10 Santé conjuguée - juillet 2002 - n° 21
CAHIER
Les soignants sont-ils des artistes ? Des
scientifiques ? Risquent-ils de perdre leur âme
à vouloir aussi mesurer, non seulement les
résultats (taux de couverture, par exemple) de
leurs actions de santé, mais aussi la qualité de
leurs relations ? Relations avec les patients et
relations entre-eux ?
La médecine est complexe, la santé est globale
et la qualité est plurielle : comment s’y
retrouver ?
L’approche scientifique est hésitante, pleine de
doutes, contradictoire… Les « recomman-
dations de bonne pratique » sont des
propositions actuelles pour soigner au mieux,
compte tenu des découvertes médicales et de
leurs applications. C’est précisément dans leurs
applications que l’expérience et la subjectivité
des praticiens s’expriment pour rendre réaliste
et utile ces apports scientifiques.
« Oui, les soignants se doivent de rechercher et
d’intégrer des données d’évaluation solides,
rigoureusement établies au moyen des outils de
démonstration scientifique les plus adaptés, et
se doivent de les prendre en compte dans leurs
activités quotidiennes. Oui, l’expérience
clinique et l’adaptation des décisions au cas par
cas sont essentielles. La valeur des données de
l’évaluation, repère primordial, est à peser pour
chaque patient ; en tenant compte des limites
de ces données, de leur degré d’adaptabilité à
la situation considérée ; en recherchant ce qui
est possible et souhaitable de faire, et surtout
ce qui est souhaité par le patient lui-même,
dûment informé.
Science de la délimitation des incertitudes, art
des extrapolations raisonnables, science des
décisions opportunes en territoires plus ou
moins solidement « balisés », art de la recherche
et de la reconnaissance des données actuelles
et non biaisées de la science : la démarche ne
peut être que complexe. » (Revue Prescrire,
mai 1999, p. 321.)
Les contacts quotidiens avec les patients nous
permettent de puiser à la fois dans notre
expérience et dans les acquis de la médecine
pour répondre à une question, proposer un
traitement ou… choisir de nous taire…
Et si nos expériences, nos pratiques devenaient
elles aussi des domaines aussi nobles pour que
la science s’y intéresse de plus près ? Si nous
écrivons nos pratiques et que nous mesurons
nos résultats et nos méthodes, alors nous
contribuons nous aussi aux progrès de la
médecine, sans nécessairement le savoir.
Écrire nos pratiques, c’est écrire le contexte de
notre travail, lister les questions que nous nous
posons. En choisir une, expliquer ce choix et
approfondir la question retenue, en faire ainsi
une priorité d’action de santé. Cette priorité,
nous pouvons l’éclairer avec nos valeurs à nous,
de soignants de première ligne en maison
médicale : la globalité de l’approche de cette
question, l’organisation de notre travail en
équipe pluridisciplinaire, la prise en compte des
avis des patients, la négociation avec eux,
l’efficacité théorique des soins proposés, leur
pertinence dans notre contexte particulier, nos
compétences à remettre parfois à jour, comme
nos dossiers… L’analyse de cette question, avec
nos valeurs (= les critères de qualité) nous
permet d’expliciter des objectifs précis
d’intervention, tant auprès des patients
qu’auprès de nos collègues et de mesurer notre
travail.
Cette démarche a un nom : c’est une boucle
d’assurance de qualité.
Une boucle, c’est rond, avec la possibilité
d’avancer et de reculer pour préciser les
démarches entreprises, pour y apporter toutes
les nuances souhaitées : comme un clown sur
un monocycle avance sur la piste, c’est l’art
d’appliquer la science comprise dans notre
quotidien, avec nos craintes et nos désirs de
changement…
Les meilleurs artistes sont ceux qui préparent
leur numéro, qui y réfléchissent et y insufflent
leurs émotions, alors oui, nous sommes des
artistes.
Comme un clown sur la piste
Assurance de qualité␣: entre la théorie et la pratique, entre
la science et l’art, tout un art pour s’y retrouver…
Jean Laperche,
médecin
généraliste à la
maison médicale
de Barvaux,
responsable du
programme Agir
ensemble en
prévention.
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