Les Cahiers - Théâtre Denise

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Les Cahiers
Numéro 92
Automne 2014
Du 3 au 24 octobre 2014
D’APRÈS JEAN RACINE
ADAPTATION DE LIONEL CHIUCH, FRANÇOIS DOUAN ET KRISTIAN FRÉDRIC
MISE EN SCÈNE ET SCÉNOGRAPHIE DE KRISTIAN FRÉDRIC
UNE COPRODUCTION DE LA CIE LÉZARDS QUI BOUGENT LES HAUTS DE BAYONNE (FR)
ET DU THÉÂTRE DU GRÜTLI (CH) EN COLLABORATION AVEC LE THÉÂTRE DENISE-PELLETIER
JE N’Y SUIS PLUS
De Marie-Claude Verdier
Mise en scène de
Magali Lemèle et
Louise Naubert
Une coproduction
de Magali Lemèle, du
Théâtre Français
du CNA et
Créations In Vivo
présentée par le
Théâtre
Denise-Pelletier
©Marianne Duval
LES 17, 18 ET 19
SEPTEMBRE 2014
QUI EST
CE IONESCO ?
EN ATTENDANT
GODOT
Du 1er octobre
au 18 octobre 2014
Du 22 OCTOBRE AU
8 NOVEMBRE 2014
De Richard Letendre
Mise en scène de
Thérèse Perreault
Une production
du Théâtre
Effet V
en codiffusion
avec le
Théâtre
Denise-Pelletier
De Samuel Beckett
Mise en scène de
Serge Mandeville
Une production
d’Absolu Théâtre
en codiffusion avec le
Théâtre Denise-Pelletier
©Juan Carlos Jamous
©Richard Laillier
Andro10-43
maque
NOTRE PROCHAIN SPECTACLE
D’Artagnan et
les trois
mousquetaires
©Luc Lavergne
Du 12 novembre au 12 décembre 2014
D’après l’œuvre d’Alexandre Dumas
Adaptation et mise en scène Frédéric Bélanger
Guillaume
Baillargeon
© Izabel
Zimmer
Guillaume
Champoux
Maude
Campeau
© Michel © Martin Girard
Olivier Girard
Louise
Cardinal
Robin-Joël
Cool
Steve
Gagnon
Stéphanie M.
Germain
Bruno
Piccolo
Philippe
Robert
Claude
Tremblay
© Izabel
Zimmer
© Marjorie
Guindon
© France
Larochelle
© Julie
Artacho
© Émilie
Gagnon
© Jeremie
Battaglia
© Droits
réservés
Billetterie 514 253-8974
Réservations scolaires 514 253-9095 poste 224
Mot du directeur artistique
© MADOC
La belle aventure
Café de la place, Portail Matheron, Avignon. Une
fontaine recrache son eau avec élégance par les
quatre bouches de quatre têtes de quatre lions
en fonte. Dans cette ville emmurée qui déploie
tous ces espaces en cloîtres et cours intérieures,
chapelles, théâtres sombres et exigus, pour
accueillir comédiens, auteurs, poètes, je me prends
à penser à tous ces spectateurs qui applaudissent
et s’émeuvent devant le répertoire et la création
inédite. Répertoire et création : ces deux univers
qui se côtoient sans rivalité, qui s’influencent de
leurs connaissances et de leurs périls, me ramènent
à Montréal. Chez moi, au cœur d’un nouveau défi
qui m’enchante.
Le Festival d’Avignon est une institution théâtrale
qui, avec ces milliers de spectacles en trois
semaines, marque la France, l’Europe, le monde
depuis 67 ans. Assis devant mes lions cracheurs,
je me dis que le TDP que je dirige depuis quelques
semaines a 50 ans, et que je suis chanceux et
honoré d’être à la barre d’un théâtre institutionnel
aussi inspirant qu’essentiel. Je tiens à y faire
honneur. Les choix que je fais et ferai, répertoire, relecture
et création, sauront, je l’espère, vous divertir, vous
questionner et faire en sorte que le théâtre reste
un dialogue fertile entre les arts et la société, entre
l’adulte et celui qui le sera bientôt, entre celui qui
apprend et celui qui continue d’apprendre.
Depuis plus de 30 ans, j’œuvre en tant que metteur
en scène, auteur et comédien sur plusieurs scènes
du Québec. Mon parcours, sans être atypique,
en est un d’engagement et ce, à travers diverses
sphères qui composent la galaxie théâtre, soit la
création, le jeune public et le répertoire. Il y a 35
ans, je cofondais le Théâtre Petit à Petit (Théâtre
PàP) et j’ai la chance de le voir vivre encore, bien
arrimé à sa passion de l’inédit, à ses créations
originales, à ses textes d’ici. L’artiste que je suis maintenant fut d’abord éduqué
au Gesù par la Nouvelle Compagnie théâtrale. La
passion est née là, des soirs de Godot, de Wouf
Wouf ou de créations envoûtantes. Le praticien, lui,
s’est abreuvé aux deux salles du Théâtre DenisePelletier dès le début des années 1980.
Si tous les métiers de la scène m’attirent, il demeure
que la mise en scène et la direction artistique font
essentiellement vibrer mon corps et mon esprit.
Plonger en création du haut de la falaise, entrer
dans la tête d’un auteur, s’approcher d’un propos
jusqu’à l’étonnement, faire résonner une œuvre du
répertoire et y fouiller l’histoire jusqu’à atteindre
la modernité, diriger et accompagner acteurs,
concepteurs, communicateurs et techniciens, et
les guider vers un projet commun qui unit et que
le public accueille de tous ses sens, voilà ce qui,
au fil du temps, a lié ma ligne d’horizon à mon
quotidien peu banal. Assurer la direction artistique du Théâtre DenisePelletier, c’est bien sûr prendre conscience d’un
mandat qui, sans être rigide, a su tracer ses balises
devant des publics adolescents et adultes. J’aime
le théâtre et je vibre avec lui quand l’œuvre de
l’auteur et celle du metteur en scène sont en totale
fusion. Je suis toujours confiant en l’humain et
toujours heureux de voir une aventure scénique
forte et une parole rendue avec conviction.
Et en cette cinquante et unième saison, la dernière
que Pierre Rousseau ait pensée, je serai là pour
partager les Racine, Dumas, Ionesco, Beaumarchais,
Camus, Beckett avec les créateurs vivants qui les
habitent et avec vous, spectateurs accueillants
et exigeants.
Claude Poissant
Andromaque 10-43 / page 1
ÉQUIPE DE RÉDACTION
Hélène Beauchamp s’intéresse à l’évolution du théâtre
professionnel au Québec et au Canada français au XXe
et au XXIe siècle. Auteure d’ouvrages sur l’histoire
de ces théâtres, sur le théâtre jeune public et sur les
pratiques en éducation artistique, elle a reçu le Prix de
carrière de l’Association canadienne de la recherche
théâtrale (2009). Elle a enseigné à l’Université d’Ottawa
puis à l’École supérieure de théâtre de l’Université
du Québec à Montréal qui lui a conféré le statut de
professeure émérite. Elle a récemment contribué à
Architectures du spectacle au Québec sous la direction
de l’architecte Jacques Plante (Les Publications du
Québec, 2011) et à L’Absolu…un jour…Hommage à
Françoise Loranger, sous la direction de Brigitte
Purkhardt (2013). À l’Université d’Ottawa, elle est
chercheure associée au projet « Parcours de formation
en écriture dramatique dans le contexte de la minorité
linguistique francophone » (CRSH) ainsi qu’aux travaux
du « Chantier Ottawa : Construction d’une mémoire
française à Ottawa » projet interdisciplinaire (CRSH).
Elle coordonne la rédaction des Cahiers du Théâtre
Denise-Pelletier depuis 2010.
Michelle Chanonat est journaliste et édimestre pour
la revue de théâtre JEU, rédactrice en chef de la
publication Marionnettes, éditée par l’Association
québécoise des marionnettistes, et rédactrice
spécialisée en culture. Elle collabore avec plusieurs
théâtres et compagnies artistiques de la grande région
de Montréal. En 2013, elle a participé au livre Corbeau,
avec l’auteur Jean-Frédéric Messier et le scénographe
Richard Lacroix, qui retrace en mots et en images le
processus créatif du 25e spectacle du Théâtre de l’Œil.
Elle a reçu le Prix d’excellence en journalisme culturel
décerné par la SODEP en 2013, pour un portrait de
Patrice Chéreau paru dans JEU n°142.
Véronique Grondines a complété un baccalauréat
et une maîtrise en littératures de langue française
à l’Université de Montréal dans l’orientation
dramaturgie. Elle a été stagiaire à la mise en scène
et à la dramaturgie au Théâtre d’Aujourd’hui sur la
création de La Liste (mise en scène de Marie-Thérèse
Fortin) ainsi que stagiaire à la dramaturgie auprès de
Carl Poliquin sur la production du Jeu de l’amour et
du hasard au Théâtre Denise-Pelletier. Elle est enfin
cofondatrice et codirectrice artistique de la Mise en
lecture interuniversitaire de textes théâtraux.
page 2 / Andromaque 10-43
Emilie Jobin est diplômée de l’École Jacques Lecoq
où elle a expérimenté le jeu corporel sous toutes
ses formes. Elle se passionne pour un théâtre de
création, engagé, qui propose une critique de la
société et en expose les travers. Avec en poche une
maîtrise en littérature de l’Université de Montréal et
un baccalauréat en enseignement de l’art dramatique
de l’UQÀM, elle partage son temps entre salle de
classe et salle de spectacle comme enseignante de
théâtre et de français au niveau collégial, metteure
en scène et spectatrice affamée. Elle a écrit, mis en
scène et interprété Comme avec Nathalie, explorant
le jeu masqué pour raconter la pire journée d’une
suppléante au primaire. Elle a aussi mis en scène et
interprété la pièce Bouffe de Suif, d’après la nouvelle
de Maupassant, présentée lors du Festival Fringe.
Elle est membre de la rédaction de la revue JEU.
Denise Ringuette, après des études en littérature
comparée à l’Université de Montréal, enseigne la
littérature et l’histoire du théâtre au département de
français du Collège de Rosemont. Outre le théâtre,
elle se passionne pour la voix et le mouvement sous
toutes leurs formes. Elle est l’une des interprètes de
l’événement danse/musique Quaerendo Invenietis. Neuf
voix qui dansent (1991). Elle poursuit son exploration
de la voix, de la danse et de l’improvisation avec,
notamment, Josée Gagnon et Line Snelling (20062007). Depuis 2005, elle étudie le chant avec Hélène
Martinez. Séduite par le projet de simplicité artistique
volontaire de la compagnie de théâtre Effet V, elle
devient membre de son conseil d’administration en
2010. Elle se retire de l’enseignement en 2013 pour
se consacrer à l’écriture et à ses autres passions.
Philip Wickham enseigne l’art dramatique au cégep de
Saint-Laurent. Il a complété une maîtrise en théâtre à
l’UQÀM où il a également enseigné auprès de Martine
Beaulne. Il a été membre de la rédaction de JEU,
Revue de théâtre pendant une quinzaine d’années,
a dirigé certains dossiers importants de la revue –
sur le costume, sur la guerre – et a créé L’Arbre du
théâtre québécois avec Michel Vaïs. Il a monté quelques
créations présentées dans le cadre du Festival Fringe
de Montréal ainsi que des adaptations de pièces
d’Arthur Miller et de Jean Genet. Il est un passionné
de musique et de chant.
Table des matières / Salle Denise-Pelletier
LES CAHIERS / NUMÉRO 92 / AUTOMNE 2014
ANDROMAQUE 10-43
5
L’équipe du spectacle
7
Présentation et résumé
11
Acteurs et personnages
13
Rencontre avec Kristian Frédric,
metteur en scène
19
Rencontre avec Olivier Proulx,
concepteur vidéo
24
Andromaque aujourd’hui
30
Andromaque, femme politique
35
Andromaque : la tragédie et la guerre
41
Pour en savoir plus…
42
Pour aller plus loin…
© Nicolas Descoteaux
DOSSIER GUERRES ET PASSIONS
Les Cahiers du Théâtre Denise-Pelletier sont publiés sous la direction de Julie Houle, avec le soutien d’Anaïs
Bonotaux-Bouchard. La rédaction des Cahiers est coordonnée par Hélène Beauchamp. Nous remercions les
équipes de production, auteurs et metteurs en scène qui ont facilité la réalisation de ce numéro des Cahiers.
Conception graphique et infographie : Passerelle bleue / Impression : Imprimerie Maska inc.
ISSN 1188-1461 / BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DU CANADA / N.B. : Les opinions exprimées dans les articles de cette
publication n’engagent que leurs auteurs.
Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Montréal (Québec) H1V 1Y2
Administration : 514 253-9095
Billetterie : 514 253-8974
www.denise-pelletier.qc.ca
Andromaque 10-43 / page 3
JE N’Y SUIS PLUS
44
L’équipe et la compagnie
45
Rencontre avec Marie-Claude Verdier,
auteure et Jean-Sébastien Dallaire,
concepteur sonore
© Marianne Duval
Table des matières / Salle fred-barry
51
L’équipe et la compagnie
52
Entretien avec Richard Letendre, auteur
et Thérèse Perreault, metteure en scène
EN ATTENDANT GODOT
L’équipe et la compagnie
60
Entretien avec Serge Mandeville, metteur
en scène
© HBeauchamp
58
© Dragos Samoila
QUI EST CE IONESCO ?
Le Théâtre Denise-Pelletier (TDP) tient à remercier
Le TDP est membre des Théâtres Associés inc. (TAI) et de l’Association des diffuseurs spécialisés
en théâtre (ADST). Il est aussi partenaire de Atuvu.ca.
page 4 / Andromaque 10-43
L'équipe du spectacle
ANDROMAQUE 10-43
D’après Jean Racine
Adaptation de Lionel Chiuch, François Douan et Kristian Frédric
Mise en scène et scénographie de Kristian Frédric
Une coproduction de la Cie Lézards Qui Bougent Les Hauts de Bayonne (FR) et du
Théâtre du Grütli (CH) en collaboration avec le Théâtre Denise-Pelletier
Salle Denise-Pelletier
Du 3 au 24 octobre 2014
Distribution
Équipe technique
Monica Budde.................................... Andromaque
Jeanne De Mont..................................... Hermione
Frédéric Landenberg................................... Oreste
Denis Lavant.......................... Pyrrhus, roi d’Épire
Meggie Proulx Lapierre...........................Astyanax
Directeur de production, directeur
technique et chef de plateau.......... Éric Lapointe
Sonorisateur de tournée................Steve Lalonde
Éclairagiste.......................................... Loïc Brisset
Distribution vidéo
Équipe de production –
Théâtre Denise-Pelletier
Arnaud Binard..............................................Pylade
Ivan Morane ...............................................Phoenix
Merlin Landenberg...................................Astyanax
Distribution voix
Julia Batinova............................Journaliste russe
Lydia Belghazi...........................Journaliste arabe
Michèle Bellot....................Journaliste espagnole
Stéphane Gabioud................Journaliste coalition
Concepteurs
et collaborateurs artistiques
Direction de production................. Réjean Paquin
Direction technique............................... Guy Caron
Attachée de presse.........................Isabelle Bleau
Équipe de scène –
Théâtre Denise-Pelletier
Chef machiniste..............................Pierre Léveillé
Chef électricien......................... Michel Chartrand
Chef sonorisateur................................ Claude Cyr
Chef habilleuse......................... Louise Desfossés
Chef cintrier................................. Michel Dussault
Dramaturgie..................................... Lionel Chiuch
Assistance à la mise
en scène................Aline Pignier et Lison Foulou
Lumière.................................. Nicolas Descoteaux
Vidéo et
nouvelles technologies................... Olivier Proulx
Son et musique............................ Antoine Bataille
Costumes......................................... Anne Bothuon
Effets spéciaux................................ Olivier Proulx
Andromaque 10-43 / page 5
L'équipe du spectacle
La compagnie
Une coproduction de :
LÉZARDS QUI BOUGENT est une compagnie de
théâtre consacrée à la création contemporaine
depuis 1989. Ses créations ont permis à la compagnie
de rayonner en France, au Canada, en Suisse, en
Pologne, au Luxembourg, en République Tchèque
et en Allemagne. Plus de 653 représentations
consacrées à l’écriture contemporaine comme,
entre autres, celle de : Bernard-Marie Koltès, JeanPierre Siméon, Koffi Kwahulé, Fernando Arrabal,
Mercé Rodoreda, Marguerite Duras et Daniel Keene.
• Scène Nationale Bayonne - Sud-Aquitain /
Aquitaine (FR)
• Théâtre Georges Leygues / Villeneuve-sur-Lot /
Aquitaine (FR)
• Théâtre Jean Vilar / Ville d’Eysines /
Aquitaine (FR)
• OARA (Office Artistique de la Région Aquitaine)
(FR)
• Babel 64 Productions & Diffusions (FR)
Kristian Frédric est un habitué du Québec où il a
présenté deux pièces de l'auteur Koffi Kwahulé, Jaz
(2010, 2011) et Big Shoot, pièce « coup de poing »
saluée par la critique à sa création en 2005 à la Salle
Fred-Barry, ainsi que La Nuit juste avant les forêts
de Koltès avec l'acteur français Denis Lavant (Usine
C, 2004). En septembre 2014, Kristian Frédric
signe la mise en scène de l’opéra Quai Ouest de
Régis Campo, livret de Kristian Frédric et Florence
Doublet, d’après la pièce de Bernard-Marie Koltès,
à l’Opéra du Rhin (Chœurs de l’Opéra national du
Rhin, Orchestre symphonique de Mulhouse.
• Conseil Général des Pyrénées-Atlantiques (FR) /
aide à la Résidence
• Conseil Régional d’Aquitaine (FR) / Programme
Aquitaine Québec
• Théâtre Denise Pelletier / Montréal (QC)
• Direction régionale des Affaires Culturelles
(DRAC) - Aquitaine (FR) / aide à la production
dramatique
• République et canton de Genève (CH)
• Loterie Romande (CH)
• Fondation Ernst Göhner (CH)
• Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia (CH)
€ Carte situant Troie, Buthrote et l’Épire.
www.lezardsquibougent.com
page 6 / Andromaque 10-43
Avec le soutien financier de :
Présentation et résumé
L’INTRIGUE
Défiant les années qui passent, la guerre laisse des
traces. Il y a dix ans, déjà, que Troie est tombée.
Les héros d’hier sont fatigués. Trop de haine,
de violence, de rêves de vengeance. Malgré la
lassitude, tapi dans les salles obscures de son
palais, Pyrrhus n’en a pas fini avec le destin.
Envoyé par les Grecs, qui veulent récupérer
Astyanax (le fils d’Hector et d’Andromaque),
Oreste débarque à Buthrote. Il est déchiré entre
son devoir et son amour pour Hermione, la fille
d’Hélène, qui est promise à Pyrrhus. Ce dernier,
amoureux d’Andromaque, hésite à livrer l’enfant à
ses alliés. Des atermoiements qui mettent Hermione
en rage. Voilà l’essentiel de l’intrigue d’Andromaque, tragédie
de Jean Racine créée le 17 novembre 1667. Un
chef-d’œuvre de la tragédie classique que l’on
résume quelquefois par cette formule : A aime B
qui aime C qui aime D – Oreste aime Hermione,
qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque, qui chérit
le souvenir de son mari, Hector. Déchiré entre la
passion et le devoir, le héros racinien est voué à
un sort funeste. Si les passions l’animent, c’est
toutefois son environnement historique qui le
contraint au malheur.
L’ADAPTATION
Andromaque 10-43 déplace la tragédie à notre
époque et met ce nouvel environnement historique
en lumière. Dans leur fameuse collection « Petits
Classiques », les éditions Larousse rappellent ainsi
que « la guerre et la paix, la morale et le mal, le désir
et l’amour, la folie et la mort hantent notre monde,
comme ils hantaient celui des Grecs et des gens du
XVIIe siècle ». La permanence de la condition humaine,
celle des rivalités géopolitiques et l’impuissance des
individus face à des mécanismes qui les dépassent
figurent parmi les enjeux de cette adaptation.
© Isaleal 2008
Partagée entre sa fidélité à la mémoire d’Hector,
chef troyen tué par Achille, et son désir de sauver
son fils, Andromaque finit par accepter la proposition
de Pyrrhus de l’épouser. Elle a toutefois l’intention
de se donner la mort dès la cérémonie achevée.
Furieuse de se voir ainsi humiliée par une captive,
Hermione demande à Oreste de lui prouver son
amour en tuant Pyrrhus. Le crime accompli,
Hermione reproche vivement son geste à Oreste
avant de se donner la mort sur le corps de Pyrrhus.
Ayant tout perdu, jusqu’à la raison, Oreste sombre
dans la folie tandis qu’Andromaque devient reine.
~ Buthrote, Albanie, patrimoine mondial UNESCO.
Andromaque 10-43 / page 7
Présentation et résumé
| Prise de Troie par Brygos, Musée du Louvre.
© Jastrow 2007
Avec une pointe de culot, nous sommes donc
allés chercher Andromaque sous les ors de son
XVIIe siècle pour la placer sous les projecteurs
de notre XXIe siècle. Racine n’a pas agi autrement
à l’égard d’Euripide et de Virgile, procédant selon
son bon vouloir à un réaménagement de l’Histoire
afin d’actualiser les faits et les caractères en
fonction de son temps.
Nous voulions voir Andromaque à la lumière
d’aujourd’hui. L’habiller selon les canons actuels.
Nous avons donc transposé l’intrigue à notre époque,
en déplaçant par la même occasion quelques
repères géographiques. Notre Troie exhale des
parfums orientaux, qui expriment moins l’agitation
d’Istanbul que les déflagrations de Bagdad. Quant à
Buthrote, la ville où se noue la tragédie et que l’on
peut localiser dans l’Albanie actuelle, nous l’avons
imaginée plus à l’Est afin qu’elle aussi bénéficie
des effluves épicées de l’Orient. Grâce à ce tour de passe-passe, totalement
assumé, Pyrrhus peut revendiquer les mêmes
racines culturelles que sa captive. Comme elle, ses
origines sont arabes. Il devient celui qui a trahi en
s’alliant avec les forces impérialistes occidentales,
représentées par la Grèce. Mais il hérite ainsi de la
même langue que celle pratiquée par Andromaque
et tente, par ce biais, de se concilier ses faveurs.
page 8 / Andromaque 10-43
© CherryX
Ces « réajustements » ne relèvent en rien du
sacrilège. Au contraire, ils perpétuent l’une des
règles de la tragédie, analysée par Jovan Hristic
dans Réflexions sur la tragédie (éditions L’Âge
d’Homme) : « Pour leurs tragédies, les poètes grecs
choisissaient non seulement les histoires les plus
sanglantes, mais également celles qui auraient des
répercussions contemporaines. [...] Les Athéniens
n’allaient pas au théâtre pour assister à des drames
métaphysiques abstraits sur la destinée humaine,
mais pour voir des pièces qui leur parlaient des
choses qui les émouvaient au quotidien ».
Très anciennes, les règles de la guerre ne varient
pour ainsi dire jamais. De la guerre de Troie aux
récentes interventions en Afghanistan et en Irak,
on assiste toujours à la mise en place d’alliances
entre puissances dont les intérêts sont les mêmes,
du moins le temps que dure le conflit. On pourra
ainsi comparer ce qui caractérise ces différents
conflits et surtout pointer en quoi ils sont similaires.
LES SOURCES
Au Ve siècle avant Jésus-Christ, Euripide signe une
première pièce autour du personnage d’Andromaque.
Sa version s’articule essentiellement autour du
conflit qui oppose Hermione à Andromaque, la
première étant stérile tandis que la seconde a
un enfant.
S’il s’inspire de cet auteur, Racine n’hésite pas,
en guise de préface, à emprunter une vingtaine
de vers à Virgile. Il ne cache pas, d’ailleurs, avoir
puisé dans L’Énéide, tant pour le lieu de l’action
que pour les personnages et l’action elle-même. Il
s’inspire également d’Homère, du moins de L’Illiade,
à laquelle il emprunte notamment l’épisode des
adieux d’Hector.
€ Musée national d’Iraq, Bagdad. 2008
Généalogie des
personnages
Les Troyens
Priam, roi de Troie, et Hécube auront
de nombreux enfants dont Hector qui
épouse Andromaque et engendre un
fils Astyanax.
Les Grecs
Pélée, roi de Phthie, et Thétis auront un
fils, Achille, qui aura un fils Pyrrhus, roi
d’Épire;
Atrée et Aéropé auront deux fils :
Agamemnon qui épouse Clytemnestre
et engendre Électre, Iphigénie et
Oreste ;
Ménélas qui épouse Hélène et engendre
Hermione.
Racine doit non seulement s’approprier ses modèles
mais aussi veiller à ne pas dénaturer la fable. Le
non respect de la tradition pouvait à l’époque
conduire à un échec irrévocable.
POURQUOI Andromaque 10-43 ?
© Eli J. Medellin.
Quel code cabalistique se dissimule derrière ce
« 10-43 » ? S’agit-il d’une obscure référence à la
date de naissance d’un auteur ou d’un comédien ?
D’une fantaisie du dramaturge, soucieux de glisser
une énigme dans son titre ? Rien de tout cela.
 Explosion d’une voiture piégée,
Bagdad, 27 août 2006.
Ce chiffre fait référence au « mur de Planck » – ou
« temps de Planck » –, situé à 10-43 secondes après
l’instant 0 du Big Bang. Avant ce temps, période
appelée l’ère de Planck, toutes les lois actuelles
de la physique classique comme de la physique
quantique trouvent leur limitation dans la mesure
où il devient nécessaire d’avoir une description
microscopique de la gravitation qui reste encore
mystérieuse à ce jour.
Andromaque 10-43 / page 9
© HBeauchamp
Présentation et résumé
~ Murs et murailles.
Dans son Discours sur l’origine de l’univers, le
chercheur Étienne Klein écrit : « Résumons-nous :
au temps de Planck, c’est-à-dire lors de la période
de l’univers la plus ancienne que nos équations
(et nos seules équations) parviennent à concevoir,
l’univers était nerveux et sec, minuscule et gorgé
d’énergie, et son espace-temps avait une structure
« bizarre ». Le mur de Planck incarne la limite
de validité ou d’opérativité des concepts de la
physique que nous utilisons : ceux-ci conviennent
pour décrire ce qui s’est passé après lui, pas ce
qui a eu lieu avant lui (ainsi, nos représentations
habituelles de l’espace et du temps perdent toute
pertinence en amont du mur de Planck) »1.
Quel rapport avec Andromaque ? Eh bien, avant
ce fameux mur opaque, nous sommes dans un
chaos – celui de la guerre de Troie - que nulle
formule ne parvient à définir et qu’aucune image
ne peut décrire. Au-delà, les lois de la physique
s’appliquent : tout, dès lors, devient inéluctable. De
même, les personnages de la tragédie sont issus
de ce chaos qu’est la guerre de Troie : mais une
fois que la fureur est retombée, leur destin est
noué. Et ce qui attend les survivants, au terme
Éditions Flammarion, coll. Champs/Sciences.
1
page 10 / Andromaque 10-43
~ Échappée.
de leurs amours contrariées, c’est un nouveau
chaos. Écoutons encore Etienne Klein : « Du côté
de la Grèce, au tout début, il y avait le Chaos, nous
dit la Théogonie d’Hésiode2. Vaste vide sombre et
informe au sein duquel apparut Gaïa, la Terre
aux larges flancs, la base inébranlable du monde.
Puis survint Éros, l’amour, le plus beau des dieux,
capable de les soumettre tous, dieux et humains. De
Chaos naquirent encore les ténèbres d’en bas et la
nuit noire. Tous d’eux s’unirent et engendrèrent à
leur tour la lumière d’en haut, ainsi que le jour... »
Surprenantes accointances entre la physique et la
mythologie, la mythologie et la tragédie, la tragédie
et la physique...
Lionel Chiuch, dramaturge
Œuvre du poète grec Hésiode, la Théogonie est le grand récit de l’origine
des dieux grecs.
2
ACTEURS ET PERSONNAGES
© DR
MONICA BUDDE
ANDROMAQUE
Songe, songe, mon fils, à cette nuit cruelle
Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle ; […]
Songe aux cris des vainqueurs, songe aux cris des
mourants,
Dans la flamme étouffés, sous le fer expirants ;
Peins-toi dans ces horreurs Andromaque éperdue :
Voilà comme Pyrrhus vint s’offrir à ma vue
JEANNE DE MONT © DR
HERMIONE
Mais que puis-je, Seigneur ? On a promis ma foi.
Lui ravirai-je un bien qu’il ne tient pas de moi ?
L’amour ne règle pas le sort d’une princesse :
La gloire d’obéir est tout ce qu’on nous laisse.
© DR
FRÉDÉRIC LANDENBERG ORESTE
J’ai mendié la mort chez des peuples cruels
Qui n’apaisaient leur dieu que du sang des mortels :
Ils m’ont fermé leur temple ; et ces peuples barbares
De mon sang prodigué sont devenus avares.
Enfin je viens à vous, et je me vois réduit
A chercher dans vos yeux une mort qui me fuit
© DR
DENIS LAVANT PYRRHUS
Je songe quelle était autrefois cette ville,
Si superbe en remparts, en héros si fertile,
Maîtresse de l’Asie ; et je regarde enfin
Quel fut le sort de Troie, et quel est son destin.
Je ne vois que des tours que la cendre a couvertes,
Un fleuve teint de sang, des campagnes désertes,
Un enfant dans les fers ; et je ne puis songer
Que Troie en cet état aspire à se venger.
Andromaque 10-43 / page 11
ACTEURS ET PERSONNAGES
© Nicola-Frank Vachon
MEGGIE PROULX LAPIERRE ASTYANAX
Réplique d’Andromaque
Apprends à tout savoir des héros de ta race,
Autant que tu pourras, conduis-toi sur leur trace :
Saches par quels exploits leurs noms ont éclaté,
Plutôt ce qu’ils ont fait que ce qu’ils ont été. Distribution vidéo
© DR
ARNAUD BINARD
PYLADE
C’est un coup de tonnerre qui vient de retentir :
Pyrrhus à Andromaque aujourd’hui veut s’unir.
Pour la coalition c’est un affront mortel :
L’enfant qu’elle espérait ne sera pas pour elle.
Nous revoilà au point où nous étions naguère
Et ce qui nous menace, c’est à nouveau la guerre.
IVAN MORANE
© DR
PHOENIX
Allez voir Hermione ; et content de lui plaire,
Oubliez à ses pieds jusqu’à votre colère.
Vous-même à cet hymen venez la disposer.
Est-ce sur un rival qu’il s’en faut reposer ?
page 12 / Andromaque 10-43
RENCONTRE AVEC KRISTIAN FRÉDRIC,
METTEUR EN SCÈNE
Kristian FRÉDRIC est comédien, auteur, metteur en scène et, depuis
quelques années, scénographe. Il dirige la compagnie Lézards Qui
Bougent depuis 1989. À titre de directeur artistique de cette compagnie,
il propose à de nombreux créateurs de s’associer à sa démarche.
Ainsi, depuis 1989, il a produit trente créations, a signé vingt et une
mises en scène jouées lors de plus de 653 représentations en France,
au Canada, en Suisse, en Pologne, au Luxembourg, en République
Tchèque et en Allemagne. Il a aussi coproduit cinq spectacles. Il
s’engage également dans la promotion d’auteurs contemporains,
organisant des représentations dans des lieux atypiques afin de faire
découvrir ces auteurs et leurs écrits. Il a mis en place différents
festivals dans sa région à Bayonne (France) : Paroles à ma tribu
et Rencontres improbables, festival de performances. Lauréat de la
Villa Médicis Hors Les Murs 2005 et décoré de l’ordre de Chevalier
des Arts et des Lettres en France en 2007, il a également enseigné
le théâtre et notamment à l’École nationale de théâtre du Canada à
Montréal en 2007. Il met en place des créations performances au
sein d’établissements scolaires depuis plusieurs années en France. Kristian Frédric
Il a récemment mis en scène La Nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie KOLTES (2000) ;
Stabat Mater Furiosa de Jean-Pierre SIMEON (2003) ; Big Shoot de Koffi KWAHULE (2005) ;
Orphée et Eurydice de GLUCK, Opéra de Nuremberg (2010) ; We Are Not Animals / Festival
Aux Arts Citoyens / Villeneuve-sur-Lot (2011) et We Are Not Animals 2 La Performance,
Musée Gajac, La Nuit des Musées, Villeneuve-sur-Lot (2012). www.andromaque1043.com
Une pièce sur le pouvoir et
sur la solitude des êtres…
L’idée de plonger cette tragédie classique dans
notre monde du XXIe siècle en considérant que Jean
Racine serait un auteur de notre époque, nous a
fait nous poser de nombreuses questions sur le
contexte géopolitique de l’histoire, mais aussi sur
notre monde et ses outils de « communication ». La
rapidité entre autres avec laquelle une information
peut circuler, être déformée et retranscrite à travers
nos réseaux montre bien la fragilité d’un monde où le
« tout visible » s’apparente souvent à une forme de
manipulation et où l’individu est l’otage d’un système
qu’il a contribué lui-même à mettre en place. Nous sommes au XXIe siècle, une guerre a ravagé
l’Orient pendant dix ans. Une coalition occidentale
(Ménélas / Grèce) et orientale (Achille / Épire) a
prêté allégeance à un empire oriental (Hector /
Troie). Quelles sont les raisons d’un tel conflit ?
Toutes celles qui régissent notre monde et nos
états modernes : le profit, la dépendance aux
matières premières, les enjeux géostratégiques,
la possibilité d’étendre l’influence occidentale sur
un monde oriental souvent perçu comme obsolète.
Et dans ce partage sans merci du monde, les
États s’affrontent, se servant de tous les outils
Andromaque 10-43 / page 13
© Bibi Saint-Pol 2007
RENCONTRE AVEC KRISTIAN FRÉDRIC,
METTEUR EN SCÈNE
disponibles pour étendre leur hégémonie. C’est ce
que feront la Grèce et l’Épire vis-à-vis de Troie,
laissant derrière elles des étendues dévastées
et une culture meurtrie. N’est-ce pas ce que,
tout au long de la pièce, Andromaque reproche
à Pyrrhus ? N’oppose-t-elle pas à ce monde sa
culture, ses ancêtres et ses valeurs qu’elle ne veut
jamais oublier ? Deux mondes ici s’affrontent, l’un
qui se dit éperdument moderne et un autre qui
s’accroche désespérément à son passé.
POUVOIR ET DIPLOMATIE
Nous sommes ici dans les sphères du pouvoir et de
la diplomatie, dans les rouages du système. Les êtres
qui y vivent, ou plutôt qui s’y débattent, font partie
intégrante de cette mécanique. Ils dépendent tous
des enjeux d’un système économique puissant qui
domine leurs intérêts propres. Leur langue parlée est
une langue commune : l’alexandrin. C’est la langue de
la diplomatie, de l’ordre régnant occidental. Elle peut
être comparée à la langue anglaise qui, aujourd’hui,
règne dans les sphères mondiales. Depuis plus de
dix ans, elle a pris une place prépondérante dans
le palais de Pyrrhus. C’est une des conséquences
directes de la guerre de Troie et de l’alliance entre
page 14 / Andromaque 10-43
© Bibi Saint-Pol 2007
 Pyrrhus en action, Guerre de Troie, Musée
Martin von Wagner.
 Troie, Guerrier agenouillé, coll Antiquités de
l’État, Munich
Ménélas et Achille. Cette langue dont Pyrrhus et
Andromaque – et d’autres peut-être – s’affranchissent
parfois pour retrouver fugitivement leur expression
d’origine au détour d’une réplique.
C’est l’arabe classique qui est la langue-mère de
Pyrrhus et d’Andromaque. Elle est le symbole
d’une culture forte mais aussi d’une oligarchie
intellectuelle, qui ne veut pas se soumettre aux
nouveaux maîtres du monde. Pyrrhus fera appel
à elle, entre autres, pour mieux atteindre ses
desseins vis-à-vis de sa captive. Andromaque,
© Nicolas Descoteaux
~ Pyrrhus dans son bunker devant son mur d'écrans. Andromaque 10-43.
elle, se réfugiera sans doute dans cette langue,
pour faire appel à ses forces intérieures, mais aussi
pour essayer de convaincre et faire plier Pyrrhus.
Cette langue « oubliée » permettra l’évocation de
leurs racines (car ils descendent tous deux de la
même culture et ont les mêmes ancêtres) mais
elle sera aussi un moyen pour eux d’essayer de
se « parler » autrement. Ils finiront par n’employer
que leur langue-mère lors de la dernière scène de
l’Acte IV (scène 6) où Andromaque, qui aura une
prémonition, préviendra Pyrrhus de la dangerosité
de la souffrance d’Hermione.
PROPAGANDE ET
COMMUNICATION
€ Andromaque 10-43, Acte IV, scène 6.
Pyrrhus (fils d’Achille) est devenu le maître de
l’Épire (sans doute à contrecœur). A-t-il choisi de
faire cette guerre ? N’est-il pas, lui aussi, piégé
dans ce monde ? N’était-il pas au départ un simple
prince moudjahidine qui a dû malgré lui, combattre
un peuple et une culture qu’il considérait jusque-là
comme proches de ses propres convictions ? Être
le fils d’Achille ne lui permettait pas de résister à
ses inclinations pour la conquête et le pouvoir. Il
y a chez Pyrrhus une étonnante similitude avec le
personnage de Don Corleone (fils) interprété par
Al Pacino dans la trilogie du Parrain de Francis
Ford Coppola. Comme Don Corleone, il se retrouve
malgré lui embarqué dans ce conflit. Comme lui,
il essayera en vain de s’en extraire. Comme lui,
il possède une maîtrise du pouvoir et en connaît
Andromaque 10-43 / page 15
RENCONTRE AVEC KRISTIAN FRÉDRIC,
METTEUR EN SCÈNE
tous les rouages. Et comme lui, il se trouve pris
entre ses désirs et ce monde qui le phagocyte et
l’empêche de changer.
Pyrrhus est le pur produit de notre société, il
possède et connaît tous les moyens de propagande
et de communication.
Dans son palais, il a à sa disposition, entre autres, un
mur d’écrans qui lui permet de suivre l’évolution du
monde (à travers les diverses informations diffusées)
et d’y voir les conséquences que provoquent
ses positions face au conflit qui l’oppose à son
ancien allié, la Grèce. C’est un homme qui est en
~ Philips CCT Vlens, Tamasflex 2011.
page 16 / Andromaque 10-43
€ Surveillance par caméra. Michael Lucan,
Munich, 2010.
connexion avec son époque, c’est un boulimique
d’informations. Il a cette capacité qu’ont certains
hommes d’engranger et d’analyser une masse
importante d’informations. C’est un homme de
pouvoir, de décisions et un grand stratège. Grâce
à des caméras de surveillance, il peut suivre tout ce
qui se passe dans son Palais et s’immiscer ainsi dans
l’intimité des personnes qu’il veut observer, mais
aussi communiquer avec certains interlocuteurs.
Son statut de chef de guerre et le monde dans lequel
il louvoie lui imposent cette vigilance.
Mais ce qui reste le plus intéressant dans ce drame
qui se déroule devant nous, c’est ce que font les
protagonistes des outils qui sont à leur disposition.
Pyrrhus, par exemple, ne peut s’empêcher, grâce à
cela, d’épier le moindre mouvement d’Andromaque,
jusqu’à la regarder dormir pendant de longues
heures et enregistrer ces moments. On ne peut
s’empêcher de penser au roman Les Belles
Endormies de l’auteur japonais Yasunari Kawabata.
Mais il aime aussi regarder tout ce qui peut lui vider
la tête et lui faire oublier durant quelques instants
son séisme intérieur. Mais ces outils mis en place
par Achille sous les conseils avisés de Phoenix ne
sont-ils pas un moyen de mieux le surveiller lui
aussi et d’essayer de le contrôler ? Ne dépend-il
pas, lui aussi, d’intérêts supérieurs ?
PRÉSENCE ET IMAGES
Et c’est là où tout le sens du travail de l’image à travers
ce spectacle est passionnant. L’image n’est pas et
ne peut pas être une « illustration », car dit-on des
informations que vomissent nos écrans qu’elles sont
des illustrations ? Non, elles sont malheureusement
le résultat d’un monde qui réagit et communique
à travers ces vecteurs, d’un monde qui ne prend
plus de recul. Et qui, sous prétexte d’informer, est
capable de plonger des êtres dans le chaos le plus
absolu. C’est aussi ce que racontera le travail que
nous ferons sur les traitements des images diffusées
et comment, par exemple, une scène qui vient de se
dérouler devant nous et les informations qu’elle a
véhiculées sont, très peu de temps après, transcrites
et analysées au travers du prisme des diverses
chaînes télévisuelles. Le microcosme s’élargit très
vite en un macrocosme qui étouffe de plus en plus
les protagonistes de l’histoire.
Cet étouffement sera accentué par le fait que, quand
les protagonistes voudront échanger avec leurs
confidents, ils ne pourront le faire qu’à travers des
outils électroniques de communication. Seuls seront
présents physiquement sur le plateau Pyrrhus,
Oreste, Hermione, Andromaque et Astyanax,
comme prisonniers d’un labyrinthe dont ils ne
peuvent s’échapper. Toutes les autres interventions
extérieures se feront à travers les divers moyens
de communication (en direct sur des écrans de type
Skype ou virtuelles à travers des discussions de
type Tweeter ou Facebook). Ils feront partie d’un
monde bouillonnant, tout en étant physiquement
et intérieurement seuls.
Ces outils deviennent, par cette forme d’utilisation,
des partenaires de jeu des comédiens présents
sur le plateau. Et c’est là un des grands enjeux de
cette production. Tout au long du spectacle, et sous
diverses formes, les informations qui passeront
par ses outils pourront êtres vecteurs d’action,
de sens et de rebondissements.
C’est pourquoi il ne faut pas avoir peur d’utiliser nos
codes actuels, de les questionner, de les distordre,
pour mieux en analyser les dangers et les travers.
Cette utilisation des divers outils (informations
télévisuelles, réseaux sociaux, caméras de
surveillance, Blackberry...) est la résultante de
cette immersion au sein de notre société. Depuis
plusieurs années déjà les dispositifs technologiques
ont envahi nos scènes, souvent au détriment du
sens. Ici, nous photographions notre monde et ses
rouages. Nous nous servons de ce « tout visible »
pour mieux encore appréhender la nature humaine
et en disséquer les tréfonds. Andromaque 10-43 / page 17
RENCONTRE AVEC KRISTIAN FRÉDRIC,
METTEUR EN SCÈNE
Notre adaptation montre bien la cohérence
d’une telle démarche, et surtout démontre que
la pertinence des propos de Jean Racine sur le
pouvoir et ses abominables conséquences, est
toujours d’actualité. À nous de la faire résonner
dans notre monde, avec nos propres codes et
nos propres outils. Ainsi nous rejoindrons encore
Antonin Artaud quand il pose son regard sur l’acte
théâtral en déclarant : « L’action du théâtre comme
celle de la peste est bienfaisante, car poussant les
hommes à se voir tels qu’ils sont, elle fait tomber
le masque, elle découvre le mensonge, la veulerie,
la bassesse, la tartufferie ». N’est-ce pas là tout
l’enjeu d’une telle création ?
Texte tiré du « Dossier pédagogique »
établi par Lionel Chiuch
~ Médecin de Peste, Paul Fürst 1656.
~ JGSDF Masque à gaz. Photo Los688, au Camp
Omiya. Japon, 10 juin 2012.
page 18 / Andromaque 10-43
RENCONTRE AVEC OLIVIER PROULX,
CONCEPTEUR VIDÉO
Olivier Proulx réalise des effets spéciaux pour le cinéma, la télévision et le théâtre. Il a entre
autres conçu des effets spéciaux pour les émissions Sucré Salé et On n’a pas toute la soirée ainsi
que pour les productions théâtrales Le Dieu du carnage présentée au TNM et tout dernièrement
Dominion de Sébastien Dodge. Artiste
polyvalent et autodidacte, il touche aussi
à la réalisation de courts métrages, à la
patine de décor en plus d’être caméraman
pour plusieurs spectacles et évènements
montréalais. Récemment, en collaboration
avec la compagnie Lézards Qui Bougent, il
a réalisé les effets spéciaux, la patine du
décor et il a également assuré la conception
vidéo de la pièce Andromaque 10-43, pièce qui
termine tout juste sa tournée européenne
avant d’arriver sur les planches québécoises
Olivier Proulx
en septembre 2014.
Andromaque au présent
La première fois que j’ai rencontré Kristian Frédric,
metteur en scène d’Andromaque 10-43 et directeur de
la compagnie Lézards Qui Bougent, un des moments
décisifs de notre discussion est survenu lorsque j’ai
mentionné une scène du film La Haine, de Mathieu
Kassovitz, un film qui m’impressionne toujours, autant
par son esthétique épurée que par l’intelligence de sa
réalisation. Dans cette scène, les trois protagonistes
sont assis devant un mur de télévisions dans un
centre commercial. C’est par ce mur d’écrans qu’ils
sont informés d’un des points tournants du film.
Ce fut la première image qui a nourri l’inspiration
pour l’implantation scénique de notre vidéo. L’idée
était ici de ne pas utiliser la vidéo comme un simple
habillage plastique ou une toile de fond, mais de lui
donner un rôle d’interlocuteur à plusieurs niveaux.
J’ai donc imaginé six télévisions au mur, en deux
rangées superposées en plein centre du décor.
Une image d’un mètre cinquante sur trois qui allait
servir à maintes reprises, et ce, d’une multitude de
façons. Ce système, je le voulais épuré et discret
tout en étant concret. Une toile de projection aurait
failli à habiter l’espace.
Les besoins du spectacle étaient immenses
et il me fallait un outil polyvalent pouvant être
sculpté pour donner une expérience qui allait
respecter le texte et en augmenter sa portée et
son positionnement moderne. Le système devait
permettre aux comédiens sur scène d’interagir
avec le mur d’écrans. Les technologies suivantes
allaient être utilisées : messagerie vidéo, caméras
de surveillance, messagerie texte, réseaux sociaux
en plus de nouvelles télévisées et d’émissions
diverses.
TOURNAGES
Certains personnages de la pièce ne sont plus
interprétés sur scène, mais apparaissent seulement
par l’entremise de la vidéo, que ce soit pour la
messagerie vidéo de type Skype, pour des images de
Andromaque 10-43 / page 19
© Nicolas Descoteaux
RENCONTRE AVEC OLIVIER PROULX,
CONCEPTEUR VIDÉO
 Discours de l’ambassadeur Oreste à son arrivée en Épire. Andromaque 10-43.
caméras de surveillance ou pour des interventions
télévisées pour un bulletin de nouvelles créé de
toutes pièces. Il a donc fallu planifier des tournages
en fonction de l’utilisation de la vidéo pour chacun
des personnages et chacune des situations. Les
tournages ont été effectués à Genève (Suisse)
où la production du spectacle a eu lieu. Le soussol du Musée international de la Croix-Rouge et
du Croissant-Rouge et la Salle de Géographie de
la Société de Lecture font partie des différents
lieux de tournage qui furent identifiés pour créer
une esthétique visuelle que nous avions d’abord
recherchée lors d’une résidence d’écriture au
Chalet Mauriac de Saint-Symphorien (France) un
an plus tôt. Un fond vert a aussi servi pour tourner
des séquences qui allaient être intégrées dans
© Nicolas Descoteaux
€ Oreste devant le mur d’écrans. Andromaque 10-43.
page 20 / Andromaque 10-43
un bulletin de nouvelles de la chaîne télévisée
inventée. Quelques défis se présentaient pour
les tournages. Premièrement, il était important de
bien positionner les comédiens et comédiennes
pour que les visages ne soient pas coupés par les
espaces noirs créés par les rebords des télévisions
lorsque l’image est agrandie pour être diffusée
sur quatre écrans. Deuxièmement, il fallait établir,
pour les sections de messagerie vidéo, un rythme
qui allait dicter le tempo de l’échange entre les
personnages sur scène et celui à l’écran. Les
répétitions ont donc été planifiées en fonction des
parties du spectacle concernées.
NOUVELLES TECHNOLOGIES
© Nicolas Descoteaux
Pour la messagerie vidéo, j’ai dû créer une interface
visuelle rappelant les logiciels que l’on connaît
comme Skype et Facetime, tout en augmentant la
simplicité pour ainsi faciliter la lecture scénique.
Une caméra sur scène était utilisée pour fournir
l’image de la vignette en direct.
Pour ce qui est des caméras de surveillance, les
images provenaient de deux sources différentes :
des images tournées au préalable et montées,
et des images provenant directement du décor
de la scène. Pour simuler une multitude de
caméras de surveillance dans le palais de
Pyrrhus, plusieurs plans fixes ont été tournés.
Par exemple, lorsqu’Oreste et Pylade arrivent au
palais de Pyrrhus, ils déambulent dans plusieurs
couloirs. Pyrrhus épie leur parcours en utilisant une
télécommande, faisant ainsi croire au spectateur
qu’il contrôle un immense système de surveillance
interne. Ces scènes ont été préalablement filmées.
Par contre deux caméras installées dans le décor
servent à créer deux couloirs supplémentaires
et renforcent l’illusion que les images tournées
sont en direct, puisque les entrées et sorties des
comédiens coïncident avec les images tournées.
€ Andromaque et Hermione.
Andromaque 10-43.
 Andromaque et Pyrrhus.
Andromaque 10-43.
Andromaque 10-43 / page 21
RENCONTRE AVEC OLIVIER PROULX,
CONCEPTEUR VIDÉO
Prenant toujours l’exemple de la mort de Pyrrhus,
il s’avérait essentiel que ces grands moments
soient présentés comme une nouvelle de haute
importance. Il était donc clair pour Kristian
et moi qu’il était nécessaire de présenter ces
nouvelles sous forme de bulletins d’information.
Les montages vidéo des moments importants ont
donc été intégrés à des bulletins d’information déjà
page 22 / Andromaque 10-43
© jpguselang
Il me fallait maintenant créer la trame géopolitique
narrative de ce classique sans transgresser sa force
initiale, puisque la pièce de Racine est centrée
sur le carré amoureux des quatre principaux
protagonistes. Pour resituer le récit à notre époque,
j’ai décidé d’utiliser des images tirées de la réalité
de notre contexte géopolitique actuel, c’est-àdire des images existantes des divers conflits au
Moyen-Orient, que ce soit le printemps arabe ou
la guerre syrienne. Les horreurs de notre époque
allaient servir à dépeindre les conflits au cœur
d’Andromaque. On imagine donc la ville de Troie
comme le Bagdad d’aujourd’hui. La complexité était
de raconter les divers moments clé du spectacle en
assemblant des images vidéo n’ayant au préalable
aucun lien entre elles. Par exemple, pour la mort de
Pyrrhus, l’image d’une ambulance en Syrie pendant
la guerre est suivie d’une vidéo du soulèvement
égyptien.
€ Collage, Guerre en Afghanistan.
€ Pylade, Acte V sc 5. Andromaque 10-43.
© Nicolas Descoteaux
Dans la version originale de la pièce, des
personnages comme Céphise, confidente
d’Andromaque, Cléone, confidente d’Hermione
et Pylade étaient présents sur scène. Dans notre
adaptation, ces personnages n’existent qu’à travers
les écrans. Les dialogues traditionnels ont été
modernisés et font maintenant place à des échanges
virtuels, soit par messagerie texte ou par l’entremise
d’un réseau social créé pour le spectacle. C’est
alors que les écrans deviennent à leur tour des
personnages à part entière du spectacle. Le défi ici
consistait à trouver des grosseurs de caractères
et des types de polices qui faciliteraient la lecture
dans une esthétique épurée.
existants du Japon, de l’Allemagne, de
l’Espagne, de la Russie, de la France
et du Moyen-Orient, démontrant ainsi
l’ampleur de la situation. Il aurait été
fastidieux et coûteux de tourner six
bulletins télévisés dans six décors
différents. Cependant, par souci de
réalisme, tous les bandeaux défilant
des journaux télévisés ont été réécrits
et traduits, et toutes les voix ont été
enregistrées dans chacune des langues
rendant ainsi l’extrait trouvé tout à
fait en lien avec l’événement dont on
parle dans la pièce. Seule exception :
le journal télévisé français, puisque
nous voulions que le présentateur
s’exprime en alexandrins. Nous avons
donc filmé un comédien sur fond vert
pour ensuite le superposer sur une
image de studio de télévision.
 Carte partielle d’Internet, basée sur les données du
15 juin 2005 situées à opte.org
ESTHÉTIQUE
Une fois toutes les pièces de ce grand casse-tête
réunies, il était essentiel que le mur d’écrans
n’accapare pas l’attention du spectateur aux
dépens des comédiens sur scène. Les écrans
doivent servir d’appui au texte et au jeu et non
pas devenir l’élément central du jeu. J’ai donc
ajusté la luminosité des écrans en fonction de
chaque moment du spectacle pour en contrôler
l’importance. Finalement, une patine visuelle a
été appliquée sur les images pour que le tout se
fonde dans le décor, dont j’ai aussi signé la patine.
Coolux
Le logiciel Coolux a été utilisé pour programmer
les différents formats et les rythmes de diffusion
des contenus créés sur les six écrans, permettant
ainsi de multiples possibilités d’affichage.
Voici donc une Andromaque revisitée, mais toujours
actuelle, présentant des images contemporaines,
démontrant ainsi que l’histoire ne cesse de se
répéter.
Texte établi par Olivier Proulx
Andromaque 10-43 / page 23
DOSSIER GUERRES ET PASSIONS
Andromaque aujourd’hui
| Andromaque 10-43,
éditions de la Pleine Lune 2013.
La production d’Andromaque 10-43 est en cours.
J’en verrai les représentations à l’automne 2014,
et je pourrai alors constater la justesse de ma
lecture et, d’une certaine façon, de mon intuition.
ATMOSPHÈRE DE CRISE
INTERNATIONALE
Cet article a été écrit à l’hiver 2014, à partir de la lecture
de la pièce, et il a d’abord été publié avec le texte de la
pièce aux éditions de la Pleine Lune.
Nous sommes ici conviés à lire un texte dont le
titre – Andromaque - et l’auteur – Jean Racine –
nous sont familiers, mais ce titre a été légèrement
modifié pour devenir Andromaque 10-43 et le texte
nous est donné comme ayant été écrit d’après
Jean Racine. De quoi s’agit-il ?
L’actualisation des pièces du répertoire classique
emprunte habituellement des voies inattendues et
nous réserve des surprises. Il faut donc commencer
la lecture, avancer dans le texte, se laisser aller
aux propositions d’actualisation, et voir comment
on s’y retrouve. Au moment où j’écris ces lignes,
le texte seul est disponible, répliques et indications
scéniques comprises, ainsi que les maquettes du
décor et des costumes. Je dispose donc d’un aperçu
des matériaux qui seront utilisés pour l’actualisation
annoncée, mais seulement un aperçu… parce que
sa concrétisation relèvera ultimement de la mise
en scène et du jeu des comédiens. Le théâtre est
toujours cet art vivant de la scène dont tout est
révélé lors des représentations, et si plusieurs
des éléments qui y préparent sont en germe dans
le texte, il y manque toujours l’aspect « vivant »,
justement.
page 24 / Andromaque 10-43
Dès les premières lignes, nous sommes plongés
dans une atmosphère de crise internationale. Un
personnage est seul en scène, dans une pièce,
son quartier général, dont un des murs est couvert
d’écrans. Ce sont les « fenêtres » par lesquelles il
voit le monde, écrans où défilent des images, où se
multiplient les informations données dans plusieurs
langues dont l’arabe et la japonaise. Est-ce que ce
personnage se cache ? A-t-il besoin de protection
pour s’enfermer ainsi dans une salle à partir de
laquelle il peut voir sans être vu ? Surveiller,
espionner, recevoir toute l’information nécessaire
mais sans être en contact physique avec qui que
ce soit ? Nous entrons dans un univers chargé
technologiquement, marqué par une grande solitude
physique et intérieure.
Dans les informations diffusées par les nombreuses
chaînes captées, il est question d’une réunion de
la dernière chance, de la mission officielle d’un
ambassadeur, de diplomatie et de stratégie. Par
ailleurs, des délégués de plusieurs états convergent
vers l’assemblée générale de l’ONU. On analyse
les activités boursières qui sont très perturbées.
On évoque une guerre terrible qui a duré dix ans,
détruisant une cité de grande importance, brisant
des vies, et du regain des tensions entre les alliés
d’hier, la Grèce et l’Épire. La Grèce et l’Épire ?
Nous connaissons la Grèce, mais l’Épire ?
Acte I, sc. 1, Andromaque 10-43.
Informations télévisées.
Les images sur les écrans multiples montrent des
champs de ruines, des camps de réfugiés, des
soldats, des civils tués, la souffrance des femmes
et des enfants.
€ Pyrrhus et Oreste. Andromaque 10-43,
Acte I sc. 2.
€ Pyrrhus. Andromaque 10-43.
© Nicolas Descoteaux
« Oreste est arrivé aujourd’hui en Épire où il doit
rencontrer Pyrrhus » annonce le présentateur de
la chaîne arabe. Oreste ? Pyrrhus ? « Pyrrhus
se serait entiché de sa captive, l’orgueilleuse
Andromaque. Une idylle qui pourrait être fatale
aux espoirs de paix » explique la présentatrice
de la chaîne japonaise. Andromaque ?
Andromaque 10-43 / page 25
DOSSIER
Autant la multitude des écrans et les émissions
d’information qui se succèdent en s’appuyant
sur des images de guerre nous sont – hélas –
trop familières, autant le nom des pays – Grèce,
Épire – et celui des personnes – Oreste, Pyrrhus,
Andromaque – nous renvoient à un tout autre
univers, à une époque et à des conflits dont les
légendes se sont emparés. On évoque la guerre de
Troie et ces grandes familles des Troyens et des
Atrides. Nous voici en pleine histoire ancienne,
par l’intermédiaire de la pièce de Jean Racine, que
des dramaturges contemporains – Lionel Chiuch,
François Douan et Kristian Frédric – actualisent
par l’écriture, la scénographie et les choix de mise
en scène.
Déséquilibre momentané. Par où commencer
pour m’y retrouver ? Je choisis de lire d’abord
Andromaque 10-43, puis de revenir vers Racine pour
ensuite interroger l’adaptation proposée par Chiuch,
Douan et Frédric. Il me semble que cet aller-retour
sera à mon avantage. Allons voir.
RETOUR AU XVIIe SIÈCLE
Jean Racine (1639-1699) est contemporain du vieux
Corneille, dont il devient le rival, et de Molière qui,
en pleine gloire, accepte de jouer sa première pièce
La Thébaïde ou Les Frères ennemi. Il donnera ses
prochaines tragédies aux comédiens de l’Hôtel
de Bourgogne, et avec le triomphe d’Andromaque
(1667), devient l’un des favoris de la cour de France.
Son succès ne fera que croître à partir de là : il sera
nommé historiographe de Louis XIV, en recevra de
confortables pensions, et répondra par son théâtre
aux aspirations de gloire du monarque.
Ses pièces, par leurs personnages et la passion
d’amour qui les entraîne jusqu’aux extrêmes de la
haine, de la jalousie et de la destruction, s’inspirent
de la tragédie grecque, d’Euripide en particulier, tout
autant que des grands récits d’Homère. Racine a
donc, le premier, actualisé l’histoire d’Andromaque,
page 26 / Andromaque 10-43
 Jean Racine par
Jean-Baptiste Santerre, XVIIe siècle.
Hermione, Oreste et Pyrrhus pour qu’elle plaise
à Louis XIV et à sa politique de prestige et de
conquête. Car Louis XIV mena effectivement de
nombreuses guerres à compter de 1667, dont
celles de la ligue d’Augsbourg et de la Succession
d’Espagne, sans compter que les luttes religieuses
allèrent en se durcissant durant son règne. Que
le théâtre de Racine s’intéresse à la politique, aux
guerres, à l’attrait du pouvoir n’étonne guère.
Je constate que les auteurs d’Andromaque 10-43
ont saisi l’importance de la dimension politique de
la tragédie et qu’ils ont eu raison de situer l’action
dans un contexte de guerre, de tension intense
entre les pays. Il leur restait à trouver comment
représenter aujourd’hui ce genre de situation,
surtout après la Guerre du Golfe et l’opération
hyper médiatisée nommée Tempête du désert.
Les auteurs d’Andromaque 10-43 situent les
personnages et l’action dans des atmosphères
que nous reconnaissons et ils choisissent d’utiliser
les techniques qui sont les nôtres : écrans,
Skype, Twitter, smartphones, réseaux sociaux ;
images et reportages en direct 24 heures sur 24 ;
mondialisation et immédiateté de l’information. Mais
aussi, leurs corollaires : espionnage, propagande,
€ Portrait équestre de Louis XIV Roi de
France par René-Antoine Houasse,
fin XVIIe siècle.
caméras de surveillance, écoute électronique.
Encore faut-il que l’utilisation de ces procédés
soit convaincante, car si l’actualisation d’une pièce
du répertoire peut en faciliter la réception, il est
préférable que les moyens mis en œuvre ne le
soient pas gratuitement.
D’entrée de jeu, disons que le texte de l’adaptation
est fidèle à l’original et que les technologies de
l’information et des communications sont surtout
présentes dans les descriptions des actions
physiques des personnages et des environnements
visuel et sonore. Les unités de temps, de lieu et
d’action, chères aux classiques, sont maintenues.
Les personnages principaux sont évidemment les
mêmes puisque tout dépend d’eux et des passions
qui les attachent les uns aux autres. Les deux
confidentes ne figurent plus dans la distribution
cependant, et elles sont « remplacées » par les
avatars qui peuplent les réseaux sociaux. Pylade,
fidèle ami d’Oreste, est visible sur écran seulement,
présent par communication vocale, texto ou
clavardage, et donc à distance. On voit Phoenix sur
Louis XIV et Vauban devant le siège de
Maastricht, 1673. Gravure d’Iollain, ca. 1675.
Andromaque 10-43 / page 27
DOSSIER
| Siège de Bagdad par les Mongols
conduits par Hulago Khan en 1258.
à leurs rencontres en face à face. Hermione et
Oreste, Pyrrhus et Andromaque sont là, et ils
en imposent. Quant à Astyanax, l’enfant otage,
il est parfois réellement et parfois virtuellement
présent, ce qui souligne le caractère incertain
de son existence.
Les caméras de surveillance sont très
intrusives, s’infiltrent jusque dans l’espace
privé des personnages, surtout d’Andromaque,
ce qui accentue sa condition de prisonnière
et peut donc augmenter son ressentiment à
l’endroit de Pyrrhus. Les émissions diffusées
écran, on entend aussi sa voix en off, ce qui accentue
sa fonction de gouverneur de Pyrrhus1. Ces mises
en mode virtuel des communications effectuées
par les personnages secondaires concordent avec
leurs rôles et fonctions dramatiques.
Les personnages principaux sont les seuls à être
physiquement présents, ce qui leur confère un grand
poids dramatique et ajoute beaucoup d’intensité vive
En général, le gouverneur est la personne qui a le pouvoir exécutif civil
ou militaire, ou les deux, d’une province, d’un État ou d’une colonie.
1
page 28 / Andromaque 10-43
 Avions de l’US Air force (F-16, F15), au-dessus de puits de pétrole du Koweït pendant
l’Opération Tempête du Désert, 1991, US Air
Force.
accélèrent le partage de l’information mais, tout
comme cela est le cas pour nous, bouleversent
celles et ceux qu’elles rejoignent au niveau de
la compréhension des phénomènes mais surtout
quant aux émotions éprouvées. C’est une des
caractéristiques de notre ère posthumaine où la
personne n’est finalement qu’un des rouages de la
mégamachine qui contrôle les liens sociaux tout
en les menaçant, voire en les détruisant.
Cependant, tout comme les images des guerres
d’Irak, de Syrie, d’Afghanistan et dans de nombreux
pays d’Afrique, ou encore celles des manifestations
parfois violentes en Égypte, en Ukraine et ailleurs
nous rendent plus sensibles aux difficultés des
personnes qui les vivent et les subissent, ici, ce
sont les techniques et les écrans omniprésents
qui pourront peut-être nous sensibiliser à ces
personnages dévorés par leurs passions, livrés
à leur destin, puissants mais tellement fragiles.
La mégamachine, l’accroissement des contrôles,
l’efficacité recherchée à tout prix nous rendront
peut-être plus réceptifs aux douleurs des
personnages et, par ricochet, empathiques aux êtres
humains aux prises avec des situations tragiques.
NOTRE SEULE CHANCE ?
Au final, cette actualisation d’Andromaque
est révélatrice des situations vécues par les
personnages, de leurs émotions et de leurs
passions. La dimension politique et le contexte
de guerre, sursoulignés par l’utilisation des
technologies, préservent le sens de l’œuvre de
Racine tout en l’ajustant très efficacement aux
réalités contemporaines.
Est-ce que ce nouveau texte forcera notre réflexion,
nous ramenant vers un nouvel humanisme
de résistance aux mégamachines ? Vers une
reconnaissance accrue du « sujet » et de l’humain ?
Vers une utilisation de plus en plus citoyenne et
engagée des réseaux sociaux ? Il faut le parier,
nous sommes du même univers et c’est notre
seule chance !
Hélène Beauchamp
Andromaque 10-43 / page 29
DOSSIER
Andromaque,
femme politique
Le mythe d’Andromaque a connu diverses versions
depuis l’Antiquité. En traversant l’épreuve du temps,
il continue, encore aujourd’hui, à révéler des secrets
nouveaux. Mais qui est Andromaque ? Que cachet-elle sous ses airs de veuve éplorée ?
Homère, dans L’Illiade au IXe siècle avant JésusChrist, présenta Hector faisant ses adieux à
Andromaque, une femme accablée par la tristesse
et le sort de leur fils Astyanax dont elle devient
l’unique responsable. Au Ve siècle avant JésusChrist, Euripide écrit une première version
d’Andromaque et en fit une femme stérile qui
s’oppose à Hermione, celle-ci ayant un enfant.
Dans sa pièce Les Troyennes, la représentation
d’Andromaque se rapproche de celle
qu’écrira Racine des siècles plus tard :
son attachement à Hector, son amour
pour Astyanax et sa crainte de rester
prisonnière de celui qui a détruit son
peuple, Pyrrhus, forment l’essence
du personnage. Racine s’inspire de
certains traits des versions d’Homère
et d’Euripide pour créer la sienne, mais
il se base également sur L’Énéide de
Virgile à la fois pour situer l’action de
sa pièce et pour l’action elle-même.
Les nombreuses sources possibles
lui permettent de puiser au cœur de la
fable afin de respecter le personnage
d’Andromaque – dont il fait mère – et
la fable tout en les amenant plus loin.
Il en va de même pour Astyanax qui,
selon la mythologie grecque, meurt en
page 30 / Andromaque 10-43
bas âge lancé du haut d’une tour. Les versions de
sa mort divergent : il aurait tantôt été arraché des
bras de sa nourrice par Pyrrhus pour être ensuite
projeté dans le vide, et les Grecs l’auraient tantôt
lancé par haine et désir de vengeance. Racine,
quant à lui, décide de le garder en vie dans sa
pièce pour souligner le dilemme moral et maternel
auquel Andromaque fait face, accentuant ainsi son
caractère tragique et sa vertu.
Mère et épouse
Certes, le mythe est déjà riche en lui-même,
mais Racine a réussi à lui donner encore plus de
puissance en combinant la passion fatale à des
€ Troie. Astyanax sur les genoux
d’Andromaque devant Hector.
© Jastrow, 2006
LE MYTHE SELON LES AUTEURS
DE L’ANTIQUITÉ
© Panoraminchen 2011
| Hector quittant Andromaque et Astyanax.
Parc du château de Moers.
enjeux politiques. Pyrrhus garde Andromaque
prisonnière, avec son fils Astyanax. Il en tombe
amoureux et, enivré par une passion brûlante
propose d’épouser Andromaque à une condition :
si elle accepte, il sauvera son fils ; si elle refuse,
il sera livré aux Grecs. Il ne s’agit donc plus d’un
amour ordinaire, mais d’un amour passionnel qui
se manifeste au cœur de conflits politiques déjà
ravageurs : la guerre sanglante, tout juste terminée,
entre l’Épire et Troie ainsi qu’une guerre imminente
entre l’Épire et la Grèce. Ce mélange donne donc à
voir des personnages qui évoluent dans une zone
de tensions grandissantes. À travers ces conflits
insurmontables, Racine a humanisé des mythes
en amplifiant leur portée tragique. L’Andromaque de Racine désire ardemment rester
fidèle à son défunt mari Hector. Elle porte en elle
toutes les souffrances causées par la guerre. Son
devoir et sa foi morale fondent son identité parce
qu’elle tient principalement à respecter son devoir
envers Hector en prenant soin de son fils Astyanax
et en honorant leur promesse amoureuse. En second
lieu, elle tient à demeurer loyale à son peuple et
à ceux qui le dirigeaient. Ainsi, la représentation
d’Andromaque se limite à son état de mère et de
veuve. Quant au dilemme d’Andromaque, il est
avant tout maternel, car elle s’inquiète davantage
de la survie de son fils que du sort des Troyens.
Puisqu’elle « est condamnée à perdre tout ce
qui la définit et tout ce qui fait son bonheur […]
Andromaque devient alors […] une victime des
méfaits de la guerre 1 ». Sa stature de femme
politique s’efface pour laisser place à l’épouse et
à la mère, ce qui paraissait plus fondamental au
classicisme, soulignant davantage le caractère
tragique de la femme qui perd tout ce qui lui reste
et offrant à Andromaque une dimension émotive
très forte.
RÉACTUALISER ANDROMAQUE
Écrite il y a plusieurs siècles sous l’influence de
divers auteurs antiques, cette pièce de Racine
peut-elle trouver une résonance dans notre
monde contemporain ? Certes, Racine a ajouté des
dimensions riches aux personnages en intensifiant
leur dimension humaine, mais il a également donné
à chacun une identité propre ainsi qu’une dimension
sociale qui ouvre la pièce sur le monde, garantissant
à la fable une résonance dans le monde actuel.
Mais si Racine a pu élever le personnage
d’Andromaque avec une telle puissance, comment
faire pour le porter plus loin sans détruire son
fondement ? Comment le sortir de la dramaturgie
racinienne tout en respectant son essence ? La
réactualisation de la compagnie Lézards Qui
Bougent place d’emblée l’univers d’Andromaque
dans le monde qui nous entoure, un monde
contemporain ravagé par la guerre. Une ambiance
de tensions politiques, inspirée des querelles que
nous connaissons aujourd’hui entre différents
« Andromaque de Racine, vraie fausse héroïne tragique ? » de Stéphane
Natan dans Neohelicon, 2013, vol. 40, p. 246.
1
Andromaque 10-43 / page 31
DOSSIER
peuples, caractérise la mise en scène et donne
un nouveau souffle au texte. C’est justement
là que la réactualisation opère : en intensifiant
considérablement la dimension politique, les
personnages prennent une tout autre forme.
La femme politique
Andromaque devient alors une femme politique bien
plus qu’une mère et qu’une épouse. Contrairement
à l’œuvre de Racine, la fonction maternelle
d’Andromaque est effacée au profit de la fonction
politique, car c’est avant tout l’avenir d’un peuple
qui est en jeu.
La façon dont son état de captive est présenté lui
donne une importance singulière. Les projections
€ Statue en marbre par José Vilches, 1853.
Madrid.
vidéo accentuent le cadre politique tout en mettant
en lumière le mécanisme du pouvoir. Sur les écrans,
dès le premier acte, on peut voir Andromaque
prisonnière dans sa chambre, pleurant son époux
et la survie incertaine de son fils. En la montrant
ainsi, elle est immédiatement présentée comme
une victime qui ne pourra pas survivre aux mains
de Pyrrhus ou, du moins, changer son sort.
Andromaque, confinée dans sa chambre que l’on
voit par la vidéo de surveillance, a perdu, avec sa
liberté, son intimité, ce qui accentue son état de
captive. Andromaque est la seule des Troyens à
pouvoir les sauver. Ce n’est donc pas uniquement
de la condition d’une femme dont il est question,
mais aussi de celle d’un peuple.
Le caractère politique du personnage est également
mis en évidence par la tension qui l’oppose à
Pyrrhus. La haine qu’Andromaque éprouve pour
lui se dévoile chaque fois qu’elle le voit ou qu’elle
prononce son nom. Elle n’en a pas seulement contre
lui, mais surtout contre ce qu’il représente : « tous
deux portent en eux l’ “ épaisse nuit ” du carnage
dont l’évocation empoisonne chacune de leur
rencontre et fixe leur destin 2 ». Ils se livrent des
dialogues acérés, voire violents. Sachant que
Pyrrhus a détruit les siens, Andromaque refuse de
plier : « Je ne serai point complice de ses crimes ».
Pyrrhus ne peut que lui répondre avec violence :
« Songez-y bien : il faut désormais que mon cœur,/
S’il n’aime avec transport, haïsse avec fureur. ».
© Selbymay 2012
Le dilemme d’Andromaque
page 32 / Andromaque 10-43
La hargne d’Andromaque serait-elle aussi viscérale
si Pyrrhus n’était pas épris d’elle ? Dès que les
premières images d’Andromaque sont projetées
sur les écrans, Pyrrhus paraît troublé. Cela se
confirmera plus tard lorsqu’il tentera de la séduire
alors qu’il a promis d’épouser Hermione. Devant la
rudesse d’Andromaque, il perd le contrôle et ne sait
« Racine : théâtre et émotion » de Sabine Gruffat dans Revue de théâtre
Coulisses, Presses universitaires de Franche-Comté, n˚ 42 (printemps
2011), p. 43.
2
© Marie-Lan Nguyen 2005
 Le corps d’Hector ramené à Troie, bas-relief sur sarcophage. Musée du Louvre.
plus où se ranger. Est-ce que l’amour de Pyrrhus,
mélangé à ce qu’il représente pour Andromaque,
alimenterait la haine de celle-ci ? Si sa haine n’est
pas motivée par l’amour de Pyrrhus, elle l’influence
à tel point qu’Andromaque finira par le manipuler
pour sauver la destinée de son peuple.
L’adaptation des Lézards Qui Bougent présente
le dilemme d’Andromaque qui, contrairement à la
version de Racine, concerne essentiellement la
politique. En sauvant son honneur, elle demeure
fidèle à son défunt mari Hector et sauve son fils.
Mais Andromaque sait que si elle se marie avec
Pyrrhus, elle salit la mémoire de son peuple. La
trahison politique dépasserait donc la trahison
amoureuse. Lorsqu’Andromaque s’apprête
finalement à épouser Pyrrhus, elle adresse un
discours à Astyanax et le termine en lui disant :
« Souviens-toi tous les jours des vertus de ton
père/ […] Tu es du sang d’Hector, mais tu en es
le reste ». Plus qu’une veuve ou qu’une mère,
Andromaque devient une femme politique tout à
fait consciente de son pouvoir, prête à tout pour
l’honneur de Troie.
À FEU ET À SANG Le contexte de guerre dans lequel est plongée
Andromaque alimente particulièrement son
caractère de femme de pouvoir. Prenant conscience
des rouages de la guerre, par le biais notamment
des caméras de surveillance qu’utilise Pyrrhus, elle
comprend parfaitement le mécanisme du système
politique qui tombe en pièces. L’univers médiatique
qui entoure tous les personnages finira par les
étouffer, car l’information foisonnante, au lieu de
leur communiquer les nouvelles d’un monde dévasté,
les entraînera dans le fracas de la guerre. Mais ce
ne sera pas celui des peuples qui s’haïssent, ce
sera plutôt le fracas des êtres qui ne se supportent
plus. Tout comme le monde dans lequel nous vivons,
Andromaque 10-43 présente le mécanisme de la
guerre qui n’en finit jamais. Incapable d’assouvir
son désir de vengeance, Andromaque embarque
Andromaque 10-43 / page 33
 Oreste et Hermione.
Andromaque 10-43.
© Nicolas Descoteaux
DOSSIER
dans l’engrenage politique, voire
guerrier, parce qu’elle a tout
perdu : son mari, la mémoire de
sa famille et la descendance de
son peuple. Une seule issue est
possible : la vengeance. Mais à
quel prix ? « En avançant masquée
et en sacrifiant sa légende pour
obtenir le triomphe politique de
Troie, Andromaque se doit de
renoncer à elle-même et aux valeurs héroïques.
Elle connaît mieux que quiconque le prix de la
guerre, et elle sait qu’au jeu de l’héroïsme et de
l’honneur il n’y a que des perdants3. »
Véronique Grondines
« Andromaque de Racine, vraie fausse héroïne tragique ? » de Stéphane
Natan dans Neohelicon, 2013, vol. 40, p. 258.
3
page 34 / Andromaque 10-43
 Pyrrhus et Hermione. Andromaque 10-43.
Andromaque :
La tragédie et la guerre
} Sacrifice de Polyxène
après la chute de Troie,
British Museum.
€ Priam tué par Pyrrhus, Louvre.
© Marie-Lan Nguyen 2007
Toujours inspiré par les Anciens, Jean Racine
situe ses grandes tragédies dans un contexte
de guerre, qu’elle soit au
premier plan ou qu’elle
forme la toile de fond du
conflit. Dans Britannicus,
l’empereur Néron est
tyrannique et sanguinaire
d’abord envers ses proches,
il l’est encore plus à l’égard
de son propre peuple. Son
pouvoir s’obtient par le
crime et la manipulation, il repose sur sa fourbe
habileté à monter les clans les uns contre les
autres. Dans Bérénice, Titus a conquis le cœur de
la reine de Palestine au moment où il soumettait
les Palestiniens dans des massacres d’un génocide
barbare. Bérénice payera le fort prix de cette
trahison envers les siens. Quant à la pièce
Andromaque, qui a pour sujet les conséquences
de la Guerre de Troie, la protagoniste et son fils
© Jastrow 2006
La tragédie se confond presque parfaitement avec
le thème de la guerre et de la catastrophe humaine.
Depuis ses débuts, la tragédie antique traite de
sujets qui débordent largement la sphère privée, elle
englobe les crises politiques, sociales et religieuses
de leur temps, dont les répercussions touchent
l’ensemble de la cité. L’Orestie d’Eschyle, seule
trilogie qui nous soit parvenue à peu près entière,
tire ses sources de la mythique Guerre de Troie,
qui a impliqué de gigantesques armées et une
multitude de divinités. De même, dans Macbeth,
Richard III, Roméo et Juliette, Shakespeare dépeint
comment, sur fond de guerre civile, la soif de
pouvoir, l’ambition démesurée, la passion aveugle
conduisent les personnages mais aussi leur famille
à leur anéantissement. Rodrigue, dans Le Cid de
Corneille, est hissé au rang de héros après avoir
conduit une fougueuse résistance contre les Maures
dans le port de Séville, dans une guerre acharnée
des Croisés contre les disciples de Mahomet.
Andromaque 10-43 / page 35
DOSSIER
sont un butin de guerre que les différents camps
s’arrachent.
Andromaque est la veuve d’Hector, tué au combat
par Achille. Au cours de la pièce, elle veut protéger
son fils Astyanax du vœu des Grecs de l’assassiner,
car ils craignent que la violence troyenne ne se
réincarne en lui. Pyrrhus cherche à gagner l’amour
d’Andromaque et promet même, en signe de
soumission, de faire renaître Troie de ses cendres
si elle consent à cet amour. Andromaque résiste
à ces avances par fidélité envers Hector, mais
aussi par respect pour la mémoire de son peuple
et de sa patrie, ruinés par la guerre. Andromaque
est une tragédie amoureuse que de nombreux
commentateurs ont résumée par une formule filée :
Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime
Andromaque qui aime Hector qui est décédé. Mais
l’amour chez Racine vient toujours accompagné
de préoccupations politiques qui aggravent les
tourments engendrés par de trop fortes passions.
RACINE ET LOUIS XIV
Racine n’a pas écrit que des tragédies basées sur
l’histoire (réelles ou mythiques), quelques thèmes et
personnages sont puisés également dans les textes
bibliques. Toutefois, à l’époque où il écrivait pour
le roi de France, l’histoire est considérée comme
un des genres les plus nobles ; elle avait toutes
les raisons de plaire à Louis XIV et à satisfaire
ses ambitions politiques. Quand Andromaque
est représentée pour la première fois à la Cour
française, en novembre 1667, Louis XIV, suite à la
mort de son influent ministre le cardinal Mazarin,
règne seul depuis 6 ans. La France est engagée
la même année dans la Guerre de Dévolution
contre l’Angleterre, la Suède et la Hollande. La
paix est rétablie l’année suivante, mais la guerre
reprendra de plus belle en 1672. En réalité, la France
sous Louis XIV est dans un état de guerre quasi
permanent, ce que reflète l’ensemble de l’œuvre
de Racine. En transposant, on pourrait dire que
Titus, que Pyrrhus, qu’Hippolyte (Phèdre) sont
des Louis XIV costumés en créatures de scène.
Le théâtre, il est vrai, permet un moment de détente
dans la vie politique du souverain français et de
son gouvernement. Il sert tout de même à glorifier
le roi dans ses multiples ambitions de conquête
militaire et d’expansion territoriale. Louis XIV
se plaît à se hisser jusqu’au glorieux sommet
des empereurs et rois d’encre et de papier. Dès
lors, la scène de théâtre, comme la peinture, la
€ Bataille de Turckheim, lithographie d’Émile Lemaître, XIXe siècle.
page 36 / Andromaque 10-43
| Pierre Mignard, Louis XIV à Maastricht, 1673.
Galerie Sabauda.
Même la comédie n’était pas en reste, puisque
Molière, comédien du roi, écrivait pour calmer
« les glorieuses fatigues » et célébrer « les exploits
victorieux de notre juste monarque » (préface au
Malade imaginaire). Versailles a eu sa scène, son
opéra ; ses jardins servaient de décor naturel à des
ballets où le roi lui-même montrait la jambe et, au
détour de quelque bosquet, au milieu d’une grotte,
un Apollon entouré de nymphes sculptées dans
le marbre portait les traits du souverain Bourbon.
LA GUERRE DE TROIE :
UN CONFLIT UNIVERSEL ET
INTEMPOREL
sculpture, l’architecture, la danse devient sous son
règne un outil de propagande, comme on dirait en
termes modernes. Déjà sous Louis XIII, les arts
commencent à bénéficier d’une politique culturelle
d’ensemble, comme le démontre la création des
académies et le développement d’un mécénat d’état
dont profitent les écrivains et les artistes. Le début du XVIIe siècle était traversé par un
courant artistique, qualifié plus tard de baroque,
qui reflétait l’état instable du monde qu’avaient
provoqué entre autre les guerres de religion. Peu
à peu un mouvement contraire émerge, inspiré
par des civilisations anciennes qui ont atteint
leur apogée à Athènes (Ve siècle avant J.-C.) et
à Rome (Ier siècle après J.-C.). Il s’est imposé en
France pour proposer des idées d’équilibre, de
clarté, d’harmonie, de grandeur. Ce nouveau type
de classicisme, qui a trouvé en France un terreau
des plus fertiles, avait l’avantage de servir une
politique de force et de puissance, et la tragédie
était le genre sérieux tout indiqué pour hisser
sur la scène théâtrale le roi au rang de héros
pouvant se mesurer aux divinités anciennes, ayant
hérité du destin de changer le cours de l’histoire.
La pièce se déroule à une époque reculée, après les
événements de la Guerre de Troie où Pyrrhus, roi
d’Épire, et ses alliés grecs ont triomphé après un
long siège sur la cité, qui a duré dix ans. Pour sceller
cette victoire, Pyrrhus doit épouser Hermione, fille
de Ménélas de Sparte, mais il le fait plus par devoir
que par amour. En réalité, il aime Andromaque
et veut épargner son fils Astyanax. Au nom des
Grecs, Oreste vient réclamer auprès de Pyrrhus
la tête du fils d’Hector, tombé au combat. Devant
le refus de Pyrrhus, Oreste promet d’assassiner
le roi d’Épire ; il commettra alors le pire crime
qui soit, un régicide. Ce geste irréversible plonge
l’assassin dans le malheur : Hermione qu’il aime
se suicide et la pièce se termine alors qu’il est en
proie à d’obsédantes hallucinations. Il doit fuir en
ennemi car il risque de se faire tuer à son tour.
Le roi Pyrrhus n’ayant pas eu de descendance,
est-ce le Troyen Astyanax qui régnera, secondé
par sa mère Andromaque ? On ne saura jamais
ce qui adviendra du royaume d’Épire, sinon qu’il
est plongé dans le chaos. Le cycle de la violence
peut se remettre en marche, la vengeance troyenne
est toute disposée à opérer. Racine ne propose
pas d’issue, pas de solution au conflit politique :
la guerre est une réalité permanente qui trouve
sa justification dans la démesure des humains
et elle se perpétue au-delà des générations, en
Andromaque 10-43 / page 37
DOSSIER
brouillant les frontières des lieux et du temps. Peuton avoir de l’espoir en un enfant qui a survécu à
la guerre comme un vengeur, comme un guerrier
en puissance ?
Parmi les grands mythes fondateurs de l’humanité,
on retrouve ceux qui relatent la création du monde,
qui racontent la généalogie des dieux ou encore
les voyages initiatiques. La Guerre de Troie a
ceci de particulier que le mythe a pour noyau
la destruction massive entre les hommes, dans
laquelle interviennent aussi de nombreuses
divinités. Elle nous a été rapportée surtout par
Homère et Virgile, et les trois tragédiens grecs
(Eschyle, Sophocle, Euripide) en ont repris divers
épisodes. Elle a pour déclencheur le rapt d’Hélène,
épouse de Ménélas, par le Troyen Pâris. Les Grecs
organisent une expédition punitive sur la ville
de Troie, assiègent la ville, avant de la prendre
grâce à une astuce guerrière (le légendaire cheval
qui cachait des soldats dans son ventre) et de
la saccager. C’est à ce moment qu’Hector est
tué, Andromaque et leur fils pris en captivité par
Pyrrhus comme butin de guerre.
Même si les événements datent du XIIe siècle avant
J.-C., ils relatent des phénomènes politiques et
guerriers qui appartiennent à toutes les époques.
C’est loin d’être une escarmouche entre des
clans ennemis occupant un même territoire. Son
influence est beaucoup plus vaste, et les distances
parcourues pour se rendre à Troie étaient énormes.
Cette ville était située dans l’actuelle Turquie, en
Asie Mineure, du côté oriental de la mer Égée,
alors que les villes grecques de Mycène, Sparte,
Buthrote, Athènes sont dans l’archipel grec à
l’ouest. Elles forment une coalition pour venger un
geste de trahison (Pâris avait d’abord séduit Hélène
avant de l’enlever par la force). Parallèlement, on
considère que Pyrrhus agit en traître vis-à-vis de
l’alliance grecque, puisqu’il garde captive la famille
d’Hector. L’amour de Pyrrhus pour Andromaque
est jugé assez coupable pour qu’Oreste le punisse
par la mort, car, dit-il au sujet d’Hector : « Son
nom seul fait frémir nos veuves et nos filles ».
} httpwww.marines.milunit 1stmar div Publishing
Images2006060614-memorial 2006.
Photo Tico 189
€ Forces roumaines en mission en Afghanistan, 2009.
page 38 / Andromaque 10-43
Mounser, 11 ans, témoin d’une fusillade devant son école
La fusillade a commencé. C’était le chaos. Tout le monde criait. Il y avait des balles et
du sang partout. Un garçon qui s’appelait Amdjad était debout à côté de moi. Il a été
touché à la tête. Au début, je n’ai pas réalisé qu’il était mort. Il est tombé en avant sur
les genoux, dans une position de prière. Ensuite, j’ai senti une douleur terrible. J’avais
été touché aussi, au cou.
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/09/26/les-enfants-syriens-temoins-des-atrocites-dela-guerre_1765698_3218.html
Hector a tué trop de Grecs pour qu’on accepte
que sa famille lui survive.
Si Pyrrhus refuse de livrer Astyanax aux Grecs,
c’est qu’il ne voit pas comment un enfant pourrait à
lui seul venger tout un peuple presque complètement
anéanti. Il juge que la guerre a été suffisamment
destructrice et regrette le passé glorieux d’une
ville qui ne pourra jamais renaître : « Je ne vois
que des tours que la cendre a couvertes / Un fleuve
teint de sang, des campagnes désertes », dira-t-il
de l’ancienne Ilion. Pyrrhus demande l’impossible
à Andromaque : qu’elle puisse oublier les morts et
lui ouvrir son cœur. Il est même prêt à épargner
Astyanax et à le placer seul sur le trône d’une
nouvelle Troie. Fidèle à son mari comme à son
peuple, Andromaque rappelle constamment les
images sanglantes de son passé dans des termes
les plus crus.
J’ai vu mon père mort et nos murs
embrasés ;
J’ai vu trancher les jours de ma famille
entière
Et mon époux sanglant traînant dans la
poussière.
Après avoir refusé de livrer Astyanax aux Grecs,
Pyrrhus fait volte-face. Même s’il dit le faire pour
se venger d’Andromaque, à Oreste il prétend plutôt
qu’il pose ce geste pour éviter de déclencher la
guerre à ses anciens alliés. Quant à l’assassinat
de Pyrrhus, Oreste l’accomplit pour prouver son
amour envers Hermione. En réalité, il n’était pas seul
à avoir porté le coup sur le roi d’Épire ; plusieurs
Grecs se sont précipités sur lui, donnant à cette
action une portée beaucoup plus politique.
ANDROMAQUE DANS
LE MONDE ACTUEL
Depuis les temps anciens, depuis l’époque
de Racine, la guerre a-t-elle tant changé ? La
proposition des Lézards Qui Bougent montre que
bien au contraire, rien n’a vraiment évolué, sauf
peut-être les moyens utilisés et les proportions
des conflits armés. On n’assiège plus les villes
pendant dix ans, on ne les envahit plus grâce à des
chevaux géants remplis de soldats. Mais on peut
les raser tout autant, entraînant dans ses ruines
un nombre incalculable de vies humaines. Les
responsables de ces guerres ont changé de nom,
tout comme celui des champs de bataille. C’était
Achille, Hector, Pyrrhus, c’est maintenant al Assad,
Poutine, Netanyahu. C’était Troie, l’Épire, Sparte,
Mycènes, c’est maintenant la Syrie, la Palestine,
Israël, l’Afghanistan. Les chefs d’état répondent
encore et toujours à un désir de pouvoir qui les
dépasse, ils justifient le nombre des victimes non
plus par la volonté des dieux, l’incontournable
destin, mais par les lois du marché mondial, par les
caprices du cours du pétrole, par la complexité des
alliances politiques qui font que toutes les grandes
nations du monde sont directement impliquées dans
la guerre. Qu’elle est une nécessité économique.
À côté de la langue française du XVIIe siècle qui a
Andromaque 10-43 / page 39
DOSSIER
gardé sa rigueur alexandrine, on entendra ici les
langues de notre monde moderne que les médias
internationaux transmettent en direct à travers
leurs chaînes d’information. La guerre s’étend
désormais sur toute la surface de la terre.
L’horreur de la guerre était dépeinte chez Euripide,
chez Racine par les mots. Elle prend une toute
autre dimension dans notre monde dominé par
l’image. L’image nous rapproche de la guerre,
qu’elle présente en direct, et elle la démultiplie,
augmentant à la fois notre anxiété profonde et
notre impuissance à comprendre et à changer le
cours des choses ; en effet, le spectacle quotidien
de la violence nous permet-il de distinguer les
enjeux de la guerre en Syrie, en Ukraine ou en
Iraq ? Là où Racine nous proposait d’entrer dans
la vie intime des Pyrrhus, Andromaque, Oreste,
Hermione et de saisir momentanément leur séisme
intérieur, Andromaque10-43 a recours à la technologie
moderne des médias et des réseaux comme autant
d’armes mises à la disposition des puissants, pour
montrer que nous sommes tous entraînés dans
les engrenages d’un vaste système politique aux
conséquences désastreuses pour l’humanité et
pour la suite du monde.
Philip Wickham
€ Discours d’Andromaque, dernière scène. Andromaque 10-43.
page 40 / Andromaque 10-43
Pour en savoir plus...
Sur Racine
Sur la guerre et sur la science
Annie Collognat-Barès, Racine / Euripide,
Andromaque, Pocket Classiques, 1992.
Céline Lafontaine, L’Empire cybernétique. Des
machines à penser à la pensée machine. Seuil, 2004.
Sabine Gruffat, « Racine : théâtre et émotion » dans
Revue de théâtre Coulisses, Presses universitaires de
Franche-Comté, n˚ 42 (printemps 2011).
Étienne Klein, Discours sur l’origine de l’univers,
Éditions Flammarion, coll. Champs/Sciences.
Marie-Florine Bruneau, Racine. Le jansénisme et la
modernité, Librairie José Corti, 1986.
Jovan Hristic, Réflexions sur la tragédie, Lausanne,
L’Âge d’Homme.
Stéphane Natan, « Andromaque de Racine, vraie
fausse héroïne tragique ? » dans Neohelicon, 2013,
vol. 40.
Jean Rohou, Jean Racine, Andromaque, Études
littéraires, PUF, 2000.
Michel Serres, Andromaque, veuve noire, L’Herne,
2012.
Au cinéma, plusieurs films évoquent la pièce,
notamment :
L’Amour fou de Jacques Rivette (1969), consacré
pour la moitié environ (soit deux heures) à des
répétitions d’Andromaque ;
Marquise de Véra Belmont (1997), biographie
romancée de sa créatrice, Mlle Du Parc ;
Troie de Wolfgang Petersen (2004), qui s’inspire à la
fois d’Homère et de Racine.
Publications du metteur en scène Kristian
Frédric
Andromaque 10-43, adaptation avec Lionel Chiuch
et François Douan d’Andromaque de Jean Racine,
Éditions de la Pleine Lune, Montréal, 2014.
We are not animals – Une trace laissée pour que
chacun se souvienne, Théâtre –Témoignages, Éditions
Lézards Qui Bougent, France, 2011.
À Feu et à Sang ou le désir brûlant, Théâtre –
Témoignages, Éditions de la Pleine Lune, Montréal,
2007.
Gérard Chaliand, Anthologie mondiale de la stratégie,
des origines au nucléaire, Robert Laffont, 1990.
Étienne Klein, Le Small Bang : des nanotechnologies,
Odile Jacob, Paris, 2011.
Arts visuels
Guernica de Picasso
http://fr.wikipedia.org/wiki/Guernica_(Picasso)
Cette toile monumentale est une dénonciation engagée
du bombardement de la ville de Guernica, qui venait de
se produire le 26 avril 1937, lors de la guerre d’Espagne,
ordonné par les nationalistes espagnols et exécuté par
des troupes allemandes nazies et fascistes italiennes.
Le tableau de Picasso, qui fut exposé dans de nombreux
pays entre 1937 et 1939, a joué un rôle important dans
l’intense propagande suscitée par ce bombardement et
par la guerre d’Espagne ; il a acquis ainsi rapidement une
grande renommée et une portée politique internationale,
devenant un symbole de la dénonciation de la violence
franquiste et fasciste, avant de se convertir en symbole
de l’horreur de la guerre en général.
Sculptures de Richard Serra
http://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Serra
Les sculptures de Richard Serra ont influencé la
conception du décor d’Andromaque 10-43.
Richard Serra, né le 2 novembre 1939 à San Francisco,
est un artiste d’art contemporain américain. Il est rattaché
au minimalisme et est connu pour ses sculptures en
métal. Il a également réalisé des films. Il vit et travaille
à New York et en Nouvelle-Écosse.
Ils crèvent les yeux aux colombes, adaptation avec
François Douan de La Lettre au Général Franco de
Fernando Arrabal, 1991.
Fragments de vie avec François Douan, Théâtre,
Éditions de L’Avant Scène / France, 1989.
Andromaque 10-43 / page 41
DOSSIER
POUR ALLER PLUS LOIN...
Comparez le personnage d’Andromaque à :
Phèdre, une autre héroïne tragique de Racine, qui
est un peu le contraire d’Andromaque. Infidèle,
elle est mariée à Thésée mais brûle de désir pour
Hippolyte, son beau-fils. Rongée par la culpabilité,
elle sombre peu à peu dans la folie.
Médée, l’héroïne tragique de Sénèque qui va tout
quitter par amour avant d’être trahie par Jason.
Antigone d’Anouilh, pour sa fierté et la contrainte
qui l’oppose à Créon.
L’argument qui tue : « Andromaque est
une tragédie de l’amour où chacun aime
un autre qui ne l’aime pas ».
La structure d’Andromaque est celle d’une chaîne
amoureuse à sens unique : Oreste aime Hermione,
qui veut plaire à Pyrrhus, qui aime Andromaque,
qui aime son mari Hector qui est mort. C’est un
cercle infernal. L’arrivée d’Oreste à la cour de
Pyrrhus marque le déclenchement d’une réaction
qui, de maille en maille, va faire exploser cette
chaîne. Écrire une courte histoire en s’inspirant
de cette structure.
Faut-il que Racine soit notre
contemporain ?
Le livre Shakespeare notre contemporain de Jan Kott
interprète Shakespeare à la lumière des expériences
philosophiques et politiques du XXe siècle, et en
puisant largement dans le souvenir des expériences
personnelles de Kott. L’auteur cherche à mettre
en parallèle Shakespeare avec Eugène Ionesco
et Samuel Beckett, mais ses intuitions les plus
brillantes proviennent du lien entre Shakespeare
et la vie quotidienne sous le totalitarisme. Il choisit
une approche tout à fait similaire dans sa lecture
de la tragédie grecque dans Manger les Dieux. Essai
sur la tragédie grecque et la modernité, Paris,
Payot, 1975.
page 42 / Andromaque 10-43
Un texte classique pour parler de notre
actualité et de la vie telle que nous la
connaissons
Pyrrhus. C’est un homme de pouvoir, de décisions
et un grand stratège. Grâce à des caméras de
surveillance, il peut suivre tout ce qui se passe
dans son Palais et s’immiscer ainsi dans l’intimité
des personnes qu’il veut observer. Y a-t-il ici vol
d’identité ? Ou annulation du « sujet », de l’individu
au profit de l’universel ? Y a-t-il transparence ou
opacité ?
Outils de « communication »
Cet étouffement sera accentué par le fait que, pour
échanger avec leurs confidents, les protagonistes
ne pourront le faire qu’à travers des outils de
communication électronique?
Comment vivre dans un environnement où il serait
impossible de voir et d’entendre une personne aimée
sauf par l’intermédiaire d’outils électroniques.
Huis-clos
Même s’ils ont l’air d’être libres de leurs déplacements, Pyrrhus, Oreste, Hermione, Andromaque et
Astyanax sont comme prisonniers d’un labyrinthe
dont ils ne peuvent s’échapper. S’agit-il alors d’un
huis-clos ?
Que penser du conseil d’Andromaque à
son fils Astyanax ?
Apprends à tout savoir des héros de ta race,
Autant que tu pourras, conduis-toi sur leur trace :
Saches par quels exploits leurs noms ont éclaté,
Plutôt ce qu’ils ont fait que ce qu’ils ont été ;
Souviens toi tous les jours des vertus de ton père ;
Et quelquefois aussi souviens-toi de ta mère.
Andromaque, Acte IV, scène 1, 2
Définir les mots puissance, domination,
contrôle et mettre en vis à vis la
définition du mot humanisme.
Je
n’y
suis
plus
©Juan Carlos Jamous
Qui est ce
©Marianne Duval
Salle Fred-Barry
En
Godot
attendant
Salle fred-barry / page 43
L’ÉQUIPE ET LA COMPAGNIE
JE N’Y SUIS PLUS
De Marie-Claude Verdier
Mise en scène : Magali Lemèle et Louise Naubert
Une coproduction de Magali Lemèle, du Théâtre Français du CNA et Créations In Vivo
présentée par le Théâtre Denise-Pelletier
Salle Fred-Barry
Les 17, 18 et 19 septembre 2014
Concepteurs
et collaborateurs artistiques
LA COMPAGNIE
Créations In Vivo
Environnement sonore
.........................................Jean-Sébastien Dallaire
Scénographie et costumes
.............................................. Gabriel Tsampalieros
Éclairages.......................................Michael Brunet
Régie....................................................Alain Lauzon
Direction technique.................... Caroline Ferland
Créations In Vivo, fondée en 2008, est une
compagnie durable et incontournable dans le
domaine de l’intégration pluridisciplinaire. Son
expertise s’est développée au moment où ses
artistes ont intégré dans leurs productions les arts
du cirque, la musique, la danse contemporaine,
la technologie et le patrimoine oral. En parallèle,
ils ont développé des activités de formation
pour la jeunesse et les artistes émergents. Plus
d’une quinzaine d’artistes ainsi formés utilisent
maintenant ces expertises professionnellement
avec d’autres organismes.
Créations In Vivo est un organisme artistique
voué à la création théâtrale incorporant in vivo –
naturellement – d’autres arts de la scène tels que
le chant, la danse et les arts du cirque. Sachant
mettre à l’honneur les talents multiples des artistes
avec qui elle travaille, Créations In Vivo s’assure
également de diffuser ses œuvres dans l’ensemble
du Canada contribuant ainsi à la vitalité culturelle
francophone.
http://creationsinvivo.com/wordpress/
page 44 / Je n'y suis plus
LA PIÈCE Ariane, une jeune femme, perd ses repères,
s’enferme dans sa propre prison ; les cupcakes
de la patronne ne suffisent plus : c’est l’implosion.
Un Big Bang intérieur. Alors que l’ordinaire bascule,
elle se raconte, se demande qui elle est au milieu
de ce monde implacable et aliénant. Le temps
s’interrompt. La matière se suspend. Le spectacle
met à nu la mécanique du quotidien et sa dérive :
dérive du monde du travail et de la bureaucratie,
dérive des rapports humains.
dimension au monde que nous cherchions à créer.
De la rencontre des mots, des sons et des voix,
le personnage d’Ariane a émergé, rempli d’une
urgence qui déborde, d’une parole qui s’échappe,
d’une affirmation qui se forme.
Quelle est son identité au milieu de cet
environnement implacable et aliénant ? Rien n’est
jamais fini parce que rien ne commence
Accompagnée sur scène d’un musicien qui lui donne
rythmiquement la réplique, la comédienne offre
une création, à la frontière entre le monologue,
le théâtre performance et le slam.
Le récit de Je n’y suis plus s’est construit dans un
va-et-vient entre des histoires du quotidien sur
la brutalité de la routine, le souffle de l’actrice
Magali Lemèle et le rythme des objets de JeanSébastien Dallaire. Se sont ensuite joints Gabriel,
Louise, Michael et Alain pour ajouter une troisième
€ Cold Dark Matter. An Exploded View,
Cornelia Parker, 1991. L’oeuvre qui a inspiré
son texte à Marie-Claude Verdier.
RENCONTRE AVEC MARIE-CLAUDE VERDIER,
AUTEURE ET JEAN-SÉBASTIEN DALLAIRE, CONCEPTEUR SONORE
© Julie Artacho
Marie-Claude Verdier fait ses premiers pas en écriture théâtrale
lorsque son conte « Paradise.com » est sélectionné par le Théâtre
Le Clou pour Les Zurbains III (1999). Le texte est publié dans Jamais
de la Vie, éditions du Passage (2001) et dans Les Zurbains en série,
Dramaturges Éditeurs (2005). Elle a poursuivi son parcours à l’École
supérieure de théâtre de l’UQÀM en critique et dramaturgie et a
fait une maîtrise sur la dramaturgie des musées à l’Université de
Glasgow (Écosse), ce qui lui donne l’opportunité d’être dramaturg
sur la production Knives in Hens au TAG Theatre de Glasgow.
~ Marie-Claude Verdier
En 2011, elle présente à l’Espace René-Provost (Gatineau) le
projet Implosion (qui deviendra Je n’y suis plus). Elle a travaillé au
Théâtre français du CNA comme coordonnatrice du volet Enfance/
Je n'y suis plus / page 45
jeunesse et au Centre des auteurs dramatiques comme conseillère
à la mise en valeur du répertoire. À l’automne 2013, Je n’y suis plus,
a été créée au Théâtre français du Centre national des Arts et dans
le cadre de la biennale Zones Théâtrales.
© Magali Lemèle
Jean-Sébastien Dallaire a fait ses débuts sur la scène musicale
professionnelle en 1994 avec le groupe de rock alternatif STUM. De
1995 à 1997, le groupe est très actif sur la scène alternative à Montréal
et en Outaouais, réalise deux albums et produit un vidéoclip. En
1998, Jean-Sébastien gagne le prix du public à Cégeps en spectacle
avec BAM et, en 1999, le 2e prix au niveau national du Concours de
la Relève de l’humour Juste pour Rire. La production Le Spectacle
des barils bleus est présentée en Europe, en Asie, en Afrique et en
Nouvelle-Zélande. En 2006, BAM présente sa nouvelle production ~ Jean-Sébastien Dallaire
eXplosion au Showcase 2006 à Philadelphie.
Depuis, Jean-Sébastien est en charge de la création, de la production et de la gestion des tournées
pour BAM Percussion Inc. Il est aussi comédien/percussionniste au sein de ce groupe. En 2010,
avec l’aide de Magali Lemèle, il présente A!, son premier spectacle solo, combinant théâtre, humour,
performance physique, musique et percussion. On l’a aussi entendu sur la scène théâtrale outaouaise
lors de sa participation à Nacre C (Théâtre du Trillium) et Gino (Théâtre Dérives Urbaines).
Le processus d’écriture de Je n’y suis plus Ce qu’il faut retenir du processus de création
de Je n’y suis plus, c’est que le spectacle a été
écrit conjointement par Marie-Claude Verdier,
Jean-Sébastien Dallaire et Magali Lemèle. Le
texte est de Marie-Claude, mais les sons, les
ambiances, l’interprétation et la façon d’occuper
la scène relèvent aussi d’une écriture, scénique
celle-là, effectuée par Jean-Sébastien et Magali.
Il faut retenir aussi que le texte n’a pas été figé
par l’auteure, pour ensuite être mis en scène et
finalement mis en musique. Tout a été fait en
simultané, ou presque. Pour arriver à un tel travail
collectif, chacun doit avoir sa spécialité, son rôle
bien précis, mais aussi être à l’écoute des autres,
prêt à se questionner sur la pertinence de ses
propositions, toujours au service du spectacle,
et c’est précisément ce qui s’est passé entre les
trois créateurs de Je n’y suis plus.
page 46 / Je n'y suis plus
Le déroulement d’une session de travail : Magali
et Jean-Sébastien travaillaient sur les ambiances
musicales et sur la mise en scène pendant la
journée, et Magali écrivait à Marie-Claude en soirée
pour lui faire part de certaines modifications à
apporter au texte travaillé, par exemple le rythme,
pour que certains mots s’harmonisent mieux avec
l’ambiance musicale que Jean-Sébastien venait
de créer. Parfois c’était une question de syllabes
à rajouter, à enlever. Parfois aussi le texte, après
avoir été répété, essayé dans l’espace, était
soumis à des questions telles que : « Pourquoi, à
ce moment-là, le personnage dit-il ça ? ». MarieClaude retravaillait ensuite certains tableaux, en
écrivait de nouveaux, et envoyait le tout à JeanSébastien et Magali qui, le lendemain, faisaient la
lecture du texte remanié, choisissaient le tableau
sur lequel ils avaient particulièrement envie de
travailler et recommençaient à créer la mise en
espace et l’environnement sonore.
Ce qu’il y a de particulier avec ce dialogue continu
entre l’actrice-metteure en scène, le musicien et
l’auteure, c’est que le texte peut être constamment
modifié, un peu comme un costume qui serait porté
par un comédien pendant les répétitions, et sur
lequel des retouches seraient apposées au fil des
exigences de la mise en scène. Le texte s’est donc
transformé de répétitions en laboratoires. JeanSébastien salue d’ailleurs la grande ouverture
dont a fait preuve Marie-Claude en acceptant de
modifier son texte en cours de répétitions.
La création de l’environnement sonore
© Marianne Duval
On comprend que le musicien JeanSébastien Dallaire se décrive comme un
« patenteux » lorsqu’on apprend comment il s’y
est pris pour créer l’environnement sonore de
Je n’y suis plus. Ses « instruments » sont en fait
majoritairement des objets hétéroclites tels un
morceau de fibre de verre, une mini boîte à musique
et une navette spatiale jouet ! Le lien de tous ces
objets entre eux ? C’est justement qu’ils n’en ont
aucun ! Il manipule ces objets de différentes façons
et enregistre les sons produits à l’aide d’un micro.
Parfois aussi, c’est du micro même que le son
provient. Il le gratte, le frappe, l’écrase. Pour créer
chacune des ambiances qu’on retrouve dans les
différents tableaux du spectacle, Jean-Sébastien
est souvent parti d’une idée que lui inspirait le
texte. Par exemple, pour celui qui s’intitule « Les
bruits de la maison », Jean-Sébastien s’est inspiré
de différents sons et craquements qu’on entend
dans une maison. Une fois le concept et l’ambiance
trouvés pour chacune des scènes, Jean-Sébastien
est parti à la recherche de ce qui rendrait le mieux
le son qu’il cherchait, d’où l’utilisation de certains
objets hétéroclites. Par ailleurs, le musicien ne
s’est pas privé d’utiliser de vrais instruments,
toujours dans sa quête de trouver le meilleur son
pour rendre l’ambiance qu’il avait en tête. Ainsi, au
milieu du bazar de Jean-Sébastien se trouvent une
Je n'y suis plus / page 47
grosse caisse et un tom basse, deux instruments
qu’on retrouve habituellement dans une batterie.
Manipuler les instruments :
une véritable chorégraphie
Une première partie du travail a été de créer
l’environnement sonore du spectacle, la seconde
a été de l’interpréter. Dans Je n’y suis plus, la
manipulation des objets et instruments par JeanSébastien s’apparente à une véritable chorégraphie.
En effet, il doit dans un premier temps mesurer
tous ses gestes afin de ne pas en faire d’inutiles
qui attireraient l’attention du spectateur au mauvais
moment, par exemple en plein milieu d’un passage
dramatique. Il doit être en économie de mouvements,
éviter les gestes parasites. Tout est donc calculé
à la seconde près : par exemple, même si JeanSébastien a terminé d’utiliser un objet, il ne va pas
nécessairement le déposer tout de suite pour ne
pas attirer sur lui le regard du spectateur.
© Marianne Duval
L’autre raison pour laquelle les gestes de JeanSébastien, ainsi que ceux de Magali, sont très précis
est que Jean-Sébastien enregistre les sons en
direct pendant le spectacle. Au début d’un tableau,
il produit le son qui servira de base musicale au
texte et il l’enregistre à l’aide d’un micro. Ce son
sera ensuite joué en boucle, transformé, modifié
ou superposé à un autre son, et ce tout au long du
tableau. Ainsi, tout est planifié : les pauses de la
comédienne dans le texte pour laisser place à un
son, les moments où Jean-Sébastien enregistre
la musique ou le temps des déplacements.
page 48 / Je n'y suis plus
Contrairement à un musicien classique, JeanSébastien n’utilise pas de partition. Sa partition,
c’est le texte. Tout au long du spectacle, il l’a
sous les yeux. On n’y trouve pas des notes de
musique, mais bien des flèches vis-à-vis de certains
mots avec des indications comme : « préparer
navette ». Quant à savoir quel son, à quel rythme,
de quelle durée, ce n’est consigné nulle part : il
© Marianne Duval
doit simplement s’en rappeler. Évidemment, de
soir en soir, les tempos varient toujours un peu,
la musique respire, tout dépendant du public et
de la comédienne. Jean-Sébastien suit Magali,
l’appuie, met en relief certains mots, certaines
pauses, certains accents. Le musicien accompagne
le spectacle de sa musique en direct.
Positionnement des deux interprètes sur
scène
Une fois la musique composée, il y a bien sûr eu
le questionnement du positionnement physique
du musicien en scène. Est-ce qu’on le voit ou
pas ? Si on décide de le placer sur scène, qu’on
le voit manipuler les objets en direct, il ne faut pas
que ce soit dérangeant. Il y a eu de nombreuses
discussions là-dessus, il a même été question qu’il
soit carrément hors scène, en coulisses. JeanSébastien était en désaccord avec l’idée parce
qu’à ce moment-là le public perdait complètement
l’essence de son travail, c’aurait (presque) été
comme de préenregistrer la musique. Il partage
donc la scène avec la comédienne, ce qui se justifie
amplement étant donné que la musique et le jeu
ne font qu’un dans le spectacle. Par rapport à sa
position exacte, il est à la droite de la comédienne,
là où il était placé dès le premier laboratoire, Magali
étant habituée d’avoir le son à sa droite. Pour le
public, le fait de voir la musique jouée en direct
confère plus qu’un seul niveau d’interprétation au
spectacle. Jean-Sébastien s’imagine qu’il est le
petit frère d’Ariane, qu’il trouve son journal intime,
qu’il aime le texte et se dit : « ça ferait une bonne
pièce de théâtre ». Et il décide qu’en le lisant, il
va en faire le bruitage en direct.
À la rencontre du public
Pour Jean-Sébastien Dallaire, le texte de Je n’y suis
plus est universel, tout le monde peut s’identifier
aux problèmes d’Ariane : un job qu’on n’aime pas,
des amis qui ne sont pas des amis. L’histoire se
termine sur une note positive ce qui était important
pour les créateurs. Peut-être que le spectacle
va inspirer les adolescents à faire des choix sur
leur avenir, ce qu’ils souhaitent, ne souhaitent
pas dans leur vie.
Pour ce qui est de Marie-Claude Verdier, elle
souhaite montrer d’autres réalités au théâtre, ne
pas écrire un théâtre qui soit le miroir de la réalité
des spectateurs. Le personnage d’Ariane est un
peu plus vieux que les adolescents qui fréquentent
le Théâtre Denise-Pelletier, mais elle se rebelle,
a beaucoup d’humour, porte un regard décalé sur
Je n'y suis plus / page 49
Et parce que le sentiment de trop-plein d’Ariane
est universel, Je n’y suis plus sera traduite en
anglais par Alexis Diamond et présentée en lecture
publique en octobre 2014. Une nouvelle aventure
pour ce texte lié intimement au jeu et à la musique
qui amorcera maintenant un voyage en solo.
Propos recueillis et mis en forme
par Émilie Jobin
© Marianne Duval
son environnement de travail, peut-être le même
regard décalé que certains adolescents portent sur
l’autorité, sur les parents, les enseignants. En ce
qui concerne le jeu, c’est un spectacle très frontal,
Marie-Claude voulant s’adresser directement au
public, lui faire réaliser qu’il est devant une pièce de
théâtre, et dans la même pièce que la comédienne
et le musicien. Elle veut que les spectateurs se
sentent impliqués. Elle pense aussi que la pièce
permettra aux adolescents d’être plus critiques
envers le monde de l’emploi, qu’elle leur montrera
que dans le monde du travail, il y a des normes
sociales qu’on ne saisit qu’une fois qu’on est
sorti de l’école.
page 50 / Je n'y suis plus
L’ÉQUIPE ET LA COMPAGNIE
QUI EST CE IONESCO ?
De Richard Letendre
Mise en scène : Thérèse Perreault
Une production du Théâtre Effet V en codiffusion avec le Théâtre Denise-Pelletier
Salle Fred-Barry
Du 1er au 18 octobre 2014
Interprètes
Lori Hazine Poisson
Richard Letendre
Aliona Munteanu
Concepteurs
et collaborateurs artistiques
Décors et costumes.............Lori Hazine Poisson
Musique / environnement sonore
........................................... Jean-Michel Rousseau
Régie..............................................Federico Blanch
LA COMPAGNIE
Théâtre Effet V
Pour Effet V, le théâtre est un espace privilégié
où se réfléchit la condition humaine. Son désir
est de s’inscrire dans le paysage théâtral en
trouvant une place qui lui soit propre. La compagnie
développe dans son travail, des rapports basés
sur la connivence, l’échange de savoirs et de
connaissances et elle vit la diversité de façon
intégrée. Chaque production est une expérience
qui offre de découvrir des ressources pour enrichir
et approfondir ses façons d’être.
C’est au fil des rencontres, ou sur des coups de
cœur que se dessine le trajet singulier d’une
programmation libre, sans rien céder à la rigueur
de la démarche artistique ni à celle du travail.
La compagnie compte plus d’une vingtaine de
spectacles à son actif.
Toujours passionnée dans sa recherche de moyens
d’expression et de réalisation autonomes et
appropriés, Effet V, implantée dans Villeray en
2009, a aménagé un laboratoire de 25 places, à
la boutique Rubans Boutons….
Qui est ce Ionesco ? est la quatrième production
élaborée dans ce contexte. En 2013 Effet V a
construit le Lab Mobile, qui permet une sortie
des spectacles aux dimensions de la création et
de partir à la rencontre de l’autre.
http://effetvinc.blogspot.ca/
qui est ce ionesco ? / page 51
} Eugène Ionesco. 1993.
LA PIÈCE
Théâtre dans le théâtre où l’on retrouve avec
bonheur ce qui caractérise si bien l’œuvre
d’Ionesco : dérision du quotidien, dérèglement du
langage, prolifération de mots, d’objets, mécanique
des gestes, obsession de la mort et nostalgie des
paradis perdus. L’enquête devient une véritable
quête de sens, et l’inspecteur subira lui-même le
sort dévolu à chacun des personnages, celui d’être
confronté au tragique de la condition humaine.
© Gorupdebesanez
Qui est ce Ionesco ? est une pièce-hommage au
grand dramaturge Eugène Ionesco, écrivain français
d’origine roumaine. L’inspecteur Mallot, avec un
T à la fin, (nom inspiré de la pièce Victimes du
devoir) ouvre une enquête sur le père du théâtre de
l’absurde. Il traverse les pièces les plus connues,
les plus marquantes d’Ionesco, interroge les
personnages qu’il croise pour connaître l’homme
à travers son œuvre.
Qui est ce Ionesco ? ne donne pas de réponse,
n’impose aucune conclusion. Tout reste ouvert, ou
se referme en boucle. Même si on rit, le comique
n’en est pas moins effrayant.
La pièce nous permet de découvrir ou de redécouvrir
une œuvre majeure, résolument contemporaine.
ENTRETIEN AVEC RICHARD LETENDRE, AUTEUR
© Effet V
Richard Letendre fait ses débuts au Théâtre du Chiendent, s’inscrit
à l’UQÀM en 1982 et, après avoir complété son baccalauréat en
jeu, co-anime l’émission Café-show à CFER-TV de Rimouski dont
il rédige et interprète les capsules d’humour. De retour à Montréal,
il plonge dans l’univers des soirées « meurtres et mystères » et
écrit les scénarios de Une ombre au tableau, Victime de la mode et
La Croisière divague. Il se consacre aussi à l’animation corporative,
rédige des scènes humoristiques pour différents clients.
Cordes raides sera son premier spectacle solo, suivi de Le Fou du
bouton, deux spectacles produits par le Théâtre Effet V. En 2011,
c’est la création de Qui est ce Ionesco ? qui participe au F.A.I.T. de ~ Richard Letendre
L’Assomption (2013). Traduite en roumain, la pièce est jouée au
Théâtre Davila de Pitesti en Roumanie par une distribution roumaine et paraît aux Éditions NEMESIS
(2014) dans sa version bilingue français/roumain pour souligner le vingtième anniversaire de la
mort d’Eugène Ionesco.
page 52 / qui est ce ionesco ?
| Publication. Éditions Nemesis, Montréal, 2014.
J’ai alors commencé à écrire des monologues et
des dialogues post-ionesciens qui évoquaient
ses grands thèmes : le temps, l’attente, la mort,
la déconstruction du langage… Les sketches se
multipliaient, proliféraient même, mais il manquait
la ligne dramatique. Puis, j’ai pensé : « J’ai écrit
beaucoup de meurtres et mystères. Ma force, c’est
l’enquête ». D’ailleurs, Ionesco disait que « Toute
bonne pièce de théâtre est une enquête policière ».
Il y a un enquêteur dans Victimes du devoir qui
cherche un dénommé Mallot avec-un-t-à-la-fin.
Voilà, ce sera le policier qui cherche non pas un
coupable, mais un auteur.
D’où vous est venue l’idée d’écrire une pièce
sur Ionesco ?
J’ai d’abord connu Ionesco à travers des artistes
qu’il a influencés, et qui m’ont influencé à mon
tour : Devos, Sol, même Claude Meunier de La
Petite Vie, ces auteurs qui aiment les mots. Je
suis remonté à la source de leur inspiration. J’ai
lu tout son théâtre, puis les essais, pour finalement
m’attaquer à la biographie. C’est là que l’idée
de la pièce a germé : faire connaître l’homme à
travers son œuvre, jouer la vie d’Ionesco dans
l’œuvre d’Ionesco. Un personnage de la pièce
dit : « L’œuvre de Ionesco n’est pas sa vie, mais
c’est sa vie qui lui a fait écrire son œuvre ». On se
questionne encore sur Shakespeare ou Molière,
pourquoi pas sur Ionesco ? Cette passion-là, je ne
suis certainement pas le seul à la vivre. En tout
cas, je veux la partager.
Vous faites allusion à près d’une quinzaine
de pièces d’Ionesco. Est-il nécessaire de
connaître son œuvre pour apprécier la
pièce ?
Surtout pas. Les questions posées dans ma pièce
sont des questions existentielles, celles que tout
le monde se pose, sur l’influence de la famille,
Quel a été le fil conducteur pour pénétrer
dans son univers foisonnant ?
© Carlos Jamous
Une des choses qui m’a frappé, c’est que plusieurs
de ses pièces se terminent de façon abrupte. « Le
roi est mort » dans Le Roi se meurt. « Je ne capitule
pas » dans Rhinocéros. Mais après ? Comment vivent
les deux reines veuves ? Qu’arrive-t-il à Bérenger ?
qui est ce ionesco ? / page 53
l’identité, l’angoisse de vivre, la mort… Peu importe
qu’il s’agisse d’un dramaturge ou d’un peintre. Le
spectateur qui connaît Ionesco appréciera tous les
petits et grands clins d’œil aux œuvres ; celui qui
ne le connaît pas pourra le découvrir. Si, après
avoir vu la pièce, le spectateur a envie de lire ou
de relire Ionesco, c’est mission accomplie. Des
gens m’ont dit : « Ionesco m’a toujours fait peur.
Vous m’avez donné le goût de le lire ». Rien ne
peut me faire plus plaisir.
Vous avez repris des traits du style
d’Ionesco, sans toutefois l’imiter
servilement. Qu’est-ce qui appartient en
propre à Richard Letendre ?
Je me suis imprégné de son esthétique théâtrale
et, par la force des choses, j’ai repris plusieurs
procédés ionesciens. Disons que ma vision du
langage, et du monde probablement, est plus
ludique que tragique. Chez Ionesco, les mots
prolifèrent comme les objets, ou ils sont répétés
jusqu’à ce qu’ils perdent leur sens, jusqu’à
l’incommunicabilité, jusqu’à l’absurde. Moi, j’aime
jouer avec les mots comme d’autres jouent avec
de la pâte à modeler ; j’aime surprendre, cultiver
l’équivoque, faire surgir un sens inattendu ou
insolite par les homophonies ou les parentés de
sons. Je me décrirais modestement comme une
sorte de « patenteux » du langage.
L’aventure de Qui est ce Ionesco ? s’est
poursuivie jusqu’en Roumanie…
J’ai eu une triple chance. D’abord, d’avoir été
traduit. Cela a permis de tisser des liens avec
la communauté roumaine de Montréal. Ensuite,
de m’être rendu en Roumanie et d’avoir assisté
à la représentation de ma pièce adaptée par le
metteur en scène Bogdan Cioaba. J’avoue que
j’ai rarement été aussi ému au théâtre. Ici, au
Québec, la pièce a été jouée une soixantaine de
fois sans recevoir beaucoup d’échos. Je passe huit
jours en Roumanie, on m’invite à la télévision, à
la radio, on parle de la pièce dans le journal, elle
gagne un prix. Je suis probablement plus connu
à titre d’auteur en Roumanie qu’au Québec. J’en
suis assez fier.
© Photo Effet V
ENTRETIEN AVEC THÉRÈSE PERREAULT, METTEURE EN SCÈNE
page 54 / qui est ce ionesco ?
Thérèse Perreault a joué sur la scène du Théâtre du Nouveau
Monde, de La Licorne et à la télévision, entre autres dans La
Galère, Les Boys, Les Invincibles, Un homme mort, Les Poupées
russes, Bouscotte, La Boîte à Lunch et, en 2013, dans La Vie
parfaite à Radio-Canada. Elle a prêté sa voix à l’émission PassePartout. Elle participe régulièrement aux Grands Reportages sur
les ondes de RDI. Qui est ce Ionesco ? est sa troisième mise en
scène professionnelle.
| Thérèse Perreault
© Dragos Samoila
Vous êtes comédienne. Qu’est-ce qui, dans
la pièce de Richard Letendre, vous a incitée
à faire le saut vers la mise en scène ?
C’est le sujet, le désir de me pencher sur Ionesco,
l’homme et l’œuvre, et de transmettre la passion
d’un auteur québécois pour ce grand dramaturge,
et ce dans le contexte du théâtre laboratoire
Effet V, qui met l’accent sur le travail d’équipe et
l’expérimentation.
fallait aussi éviter le didactisme. Dans la pièce, par
exemple, on donne de l’information biographique
ce qui, en soi, est peu théâtral. J’ai repris un
procédé du théâtre d’Ionesco qui me fascinait :
le décalage ou la contradiction entre la situation
et le dialogue, comme dans l’interrogatoire de la
Bonne inspiré de La Leçon. Il s’agit de maintenir
la théâtralité dans l’information même.
Comment s’est déroulé le travail de création
et de mise en scène ?
« Nous sommes dans un tout petit
théâtre », dit un personnage au début de la
pièce. L’espace scénique est effectivement
exigu. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
L’auteur nous a d’abord soumis sa pièce, qu’il a
retravaillée en tenant compte de nos commentaires.
Au moment où nous avons commencé à répéter,
la pièce était déjà très, très solide. Tout le monde
a participé de manière très créative au processus.
Rien n’était décidé une fois pour toutes et à l’avance.
Et comme l’auteur joue dans sa propre pièce,
nous pouvions apporter des modifications avec
son consentement. À titre de metteure en scène,
il fallait que j’impose un rythme pour l’ensemble
et pour chaque tableau, et que je le fasse passer
dans le jeu des acteurs. Le temps est important en
théâtre de l’absurde, et je voulais le faire sentir, qu’il
s’étire en longueur ou s’accélère de manière folle. Il
Le lieu s’est imposé de lui-même. Le spectacle a
été créé dans un tout petit théâtre de 25 places, qui
loge dans une boutique de rubans et de boutons.
D’entrée de jeu, nous avons donc opté pour un
théâtre minimaliste, qui sollicite l’imagination
de tous, artistes et spectateurs. Quand la pièce
commence, la représentation est terminée, le
public, parti. Les comédiens continuent à vivre
et se posent des questions sur leur identité et
sur celle de « l’auteur qui les a fait naître ». C’est,
littéralement, le théâtre dans le théâtre. On sait que
le Guignol a marqué Ionesco. Il est évident que
la scénographie rappelle le castelet. Nous avons
même pensé utiliser des marionnettes, mais nous
qui est ce ionesco ? / page 55
avons plutôt choisi le théâtre d’objets. Pour nous,
c’est l’écrin dans lequel l’œuvre est née et nous
l’avons conservé pour la salle Fred-Barry.
Le jeune compositeur Jean-Michel Rousseau
a aussi participé de manière très étroite à
l’élaboration du spectacle.
Cela a dû poser des défis considérables ?
C’est ce que nous souhaitions dès le départ. La
composition de la bande sonore et de la musique
est le travail de maîtrise de Jean-Michel qui a
étudié avec la grande compositrice contemporaine
Ana Sokolovic. Nous avons découvert un musicien
extraordinaire. Je lui parlais en termes d’émotion
et de théâtre, je lui proposais un univers, et il me
répondait la semaine suivante en musique. Je me
demandais par exemple comment représenter la
montée de l’angoisse, tellement présente chez
Ionesco, par le passage d’un rhinocéros. Je ne
voulais surtout pas un barrissement, trop littéral.
Jean-Michel a proposé un air de violon vraiment
oppressant, et on entend passer les rhinocéros !
© Carlos Jamous
Je me suis servie de la contrainte pour créer. Plus
le filet est tissé serré, plus je trouve ma liberté
entre les mailles. J’ai placé les comédiens dans
un cadre très strict, à l’intérieur duquel ils ont
pu s’éclater. Je ne les ai jamais sentis étouffés.
Chacun a pris son espace dans la boîte. Nous avons
défini le lieu où se déroulait chaque scène, puis
nous nous sommes servis de notre imagination
pour l’amener à l’échelle du théâtre avec l’aide
de la scénographe, qui a fait preuve d’une grande
ingéniosité.
page 56 / qui est ce ionesco ?
certains de ses déplacements. Étant donné que
plusieurs personnages sont joués par la même
comédienne et portent parfois le même nom, comme
la Madeleine d’Amédée ou Comment s’en débarrasser
et de Victimes du devoir, nous avons tâché de bien les
caractériser. Quant au personnage de l’inspecteur,
bien qu’il mène une enquête totalement loufoque,
il a un jeu moins irréaliste puisqu’il correspond
à un archétype.
© Carlos Jamous
En proposant un théâtre minimaliste, avezvous l’impression d’être à contre-courant ?
Pour lui, tous les sons font partie de la partition et
contribuent à la cohérence du sens. Sa collaboration
nous a permis d’aller plus loin, de construire des
tableaux qui sont pratiquement des pièces en soi
et de les lier.
Je ne dirais pas que nous sommes à contre-courant,
mais plutôt dans un courant parallèle. Je crois
beaucoup au pouvoir évocateur du théâtre qui
propose au spectateur une expérience imaginaire à
partir du « comme si… » : faites « comme si » un
cube était un trône, « comme si » un rideau torsadé
était un arbre, et cet arbre, la forêt… Pour moi, c’est
l’essence du théâtre. Même les jeunes qui sont
habitués à la technologie, plus spectaculaire mais
pas nécessairement théâtrale, peuvent développer
leur imagination au théâtre, la découvrir peut-être.
Propos recueillis et mis en forme
par Denise Ringuette
Les personnages du théâtre de l’absurde
sont des fantoches. Quel type de jeu
avez-vous privilégié pour incarner,
selon l’expression d’Alfred Jarry, ces
« abstractions qui marchent » ?
Ce type de théâtre exige un style de jeu non
réaliste que nous avons exploré ensemble. Les
trois comédiens, une Française, une Roumaine
et un Québécois, viennent d’univers théâtraux
très différents. Je me suis servie des forces de
chacun. Le jeu corporel de Lori Hazine Poisson,
qui a fait du mime, tend vers le tableau vivant. Celui
d’Aliona Munteanu est plus primesautier, plus
souple. Danseuse de formation, elle a chorégraphié
qui est ce ionesco ? / page 57
L’ÉQUIPE ET LA COMPAGNIE
EN ATTENDANT GODOT
De Samuel Beckett
Mise en scène : Serge Mandeville
Une production d’Absolu Théâtre en codiffusion avec le Théâtre Denise-Pelletier
Salle Fred-Barry
Du 22 octobre au 8 novembre 2014
Interprètes
François-Xavier Dufour............................... Pozzo
Catherine Leblond.................................. Le garçon
Pierre Limoges.......................................... Vladimir
Louis-Olivier Mauffette........................... Estragon
André-Luc Tessier........................................ Lucky
Concepteurs
et collaborateurs artistiques
Décor et costumes.....................Marianne Forand
Éclairages........................................Francis Hamel
LA COMPAGNIE
Absolu Théâtre souhaite être reconnu comme
un passeur de culture qui est actif au sein de sa
communauté et qui favorise l’épanouissement des
créateurs, le développement de la pratique théâtrale,
et le rayonnement d’œuvres de qualité auprès
d’un large public. Pour toutes ses productions,
la compagnie échelonne le travail sur une longue
période de façon à profiter au maximum de ce
qui se fait en latence quand on prend le temps de
laisser reposer les choses, de laisser la matière
théâtrale s’inscrire plus profondément en nous.
Ses artistes cherchent également à inclure, le
plus tôt possible dans le processus de création,
une médiation culturelle pour cerner les points de
vue et l’apport des membres de la communauté,
des gens concernés par la thématique de l’œuvre
en question, afin de maintenir un dialogue continu
et bénéfique tant entre les créateurs qu’avec les
gens de la communauté qui ont ainsi accès aux
coulisses de la création.
page 58 / En attendant Godot
Fondé en 1998, Absolu Théâtre revient pour la
quatrième fois au Théâtre Denise-Pelletier après y
avoir présenté L’Histoire des Atrides (1998), Crime
et châtiment (2000) et Le Songe d’une nuit d’été
(2009).
Au cours des deux dernières années, la compagnie
a eu le bonheur de faire de la médiation culturelle
auprès des adolescents qui fréquentent le Carrefour
Parenfants. En 2012, dans le cadre de Vues d’ado,
elle a fait découvrir le milieu des arts de la scène
à de jeunes curieux, en passant non pas par la
représentation, mais par les coulisses. En 2013,
avec Vues d’ado la suite !, elle a poursuivi le travail en
abordant cette fois la représentation et le processus
de création, ce qui a mené à la production et la
présentation d’une courte pièce jouée devant un
public plus qu’enthousiaste ! Un blogue, publié
sur Radio-Canada.ca, a permis aux participants
de documenter leur expérience en photos, en
mots et en vidéos. http://blogues.radio-canada.
ca/vuesdado/
Vues d’ado 3.0, le projet de 2014, est présentement
en développement… mais il y a fort à parier que la
technologie et le multimédia seront de la partie !
http://www.absolutheatre.com/
Fréquenter Beckett et attendre Godot
Je n’ai pas d’idées sur le théâtre. Je n’y connais
rien. Je n’y vais pas. C’est admissible. Ce qui
l’est sans doute moins, c’est d’abord, dans
ces conditions, d’écrire une pièce, et ensuite,
l’ayant fait, de ne pas avoir d’idées sur elle non
plus. [...] Je ne sais pas plus sur cette pièce
que celui qui arrive à la lire avec attention.
[...] Je ne sais pas qui est Godot. Je ne sais
même pas, surtout pas, s’il existe. Samuel Beckett, lettre à Michel Polac,
janvier 1952.
En attendant Godot est certainement la pièce la plus
célèbre de Samuel Beckett (1906-1989), celle qui
l’a fait connaître dans le monde entier. Écrite en
français en 1948, publiée aux Éditions de Minuit
à Paris en 1952, créée à Paris en 1953, elle a été
traduite en plus de 20 langues.
Pièce en deux actes, En attendant Godot raconte
l’histoire de deux vagabonds, Vladimir et Estragon,
qui espèrent un hypothétique visiteur, Godot, dont
on ne sait rien mais qui devrait apporter une réponse
à leurs attentes. Ils parlent de choses et d’autres,
pour faire passer le temps. Survient Pozzo, qui
tient en laisse Lucky, son esclave. Après un bref
échange, Pozzo et Lucky repartent. Arrive alors un
jeune garçon, qui apprend à Vladimir et Estragon
que Godot ne pourra pas venir aujourd’hui, mais
certainement demain.
~ Samuel Beckett par Roger Pic, 1977.
Le deuxième acte ressemble au premier, à quelques
variations près : Pozzo est devenu aveugle, et Lucky
est muet. Le jeune garçon revient, mais prétend
n’être pas venu la veille. Vladimir et Estragon
persistent dans l’attente et répètent, comme à la
fin du premier acte : « Allons-nous-en. On ne peut
pas. Pourquoi ? On attend Godot. C’est vrai ». Et
ils ne bougent pas.
En attendant Godot / page 59
ENTRETIEN AVEC SERGE MANDEVILLE, METTEUR EN SCÈNE
Cofondateur et directeur d’Absolu Théâtre, Serge Mandeville est auteur, comédien et metteur en
scène. Depuis 1998, il a monté une vingtaine de pièces dont Crime et châtiment de Dostoïevski,
Macbett de Ionesco, Oh les beaux jours de Beckett et Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, qui
ont connu de beaux succès. Il a également signé deux traductions de Dostoïevski en collaboration
avec Igor Ovadis. Il a monté des textes dont il est l’auteur comme Ailleurs, présenté en 2008 et
repris deux ans plus tard. Il est également le coordonnateur de l’événement Théâtre Tout court,
qui présente de brèves pièces de théâtre interprétées par des acteurs de la relève.
Dans son parcours d’homme de théâtre, Serge Mandeville a plusieurs fois rencontré l’écriture
de Beckett. Il a mis en scène Oh les beaux jours en 2004, et deux courtes pièces, Comédie et Pas,
regroupées sous le titre de Rythmes, en 2008.
Sa pièce Ailleurs, originalement créée dans la salle intime
du Théâtre Prospero en 2008, a été mise en nomination en
2009 pour quatre prix Cochons d’or — meilleur spectacle,
meilleure mise en scène, meilleure équipe d’acteurs, pertinence
sociale — en plus de remporter le Cochon dramatique du
meilleur texte de création et de faire l’objet d’une reprise sur
la scène principale du Théâtre Prospero en 2010. Il travaille
présentement sur plusieurs projets, dont l’écriture d’une
nouvelle pièce pour laquelle il a reçu une bourse de création
du Conseil des arts du Canada. Il se consacre également à
l’enseignement du théâtre.
Ce cheminement dans l’œuvre de Beckett
était-il nécessaire pour arriver à la mise en
scène d’En attendant Godot ?
Je n’aurais probablement pas osé commencer par
Godot, même si c’est la pièce la plus accessible. J’ai
fait mes classes avec les trois autres. En attendant
Godot n’est pas moins difficile à monter, mais je
suis prêt à le faire. Je suis content d’avoir suivi ce
chemin et de me sentir plus familier avec Beckett
pour aborder Godot, comprendre son langage,
page 60 / En attendant Godot
© Alex Trud.
Comme comédien, il a joué au Théâtre du Rideau Vert dans Le Vrai Monde ? où il tenait le rôle
principal, ainsi qu’au TNM, au Théâtre Denise-Pelletier et
dans tous les spectacles de la compagnie Absolu Théâtre.
~ Serge Mandeville
avoir la capacité de lui faire confiance. J’ai hâte
de m’y replonger. Au Québec, En attendant Godot a été monté
à plusieurs reprises, par des metteurs en
scène comme André Brassard, en 1992 et
Lorraine Côté, à Québec en 2006. Comment
abordez-vous cette mise en scène ?
La dernière mise en scène de cette pièce à Montréal
était celle d’André Brassard, au Théâtre du Nouveau
© HBeauchamp
Monde, avec Normand Chouinard, Rémy Girard,
Jean-Louis Millette et Alexis Martin. J’étais à
l’université quand j’ai vu la pièce, j’avais 19 ans
et le questionnement existentiel m’avait frappé
comme une tonne de briques : pourquoi je vis,
comment trouver un sens à ma vie. Cette mise en
scène m’a marqué, mon amour pour le théâtre de
Beckett est né ce jour-là. Passer après Brassard,
ça aurait pu me faire hésiter car, en faisant des
personnages de vieux acteurs déchus, il apportait
une relecture de la pièce, il voulait s’éloigner de
ce qu’il avait vu. Je n’irai pas par là.
C’est peut-être par le personnage de Lucky,
l’esclave, que je vais me démarquer. Pour celui-ci,
j’ai choisi André-Luc Tessier, un jeune comédien
qui sort du Conservatoire. Je voulais que ce soit
choquant, comme l’esclavage l’est. Pierre Limoges,
avec qui j’ai travaillé sur Comédie, la courte pièce
de Beckett, aura le rôle de Vladimir et Louis-Olivier
Mauffette celui d’Estragon. Quant à Pozzo, il sera
interprété par François-Xavier Dufour, qui jouait
dans ma pièce Ailleurs.
Quand Beckett a fait la mise en scène d’En attendant
Godot, il y avait de longues pauses, où il ne se
passait rien pendant deux ou trois minutes. Je
ne suis pas sûr d’aller là, ça ne m’intéresse pas.
Vladimir et Estragon ne sont pas capables d’attendre
en ne faisant rien, ils ont peur du vide, peur du
silence : on va s’engueuler, ça va faire passer le
temps. Pour faire face à l’angoisse, affronter ce
qui leur fait peur, il leur faut des actions, même
infimes, pour les distraire, pour donner du sens à
une existence qui semble ne pas en avoir. C’est la
même chose pour Winnie dans Oh les beaux jours,
elle a besoin de s’occuper, de babiller pour éviter
de se faire sauter la cervelle.
En attendant Godot est une pièce sur la
vacuité, le vide de l’existence, son absurdité.
Que vous dit Godot ?
Beckett a parlé de ce vide dans toutes ses pièces.
Que ce soit dans Oh les beaux jours ou dans En
attendant Godot, la situation de base est la même :
faire passer le temps pour survivre tant bien que
En attendant Godot / page 61
mal, se tenir occupé pour ne pas faire face à cette
profonde angoisse qui nous habite continuellement.
Beckett envisageait l’existence humaine ainsi, dans
une solitude et un désespoir profonds. Quand on
est dans l’action, on n’y pense pas. Mais dès qu’on
reste immobile, l’angoisse revient. Et ça continue
jusque dans la mort. Dans Comédie, l’amante dit
de la mort : « j’aurais pensé que ce serait plus
reposant ». Pas très joyeux, Beckett ! C’est dans
le contraste, dans la lutte pour ne pas sombrer,
que ses personnages sont beaux, c’est là qu’ils
deviennent lumineux.
« Il faut continuer, je ne peux pas continuer, je
vais continuer » écrit Beckett dans son roman
L’Innommable ; cela résume bien son œuvre :
malgré le désespoir, on va continuer, dire que ça
va bien, que c’était une belle journée. Clowns tristes, vagabonds, êtres
désemparés, acteurs de cinéma muet… qui
sont Vladimir et Estragon pour vous ? Et
Godot ?
Pour moi, ce sont des itinérants. Sur le bord du
fleuve, j’ai vu un jour deux gars qui pêchaient. En
les regardant, j’ai compris qu’ils étaient là tous les
jours, pas des paumés mais des amis de toujours,
un qui parle beaucoup et l’autre qui ne dit rien. J’ai
pensé à Vladimir et Estragon, qui sont ensemble
sans savoir pourquoi mais qui ne peuvent pas
imaginer leur vie l’un sans l’autre. Beckett ne dit
rien de ses personnages, ce sont des clandestins.
Durant le processus de création, nous allons
travailler en dialogue avec des groupes de camelots
et d’itinérants. La médiation culturelle fait désormais
partie de la démarche d’Absolu Théâtre. Cela nous
permet de créer un lien avec l’œuvre, d’avoir un
point de vue différent sur les personnages.
© HBeauchamp
Quant à Godot, je ne suis pas encore fixé. Godot,
c’est ce qu’on attend, ce qui nous empêche de
bouger, les prétextes, les décisions que l’on remet
au lendemain. Quand la pièce a été créée en anglais,
un acteur a posé cette question à Beckett : « est-ce
Dieu, God, Godot ? » et Beckett a répondu : « si
j’avais voulu que ce soit Dieu, je l’aurais appelé
God ». C’est ce qui rend la pièce aussi forte : on
met qui on veut dans ce rôle, on ne saura pas qui
c’est, puisqu’il ne viendra pas.
page 62 / En attendant Godot
C’est une pièce écrite avec beaucoup d’humour,
« rien n’est plus drôle que le malheur », disait
Beckett. Ce n’est qu’à la fin que l’on est saisi par
le questionnement existentiel, est-ce seulement
les silences ! Si on ne les respectait pas, on
passerait à côté de la pièce. Elles décrivent des
actions simples, à faire simplement : l’un qui enlève
son soulier, l’autre qui a mal aux reins. La magie
de Beckett, c’est la profondeur qui survient dans
les regards et dans les petits gestes anodins,
qui sont toujours justes. C’est là qu’il devient
bouleversant. Puissant. © Juan R. Lascorz 2007
La première indication de la pièce est
« Route à la campagne, avec arbre. Soir.»
Comment envisagez-vous la scénographie ?
~ Escopallos.
ça la vie, cette attente ? Mais on peut y voir une
incitation à l’action.
C’est Marianne Forand qui va concevoir la
scénographie, nous avons fait plusieurs spectacles
ensemble dont Ailleurs, Le Songe d’une nuit d’été,
etc. Comment va-t-on traiter l’arbre, je ne sais
pas encore, j’aime bien ce qui est transposé. Dans
un exercice scolaire que j’ai dirigé il y a quelques
années, l’arbre était représenté par un balai peint
en blanc. Mais l’endroit où se passe la pièce est
secondaire. Propos recueillis et mis en forme
par Michelle Chanonat
L’adolescence est une période d’attente : on
attend de devenir adulte, on attend d’avoir fini
ses études, on attend de vivre par nous-mêmes.
On se dit : quand je saurai ce que je veux faire, je
vais commencer à être heureux. Alors, si Vladimir
et Estragon ont un message à livrer, ce serait :
n’attendez pas pour vivre. Beckett avait fait ajouter une clause dans
ses contrats mentionnant le respect des
didascalies. Allez-vous les respecter ?
© HBeauchamp
Oui, j’ai écrit une lettre aux Éditons de Minuit dans
laquelle je m’engage à respecter les didascalies,
à ne pas faire de coupures ni changer le sexe des
personnages. Mais ce n’est pas une contrainte,
Beckett savait ce qu’il faisait. Dans ses didascalies,
tout est là : les actions, les regards, les hésitations,
En attendant Godot / page 63
L’ÉQUIPE DU THÉÂTRE DENISE-PELLETIER
Directeur général
Directeur artistique Conseiller au directeur artistique Directrice administrative
Directeur de production
Responsable des infrastructures
et directeur technique
Directrice des communications
Adjointe aux communications
Attachée de presse
Responsable des services scolaires
Adjointe aux services scolaires
Gérant Préposées au guichet Chef machiniste Chef éclairagiste Chef sonorisateur Chef habilleuse Chef cintrier
Coordonnateur technique
(Salle Fred-Barry)
Techniciens
Accueil page 64 / En attendant Godot
Rémi Brousseau
Claude Poissant
Jean-Simon Traversy
Manon Huot
Réjean Paquin
Guy Caron
Julie Houle
Anaïs Bonotaux-Bouchard
Isabelle Bleau
Claudia Dupont
Stéphanie Delaunay
Marc-André Perrone
Isabelle Durivage
Geneviève Bédard
Pierre Léveillé
Michel Chartrand
Claude Cyr
Louise Desfossés
Pierre Lachapelle
Responsable de l’entretien
Préposé à l’entretien
Équipe des bénévoles
Patrice Jolin
Éric Belleau
Lucette Bernèche
Gratia Dumas
Aline Gauthier
Andrée Hassel
Carmen Lebrun
Janine Limoges
Nicole Poulin
CONSEIL D’ADMINISTRATION
Président
Vice-présidente
Trésorière
Secrétaire
Administrateurs
* Monsieur Pierre-Yves Desbiens
CPA, CA, CF, MBA
Vice-président Finance et administration
Institut NEOMED
*Lucie Houle, PhD
Vice-présidente - Gestion des talents
Banque Nationale du Canada
* Madame Lisa Swiderski, CA, MBA
Vice-présidente
Opérations Investissements
Banque Nationale du Canada
Benoit Lestage, LLB, D. Fisc.
Directeur principal
Service de fiscalité internationale
Mazars
Thomas Asselin
Président & Directeur de création
73DPI
Nathalie Barthe
Directrice, Architecture d'information
JDA Software, Innovation labs
Luc Bourgeois
Comédien
*Rémi Brousseau
Directeur général
Théâtre Denise-Pelletier
Jean Leclerc
Comédien et metteur en scène
*Claude Poissant
Directeur artistique
Théâtre Denise-Pelletier
Ghislain Dufour
Sophie Boivin
Raphaël Bussières
Anthony Cantara
Brigitte Deshusses
Mathieu Dumont
Martin Dussault
Michel Dussault
Martine Gagnon
Alexandre Gohier
Michel Harvey
Louis Héon
Martin Jannard
Robin Kittel-Ouimet
Marjorie Lefebvre
Pier-Emanuel Legault
Louis Léveillé
Michel Maher
Serge Pelletier
Carlos Diogo Pinto
Étienne Prud’homme
Martha Rodriguez
Geneviève Bédard
Ghislain Blouin
Président honoraire Gilles Pelletier
Virginie Brosseau-Jamieson
Membre honoraire Françoise Graton
Émilie Carrier-Boileau
Simon Faghel-Soubeyrand * Membres du comité exécutif
Sébastien Hébert
Anne-Marie Jean
Collette Lemay
Thomas Mundinger
Jolène Ruest
Félix-Antoine St-Jacques
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