique armée des alliés à l'agression irakienne du Koweït a reçu l'assentiment du Conseil de sécurité. De plus, la communauté internationale avait imposé toute une série de conditions et restrictions au régime de Saddam Hussein par un cessez-le-feu lorsque les opérations « Provide comfort» et « Southern watch» ont été mises en branle. Enfin, comme tout pays occupé, l'Irak était exposé aux exigences des vainqueurs comme le veut le droit de la guerre543 • Par conséquent, il est fort probable que la tolérance des autres États envers ces opérations provienne des actions agressives de l'Irak et de ses conséquences légales. Considérant l'implication de l'ONU et les restrictions auxquelles était assujetti l'Irak, il aurait été assez inusité, comme l'affirme Sean D. Murphy, que la communauté internationale s'objecte outre mesure à ces empiètements additionnels à la souveraineté irakienne : It would have been very odd to condemn coalition forces in northem Iraq as unlawfully interfering in Iraq's "domestic affairs" at a time when the Security Council had authorized the presence of such forces in southem Iraq, as weIl as extensive destruction of Iraqi weapons, seizure of lraqi assets, continued economic sanctions, and even the demarcation ofIraq's boundary with Kuwait, aIl in an effort to restore peace and security to the region. S44 Malgré ce qui précède, les interventions successives en Irak ne sont pas sans effet sur le droit international et, plus généralement, sur les relations internationales. Tout d'abord, le Conseil de sécurité en adoptant la résolution 688 a pour la première fois reconnu que la répression interne d'un gouvernement envers ses ressortissants entraînant la migration transfrontalière de réfugiés pouvait constituer une menace à la 542 Voir à ce sujet James Mayall, « Non-Intervention, Self-Detennination and the 'New World Order' » (1991) 67(3) International Affairs, aux pp. 426-28. 543Adam Roberts, « Rumanitarian War: Military Intervention and Ruman Rights » (1993) 69(3) International Affairs 429, à la p. 437. 544 Murphy, supra note 6, à la p. 194. 123 paix et à la sécurité internationales545 • Par cette résolution, le Conseil a donc étendu son champ de compétence à des situations qui tombaient dans les prérogatives internes des États au temps de la Guerre froide 546 • Rappelons que dans le cas de l'intervention de l'Jnde au Bengale orientale en 1971, un tel argument présenté par l'ambassadeur indien avait été rejeté par les autres membres du Conseie47 • De manière plus global, ce nouveau type de menace à la paix internationale s'explique par l'activisme et la compétence élargie du Conseil de sécurité qu'a favorisé le climat politique unipolaire des quinze dernières années. Deuxièmement, l'opération «Provide comfort» atteste plus particulièrement de la naissance d'un nouveau facteur crucial favorisant l'intervention armée extérieure, à savoir l'opinion publique. Traditionnellement, cet élément ne jouait pas un rôle si déterminant dans la décision d'intervenir. Des données essentiellement de politique étrangère y contribuaient. Tel n'est plus le cas dans cette nouvelle ère d'informations et de communications, qui permet aux citoyens d'avoir un accès quasidirect à quelques-unes des souffrances qui frappent le monde et, en retour, d'influer sur leurs gouvernements respectifs. Enfin, il y a une tendance mise en lumière par l'épisode irakien qui a un impact plus direct sur l'étude de l'intervention humanitaire. Pour la première fois, une nation, la Grande-Bretagne, a épousé publiquement une doctrine particulière d'intervention humanitaire, ouvrant ainsi la voie à ce qu'une telle argumentation soit employée dans l'avenir. En fait, cette nouvelle position des britanniques548 , constitue une manifestation de l'acceptation grandissante de l'idée d'intervention humanitaire dans le monde de l'après-guerre froide. Il est à noter cependant que le Conseil de sécurité avait déjà déterminé que la menace à la paix internationale pouvait être causée directement par les violations aux droits de l'homme en regard de la ~litique d'Apartheid de l'ancien gouvernement sud-africain. Voir ci-dessus la note 212. 6 Jane E. Stromseth, « Iraq's Repression of its Civilian Population: Collective Responses and Continuing Challenges» dans Damsrocb, supra note 377, aux pp. 97-98. 547 Voir ci-dessus à la p. 69. 548 Rappelons que le gouvernement britannique avait quelques années plus tôt jugé ce type d'action contraire au droit international. (Document des atTaires étrangères de la Grande-Bretagne, supra note 369.) 545 124 c) L'OTAN en RFYen 199!f49 Le plus récent incident significatif quant à la doctrine de l'intervention humanitaire est l'opération« Force alliée» de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) en République fédérale yougoslave (RFY) au printemps 1999. Les causes lointaines qui ont mené à cette intervention remontent à la montée du nationalisme serbe à la fm des années 80 et au conflit armé qui s'ensuivit entre les forces de sécurité serbes et le UCK, une armée de libération composée de kosovars d'origine albanaise. À partir de 1989, le gouvernement nationaliste serbe du Président Milosevic posa de nombreux gestes afin de faire de la province autonome du Kosovo, habitée à 90 % d'une population albanaise, une terre « serbe ». Il retira unilatéralement l'autonomie au Kosovo octroyée en 1974 par Tito et dissolut son assemblée législative. Des lois et des mesures discriminatoires envers les albanais visant à restreindre leur accès à la propriété et à l'emploi dans l'administration publique furent adoptées. Plusieurs médias et institutions culturelles furent obligés de fermer et le statut spécial de la langue albanaise fut révoquë 50 • Inversement, le gouvernement fédéral favorisa la venue de nombreux serbes. Il institua d'innombrables mesures incitatives et des privilèges à ceux désirant s'établir au KOSOV0 551 • En l'espace de deux ou trois années, un véritable système d'« apartheid »552 était en place au Kosov0553 • Au tout début, les albanais répliquèrent pacifiquement à ce régime discriminatoire sous le leadership du docteur Ibrahim Rugova, chef de la Ligue 549 Sur les événements entourant l'intervention de l'OTAN au Kosovo voir généralement les documents suivants: Wheeler, supra note 459, aux pp. 257 à 284; Independent International Commission on Kosovo, The Kosovo Report: Coriflict, International Response, Lessons Learned, Oxford, Oxford University Press, 2000 [Kosovo Report]; Noam Chomsky, The New Military Humanism: Lessonsfrom Kosovo, London, Pluto Press, 1999 [Chomsky]; Diana Johnstone, Fool's Crusade: Yugoslavia, NATO and Western Delusions, New York, Monthly Review Press, 2002 [Johnstone]; Catherine Guicherd, « International Law and the War in Kosovo» (1999) 41(2) Survival19 [Guicherd]; Adam Roberts, « NATO's 'Humanitarian War' over Kosovo» (1999) 41(2) Survival 102 [Roberts]. 550 Franck. supra note 176, à la p. 164. 55\ Pour un résumé des mesures édictées par la RFY voir Kosovo Report, supra note 549, aux pp. 4142. 552 Tel est l'avis de Nicholas J. Wheeler qui reprend l'expression utilisée par Biberaj. (Wheeler, supra note 459, à la p. 257.) 553 Le rapport de la Independent International Commission on Kosovo fait état que les violations aux droits de l'homme étaient répandues. Selon les commissaires, « It is said that at least one member of every Albanian family had been called to a police station, or had spent sorne time in jail, or was waiting for a trial». (Kosovo Report, supra note 549, à la p. 42.) 125 Démocratique du Kosovo (LDK). Ils déclarèrent la naissance de la République du KOSOV0 554 et déclenchèrent des élections afin d'élire leurs propres représentants. Ils créèrent également un véritable gouvernement parallèle. Des impôts furent prélevés parmi les albanais du Kosovo mais aussi parmi sa diaspora. Des systèmes indépendants de santé, de justice ainsi qu'un réseau scolaire furent institués555 • Cette réponse non-violente à la « gandhi »556 continua encore pour un temps. Mais lorsqu'en 1995 la question du « Kosovo» fut occultée dans les Accords de Dayton mettant fin aux hostilités en ex-Yougoslavie, plusieurs albanais remirent en question cette stratégie. L'approche plus radicale prônée par l'Armée de Libération du Kosovo (UCK) fondée en 1993 reçut une grande adhésion. Opérant clandestinement en 199596, l'UCK prit l'avant-scène de la lutte à la fin de 1997 et au début de 1998, tirant profit de l'état d'anarchie et du désordre social dans lesquels était plongé l'Albanie, pays voisin de la RFy557. Dès lors, le conflit s'intensifia. L'armée de libération maintenant mieux entraînée et équipée, mena de véritables combats contre les forces de sécurité serbes. Belgrade répliqua vigoureusement. À la fin du mois de février 1998, elle lança une offensive majeure dans la région de Drenice, terreau fertile de l'UCK, usant de chars d'assaut et d'hélicoptères. Plus d'une cinquantaine de kosovars albanais moururent, incluant des femmes et des enfants558 • En réponse à cette attaque, une manifestation pacifique fut organisée le 2 mars dans les rues de Pristina. Elle fut vivement réprimée par le gouvernement de Milosevic 559 • 554 Il est à noter que les autorités albanaises avaient préalablement tenu un référendum consultatif sur l'indépendance du Kosovo auprès des kosovars albanais en septembre 1991. 99 % des albanais votèrent en faveur. Le taux de participation fut de 87 %. (Ibid., à la p. 44.) 555 Ibid. aux pp. 42-47. 556 L'expression est de Nicholas J. Wheeler. (Wheeler, supra note 459, à la p. 258.) 557 L'État albanais était en 1997 incapable de gouverner en raison du désordre social occasionné par la crise économique. À la suite de l'effondrement d'un réseau de sociétés pyramidales extrêmement populaires dans cette nouvelle économie de marché, de multiples faillites personnelles survinrent. Accusant le pouvoir politique d'avoir encouragé le développement de ces sociétés, les épargnants frustrés s'adonnèrent à de violentes émeutes remettant en cause l'ordre et la sécurité dans le pays. L'UCK profita de ce chaos. Il subtilisa des armes dans les entrepôts, établit des bases d'entraînement en Albanie et reçut le soutien financier de la mafia albanaise. (Kosovo Report, supra note 549, aux pp. 52-53.) 558 Ce nombre est rapporté par Thomas Franck qui prend sa source d'un document de l'OSCE. (Kosovo/Kosova, As Seen, as Told: An Analysis of the Human Rights Findings of the OSeE Kosovo Verification Mission, October 1998 to June 1999, OSCE Office for Democratie Institutions and Human Rights (1999), pt. I, ch.1. tel que cité dans Franck, supra note 176, à la p. 164.) 559 Au moins 289 personnes ont été blessées dans les affrontements avec les forces de l'ordre. (Kosovo Report, supra note 549, à la p. 68.) 126 Longtemps passives560, les capitales étrangères ne se préoccupèrent du Kosovo qu'après ces événements561 • Le 7 mars, la Secrétaire d'État américaine Madeleine Albright, rappelant l'inaction de la communauté internationale au commencement du conflit en ex-Yougoslavie, déclara que cette fois-ci les États-Unis ne resteront pas les bras croisés562 • Le 31 mars, le Conseil de sécurité adopta la résolution 1160 condamnant l'usage excessif de la force par la police serbe et l'action terroriste de l'UCK et demanda à la RFY qu'elle en arrive à une solution négociée avec les kosovars albanais qui incluerait un degré plus élévé d'autonomie563 • En dépit de ces prescriptions, les deux parties furent incapables de trouver un terrain d'entente 564 • Le conflit se prolongea durant l'été 1998 résultant en de nombreux abus contre la population civile. Le Kosovo connut alors ses premières grandes vagues de réfugiés et de personnes déplacés565 • À ce moment, l'usage de la force contre la RFY n'était plus exclu. Les ÉtatsUnis et la Grande-Bretagne l'envisageaient sérieusement566 • Mais devant le refus catégorique de la Russie de permettre un tel recours, ils durent se contenter d'une deuxième résolution excluant toute mesure coercitive. Par la résolution 1199 du 23 septembre567 , le Conseil de sécurité se contenta d'affirmer que la détérioration de la situation au Kosovo constituait « une menace à la paix et à la sécurité dans la région» et demanda aux parties, tout en rappelant leurs obligations en vertu de la résolution 1160, qu'ils cessent immédiatement leurs hostilités et qu'ils prennent des mesures d'urgence afin d'éviter la survenance d'une crise humanitaire. Le Conseil prit 560 Comme le mentionne le rapport de la Independent International Commission on Kosovo, seules les ONG se préoccupaient du conflit au Kosovo entre 1993 et 1997. (Ibid., à la p. 60). Il faut dire néanmoins que le Président George Bush père avait, quelques jours avant de quitter son poste à la Maison blanche, averti Milosevic que dans l'éventualité d'un conflit au Kosovo dont la responsabilité lui incomberait, les États-Unis useraient de la force si nécessaire. (David Binder, « Bush Warns Serbs Not to Widen War» New York Times (28 décembre 1992).). 561 Les États-Unis prirent certaines sanctions diplomatiques. Le Groupe de contact qui comprenait la Russie condamna, pour sa part, le 9 mars, autant les forces de l'ordre yougoslaves que le UCK pour leur violence respective et demanda la cessation des hostilités. (Wheeler, supra note 459 aux pp. 258- 59 et Kosovo Report, supra note 549, à la p. 69.) Jonathan Steele, « Learning to Live with Milosevic » (1998) 5 Transitions, à la p. 19. Rés. CS 1160, Doc. Off. CS NU, Doc. NU SlRESI1160 (1998). 564Des pourparlers de paix sous les auspices des États-Unis échouèrent. (Keesing's Record of World Events, Vol 44 (1998) à la p. 42301.) 565 À la fin du mois d'août, 460 000 kosovars albanais auraient fui leur domicile selon les chiffres du Haut Commissariat pour les Réfugiés. (Kosovo Report, supra note 549, à la p. 74.) 566 Wheeler, supra note 459, à la p. 259; Mary Ellen O'Connell, « The UN, NATO, and International Law after Kosovo» (2000) 22 (1) Human Rights Quarterly 57, à la p. 76. [O'ConneU <<Kosovo »] 567 Rés. CS 1199, Doc. Off. CS NU, Doc. NU SIRES/l199 (1998). 562 563 127 néanmoins soin d'exiger plus spécifiquement de la RFY qu'elle mette en œuvre les quatre mesures prévues dans la déclaration du 12 juin précédent du Groupe de contact formé des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France, de l'Allemagne et de l'Italie568 • La mort de civils albanais suite à des attaques au mortier quelques jours plus tard relança encore une fois le débat. Devant la menace de l'emploi du droit de véto par la Russie569, les alliés, décidés à agir plus énergiquement, se tournèrent, cette foisci, vers un autre forum multilatéral de décision, l'OTAN. Après d'intenses discussions entre ses membres à propos de la légalité de recourir à la force sans l'autorisation de l'ONU57o, le Conseil de l'Atlantique Nord décida à l'unanimité d'approuver, le 13 octobre, des ordres d'activation (ACTORD) autorisant une campagne limitée d'attaques aériennes contre des cibles serbes. Le Secrétaire général de l'organisation, Javier Solana, précisa néanmoins que ces ordres ne seraient opérationnels qu'après un délai de quatre jours afm de laisser le temps nécessaire à la diplomatie571 • Cette menace porta fruit. L'envoyé spécial du Groupe de contact, l'américain Richard Holbrooke, se rendit à Belgrade et conclut une entente de principe avec Milosevic dans lequel celui-ci acceptait de retirer ses troupes du Kosovo et de permettre l'accès aux organisations humanitaires en vue du retour à domicile des réfugiés albanais. Afin de garantir le respect de ces engagements, Milosevic dut accepter également la présence de 2 000 inspecteurs de l'OSCE sur le territoire du Kosovo ainsi que l'établissement d'une mission de surveillance aérienne de l'OTAN572 • Ces termes furent ensuite approuvés par le Conseil de sécurité dans la 568 Par ces quatres mesures, le Groupe de contact demandait à la RFY de (l) cesser ses opérations de sécurité au Kosovo (2) permettre à l'équipe de surveillance de la Communauté européenne d'accomplir son mandat (3) faciliter le retour des réfugiés et personnes déplacés et permettre le libre accès sans aucune restriction aux organisations humanitaires et (4) faire des progrès rapides en vue d'une solution ~litique. (Ibid., para. 4» 69 Suite à un rapport du Secrétaire général de l'ONU publié le 5 octobre dans lequel il se disait choqué du massacre de civils, les membres du Conseil de sécurité se rencontrèrent d'une manière informelle pour discuter du dit rapport. Un projet de résolution de la Grande-Bretagne prévoyant le recours à la force fut proposé. La résolution avorta en raison des déclarations répétées de la Russie à l'effet qu'elle utiliserait son droit de véto. (Wheeler, supra note 459, à la p. 261). 570 Voir ci-dessous la p. 141. 511 NATO Secretary-General, Javier Solana, « Press Conference at NATO HQ in Brussels », (13 Octobre 1998) en ligne: l'OTAN <http://www.nato.intidocuispeech/I998/s981013b.htrn'> (Date d'accès: 20 août 2(05). 572 Voir à ce sujet Chesterman, supra note 55, à la p. 209 ; Kosovo Report, supra note 549, à la p. 76. 128 résolution 1203 du 24 octobre, en dépit de leur légalité douteuse 573 et des reproches formulés par la Chine concernant l'ordre d'activation lancé par l'OTAN574 • Sous la pression des alliés, la RFY remplit initialement ses obligations. Elle retira ses troupes armées du Kosovo. Profitant de ce retrait, l'UCK provoqua les forces serbes par une série d'opérations et prit le contrôle de plusieurs agglomérations575 • Comme on pouvait s'y attendre, l'armée yougoslave renoua avec la violence, livrant bataille à l'armée de libération et attaquant quelques villages. Le 15 janvier 1999, l'on apprit par les médias que les forces serbes avaient exécuté froidement quarante-cinq civils albanais, incluant femmes et enfants, dans le village de Racak en réplique à la mort de cinq policiers tués par l'UCK576• Le gouvernement yougoslave nia l'affaire, affIrmant que les victimes étaient des terroristes 577 • Cet incident choqua l'opinion publique internationale et précipita la suite des événements. Le Président Clinton et le Conseil de sécurité condamnèrent ce « massacre» d'innocents578 et l'OTAN menaça à nouveau de recourir à la force 579 • Les événements de Racak poussèrent également le Groupe de contact à réévaluer les accords d'octobre, forçant ainsi la RFY à retourner à la table de négociations. Une série de pourparlers entre divers groupes indépendantistes albanais et le gouvernement fédéral eurent lieu au château Rambouillet en France du 6 au 23 février et ensuite à Paris au En vertu de la Convention de Vienne sur le droit des traités, un traité signé sous la menace de recourir à la force est nul. (Convention de Vienne, supra note 186, art. 52) 574 Rés. CS 1203, Doc. Off. CS NU, Doc. NU SIRES/1203 (1998). Le délégué chinois aurait alors déclaré qu'il « est très regrettable que presque au même moment où ces accords étaient conclus, une organisation ait pris la décision d'entreprendre des opérations militaires contre la République fédérale de Yougoslavie et de s'ingérer dans ses affaires intérieures. Il est encore plus troublant que cette décision ait été prise unilatéralement, sans consulter le Conseil de sécurité ou demander son autorisation. Une mesure aussi irresponsable n'est pas propre à instaurer un climat pacifique pour gérer la question du Kosovo et ne contribuera pas à régler cette question ». (Doc. Off. CS NU, 53e sess., 3937" séance, Doc. NU SIPV.3937 (1998), à la p. 15) 575 Selon les services de renseignements américains, l'UCK avait l'intention, par cette provocation, d'amener l'OTAN à intervenir militairement au Kosovo. (O'Connell « Kosovo», supra note 566, à la 78 .) 76 Voir notamment Craig R. Whitney, « NATO Says It's Ready to Act to Stop Violence in Kosovo» New York Times (29 janvier 1999). [Whitney] 577Kosovo Report, supra note 549, à la p. 81. Il est maintenant établi qu'il ne s'agissait pas d'exécutions à bout portant de civils comme le prétendirent les médias occidentaux qui se basaient sur le témoignage unique et les conclusions hâtives du Chef de la mission de surveillance de l'OSCE, l'américain William Walker. Voir ci-dessous les pp. 153-54. 578 Voir Johnstone, supra note 549, à la p. 240 et Doc.Off. CS NU, 54" sess., Doc. NU SIPRSTI1999/2, 19 janvier 1999. 579 Whitney, supra note 576. Un peu plus tard, soit le 30 janvier, l'OTAN rétablit l'ordre d'activation autorisant le Secrétaire général Solana à lancer des frappes aériennes contre la RFY en cas d'échec des négociations de Rambouillet. Voir à ce propos Chesterman, supra note 55, à la p. 184. 573 r· 129 milieu du mois de mars sous l'égide de la diplomatie américaine. À la fin, la RFY refusa de signer un projet d'entente prévoyant le désarmement des forces serbes, l'autonomie immédiate pour le Kosovo ainsi que la tenue éventuelle d'un référendum sur son indépendance, et finalement ce qui fut la pierre d'achoppemenf 80, la présence et l'accès sans restriction des forces armées de l'OTAN sur tout le territoire yougoslave, incluant la Serbie, aux frais de Belgrade581 • Après le retrait des 1400 vérificateurs de la mission de l'OSCE le 19 mars, Holbrooke tenta une dernière fois de persuader Milosevic de cesser ses offensives contre le Kosovo (lesquelles avaient repris au cours des jours précédents582), et d'accepter les termes de l'accord de Rambouillet. Milosevic refusa tout comme d'ailleurs le Parlement yougoslave583 • Ce fut la dernière tentative de règlement pacifique du conflit. Suite à ce refus, l'OTAN prit, en contravention de sa charte constitutive584, la décision de concrétiser son plan d'attaque et, le 24 mars, les bombardements contre la RFY débutèrent. La même journée, à la requête du gouvernement russe, les membres du Conseil de sécurité se rencontrèrent à l'occasion d'une séance extraordinaire pour discuter de l'action de l'OTAN. Après deuxjours de débats, la Russie et la Biélorussie aidées de l'Inde présentèrent un projet de résolution affirmant que l'emploi unilatéral de la force par l'OTAN constituait une violation flagrante de la Charte de l'ONU et demandant la cessation immédiate des frappes Kosovo Report, supra note 549, à la p. 156. La clause litigieuse en question de l'Annexe B se lit comme suit: « NATO personnel shall enjoy, together with their vehicules, vessels, aircraft, and equipment, free and unrestricted passage and unimpeded access throughout the FRY including associated airspace and temtorial waters. This shall include, but not be limited to, the right of bivouac, maneuver, billet, and utilization of any areas of facilities as required for support, training, and operations ». (Interim Agreement for Peace and SelfGovernment in Kosovo, signed at Rambouillet 23 Feb 1999, UN Doc S/1999/648 (1999), Appendix B, art. 8 reproduit dans Chomsky, supra note 549, à la p. 107.) 582 Alors que les pourparlers de Paris étaient toujours en cours, les forces serbes amorcèrent une campagne majeure au Kosovo. La RFY aurait déplacé à la mi-mars 40 000 soldats au Kosovo selon certaines sources. Voir à ce sujet O'ConneU «Kosovo », supra note 566, à la p. 80. 583 Dans un dernier entretien téléphonique, Holbrooke aurait affirmé à Milosevic s'il réalisait ce qui allait se passer s'il maintenait son refus. Ce dernier aurait répliqué: « Yes, you will bomb us ». (Tim Judah, Kosovo: War and Revenge, London, Yale University Press, 2000, à la p. 227.) 584 Par leur action, les membres de l'OTAN auraient violé les articles 1,5 et 7 du Traité de l'Atlantique Nord Ils ont utilisé la force en dehors des situations de légitime défense et n'ont pas respecté la primauté du Conseil de sécurité de l'ONU en matière de paix et de sécurité internationales, n'obtenant aucune autorisation explicite de sa part. Pour plus de détails voir notamment Sur, supra note 9, à la p. 15 et François Dubuisson, « La problématique de la légalité de l'opération « Force alliée» contre la Yougoslavie: Enjeux et questionnements» dans Corten et Delcourt, supra note 1, aux pp. 183-93. 580 581 130 aériennes. Douze des quinze membres du Conseil rejetèrent le projet585 • De manière similaire, la RFY tenta sans succès de stopper les bombardements en saisissant la CU de la question586 • Finalement, les frappes aériennes durèrent 78 jours. Devant la destruction de ses infrastructures et la déchéance rapide de son économie qui l'avait affaibli politiquement et militairement, la RFY céda et accepta les termes d'un projet d'accord élaboré en commun par la Russie et l'Union européenne au début dejuin587 • L'entente prévoyait le retrait de toutes les troupes serbes du Kosovo et le déploiement d'une force multinationale (KFOR) composée d'effectifs de l'OTAN et de la Russie afin d'assurer en toute sécurité le retour à la maison des quelques 1,2 à 1,5 millions de kosovars qui avaient fui leur domicile au cours du conflit. Enfin, la province du Kosovo obtenait une autonomie substantielle à l'intérieur de la RFy588 • Mais avant que cette autonomie puisse être effective, l'administration civile de la province fut confiée à une mission de l'ONU, la MINUK, par l'entremise de la résolution 1244 du Conseil de sécuritë89, qui endossa les principes généraux de l'accord fmal du 9 juin590 • Doc. Off. CS NU, 54e sess., 3989° séance, Doc. NU S/PV.3989 (1999), à la p. 6. [Séance du 26 mars] Seules la Russie, la Chine et la Namibie votèrent positivement. L'Argentine, le Bahrein, le Brésil, le Canada, les États-Unis, la France, le Gabon, la Gambie, la Grande-Bretagne, la Malaisie, les Pays-Bas, la Slovénie y étaient, quant à eux, opposés. 586 Au mois d'avril, la RFY a pris action contre dix membres de l'OTAN. Elle demanda à titre de mesures conservatoires, l'arrêt immédiat des frappes aériennes et l'abstention de tout emploi de la force contre son territoire. La Cour r~eta cependant ces requêtes, jugeant qu'elle n'avait pas primafaeie la compétence nécessaire. Par ordonnance datée du 2 juin 1999, elle conclut à son incompétence en raison des termes inscrits dans la déclaration de la RFY confirmant son acceptation de la juridiction de la cu. Dans ces ordonnances, la Cour s'est néanmoins déclaré préoccupée par le recours à la force de l 'OTAN. Les juges ont affirmé: « [ ... ] que la Cour est fortement préoccupée par l'emploi de la force en Yougoslavie; que, dans les circonstances actuelles, cet emploi soulève des problèmes très graves de droit international ». Voir ces diverses ordonnances de la CU dans son recueil annuel. (Lieéité de l'emploi de laforee, Mesures conservatoires, Ordonnance du 2 juin 1999, [1999] C.I.J. rec., aux pp. 124,259,363,481,542,656,761,826 et 916.) Notons enfin que la Cour a confirmé son incompétence dans un arrêt rendu sur le fond en décembre 2004. Voir l'arrêt en question sur le site internet de la Cour Internationale de Justice, en ligne: < http://www.icj-cij.orglcijwww/cdecisions.htm> (Date d'accès: 20 août 2005). 587 Le projet était fondé sur un plan de paix en sept points formulés par le G8. Sa négociation fut conduite sous la férule de l'émissaire finlandais Martii Ahtisaari représentant l'Union européenne et de l'envoyé russe Viktor Chemomyrdin. Après quelques jours de tergiversations, un accord final fut finalement signé le 9 juin 1999 entre les autorités militaires serbes et celles de l'OTAN. 588 Pour plus de détails sur cet accord voir notamment Roberts, supra note 549, aux pp. 116-118. 589 Rés. CS 1244, Doc. Off. CS NU, Doc. NU SIRES/1244 (1999). 590 Certains sont d'avis que la résolution 1203 permet de légaliser après les faits l'emploi de la force par l'OTAN. (Voir notamment Alain Pellet, « 'La guerre du Kosovo' : Le fait rattrapé par le droit», (1999) 1 Forum du droit international, à la p. 164). Une telle conclusion est discutable toutefois puisque la résolution 1203 demeure totalement muette sur les bombardements de l'OTAN. Elle ne fait qu'entériner l'accord final signé entre l'OTAN et les autorités militaires serbes. (Voir notamment 585 131 Six ans après ces événements, la MINUK ainsi que la KFOR sont toujours en opération et le statut du Kosovo est plus que jamais l'objet de débats 591 • Quant à Milosevic, il a été délogé de son poste de Président de la RFY en octobre 2000 suite à l'occupation du Parlement yougoslave par des milliers de serbes qui demandaient sa destitution en raison des allégations de fraude lors du premier tour des élections présidentielles. Il fait actuellement face à la justice devant le Tribunal pénal international d'ex-Yougoslavie (TPIY). Il est inculpé sous des chefs d'accusation de génocide et de crimes contre l'humanité. Au moment de justifier leurs bombardements de la RFY, l'OTAN ainsi que ses membres n'ont pas parlé d'une seule voix. Il y a eu une variété d'arguments juridiques, politiques et moraux offerts592 , chaque État élaborant ses propres motifs. C'est que très tôt, des divergences d'opinion sont apparues entre les membres de l'Alliance. De sorte qu'un consensus sur une justification commune n'a pas pu être trouvé. C'est en fait bien avant mars 1999 que les pays euro-atlantiques eurent des discussions à ce sujet. La plupart d'entre elles sont survenues à la fin de septembre et au début d'octobre 1998, quelques jours avant que le Conseil Atlantique ne menace la RFY pour la première fois en promulguant son ordre d'activation des bombardements. À l'époque, les membres de l'OTAN étaient tous convaincus de la nécessité morale et politique d'intervenir par la force. Il restait néanmoins à trouver une justification acceptable pour tous. La Grande-Bretagne proposa à ses alliés une argumentation fondée sur un droit limité d'intervention humanitaire ressemblant à celle qu'elle avait étayé en 1992593 • Le Foreign and Commonwealth Office envoya aux différentes capitales une note exposant dans le détail la position britannique. Il était mentionné que si une action coercitive à travers le Conseil de sécurité était impossible, l'utilisation unilatérale de la force pouvait tout de même être justifiée légalement lors de circonstances relevant Marcelo G. Kohen, « L'emploi de la force et la crise du Kosovo: vers un nouveau désordre juridique international» (1999) 32 (1) Revue Belge de Droit International 122, à la p. 141. [Kohen] 591 « Kosovo: 2005 année de l'indépendance» Courrier international (3 au 9 février 2005) Il. 592 Pour une excellente analyse de ces arguments voir Corten et Delcourt, supra note 1. 593 Voir ci-dessus les pp. 112-113. 132 d'une «extrême nécessité humanitaire »594. Cette justification n'a pas obtenu l'appui nécessaire des autres membres. Au moins sept pays y étaient opposés dont certains acteurs clés comme les États-Unis, l'Allemagne et la France 595 • Les États-Unis, quant à eux, préconisaient un autre argument. Pour les américains596, les résolutions 1160 et 1199, bien que n'autorisant pas expressément le recours à la force, constituaient un fondement juridique valable aux éventuels bombardements. Ces résolutions avaient été adoptées en fonction du Chapitre VII et les engagements auxquels étaient tenus la RFY en vertu de ces résolutions avaient été violés. Mais encore une fois, cette proposition n'a pas soutiré l'assentiment des autres membres de l'OTAN. La France, l'Allemagne et l'Italie, pour ne nommer que ceux-là, ont manifesté à plusieurs reprises de sérieuses réserves à propos du point de vue américain. Ils étaient visiblement hésitants à justifier légalement l'action de l'OTAN par les résolutions 1160 et 1199 qui n'autorisaient nullement le recours à la force 597 • Compte tenu de ces divergences d'opinion en son sein, l'OTAN opta finalement pour une combinaison d'arguments politiques et juridiques afm de légitimer son ordre d'activation du 13 octobre. Dans une lettre du Secrétaire général de l'OTAN adressée aux représentants permanents du Conseil de l'Atlantique nord qui recapitule les points soulevés lors des discussions, cinq grandes justifications sont énumérées: (1) le non-respect par la RFY des résolutions de l'ONU, (2) l'imminence 594 La note précisait: «[ ... ] A UNSCR would give a clear legal base for NATO action, as weil as being politically desirable. But force can also be justified on the grounds of overwhelming humanitarian necessity without a UNSCR. The following criteria wou Id need to be applied. a) that there is convincing evidence, generally accepted by the international community as a whole, of extreme humanitarian di stress on a large scale, requiring immediate and urgent relief; b) that it is objectively clear that there is no practicable alternative to the use of force if lives are to be saved; c) that the proposed use of force is necessary and proportionate to the aim (the relief of humanitarian need) and is strictly limited in time and scope to this aim [ ... ] The UK's view is therefore that. as matters now stand and if action through the Security Council is not possible. military intervention by NATO is lawful on grounds of overwhelming humanitarian necessity» [Nous soulignons]. (One-Page FCO note of 7 October 1998, «FRY/Kosovo: The Way Ahead; UK View on Legal Base for Use of Force» reproduite dans Roberts, supra note 549, à la p. 106.) 595 Les autres États étaient la Belgique, l'Italie, la Grèce et l'Espagne. Voir à ce sujet Guicberd, supra note 549 à la p. 26 et Michael J. Matheson, « Justification for the NATO Air Campaign in Kosovo» (2000) 94 American Society ofInternational Law Proceedings 301 [MatbesonJ. 596 Guicherd, Ibid., à la p. 26. 597 Voir à ce sujet Ibid., aux pp. 26-28 et Wbeeler, supra note 549, aux pp. 261-62. 133 d'une catastrophe humanitaire telle qu'anticipée dans le rapport du Secrétaire général de l'ONU du 5 octobre 1998, (3) la persistance d'une crise humanitaire en raison du manque de mesures concrètes prises par la RFY en vue d'en arriver à une solution pacifique, (4) l'impossibilité d'obtenir une résolution du Conseil de sécurité autorisant la force et finalement, (5) la menace à la paix et à la sécurité régionale dans les Balkans que représentait la situation du Kosovo telle que confirmé dans la résolution 598 1199 • Plusieurs de ces arguments furent ensuite repris par l'OTAN au mois de mars 1999 lorsqu'est venu le temps d'expliquer la décision de bombarder la RFY, bien que d'autres motifs aient été soulevés. Le 23 mars, la veille des premiers raids aériens, Solana affirma à l'occasion d'une conférence de presse les raisons qui ont poussé les alliés à agir : [ ... ] Tous les efforts entrepris pour parvenir à une solution politique négociée à la crise du Kosovo ayant échoué, il n'y a plus d'autre solution que de recourir à l'action militaire. Nous agissons à la suite du refus opposé par le gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie aux exigences de la communauté internationale, qui sont les suivantes : acceptation du règlement politique provisoire qui a été négocié à Rambouillet; respect total des limites imposées aux forces armées et aux forces de police spéciales serbes conformément à l'accord du 25 octobre; arrêt de l'usage excessif et disproportionné de la force au Kosovo. [... ] Notre objectif est de prévenir de nouvelles souffiances humaines et la poursuite de la répression et de la violence contre la population civile du Kosovo. Nous devons aussi agir pour empêcher une extension de l'instabilité dans la région. [ ... ] Nous devons faire cesser la violence et mettre fin à la catastrophe humanitaire qui frappe maintenant le Kosovo. 598 Letter from Secretary-General, addressed to the permanent representatives to the North Atlantic Council, dated 9 October 1998 tel que cité dans Bruno Simma, « NATO, the UN and the Use of Force: Legal Aspects }) (1999) 10 European Journal of International Law 1, à la p. 7 [Simma « Kosovo »]. 134 [ ... ] Nous devons empêcher un régime autoritaire de continuer à réprimer son peuple en Europe à la fm du XXe siècle. C'est pour nous un devoir moral. 599 À mesure que la guerre contre la RFY s'éternisait, le discours justificatif de l'OTAN prit une tournure encore plus moralisatrice et civilisatrice, rappelant étrangement la théorie de la «guerre juste ». À plusieurs reprises, les bombardements contre la RFY furent présentés comme une guerre «pour les valeurs» qu'incarnent l'OTAN et ses membres, c'est-à-dire le respect des droits de l'homme, de la démocratie et de la primauté du droit6°O. À titre d'exemple, les Chefs d'État et de gouvernement des pays membres de l'OTAN ont affirmé dans une déclaration commune sur le Kosovo lors du Sommet de Washington des 23 et 24 avril que : [l]a crise au Kosovo remet fondamentalement en cause les valeurs que l'OTAN défend depuis sa fondation: démocratie, droits de l'homme et primauté du droit. C'est l'aboutissement d'une politique délibérée d'oppression, de nettoyage ethnique et de violence conduite par le régime de Belgrade sous la direction du président Milosevic. Nous ne laisserons pas cette campagne de terreur réussir [ ... ].601 Cette diversité dans l'argumentation a été tout aussi présente dans les diverses déclarations des représentants officiels des gouvernements euro-atlantiques. Il nous est impossible de relater dans le détail ces multiples déclarations du printemps 1999 émises lors de conférence de presse, de délibérations aux assemblées législatives, de débats au Conseil de sécurité ou encore à l'occasion des plaidoiries devant la CIl 599 Déclaration à la presse de M. Javier Solana, Secretaire-général de l'OTAN, 23 mars 1999, Communiqué de presse (1999)040, en ligne : l'OTAN <http://www.nato.int/docu/pr/1999/p99040f.htm > (Date d'accès: 20 août 2005) [Déclaration de 8olana] 600 Voir à cet effet Laurence Weerts, « Droit, politique et morale dans le discours justificatif de l'Union Européenne et de l'OTAN: vers une confusion des registres de légitimité» dans Corten et Delcourt, supra note l, aux pp. 114 à 116. Dans la même veine, le Premier ministre britannique Tony Blair aurait déclaré, alors que les bombardements de l'OTAN au Kosovo se poursuivaient ce que qui suit: « We need to enter a new millennium, [ ... ] where dictators know that they cannot get away with ethnic c1eansing or repress their peoples with impunity. In this conflict we are fighting not for territory but for values. For a new intemationalism where the brutal repression of whole ethnie groups will no longer be tolerated ». (Barton Gellman and Steven Mufson, « Humanitarian War: Confliet Tests a Paradigm of Value-Based International Action », Wash. Post, June 6, 1999, at A20 reproduit dans Michael J. Olennon, Limits of law, Prerogative of Power: Interventionism after Kosovo, New York, Palgrave, 2001, à la p. 16l. [Glennon]) 601 Déclaration de Washington signée et publiée par les Chefs d'États et de gouvernements participant à la réunion du Conseil de l'Atlantique Nord tenue à Washington les 23 et 24 avril 1999,23 avril 1999, Communiqué de presse, NAC-S(99)63, en ligne: l'OTAN <http://www.nato.int/docu/pr/1999/p99063f.htm> (Date d'accès: 20 août 2005). 135 Notons simplement que trois arguments ont été employés plus régulièrement que les autres602 • En premier lieu, quelques gouvernements ont justifié l'opération « Force alliée» par les diverses violations au droit international de la RFY. Ces États ont souvent souligné le non-respect par les autorités yougoslaves des résolutions 1160, 1199 et 1203 ou des traités qu'elles ont signés603 • Certains ont, de plus, mis l'accent sur les violations sérieuses de la RFY aux droits de l 'homme et au droit international humanitairé04 • Ces divers arguments mettant l'emphase sur les violations par la RFY de ses obligations internationales605 font indirectement référence à la théorie des contre-mesures en droit international606 • Deuxièmement, un nombre plus important d'États ont légitimé leur action en se basant sur l'existence préalable de résolutions du Conseil de sécurité abordant la question du Kosovo. Mention a été notamment faite que ces résolutions ont été adoptées en fonction du chapitre VII et qu'une d'entre elles, la résolution 1199, constatait l'existence d'une menace à la paix et à la sécurité internationales. La France et les États-Unis ont régulièrement exprimé ce raisonnement607 qui revient à produire Pour un aperçu des autres arguments soulevés par les alliés voir notamment Wheeler, supra note 549, aux pp. 265-66 et Glennon, supra note 600, aux pp. 24-28. 603 À titre d'exemple, la France par l'entremise de son représentant à l'ONU aurait affirmé devant le Conseil de sécurité le 24 mars que « [l]es actions qui sont décidées répondent à la violation par Belgrade de ses obligations internationales, telles qu'elles résultent notamment des résolutions du Conseil de sécurité prises sur le fondement du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ». (Doc. Off. CS NU, 54e sess., 3988e séance, Doc. NU SIPV.3988 (1999), à la p. 9) [Séance du 24 mars] 602 L'avocat représentant les États-Unis aurait déclaré devant la CIJ lors des plaidoiries orales que l'action de l'OTAN était en outre justifiée en raison des « graves violations par les forces se trouvant sous le contrôle de la République fédérale de Yougoslavie, des obligations découlant du droit international humanitaire et relatives aux droits de l'homme, notamment les meurtres, disparitions, viols, vols et destructions de biens à grande échelle ». (Affaire re/alive à la lieéité de l'emploi de la force, (Yougoslavie e. Étals-Unis), plaidoiries orales, CR 99/24, 12 mai 1999, au para. 1.7.) 604 605 Outre la France et les États-Unis, le Portugal et les Pays-Bas auraient également offert de telles justifications devant la CU (Affaire relative à la Iicéité de l'emploi de la force. (Yougoslavie c. Poturgal), plaidoiries orales, CR 99/21, 11 mai 1999, au para. 3.1.4 et Affaire relative à la lieéité de l'emploi de laforee, (Yougoslavie e. Pays-Bas), plaidoiries orales, CR 99/20, 11 mai 1999, au para. 43.). Rappelons que de telles représailles contre un pays qui a violé le droit international sont illégales lorsqu'elles impliquent l'emploi de la force. Voir ci-dessus à la p. 61. 607 Le représentant américain aux Nations Unies, Peter Burleigh, aurait insisté sur ce point lors des délibérations au Conseil de sécurité du 24 mars (Séance du 24 mars, supra note 603, à la p. 4). Tandis que le premier ministre Lionel Jospin fit la présente déclaration à l'Assemblée nationale française le 26 606 136 une défense d'« autorisation implicite» qUi, précisons-le, demeure hautement controversée en droit international608 • Enfin, la plupart des membres de l'OTAN ont également soutenu qu'il était nécessaire d'intervenir en vue d'arrêter ou de prévenir une catastrophe humanitaire au Kosovo. De manière générale, les États qui ont eu recours à ce type d'argumentatif fondé en quelque sorte sur un état de nécessité ne développaient pas leur raisonnement. Constatant simplement qu'il y avait imminence d'un désastre humanitaire, plusieurs d'entre eux ont affirmé qu'ils se devaient d'agir sans préciser sur quelles bases exactement ils agissaient609 • À d'autres occasions, par contre, certains ont été plus loquaces et ont détaillé leur justificatif. Le Conseil européen réuni à Berlin, s'exprimant au nom de l'Union européenne, mentionna le 26 mars dans une déclaration commune que les pays européens avaient «l'obligation morale» d'intervenir afin de stopper la violence et les comportements discriminatoires auxquels était assujetti le Kosovo: Au moment d'entrer dans le XXIe siècle, l'Europe ne peut tolérer une catastrophe humanitaire en son sein. Elle ne peut permettre que, au centre de l'Europe, la population prédominante du Kosovo soit collectivement privée de ses droits et soumise à de graves abus sous l'angle des droits de l'homme. Nous, les pays de l'UE, sommes dans l'obligation morale d'assurer gue les comportements discriminatoires et la violence, gui sont mars : « Le Conseil de sécurité est responsable au premier chef du maintien de la paix et de la sécurité internationale. [ ... ] Mais, dès lors que le Conseil n'était pas en mesure d'agir pour en imposer l'application, dès lors qu'il y avait urgence, alors, il nous appartenait de prendre toutes nos responsabilités, notamment au sein de l'Alliance atlantique. D'autant qu'en adoptant, au titre du chapitre VII de la Charte des Nations unies, gui concerne le recours à la force, les résolutions 1160 (du 31 mars 1998), 1199 (du 23 septembre 1998) et 1203 (du 24 octobre 1998), le Conseil de sécurité a établi clairement que la détérioration de la situation au Kosovo représentait une menace pour la paix et la sécurité internationales ». [Nous soulignons]. (<< Base documentaire des déclarations françaises depuis 1990» en ligne: France diplomatie <http://www.diplomatie.fr>)(Dated'accès: 20 août 2005» 608 Voir notamment à ce sujet les articles suivants: Lobel et Ratner, supra note 537 et Olivier Corten et François Dubuisson, « L'hypothèse d'une règle émergente fondant une intervention militaire sur une 'autorisation implicite' du Conseil de sécurité» (2000) 104 (4) Revue Générale de Droit International Public 873. Voir notamment les arguments offerts par les États-Unis, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, l'Espagne et l'Allemagne lorsqu'ils défendaient la légalité de leurs actions contre la RFY devant la CU. (Affaire relative à la /icéité de l'emploi de laforee, (Yougoslavie e. États-Unis), plaidoiries orales, CR 99/24, 12 mai 1999, au para. 1.7, Affaire relative à la licéité de l'emploi de laforce, (Yougoslavie c. Espagne), plaidoiries orales, CR 99/22, Il mai 1999, au para. l, Affaire relative à la Iicéité de l'emploi de laforee, (Yougoslavie e. Pays-Bas), plaidoiries orales, CR 99/20, Il mai 1999, au para. 40, Affaire relative à la licéité de l'emploi de laforee, (Yougoslavie c. Allemagne), plaidoiries orales, CR 99/18, Il mai 1999, au para. 1.3.1 et Affaire relative à la lieéité de l'emploi de la force, (Yougoslavie c. Royaume-Uni), plaidoiries orales, CR 99/23, Il mai 1999, aux paras. 17-18). 609 137 devenus tangibles avec le massacre de Racak. ne soient pas répétés. 6\0 [Nous soulignons] La Grande-Bretagne, quant à elle, reprit sensiblement la même ligne d'argumentation juridique qu'elle avait prônée au mois d'octobre 1998. Son représentant au Conseil de sécurité, Sir Jeremy Greenstock, aurait déclaré le 24 mars que l'action de l'OTAN était légale puisque justifiée en tant que mesure exceptionnelle se fondant sur une nécessité humanitaire inéluctable: L'action entreprise est légale. Elle se justifie en tant que mesure exceptionnelle pour prévenir une catastrophe humanitaire de grande envergure. Dans les circonstances prévalant actuellement au Kosovo, il existe des preuves convaincantes que cette catastrophe est imminente. Si les autorités de la [RFY] se livrent à de nouveaux actes de répression, il s'ensuivrait de nouvelles pertes parmi la population civile et des déplacements de la population civile à grande échelle et dans des conditions hostiles. Tous les moyens pacifiques ont été tentés pour éviter cette situation. Dans de telles circonstances, et en tant que mesure exceptionnelle se fondant sur une nécessité humanitaire inéluctable, l'intervention militaire est justifiable sur le plan juridique.61l [Nous soulignons] De manière plus nébuleuse, les Pays-Bas semblent avoir également justifié l'opération « Force alliée» sur le droit. Lors du débat au Conseil de sécurité abordant l'intervention de l'OTAN, l'ambassadeur hollandais, Monsieur Van Walsum, a maintenu que les alliés possédaient l'autorité légale pour empêcher une catastrophe humanitaire car, en l'espèce, des membres permanents du Conseil de sécurité bloquaient systématiquement l'adoption d'une résolution jugée nécessaire612 • Contrairement cependant à la Grande-Bretagne, les Pays-Bas n'ont pas employé ce Déclaration du Conseil européen de Berlin, Bulletin quotidien Europe, n° 7433,26 mars 1999, aux pp. 5-6. La déclaration fut également citée par le représentant allemand au Conseil de sécurité à J'occasion des débats sur J'action de l'OTAN Je 24 mars 1999. (Séance du 24 mars, supra note 603, à la p. 18.) [Déclaration de l'UE] 61 1Séance du 24 mars, Ibid., à la p. 12. 612 Voici la traduction française de ce qu'il a déclaré devant le Conseil de sécurité: « Le Secrétaire général a raison de dire, dans son communiqué de presse, que le Conseil devrait participer à toute décision impliquant un recours à la force. Cependant, si une telle résolution ne peut être adoptée en raison de l'interprétation rigide d'un ou deux membres permanents du [Conseil de sécurité], nous ne pouvons rester passifs et laisser la catastrophe humanitaire se produire. Dans cet état de choses, nous allons agir sur la base juridique dont nous disposons et ce dont nous disposons, en l'occurrence, est tout à fait suffisant». (Ibid. à la p. 8) 610 138 613 type de justificatif avec régularité. Ils ont utilisé une variété d'arguments • Tout comme d'ailleurs la Belgique, qui toutefois alla plus loin que la Grande-Bretagne et les Pays-Bas dans sa défense d'un droit exceptionnel d'intervention humanitaire lors des audiences devant la CU. Après avoir insisté sur le fait que l'intervention trouvait ses fondements dans les résolutions du Conseil, l'avocat représentant la Belgique, Rusen Ergec, poussa son raisonnement plus loin et invoqua expressément la doctrine de l'intervention humanitaire. Il argumenta que la Belgique avait l'obligation légale d'« intervenir pour prévenir une catastrophe humanitaire» dans le but «de sauvegarder les droits de l'homme érigés en norme de jus cogens». Élaborant davantage, il ajouta que l'action de l'OTAN ne violait pas l'article 2 (4) de la Charte car elle n'était pas dirigée contre l'intégrité territoriale ni l'indépendance politique de la RFY et qu'il y a eu, par le passé, quelques précédents (Bengale oriental, Ouganda, Cambodge, Libéria, Sierra Leone) qui attesteraient de l'acceptation de cette doctrine 614 • Une fois la guerre de l'OTAN contre la RFY terminée, les analystes ont pu jauger son effet sur le droit international. Les plus traditionnalistes ont simplement constaté l'illégalité des frappes aériennes en se basant sur les sources classiques du 615 droit international • Un autre groupe de juristes est arrivé à la même conclusion, sauf Les Pays-Bas ont aussi argumenté deux jours plus tard que l'action de l'OTAN était fondée sur la résolution 1203 et sur le non respect des engagements pris par les autorités yougoslaves en vertu de la même résolution. (Séance du 26 mars, supra note 585, à la p. 4) 614 Voici un exposé de ses plaidoiries: « [L]e Royaume de Belgique est d'avis que l'intervention armée trouve un fondement sans conteste dans les résolutions du Conseil de sécurité que je viens de citer. [ ... ] Mais il faut aller plus loin et développer l'idée de l'intervention humanitaire armée. L'OTAN, le Royaume de Belgique en particulier, était tenu d'une véritable obligation d'intervenir pour prévenir une catastrophe humanitaire qui était en cours [ ... ] pour sauvegarder des valeurs essentielles qui sont elles aussi érigées au rang de jus cogens. Est-ce que le droit à la vie, l'intégrité physique de la personne, l'interdiction des tortures, est-ce que ce ne sont pas des normes érigées au rang de jus cogens? [ ... ] Et cette intervention comporte une autre caractéristique importante, [ ... ] c'est une intervention pour sauver une population en péril, en détresse profonde. C'est la raison pour laquelle le Royaume de Belgique estime que c'est une intervention humanitaire armée qui est compatible avec l'article 2, paragraphe 4 de la Charte qui ne vise que les interventions dirigées contre l'intégrité territoriale et l'indépendance politique de l'Etat en cause. Et faut-il invoquer des précédents, l'intervention de l'Inde dans le Pakistan oriental, l'intervention de la Tanzanie en Ouganda, du Vietnam au Cambodge, les interventions des pays de l'Afrique de l'Ouest au Libéria d'abord et puis au Sierra Leone, sans doute il y a eu des hésitations dans la doctrine, dans certains membres de la communauté internationale, mais ces interventions n'ont pas été explicitement condamnées par les instances compétentes de l'ONU ». (Affaire relative à la /icéité de l'emploi de laforce. (Yougoslavie c. Belgique), plaidoiries orales, CR 99/15,10 mai 1999.[Plaidoiries Belgique]) 615 François Dubuisson, « La problématique de la légalité de l'opération « Force alliée}) contre la Yougoslavie: Enjeux et questionnements}) dans Corten et Delcourt, supra note 1; Koben, supra note 590; Gray, supra note 32, aux pp. 37-49; Cbarney, supra note 46; lan Brownlie, « Kosovo Crisis Inquiry: Memorandum on the International Law Aspects » (2000) 49(4) International and Comparative 613 139 qu'il était prêt à reconnaître leur moralité et leur légitimité616, ce qUI a amené quelques-uns d'entre eux à remettre en question le droit existant relatif au recours à la force et à tenter d'apporter quelques solutions en vue de le modifier617 • Les plus euphoriques voyaient dans les événements du Kosovo la mort du régime noninterventionniste de la Charte et l'avènement d'un nouveau droit international plus juste618 • Enfin, le cas du Kosovo constituait pour certains un important précédent créateur d'une nouvelle norme d'intervention humanitaire619, ou du moins, témoignant de son émergence éventuellé20 • Parmi ce dernier courant, on doit compter le Secrétaire général de l'ONU Kofi Annan. Favorable à une intervention de l'OTAN dès le mois de janvier 1999621 , ce dernier affirma devant la Commission des droits de l'homme, faisant référence à la profonde indignation qu'a ressenti le monde en regard de la campagne de purification ethnique au Kosovo, qu'à son avis lentement « mais sûrement, une norme internationale contre la répression violente des minorités, norme qui doit absolument prendre le pas sur les préoccupations de souveraineté des Etats, est en train de voir le jour»622. Cette affirmation, quoique prudente, nous apparaît hâtive. Pour deux raisons principales, l'épisode du Kosovo a peu de valeur en tant que précédent permettant la cristallisation, voire les premiers balbutiements, d'une norme coutumière d'intervention humanitaire. Law Quarterly, aux pp. 878-905 [Brownlie « Kosovo »] ; Cbestermall, supra note 55, aux pp. 206217. 616 Simma <<Kosovo », supra note 598; Guicberd, supra note 549; Antonio Cassese, « A Follow-Up: Forcible Humanitarian Countermeasures and Opinio Necessitatis » (1999) 10(4) European Journal of International Law 791 [Cassese]; Thomas M. Franck, « Interpretation and Change in the Law of Humanitarian Intervention» dans Holzgrefe et Keobane, supra note 54, à la p. 204. 617 Kosovo Report, supra note 549, à la p. 186. ; Abraham D. Sofaer, « International Law and Kosovo » (2000) 36 (1) Stanford Journal of International Law 1. 618 Michael J. Glennon, « The New Interventionism: The Search for a Just International Law» (1999) 78(3) Foreign Affairs 2. 619 John Currie, « NATO's Humanitarian Intervention in Kosovo: Making or Breaking International Law» (1998) 36 Canadian Yearhook of International Law 303. [Currie] 620 Jane E. Stromseth, « Rethinking Humanitarian Intervention: the Case for incremental change» dans dans Holzgrefe et Keohane, supra note 54, à la p. 232; Ove Bring, « L'OTAN devrait-elle prendre l'initiative de la formulation d'une doctrine en matière d'intervention humanitaire? » (1999) 47(3) Revue de l 'OTAN 24 ; Ruth Wedgwood, « NATO's Campaign in Yugoslavia» (1999) 93 (4) American Journal of International Law 828; Christine Chinkin, « The Legality ofNATO's Action in the Former Republic of Yugoslavia (FRY) Under International Law» (2000) 49(4) International and Comparative Law Quarterly, aux pp. 910 à 925. [Cbinkin] 621 Voir à cet effet les déclarations faites par Kofi Annan au début de l'année 1999 dans Cbesterman, supra note 55, aux pp. 183-84. 62 Kofi A. Annan, La question de /'intervention: Déc/arations du Secrétaire général, New York, Département de l'information des Nations Unies, 1999, à la p. 24. 140 Tout d'abord, les déclarations des membres de l'OTAN suggèrent peu d'adhésion envers cette « nouvelle)} norme. D'une part, un nombre limité d'États membres de l'OTAN ont légitimé leur participation dans la guerre « pour le Kosovo» par un droit d'intervention humanitaire comme on l'a vu précédemment. Seuls la Grande-Bretagne, la Belgique et possiblement les Pays-Bas ont offert une telle défense au printemps 1999, les britanniques étant ceux qui ont été les plus constants. Il est d'ailleurs significatif qu'au moins sept membres de l'Alliance atlantique ont rejeté un justificatif commun fondé sur un droit d'intervention humanitaire comme le proposait la Grande-Bretagne lors des débats au sein de l'Alliance à l'automne 1998. À cette occasion, plusieurs membres de l'OTAN auraient alors exprimé le désir de maintenir le statu quo juridique. Selon l'ambassadeur de la Belgique auprès de l'OTAN, Monsieur Gruben, qui prit part à ces discussions, certains pays dont la Belgique ne partageaient pas la position britannique car, dit-il, ils « souhaitaient maintenir le principe essentiel de la primauté de la Charte, pour des raisons à la fois juridiques et politiques »623. Un fait qui est corroboré par un autre témoin privilégié, l'américain Michael J. Matheson, qui était alors conseiller juridique au Département d'État. Lors d'une conférence tenue à l'Université de l'Iowa abordant la question de la légalité de l'intervention de l'OTAN en 2000, il a confirmé que les diplomates présents ne désiraient pas retenir une justification susceptible d'affaiblir la norme prohibitive quant à l'usage de la force. Les alliés craignaient, selon Matheson, que la nouvelle doctrine (faisant ainsi référence implicitement à la proposition britannique) ne soit subséquemment employée de manière abusive par d'autres États et vienne hanter plus tard l'Alliance atlantique624 . Certains néanmoins rétorqueront que la Grande-Bretagne et la Belgique n'étaient pas isolées dans leur défense d'intervention humanitaire car d'autres États ont avancé l'idée qu'il était nécessaire d'intervenir afin de prévenir ou d'arrêter une catastrophe humanitaire. Cela n'est guère convaincant puisque ce justificatif particulier n'émanait pas d'une règle de droit. Il reposait sur un certain devoir moral625 624 « Débats, sous la présidence d'Éric Remacle}) dans Corten et Delcourt, supra note 1, à la p. 140. Matbeson, supra note 595, à la p. 301. 625 La Déclaration de l'UE, supra note 610. 623 141 ou était plus fréquemment invoqué sans aucune référence au droit626 . Ce type de discours uniquement fondé sur la nécessité d'éviter une catastrophe humanitaire laisse par contre perplexe. Bien qu'il nous rappelle la doctrine de l'intervention humanitaire, il n'a aucune assise en droit international et, de toute manière, il ne peut nullement se substituer à elle627 . Après tout, cette doctrine était bien connue des conseillers juridiques des divers pays de l'OTAN. Serge Sur vise juste lorsqu'il écrit que ceux-ci « ont en quelque sorte pratiqué l'intervention d'humanité sans en formuler la doctrine ou avant de la formuler, ou alors de façon émiettée »628. Au lieu de s'appuyer sur une telle théorie, plusieurs d'entre eux ont préféré présenter une série d'arguments essentiellement basée sur des faits attestant de l'existence de circonstances atténuantes, dont l'imminence d'un désastre humanitaire, dans l'optique de légitimer leur action devant l'opinion internationale et leur électorat respectif. Ce type particulier de justification par la légitimité, comme le souligne le professeur Sur, «repose sur l'invocation de circonstances exceptionnelles, une sorte d'état de nécessité, qui excluraient la régulation juridique ordinaire » et aurait pour objectifs de «rendre plus acceptable une action juridiquement contestable» tout en sauvegardant «la position juridique de ceux qui estiment que toute intervention militaire extérieure à la légitime défense doit obtenir l'aval du Conseil de sécurité»629. Mais surtout, elle aurait une conséquence fondamentale qu'on ne peut occulter dans le débat entourant l'émergence d'un droit coutumier d'intervention humanitaire: «elle exclut [ ... ] qu'il puisse en surgir une coutume internationale, de nature à justifier à l'avenir des opérations similaires »630. Ces mots venant d'un juriste qui est d'opinion que l'intervention humanitaire trouve appui dans la Charte de l'ONU se passent de tout commentaire. Par ailleurs, le soin qu'ont pris certains porte-parole des pays alliés à préciser, pendant et après les bombardements, que la guerre pour le Kosovo devait être perçue comme un cas unique sans aucun effet pour l'avenir, est tout aussi révélateur du peu François Dubuisson, « La problématique de la légalité de l'opération « Force alliée» contre la Yougoslavie: Enjeux et questionnements» dans Corten et Delcourt, supra note l, à la p. 174; Sur, sutra note 9, à la p. 14. 62 Chesterman, supra note 55, à la p. 214; 8rownlie « Kosovo », supra note 615, à la p. 882. 628 Sur, supra note 9, à la p. 23. 629 Ibid., aux pp. 19-20. 630 Ibid., p. 20. 626 142 de soutien pour l'avènement d'un droit coutumier d'intervention humanitaire631 • Dans les mois qui ont suivi le déclenchement de la guerre, quelques décideurs politiques de premier plan ont déclaré publiquement qu'on ne devait pas coller l'étiquette de précédent à l'affaire du Kosovo, qu'elle n'était qu'un cas isolé applicable à des circonstances particulières. Le Ministre des Affaires étrangères de l'Allemagne, Joshka Fisher, aurait affirmé devant l'Assemblée générale de l'ONU le 22 septembre 1999632 : Des 'interventions humanitaires' pourraient apparaître dans la pratique à l'extérieur du système des Nations Unies. Ce serait très problématique. L'intervention au Kosovo a eu lieu dans une situation où le Conseil de sécurité avait les mains liées, tous les efforts déployés en faveur d'une solution pacifique ayant échoué, et elle était conçue comme une aide d'urgence octroyée en dernier recours pour protéger les Albanais du Kosovo déplacés. [... ] Cette démarche que seule justifie cette situation particulière ne doit toutefois pas créer un précédent gui affaiblirait le monopole détenu par le Conseil de sécurité pour autoriser l'emploi de la force à des fins légales à l'échelon international. et a fortiori donner carte blanche pour l'emploi extérieur de la force sous le prétexte de fournir une aide humanitaire. Ce serait ouvrir la porte à l'arbitraire et à l'anarchie et nous replongerait dans le monde du XIXe siècle. 633 [Nous soulignons] Son homologue français, Hubert Védrine, aurait exprimé sensiblement la même idée à 634 quelques occasions • Tout comme d'ailleurs la Secrétaire d'État américaine, Madeleine Albright, qui affirma lors d'une conférence de presse que le cas du Kosovo constituait une situation sui generis et qu'il était important de ne pas tirer trop de Aussi, on ne peut passer sous silence le fait que des États membres de l'Alliance atlantique, plus particulièrement l'Allemagne et la France, ont, durant les mois précédant l'intervention, affiché, à quelques reprises, leur préférence que l'action de l'OTAN soit préalablement autorisée par le Conseil de sécurité. Voir à ce propos O'CoBBeli « Kosovo », supra note 566, à la p. 79 et Guicherd, supra note 549, à la p. 28. 632 Le Parlement allemand, le Bundestag, avait exprimé la même réserve en octobre 1998. Approuvant la participation de l'Allemagne à l'initiative militaire de l'OTAN contre la RFY, les députés et les membres du gouvernement fédéral ont précisé que cette acceptation ne devait pas être perçue comme un précédent pour le futur. Pour plus de détails voir Simma (<Kosovo », supra note 598, aux pp. 12-13. 631 633 Discours prononcé par J. FISCHER, Ministre allemand des Affaires étrangères, à la 54· session de l'Assemblée générale des Nations Unies, le 22 septembre 1999, <http://www.nato.int/germany/redenJs000922c.html> reproduit dans François Dubuisson, «La problématique de la légalité de l'opération «Force alliée» contre la Yougoslavie: Enjeux et ~uestionnements » dans Corten et Delcourt, supra note 1, à la p. 178. 6 4 Dans un entretien avec la presse indienne en 2000, le Ministre français des Affaires étrangères a affirmé: « Nous, Français, nous avons déclaré que c'était une exception, cette affaire du Kosovo, et non pas un précédent.» (Entretien du Ministre des Affaires étrangères H. Védrine avec la presse indienne, le 18 février 2000, « Base documentaire des déclarations françaises depuis 1990» en ligne: France diplomatie <http://www.diplomatie.fr>.) (Date d'accès: 20 août 2005) 143 leçons de cette affaire635 . Même la Belgique, qui avait pourtant invoqué la doctrine de l'intervention humanitaire lors des audiences à la CIJ, s'est en quelque sorte rétractée. Dans un discours prononcé à l'ouverture de la 54ième session de l'Assemblée générale de l'ONU, le Ministre belge des Affaires étrangères, Louis Michel, aurait déclaré « espérer que le recours à la force sans l'aval du Conseil de sécurité ne constituera pas un précédent» puisque « le monde a besoin d'un ordre juridique international qui se substitue à la loi du plus fort. En ce sens, nous voulons tous croire que l'adoption de la résolution 1244 signifie le retour à la légalité internationale »636. Tous ces propos témoignent du souhait de soustraire l'intervention contre la RFY de tout effet futur sur le droit international. Pour une deuxième raison encore plus évidente, la guerre contre la RFY a peu d'incidence sur le développement d'une nouvelle norme internationale. Elle a été condamnée, ou à tout le moins regrettée, par un nombre significatif d'États, de sorte qu'une coutume n'a pas pu naître de sa survenance. Il est même douteux que l'on puisse conclure à son émergence éventuelle. Cette réaction plutôt négative des États, nullement unanime par ailleurs, constitue un fait peu rapporté par les juristes qui considèrent généralement que l'intervention « Force alliée» a été relativement bien accueillie par la communauté internationale. Ils font notamment grand cas du rejet massif d'un projet de résolution présenté au Conseil de sécurité le 26 mars 1999, mais comme nous allons le voir subséquemment, ce « rejet » doit être nuancé. À part bien entendu la RFy637, la plus forte opposition à l'action de l'OTAN est venue de son allié slave, la Russie. Comme il en a été question un peu plus tôt, la Russie convoqua d'urgence le Conseil de sécurité le 24 mars afin de débattre de l'opération militaire de l'OTAN. La Russie, accompagnée d'autres membres du 635 US Seeretary of State Madeleine Albright, Press Conference with Russian Foreign Minister Igor Ivanov, Singapore, (26 juillet 1999) en ligne: United States Departrnent of State <http://secretary.state.gov/wwwstatementslI999/990726b.html> (Date d'accès: 20 août 2005) 636 La Libre Belgique, 27 septembre 1999 reproduit dans Olivier Corten, «Les ambiguïtés de la référence au droit international comme facteur de légitimation portée et signification d'une déformation du discours légaliste », dans Corten et Delcourt, supra note 1, à la p. 229. 637 La RFY condamna l'intervention de l'OTAN qui, selon elle, constituait une agression bafouant « le droit international et les principes fondamentaux des relations internationales en mettant en danger la paix et la sécurité internationales de la façon la plus irresponsable et la plus criminelle ». (Séance du 24 mars, supra note 603, à la p. 14). 144 Conseil dont la Chine638 et la Namibie, mais également des pays non membres invités aux délibérations (l'Inde, l'Ukraine, la Biélorussie et Cuba) rejetèrent alors les arguments soulevés par les membres de l'OTAN. Pour ces États, l'OTAN aurait par ses frappes aériennes violé plusieurs dispositions de la Charte dont son article 24 (1) qui contère au Conseil de sécurité la responsabilité principale en matière de paix et de 639 sécurité internationales • Certains d'entre eux ont également mis l'emphase sur les effets préjudiciables de l'action unilatérale de l'OTAN sur le système collectif de sécurité de l'ONU, et d'une manière plus générale sur les relations internationales. À titre d'exemple, l'ambassadeur russe Lavrov déclara que le mépris par l'OTAN des normes internationales constituait un dangereux précédent susceptible de répandre le «virus des approches unilatérales» dans les relations internationales64o • Le représentant de l'Inde, pays qui pourtant avait usé de la force dans des conditions relativement similaires dans les années 70, s'objecta aussi à l'intervention de l'OTAN. Après avoir affirmé qu'elle violait l'article 53 (1) de la Charte64 1, il précisa que l'unilatéralisme des membres de l'OTAN symbolisait le retour à l'anarchie et que, même si les bombardements avaient réellement pour but de mettre fin aux violations des droits de l'homme, cela ne justifiait pas l'agression contre la RFY car, comme le veut l'adage anglais, «two wrongs do not make a right »642. Enfin, il exprima de vives inquiétudes face au non respect du droit international et de l'autorité du Conseil de sécurité par des « pays qui se prétendent les champions de la primauté du droit» 643. Au bout de ces deuxjours de discussions, la Russie et la Biélorussie parrainées par l'Inde présentèrent aux membres du Conseil un projet de résolution condamnant l'OTAN pour violation aux articles 2 (4), 24 et 53 de la Charte et demandant la cessation immédiate des raids aériens. De manière assez surprenante, douze membres Le délégué chinois, Qin Huasun, déclara que le cas du Kosovo s'avérait être une affaire interne de la RFY et qu'en conséquence, seules les diverses parties impliquées pouvaient résoudre le conflit. n ajouta ensuite que la Chine s'oppose, en tant que principe, à toute forme d'ingérence dans les affaires internes d'autres pays. (Ibid., à la p. 13). 639 Voir les deux procès-verbaux des séances au Conseil de sécurité du 24 et 26 mars. (Ibid. et Séance du 26 mars, supra note 585.) 640 Séance du 24 mars, Ibid., à la p. 3. 641 Ce constat particulier d'illégalité de la part du délégué indien est toutefois inexact. L'OTAN est une organisation de défense mutuelle. Elle n'est pas considérée comme une organisation régionale au sens de l'article 52 de la Charte. Il reste néanmoins que le Traité de l'Atlantique Nord interdit à l'OTAN d'employer la force sans l'autorisation du Conseil de sécurité de l'ONU, hormis les cas de légitime défense (art. 1 et 5). De plus, ses membres se doivent d'obtenir à titre individuel une autorisation de la Charte de l'ONU (art. 39 et ss.). 642 Séance du 24 mars, supra note 603, à la p. 16. 643 Ibid. 638 145 du conseil dont sept pays ne faisant pas partie de l'Alliance atlantique votèrent contre ce projet644 • Ce qui a fait dire à certains auteurs que ce rejet équivalait à un acquiescement international de l'intervention humanitaire645 . En effet, des États traditionnellement réfractaires à l'idéologie des droits de l'homme comme la Malaisie et le Bahrein ont refusé d'appuyer la Russie, la Chine et la Namibie dans leur tentative d'isoler les alliés euro-atlantiques. Mais une telle conclusion va trop loin. D'une part, l'approbation de sept membres du Conseil de sécurité (si on exclut les cinq membres de l'OTAN) ne peut venir représenter la communauté internationale dans son ensemble. Il ne s'agit que d'un échantillon d'États parmi tant d'autres. D'autre part, si ces pays ont refusé d'appuyer le projet de résolution, ils n'ont pas pour autant encensé l'intervention de l'OTAN d'un point de vue juridique. Seul l'ambassadeur de la Slovénie a défendu vigoureusement la légalité de l'action de l'OTAN en reprenant quelques-uns des arguments clés des alliés646 • Les représentants argentin647 , brésilien648 , gabonais649, gambien65o, malaisien65 1 et du Bahrein652, bien qu'ils aient tous critiqué la politique répressive de Milosevic, ont tous affirmé qu'ils étaient en principe contre le fait que la force armée soit utilisée comme moyen de résolution d'un conflit, ou ont regretté, qu'en l'espèce, l'OTAN ait dû recourir à la force. Notons néanmoins qu'en dépit de leur position de principe, les ambassadeurs de Voir ci-dessus la note 585 et le texte correspondant. Voir notamment Sean D. Murphy, « The Intervention in Kosovo: A law-Shaping Incident? » (2000) 94 American Society of International Law Proceedings 302, à la p. 302 et Mario Bettati, « Les premières leçons du Kosovo », GuilJaoût 1999) Le Courrier de l'UNESCO, à la p. 60. 646 Séance du 24 mars, supra note 603, à la p. 6. Le représentant de la Slovénie a aussi fondé la légalité de l'intervention de l'OTAN sur l'argument voulant que le Conseil de sécurité ne possède pas la juridiction exclusive en matière de sécurité internationale en s'appuyant sur l'article 24 de la Charte. (Ibid., à la p. 7) 647 Ibid., à la p. Il. Notons néanmoins que l'Ambassadeur Petrella vota contre le projet de résolution présenté par la Russie, l'Inde et la Biélorussie en raison de la nécessité de contribuer « à mettre un terme aux très graves violations des droits de l'homme» survenant au Kosovo. Séance du 26 mars, sUfra note 585, à la p. 7. 644 645 64 Séance du 24 mars, Ibid., à la p. 8. Le Brésil avait d'ailleurs pris position contre l'action de l'OTAN au Conseil de sécurité quelques mois plus tôt. (Doc. Off. CS NU, 53e sess., 3937· séance, Doc. NU SIPV.3937 (1998), aux pp. 6-7 et 10-11). 649 Séance du 24 mars, Ibid., à la p. Il. 650 Ibid., à la p. 7. 651 Ibid., à la p. 10. 652 Ibid., à la p. 7. Qui plus est, le représentant du Bahrein précisa deuxjours plus tard que de supporter le projet de résolution ne ferait qu'encourager Milosevic à poursuivre sa politique répressive au Kosovo. En ce sens, il s'est davantage opposé au projet de résolution qu'il a approuvé l'intervention de l'OTAN. (Séance do 26 mars, supra note 585, à la p. 9.) 146 la Malaisie et de la Gambie jugeaient que la situation d'urgence qui existait au Kosovo nécessitait à titre exceptionnel une action653 . Ainsi, lorsqu'on y regarde de plus près, le soutien à la légalité de l'intervention de l'OTAN est somme tout limité. Surtout qu'en dehors de l'enceinte du Conseil de sécurité, un nombre important d'États ont soit condamné ouvertement les bombardements de l'OTAN soit exprimé le regret que de tels moyens aient été entrepris contre la RFY. Il s'agit de de la Libye, de l'Iran, de l'Irak, du Vietnam654 , des États membres de la Communauté des États indépendants (Arménie, Kazakhstan, Moldavie, Kirghizistan, Tadjikistan, Russie, Biélorussie, Ukraine)655 ainsi que des douze membres du Groupe de Ri0656 . Ils se joignent à la Suède et à l'Afrique du sud, deux pays tout particulièrement dédiés aux droits de l'homme, qui ont chacun remis en cause la légalité de l'intervention de l'OTAN. Le Premier ministre suédois, Goran Persson, aurait déclaré le 24 mars 1999 : « From the point of view of international law it is difficult to find a clear and unequivocal basis for the military operations which are now taking place »657. Le lendemain, le Département des affaires étrangères du gouvernement sud-africain de Nelson Mandela aurait émis le présent communiqué: Séance du 24 mars, Ibid., aux pp. 8 et 10. Voir les deux ouvrages suivants d'Olivier Corten: Olivier Corten, « Un renouveau du 'droit d'intervention humanitaire'? Vrais problèmes, fausse solution» (2000) 44 (11) Revue Trimestrielle des Droits de l'Homme 695, aux pp. 698-699 [Corten] et Olivier Corten, Le retour des guerres préventives: le droit international menacé, Bruxelles, Coll. Quartier Libre, Labor, 2003, aux pp. 59-60. [Corten « droit international menacé »] 655 Ces États ont condamné l'intervention de l'OTAN dans une déclaration de l'Assemblée interparlementaire de la Communauté des États indépendants. Une copie de cette décision a été envoyée au Secrétaire général par l'entremise du représentant russe auprès de l'ONU. (Décision de l'Assemblée interparlementaire des États membres de la C.E.l du 30 avril 1999 qui condamne l'intervention militaire et demande à la Yougoslavie de résoudre pacifiquement le conflit au Kosovo; Annexe à la lettre du 21 avril 1999 adressée au Secrétaire général par le représentant de la Russie auprès de l'ONU, A/53/920; S/1999/461 tel que cité dans Corten, Ibid, à la p. 699. 656 Le Groupe de Rio qui regroupe douze États d'Amérique Latine (Argentine, Brésil, Chili, Pérou, Vénézuela, Bolivie, Colombie, Paraguay, Équateur, Uruguay, Panama, Costa Rica, Mexique) a émis un communiqué le 24 mars qui a été transmis par la suite au Conseil de sécurité par le représentant permanent de Mexique dans une lettre du 26 mars (A/53/884-S/1999/347). Il y était écrit en espagnol: « Los paises miembros dei Grupo de Rio manifestan su preoccupacion por el inicio de ataques aéreos en contra de objetivos serbios por parte de la Organizacion deI Tratado deI Atlantico deI Norte (OTAN) y, en especial, por el hecho de que no se ahyan encontrado vias de solucion pacifica, confonne al derecho internacional, al diferendo existente entre las distintas partes involucradas en el conflicto en Kosovo [... ]. Ademas, el Grupo de Rio lamenta que se haya recurrido al usO de la fuerza en esa region balcanica, sin observar 10 dipuesto en los Articulos 53 (fraccion primera) y 54 de la Carta de Naciones Unidas [ ... ] ». (GRIO/SPT- 99/10 reproduit dans Ibid.) 657 Foreign Ministry, Press Release, 24 March 1999 reproduit dans Bjorn Moller, « The Nordic countries: Whither the West's Conscience? » dans Albrecht Schnabel et Ramesh Thakur, dir., Kosovo and the Challenge of Humanitarian Intervention : Selective Indignation, Collective Action, and International Citizenship, New York, United Nations University Press, 2000,151 à la p. 161. [Albrecht et Thakur] 653 654 147 The South African Government has noted with grave concern the current military action against the sovereign state of the Federal Republic of Yugoslavia. This is in violation of the United Nations Charter and accepted norms of international law and it has exacerbated the situation in the Balkans. The South African Government would like to stress the need to resolve disputes by peaceful means and in this context it strongly emphasises the primary responsibility of the United Nations Security Council in the maintenance of international peace and security. The erosion of the United Nations Charter and the authority of the United Nations Security Council cannot be tolerated by the international community.658 Enfin, le Mouvement non aligné regroupant 115 nations sans expressément condamner les frappes des alliés semble les avoir rejeté implicitement. Dans une déclaration datée du 9 avril 1999, il demanda la cessation immédiate des hostilités entre les parties tout en réaffirmant son attachement à certains principes cadres des relations internationales qui avaient été bafoués par l'OTAN: The Non-Aligned Movement, reaffirming the Movement's commitrnent to the sovereignty, territorial integrity, and political independence of all states, and reaffirming the NAM's principles and the sanctity of the United Nations Charter, is deeply alarmed at the worsening crisis in Kosovo, Federal Republic of Yugoslavia and the Balkan region. The Nam reaffirms that the primary responsibility for the maintenance of international peace and security rests with the UNSC. 659 Ainsi, l'unité et la détermination des dix-neuf membres de l'OTAN ne doivent pas occulter le fait qu'en dehors de la zone euro-atlantique une minorité d'États660 ont été favorables à l'opération «Force alliée ». Ce manque d'appui substantiel expliquerait d'ailleurs pourquoi les membres de l'OTAN n'ont pas tenté de légitimer leurs actes en soumettant la question de l'autorisation de l'emploi de la force à l'Assemblée générale de l'ONU, instance représentative par excellence de la communauté internationale661 • En raison du blocage systématique de la Chine et de la 658 Media statement on NATO military action against the Federal Republic of Yugoslavia, issued by the Department of Foreign Affairs, Pretoria, 25 March 1999 reproduit dans Philip Nel, « South Africa: The Demand for Legitimate Multilateralism» dans Albrecht et Thakur, Ibid., à la p. 257. 659 Statement by the NAM on the situation in Kosovo, Federal Republic of Yugoslavia, issued in New York on behalf of the NAM, 9 April 1999 reproduite dans Ibid., aux pp. 258-59. 660 Notons néanmoins que l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine ainsi que plusieurs pays du Moyen-Orient ont approuvé l'initiative de l'OTAN. Voir à ce sujet notamment Thalif Deen, « Third World Nations Split over Kosovo», en ligne: TWN Third Worid Network <http://twnside.org.sgltitlelkosovo-cn.htm> (Date d'accès: 20 août 2005). 661 Nigel D. White, « The Legality of Bombing in the Name of Humanity » (2000) 5(1) Journal of Conflict and Security 27, à la p. 37. [White] 148 Russie, les membres de l'Alliance auraient pu se prévaloir de la procédure exceptionnelle prévue dans la résolution « Union pour le maintien de la paix ~~ adoptée en 1950662 • Mais ils devaient savoir qu'un vote favorable avait peu de chances de réunir les deux tiers des voix nécessaires663 • On peut, par conséquent, questionner sérieusement l'affirmation du Secrétaire général de l'OTAN selon laquelle cette organisation de défense mutuelle a agi au nom de la communauté internationale664 , à moins de considérer que les pays occidentaux forment, en raison de leur niveau de développement démocratique, un club sélect d'États, seul pouvant aspirer à représenter l'humanité665 • Un tel postulat, s'il était avéré, remettrait sérieusement en cause l'idée de pluralisme qui sous-tend le système international depuis 1945. Et elle constituerait une réévaluation soudaine d'un des principes fondateurs de la Charte de l'ONU, celui de l'égalité souveraine entre les États. Bref, les hésitations des alliés à revêtir leurs bombardements du sceau de l'intervention humanitaire tout comme d'ailleurs le soin qu'ils ont pris à minimiser leur impact futur sur le droit international, ajouté aux réactions plutôt négatives du reste de la communauté internationale, démontrent clairement que le cas du Kosovo doit être perçu comme l'exception qui confirme la règle de l'interdiction de l'emploi unilatéral de la force armée dans les relations internationales666 • Voir ci-dessus la p. 53. Bien que la validité juridique de cette résolution est remise en cause par plusieurs auteurs, les pays membres de l'OTAN auraient pu s'en servir pour légitimer politiquement leur emploi de la force. (Netherlands Reports, supra note 54, à la p. 35). Sur les problèmes juridiques de cette résolution voir notamment Ibid., aux pp. 38-39 et Murpby, supra note 6, aux pp. 299 et ss. 663 Kosovo Report, supra note 549, à la p. 173. 664 Dans une déclaration datée du 23 mars 1999, Javier Solana a affirmé que l'action de l'OTAN visait « à soutenir les objectifs politiques de la communauté internationale». (Déclaration de Solana, supra 662 note 599.) Après tout, comme l'a déclaré le représentant permanent de l'Inde à l'ONU au Conseil de sécurité, on peut difficilement affirmer que la communauté internationale a appuyé l'action de l'OTAN considérant que la Chine, l'Inde et la Russie, qui « représentent» près de la moitié de l'humanité en population, l'ont rejeté en bloc. (Séance du 26 mars, supra note 585, à la p. 16). 666 Une conclusion à laquelle adhèrent plusieurs spécialistes du droit. Pour Thomas M. Franck par exemple: « NATO's action in Kosovo is thus best seen as an exception from which may be derived a few useful lessons for the future, rather than asthe future itself ». (Thomas M. Franck, « Lessons of Kosovo» (1999) 93 American Journal of International Law 857, à la p. 859). Voir également O'ConneU« Kosovo », supra note 566, aux pp. 88-89 et White, supra note 661, à la p. 37. 665 149 Au-delà des questions relatives à l'émergence d'une coutume, le cas du Kosovo n'est guère un modèle d'intervention humanitaire667 • Plusieurs des critères légitimant l'intervention humanitaire proposés par des commissions indépendantes d'experts et de juristes de renom n'ont pas été respectés à l'occasion des bombardements de l'OTA~8. Dans un premier temps, l'OTAN n'a pas épuisé toutes les avenues de la diplomatie avant de recourir à la force. La conférence de Rambouillet à l'hiver 1999 s'apparentait davantage à un ultimatum qu'à de la négociation. Non seulement les émissaires yougoslaves ont pris part aux pourparlers sous la menace constante que leur pays serait bombardé, mais les négociateurs américains, qui représentaient le Groupe de contact, ont affiché une intransigeance hors du commun, puisqu'à la fin il n'y avait qu'un seul point en litige entre les deux parties. En effet, seuil' Annexe B du projet d'accord était une pomme de discorde. En vertu de l'Annexe B, les forces de l'OTAN se voyaient octroyer l'immunité judiciaire Pour Nicholas J. Wheeler, l'intervention de l'OTAN n'est pas un modèle d'intervention humanitaire en raison notamment du fait que la force employée en l'espèce était disproportionnée. (Wheeler, supra note 459, à la p. 275). Pour des raisons diférentes, David Wippman en vient à la même conclusion. (David Wippman, « Kosovo and the Limits of International Law», (2001-2002) 25 Fordham International Law Journal 129, à la p. 142.) 668 Il serait ici trop long de les expliciter dans le détail. Notons néanmoins que cinq grands critères ressortent de ces propositions: 667 (1) Les pays intervenants doivent avoir une cause juste, à savoir la preuve de la menace ou de l'imminence de violations massives aux droits de l'homme ou du droit international humanitaire. (2) L'ONU doit être dans l'incapacité d'agir dû à l'exercice ou la menace du droit de véto. Ainsi, les États désirant intervenir doivent habituellement avoir soumis la question au Conseil de sécurité. (3) L'intervention ne doit être effectuée qu'en dernier recours. Il doit y avoir épuisement raisonnable de toutes les alternatives pacifiques de résolution des conflits. Ultimement, la négociation doit être tentée et des sanctions, économiques ou autre, n'impliquant pas le recours à la force, doivent, le cas échéant, être imposées. (4) L'intervention doit être collective, c'est-à-dire qu'elle doit être menée par deux ou plusieurs États d'une manière ad hoc ou sOus l'autorité d'une organisation régionale. (5) La force employée doit être limitée au strict nécessaire et doit être proportionnelle. Elle doit cesser dès lors que l'ordre et la stabilité sont rétablis. Elle doit également être conforme aux principes du droit international humanitaire. Un sixième critère est parfois énuméré. Selon certains, l'intervention doit aussi avoir des chances raisonnables de succès. Elle doit, en ce sens, causer davantage de bien que de mal. 150 et un accès illimité sans restriction partout en RFY, incluant en Serbie, le tout payé par 670 Belgrade669 • Cette clause était tout à fait inacceptable pour Milosevic et les serbes • Devant ce rejet de la RFY, les diplomates et négociateurs américains ne tentèrent aucunement de modifier les termes de l'Annexe B. Ils ont présenté cette clause comme étant non négociable671 • Pourtant, la délégation américaine aurait pu, avec plus de créativité et d'ouverture, trouver un compromis et satisfaire la RFY. Surtout que les envoyés yougoslaves avaient fait d'importantes concessions. Ils avaient accepté l'autonomie complète et immédiate du Kosovo ainsi que la tenue d'un référendum sur l'indépendance de la province en 2002. Une proposition viable, semble-t-il, aurait été que la force de l'OTAN prévue à l'Annexe B soit substituée par une force de l'ONU à laquelle se seraient greffés des effectifs russes672 • C'est d'ailleurs ce que prévoit le traité militaire du 9 juin qui mit fin aux bombardements. Mais la délégation américaine refusa toute cession sur ce point, ce qui a fait dire à certains que Rambouillet n'était qu'une «farce» destinée à démontrer que la diplomatie avait failli en raison du refus de Belgrade673 et, par conséquent, à légitimer le recours à la force aux yeux de certains membres de l'Alliance qui y étaient toujours réfractaires674 • Cela est fort probablé75 • Ce qui semble certain toutefois, c'est que les États-Unis, contrairement à plusieurs de leurs alliés européens, tenaient mordicus à l'implication des forces de l'OTAN dans le Pour un extrait de la clause en litige voir ci-dessus la note 581. Comme le mentionne pertinemment Noam Chomsky, cette clause similaire à une reddition complète aurait été rejetée par à peu près tous les dirigeants du monde. (Cbomsky, supra note 549, à la p. 107) 671 Kosovo Report, supra note 549, à la p. 157; Jobnstone, supra note 549, aux pp. 246-47. Wheeler conteste toutefois cette affirmation. Pour lui, les serbes n'ont pas négocié sérieusement avec le Groupe de contact. Il est d'avis qu'ils ne désiraient pas en arriver à une solution négociée. (Wbeeler, supra note 459, à la p. 283.) 672 Kosovo Report, supra note 549, à la p. 157. Richard Falk affirme également que considérant la méfiance profonde de Milosevic envers les diplomates américains, des négociateurs russes auraient pu servir de médiateurs ou même mener les négociations. (Richard A. Falk, « Kosovo, World Order, and the Future of International Law» (1999) 93(4) American Journal of International Law 847. [Falk]). C'est d'ailleurs ce qui a permis la conclusion des accords mettant fin aux hostilités du mois de mai et juin 1999. 673 Rappelons à cet effet, que le refus yougoslave des termes de Rambouillet a été présenté par les dirigeants de l'Alliance atlantique comme la cause immédiate du déclenchement des bombardements. Voir en outre la Déclaration de Solana, supra note 599. 674 Johnstone, supra note 549, aux pp. 244 et ss.; Kosovo Report, supra note 549, aux pp. 152-153. Selon ce dernier rapport, plusieurs pays européens croyaient encore à la possibilité d'en arriver à un accord, contrairement aux Américains. 675 Si l'on se réfère à certaines déclarations à peine voilées de James Rubin, attaché de presse de Madeleine Albright, rien ne laisse présager le contraire. (Kosovo Report, Ibid., à la p. 153) 669 670 151 conflit au Kosovo, qu'il s'agisse de bombarder la RFY ou de déployer au sol une force • • occupant tout son terntOlre 676 . En définitive, les membres de l'OTAN n'ont pas au mois de février et mars 1999 saisi la possibilité qui leur était offerte de résoudre l'imbroglio kosovar. Ils ont décidé d'user de la force armée sans avoir étudié toutes les options pacifiques. Il semble pourtant qu'il aurait été préférable, du moins à court terme, que les alliés cherchent une solution pacifique à la situation chaotique qui prévalait au Kosovo au lieu de recourir aux frappes aériennes. En effet, les accords de juin 1999 ne représentent guère une plus-value par rapport à ce qui était sur la table des négociations à Rambouillet. Ils vont même en-dessous de ce que Milosevic était prêt à accepter. Ils ne prévoient pas la tenue d'un référendum sur l'indépendance du Kosovo ni d'ailleurs la présence exclusive des forces de l'OTAN sur le territoire de la RFY à laquelle les émissaires américains tenaient tant à Rambouillet. Sous cet aspect particulier, la guerre contre la RFY n'a strictement servi à rien. Deuxièmement, on peut se demander si l'ampleur réelle de la situation humanitaire au Kosovo exigeait un remède aussi draconien que l'emploi de la force armée. Certes, le gouvernement yougoslave a commis de nombreuses violations aux droits de l'homme durant les années 1998 et 1999. Celles-ci sont amplement documentées677 et ne doivent nullement être prises à la légère. Mais ces violations justifiaient-elles le recours à la force? Selon les chiffres d'un rapport du Secrétaire général de l'ONU du mois de mars 1999, 65 personnes seraient décédées des suites de la guerre civile au Kosovo du 20 janvier 1999 au 17 mars 1999. De plus, à cette date, approximativement 400 000 personnes avaient fui leur domicile678 . Est-ce suffisant pour légitimer une intervention armée impliquant nécessairement la mort d'innocentes victimes ? Il y a certes crise humanitaire mais nous sommes loin du destin tragique des tutsis au Rwanda ou encore des Kurdes en Irak. Rappelons qu'à la même époque, les situations politiques en Colombie et au Timor Oriental étaient encore plus explosives679 • D'ailleurs, les pays alliés semblent avoir reconnu implicitement que la Ibid., aux pp. 152-53; Johnstone, supra note 549, aux pp. 246-47. Pour un excellent résumé voir Annex 1 dans Kosovo Report, Ibid., aux pp. 301 à 318. 678 Rapport du Secrétaire général établi en application des résolutions 1160 (1998), 1199 (1998) et 1203 (1998) du Conseil de sécurité, Doc. Off. CS NU, 53" sess., Doc. NU S/1999/293 (1999). 679 Chomsky, supra note 549, à la p. 49. 676 677 152 situation réelle sur le terrain ne justifiait pas l'emploi de la force. Leurs dirigeants ont répété, à plusieurs reprises, que leur action était prise par anticipation d'une catastrophe humanitaire680 • Comme nous le verrOnS Un peu plus loin, la catastrophe telle qu'anticipée par l'OTAN est bel et bien survenue mais elle est due, quoique indirectement, à la stratégie qu'elle a adoptée. Ce qui nOus apparaît plus inquiétant toutefois et qui nous fait douter de la bonne foi des décideurs euro-atlantiques est l'exagération et la manipulation de certains faits en vue de nourrir leur rhétorique guerrière. Tout d'abord, plusieurs Chefs d'États et des ministres influents ont fait grand cas du «massacre de Racak» de janvier 1999. En fait, les événements de Racak sont souvent perçus comme le point tournant du durcissement de la position des membres de l'Alliance envers Milosevic681 • Suivant ce« massacre », l'OTAN réactiva son ordre de bombardements et força la RFY à accepter l'ultimatum de Rambouillet. Selon l'information diffusée par les médias, la police serbe aurait, le 15 janvier 1999, encerclé le village de Racak à la poursuite de combattants de l'UCK responsables, la veille, de la mort de cinq policiers serbes ainsi que de quelques civils682 • Lors de cet assaut, quarante-cinq kosovars d'origine albanaise, incluant plusieurs femmes et enfants, furent tués. Selon les premières vérifications de l'américain William Walker, Chef de la mission de surveillance de l'OSCE, les victimes parmi lesquelles l'on trouvait de nombreux civils furent exécutées à bout portant par les policiers serbes683 • C'est cette version des faits qui fut ensuite relayée aux médias et à laquelle donna foi les décideurs politiques de l'OTAN. Lorsque la menace de recourir à la force, que brandissait depuis quelques mois l'OTAN, se concrétisa en mars 1999, quelques acteurs de premier plan invoquèrent le massacre de Racak au soutien de leur Ce type d'intervention humanitaire ayant pour but de contrer les effets d'une crise humanitaire anticipée est susceptible de mener à de nombreux abus dans les relations internationales. En effet, l'idée 680 de permettre aux grandes puissances d'intervenir par la force dans un pays étranger sans qu'elles fassent la preuve concrète de l'existence de violations massives aux droits de l'homme est inquiétante. (Charney, supra note 46, à la 841.) 681 Kosovo Report, supra note 549, à la p. 159. Ce rapport conclut qu'une des causes principales qui ont poussé l'OTAN à bombarder la RFY est ce massacre de Racak. 682 Les policiers serbes auraient conformément aux engagements de la RFY averti préalablement la Mission de surveillance de l'OSCE qu'ils entendaient mener cette attaque contre les terroristes albanais. 683 Walker décrivant ce qu'il a vu aurait affirmé à des journalistes présents : « 1 see bodies like this with their faces blown away at close range in execution fashion and it's obvious people with no value for human life have done this. » (Reproduit dans Johnstone, supra note 549, à la p. 239.) 153 intervention armée. La veille des premiers bombardements, le Président américain Bill Clinton aurait déclaré: « We should remember what happened in the village of Racak back in January, innocent men, women and children taken from their homes to a gully, forced to kneel in the dirt, sprayed with gunfire - not because of anything they had done, but because of who they were »684. L'Union européenne, présidée par l'Allemagne, a aussi fait référence au «massacre» de Racak dans sa déclaration «expliquant les raisons et les objectifs de la participation européenne aux actions contre la RFY ))685. Finalement, pour Joskha Fischer, Ministre allemand des Affaires étrangères, la tuerie de Racak aurait été l'élément qui personnellement, l'aurait persuadé que la force armée étaitjustifiée686 • Or, des autopsies ultérieures pratiquées par une équipe finlandaise et dont les résultats ont été divulgués deux ans plus tard concluent que, parmi les victimes, il y avait uniquement une femme et un enfant et qu'un seul individu aurait possiblement été exécuté à bout portant. De toute évidence, il y a eu une fusillade impliquant des policiers serbes et des combattants de l'UCK au cours de laquelle au moins deux innocents seraient décédés. Mais il n'y a pas eu de multiples exécutions extrajudiciaires de civils albanais comme le prétendirent les médias puis le Président américain. C'est à cette même conclusion qu'en étaient pourtant venus des rapports serbe et biélorusse publiés à la fin du mois de janvier 1999, mais les dirigeants occidentaux décidèrent d'ignorer leur existence687 • Ensuite, certains membres de l'OTAN ont, deux semaines après le début des hostilités, alors que la crise humanitaire au Kosovo avait véritablement pris une ampleur catastrophique, fait allusion à l'existence d'un plan de nettoyage ethnique orchestré par Milosevic visant à épurer le Kosovo des albanais688 • L'opération désignée «Horseshoe)) avait, selon eux, débuté quelques jours avant les premiers 684 Reproduit dans Ibid., à la p. 240. Bien qu'omettant les détails scabreux comme l'a fait le Président Clinton, sa déclaration se termine par cet énoncé: « Nous, les pays de l'UE, sommes dans l'obligation morale d'assurer que les comportements discriminatoires et la violence, qui sont devenus tangibles avec le massacre de Racak., ne soient pas répétés» (Déclaration de l'UE, supra note 610.). 686Jobnstone, supra note 549, à la p. 240. 687 Ibid., aux pp. 242-244. 688 Des ministres des gouvernements britannique et allemand ont publiquement fait mention de l'existence de ce plan. (Voir notamment Ibid., aux pp. 251-52 et Wbeeler, supra note 459, aux pp. 26970) 685 154 bombardements, ce qui justifiait rétroactivement l'emploi de la force par l'OTAN. Même s'il est vrai que la RFY prépara et initia une offensive militaire majeure contre le Kosovo avant la date fatidique du 24 mars, il a été démontré depuis que ce plan de nettoyage ethnique n'a jamais existé et qu'en fait, il était une pure invention des 689 services militaires d'intelligence • Troisièmement, le bilan des coûts et bénéfices des raids aériens de l'OTAN est peu reluisant, certains diront même désastreux, à un point tel qu'on peut sérieusement douter du caractère « humanitaire» de l'intervention. Pourtant à la veille des premiers bombardements, le Secrétaire général Solana avait pris soin de préciser que l'objectif de l'OTAN était « de prévenir de nouvelles souffrances humaines et la poursuite de la répression et de la violence contre la population civile du Kosovo »690. Force est de constater que les pays alliés ont failli lamentablement à cette tâche qu'ils s'étaient eux-mêmes fixée. Au lieu de prévenir ces souffrances, les frappes aériennes ont indirectement accentué la crise humanitaire au Kosovo. De manière prévisible, les forces serbes, appuyées par les paramilitaires, incapables d'atteindre les avions de l'OTAN qui survolaient à plus de 15000 mètres d'altitude, se sont vengées contre les militants albanais et la population civile. Dès le début, les bombardements, qui ne visaient que les forces armées serbes notamment leur défense aérienne et leurs équipements de communication, s'est avéré un moyen inefficace pour contrer la répression des forces yougoslaves qui, compte tenu du retrait des vérificateurs de l'OSCE, purent, en toute impunité, s'en prendre à la population civile d'origine albanaise et se livrer à ce que plusieurs qualifient de «nettoyage ethnique ». L'armée yougoslave, la police serbe et les paramilitaires forcèrent l'exil des albanais en ayant recours à la terreur. Selon un procédé qui se perpétua, les troupes serbes commençaient par bombarder un village. Ce premier avertissement passé, ils s'adonnaient ensuite au pillage, à la destruction, à l'extorsion, à la torture et parfois même au viol et au meurtré91 • Le résultat: des centaines de Der Kosovo-Konflikt: Wege in einen venneidbaren Krieg, edited by the Institute for Peace Research and Security Policy of the University of Hamburg, Nomos, Baden-Baden, 2000, pp. 138-144 tel que cité dans Johnstone, Ibid., à la p. 252. 690 Déclaration de Solana, supra note 599. 691 Kosovo Report, supra note 549, aux pp. 90-92. 689 155 milliers de kosovars albanais évacuèrent leur habitation pour trouver refuge en Albanie ou dans les autres provinces de la RFY. Devant cette accentuation de la crise humanitaire au Kosovo et la pression médiatique qui s'ensuivit, les membres de l'OTAN s'impatientèrent, eux qui envisageaient une courte guerre. Ils modifièrent leur stratégie à la fin du mois d'avril lors du sommet de Washington célébrant le cinquantième anniversaire de l'organisation. Le nouvel objectif était de forcer Milosevic à signer une entente en cherchant à affaiblir l'économie yougoslave et à démoraliser l'opinion publique afin qu'elle s'oppose à lui692 • Ainsi, les avions alliées commencèrent à la fin du mois d'avril à prendre pour cible les infrastructures civiles et industrielles de la Serbie comme les ports, les autoroutes, les aéroports, les raffineries pétrolières, les édifices gouvernementaux et même une station de télévision, commettant ainsi des violations au droit international humanitaire693 • Cette nouvelle stratégie de l'OTAN conduisit à la mort de dizaines d'innocents de même qu'à l'exode massif de centaines de milliers de citoyens yougoslaves hors des grands centres urbains694, sans pour autant arrêter la répression serbe à l'endroit des réfugiés kosovars, qui elle, s'est prolongée tout au long du conflit. Lorsqu'on fait le bilan humanitaire des bombardements de l'OTAN, on s'aperçoit qu'ils n'ont servi qu'à mettre de l'huile sur le feu. En l'espace de près de trois mois, soit du 17 mars au 9 juin, au moins 800 000 kosovars supplémentaires ont fui leur domicile, triplant ainsi le nombre de réfugiés et de personnes déplacées695 • Et plus de 10 000 kosovars albanais seraient morts des suites de la répression serbe lors Roberts, supra note 549, à la p. III ; Jobnstone, supra note 549, à la p. 249. En outre, l'OTAN n'a pas toujours bien distingué les cibles militaires des cibles civiles dans le cadre de ses bombardements (art. 48 du Protocole 1 aux Conventions de Genève de 1949). Pour plus de détails sur les violations du droit international humanitaire par l'OTAN voir Amnistie Internationale, « NATOIFRY: 'Collateral Damages' or Unlawful Killings? Violations of the Laws of War by NATO during Operation Allied Force », AI Index EUR 70/018/2000, (6 juin 2000) en ligne: Amnistie Internationale <http://web.amnesty.org/library/lndexiENGEUR700 182000?open&of=ENG-YUG> (Date d'accès: 20 août 2005). 694 Selon plusieurs estimés crédibles, il y aurait eu jusqu'à 900 000 personnes déplacées à l'intérieur de la Serbie. (Johnstone, supra note 549, à la p. 248). La Croix-Rouge yougoslave est d'avis que ce nombre serait de plus d'un million (Yugoslav Red Cross, « Report on the Humanitarian Situation », May 8,1999 tel que cité dans Chomsky, supra note 549, à la p. 17.) 695 Au début de juin, on dénombrait entre 1,2 à 1,5 millions d'albanais déplacés ou réfugiés (Kosovo Report, supra note 549, à la p. 90). Ce nombre n'était que de 400 ()()() au milieu du mois de mars comme il en a été question plus tôt. Voir ci-dessus la p. 152. 692 693 156 de la même période selon la Independent International Commission on Kosovo 6 %, sans compter les centaines de civils albanais et serbes tués « accidentellement» par les bombes de l'OT~97. Ainsi, lorsque l'on compare le bilan des morts durant les deux mois précédents (65 morts), on ne peut que constater l'inefficacité des mesures prises par les alliés pour « arrêter» la répression serbe. Même si, comme l'ont affirmé certains, la campagne de répression avait commencé avant l'attaque aérienne de l'OTAW98, il n'en reste pas moins que les alliés ont été incapables de la stopper. Leur stratégie initiale de bombarder les infrastructures militaires serbes dans le but de réduire leur capacité de répression à l'égard des albanais s'est avérée un échec retentissant. Une véritable intervention « humanitaire» aurait impliqué le déploiement d'une force au sol, seule capable de mettre fin aux exactions qui avaient cours699 • Les dirigeants alliés croyaient à tort, en se basant sur les expériences du passé, que Milosevic plierait l'échine après quelques jours de bombardements. Mais ils craignaient surtout qu'une attaque au sol ne cause la mort de soldats, ce qui risquait en retour d'engendrer une forte opposition de la part de leur électorat respectif00. Ainsi, ils ont préféré s'en tenir aux bombes, alors même que certains étaient parfaitement au fait des risques pour la population civile d'origine albanaise 7ol , avec les résultats que l'on connaît. Nonobstant l'erreur stratégique que représentait les frappes aériennes, cette propension à vouloir épargner la vie de soldats en dit long sur la vision humaniste des leaders occidentaux. D'un point de vue moral, Michael Walzer s'insurge contre cette guerre sans risque car, pour lui, elle comporte le message sous-entendu que la vie d'un Ibid., à la p. 91. Approximativement 500 civils yougoslaves incluant des albanais du Kosovo sont morts en raison des bombes de l'OTAN selon une étude de Human Rights Watch. (Human Rights Watch, « Human Rights Watch publie le bilan des victimes civiles dans la guerre du Kosovo: révélations sur la stratégie » (7 juillet 2000) en ligne: Human Rights Watch de l'OTAN <http://hrw.orgidoc/?t=french_europe&documenUimit=220,20> (Date d'accès: 20 août 2005).). Les bombes de l'OTAN ont même, à quelques reprises, atteint des convois et trains de réfugiés albanais. Enfin, 300 soldats de l'année yougoslave auraient également été victimes des frappes aériennes. (Kosovo Report, supra note 549, à la p. 94.) 698 Voir ci-dessus la note 582. 699 Nicholas J. Wheeler est même d'avis que le simple déploiement de troupes en République de Macédoine et en Albanie aurait été suffisant à persuader Milosevic d'en arriver à une entente avec le Groupe de Contact. (Wheeler, supra note 459, à la p. 270.) 700 Ibid., à la p. 268 ; Roberts, supra note 549, à la p. Ill. 701 Le Président Clinton et ses proches conseillers avaient été avertis de ces risques par le directeur de la CIA, George Tenet, ainsi que par des hauts gradés de l'année américaine. (Wheeler, Ibid., aux pp. 26869.) 696 697 157 américain ou d'un européen de l'ouest vaut davantage que celle d'un citoyen yougoslave, qu'il soit membre de l'armée fédérale ou un civil albanais: We are ready, apparently, to kill Serbian soldiers; we are ready to risk what is euphemistically called "collateral damage" to Serbian, and also Kosovar civilians. But we are not ready to send American soldiers into battle. [ ... ] But this is not a possible moral position. You can '( kill unless you are prepared to die. [ ... T]hese political leaders cannot launch a campaign aimed to kill Serbian soldiers, and sure to kill others too, unless they are prepared to risk the lives of their own soldiers. They can try, they ought to try, to reduce those risks as much as they cano But they cannot claim - we cannot accept - that those lives are expendable, and these not. 702 [Nous soulignons] On peut en effet se poser la question, comme l'a fait Henry Kissinger, quel genre d'humanisme au juste traduirait sa réticence à subir des pertes militaires par la destruction de l'économie de son adversaire et par la mort de centaines d'innocents 703 ? En somme, la stratégie ainsi que les moyens employés par les alliés enlèvent toute crédibilité aux prétentions humanitaires de leur intervention704 • Reste maintenant à déterminer le bien-fondé de l'opération « Force alliée» à long terme. Sur ce point, les résultats semblent plutôt mitigés. D'un côté, certains argumenteront qu'au moins l'intervention de l'OTAN a affaibli politiquement Milosevic et a mené à son départ de la vie politique l'année suivante, ce qui ne peut que favoriser la paix dans une région qui en avait bien besoin. Considérant le passé trouble de Milosevic, ils n'ont peut-être pas tort. Malgré le bilan indéniablement négatif des trois mois de bombardements, la force s'avérait peut-être une option préférable à long terme705 • Il nous est impossible d'en être certains mais il n'est pas exclu qu'avec le temps le nombre de victimes kosovars aurait été supérieur sans l'intervention des pays euro-atlantiques. Rappelons que la RFY avait constamment violé les différents engagements internationaux visant à l'empêcher de réprimer la population civile albanaise. D'un autre côté, on doit constater que l'intervention de l'OTAN n'a ni réglé le statut politique du Kosovo ni la Michael WaI7.et', Arguing about War, New Haven, Yale University Press, 2004, aux pp. 101-102. Henry Kissinger s'est posé la question suivante dans un article qu'il a écrit sur l'intervention de l'OTAN :« [ ... ] what kind of humanism expresses its reluctance to suffer military casualties by devastating the civilian economy of its adversary for decades to come? ». (Henry Kissinger, « Kosovo and the Vicissitudes of American Foreign Policy » dans William J. Buckley, dir., Kosovo: Contending Voices on Balkan Intervention, Grands Rapids, William P. Eerdmans, 2000, à la p. 301.) 704 Falk, supra note 672. 705 Après tout, les kosovars albanais semblent avoir accueilli avec joie et reconnaissance les soldats alliés en juin 1999 alors qu'ils s'apprêtaient à remplir leur nouveau rôle dans la KFOR. (Jonathan Steele, « Confused and Still in Deniai, Serbs have a Long Way to GO» Guardian, (14 juin 1999») 702 703 158 tension ethnique entre les diverses communautés qui s'est en quelque sorte exacerbée706 • Elle a également eu de sérieuses répercussions sur la stabilité régionale, comme les troubles politiques dans la République de Macédoine l'ont démontré. Finalement, l'ordre et la paix ne sont pas revenus au KoSOV070 7 • Ce qui a fait dire au Ministre tchèque des Affaires étrangères, Jiri Dienstbier: «The bombing hasn't solved any problems. It only multiplied the existing problems and created new ones »708. Rappelons que la moitié des serbes du Kosovo ainsi que de nombreux tziganes se sont réfugiés en Serbie au mois de juin 1999, fuyant la vengeance terrible des albanais. (Johnstone, supra note 549, à la ~. 253.) 07 C'est ce qu'attestent les attentats récents contre l'ONU le 2 juillet 2005 dernier et l'éternelle ~résence de la KFOR au Kosovo. 08 Detroit Free Press, March 30, 2000 reproduit dans Johnstone, supra note 549, à la p. 255. 706 159 4. Analyse des cas d' « interventions humanitaires}) de 1990-2005 Lorsque l'on compare les divers cas d'interventions humanitaires des années 90 à ceux des années 70, nous sommes frappés par trois évolutions significatives dans le comportement étatique. En premier lieu, la pratique de l'intervention humanitaire propulsée en outre par l'euphorie du début des années 1990 a été plus fréquente. Deuxièmement, les défenses classiques de légitime défense et d'invitation d'un gouvernement étranger, davantage respectueuses du droit international classique, ont laissé progressivement leur place à une rhétorique plus humanitaire fondée sur une certaine solidarité internationale. Certaines nations ont même explicitement invoqué la doctrine de l'intervention humanitaire afin de justifier leur action, ce qui aurait été impensable il y a quelques années. Troisièmement, la communauté internationale a affiché une tolérance plus grande envers ce type particulier d'intervention. En fait, sa survenance nous apparaît moins incongrue et elle n'est plus taboue dans les relations internationales actuelles comme l'attestent d'ailleurs les débats sur le développement d'une nouvelle norme d'intervention qui ont eu lieu à l'Assemblée générale de l'ONU à l'automne 1999. Bref, l'intervention humanitaire, bien que toujours controversée, a acquis une certaine reconnaissance internationale. Ceci dit, comment pouvons-nous interpréter cette évolution politique en terme de droit international? Y a-t-il eu création d'une nouvelle norme? Une coutume est-elle en train de se former ou de se cristalliser? Les cas du Libéria, de l'Irak, et du Kosovo ne représentent pas, à notre avis, des précédents déterminants en ce qui concerne l'émergence d'un droit coutumier d'intervention humanitaire. Comme il en a été question plus haue09, la formation d'une telle norme suppose en outre l'existence d'une opinio juris sive necessitatis, c'est-à-dire, dans ce cas précis, la conviction que l'intervention humanitaire devienne une exception légale à l'article 2 (4) de la Charte. Cette conviction doit être exprimée autant par le ou les États qui prétendent à la nouvelle règle appelée à devenir une coutume que par un noyau appréciable d'autres nations. Pour ce faire, le ou les premiers doivent clairement articuler les contours d'un nouveau droit d'intervention humanitaire comme l'a enseigné la CU71O • Quant aux seconds, ils doivent démontrer une opinio juris concomitante soit en signifiant leur soutien explicite au 709 710 Voir ci-dessus la p. 52. Voir le passage pertinent de la CU dans l'avis sur le Nicaragua. Voir ci-dessus les pp. 86-87. 160 développement juridique ou en restant passifs. Or, ces deux conditions ne se sont matérialisées à aucun moment précis lors des quinze dernières années. Pour ce qui est de la première condition, la plupart des États qui sont intervenus aux cours des dernières années n'ont pas eu recours à la doctrine de l'intervention humanitaire. Le justificatif humanitaire était certes présent dans le discours de ces États, mais il n'a pas été, à l'exception du cas yougoslave, rattaché à une nouvelle théorie juridique remettant en cause la norme prohibitive de l'article 2 (4). Ceux-ci ont, plus souvent qu'autrement, affirmé agir en réponse à la détresse de la population civile, sans le faire au nom d'un quelconque droit d'intervention humanitaire. Rappelons également qu'à deux reprises, qu'il s'agisse des interventions en Irak et en RFY, les pays alliés ont, à quelques exceptions près, refusé de suivre la voie tracée par la Grande-Bretagne qui favorisait une argumentation fondée sur une doctrine particulière d'intervention humanitaire. Ils ont plutôt misé sur d'autres justifications juridiques leur assurant une grande légitimité politique, notamment celle de l'autorisation implicite du Conseil de sécurité. Il y a donc eu réticence des pays intervenants à se draper de cette doctrine, alors que le climat socio-politique particulier, qui prévalait par exemple au Libéria et en Irak, le justifiait amplement. On ne peut que spéculer sur ce repli, mais il est raisonnable de croire que ces États ont reculé en raison du préjugé défavorable des nations non-occidentales pour le concept d'intervention humanitaire. Ce qui nous amène à discuter de la deuxième condition: l'existence d'une opinio juris parmi les pays non intervenants. Certains juristes sont d'avis que le silence d'États devant certaines interventions humanitaires du passé constituerait une forme de reconnaissance de leur légalité et, en conséquence, une nouvelle coutume internationale serait née 7 !!. Il est depuis longtemps admis par la doctrine qu'une coutume peut naître sans qu'un État n'y consente expressément. Le manque de protestation d'un État au moment de l'affirmation d'une nouvelle coutume équivaut à 711 Un de ces auteurs qui est souvent cité est Christopher Greenwood (Christopher Greenwood, « International Law and the NATO Intervention in Kosovo» (2000) 49(4) International and Comparative Law Quarterly 926. [Greeowood] Voir égaiement le plaidoyer du juriste Rusen Ergec devant la CU dans l'affaire de la Licéité de l'emploi de la force alors qu'il représentait le Royaume de Belgique. (Plaidoiries Belgique, supra note 614.) 161 un acquiescement712 • Ainsi, rien n'empêcherait en principe qu'un droit coutumier d'intervention humanitaire ne se forme du silence d'une grande portion de la communauté internationale. Mais pour que cet acquiescement implicite puisse être valable encore faut-il qu'un nouveau droit soit étayé par un ou plusieurs États. Cet aspect est essentiel à la création d'une coutume, car les États tiers doivent avoir la possibilité de réagir en connaissance de cause. On doit leur offrir l'occasion de protester. Sinon, l'acquiescement perdra en qualité et en substance. Se basant sur l'opinion de juristes de renom tels que Michael Akehurst et Anthony D'Amato, pourtant strictement opposés sur la question de la légalité de l'intervention humanitaire, Malcolm Shaw écrit: [... ] states must he made aware that when one state takes a course of action, it does so because it regards it as within the confines of international law, and not as, for example, purely a political or moral gesture. There has to he an aspect of legality about the hehaviour and the acting state will have to confirm that tbis is so, so that the international community can easily distinguish legal from non-legal practices. 713 Considérant ces paramètres, on ne peut déduire du silence, voire même de l'approbation, de nombreux pays aux interventions au Libéria ou en Irak tout comme d'ailleurs celles en Tanzanie ou en République centrafricaine dans les années 70, quelque consentement que ce soit. Aucun État n'est venu formuler, au moment de justifier leur recours à la force, une théorie juridique annonçant l'avènement d'une nouvelle règle coutumière. L'absence de condamnation ne peut, en l'espèce, soutenir la thèse de la formation d'une norme favorable à l'intervention humanitaire. Ceci dit, ces « non-condamnations» révèlent une brèche en regard de la prohibition générale de l'emploi de la force armée. Cela démontre, en fait, que la communauté internationale est prête à tolérer, tout en demeurant généralement fidèle à la règle formulée à l'article 2 (4), une violation temporaire de la Charte en cas d'extrême nécessité714 • À l'opposé, lorsqu'il y a eu des États qui ont invoqué, parmi tant d'autres raisons, un droit d'intervention humanitaire, comme à l'occasion des événements du Kosovo ou encore Voir notamment Iain MacGibbon, « Customary International Law and Acquiescence in International Law» (1957) 33 British Yearbook of International Law 115 et Michael Byers, Custom, Power and the Power of Rules: International Relations and Customary International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, aux pp. 142-143. [Byers] 713 Malcolm N. Shaw, International Law, 5th ed., Cambridge, Cambridge University Press, 2003, à la p. 84. 714 Franck, supra note 176, à la p. 172. 712 162 lors des raids aériens anglo-américains sur l'Irak en 2001 715 , la réaction internationale a été plutôt négative. Plusieurs nations ont alors condamné les frappes aériennes ou encore carrément remis en question leur légalité. En fait, tout doute persistant sur l'existence d'une opinio juris internationale favorable à l'intervention humanitaire disparaît complétement lorsque l'on s'attarde aux prises de position des États suivant le cas du Kosovo. Après cet épisode qui a polarisé le débat, l'opposition à l'intervention humanitaire a été encore plus tranchée, un fait souvent omis dans la littérature juridique américaine 716 • Au mois d'août 1999 tout d'abord, l'existence d'un droit ou devoir d'intervention humanitaire a été niée par une majorité de représentants dans une résolution adoptée par la Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme de l'ONU. Celle-ci a exprimé: sa très ferme conviction que le prétendu 'devoir' ou 'droit' de procéder à des 'interventions humanitaires', en particulier en recourant à la menace ou à l'emploi de la force, est dénué de tout fondement juridique au regard du droit international général actuel et ne peut en conséquence être considéré comme une justification des violations des principes consacrés par l'Article 2 de la Charte des Nations Unies. 717 Ensuite, diverses tentatives d'élaboration d'une norme internationale favorable à l'intervention ont été repoussées par une bonne partie de la communauté internationale. D'une part, le discours du Secrétaire général tenu le 20 septembre 1999, dans lequel il proclama l'existence d'une norme émergente favorable à l'intervention basée sur des principes légitimes et universels a amené une levée de bouclier contre la doctrine de l'intervention humanitaire. À l'occasion des débats à l'Assemblée générale qui ont suivi cette allocution, une majorité d'États se sont positionnés contre toute évolution juridique allant dans ce sens. Selon Ralph Zachlin, Adjoint au Secrétaire général aux affaires juridiques des Nations Unies, 32 des 40 États qui exprimèrent une opinion lors de ces discussions étaient en principe contre ou 715 Voir les sources mentionnées à la note 524 ci-dessus. À titre d'exemple, la déclaration du Groupe des 77 dans laquelle les nations non-alignées ont rejeté le droit d'intervention humanitaire a été passée sous silence dans la section recapitulant les événements juridiques de l'année 1999 dans la revue Americanjournal of International Law. Il est à noter qu'aux États-Unis de nombreux juristes et avocats priorisent l'examen des actes et paroles des États démocratiques lorsqu'ils évaluent la pratique des États. (Michael Byers and Simon Chesterman, « Changing the Rules about the Rules? Unilateral Humanitarian Intervention and the Future of International Law» dans Holzgrefe and Keohane, supra note 54, aux pp. 192-93) 717 Résolution 1999/2, Doc.Off. NU E/CN.4/2000/2, Doc.NU E/CN.4/Sub.2/1999/54, à la p. 14. Quinze délégations sur vingt-cinq ont voté en faveur de cette résolution. 716 163 avaient un préjugé défavorable envers l'intervention humanitaire 7l8 • Dans une déclaration qui traduit assez bien le discours tiers-mondiste, le Président algérien, Abdelaziz Bouteflika, à l'époque Président en exercice de l'OUA, affinna alors : We do not deny that the United Nations has the right and the duty to help suffering humanity, [b]ut we rernain extrernely sensitive to any undermining of our sovereignty, not only because sovereignty is our last defense against the rules of an unequal world but because we are not taking part in the decision-rnaking process of the Security Council.719 Cette position majoritairement non-interventionniste des pays en VOle de développement a aussi été exprimée en marge des délibérations de l'Assemblée générale. Les Ministres des Affaires étrangères du Mouvement des pays non-alignés, réunis à New York pour l'occasion, ont rejeté en bloc le concept de l'intervention humanitaire dans un communiqué72o • Le mouvement regroupant 115 nations 721 , a d'ailleurs risposté en avril 2000 condamnant ce type d'intervention d'une manière encore plus cinglante. Le document final de la rencontre des Ministres des Affaires étrangères statua: « We reject the so-called "right" of humanitarian intervention, which has no legal basis in the UN Charter or in the general principles of international law»722. De manière similaire, le Groupe de 77723 , composé à l'époque de 122 pays 718 Ralph Zachlin, « Beyond Kosovo; The United Nations and Humanitarian Intervention» dans LaI Chand Vohrah et al., dir., Man's inhumanity to man: essays on internationallaw in honour of Antonio Cassese, The Hague, Kluwer Law International, 2003, 935, à la p. 946. La Chine, la Russie, le Mexique, le Vietnam, le Kenya, la Jamaïque, l'Iran, la Malaisie, le Pérou, le Yémen, Chypre, la Colombie et la Côte-d'Ivoire se sont tous exprimés contre l'intervention humanitaire (pour un aperçu de leur point de vue voir leurs différentes déclarations dans Glennon, supra note 600, aux pp. 158 à 160). Tandis que l'Allemagne et la Suède furent parmi les huits nations à être favorables au développement d'une nouvelle norme d'intervention. Onze pays sont restés silencieux. Il est à noter toutefois que plusieurs des représentants qui ont participé aux débats étaient ouverts à l'idée d'établir des critères clairement définis en vue de limiter dans le futur les abus potentiels des « interventions humanitaires ». 719 Rapportée dans Barbara Crossette, «U.N. Chief Wants Faster Action to HaIt Civil Wars and Killings )) New York Times (21 septembre 1999) AI. 720 Humanitarian Intervention'. Slow Reimbursement Rates Assailed as Special Committee Reviews Peacekeeping Operations, communiqué de presse, Doc. Off. AG NU, 53e sess., Doc NU GAfSPD/l64 (1999). 721 L'organisme dont les membres sont issus de tous les continents à l'exception de l'Europe et de l'Amérique du Nord a été fondé en 1955 grâce aux efforts de Nehru et de Nasser. Il a pour but de représenter les intérêts et priorités des pays en voie de développement sur la scène internationale. Pour ~lus de détails aller en ligne à: The Non-Aligned Movement <http://www.nam.gov.za> 22 Movement of the Non-Aligned Countries, XIII Ministerial Conference, Cartegena, Colombia, 8-9 April 2000, Final Document, au para 263. Le Document final de cette conférence est disponible sur le site du Mouvement des Non-alignés (<http://www.nam.gov.za>). 723 Composé également de pays en voie de développement, cet organisme fondé en 1964 a aujourd'hui 132 membres. Il a pour objectif de promouvoir les intérêts économiques des nations tiers-mondistes en regard d'enjeux globaux et ainsi de faire contrepoids aux pays riches. Pour plus de détails aller en ligne à: Group 77 <http://www.g77.org> 164 formant approximativement 80 % de la population mondiale, a tout autant répudié le droit d'intervention humanitaire dans deux déclarations distinctes, une première en décembre 1999724 et une autre lors du Sommet de la Havane en avril 2000. À sa conclusion, le Groupe de 77 condamna « le prétendu droit d'intervention humanitaire mis en avant par les Nations Unies ou les grandes puissances pour justifier des interventions dans certains pays »725. L'Organisation de la conférence islamique à laquelle sont associés 57 pays aurait fait de même 726. Pour finir, des puissances comme la Chine et la Russie ont réitéré leur opposition à toute modification au droit existant. La Chine répéta à plusieurs reprises son mantra non-interventionniste727 • Tandis que le Président russe Poutine aurait affirmé en 2000 que l'une des pires conséquences de la fin de la Guerre froide était l'avènement de la doctrine de l'intervention humanitaire728. Troisièmement, les participants «tiers-mondistes}) aux rencontres itinérantes de la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États qui se sont déroulées aux quatré coins du monde (Beijing, New Dehli, Santiago, Caire, Maputo) durant l'année 2001 ont également exprimé un point de vue plutôt négatif envers l'intervention humanitaire. Si les opinions véhiculées lors de ces conférences ne peuvent prouver quelque opinio juris que ce soit (elles n'émanent pas de représentants officiels des États), elles manifestent toutefois que l'opposition à l'intervention humanitaire n'est pas l'apanage d'États jaloux de leur souveraineté. En effet, les intervenants provenant des pays latino-américains729, asiatiques730 et moyen724 Les Ministres des Affaires étrangères du Groupe des 77 auraient affirmé lors d'une Déclaration émise à l'occasion du 35ième anniversaire de la création de cette organisation ce qui suit: «The Ministers stressed the need to maintain clear distinctions between humanitarian assistance and other activities of the United Nations. They rejected the so-called right of humanitarian intervention. which has no basis in the UN Charter or in internationallaw» [Nous soulignons]. (MinisteriaJ Declaration on the 35th anniversary of the Group of 77, au para. 69.). La déclaration est disponible sur internet au <http://www.g77.orgIDocsIDecI1999.html>. 725 Tel que traduit dans « Chronique des Faits internationaux» (2000) 104 Revue Générale de Droit International Public 755. 726 Voir à ce sujet Corten « le droit international menacé )), supra note 654, aux pp. 61-62. Cette organisation créée en 1969 vise à défendre les intérêts et le bien-être des populations musulmanes du monde entier. Elle regroupe des États de l'Afrique, du Moyen-Orient, d'Asie du sud-est, d'Asie centrale ainsi que l'Albanie. Pour plus de renseignements voir en ligne: The Organization of Islamic States <http://www.oic-oci.org> 727 À titre d'exemple, le Président chinois Jiang Zemin exprima le point de vue que les droits de l'homme relevaient des affaires internes des États dans une entrevue publiée dans le journal français Le Figaro, édition du 25 octobre 1999. 728 Cette déclaration est rapportée dans Glennon, supra note 600, à la p. 194. 729 Les participants latino-américains en sont arrivés à la conclusion que l'intervention humanitaire sans mandat clair de l'ONU ne pouvait être légitime même si elle rencontrait certains critères objectifs. 165 orientaux73 1 ont rejeté le concept d'intervention humanitaire732 . Étonnamment, les porte-parole des pays africains ont été plus ouverts. Reconnaissant les faiblesses structurelles des États-nations en Afrique, ils étaient en faveur des interventions d'organisation sous-régionale comme la CEDEAO, lorsqu'un État africain a failli ou lorsqu'il est assujetti à une guerre civile endémique733 . Cette ouverture pour l'intervention extérieure, dont on a pu constater les premiers balbutiements en 1990 à l'occasion du déploiement de l'ECOMOG au Libéria, est aussi présente chez certains dirigeants africains que l'on qualifie de nouveaux « interventionnistes ». Plusieurs d'entre eux avaient au cours des dernières années d'existence de la Charte de l'OUA, remis en cause le principe de nonintervention qu'elle contenait734 • Et plus récemment, ils ont appuyé la nouvelle Charte de l'Union Africaine qui comprend des dispositions novatrices limitant sensiblement la souveraineté de ses membres735 . Ainsi, même si l'intervention humanitaire demeure controversée dans le contexte africain, on peut conclure sans se tromper que le principe de non-intervention n'est plus sacrosaint. Une évolution toutefois que ne semblent pas partager les dirigeants des nations latino-américaines, moyen-orientales (International Commission on Intervention and State Sovereignty, The Responsability to Protee!: Researeh, Bibliography and Background, Ottawa, International Development Research Centre, 200 l, à la p. 373.) [Rencontres itinérantes] 730 Les participants asiatiques ont été les plus virulents opposants à l'intervention humanitaire. À la rencontre de New Dehli, ils ont notamment affirmé que les concepts de l'intervention et de la souveraineté étaient incompatibles. (Ibid., aux pp. 387 et 389). À Beijing, la critique a été encore plus acerbe. On a réfuté l'idée tendancieuse que les droits de l'homme pourraient avoir préséance sur la souveraineté des États. (Ibid., à la p. 392) 731 Les invités présents à la rencontre du Caire en Égypte ont surtout critiqué le double standard et la sélectivité dans la pratique de l'intervention humanitaire. (Ibid., aux pp. 375 et 378). 732 La Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des états a d'ailleurs conclu dans son rapport au peu de soutien de la communauté internationale pour l'intervention humanitaire unilatérale: « Les interventions qui sont le fait de coalitions ponctuelles (ou, qui plus est, d'États individuellement) agissant sans l'aval du Conseil de sécurité, de l'Assemblée générale ou d'un groupement régional ou sous-régional dont l'État cible est membre, ne recueillent pas, c'est le moins que l'on puisse dire, une large approbation ». (Responsabilité de protéger, supra note 4, au para. 6.36, à la p. 59) Pour un excellent résumé de la position tiers-mondiste à ce sujet voir également Mohammed Ayoob, « Third World Perspective on Humanitarian Intervention and International Administration» (2004) 10 Global Governance 99. Rencontres itinérantes, supra note 729, aux pp. 363-364. Voir à ce sujet Michael Byers and Simon Chesterman, « Changing the Rules about the Rules? Unilateral Humanitarian Intervention and the Future of International Law » dans Holzgrefe and Keobane, supra note 54, à la p. 190. 735 Voir notamment l'article 4 h) de cette Charte qui confère à l'Union Africaine un droit d'intervention dans un pays membre lorsque survient de graves violations aux droits de l'homme comme le génocide, des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité. Notons néanmoins qu'en vertu de cet nouvel instrument international, l'emploi de la force entre membres de l'Union demeure illégal. (Article 4 f) de la Charte Africaine). 733 734 166 et asiatiques qui, honnis quelques exceptions, demeurent attachés à la nonne prohibitive736. En somme, l'appui à la création d'une nonne d'intervention humanitaire est surtout confiné dans la zone Atlantique nord du globe737 • Ce soutien limité, par contre, est nettement insuffisant lorsque vient le temps de conclure à l'apparition d'une nonne coutumière ordinaire 738 • Il l'est d'autant plus lorsqu'il s'agit de modifier une disposition conventionnelle ayant atteint le statut de jus cogens comme l'interdiction de l'emploi de la force année que l'on retrouve à l'article 2 (4) de la Charte739 • Dans ce cas précis, les règles internationales traitant de la fonnation d'une coutume internationale sont encore plus restrictives. Seule une nonne ayant le même caractère pourrait venir amender la règle impérative. Cette nouvelle nonne nécessiterait donc, selon les tennes de l'article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, « l'accord de la communauté internationale des États dans son ensemble ». Bien que les auteurs sont généralement d'avis que cette exigence d'unanimité est trop élévée, il n'en demeure pas moins qu'il est reconnu qu'un nombre très important d'États issus 736 Voir à ce propos Albret::ht et Thakur, supra note 657. Les pays latino-américains sont pour des raisons historiques évidentes en faveur de la norme de non-intervention, quoique actuellement des nations comme l'Argentine, le Brésil et le Chili ont exprimé une certaine ouverture. Les pays du Moyen-Orient sont généralement défavorables à l'intervention humanitaire, à moins qu'il s'agisse de secourir des populations musulmanes opprimées. Enfin, les dirigeants asiatiques sont probablement les plus attachés aux normes traditionnelles de souveraineté et de non-intervention, hormis peut-être le Japon et la Corée du sud. La présente déclaration du Premier ministre malaisien Mahathir représente bien l'état d'esprit des nations du sud-est asiatique: « Southeast Asians generally believe that humanitarian intervention could subvert the region's dominant non-intervention norm, weakening political and social cohesion and allowing the West to cali into question the legitimacy of governments and regimes not oftheir liking ». (Reproduite dans Shaun Narine, Humanitarian Intervention and the Question ofSovereignty: The Case ofASEAN, CANCAPS Papier Number 33, North York, Consortium canadien sur la sécurité en Asie pacifique, 2004, à la p. 13). 737 La Grande-Bretagne, la Suède, l'Allemagne et les Pays-Bas se sont tous prononcés publiquement en faveur de la création d'une norme d'intervention au cours des dernières années. À la limite, on peut croire qu'une dizaine voire peut-être une vingtaine d'États seraient favorables à l'émergence de droit d'intervention humanitaire. Les nations européennes semblent les plus enthousiastes en regard de la formation d'une nouvelle norme d'intervention humanitaire. Le Parlement européen a dès 1994 adopté une résolution dans laquelle il « considère qu'en cas d'échec de tous les autres moyens, la protection des droits de l'homme peut justifier l'intervention humanitaire, assortie ou non de la force militaire. Tout en donnant la préférence à l'intervention humanitaire à charge du Conseil de sécurité de l'ONU ou avec le consentement d'un gouvernement légitime, il considère que l'intervention humanitaire doit être possible s'il n'est pas raisonnablement envisageable d'agir autrement ». (Résolution du Parlement européen sur le droit d'intervention humanitaire, [1994] JO C 128 du 9.5.1994) 738 Pour qu'une règle coutumière ordinaire vienne à naître, il est nécessaire qu'une majorité d'États y acquiescent et peu s'y opposent. (Michael Byers and Simon Chesterman, « Changing the Rules about the Rules? Unilateral Humanitarian Intervention and the Future of International Law » dans Holzgrefe and Keohane, supra note 54, à la p. 179.) 739 Voir ci-dessus les sources afférentes à la note 168. 167 de tous les ensembles géographiques doivent acquiescer à la règle proposée pour qu'elle puisse avoir force de loi en droit intemationat140. Considérant la nécessité d'obtenir cet assentiment général, cela prendrait une véritable révolution pour qu'un droit d'intervention humanitaire n'apparaisse un jour. Comme le suggère Yoram Dinstein, une révision de la norme impérative de l'interdiction de recourir à la force ne pourrait se manifester que de trois façons. Seuls une déclaration unanime de l'Assemblée générale de l'ONU, la conclusion d'un nouveau traité signé et ratifié par la quasi-unanimité des États ou un amendement à l'article 2 (4) de la Charte de l'ONU doublés d'une certaine pratique concluante pourraient, le cas échéant, altérer la règle de jus cogens et ainsi permettre la naissance d'une exception humanitaire à l'article 2 (4)741. Dans l'état actuel des choses, il faut croire que l'opinion internationale n'est pas prête à une telle mutation du système westphalien. La forte résistance à l'éclosion d'un droit d'intervention humanitaire d'une bonne partie de l'humanité n'a pas empêché certains auteurs d'émettre l'idée qu'une coutume régionale serait née dans la zone euro-atlantique suite aux bombardements en RFy742. On ne peut nier la sympathie qu'ont plusieurs pays de cette région pour l'intervention humanitaire, mais un tel raisonnement est sujet à divers obstacles. En premier lieu, une coutume régionale ne pourrait jamais avoir préséance sur une règle de jus cogens à laquelle elle contreviendrait743 • Ensuite, plusieurs auteurs sont d'avis que la formation d'une coutume régionale nécessite le consentement de tous les membres de la région visée744 • Or, on peut douter que l'unanimité existe dans l'espace euro-atlantique en regard du droit d'intervention humanitaire comme l'ont révélé les 741 Dinh, Daillier et Pellet., supra note 22, à la p. 202. Dinstein, supra note 100, aux pp. 96-98. 742 Voir notamment Currie, supra note 619. 740 Byen, supra note 712, à la p. 188; Dinh, DaiUier et Pellet., supra note 22, à la p. 339; Netherlands Report, supra note 54, à la p. 23. Pour les mêmes raisons, la conclusion d'une entente ad hoc entre pays de la zone euro-atlantique pennettant l'intervention humanitaire comme le propose Allen Buchanan dans un article récent serait également illégale. Voir cette proposition dans Allen Buchanan, « Refonning the International Law of Humanitarian Intervention » dans Hotzgrefe and Keohane, s':fra note 54, aux pp. 130-173. 7 Malcolm N. Shaw, International Law, 3rd ed., Cambridge, Cambridge University Press, 1991, à la p. 79; Jean Combacau et Serge Sur, Droit International Public, 5e éd, Paris, Montrestien, 2001, à la p. 70. Voir toutefois Wolfke, supra note 371, à la p. 90. 743 168 745 discussions au sein de l'Alliance atlantique en octobre 1998 • En outre, les États- Unis se sont toujours opposés à tout développement juridique de ce genre746 • On peut finalement questionner les raisons d'être de l'apparition d'une telle coutume puisqu'elle ne serait applicable qu'entre pays de la région de l'Atlantique nord. Étant donné le caractère relativement démocratique de ces États ainsi que leur niveau de prospérité économique et de stabilité politique, ils sont moins susceptibles d'être les hôtes d'interventions humanitaires. Peu importe l'angle sous lequel la question est étudiée, les conditions à la concrétisation d'un droit d'intervention humanitaire ne sont pas présentes. On peut même douter qu'une telle norme soit en émergence comme le sous-tendent quelques juristes747 • L'étude sur l'intervention humanitaire commandée par le gouvernement danois et à laquelle ont travaillé de nombreux juristes expose remarquablement bien l'état du droit en la matière. Après une brève analyse de la pratique des États de 1945 à 1990, le rapport mentionne : [... ] Nor is state practice after the end of the Cold War (1990-99) conceming humanitarian intervention sufficiently substantial or generally accepted to support the view that a right of humanitarian intervention without authorisation from the Security Council has become part of customary international law. However, the amount of criticism from states seems less and there has been implicit support from the UN after the fact when the intervention was truly humanitarian. State practice since 1990 cao be seen as evidence of a greater acceptance that humanitarian intervention without Security Council authorisation may he morally justifiable in extreme cases. But these events do not amount to the conclusion that a legal right of humanitarian intervention without Security Council authorisation bas been established under current Voir ci-dessus la p. 141. De manière plus significative, seuls les Pays-Bas ont supporté activement une proposition récente de l'ancien ministre des Affaires étrangères de la Grande-Bretagne, Robin Cook, visant à établir une liste de directives devant guider l'action du Conseil de sécurité lors de violations massives aux droits de l'homme. (Voir à ce sujet Jane E. Stromseth, « Rethinking Humanitarian Intervention: the Case for incremental change» dans Holzgrefe et Keohane, supra note 54, aux pp. 262 à 264.) 746 Les États-Unis préÎerent juger de l'opportunité d'user de la force au cas par cas et ainsi conserver leur libre arbitre en cette matière. (Ibid., à la p. 264 ; Brad Roth, « Bending the law, breaking it, or developing it? The United States and the Humanitarian Use of Force in the Post-Cold War » dans Michael Byers and Georg Nolte, (dir.), United States Hegemony and the Foundations of International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, 232, aux pp 232 et 261.). Les États-Unis ont également démontré peu d'enthousiasme envers le concept de la« responsabiltié de protéger». Voir à ce sujet notamment Paul D. Williams and Alex J. Bellamy, « The Responsability to Proteet and the Crisis in Darfur » (2005) 36(1) Security Dialogue 27. [Williams et Bellamy] 747 Voir notamment Christopher C. Joyner et Anthony Clark Arend, « Rethinking the Legal Nuances of Kosovo: Toward an Emerging Norm of Anticipatory Humanitarian Intervention )) dans Jeffrey S. Morton, Craig Nation, Paul Forage et Stefano Bianchini, Rejlections on the Balkan Wars: Ten Years After the Break Up ofYugoslavia, New York, Pal grave MacMillan, 2004,165, à la p. 177. 745 169 international law. It is still premature to assess whether such a right may be emerging under intemationallaw.748 [Nous soulignons] Ce passage traduit fidèlement l'état d'esprit de la doctrine actuelle qui, dans sa majorité, est d'avis qu'il n'y a aucun droit coutumier permettant l'intervention humanitaire 749 • Les auteurs qui croient l'inverse sont plutôt isolés75o, à moins bien sûr de considérer ceux qui utilisent une approche juridique non traditionnelle lorsqu'ils évaluent la conduite internationale des États751 • Toutes ces nouvelles théories enrichissent certes le débat juridique, mais encore faut-il, comme le mentionne Michael Byers et Simon Chesterman, que leurs promoteurs démontrent clairement que les règles classiques concernant la formation des coutumes, qui font d'ailleurs partie du droit coutumier, ont été validement modifiées752 • Sur ce point, ils ne sont guère convaincants et restent minoritaires753. Danish (nstitute, supra note 40, à la p. 95. Dans ce courant majoritaire, l'on dénombre notamment: Albrecht Randelzhofer, « Article 2 (4») in Simma, supra note 162; Michael Byers and Simon Chesterman, « Changing the Rules about the Rules? Unilateral Humanitarian Intervention and the Future of International Law » dans Holzgrefe and Keohane, supra note 54; Brownlie « Kosovo », supra note 615; Cassese, supra note 616; Franck, supra note 176; O'ConneU « Kosovo », supra note 566; Nico Krish, « Review Essay Legality, Morality and the Dilemma of Humanitarian Intervention after Kosovo» (2002) 13(1) European Journal of International Law 323. Chamey, supra note 46; Gray, supra note 32, aux pp. 31-49; Peter Hilpold, «Humanitarian Intervention: Is there a NeOO for Legal Reappraisal? » (2001) 12(3) European Journal of International Law 437; Corten « le droit international menacé », supra note 654. 750 Parmi les auteurs récents, l'on retrouve notamment: Greenwood, supra note 711; Bazyler, supra note 5; Abiew, supra note 76; Téson, supra note 17. Plusieurs autres auteurs sont d'avis qu'il existe un droit coutumier d'intervention humanitaire limité à certaines circonstances, comme par exemple, lors d'une situation génocidaire (Chinkin, supra note 620 ; Jack Donnelly, Universal Human Rights in Theory and Practice, 2nd 00., Ithaca, Cornell University Press, 2003, à la p. 252) ou lorsqu'une intervention est menée par une organisation régionale (Levitt, supra note 377.). 751 Certaines de ces méthodes alternatives pourraient, le cas échéant, entraîner une conclusion juridique plus favorable pour la doctrine de l'intervention humanitaire. À titre d'exemple, certains auteurs sont d'avis que seuls les actes physiques comptent dans l'évaluation de la pratique des États, rendant ainsi 748 749 l'élément de l'opinio juris illusoire. Les déclarations officielles, les condamnations, les résolutions de l'Assemblée générale et les avis juridiques de hauts fonctionnaires seraient donc à leur avis de moindre importance lors de l'examen de la conduite internationale des États. (Weisburd, supra note 304; Wolfke, supra noie 371; D'Amato, supra note 371.) 752 Michael Byers and Simon Chesterman, « Changing the Rules about the Rules? Unilateral Humanitarian Intervention and the Future of International Law» dans Holzgrefe and Keohane, supra note 54, aux pp. 187 à 198. 753 La CU a d'ailleurs plusieurs fois confirmé que les paroles des représentants gouvernementaux comptent autant que les actes des États dans le processus de formation d'une coutume en droit international. Voir à ce sujet Byers, supra note 712, aux pp. 134-36. 170 Conclusion What difference does it make to the dead, the orphans and the homeless, whether the mad destruction is wrought under the name oftotalitarianism or the holy name ofliberty or democracy? 1 assert in ail humility, but with ail the strength at my command, that liberty and democracy become unholy when their hands are dyed red with innocent blood. Gandhi 754 Overcoming poverty is not a gesture ofcharity, it is an act ofjustice. It is a protection ofafundamental human right.[.. .] It is within your power to avoid a genocide of humanity. 755 Nelson Mandela L'affaire du Kosovo a été un moment clé en ce qui concerne la pratique de l'intervention humanitaire. L'ouverture qu'elle a créée, s'est aussitôt refermée lorsque, quelques mois plus tard, les États non-alignés se sont prononcés contre le développement d'une nouvelle norme en faveur de l'intervention tel que proposé par Kofi Annan. En agissant ainsi, ils ont effectivement empêché la création d'une coutume d'intervention humanitaire756 • La porte demeure donc close pour l'instant, la guerre au terrorisme et la lutte contre la tyrannie dictées par l'administration Bush attirant l'attention de la communauté internationale757 • Malgré ce constat, un fait demeure toutefois. Depuis quinze ans, l'on observe, année après année, une plus forte adhésion des États à la norme de l'intervention humanitaire. Il est significatif de constater qu'aujourd'hui certains pays d'Amérique Latine et d'Afrique semblent favorables à sa reconnaissance éventuelle moyennant l'inclusion de conditions M K Gandhi, Non-Violence in Peace and War, Vol. l, Ahmedabad, Navajivan Publishing House, 1942, à la p. 357. 755 Discours de Nelson Mandela du 2 juillet 2005 tenu lors du concert Live 8 présenté à Johannesburg en Afrique du sud demandant aux gouvernements du G8 de poser des gestes concrets pour combattre la pauvreté en Afrique. (BBC News/Africa, Excerpts : Mandela's Live 8 speech, (3 juillet 2005) en ligne: < http://news.bbc.co.uk/2/hi/africa/4646231.stm> (Date d'accès: 20 août 2005)). [Mandela] 756 Ramesh Thak.ur, « Developing Countries and the Intervention-Sovereignty Debate» dans Richard 754 M. Priee et Mark W. Zacher, dir., The United Nations and Global Security, New York, Palgrave MacMillan, 2004, 193 à la p. 204. Sur la question de l'intervention humanitaire, et plus généralement sur l'usage de la force dans cette ère post Il septembre, voyez notamment: Brunnée et Toope, supra note 277; Jutta Brunnée and Stephen J. Toope, « Siouching Towards New' Just' Wars : International Law and the Use of Force after September llth » (2004) 51 Netherlands International Law Review 363; Jennifer M. Welsh, dir., Humanitarian Intervention and International Relations, Oxford, Oxford University Press, 2004; Tom J. Farer, « Humanitarian Intervention before and after 9111 : Legality and Legitimacy » dans Holzgrefe and Keohane, supra note 54, aux pp. 53 à 89 ; Nicholas J. Wheeler, « Humanitarian Intervention after September Il, 2001» dans Lang Jr, supra note 68, aux pp. 192 à 210. 757 171 strictes, ce qui était carrément inimaginable il y a quelques années. Pour cette seule raison, les partisans de l'intervention humanitaire ont de quoi être optimistes. Surtout que l'on peut difficilement entrevoir un retour aux conceptions non-interventionnistes de la Guerre froide telles que régulièrement formulées par la Chine. L'acceptation d'un droit limité d'intervention, il nous semble, ne peut que progresser, considérant l'effet d'uniformisation qu'entraîne inévitablement les forces de la mondialisation sur le droit international. Il n'est donc pas exclu qu'une coutume vienne à naître un jour. Il n'en demeure pas moins qu'il faudra encore plusieurs années avant que ne soient dissipées les craintes légitimes des pays non-alignés envers ce concept dont on a trop souvent abusé par le passé. Ainsi pour l'heure, l'intervention humanitaire demeure illégale. La présente étude a démontré que les arguments soulevés par les défenseurs de l'intervention humanitaire ne sont guère convaincants en regard du droit international positif. Attrayant quelquefois d'un point de vue moral, ils ne passent pas le test de la légalité. Loin s'en faut. Un examen approfondi du contexte normatif de la période de l'aprèscharte ne peut conduire qu'au constat de l'inexistence d'un droit d'intervention humanitaire. Premièrement, aucun instrument international, y compris la Charte de l'ONU ou les conventions en matière de droits de l'homme, ne comporte, implicitement ou explicitement, une norme autorisant ce type d'intervention. Deuxièmement, les États n'ont pas, par leurs actes, affiché une quelconque prédisposition pour l'engagement armé humanitaire. On recense un nombre limité de véritables interventions humanitaires (Bengale oriental, Libéria et possiblement l'Irak)758, à travers desquelles les pays intervenants n'ont pas manifesté l'opiniojuris indispensable à l'établissement d'une nouvelle règle coutumière. En effet, lorsqu'est venu l'opportunité de justifier ces ingérences, ceux-ci n'ont pas invoqué un droit d'intervention humanitaire au soutien de leurs actions. Troisièmement, les États ont démontré peu d'enthousiasme pour sa codification éventuelle. Adhérant régulièrement à la prohibition générale de l'utilisation de la force par le droit résolutoire, ils ont été peu nombreux à se déclarer, En se basant sur notre définition, seuls ces trois cas peuvent figurer dans le palmarès des interventions humanitaires. Voir ci-dessus notre section traitant de la définition de l'intervention humanitaire aux pp. 5 à 16. 758 172 à un moment ou à un autre de la Guerre froide, favorables à l'exception humanitaire7s9 • Et plus récemment, l'immense majorité des États ont rejeté toute forme de légalisation d'un droit d'intervention humanitaire. Même le nouveau concept de la « responsabilité de protéger », pourtant plus respectueux envers la souveraineté étatique, ne fait pas l'unanimité parmi les membres de la communauté internationale760 • Quatrièmement, la CU, cour composée de grands experts du droit international, a rejeté le droit d'intervention humanitaire dans l'Affaire sur les activités militaires et paramilitaires au Nicaragua en affirmant que la force armée n'était pas la méthode appropriée pour rendre effectif les droits de l'homme. Finalement, plusieurs rapports élaborés récemment par des groupes et commissions indépendantes de juristes ont déterminé que la doctrine de l'intervention humanitaire, bien que légitime ou morale, demeurait toujours illégale761 • En somme, ce n'est qu'une minorité d'auteurs 762 qui concluent à la légalité de l'intervention humanitaire. Convenons qu'il s'agit là d'un bien mince appui sur lequel peut reposer un droit d'intervention humanitaire. Appui qui d'ailleurs s'avère tout à fait insuffisant lorsque vient le temps de reconnaître une possible exception à la règle 759S'exprimant devant les organes de l'ONU, notamment lors des débats entourant l'adoption des résolutions 2105 et 2625 de l'Assemblée générale, certains États auraient exprimé une sympathie momentanée envers la doctrine de l'intervention humanitaire durant la période de la Guerre froide. Il s'agit de l'Inde, de la Grèce, des Pays-Bas, de la Jamaïque, du Mali, de la Yougoslavie, de la Turquie, de l'Espagne, du Sénégal, du Chili et peut-être des États-Unis avec leur doctrine Reagan qui était en vogue dans les années 80. (Michael Akehurst, « Humanitarian Intervention» dans Bull, supra note 196 à la p. 109; Ronzitti, supra 52, aux pp. 106-108; Jean-Pierre Fonteyne, « Forcible Self-Help by States to Protect Human Rights : Recent Views from the United Nations », dans Lillich, supra note 179, aux pp. 213 à 218.) Cependant, la plupart de ces pays ont revisé par la suite leur position initiale au gré des circonstances politiques. (Bull, Ibid., à la p. 98.) 760 Les membres permanents du Conseil de sécurité ont accueilli froidement ce concept lors des débats qui ont eu lieu au conseil au mois de mai 2002. Ils ont rejeté la proposition de la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États à l'effet que ceux-ci ne devraient pas user de leur droit de vélo lors de catastrophes humanitaires. Ce qui a fait dire à l'ambassadeur du Singapour: « [L]es cinq membres permanents considèrent leur statut comme un privilège pas comme une responsabilité». (<< Chronique des faits internationaux» (2002) 106 Revue Générale de Droit International Public 672). Plus récemment, en juillet 2003, une proposition des Premiers ministres britannique et canadien, Tony Blair et Jean Chrétien, d'inclure l'idée de « responsabilité de protéger» dans le communiqué final d'un sommet international portant sur la gouvernance a reçu un accueil hostile. (Thomas G. Weiss, « The Sunset of Humanitarian Intervention? The Responsability 10 Protect in a Unipolar Era » (2004) 35(2) Security Dialogue 135, à la p. 143). Sur le peu d'adhésion pour le concept de la responsabiltié de protéger voir généralement Williams et Bellamy, supra note 746. 761 Kosovo Report, supra note 549, à la p. 186; Netherlands Report, supra note 54, à la p. 27; Danish Institute, supra note 40, à la p. 116. 762 Dans son mémoire présenté au Comité des Affaires étrangères de la Chambre des communes du Royaume-Uni qui étudiait les tenants et aboutissants de l'affaire du Kosovo, lan Brownlie démontre par une recension exhaustive des ouvrages doctrinaux qu'une quantié appréciable de juristes sont d'avis que l'intervention humanitaire est illégale en vertu du droit international moderne. (BrownUe « Kosovo », supra note 615, aux pp. 886-91) 173 impérative inscrite à l'article 2 (4) de la Charte. Car l'opinion des publicistes, peu importe leur validité, ne constitue qu'une source subsidiaire du droit intemationat163 . Cette prise de position en faveur de l'intervention humanitaire par certains juristes laisse toutefois perplexe. On ne peut que spéculer, mais il semble que plusieurs d'entre eux ont de la difficulté à accepter l'idée que le droit international puisse interdire l'intervention armée lorsque des humains se retrouvent en situation d'ultime détresse. Il semble qu'ils n'arrivent pas à dissocier la moralité d'une action de sa légalitë64• En conséquence, leur analyse s'en ressent et laisse parfois à désirer. Trop souvent, ils transforment les préceptes du droit international classique par de nouvelles théories afin de rendre légale l'intervention humanitaire, s'éloignant ainsi de leur rôle de spectateur pour se faire créateur de droit. Une fonction qui pourtant échoie essentiellement aux États. Ce sont, en effet, les faits et actes des États qui sont les plus déterminants lorsque vient le temps d'étudier les sources du droit international. Or, la pratique récente des États révèle que l'article 2 (4) ainsi que la prohibition coutumière du recours à la force armée conservent toute leur force normative en ce début du 21 ième siècle. On ne peut que se réjouir de cette position. Même s'il ya des situations où le pacifisme à outrance devient moralement insoutenable (le génocide rwandais est un cas évident), nous croyons que l'humanité serait desservie par l'insertion d'un droit exceptionnel d'intervention humanitaire à l'article 2 (4) de la Charte comme certains le proposene65 • Car cette dernière disposition proclame l'un des idéaux les plus chers à l'homme, le principe voulant qu'il ne doit pas y avoir de guerre d'agression entre États sans l'assentiment du Conseil de sécurité. Or l'intervention humanitaire, derrière sa rhétorique humaniste, cache souvent la guerre. Et voilà où réside sa faiblesse. Elle prévoit des moyens qui sont irréconciliables avec ses objectifs. Elle peut causer la mort qu'elle aspire à prévenir766 • En voulant faire le bien, les États s'adonnant à Article 38 d) du Statut de la CU. Voir à ce propos l'article pertinent de Martti Koskenniemi. (Martti Koskenniemi, « 'The Lady Doth Protest Too Much' : Kosovo, and the Turn to Ethics in International Law » (2002) 65 (2) Modern Law Review 159, à la p. 162.) 765 Voir en ce sens, l'approche préconisée dans le rapport de la Independent International Commission on Kosovo. (Kosovo Report, supra note 549, aux pp. 185-198.) 766 Cela rejoint le constat qu'a fait Charles Krauthammer suivant l'épisode du Kosovo. Il aurait écrit: « And the central contradiction - the Iron Law of Humanitarian War - is this: Humanitarian war 763 764 174 l'intervention humanitaire sont susceptibles de faire davantage de mal comme les événements du Kosovo nous l'ont enseigné. La réalité est que la guerre est un véritable fléau pour le genre humain. Tous ceux qui l'ont vécu peuvent en témoigner. Car la guerre, peu importe sous quel nom elle est désignée, apporte son lot de souffrances et constitue la pire des politiques. Elle tue, mutile et détruit. Elle fomente la haine et peut déstabiliser une région du globe. Mais surtout, elle est imprévisible. Le dirigeant politique doit donc y penser deux fois avant de s'y embarquer. Tel est le conseil donné aux générations futures par Sir Winston Churchill : Never, never, never believe any war will be smooth and easy, or that anyone who embarks on the strange voyage can measure the tides and hurricanes he will encounter. The statesman who yields to war fever must realize that once the signal is given, he is no longer the master of policy but the slave ofunforeseeable and uncontrollable events. 767 Ains~ l'intervention humanitaire doit être une arme à utiliser en dernier ressort. Tous les efforts doivent être déployés pour s'y détourner. Surtout qu'entre les deux extrêmes que constituent l'inaction et la guerre, il y a une panoplie d'options768 qui s'offrent aux États visant à contraindre des gouvernements indécents à adopter des politiques respectueuses en matière des droits de l'homme. Enfin, de manière plus pragmatique, il y a une autre raison qui milite en faveur du statu quo juridique quant à l'intervention humanitaire. Les expériences du passé démontrent qu'elle constitue rarement un remède approprié pour faire face aux maux dont souffrent plusieurs pays du monde. L'intervention humanitaire vise plus souvent qu'autrement à arrêter une hémorragie, à parer à une situation d'extrême urgence. Elle ne s'attaque pas stricto sensu aux causes profondes de la naissance d'un conflit armé ou de la répression gouvernementale. De fait, elle s'avère être une solutionfast:food à des problématiques socio-politiques nécessitant une vision et un engagement de longue haleine. Il est significatif de constater que la plupart des pays hôtes requires means that are inherently inadequate to its en<ls ». (Charles Krauthammer, « The Short, Unhappy Life of Humanitarian War» (1999) 57 The Nationallnterest 5, à la p. 6.) 767 Tirée de son oeuvre My early life. 768 Pour une énumération exhaustive de ces moyens pacifiques voir le rapport de la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États. (Responsabilité de protéger, supra note 4, aux paras 3.25 à 3.31, pp. 26-28.) 175 d'interventions « humanitaires» depuis 1945 ont replongé dans le chaos politique quelques années plus tard malgré l'éviction de régimes anti-démocratiques (République centrafricaine, Cambodge, Irak, Libéria) et que près de la moitié des États ayant vécu la guerre retombent dans la violence dans les cinq années suivant la conclusion d'un accord de paix169 . Considérant ce qui précède, n'est-il pas préférable de prévenir que de guérir, de passer, comme l'énonce la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États, «d'une culture de la réaction à une culture de la prévention »110 ? Autrement dit, n'est-il pas plus sage11l de s'attaquer à ces causes structurelles, c'est-à-dire de mener de front la lutte à la pauvreté extrême, à l'inégalité des richesses, à la mauvaise gouvernance et au déficit éducatif qui grugent le tissu social de multiples nations ? Il est grand temps que les pays « développés )) adoptent l'idée que l'investissemenen dans les institutions politiques et le développement socio-économique des « pays du tiers-monde)) s'avère être le meilleur vaccin pour éradiquer à long terme les violations des droits de l'homme, le terrorisme et la guerre. N'y aurait-il pas d'ailleurs de plus belle « intervention humanitaire )) que de sortir le continent africain du trou noir de la pauvreté, de la malnutrition et de la maladie et, pour reprendre un terme récemment employé par Nelson Mandela, de mettre fin au « génocide ))113 qui s'y déroule en ce moment même? 769 Le Secrétaire général de de l'ONU fait mention de cette dernière statistique dans son rapport intitulé Dans une liberté plus grande qui doit servir de base de réflexions en vue de l'importante rencontre des Chefs d'États de septembre prochain qui portera sur la réforme des institutions de l'ONU. (Kofi Annan, Secrétaire général de l'ONU, Dans une liberté plus grande, (mars 2005), en ligne: <http://www.un.orglfrench/largerfreedomltoc.html>aupara.114. (Date d'accès: 20 août 2005) 770 Responsabilité de protéger, supra note 4, au para. 3.42, p. 30. 771 Cela constituerait une décision profitable non seulement sur le plan humain, mais aussi au niveau strictement économique. Selon une étude de la Commission Carnegie pour la prévention des co'1flits meurtriers à laquelle fait référence le rapport La Responsabilité de protéger, la prévention s'avère être un outil plus efficace que le déploiement d'une force d'intervention. La communauté internationale aurait investi près de 200 milliards de dollars américains lors de sept engagements militaires et sécuritaires au cours des années 90 (Bosnie-Herzégovine, Somalie, Rwanda, Haïti, golfe persique, Cambodge, El Salvador). En vertu des prévisions de cette Commission, une approche préventive aurait coûté uniquement 70 milliards, une économie de 130 milliards. (Ibid., au para 3.7, p. 22). 772 Cet investissement pourrait se traduire par une série de mesures, plus ou moins draconiennes, visant à rendre plus juste le système économique mondial: l'abolition complète ou partielle des dettes contractées par les pays les plus pauvres, libre accès à des médicaments contre le SIDA, l'éradication ou la dimunition des subventions consenties à l'industrie agricole nord-américaine et européenne, etc. 773 Mandela, supra note 755. 176 Bibliographie TRAITÉS INTERNATIONAUX Charte des Nations Unies, 26 juin 1945. R.T. Can. nO 7. Convention cOntre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, Doc, Off. NU, A/39/51, (1984). Conventions de Genève du 12 août 1949 (1950) 75 R.T.N.U. 287. Convention de Vienne sur le droit des traités. 23 mai 1969, 1155 U.N.T.S. 331. Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, 9 décembre 1948, 78 R.T.N.U.277. 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