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Chapitre I : Le monde féminin
1 LAFEMME
1.1 La femme au Maghreb
“ L’artifice des femmes est fort et l’artifice de Satan est faible”288.
Né au Maroc dans une famille musulmane, Driss Chraïbi a vécu la plus grande partie de sa
jeunesse sous le tutorat français (soit de 1926, date de sa naissance, à 1946, date à laquelle il
s’est rendu en France), il a quitté son pays juste aux approches de la décolonisation. Sa
perception du monde et de la femme recouvre une période pendant laquelle le Maroc vit
encore au rythme des traditions ancestrales, en même temps qu’une vague de modernité
apportée par la culture du protectorat français déferle. Le “frottement” de ces deux mondes qui
en résulte, ébranle la société jusque dans ses fondements, en particulier dans le domaine qui
nous intéresse : la position des femmes. Parler de choc culturel n’est pas exagéré tant les
habitudes et traditions du monde marocain diffèrent de celles de la France. Dans un tel
contexte, il faut se rappeler les grandes lignes du statut de la femme marocaine dans la première
moitié du 20e siècle.
Au Maroc, comme dans tant de pays traditionnels, la femme est la gardienne du feu,
c’est-à-dire qu’elle maintient la cohérence du foyer et de la famille. Elle assure ainsi la
perdurance et la transmission des valeurs traditionnelles, piliers structurants du groupe. Dans
la communauté maghrébine la religion se révèle comme l’une des valeurs essentielles, grâce à la
Loi divine : la chari’a, qui fournit un cadre aux comportements et actions de l’individu en
société. La chari’a est interprétée et complétée par les juristes-théologiens dans le fiqh qui : “a
pour but de régler jusque dans ses plus petits détails, la vie entière du croyant et de la
communauté familiale”289. La religion ressort du domaine de l’homme, la femme n’y joue pas
un rôle actif. Une telle constatation amène certains à conclure que le Coran fait preuve de
mysogynie, accusation réfutée par d’autres. En recensant la place des femmes dans les textes
religieux, Boudhiba290, l’un d’entre eux, a tenté de démontrer que le Coran ne serait en fait pas
aussi mysogyne qu’il en a l’air. Remarquons toutefois que la plupart des femmes citées ne font
partie de l’histoire qu’au titre de proches de personnages importants ou d’épouses du
Prophète291. De grandes figures religieuses, saintes ou autres, ne sont pas célèbres et célébrées
par l’islam, comme dans le catholicisme292. La Chari’a lie le sujet au chef ; dans les siècles passés,
le chef dans les pays arabes était le khalife, celui qui remplaçait le Prophète dans sa fonction
d’intermédiaire entre Dieu et les croyants. Le khalife était toujours arabe, musulman et