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L’ÉQUIPE ET LA COMPAGNIE
LE DERNIER JOUR D’UN CONDAMNÉ
De Victor Hugo
Adaptation et mise en scène : Éric J. St-Jean
Une production de Bruit Public en codiffusion avec le Théâtre Denise-Pelletier
Salle Fred-Barry
Du 26 mars au 12 avril 2014
Interprète
Ariel Ifergan
Concepteurs
et collaborateurs artistiques
Assistance à la mise en scène......Sophie Martin
Environnement scénographique
et conception vidéo..................... Christian Jutras
Musique et environnement
sonore..............................Jean-François Morasse
Conception d'éclairages................ Steve Croteau
page 54 / ALBUM DE FINISSANTS
Bruit Public
La compagnie de théâtre Bruit Public a pour
objectif premier d’initier des spectateurs au
plaisir de la lecture du spectacle théâtral. Pour ce
faire, l’équipe de créateurs conçoit l’acte théâtral
davantage comme une proposition visuelle qu’une
proposition scripturale. De notre point de vue, la
scène théâtrale se compare à une immense toile
blanche et le metteur en scène, tel un peintre, érige
son discours à travers une composition visuelle.
Nous privilégions ainsi l’exploration de plusieurs
langages scéniques afin de créer des histoires en
images et nous mettons l’emphase sur l’espace, la
scénographie et le corps de l’acteur plutôt que sur
les objectifs psychologiques du texte dramatique.
Fondée en 2009, Bruit Public est dirigé par Éric
J. St-Jean (direction artistique), Christian Jutras
(direction générale) et Jean-François Morasse
(direction technique).
© Sascha Nadeau
Éric J. St-Jean a été stagiaire à la mise en scène au Théâtre du Nouveau
Monde (1995-1997) puis au Théâtre Denise-Pelletier (1998) ; il a complété
une maîtrise en mise en scène et s’est vu attribuer la bourse d’excellence
Georges Laoun pour le meilleur mémoire-création de sa promotion (UQÀM
2004). En 2005-2006, il signe trois mises en scène pour la compagnie
jeune public « L’Arsenal à musique » dont une en collaboration avec
l’Orchestre Symphonique de Montréal et de Québec. En octobre 2010,
il signe Jeux de massacre d’Ionesco, présentée à la Salle Fred-Barry,
avec sa compagnie Bruit Public. Il a enseigné le jeu, la mise en scène,
l’histoire du théâtre et l’écriture dramatique durant plus de dix ans dans  Éric J. Saint-Jean
le réseau collégial. Avec ses étudiants, il a réalisé une vingtaine de
mises en scène adaptées pour un public scolaire. En plus de diriger sa compagnie Bruit Public,
il occupe présentement les fonctions de conseiller pédagogique au Collège Lionel-Groulx.
ENTRETIEN AVEC ÉRIC J.
ST-JEAN, METTEUR EN SCÈNE
Quel est le mandat artistique de Bruit
Public, votre compagnie fondée en 2009 ?
Notre mandat est de créer des ponts entre les textes
des grands auteurs du répertoire théâtral et ce qui
se passe maintenant. Prendre des classiques, les
adapter et trouver leur résonnance dans l’actualité.
Faire comprendre que les questions posées par
ces auteurs aux époques passées reviennent dans
le présent de façon cyclique, qu’elles sont encore
pertinentes de nos jours. Elles sont le fondement
de l’humain ; elles touchent à l’ontologie humaine.
En 2010, la première pièce produite par Bruit
Public, Jeux de massacre, coïncidait avec la fin
de la crise de la grippe H1N1. Ce texte d’Eugène
Ionesco abordait des questions très pertinentes,
entre autres concernant la construction sociale
autour d’une crise. C’est la même chose avec le
texte de Victor Hugo qui aborde la question de la
peine de mort au moment même où deux peines de
mort sont contestées au États-Unis, où la prison
de Guantánamo est toujours ouverte, etc.
Pourtant, tout semble éloigner l’un de
l’autre Eugène Ionesco et Victor Hugo : ton,
esthétique, époque…
Ce sont deux grands humanistes. Ionesco ne
cherche pas à se moquer de ses semblables, il
n’est pas condescendant envers les êtres humains.
C’est un observateur de la condition humaine qu’il
exprime dans un langage et un rythme scénique
différents. Victor Hugo, c’est un peu la même
chose. Il pose un regard sur la condition humaine,
il la dénonce. Pour moi, il y avait une suite logique :
c’est encore un classique qu’on revisite, ce qui
répond au mandat de la compagnie. Mais il y a aussi
un filon thématique des différentes représentations
sociales de la mort. Dans le cas du texte de
Hugo, on s’attarde à un individu et non plus à une
population entière comme dans Jeux de massacre.
On s’attarde à ce qui se passe dans sa tête, sur
l’impact de la prise de conscience de la mort.
Jeux de massacre était un spectacle à huit
comédiens alors que Le Dernier jour d’un
condamné est joué par un seul. Qu’est-ce
qui vous intéresse dans le monologue ?
LE DERNIER JOUR D’UN CONDAMNÉ / page 55
© Christian Jutras
métaphysique que politique. Une autre dimension
importante qu’Hugo questionne, c’est la mise en
spectacle de la condamnation : on passe des flyers,
les enfants vont voir ça, etc.… C’est un texte qui
dénonce, en prenant le parti d’un homme condamné,
vu de l’intérieur de son cachot.
Au départ, l’idée n’a pas été de travailler avec un
seul comédien. Mon collègue Christian Jutras, qui
a cofondé la compagnie et qui est scénographe de
formation, est très axé sur le traitement vidéo. Il a
une signature graphique personnelle qu’il réalise
avec peu de choses, grâce à des logiciels assez
basiques. Mais quel spectacle pourrait être un
terrain fertile pour investir le discours de la vidéo ?
Nous avons choisi Le Dernier jour d’un condamné,
l’histoire d’un homme qui écrit son journal intime
aux derniers jours de sa vie avant de mourir, alors
qu’il est condamné par les hommes.
À qui écrit-il, cet homme enfermé ?
À tous ceux qui veulent le lire et qui se questionnent
sur la légitimité de condamner quelqu’un à mort.
Et des effets engendrés. Ça le garde en vie. C’est
son moyen de garder le contrôle sur sa vie. Au
deuxième degré, c’est la voix de Victor Hugo qui
prononce son « Plaidoyer contre la peine de mort » à
l’Assemblée nationale constituante le 15 septembre
18581. On ne connait pas les raisons de la mise à
mort de cet homme, mais indépendamment de ce
que cet homme a fait, la question que pose Hugo
est la suivante : a-t-on le droit de laisser souffrir
cet homme, de le laisser agoniser et de l’enfermer
dans un cachot ? A-t-on le droit de le tuer de
cette façon-là ? La moralité du texte est autant
http://fr.wikisource.org/wiki/Plaidoyer_contre_la_peine_de_mort_-_
Victor_Hugo
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page 56 / LE DERNIER JOUR D’UN CONDAMNÉ
Ce qu’on a voulu faire, Christian et moi, c’est de
mettre en scène l’acte d’écriture. De montrer
comment l’homme crée. Car c’est ce que Hugo nous
apprend : c’est lorsque l’homme écrit, qu’il est dans
un geste de création, qu’il est libre. L’homme est
en liberté quand il écrit. Les portes de son cachot
s’ouvrent. La création ouvre la conscience, ouvre
à une autre condition.
Lorsque vous abordez le travail de création,
jusqu’à quel point le travail du scénographe
contamine-t-il le travail de mise en scène et
vice-versa ?
La mise en scène, pour moi, c’est mettre en espace
un discours. Je ne suis pas le seul porteur du
discours. Le scénographe l’est aussi. Et l’auteur. Le
discours, c’est l’amalgame de ces codes-là. Une fois
qu’on a fait des coupures dans le texte, qu’on lui a
donné une forme en le sculptant, on s’est créé des
besoins parce que l’adaptation du texte de Victor
Hugo ne se tient plus tout seul. La première mouture
a résulté d’un travail comme pour un film, comme
un story-board. On prévoyait les séquences où il
se passerait des choses sur écran en parallèle avec
l’acteur sur scène. Le discours de la scénographie
fait partie intégrale du spectacle. On ne parle pas ici
de contamination. On parle plutôt d’ériger du sens.
La scénographie, c’est un acteur ; les projections
parlent. Également, pendant que l’acteur interprète
les différents personnages sur scène, la narration
peut être projetée sur l’écran.
Est-ce un défi de synchroniser le travail
de la vidéo et du comédien en salle de
répétition ?
En salle de répétition, nous avons constamment
travaillé avec les différentes vidéos du spectacle.
Ma plus grosse peur était d’inventer un objet
théâtral trop serré qui ne permettait pas une
certaine spontanéité. Il a fallu trouver des
mécanismes pour favoriser le débit et le timing
du texte. Ainsi, il n’y a pas de plan-séquence.
Seulement des fragments de vidéo. On a travaillé
en tournage réel mais en utilisant différentes
techniques de traitement d’images, différents
filtres pour modifier les images.
les artisans du spectacle. Je m’assure que tout
le monde fait le même spectacle, celui que j’ai en
tête. C’est mon seul travail. En ce sens, le travail
du comédien, Ariel Ifergan, est aussi essentiel.
Mettre en scène un monologue demande de la
précision car personne d’autre ne peut venir
arranger les choses.
En ce sens, le choix de présenter
le spectacle à Fred-Barry favorise
l’impression d’enfermement du personnage.
Beaucoup. Victor Hugo, c’est un monument. Le
Dernier jour d’un condamné est un texte très connu.
Quand tu joues avec un texte canonique comme
celui-là, l’horizon d’attente du spectateur averti
est immense. Évidemment, il y a des coupures ;
lu bout à bout, le texte dure cinq heures trente. Ce
n’est pas possible pour ce spectacle. J’ai donc dû
faire des choix. L’idée, c’est de faire vivre à des
Oui. C’est une petite salle. L’espace sur scène est
un plateau de 10 pieds X 10 pieds avec un écran
de 12 pieds de hauteur. L’idée de la scénographie,
c’est de représenter une feuille de papier qui se
déploie devant les spectateurs et que l’on éclaire
ou non selon les besoins de la vidéo. J’appelle ça
de la scénographie numérique. Ce n’est pas du
multimédia ou de la machinerie comme tel. On
projette des ambiances sur une toile numérique.
Avec un personnage qui vient parler. Cela présente
une autre vision de l’œuvre de Victor Hugo où les
mots sont importants.
Est-ce que le fait de monter un classique de
la littérature comme Le Dernier jour d’un
condamné vous effraie?
J’ai le goût d’utiliser l’analogie de la théorie sur
le changement de paradigme en enseignement.
Le paradigme de l’enseignement, c’est le prof
qui fait toutes les opérations dans la classe et qui
demande aux étudiants d’imiter et d’apprendre
par cœur versus le paradigme de l’apprentissage
où le professeur est un coordonateur de la coconstruction d’un savoir. Mon travail de metteur
en scène en est un de co-construction avec tous
© Christian Jutras
Comment concevez-vous votre travail
de metteur en scène à travers les
collaborations avec les divers artisans de la
production ?
LE DERNIER JOUR D’UN CONDAMNÉ / page 57
jeunes un tel monologue de Victor Hugo. Mais la
demande du public est là. Le potentiel pédagogique
est là, tant au collégial qu’au secondaire. Ça fait
deux ans que nous travaillons sur la proposition
et ça fait encore plus longtemps qu’il traine dans
ma tête. En ce moment, travailler avec Ariel et
Christian m’amène à découvrir d’autres aspects
du texte. Mais je suis obsédé par l’objectif de faire
un spectacle d’une heure et quart.
Une heure et quart pour questionner notre
rapport à la mort à travers le théâtre…
La mort est toujours porteuse d’une théâtralité.
Tu ne peux pas la montrer directement, il faut la
montrer par un autre biais. Il faut investir tous les
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codes théâtraux. Comme chez Shakespeare où il
y a quelque chose qui est bien assumée. Dans Le
Dernier jour d’un condamné, on est dans la tête du
personnage et la théâtralité de ce texte-là nous
permet de montrer par la vidéo des choses que
le roman dit mais que le personnage sur scène
ne dit pas. C’est un one man show, mais on n’a
jamais l’impression que le personnage est seul
sur scène. Grâce à la vidéo, il est accompagné en
tout temps. Par l’entremise du médium vidéo, nos
discours fusionnent à Christian et à moi.
Propos recueillis et mis en forme par
Frédéric Thibaud
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