Document 4 : La liberté intérieure est souvent dérangeante, car elle remet en cause les ordres établis :
Tout vagabondage déplaît au bourgeois, et il existe aussi des vagabonds de l’esprit, qui,
étouffant sous le toit qui abritait leurs Pères, s’en vont chercher au loin plus d’air et plus
d’espace. Au lieu de rester au coin de l’âtre familial à remuer les cendres d’une opinion
modérée, au lieu de tenir pour des vérités indiscutables ce qui a consolé et apaisé tant de
générations avant eux, ils franchissent la Barrière qui clôt le champ paternel, et s’en vont par les
chemins audacieux de la critique, où les mène leur insatiable curiosité de douter...
Max Stirner (1806 - 1856)
L’unique et sa propriété, 1845
Document 5 : La servitude volontaire est le cas typique d’une perte de liberté intérieure, c’est dans l’esprit
de soumission que tous les oppresseurs puisent leur pouvoir :
La liberté est un bien si grand et si plaisant, qu'elle perdue, tous les maux viennent à la file, et
les biens mêmes demeurant après elle, perdent entièrement leur goût et leur saveur ... Vous
vivez de sorte que vous ne pouvez pas vous vanter que rien soit à vous (en toute propriété) et
semblerait que désormais ce vous serait grand heur de tenir en fermage vos biens, vos familles,
vos vies ! Et tout ce dégât, ce malheur, cette ruine vous vient non des ennemis (extérieurs),
mais certes de celui qui ne vous tyrannise que parce que c'est vous qui le faites si grand. Pour
lui vous allez courageusement à la guerre et pour sa grandeur vous ne refusez point de
présenter vos personnes à la mort. Celui qui vous maîtrise tant n'a pourtant que deux yeux, n'a
que deux mains et n'a d'autre chose... que l'avantage que vous lui faites pour vous détruire.
... D'où a-t-il pris tant d'yeux dont il vous épie, si vous ne les lui baillez ? Comment a-t-il tant de
mains pour vous frapper, s'il ne les prend de vous ? Les pieds dont il foule vos cités, d'où les a-t-
il, si ce ne sont les vôtres ? Comment a-t-il quelque pouvoir sur vous, sinon par vous ? Que
pourrait-il faire si vous n’étiez receleur du larron qui vous pille et du bourreau qui vous tue ?
Vous semez vos fruits, afin qu'il en fasse le dégât ? Vous nourrissez vos filles, afin qu'il ait de
quoi saouler sa luxure ? Vous nourrissez vos enfants, afin que, pour le mieux qu'il leur saurait
faire, il les mène en ses guerres, les conduise à la boucherie ? Les fasse les ministres de ses
convoitises et les exécuteurs de ses vengeances ? Vous vous rompez à la peine et vous vous
affaiblissez afin de le rendre plus fort, et raide à vous tenir plus courte la bride ? Et de tant
d'indignités, que les bêtes mêmes ne l'endureraient pas, vous pouvez vous délivrer, car il suffit
seulement de le vouloir.
Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres, je ne veux pas que vous le poussiez ou
l'ébranliez; mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez comme un grand colosse à
qui on a dérobé sa base, de tout son poids même fondre en bas et se rompre. La Boétie (1530-1563)
De la servitude volontaire, 1576
Document 6 : La pensée marxiste, pour des raisons historiques facilement compréhensibles, s’est tournée
essentiellement vers la liberté extérieure, au détriment, voire à l’encontre de la liberté intérieure.
Le domaine de la liberté commence seulement là où cesse le travail qui est déterminé par la
nécessité et la finalité extérieure ; d'après sa nature, ce domaine se situe donc au-delà de la
sphère de la production à proprement parler matérielle. Comme le sauvage doit lutter avec la
nature pour satisfaire ses besoins, pour continuer et produire sa vie, de même l'homme civilisé y
est obligé et il l'est dans toutes les formes de la société et dans toutes les manières possibles
de la production. À mesure qu'il se développe, ce domaine de la nécessité de la nature s'élargit,
parce que les besoins augmentent ; mais en même temps croissent les forces productives qui
les satisfont. La liberté dans ce domaine ne peut donc consister qu'en ceci : l'homme socialisé,
les producteurs associés règlent rationnellement ce métabolisme (Stoffwecbsel) entre eux et la
nature, le soumettant à leur contrôle commun au lieu d'être dominés par lui par une force
aveugle ; ils l'accomplissent avec la moindre dépense d'énergie possible et sous les conditions
qui sont les plus dignes de leur nature humaine et qui y sont les plus adéquates. Néanmoins,
cela reste toujours un domaine de la nécessité. C'est au-delà que commence ce développement
des forces humaines qui est à lui-même son propre but, qui constitue le véritable domaine de la
liberté, mais qui ne peut éclore que sur la base de cet empire de la nécessité. La réduction de la
journée de travail est la condition fondamentale. Karl Marx (1818 - 1883)
Le capital, 1867
Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-063 : “ Liberté intérieure et Liberté extérieure” - 09/04/1996 - page 5