LA SAINTE VIERGE MARIE

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LA SAINTE VIERGE MARIE
CHAPITRE VI
MARIE AU CIEL
MORT, SÉPULTURE, ASSOMPTION DE MARIE - MARIE
REINE ET MÉDIATRICE
- IV MARIE REINE ET MÉDIATRICE
LA SAINTE VIERGE
- IV MARIE REINE ET MÉDIATRICE
Couronne, sceptre, trône, tous ces mots, appliqués au triomphe de
Marie, ne sont pas de vaines images, car elle est véritablement Reine.
Reine d'Israël par sa naissance, elle est Reine du monde par sa
Maternité divine. Reine régente pendant la minorité de son Fils, elle
partage actuellement avec lui la souveraineté et la juridiction sur tous les
royaumes, tous les princes et tous les peuples de la terre.
Reine de la terre, elle est encore la Reine du ciel, la Reine de la Jérusalem céleste décrite dans l'Apocalypse de saint Jean, où elle règne conjointement avec le Roi immortel des siècles.
Elle y règne sur tous les anges et sur tous les saints, qu'elle précède
par la dignité, par la grâce et par le mérite.
Elle est la Reine des patriarches, dont elle a dépassé les vertus; la Reine
des prophètes, dont elle a résumé et agrandi les oracles; la Reine des
apôtres, dont elle a été l'institutrice; la Reine des martyrs, dont elle
a surmonté les souffrances; la Reine des confesseurs, dont elle a
joint la mortification à une parfaite innocence; la Reine des vierges,
dont elle a levé et porté si glorieusement l'étendard; la Reine, en un
mot, de tous les saints, dont elle a rassemblé en elle seule, et étendu
presque à l'infini toutes les excellences.
Elle est surtout la Reine du ciel, comme Mère substantielle du Roi du
ciel, à savoir de Jésus, dont il est juste qu'elle partage les attributs
distinctifs et les royales prérogatives.
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LA SAINTE VIERGE
Assomption de la Vierge - Rubens
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LA SAINTE VIERGE
Elle n'est pas seulement la première, elle est la Reine des anges et des
saints, c'est-à-dire qu'elle n'entre dans aucun de leurs ordres, même pour
en prendre la tête. Les anges sont divisés en ordres, où les saints viennent
successivement remplir les places laissées vides par les anges déchus.
Mais Marie forme un ordre à part et distinct, qu'elle compose toute seule,
comme la Trinité forme seule le sien. Entre l'ordre divin et l'ordre créé,
elle occupe et complète à elle seule un ordre intermédiaire, n'ayant audessus d'elle que Dieu, et voyant au-dessous tout ce qui n'est pas Dieu,
même la création angélique.
Et nous avons dit et répété la triple raison de cette gloire unique,
incommunicable comme celle de Dieu. C'est la Maternité divine, c'est la
grâce, qu'elle a ramassée en elle dans une plénitude comparable à
l'océan, tandis que les anges et les saints n'en sont remplis que comme
des fleuves ou des ruisseaux; ce sont ses mérites immenses et
insondables comme sa grâce; ce sont ses vertus, non moins ineffables,
son humilité profonde comme les abîmes, son amour haut et vaste comme
les cieux.
Gloire, bonheur, termes synonymes au ciel! Quel n'est donc pas le
bonheur de Marie? Si l'Apôtre, transporté un jour dans ce bonheur et cette
gloire, s'est senti impuissant à redire aux sens mortels ce que son oeil
avait vu, son oreille entendu, son coeur senti de ce que Dieu prépare à
ses moindres amis, qui dira ce qui a été préparé à la Reine des anges et
des saints?
Pour elle, Dieu a inventé une nouvelle béatitude, qui, il est vrai, ne
diffère d'aucune autre quant à l'espèce, mais qui surpasse toute autre en
intensité et en extension.
Son corps même, qui a porté le Christ, est abreuvé, imprégné d'une
volupté, rayonne d'une gloire, qui ne seraient appréciables qu'à qui saurait la gloire et la béatitude de la sainte Humanité du Sauveur. Ce corps
se pare de toutes les qualités du corps ressuscité de Jésus; il en reflète à
lui seul toute la lumière pure, incorruptible, fluide, expansible, tandis que
les corps des élus n'en réfléchissent que divers rayons réfractés. Et la
raison est toujours la même: c'est que sa chair est la chair même, la chair
substantielle de Jésus, en qui les autres élus ne sont que spirituellement
incorporés.
Supérieure est encore la gloire et la béatitude de son âme, qui plus
avant, plus pleinement qu'aucune autre, pénètre dans la vision et dans la
jouissance de Dieu. Elle pénètre d'un rayon visuel que rien n'arrête la
lumière divine, et elle en est pénétrée comme un cristal limpide. Unité de
l'essence, trinité des personnes, perfections infinies, puissance et
sagesse, justice et amour, tous les mystères, tous les attributs divins se
dévoilent devant elle ou se réfléchissent dans son pur miroir. Elle les voit
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LA SAINTE VIERGE
en elle-même, elle les voit dans le réflecteur de la création, dont aucun
être, matériel ou spirituel, ne lui est caché, ni dans ses éléments
constitutifs, ni dans ses propriétés, ni dans ses forces physiques ou ses
inclinations morales, ni dans son passé ou son avenir. Elle voit tout, parce
que rien n'est étranger à son état, à son ministère universel.
Assomption de la Vierge – Le Pérugin
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LA SAINTE VIERGE
Elle voit et elle jouit, car la vision du ciel est nécessairement jouissance;
ce qui l'a fait appeler vision béatifique. Elle jouit encore, parce qu'elle
aime; elle jouit, parce qu'en aimant elle possède, l'amour étant
essentiellement union et possession.
Elle jouit de sa propre félicité; elle jouit encore de la félicité des saints,
que les saints lui rapportent en hommage comme à leur souveraine, en
tribut de justice et de reconnaissance comme à leur Corédemptrice. Elle
jouit de toutes ces félicités réunies, qui s'ajoutent à la sienne, laquelle
les absorbe comme la mer les fleuves, car toutes ensemble elles n'approchent pas de sa plénitude et de son immensité. Chaque jour, chaque
instant introduisant quelque élu au ciel, c'est pour elle, à chaque instant,
un accroissement de félicité accidentelle. Et, de leur côté, les élus, ses
enfants adoptifs, jouissent de la félicité de leur Mère. Ils en jouissent
dans la mesure de sa supériorité sur leur félicité propre, c'est-à-dire audelà de toute mesure. En sorte que, d'elle à eux, d'eux à elle, c'est un
flux et un reflux de bonheur, qui, réciproquement, accroît et multiplie
presque à l'infini leur jouissance.
Marie jouit bien plus de la félicité de son Fils naturel; félicité infinie,
dont ce Fils se plaît à la rendre participante dans toute la proportion dont
une créature si prodigieusement élevée et dilatée est capable, c'est-à-dire
dans une proportion inexprimable à toute parole, et inaccessible à toute
conception.
Assise à la droite de son Fils, assis lui-même à la droite du Père, elle
se réjouit dans ce Fils, en qui le Père lui-même se réjouit; en sorte que,
par cette complaisance partagée et mutuelle en un Fils commun, elle
jouit de la félicité du Père comme de la félicité du Fils.
Glorieuse, heureuse, Marie est encore une Reine puissante et riche,
débonnaire et miséricordieuse; et par là elle nous touche davantage.
Reine du ciel et de la terre, elle est la Mère des hommes; chantée par
les anges et les saints, elle est notre avocate; exaltée par le Médiateur,
elle n'aspire qu'à être notre Médiatrice.
C'est que sa royauté n'est pas une simple royauté d'honneur, et qu'elle
est encore une royauté de juridiction et de commandement. Marie règne
et gouverne. Elle gouverne et commande les anges, tenus d'exécuter les
volontés de leur princesse. Elle tient l'Église militante à la fois sous sa
protection, sous sa dépendance et sous son domaine. Elle possède un vrai
droit de souveraineté sur l'Église souffrante; c'est-à-dire que Jésus, invoqué par elle, use de ses satisfactions surabondantes en faveur des âmes
à qui il reste à expier.
En un mot, toutes les créatures qui s'inclinent devant Dieu doivent
s'avouer en même temps les vassales de Marie; toutes, sans exception,
anges et hommes, esprit et matière: tout ce qui, au ciel, sur la terre et
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dans l'abîme, tombe sous la domination divine, relève également de sa
juridiction. Le Père départ à sa Fille la puissance octroyée à son Fils, et le
Fils commun du Père et de la Vierge fait marcher de front, en quelque
sorte, l'autorité de sa Mère et celle de son Père.
Couronnement de la Vierge - Fra Beato Angelico
Et comment ne serait-elle pas maîtresse de toute créature, la Maîtresse du Créateur même? Or, le Créateur a daigné lui obéir; et ce qu'il
a fait pendant trente ans sur la terre, il le fera éternellement dans le
ciel.
La toute-puissance de Marie dispose de toutes richesses, et à son droit
de juridiction s'ajoute un droit de propriété sur toutes choses. Elle
partage les richesses, comme la puissance, du Père et du Fils, et tout ce
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qui leur est assujetti lui est également dévolu en fief et en pleine et libre
possession.
Mère du Créateur, elle possède tous les biens créés; Mère du Sauveur,
elle dispose de tous les biens surnaturels, fruit de la Rédemption. Dieu
ayant voulu une fois nous donner Jésus par elle, cet ordre ne se change
plus; les dons de Dieu sont sans repentance. Par elle nous recevons donc
toujours Jésus, c'est-à-dire toutes les grâces, qui ne sont que Jésus
continué, étendu à tous les temps et à tous les espaces, appliqué à tous
les besoins et à toutes les âmes. En d'autres termes, Jésus, Rédempteur
par elle, ne veut plus être Médiateur qu'avec elle.
La médiation de Jésus, aussi bien que sa rédemption, s'étendant à
l'ancien comme au nouveau monde, telle est aussi la médiation de Marie.
Dieu n'a pardonné à la première Ève qu'en vue de la seconde; il n'a béni
les patriarches et glorifié les rois qu'à la considération de leur Fille; il n'a
entretenu avec son peuple une alliance tant de fois rompue par le péché,
qu'à cause de l'illustre Fille de Juda.
Mais c'est à partir de la Maternité divine, que la grâce dont elle était
remplie a eu sa pleine et universelle réfusion sur le monde. De ce jour,
fut-il dit à sainte Brigitte, il lui a été donné d'être la plus puissante
après le Père, la plus sage après le Fils, la plus débonnaire après le
Saint-Esprit.
De ce jour, elle est devenue la dépositaire, la trésorière, la
dispensatrice de tous les dons de Dieu, dont pas un n'arrive jusqu'à
nous que par son canal ou son intermédiaire, dont elle fait la
distribution à qui elle veut, quand elle veut, comme elle veut.
Elle voit nos besoins et entend nos prières dans le milieu de l'essence
divine, où tout se voit et tout s'entend. A son tour, elle prie pour nous,
non pas seulement pour nous en général, mais pour chacun de nous en
particulier, ce qui rend sa prière plus appropriée et plus efficace. Elle prie
pour nous formellement, expressément, et non en vertu seulement de ses
mérites et de l'amour général qu'elle a pour les hommes.
Elle prie d'une prière plus puissante à elle seule que celle de tous
les saints réunis ensemble, à raison de sa suréminente en dignité et
en gloire, en grâce et en mérites. Bien plus, les saints doivent recourir
à elle lorsqu'ils prient eux-mêmes pour leurs dévots serviteurs, et c'est
par son entremise que leur prière est rendue efficace. Ce qu'ils
peuvent ensemble et avec son aide, elle seule le peut sans eux. Nous
ne demandons jamais d'un saint qu'il nous serve d'intercesseur auprès
d'un autre; mais nous prions les saints, plus agréables que nous à
Marie comme à Dieu, de nous rendre propice leur Maîtresse et leur
Reine.
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LA SAINTE VIERGE
La prière des saints est toujours d'accord avec la prière de Marie, de
même que la prière de Marie est toujours conforme à la volonté de Dieu;
mais si, par impossible, il y avait conflit entre ces deux prières, la prière
de Marie balancerait seule la prière de tous les anges et de tous les saints,
et ce que Dieu refuserait à toute sa cour, il l'accorderait à sa Mère.
La Vierge de Saint Sixte - Raphaël
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LA SAINTE VIERGE
Cette toute-puissance de médiation en Marie a sa source et sa raison
dans la grandeur qui la rapproche de Dieu et dans le droit qu'elle a sur
son Fils.
La grandeur de Dieu est en lui-même, principalement dans la génération de son Verbe, à qui il dit sans cesse: « Vous êtes mon Fils, je vous
ai engendré aujourd'hui; » mot qui résume son éternelle et immuable
histoire.
Or, ce mot résume et renferme aussi l'histoire de Marie, dans sa prédestination éternelle, dans sa vie sur la terre, dans sa vie au ciel. Elle
peut toujours se tourner vers le Verbe incarné, et lui dire: « Vous êtes
mon Fils, je vous ai engendré aujourd'hui; » et elle le peut dire avec le
même droit que Dieu, le possédant au même titre. Elle est la Mère du Fils
unique de Dieu, comme Dieu est le Père du Fils unique de Marie, ce
qui la rend grande et puissante de la grandeur et de la puissance du
Père, riche de toute sa richesse, qui est leur commun Fils.
A ce Fils, richesse de Dieu et des hommes par la sainte Humanité
qu'elle seule lui a donnée, elle est toujours en droit de dire avec pleine
assurance: « Si vous satisfaites à la justice de votre Père, si vous rachetez les hommes qui sont vos frères, rendez-en grâce à ce sein qui vous
a porté, à ces mamelles qui vous ont allaité! Ces pieds, qui ont erré
dans les plaines de Juda à la poursuite de la brebis égarée, ces pieds
sont mes pieds; ces mains, qui ont semé les bénédictions et les
prodiges, sont mes mains; cette bouche, qui a versé tant de trésors de
science et de sagesse, c'est ma bouche: elle s'est façonnée sous les
baisers de mes lèvres; ce coeur, qui a battu pour toutes les misères de
l'humanité, qui a tout embrasé de ses flammes, ah! c'est mon cœur: il
a d'abord battu contre le mien, c'est du mien qu'il a reçu sa première
pulsation; et ce sang, qui, du haut du Golgotha, s'est épanché comme
un fleuve pour purifier le monde, c'est mon sang. Souffrez que je
reprenne mon bien; ou, du moins, souffrez que je le dispense avec vous,
et que je le répande au gré de ma charité sur toutes les souffrances.
Vous m'avez obéi lorsque je vous apprenais à tracer vos premiers pas,
lorsque je vous nourrissais de mon lait, lorsque je vous berçais sur mon
sein: ne reconnaîtriez-vous plus mon pouvoir, maintenant que vos
ennemis vous servent de marche-pied, que vous vous enivrez à la
source de l'infini et que vous reposez sur le sein de votre Père? Voudriezvous abjurer la pauvre fille de Juda? Oh! non, vous êtes éternellement
mon Fils; j'ai toujours sur vous le droit et le pouvoir d'une mère!
Si telle est la puissance telle la richesse de Marie, il suit que le recours
à sa médiation n'est pas seulement affaire de piété, qu'il est de
nécessité de salut. « Il n'y a de salut en aucun autre qu'en JésusChrist,» a dit saint Paul; or, n'ayant reçu Jésus-Christ que par elle, nous
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LA SAINTE VIERGE
n'avons de salut que par elle, qui seule nous enfante et nous donne
toujours Jésus-Christ. Pas d'accès à Dieu que par Jésus-Christ, pas
d'accès à Jésus-Christ que par Marie. Nul de sauvé que par vous, ô trèssainte; nul de délivré du mal que par vous, ô très-pure; nul qui reçoive
rien que par vous, ô très-chaste; nul que la miséricorde prenne en pitié
sinon par vous, ô très-miséricordieuse! Telle est la volonté de Celui qui
a voulu que nous n'eussions rien que par Marie. Non, rien: ni la grâce
de la réconciliation, car elle est le Refuge des pécheurs; ni la santé
spirituelle, car elle est le Salut des infirmes; ni la consolation dans nos
peines, car elle est la Consolatrice des affligés; ni la force dans la lutte,
car elle est le Secours des chrétiens; ni le don de persévérance, car elle
est la Porte du ciel.
Sainte Marie Auxiliatrice des Chrétiens
Toutefois, quand les Pères et les théologiens parlent ainsi de la toutepuissance de Marie, ils n'entendent pas une toute-puissance naturelle et
absolue, qui est l'apanage de Dieu seul; mais seulement une toutepuissance morale et de grâce, capable de tout obtenir de ce qui tombe
sous l'impétration dans l'ordre présent de la Providence. Jésus-Christ
obtient tout par voie de condignité ou d'égalité; Marie, qui a mérité par
convenance tout ce que Jésus-Christ a mérité par vertu propre, obtient
également tout par voie d'intercession. Jésus-Christ est le Médiateur de
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justice, Marie la Médiatrice de grâce, ou, comme on a si bien dit, « la
Toute-puissance suppliante. »
Mais que cette distinction essentielle entre le Fils et la Mère ne fasse
aucun tort aux droits réels de Marie. Tandis que l'intercession des saints
repose uniquement sur la miséricorde de Dieu, sans aucun droit de leur
part; l'intercession de Marie s'appuie sans doute sur la grâce divine, mais
en vertu d'un droit de nature, d'une loi évangélique, le Fils étant obligé, à
ces deux titres, d'écouter sa Mère et de lui obéir. Et c'est pourquoi, sans
porter atteinte à la doctrine, les Pères ont pu affirmer que Marie monte à
l'autel de la réconciliation du genre humain, non-seulement avec des
prières, mais avec des ordres, non-seulement en suppliante, mais en
souveraine; que rien ne résiste à sa puissance, et que tout fléchit sous
son autorité; que le Père considère sa gloire comme la sienne propre, et
que le Fils accomplit tous ses désirs comme s'il s'acquittait d'une dette;
qu'elle a vraiment pour débiteur ce Fils, qui est indépendant de toute
créature, et à qui toute créature doit s'avouer redevable.
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LA SAINTE VIERGE
Mais si sa grandeur la hausse jusqu'à Dieu, sa bonté l'abaisse jusqu'à
nous: elle est aussi bonne que puissante.
Marie voit toutes nos misères et tous nos besoins. Elle les voit dans la
science divine; elle les voit dans sa science expérimentale, puisqu'elle a
souffert autant et plus que nous. D'elle comme de son Fils il faut dire avec
saint Paul: « Nous n'avons point une Médiatrice qui ne puisse compatir à
nos infirmités, ayant subi comme nous toutes sortes d'épreuves, hors le
péché. »
La Vierge couronnée
Elle est donc miséricordieuse; elle est la miséricorde même. Des
deux parts du règne de Dieu, la justice et la miséricorde, Dieu ne s'est
réservé que la justice, et il a abandonné la miséricorde à Marie. Avant
Marie, sous la loi de crainte, la miséricorde semblait absorbée dans la
justice; désormais, le règne divin est véritablement dédoublé, exercé
à deux, et Dieu ne veut plus être que le Roi de justice, pour ne rien
ôter à l'empire de la Reine de miséricorde.
Marie, prédestinée éternellement à cet office de charité, a reçu à sa
naissance un coeur tendre et compatissant qui se trahit doucement à Ain,
à Cana, dans toutes les scènes où l'Évangile lui donne un rôle. Si bonne
sur la terre, qu'est-elle au ciel, dans le séjour de la charité infinie!
« O vierge sacrée, s'écrie saint Bernard, qui pourra jamais mesurer la
longueur, la largeur, la hauteur et la profondeur de votre miséricorde? »
Celui-là seul le pourrait qui aurait mesuré son amour. Car elle nous aime
de tout l'amour qu'elle avait pour Jésus, et, autant que possible, de tout
l'amour de Jésus pour nous.
Nous l'avons vu déjà, mais il y faut insister.
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LA SAINTE VIERGE
C'est au pied de la croix que l'amour de Marie pour Jésus s'est élevé
à son degré suprême. C'était le moment de la séparation, qui
concentre, avive et multiplie toutes les tendresses. L'âme recueille
alors toutes ses puissances, pour répandre en un instant sur l'être
aimé tout l'amour qui se serait départi dans un avenir qui s'échappe.
Que la séparation soit définitive, qu'elle soit cruelle, que l'être aimé
n'ait jamais été si aimable, et l'amour se dérobe à notre conception
comme à notre langage.
Telle était bien la situation réciproque de Marie et de Jésus sur le
Calvaire. Or, c'est en cette situation et en ce moment que Marie reçut
l'ordre de transporter sur ses enfants d'adoption tout l'amour qu'elle
ressentait pour son divin Fils; ordre testamentaire, recueilli dans le
coeur de Marie avec le dernier soupir de Jésus, écrit de son sang
ineffaçable!
Ce n'est pas assez pour elle de nous aimer de tout son amour pour
Jésus, ineffable déjà, puisqu'il n'est qu'un écoulement de l'amour
éternel du Père pour son Verbe; elle nous aime de l'amour même, non
moins ineffable, de Jésus pour nous. Associée à la Rédemption, nonseulement par la volonté, par la souffrance personnelle, mais par toute
son âme, il n'est pas douteux qu'au moment où elle nous enfantait sur
le Calvaire, elle n'ait puisé dans le coeur entr'ouvert de Jésus la
mesure de l'amour exigé par sa maternité nouvelle. Or, le coeur de
Jésus débordait alors de cette charité qui donne sa preuve supérieure
dans l'immolation. C'est donc l'amour le plus extrême de Jésus qui est
devenu la règle et le modèle de l'amour de Marie. Elle nous aime donc
de tout l'amour de Jésus, et Jésus lui-même nous aime de tout l'amour
de son Père pour nous; en sorte que l'amour de Marie, aussi bien que
son martyre, est vaste comme la mer, et qu'il semble n'avoir pas plus
de limites que l'océan même de l'amour divin.
Où il n'y a point de femme, a dit l'Ecclésiastique, l'homme gémit dans
le dénuement. » Que sera-ce, où il n'y a point de Mère?
Il semble qu'avec Jésus, notre chair, notre frère, notre époux,
notre sauveur, notre médiateur, rien ne nous doive manquer. Mais,
à travers les voiles amoureux de son humanité sainte, comment ne
pas voir l'éclat terrible de la majesté divine? En Jésus, sous la
miséricorde il y a la justice; sous le sauveur, le juge. Entre Jésus et
moi, je réclame un médiateur revêtu de toute sa bonté et de toute sa
puissance, mais dépouillé de tout droit, de tout appareil vengeur.
Telle est Marie, réclamée par toute l'économie d'une religion toute
d'amour. Ce n'était pas assez que nous pussions appeler Dieu notre
Père, notre Frère: il fallait une mère encore aux misérables enfants
d'Ève coupable.
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LA SAINTE VIERGE
Toute-puissante, toute miséricordieuse, la médiation de Marie est
universelle. Elle embrasse les biens du corps et du temps comme les biens
de l'âme et de l'éternité; elle s'étend aux pécheurs comme aux justes.
Dangers, maladies, afflictions, toutes les infirmités et
les douleurs de cette vie
relèvent de la miséricorde de
Marie. Les rivages des mers,
les carrefours des routes, le
fond des bois, le sommet des
montagnes, toute la terre est
pleine de temples, d'oratoires,
de monuments, où se voient
les ex-voto innombrables des
marins arrachés à la tempête,
des égarés ramenés dans le
bon chemin, des abandonnés
échappés à la dent des bêtes,
des malades guéris de toute
infirmité, des fils rendus à
leurs mères, des mères conservées à leurs enfants.
Plus déplorables et plus amères
sont les infirmités et les
douleurs de l'âme, la lèpre et le
remords du péché. Ici encore, Marie est la confiance et l'espoir. Si les
rayons de sa miséricorde récréent et échauffent surtout ceux qui sont
plus près d'elle par l'innocence, ils atteignent aussi ceux que le péché
éloigne d'elle, et nul n'échappe entièrement à sa lumière et à sa chaleur.
Tout ce qui ne saurait être sauvé selon les lois de la divine justice
échappe à la mort par son intercession douce et puissante. Rien ne peutil plus arrêter le bras vengeur de Dieu, elle seule encore le désarme. Dans
le procès redoutable où l'éternité est en jeu, alors qu'aucune créature
n'oserait intervenir, elle se jette en avocate et gagne la cause la plus
désespérée. C'est avec Dieu même qu'elle entre quelquefois en lutte,
comme autrefois Jacob, et Dieu se laisse vaincre. Si Dieu résiste, elle
se tourne vers son Fils, et lui dit: « Souvenez-vous que je vous ai prié,
au pied de la Croix, pour celui-ci comme pour tous les autres donnezmoi encore cette âme! » Et si Jésus lui rappelle l'ingratitude et la
cruauté qui l'ont cloué au gibet, et qui crucifieraient encore, s'il était
possible, son Fils bien-aimé, elle s'en fait un argument et un titre, et,
comme la femme de Thécua, elle dit à Dieu le Père: « Seigneur, j'avais
deux fils, et l'un a tué l'autre. Et maintenant on me dit: Livre celui qui
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LA SAINTE VIERGE
a frappé son frère, afin que nous le mettions à mort pour venger le
sang du frère qu'il a tué! Ayez pitié d'une pauvre mère, et ne lui ôtez
pas son enfant! »
Couronnement de la Sainte Vierge - Raphael
Oh! combien seraient damnés sans Marie! Que de fois, sans ses prières,
Dieu irrité eût détruit ce monde pécheur!
Tandis qu'elle arrache les pécheurs au péché et à ses suites, elle en
préserve les justes par sa grâce et par sa protection. Elle les soutient dans
la lutte contre la tentation et l'enfer. Depuis que le serpent maudit a été
mis sous son pied victorieux, il est réduit à l'impuissance. Elle impose sa
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LA SAINTE VIERGE
loi aux démons, elle enchaîne leur empire: la seule invocation de son nom
les frappe d'épouvante, et ils tombent terrassés.
Après nous avoir accompagnés tout le long de notre pèlerinage, elle ne
nous abandonne pas à l'heure de la mort, pour laquelle nous l'avons si
souvent invoquée, et elle nous défend dans le dernier combat, le plus
terrible et le plus décisif. Elle nous députe quelqu'un des anges vainqueurs
dans la lutte du ciel, Michel lui-même, le prince de la milice céleste. Elle
descend de sa personne, et vient à notre rencontre. Elle nous emmène au
ciel, s'il peut déjà s'ouvrir à nos mérites; sinon, elle nous suit au
purgatoire, où sa maternelle intervention nous est si nécessaire. Par ses
inspirations, par ses apparitions même, elle excite les chrétiens à faire
pour nous des oeuvres satisfactoires ou à nous procurer les suffrages
divins. Elle nous aide de ses propres prières et de l'application de ses
mérites surabondants. Elle va jusqu'à nous retirer de la prison de feu;
car, depuis sa glorieuse Assomption, elle jouit du privilège d'en délivrer
ses dévots serviteurs.
Ceux-ci, elle les rend, par reconnaissance et par amour, participants
plus intimes de son bonheur au ciel, et ce sont leurs requêtes qu'elle
appuie de préférence devant le trône de Dieu.
Saint Bernard résume en ces termes, magnifiques et charmants, la médiation puissante, miséricordieuse et universelle de Marie: « Que celui-là
ne parle pas de votre miséricorde, ô bienheureuse Vierge, qui, après vous
avoir invoquée dans ses nécessités, se rappelle que vous ne l'avez pas
secouru! Quant à nous, vos humbles serviteurs, si nous nous réjouissons
avec vous de vos autres vertus, c'est surtout pour nous que nous sommes
heureux de vous voir si miséricordieuse. Nous exaltons votre virginité,
nous admirons votre humilité; mais, misérables, nous goûtons mieux
votre miséricorde, nous nous y attachons avec plus d'amour, nous y
pensons plus souvent, nous l'implorons plus fréquemment. C'est elle, en
effet, qui a obtenu la réparation du monde, le salut de tous. Car il est
certain qu'elle a été pleine de sollicitude pour toute la race humaine, Celle
à qui il a été dit: « Ne craignez point, Marie; vous avez trouvé grâce, »
c'est-à-dire la grâce que vous cherchiez. Qui pourrait donc, ô Vierge
bénie, mesurer la longueur et la largeur, la hauteur et la profondeur de
votre miséricorde? Sa longueur s'étend jusqu'au dernier jour, et y vient
en aide à ceux qui l'invoquent. Sa largeur remplit tout l'univers, de sorte
que toute la terre est également pleine de votre miséricorde. Quant à sa
sublimité et à sa profondeur, elle s'élève, d'un côté, au renouvellement
de la cité supérieure, et, de l'autre, elle apporte la rédemption à tous
ceux qui sont assis dans les ténèbres, à l'ombre de la mort. Par vous, en
effet, le ciel a été rempli, l'enfer vidé, les ruines de la Jérusalem céleste
ont été relevées, et la vie perdue a été rendue aux malheureux qui
l'attendaient. Ainsi, votre toute-puissante et très-douce charité abonde
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LA SAINTE VIERGE
en sentiments de compassion et en secours accordés: elle est également
riche sous ce double rapport. Que notre âme altérée se hâte donc d'aller
à cette source; que notre misère recoure à cette inépuisable miséricorde!»
Concluons en chantant avec l'Église: « Salut donc, ô Reine, Mère de
miséricorde, notre vie, notre douceur, notre espérance, salut! Enfants
d'Ève, exilés, nous crions vers vous, nous soupirons vers vous,
gémissants et pleurants dans cette vallée de larmes. Allons donc, notre
Avocate, tournez vers nous vos regards miséricordieux; et, après cet exil,
montrez-nous Jésus, le fruit béni de votre sein, ô clémente, ô pieuse, ô
douce vierge Marie! »
La Vierge à l'Enfant - Fra Angelico
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