Commissaire Lieutenant-Colonel Jean-Luc BARTHE
Chevalier de la Légion d’honneur
Chargé de mission en défense économique de la zone de défense Antilles
DESS « Certificat d’aptitude à l’administration des entreprises », IAE de Paris
Les entreprises face aux conséquences économiques
des risques naturels en Martinique
Un colloque
trésorerie générale / chargé de mission défense économique
que Dean n’avait pas prévu...
Dans le cadre du Pôle de gestion publique et de développement économique (PGPDE) de la
Martinique et conformément à l’action nº 1-2 « Prévenir les conséquences économiques des
risques climatiques » du chapitre « Domaine économique », deux actions ont été menées suc-
cessivement, résultant d’un partenariat fructueux établi entre la trésorerie générale de la Marti-
nique et le chargé de mission en défense économique de la préfecture de la zone de défense Antilles.
La première de ces actions, qui s’est déroulée en 2006, a consisté en la réalisation d’un mémento de
sensibilisation des entreprises aux risques d’intempéries majeures. La seconde action a pris la forme d’un
colloque portant sur le thème des « Entreprises face aux conséquences économiques des risques naturels
en Martinique », organisé le mardi 18 septembre 2007 à Fort-de-France, soit un mois après le passage
du cyclone Dean sur la Martinique.
PROPOS LIMINAIRES
Tout comme les autres îles des Antilles, la Martinique est située
dans un environnement géographique soumis à des risques natu-
rels non négligeables ; et si l’inconscient collectif semblait l’avoir
quelque peu oublié au cours des vingt années écoulées, le
cyclone Dean qui a frappé l’île brutalement les 16 et 17 août
derniers, puis le séisme du 29 novembre 2007, sont là pour nous
rappeler cette réalité.
La Martinique n’échappe donc pas à la menace, d’autant plus
que la structure même de son économie présente de grandes
vulnérabilités face aux catastrophes naturelles : un secteur pri-
maire tourné essentiellement vers la culture de la banane (tota-
lement sinistré du fait du passage du cyclone) et de la canne à
sucre ; un secteur secondaire relativement modeste, mais surtout
concentré géographiquement sur une zone principale (le
Centre) ; enfin, un secteur tertiaire fortement dépendant du tou-
risme, qui, chacun le sait, réagit instantanément et pour une
longue période ensuite, aux événements de toute nature (évé-
nements climatiques, attentats...). La nature insulaire de la Marti-
nique et son relief accidenté sont autant de facteurs qui viennent
augmenter cette vulnérabilité.
Dans de telles circonstances, la solidarité nationale s’exprime afin
que les habitants, le secteur économique et les collectivités puis-
sent retrouver leur activité et leur cadre de vie, le plus rapidement
possible. Mais chaque fois, ces événements viennent rappeler aux
pouvoirs publics la nécessité de multiplier les efforts en faveur de
la prévention de ces risques, que viennent aggraver le manque
de prise de conscience ou de préparation, la croissance de
l’urbanisation, notamment, en Martinique, et la vulnérabilité du
territoire régional face aux risques naturels.
Prévenir de telles situations afin d’éviter qu’un événement ne se
transforme en catastrophe, c’est l’essence même de la préven-
tion des risques naturels.
Par conséquent, il est du rôle de l’Etat, aidé en cela par les
collectivités territoriales, les chambres consulaires, les syndicats
professionnels, les entreprises et associations concourant peu ou
prou à une mission de service public, de sensibiliser de manière
permanente et d’anticiper sur les conséquences des catastro-
phes de toute nature (naturelles, technologiques, sociales...) afin
de mobiliser et coordonner toutes les énergies disponibles, le
moment venu, pour assurer au mieux la protection et la sauve-
garde des personnes et des biens économiques. Il s’agit, dans un
premier temps, de limiter l’étendue de la catastrophe, puis, dans
un second temps, de relancer au plus vite la machine écono-
mique, condition impérative pour une restauration rapide des
conditions de vie locales.
S’il n’est pas certain que les catastrophes naturelles augmentent
en nombre et en fréquence sur le moyen ou le long terme, leurs
conséquences économiques et sociales sont en revanche de plus
en plus importantes et visibles. Les raisons en sont tout d’abord et
principalement, la concentration progressive des populations (en
Martinique, l’agglomération de Fort-de-France représente près
du quart de la population totale à elle seule) et de l’élévation du
économie
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niveau économique, qui accroît, d’une part, la vulnérabilité aux
catastrophes naturelles et, d’autre part, leur coût. Ensuite, l’acti-
vité humaine contribue à augmenter, de l’aveu désormais quasi
unanime des scientifiques, le réchauffement de la planète, donc
le risque d’occurrence des catastrophes naturelles. Enfin, du point
de vue psychologique, la tolérance aux sinistres provoqués par
les éléments naturels, autrefois considérés avec une résignation
proche du fatalisme comme un aléa normal de la vie, a large-
ment diminuée dans les pays développés ; le niveau d’exigence
en termes de sécurité y est en effet plus élevé qu’ailleurs, ce qui
se traduit par un accroissement toujours plus marqué en termes
de demandes de prévention et d’indemnisation.
Or, la prévention est l’affaire de tous, y compris des citoyens qui
sont désormais invités, par la loi, à contribuer bénévolement et
activement aux missions de prévention ou de secours en tant que
réservistes de la sécurité civile (loi nº 2004-811 du 13 août 2004 de
modernisation de la sécurité civile).
Le champ des potentialités étant très vaste, tant au niveau des
risques, que de celui des domaines d’action possibles, il est apparu
nécessaire, lors de la préparation du colloque et dans un souci de
clarté des débats, de limiter les réflexions au sujet central des consé-
quences économiques des risques naturels en Martinique pour les
entreprises. Non pas, bien évidemment, que les conséquences
sociales ou bien les risques terroristes ne soient pas dignes de préoc-
cupation, mais parce que la probabilité des risques encourus,
confortée par la réalité des faits eux-mêmes, a plaidé, aux yeux
des organisateurs de ce colloque, pour le choix de ce sujet.
Ce colloque, dont l’idée était née au début de l’année 2007, et
a qui avait été préparé tout au long du premier semestre, ne
découlait donc pas du passage de l’ouragan Dean, mais est
venu, en quelque sorte, lui donner force de légitimité.
Il était destiné tout particulièrement aux chefs d’entreprise, afin,
non seulement de les aider à anticiper les mesures propres à
réduire la vulnérabilité de leur entreprise face aux phénomènes
naturels, mais également à leur permettre d’assurer le redémar-
rage de leurs activités dans les meilleures conditions de rapidité
et d’efficacité, après l’événement.
Il visait à apporter des solutions concrètes et pratiques, des
contacts, des coordonnées utiles, et d’une façon générale, des
réflexes adaptés, relativement à la conduite à tenir en cas de
survenance d’une catastrophe naturelle.
LE DÉROULEMENT DU COLLOQUE
Le colloque a débuté par deux exposés introductifs destinés à
présenter le contexte dans lequel la réflexion s’est inscrite. Animés
par des géographes, ces exposés ont porté, d’une part, sur un
panorama des risques naturels en Martinique et, d’autre part,
sur les conséquences économiques de certaines catastrophes
naturelles vécues à travers le monde.
A la suite de ces deux exposés introductifs, deux tables rondes se
sont succédé.
La première table ronde a été constituée par des organismes
(entreprises ou collectivités) assurant un rôle de service public au
sens large du terme : EDF, France Telecom, la SARA (Société ano-
nyme de raffinerie des Antilles), le SICSM (Syndicat intercommunal
du sud de la Martinique) et ODYSSI (société chargée de la régie
des eaux de la communauté d’agglomérations du centre de la
Martinique) ; comment ces entreprises prennent-elles en compte
les conséquences potentielles des risques naturels ? Comment
s’organisent-elles en interne ? Quels sont leurs moyens d’action ?
Quels contacts établissent-elles entre elles et avec leur environne-
ment ? Quel est leur rôle en cas de catastrophe naturelle ? ... Autant
de questions qui ont été abordées pour mettre en lumière la néces-
sité absolue de prendre conscience et de tenir compte des fortes
interactions qui lient ces différents acteurs.
La seconde table ronde a regroupé certains services de l’Etat
dotés d’une culture du risque et organisés de façon à y répondre
au mieux : il s’agissait du Conseil général, d’un représentant des
maires de Martinique, du service départemental d’incendie et de
secours, du service interministériel de défense et de protection
civile, de l’état-major de zone de défense Antilles et de la direction
départementale de l’équipement. Là encore, est apparu évi-
dente la nécessité pour les services de l’Etat de communiquer
entre eux, mais aussi avec les acteurs économiques, afin d’offrir,
le moment venu, une réponse optimisée aux problèmes posés. Ce
fut notamment l’occasion pour le chargé de mission en défense
économique d’intervenir pour souligner l’importance de la
défense économique en la matière, définie comme « l’ensemble
des actes et initiatives pris par l’Etat afin de protéger et défendre
l’économie et les entreprises des atteintes de toute nature et de
subvenir aux besoins de la défense nationale », en rappelant que
la notion de défense économique reposait sur deux volets abso-
lument complémentaires, l’approche régalienne, d’une part, mais
aussi l’approche partenariale, d’autre part (1).
Le colloque s’est poursuivi avec une troisième et dernière table
ronde, visant à permettre l’appropriation, par le chef d’entreprise,
de la culture d’anticipation en matière de risques naturels.
Ainsi, ont tour à tour été examinés, dans un premier temps, le rôle
des collectivités territoriales, des chambres consulaires et de la
DRIRE, puis, dans un second temps, les aspects financiers du trai-
tement d’une crise, avec l’intervention du Secrétariat général
pour les Affaires régionales de la préfecture, de l’Agence fran-
çaise de développement, des représentants des compagnies
d’assurances...
Et ce fut aussi l’occasion pour les intervenants de prodiguer, tout
au long de cette journée, moult conseils pratiques, repris sous la
forme d’un dossier, remis à chacun des participants.
LES ENSEIGNEMENTS TIRÉS DU COLLOQUE
OU L’IMPORTANCE DES RELATIONS
ENTRE LES DIFFÉRENTS ACTEURS
DANS L’ANTICIPATION
ET LE TRAITEMENT
DES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES
DES RISQUES NATURELS
Ainsi que cela a été observé tout au long de ce colloque, et ainsi
que la Martinique avait pu l’éprouver un mois auparavant,
les catastrophes naturelles frappent aveuglément l’ensemble du
territoire sur lequel elles s’abattent.
Or, la structuration de l’espace, telle que nous la connaissons,
résulte avant tout de contraintes géographiques (insularité, relief,
zone climatique...) mais aussi de considérations économiques,
des modes de vie et de choix politiques. L’une des caractéristi-
ques fondamentales de cet espace est une profonde et néces-
saire complémentarité entre toutes ses composantes, d’autant
plus difficile à établir dans le périmètre nécessairement contraint
d’une île.
Ainsi, s’agissant de la Martinique, le Nord, espace naturel pré-
servé, à la forte pluviométrie et à la végétation luxuriante, vient
équilibrer un Centre et un Sud davantage urbanisés et industria-
lisés, mais situés dans des zones plus sèches ; or, la problématique
de l’eau potable, qui est fournie à plus de 90 % par les eaux de
surface, pose la question du rééquilibrage entre les zones arrosées
mais à faible densité de population et celles à forte densité de
population mais moins favorisées par les ressources en eau.
(1) L’approche régalienne de la défense économique consiste à prévenir les dys-
fonctionnements des infrastructures majeures et à préparer les mesures destinées à
gérer les crises susceptibles d’intervenir ; l’approche partenariat découle de la
conception de l’Etat stratège, orienté vers les entreprises, et qui couvre la défense,
la sécurité et l’intelligence économique.
économie
-N
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L’ensemble des acteurs économiques a, par conséquent, des
intérêts profondément liés ; les crises subies par l’un de ces
acteurs, les entreprises, par exemple, à la suite d’une catastrophe
naturelle, ont un impact immédiat, direct ou indirect, sur les insti-
tutions locales.
Inversement, les crises qui paralysent ces mêmes institutions
locales ont des répercussions sur les entreprises.
La population, quant à elle, souffre, d’autant plus rapidement
qu’elle est insulaire, des dysfonctionnements engendrés aussi bien
au sein des entreprises qu’au sein des institutions.
Par conséquent, il semble dans l’intérêt de tous d’apprendre à
travailler ensemble, pour faire face le moment venu à l’adversité,
et cela avec un maximum d’efficacité.
Or, pour maximiser cette efficacité, il convient de travailler
ensemble, non seulement pendant et après la crise, mais aussi et
surtout avant sa survenue. Cela s’appelle anticiper sur l’événe-
ment. Cette anticipation repose sur une véritable culture qu’il est
nécessaire de développer et d’entretenir ; elle nécessite une col-
laboration étroite et continue entre toutes les parties prenantes.
Cette collaboration ne peut être pleinement efficace que si l’on
parvient à unir ses efforts pour atteindre cet objectif particulier,
par delà les différences de structures et de cultures (services
déconcentrés de l’Etat, Conseil régional, Conseil général [2],
communautés de communes, communes, chambres consulaires,
syndicats professionnels, entreprises...). Après tout, Paul Valéry ne
disait pas autre chose lorsqu’il déclarait : « Mettons en commun
ce que nous avons de meilleur et enrichissons-nous de nos
mutuelles différences ».
Cela passe, en particulier, par l’échange d’information sur les
méthodes de préparation face au risque, sur les moyens d’action
en cas de crise : recensement des moyens de transport, de
levage, de manutention ; moyens de secours en énergie élec-
trique et en pompage ; localisation des différents réseaux électri-
ques, de télécommunications, d’adduction d’eau, de collecte
des eaux usées... A cet égard, l’outil qu’il semble localement
bénéfique de compléter et de mettre en commun serait celui
d’un Système d’information géographique (SIG), véritable
banque de données reposant sur une approche cartographique
de l’existant, permettant la géolocalisation des points d’intérêt
économique, et qui permettrait de regrouper la somme des infor-
mations disparates actuellement détenues par les divers acteurs,
afin de décupler leur pertinence.
Mais revenons à la culture d’anticipation. Travailler ensemble
avant, pendant et après la crise, est un gage de succès.
Avant la crise, dans un but de mitigation : ce terme, cher aux
spécialistes en sismologie, signifie rechercher comment minorer
l’étendue des conséquences prévisibles d’un événement. Mais
au-delà de l’atténuation des effets, le travail en commun avant
la crise, permettrait aussi de faciliter la gestion de la crise ultérieure
par :
la connaissance mutuelle des différents intervenants étatiques
ou privés (d’où l’utilité d’un tel colloque) ;
le développement d’un esprit de prévention qui semble plus
développé dans certains pays qu’en France ;
une démarche d’anticipation de la part des entreprises notam-
ment, ce qui n’est finalement pas si éloigné de la culture
entrepreneuriale ;
le partage de l’information entre les différents acteurs et préa-
lablement à la catastrophe (risques et menaces, procédures
prévues par l’Etat, attentes de l’Etat à l’égard des entreprises et
vice versa) ;
– l’organisation d’exercices de sensibilisation de la population
autant que d’entraînement des agents spécialisés.
Pendant la crise, afin :
d’assurer la continuité de l’action de l’Etat et de la vie
économique ;
de coordonner l’action des acteurs et d’éviter à tout prix la
non-efficience ;
d’appliquer, en les ajustant aux nécessités du moment, les
mesures les plus adéquates possibles ;
d’éviter ainsi les retards, contradictions, ou polémiques au
moment même où la priorité est à l’action.
Après la crise :
favoriser le retour à la normale le plus rapidement possible, pour
des raisons économiques évidentes, mais aussi pour des considé-
rations psychologiques non moins essentielles ;
effectuer un retour d’expérience concerté entre toutes les par-
ties prenantes sur la crise, absolument nécessaire ne serait-ce que
pour faire prendre conscience à tous que les événements ne sont
jamais totalement prévisibles ; que la conduite des opérations en
temps de crise, c’est-à-dire la prise de décision en temps réel,
repose sur l’ajustement permanent de la prévision à la réalité ;
que cela ne peut se faire efficacement que si la circulation de
l’information est optimisée par une connaissance et une
confiance mutuelles entre les acteurs impliqués ;
assurer une veille sur les situations de crise se déroulant ailleurs
(l’un des deux exposés introductifs qui ont ouvert le colloque était
édifiant sur ce point) ;
sans oublier de solder les dépenses engagées pendant la crise !
CONCLUSION
Dans un environnement insulaire tel que celui de la Martinique,
on aurait mauvais goût de dire que tous, acteurs étatiques
comme acteurs économiques, sont « embarqués dans le même
navire » !
Et pourtant l’idée est bien celle-là ; face à l’adversité, incarnée
en l’occurrence par les catastrophes naturelles auxquelles les
populations seront à nouveau inexorablement confrontées, il est
apparu nécessaire, au terme de ce colloque, de se doter d’une
culture d’anticipation, reposant sur une approche concertée,
visant à développer le sentiment d’implication de tous : Etat, col-
lectivités territoriales, entreprises, individus, face à la catastrophe
naturelle, afin de susciter par dessus tout, et au cœur de chaque
individu, un réflexe de volonté plutôt qu’une exigence
d’assistanat.
(2) La Martinique est une région monodépartementale.
économie
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