D’abord, l’héritage assumé ou revendiqué. Cet héritage est tellement important que
les thèmes sont innombrables. Cependant, le droit, le concept d’Empire, la morale et
surtout une mise en question radicale de la politique, telle que l’avaient conçue les Grecs,
par la morale romaine, constituent dans doute des thèmes premiers.
Tout d’abord le droit. On dit facilement que les Romains étaient « le peuple du droit ».
Ils n’ont pas inventé le droit, mais ils ont inventé cette figure magnifique du juriste, du
jurisprudent, celui qui connaît le droit. Ce modèle juridique d’abord pour insister, après un
historien du droit, iconoclaste, original, mais qui a écrit selon moi des ouvrages essentiels,
Pierre Legendre, je dirai que ces textes juridiques romains dans notre histoire sont dans le
domaine laïc aussi importants que les grands textes des religions monothéistes. Dans le
domaine laïc, ils constituent véritablement des fondements de notre civilisation
européenne.
Même si certains le critiquent, c’est un constat, dans cette Europe qui a tant de mal à
construire un projet politique que certains trouvent sans âme, le droit est l’élément de
travail commun. Il est l’élément unificateur de coopérations renforcées, selon l’expression
consacrée par le langage technocratique européen. Pour faire du commerce, nous dit le
Digeste, il n’est point besoin de Dieu. C’est-à-dire que ce « droit des affaires » romain qui
constitue l’essentiel du droit romain, est ce droit laïc qui va, par bien des aspects, construire
la figure du juge, qui va construire notre droit des contrats, et nombre de techniques
juridiques. Ce modèle juridique est spécifique, c’est un droit codifié, un droit de la doctrine
juridique, un droit aussi de la morale sociale. C’est un droit qui essaie d’enseigner ce qui doit
être, qui ne se contente pas, au cours du temps, de constater ce qui est. C’est un droit
tourné vers l’individu. C’est Rome qui a construit et développé l’individualisme juridique. La
notion de personne va naître dans la sphère juridique. L’individu reçoit tous ses droits de
l’État, il ne s’agit pas de libertés individuelles ou de droits de l’homme, il s’agit de statuts
personnels très différenciés et inégalitaires. Mais, finalement, ce qui fait l’essentiel du droit,
c’est l’activité de l’individu et son existence dans tous les domaines.
En allant plus loin, le politique à Rome s’exprime sous forme juridique. La question
politique est une affaire de droit. Le titulaire du pouvoir à Rome, que ce soit sous la
République ou sous l’Empire, est censé l’exercer non en son nom propre, mais parce qu’il est
investi d’une fonction. La civilisation romaine a substitué à la parole libre, inventée par les
philosophes grecs, la règle, la règle exprimée par le Jus, un univers précis, méticuleux,
organisé. Parmi les créations de ce droit sur le plan de l’espace public, on trouve cette
formidable notion de Respublica qui a changé de sens au cours de l’histoire européenne, et
notamment française, et qui est venue jusqu’à nous. Cette sphère publique, cette chose
publique, que les citoyens partagent, dont l’Empereur plus tard sera le gardien en tant que
« chargé de mission » de la République, construit un modèle politique original dont les
sociétés occidentales, et même l’État de droit en Occident, sont débiteurs par bien des
aspects.
Avant de venir à ce concept d’Empire, je vais ajouter quelques mots sur le droit
casuistique romain de l’origine qui demeurera toujours et auquel s’ajouteront les grands
principes juridiques du droit naturel. Cet élément est fondamental : le droit romain n’est pas
qu’un droit du pouvoir, c’est un droit du citoyen. C’est également un droit qui s’adresse à
l’ensemble de l’humanité, les juristes osaient même dire à tous les êtres animés. Ce droit
naturel, à l’aide des concepts romains, construira aussi l’idée d’une humanité commune.
Cette idée n’était pas grecque, elle était d’abord et essentiellement romaine, à l’aide