Rubrique «Jeune docteur»
Gènes architectes et sexualité chez les plantes:
À la découverte des eurs de tomate stamenless
G BATAILLE
Doctorant au Earth and Life Institute (ELI)
Biodiversity, Université catholique de Louvain (UCL), Belgique
gwennael.bataille@uclouvain.be
Cet article a pour but d’initier le lecteur à la génétique de la oraison, à
travers une étude menée chez un mutant de tomate (Solanum lycopersicum L.)
appelé stamenless. La génétique de la oraison est un domaine d’intérêt tant
fondamental quappliqué. Dune part, elle permet de mieux appréhender
l’évolution des plantes à eurs. D’autre part, les processus de développement
des eurs et fruits étant très liés sur le plan génétique, elle revêt également une
importance économique notable, de par lomniprésence des graines et fruits
dans notre alimentation. Ce travail de recherche a été réalisé dans le cadre de
mon moire de n d’études (Master en Biologie des Organismes et Écolo-
gie, UCL, Belgique) et supervisé par le docteur Muriel Quinet, au sein du
Groupe de Recherche en Physiologie Végétale (GRPV, ELI-A) de l’UCL.
Larticle portera dans un premier temps sur une revue de la bibliographie
de la détermination génétique des organes oraux. Il abordera ensuite linté-
. Bataille G () Contrôle de lidentité des organes oraux chez la tomate (Solanum
lycopersicum L.) : cas du mutant stamenless (sl). Mémoire de Master en Biologie des Or-
ganismes et Écologie, Université catholique de Louvain.
Revue des Questions Scientiques, ,  () : -

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rêt du modèle détude employé. Seront nalement explicités plus en détails les
grands axes de ce travail de recherche, et les perspectives qu’il ouvre.
Contrôle génétique de l’architecture orale :
une histoire d’A-B-C…
Le monde végétal actuel est représenté par une écrasante majorité dAn-
giospermes, ou plantes à eurs. Le succès évolutif de ce groupe est lié à leur
sexualité. Leur reproduction dépend en eet du développement de structures
particulières, les eurs et les fruits, à lorigine de nombreuses stratégies de re-
production et de dissémination extrêmement ecaces.
La reproduction sexuée des Angiospermes commence par la oraison et
s’achève -suite à une pollinisation ecace- par la production de fruits abritant
les graines qui donneront naissance à la génération suivante. De linitiation de
la phase sexuée à la construction dune eur mature, la oraison comprend
une succession de plusieurs étapes, qui sont détaillées dans lencart
numéro1.
1. Les grandes étapes de la oraison
La oraison est le passage dune plante angiosperme à un stade sexué.
Il s’agit dun processus crucial, qui comporte plusieurs phases ordonnées
dans l’espace et le temps. Elle débute par la perception de facteurs environ-
nementaux (tels que la photopériode et la température en région tempérée,
ou la disponibilité en eau dans les régions intertropicales) et de leurs interac-
tions, pour permettre aux plantes de synchroniser leur oraison lorsque les
conditions sont favorables. Sont ensuite produits des signaux de oraison,
transportés dans la plante pour engager de manière irréversible le pro-
gramme reproducteur de la plante (1). S’ensuivent enn la production des
structures reproductrices (la morphogenèse orale), leur croissance et leur
diérenciation (le développement oral ; 1).
L’un des processus-clé dans la production des structures reproductrices
est le contrôle de l’identité des pièces orales, sur lequel porte ce travail. Au
sein d’une eur, on retrouve typiquement quatre types de pièces orales -ou
organes oraux-, classiquement regroupés en cycles (ou verticilles) au sein
de la eur. De l’extérieur vers l’intérieur de la eur, on retrouvera tout dabord
les sépales (structures de type foliacé) et pétales (généralement plus grands
et colorés que les sépales), puis les pièces fertiles: étamines («organes mâles»,
portant le pollen) et carpelles («organes femelles», contenant les ovules).
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
Figure 1- Le modèle ABC d’identité des organes  oraux
L’expression de gènes de classe A seuls entraîne la formation de sépales. A et B
ensemble donnent des pétales. B et C, des étamines. La classe C seule, des
carpelles.
Des études alisées chez deux plantes modèles (Arabidopsis thaliana (L.)
Heynh. et Antirrhinum majus L.) ont montré que le développement des di é-
rents organes constituant la  eur (sépales, pétales, étamines ou carpelles) était
contrôlé par une série de gènes “architectes”, également appelés gènes homéo-
tiques (pour quelques notions de base en génétique, voir lencart numéro 2) :
leur mutation entraîne en e et la conversion, dite homéotique, dun ou plu-
sieurs types dorganes en dautres. Ces gènes architectes” ne sont pas le propre
du règne végétal. De manière similaire, on retrouve chez les animaux bilaté-
riens (la grande majoridentre eux) une famille de gènes Hox(gènes à
homeobox”), qui dirigent la morphologie du corps. La mutation dun gène
homéotique pourra par exemple, chez la mouche drosophile (Drosophila me-
lanogaster Meigen), transformer les antennes en pattes surnuméraires
Les gènes homéotiques intervenant dans la formation de la eur se répar-
tissent en trois grandes classes de gènes, qui sont la base du ‘modèle ABC’ de
détermination génétique des organes oraux (2 ; par la suite étendu et re-
nommé modèle ABCDE). Chacune de ces classes de gènes exerce une fonc-
tion di érente, mais agit de manière combinée avec les autres : la fonction A
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seule spécie la formation des sépales, la combinaison A/B contrôle lidenti
des pétales, la combinaison B/C contrôle l’identité des étamines, et la fonction
C seule spécie la formation des carpelles (Figure 1). En outre, les gènes de
fonctions A et C ne peuvent être exprimés au sein dun même cycle, car ils
possèdent une action antagoniste les uns envers les autres. La mutation dun
gène didentité des organes oraux entraîne une conversion homéotique, à sa-
voir le veloppement dun organe à une place normalement occupée par un
autre type dorgane. Par exemple, la mutation dun gène de classe B entraîne
lapparition de sépales au lieu de pétales et de carpelles en lieu et place des éta-
mines. Selon l’équipe de Busi (3), ces gènes homéotiques pourraient également
intervenir lors du veloppement du fruit, qui fait suite à la oraison (le fruit
résulte de la croissance de l’ovaire après pollinisation). Les programmes ve-
loppementaux des fruits et graines constitueraient en fait une continuité du
programme oral, dépendant d’une pollinisation et fertilisation ecaces.
2. Gène, mutant Quelques notions de base en génétique
On peut nir un gène simplement de la manière suivante : «portion
d’ADN exerçant une fonction -au sein d’un organisme vivant-, généralement
par le biais dune protéine». LADN est constitué dune suite de petites sous-
unités appelées désoxyribonucléotides (ou plus simplement nucléotides), qui
peuvent être de 4 types, en fonction de leur base azotée, à savoir : adénine (A),
cytosine (C), thymine (T) ou guanine (G). Une suite de trois nucléotides est ap-
pelée codon, et cest la succession de ces diérents codons qui constitue la
base de l’information contenue dans un gène.
Lorsqu’un gène est expri (qu’il exerce sa fonction), sa séquence de nu-
cléotides est dabord transcrite en une molécule intermédiaire similaire (lARN),
et nalement traduite en une protéine. À chaque codon sera attribué un acide
aminé correspondant, dont la succession déterminera la protéine produite.
Cette protéine jouera ensuite son rôle au sein (ou à l’extérieur) des cellules ; il
peut s’agir dun rôle structurel, ou la protéine peut également contrôler cer-
taines étapes du métabolisme ou du développement.
Des mutations géniques sont des changements dans la séquence nucléo-
tidique d’un gène, ce qui peut altérer ou même empêcher sa fonction. Il -
sulte de ces mutations que plusieurs variantes -ou allèles- peuvent exister
pour un même gène. Chaque organisme comprend classiquement deux co-
pies (et donc, deux allèles) du même gène. S’il comprend deux versions iden-
tiques, l’individu sera dit homozygote ; s’il en comprend deux diérentes (un
allèle «sauvage» et un autre «muté»), il sera dit hétérozygote. Le prol en al-
lèles d’un organisme (pour un ou plusieurs gènes) forme ce que l’on appelle
son notype. Celui-ci déterminera, en interaction avec l’environnement, son
phénotype, qui est l’ensemble de ses traits observables (couleur, forme, capa-
cité à synthétiser ou non certains composés).
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
L’évolution végétale au regard du modèle ABC
Bien que basé sur deux organismes modèles (Arabidopsis thaliana et An-
tirrhinum majus), les bases du modèle ABC restent globalement dapplication
chez la majorides Angiospermes, avec quelques nuances selon les groupes.
On retrouve ainsi des équivalents homologues des gènes d’identité des or-
ganes oraux dArabidopsis chez lensemble des groupes dAngiospermes étu-
diés, mais il existe quelques diérences dans leurs patterns dexpression pour
certaines fonctions, liées à une grande diversité de structure et dorganisation
orale (4).
On retrouve par exemple chez les Angiospermes les plus primitives une
disposition en spirale des pièces orales, associée à une transition graduelle
dun type dorgane en un autre, tandis que la majorité des eurs actuelles
montrent une organisation en cycles bien délimités, dorganes distincts. Ou
encore, de nombreuses Angiospermes (notamment le grand groupe des mo-
nocotylédones) présentent des sépales et pétales non-distincts (c’est-à-dire
quils expriment le même programme développemental), et regroupés sous le
terme de tépales.
Des duplications des gènes didentité des organes oraux pourraient
avoir joué un rôle important dans lorigine des plantes à eurs et leur diversi-
cation, par sous- ou néo-fonctionnalisation des gènes dupliqués, facilitant
ainsi la diversication et linnovation des programmes de reproduction pour
permettre la formation de la eur (revu dans 4). Pour de nombreux gènes
homéotiques chez les Gymnospermes (groupe antérieur aux plantes à eurs,
et regroupant conifères et autres plantes à graines), on retrouve ainsi deux
équivalents chez les Angiospermes, et les données génomiques suggèrent
quun évènement de duplication totale du génome aurait précédé l’origine des
plantes à eurs et serait ainsi à lorigine de la radiation évolutive du groupe.
D’autres évènements de duplication des gènes didentité des organes oraux
se sont produits plus tard dans lévolution des Angiospermes, par exemple à la
base du groupe très diversié du « noyau des eudicotylées », peut-être encore
à partir dune duplication complète du génome.
On le voit, pour comprendre la formation et l’évolution des eurs – qui
se révèlent dune importance déterminante pour appréhender le succès évolu-
tif du groupe des Angiospermes il s’avère déterminant de passer par les gènes
de veloppement impliqués (cette discipline est appelée evo-devo), et d’inves-
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