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de Qishn et donc cousin des enfants de l’ancien sultan de Soqotra, était que celui
qui exerçait le pouvoir à Soqotra y résidât et en parlât la langue.
0.3 Dans la tradition orale mehri
Les faits historiques, qui s’inscrivent en arrière plan, concernent plus directement
les Mahra; aussi n’est-il pas étonnant de trouver plus de détails dans la version
racontée par des Mahra (en mehri ou en arabe). Sur ce point, la version donnée par
Serjeant et celles enregistrées à Qishn, plus de vingt-cinq ans après, concordent à
deux détails près.
Le héros y est désigné non seulement par son surnom, comme dans la version
soqotri, mais aussi par son prénom, il est Sa‘d Bû ›awârib, plus précisément Sa‘d
b. ‘Aysa (et non Sa‘îd b. ‘Abd Allâh; cf. Müller 1986: 80). Des précisions sont
données sur la façon dont Qishn tombe aux mains du sultan Badr Bû Ÿuwayriq et
la manière dont se fait la reconquête de la ville. La période soqotri de la vie du
héros n’est pas au centre du récit, comme dans la version en soqotri, mais elle
n’est pas passée sous silence, on y retrouve les mêmes épisodes: arrivée à Soqotra,
emploi de serviteur chez le sultan, amour de la fille du sultan pour l’orphelin,
mariage, désespoir de la jeune femme devant l’abstinence de son époux, aide
matérielle apportée à Abû Šawârib qui lui permet d’exaucer son voeu, de
reconquérir son territoire en même temps que son titre. On apprend aussi, dans ces
versions, que le sultan de Soqotra se nomme à l’époque Ibn Mâjid. La différence,
entre les récits recueillis à Qishn et celui présenté par Serjeant, c’est que dans les
premiers il n’est fait aucune allusion à l’aide que les Portugais auraient apportée à
la reconquête de Qishn. En cela la chronologie est respectée: les Portugais en 1548
avaient quitté depuis 37 ans l’île où ils s’étaient installés en 1507, après la prise du
fort mahra sur la côte nord, près de l’actuelle capitale. Enfin, le narrateur de Qishn
précise bien, dans ses deux versions, que Ibn Mâjid, le sultan de Soqotra à
l’époque, n’a rien à voir avec le fameux pilote qui guida Vasco de Gama vers
Calicut,
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et qui, lui, vécut au 15
e
siècle.
1 La version soqotri
1.1 Source des données
Cette ‘histoire’ a été enregistrée à Aden, au printemps 1997, auprès de ‘Abd-al-
LaTîf Sa‘d ‘Âmer, alors étudiant à l’Université d’Aden. Originaire de l’intérieur de
l’île, il a surtout vécu dans la ville principale, Hadibo, sur la côte nord. Excellent
connaisseur des traditions de son île natale, il est aussi féru de littérature en langue
soqotri, et c’est à la fois avec enthousiasme, patience, gentillesse et rigueur qu’il
m’a confié ce texte, aidé à le transcrire et à le gloser. Qu’il trouve ici l’expression
de ma reconnaissance et de mes remerciements.