TERRITOIRES & INFRASTRUCTURES TERRITOIRES & INFRASTRUCTURES L’INVESTISSEMENT EN INFRASTRUCTURES Un socle pour l’emploi et la croissance E n période d’austérité, une réduction du financement des infrastructures est l’une des voies empruntées afin de réduire les dépenses publiques. Cependant, ce sacr ifice résulte d’une approche court-termiste et purement comptable. En effet, l’investissement dans les réseaux est non seulement créateur d’emplois nondélocalisables, mais conditionne le développement économique des territoires. UN SOUS-INVESTISSEMENT CHRONIQUE Fortement impactée par la crise et ses conséquences économiques, sociales et politiques, la France est à la recherche de relais de croissance durables. L’un des principaux leviers permettant de stimuler l’activité est paradoxalement délaissé depuis plusieurs années. En effet, depuis trois décennies la part de l’investissement dans les transports et communications dans le PIB ne cesse de se dégrader en France. Investissement dans les secteurs des transports et des communications, en pourcentage du PIB Source : OCDE. 2,5% 2,2% 2,0% 1,8% 1,5% 1,5% 1,3% 1,0% 0,5% 0,0% 1970-79 1980-89 1990-99 2000-06 Fruit d’un calcul court-termiste et purement comptable, ce sous-investissement public dans les infrastructures est néfaste pour l’économie française dans son ensemble. Par ailleurs, les expériences internationales l’ont prouvé : une coupe dans l’investissement ne doit pas être le levier permettant de mener une politique de réduction des dépenses publiques 1. 1 Constat de Nicolas Lorach, Céline Mareuge et Catherine Merckling, Réduction des dépenses publiques : les leçons de l’expérience , France Stratégie, juillet 2014. DOSSIERS ECONOMIQUES – N°148 20 NOVEMBRE 2014 TERRITOIRES & INFRASTRUCTURES L’investissement protégé en période de restriction budgétaire Baisse des dépenses publiques lors des politiques d’austérité, en point de PIB, par nature, pour dix-sept pays occidentaux et d’Europe centrale (1990-2007) 2,33 1,65 1,37 0,65 0,23 Rémunérations Conso. Intermédiaires Transferts sociaux Revenus de propriété Investissement Source : France Stratégie Certains pays, comme la Suède sur la période 2003-2007, augmentaient même leurs dépenses d’investissement de 0,14 points de PIB lorsque les transferts sociaux diminuaient de 2,14 points de PIB. Au-delà des atouts pour l’attractivité des territoires 2, les infrastructures sont sources de développement économique, et motrices de la croissance de demain. Et cela à travers les grands leviers qu’elles activent : la diffusion des ressources engagées dans leur construction comme dans leur utilisation et l’ensemble des externalités positives auxquelles elles sont associées. DES INFRASTRUCTURES CREATRICES D’EMPLOI Les chantiers et l’entretien des infrastructures génèrent des emplois L’un des premiers effets positifs pour le développement des territoires comme de l’économie française est celle constatée dans l’acte d’investissement en lui-même3. Les chantiers génèrent directement des emplois dans le secteur des Travaux Publics, qui eux-mêmes alimentent en commandes d’autres secteurs. Un million d’euros investis dans les infrastructures = 10 emplois directs et indirects Emplois directs (interim compris) 7,1 / M€ Emplois totaux 9,7 / M€ Emplois indirects (hors interim) 2,6 / M€ Les infrastructures comme source d’emplois Au-delà des emplois concernés par leur construction et leur entretien, l’impact des infrastructures se situe également au niveau de son utilisation directe, de la diffusion des richesses découlant de cette utilisation, et des activités facilitées par leur existence. L’exemple le plus évident est celui des secteurs du transport et de l’entreposage (logistique). Forts de 1,3 million d’emplois, ceux-ci sont directement liés à la qualité et l’étendue des infrastructures en place. Plus spécifiquement, la France compte plus de 2,3 millions d’emplois liés à la route, selon l’Union Routière de France4. En parallèle, selon Yves Rome5, président de l’Association des villes et collectivités pour les Voir article Infrastructures et attractivité des Dossiers Economiques n°147. Voir article Emplois directs et indirects générés par les dépenses en infrastructures des Dossiers Economiques n°145 . 4 Faits et chiffres 2013 , URF. 2 3 5 Sénateur et président du Conseil Général de l’Oise. DOSSIERS ECONOMIQUES – N°148 21 NOVEMBRE 2014 TERRITOIRES & INFRASTRUCTURES communications électroniques et l’audiovisuel (Avicca), la mise à niveau du réseau français de télécommunications vers le Très Haut Débit génèrera dix emplois indirects liés à la présence d’infrastructures pour chaque emploi directement lié à sa construction et son entretien. Dans une approche plus prospective, le déploiement de dix millions de véhicules électriques et hybrides créerait environ 200 000 emplois en France selon un rapport du PREDIT.6. Cependant, ces emplois ne pourront exister tant que les infrastructures énergétiques et les bornes de recharges adaptées ne seront pas déployées sur tout le territoire. En parallèle, les évaluations socioéconomiques suivant les enquêtes publiques et les bilans LOTI7 ont pour objectif de mesurer l’impact de projets et infrastructures précises sur des territoires préalablement définis. Des observatoires associés à certains axes (exemples : celui de la LGV Est ou les études du CNAM Millau) enrichissent ces évaluations. Au-delà, des estimations ponctuelles et études approfondies centrées sur certaines infrastructures existantes permettent ainsi de se faire une meilleure idée des apports positifs d’un site pour un ensemble de territoires, tel que le port de Nantes Saint-Nazaire. L’exemple du port de Nantes Saint-Nazaire L’INSEE a décomposé l’impact socioéconomique du port de Nantes Saint-Nazaire en trois segments : direct, indirect et induit. Le premier comptabilise les emplois directement liés à l’activité du port (établissement portuaire, services aux marchandises, services aux navires) et la sous-traitance et les fournisseurs liés. De façon élargie, les activités directes concernent également l’administration du port et les activités de transport. Les emplois indirects intègrent les secteurs co-localisés avec l’infrastructure, dont l’activité est directement liée à son existence (les établissements industrialo-portuaires). Ces deux segments connaissent un impact par un effet de diffusion des revenus distribués aux salariés locaux. Il s’agit de l’activité induite par la consommation et le logement du personnel correspondant aux activités directes et indirectes. Le port autonome de Nantes Saint-Nazaire génère 16 000 emplois Directs Indirects Induits Sous-traitance Transport routier Transport ferroviaire Administration Emplois 1 784 6 787 4 160 1 174 1 600 180 258 Total 15 943 * Dossier INSEE Pays de la Loire n°31 (novembre 2008) : L’impact socioéconomique du Port de Nantes Saint-Nazaire. 6 Explorer en quoi les nouvelles technologies routières peuvent nous aider à surmonter la crise . PDF. 7 Voir par exemple la liste de bilans disponibles pour les projets routiers sur le site du MEDDE. DOSSIERS ECONOMIQUES – N°148 22 NOVEMBRE 2014 TERRITOIRES & INFRASTRUCTURES LES INFRASTRUCTURES COMME SOURCE DE CREATION DE RICHESSE La vitesse et l’accessibilité, synonymes de productivité et lutte contre les inégalités Plus d’infrastructures de transport, c’est une accessibilité accrue pour les citoyens vivant, produisant et consommant localement. Ce sont également des zones de chalandise et des marchés plus étendus pour les entreprises. Selon Rémy Prud’homme et Chang-Woon Lee, une variation de 10% de la vitesse de déplacement dans une ville aurait un impact de 3% sur la productivité locale 8. Le raisonnement débouchant sur cette relation peut être résumé ainsi : la productivité est déterminée en partie par la taille du marché du travail. Celle-ci est la résultante de trois facteurs : la population, l’étendue du territoire concerné et la vitesse de déplacement des travailleurs, elle-même fonction des infrastructures en place. La vitesse, facteur dominant dans la taille du marché du travail 1 Productivité d’une ville 0,18 Marché du travail Taille de la population -1,2 Les chiffres encadrés représentent l’élasticité des facteurs entre eux. Etendue 1,6 Vitesse Infrastructures Schéma adapté de Prud’homme et Lee (1999) Cette approche rejoint celle de Jean Poulit 9, lorsqu’il expose dans une tribune qu’une baisse de la vitesse sur le périphérique parisien pourrait coûter à l’économie française jusqu’à deux points de PIB in fine. Il va jusqu’à souligner qu’il « est évident qu'il ne faut, en aucune matière, toucher à la mobilité des Français, car de cette mobilité dépend une part significative de la productivité du pays ». En parallèle, selon les chercheurs Louafi Bouzouina, Jorge Cabrebra Delgado et Guillaume Emmerich10, les inégalités d’accessibilité à l’emploi ont diminué en vingt ans entre les différents quartiers de l’agglomération lyonnaise grâce aux réseaux de transports en commun. Les auteurs titrent ainsi dans leur article que « les deux tiers de la baisse d’inégalité proviennent de l’amélioration des temps d’accès ». Leur étude centré sur l’effet du tramway en a même conclu que contrairement à une idée reçue, les quartiers populaires profitent bien plus de ces réseaux que les quartiers aisés. Le coût neutre d’un investissement dans les infrastructures En période d’austérité budgétaire, les différents types d’investissement publics sont particulièrement en concurrence. Dans ce cadre, les infrastructures et réseaux représentent l’un des types d’investissements les plus sécurisants et les plus efficaces pour les pouvoirs publics. Ainsi, les multiples recherches menées internationalement concluent à un multiplicateur positif lors d’un investissement dans les infrastructures d’un pays. 8 Prud'homme, Rémy & Chang-Woon Lee. 1999. « Size, Sprawl, Speed and the Efficiency of Cities ». Urban Studies. Vol. 36, No 11, pp. 1849-58 . PDF 9 Ancien directeur général de l'Institut géographique national , auteur de l’ouvrage Le territoire des hommes . 10 Louafi Bouzouina, Jorge Cabrebra Delgado et Guillaume Emmerich ; 2014. « Inégalités d'accessibilité à l'emploi en transport collectif urbain : deux décennies d'évolutions en banlieue lyonnaise ». Revue d'économie régionale et urbaine (1/2014). DOSSIERS ECONOMIQUES – N°148 23 NOVEMBRE 2014 TERRITOIRES & INFRASTRUCTURES La question des multiplicateurs liés à des investissements publics renvoie à deux logiques : Le multiplicateur keynesien, consistant aux effets d’un surplus de revenu des acteurs économiques. Cet effet reste cependant fortement réduit dans une économie ouverte. Le multiplicateur induit par les finalités d’un investissement public : les externalités positives, les opportunités et activités stimulées par l’investissement en question. A titre d’exemple, une politique publique qui suivrait totalement la première logique de façon extrême consisterait à lancer de grands projets destinés à creuser puis reboucher des trous par des millions de salariés. Efficace à court terme en matière d’emploi, cette solution serait largement sous-optimale du point de vue de la création de richesses pour l’ensemble de la société. Le point fort des infrastructures par rapport à d’autres types de dépenses se situe dans les externalités positives qu’elles génèrent et leur utilité sociale. Ainsi, au-delà de la création de nombreux emplois non-délocalisables, l’effet vertueux d’un investissement dans les infrastructures répond principalement à cette logique. Les réseaux constituent les supports d’une économie nationale, et leur développement assure les fondations d’une croissance future. A l’échelle macroéconomique, les estimations varient d’un auteur à l’autre mais restent toutes positives. L’un des consensus est que l’investissement dans les infrastructures est « neutre » sur le plan budgétaire à terme en raison notamment de sa capacité à soutenir la croissance économique sur longue période. L’une des estimations les plus récentes est celle de l’Economic Policy Institute11. Dans l’établissement de plusieurs scénarios partant d’un choc d’investissement de 80 Md$ à 250 Md$ dans les infrastructures américaines, les auteurs utilisent à un multiplicateur de 1,6 à court terme. Une autre étude de Sylvain Leduc et Daniel Wilson12 sur l’investissement dans les autoroutes aux Etats-Unis établit des multiplicateurs situés entre 1 et 3 à court terme et de 3 à 7 après six ans. L’un des autres points importants de cette étude est de confirmer, aux côtés des travaux de Hafed Bouakez (HEC Montréal), Michel Guillard (Université d’Evry Val d’Essonne) et Jordan RoulleauPasdeloup (Paris School of Economics) 13, que l’investissement dans les infrastructures entraîne des effets positifs maximaux en période de « zero lower bound » (taux d’intérêts minimaux) et de difficultés économiques pour un pays. La banque Natixis arrive également à la conclusion d’un multiplicateur positif de l’investissement dans les infrastructures. Sa récente étude14 centrée sur l’Allemagne, l’Espagne, la France et l’Italie conclue qu’un euro investi dans les infrastructures génère à long terme 14€ de PIB. Ce multiplicateur peut sembler imposant mais reste vraisemblable en raison des effets « supports » d’une infrastructure pour le reste de l’économie. En effet, investir dans les réseaux constitue généralement la condition sine qua non pour le développement de nombreuses activités économiques à haute valeur ajoutée. Le cas des infrastructures numérique est particulièrement parlant. Selon l’étude « Economie des Telecoms, édition 2013 » d’Arthur D. Little : un euro investi dans les réseaux a jusqu’à présent rapporté trois euros de recettes à l’Etat et six euros de PIB. De plus, ce calcul se fonde sur des données sur six ans (2006 à 2012) ; l’appréciation des effets d’entraînement de ce type d’investissements reste limité par le manque de données historiques. Une approche plus longtermiste ferait sûrement apparaître des multiplicateurs plus élevés. Arnaud Lavalade [email protected] - 01.44.13.32.22 11 Josh Bivens, 2014. The Short- and Long-Term Impacts of Infrastructure Investments on U.S. Employment and Economic Activity 12 Sylvain Leduc, Daniel Wilson, Juin 2012. « Road to prosperity or Bridge to nowhere? Theory and evidence on the Impact of Public Infrastructure Investment ». Working Paper 2012-04 de la Federal Reserve Bank of San Francisco. 13 Hafed Bouakez, Michel Guillard et Jordan Roulleau -Pasdeloup (2014). « Public Investment, Time to Build, and the Zero Lower Bound ». Cahier de recherché 14-02 du Centre Interuniversitaire sur le Risque, les Politiques Economiques et l’Emploi (CIRPEE). 14 Sylvain Broyer, Johannes Gareis. « Quelle est l’ampleur du multiplicateur d’infrastructure en zone euro ? », Flash Economie n°227 (mars 2013) DOSSIERS ECONOMIQUES – N°148 24 NOVEMBRE 2014