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Au départ, l’idée n’a pa
s été de travailler avec un
seul comédien. Mon collègue Christian Jutras, qui
a cofondé la compagnie et qui est scénographe de
formation, est très axé sur le traitement vidéo. Il a
une signature graphique personnelle qu’il réalise
avec peu de choses, grâce à des logiciels assez
basiques. Mais quel spectacle pourrait être un
terrain fertile pour investir le discours de la vidéo ?
Nous avons choisi Le Dernier jour d’un condamné,
l’histoire d’un homme qui écrit son journal intime
aux derniers jours de sa vie avant de mourir, alors
qu’il est condamné par les hommes.
À qui écrit-il, cet homme enfermé ?
À tous ceux qui veulent le lire et qui se questionnent
sur la légitimité de condamner quelqu’un à mort.
Et des effets engendrés. Ça le garde en vie. C’est
son moyen de garder le contrôle sur sa vie. Au
deuxième degré, c’est la voix de Victor Hugo qui
prononce son « Plaidoyer contre la peine de mort » à
l’Assemblée nationale constituante le 15 septembre
1858
1
. On ne connait pas les raisons de la mise à
mort de cet homme, mais indépendamment de ce
que cet homme a fait, la question que pose Hugo
est la suivante : a-t-on le droit de laisser souffrir
cet homme, de le laisser agoniser et de l’enfermer
dans un cachot ? A-t-on le droit de le tuer de
cette façon-là ? La moralité du texte est autant
1 http://fr.wikisource.org/wiki/Plaidoyer_contre_la_peine_de_mort_-_
Victor_Hugo
métaphysique que politique. Une autre dimension
importante qu’Hugo questionne, c’est la mise en
spectacle de la condamnation : on passe des flyers,
les enfants vont voir ça, etc.… C’est un texte qui
dénonce, en prenant le parti d’un homme condamné,
vu de l’intérieur de son cachot.
Ce qu’on a voulu faire, Christian et moi, c’est de
mettre en scène l’acte d’écriture. De montrer
comment l’homme crée. Car c’est ce que Hugo nous
apprend : c’est lorsque l’homme écrit, qu’il est dans
un geste de création, qu’il est libre. L’homme est
en liberté quand il écrit. Les portes de son cachot
s’ouvrent. La création ouvre la conscience, ouvre
à une autre condition.
Lorsque vous abordez le travail de création,
jusqu’à quel point le travail du scénographe
contamine-t-il le travail de mise en scène et
vice-versa ?
La mise en scène, pour moi, c’est mettre en espace
un discours. Je ne suis pas le seul porteur du
discours. Le scénographe l’est aussi. Et l’auteur. Le
discours, c’est l’amalgame de ces codes-là. Une fois
qu’on a fait des coupures dans le texte, qu’on lui a
donné une forme en le sculptant, on s’est créé des
besoins parce que l’adaptation du texte de Victor
Hugo ne se tient plus tout seul. La première mouture
a résulté d’un travail comme pour un film, comme
un story-board. On prévoyait les séquences où il
se passerait des choses sur écran en parallèle avec
l’acteur sur scène. Le discours de la scénographie
fait partie intégrale du spectacle. On ne parle pas ici
de contamination. On parle plutôt d’ériger du sens.
La scénographie, c’est un acteur ; les projections
parlent. Également, pendant que l’acteur interprète
les différents personnages sur scène, la narration
peut être projetée sur l’écran.
Est-ce un défi de synchroniser le travail
de la vidéo et du comédien en salle de
répétition ?
© CHRISTIAN JUTRAS