du peuple, les sans-grade, ou sur les « derniers »… des Mohicans,
des Natchez ou des Bretons, témoins de la fin historique de leur monde
(Fabre 2011 ; Fureix 2012) –, une anthropologie de la littérature serait
aussi celle que poètes, romanciers, dramaturges ou librettistes pratiquent
à travers leurs œuvres (la littérature comme anthropologie), proposant bien
plus qu’une vision du monde, de l’homme ou de la société : une « forme
de connaissance supérieure de la réalité » pour reprendre une expression
de Jacques Bouveresse (2008 : 13).
Supérieure ? L’adjectif est à manier avec des pincettes. Car il ne s’agit
nullement d’une connaissance transcendantale, épistémologiquement
équipée pour unifier le divers, dégager les données de toute expérience
sensorielle, séparer rigoureusement et expérimentalement le vrai du faux,
la fiction de la réalité. Et pour cause : la littérature, le roman en
particulier n’est rien d’autre qu’œuvre de fiction, quand bien même,
par commodité de langage ou par marotte classificatoire, on le réinscrirait
dans le réel en le qualifiant d’« historique », de « sociologique », de
« réaliste », de « populaire », de « paysan » ou encore de « mœurs »…
On verra, dans la suite, ce qu’il convient d’entendre par ces catégories
qui embrouillent plus qu’elles n’éclaircissent le rapport du roman à la
réalité, la logique textuelle à la logique référentielle, et qui, bien souvent,
conduisent à des impasses théoriques (Schaeffer 1989 : 47 sq.).
Si l’on peut admettre, à la suite de Marc Augé (2011b : 214),
que création littéraire et analyse anthropologique s’élaborent « à partir
du même terreau » qui constitue « leur matière première »2, les types de
connaissance auxquels elles aboutissent ne sont cependant ni de même
nature ni de même portée, pas plus qu’ils ne sont – cela va de soi –
de même style. Les confronter n’aurait de sens qu’à condition de supposer
qu’ils entrent dans une relation d’homologie, en congruence sinon en
concurrence, et que l’un serait en mesure in fine d’annexer ou d’englober
l’autre. Ce qui, étant donné les principes logiques (vérifiabilité) et
les impératifs d’exhaustivité (tout prendre en compte) qui régissent la
démarche anthropologique, amènerait à entreprendre une « anthropo-
logie d’une anthropologie » dont la littérature serait une sorte de
version première et intuitive qu’il suffirait d’approfondir ou de redresser,
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Daniel Fabre & Jean Jamin
2. C’est-à-dire, remarque Augé, la manière dont les anthropologies locales, celles qu’au fil des
siècles toutes sociétés et cultures ont construites, « traitent du corps, de ses humeurs, des influences
qu’il exerce et de celles qu’il subit, de la différence des sexes, de la mémoire et de l’oubli, des
rapports entre les vivants et les morts, de la naissance, de l’hérédité et de la filiation, des règles de
transmission ou de dation du nom…, bref, de tout ce dont s’occupe la littérature romanesque ou
poétique » (2011b : 218).
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