Un secteur a été tout spécialement l’objet de soins passionnés : on a publié, dans un gigantesque tapage,
cent reportages, souvent exagérés, parfois grossièrement mensongers, sur les camps de concentration et
sur les fours crématoires, seuls éléments que l’on veuille bien considérer dans l’immense création que fut,
pendant dix ans, le régime hitlérien.
Jusqu’à la fin du monde, on continuera d’évoquer la mort des Juifs dans les camps d’Hitler sous le nez
épouvanté de millions de lecteurs, peu férus d’additions exactes et de rigueur historique.
Là aussi, on attend un ouvrage sérieux sur ce qui s’est réellement passé, avec des chiffres vérifiés
méthodiquement et recoupés ; un ouvrage impartial, non un ouvrage de propagande ; non pas des choses
soi-disant vues et qui n’ont pas été vues ; non pas surtout des « confessions » criblées d’erreurs et de non-
sens, dictées par des tortionnaires officiels – comme une commission du Sénat américain a dû le
reconnaître – à des accusés [17] allemands jouant leur tête et prêts à signer n’importe quoi pour échapper
au gibet.
Ce fatras incohérent, historiquement inadmissible, a fait de l’effet, sans aucun doute, sur le vaste populo
sentimental. Mais il est la caricature d’un problème angoissant, et malheureusement vieux comme le sont
les hommes.
L’étude reste encore à écrire – et d’ailleurs, nul éditeur ne la publierait ! – qui exposerait les faits exacts
selon des méthodes scientifiques, les replacerait dans leur contexte politique, les insérerait honnêtement,
dans un ensemble de rapprochements historiques, hélas tous indiscutables : la traite des Nègres, menée au
cours des XVIIe et XVIIIe siècles par la France et l’Angleterre, au prix de trois millions de victimes
africaines succombant au cours de rafles et de transferts atroces : l’extermination, par cupidité, des Peaux-
Rouges traqués à mort sur les terres des Etats-Unis d’aujourd’hui ; les camps de concentration d’Afrique
du Sud où les Boers envahis furent parqués comme des bestiaux par les Anglais, sous l’œil complaisant
de Mr. Churchill ; les exécutions effroyables des Cipayes aux Indes, par les mêmes serviteurs de Sa
Gracieuse Majesté ; le massacre par les Turcs de plus d’un million d’Arméniens ; la liquidation de plus de
seize millions de non-communistes en U.R.S.S. ; la carbonisation par les Alliés, en 1945, de centaines de
milliers de femmes et d’enfants dans les deux plus gigantesques fours crématoires de l’Histoire : Dresde
et Hiroshima : la série de massacres de populations civiles qui n’a fait que se poursuivre et s’accroître
depuis 1945 : au Congo, au Vietnam, en Indonésie, au Biafra. [18]
On attendra encore longtemps, croyez-moi, avant qu’une telle étude, objective et de portée universelle,
fasse le point sur ces problèmes et les soupèse sans parti pris.
Même sur des sujets beaucoup moins brûlants toute explication historique reste encore, à cette heure, à
peu près impossible, si l’on a eu le malheur de tomber, politiquement, du mauvais côté.
Il est déplaisant de parler de soi-même. Mais enfin, de tous les chefs dits « fascistes » qui ont pris part à la
Deuxième Guerre mondiale, je suis le seul survivant. Mussolini a été assassiné, et ensuite pendu. Hitler
s’est tiré une balle dans la tête puis a été brûlé. Mussert, le leader hollandais et Quisling, le leader
norvégien, ont été fusillés. Pierre Laval, après avoir subi une courte parodie de justice, s’est empoisonné
dans sa geôle française. Sauvé à grand-peine de la mort, il fut abattu dix minutes plus tard, à demi
paralysé. Le général Vlassov, le chef des Russes anti-soviétiques, livré à Staline par le général
Eisenhower, a été accroché à un gibet sur une place moscovite.
Même en exil, les derniers rescapés ont été sauvagement poursuivis : le chef de l’Etat croate, Anton
Pavlevitch a été farci de balles en Argentine ; moi-même, traqué partout, n’ai échappé qu’au millimètre à
diverses tentatives de liquidation par assassinat ou par rapt.
Néanmoins, je n’ai pas encore été éliminé à l’heure actuelle. Je vis. J’existe. C’est-à-dire que je pourrais
encore apporter un témoignage susceptible de présenter [19] historiquement un certain intérêt. J’ai connu
Hitler de tout près, je sais quel être humain, vraiment, il était, ce qu’il pensait, ce qu’il voulait, ce qu’il
préparait, quelles étaient ses passions, ses mouvements d’humeur, ses préférences, ses fantaisies. J’ai
connu, de la même manière, Mussolini, si différent dans son impétuosité latine, ses sarcasmes, ses
effusions, ses faiblesses, ses élans, mais, lui aussi, extraordinairement intéressant.