L’ESPRIT DE SYNTHESE
Revue de l’association du M2 Géopolitique
ENS Ulm-Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Eté 2012
L’Esprit de
Synthèse
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L’association ENS-Sorbonne-Europe (ESE) lance la revue L’Esprit de Synthèse.
Comme chaque année depuis la création du Master Géopolitique Paris1/ENS-Ulm, les étudiants
de l'année 2011-2012 ont des profils divers et variés. Toutes les disciplines susceptibles de
façonner une géopolitique nouvelle sont représentées: la géographie, le droit, l'histoire,
l'économie, la philosophie, les sciences politiques, les relations internationales ...
Ce caractère pluridisciplinaire de notre groupe, ainsi que l'importance stratégique de l'année en
cours, nous poussent à mettre nos divers talents au service d'un projet commun. En effet, l'année
2012, outre sa dimension électorale (élections en Russie, en France, au Mexique, aux États-Unis
...), est l'année d'un certain nombre de bilans : celui dans le cadre du cinquantenaire de
l'indépendance de l'Algérie, celui de la guerre en Afghanistan et en Irak, celui des révoltes et des
guerres civiles dans le monde arabe. C’est aussi l'année d'un certain nombre de questionnements :
la crise économique et l'avenir de l'euro, l'émergence de nouvelles puissances régionales, les
nouveaux risques de conflits à nos portes.
Les étudiants du Master ne sont pas seulement des professionnels en puissance, ce sont aussi des
citoyens désirant partager leurs analyses et leurs expériences. Pour ce premier numéro, nous
avons décide consacrer un dossier au monde arabe, notamment à travers des articles revenant
sur la situation en Syrie, en Egypte et en Algérie. La diplomatie française, l’économie russe, les
élections mexicaines, l’Arctique sont autant de thèmes que nous abordons aussi. Enfin, nous
revenons sur un auteur méconnu et relativement peu étudié : Jean Gottmann. Sous l’impulsion
du Pr Georges Prévélakis, nous avons appliqué certains concepts gottmanniens à des cas comme
le Liban, la Turquie et la Pologne.
Le nom choisi pour la revue revêt une dimension scolaire, voire une certaine rigueur. Le tableau
de Dali vient, quant à lui, rappeler la dimension esthétique. Nous tâcherons de faire preuve d’un
bel « esprit de synthèse ».
Adlene Mohammedi
Président de l’association ESE
L’Esprit de
Synthèse
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Table des matières
Dossier : le monde arabe en ébullition ...................................................................................................... 3
Retour sur la situation en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, Adlene Mohammedi .......................... 3
Russian-Syrian relations: beyond the current support, Adlene Mohammedi .......................................... 6
Le Caire, une planification urbaine contestée, Marie de Sarnez .............................................................. 9
L’économie égyptienne en quelques chiffres, M. Durieu du Pradel, M. de Sarnez, A. Palle .................. 13
Boumediene et l’islamisme, Malha Bentaleb ........................................................................................ 15
L'Algérie, en marge du printemps arabe ?, Leïla Lecomte .................................................................... 19
Economie ............................................................................................................................................... 22
La centrale russo-turque d’Akkuyu, précurseur d’une nouvelle forme de financement et de gestion du
nucléaire civil ?, L. Nicolet, A. Palle .................................................................................................... 22
L’économie russe au cœur des débats sur la politique étrangère, Adlene Mohammedi ......................... 25
Point de vue ........................................................................................................................................... 29
Elecciones de México, Paulina López Gutiérrez .................................................................................. 29
Diplomatie ............................................................................................................................................. 32
La politique étrangère de la France au gré de la campagne présidentielle : bilan, enjeux et perspectives,
Lucas Tidadini. ................................................................................................................................... 32
Questions territoriales ............................................................................................................................. 36
Guerres hivernales : l’Arctique, une terre d’avenir ?, Yann Tanguy ...................................................... 36
Jean Gottmann ....................................................................................................................................... 41
Les concepts gottmanniens de circulation et d’iconographie appliqués au cas libanais, Adlene
Mohammedi ....................................................................................................................................... 42
L’iconographie polonaise – une source de survie de la nation durant les bouleversements de l’histoire à
la fin du XVIII siècle et ses implications aujourd’hui, Ewelina Marzec ................................................ 50
La construction d’une identité turque, Amaury de Tarlé ...................................................................... 56
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Dossier : le monde arabe en ébullition
Retour sur la situation en Afrique du Nord et au Moyen-Orient
Adlene Mohammedi
Nous tâcherons ici d’éclairer le lecteur sur la situation dans ces deux régions, sans revenir sur ce
que bien des observateurs ont appelé le « Printemps arabe ».
Commençons par le Maroc. Des Etats du Maghreb, le Maroc est le plus ancien, et apparaît
comme le plus solide. Au pouvoir depuis le XVIIe siècle, la dynastie alaouite semble parfaitement
encline à s’adapter à certaines attentes du peuple marocain. Beaucoup plus réactif que d’autres
régimes arabes, le Royaume a annoncé une réforme de la Constitution, dès mars 2011, répondant
aux manifestations du Mouvement du 20 Février. Soumise à référendum, environ 75% des
Marocains y ont participé. En juillet 2011, la nouvelle constitution fut promulguée. Les pouvoirs
politiques et religieux du souverain sont réduits, tandis que le Premier ministre gagne en
prérogatives. Décrite comme « libérale » et « démocratique », la nouvelle constitution maintient
pour le roi des pouvoirs d’arbitrage non négligeables. Aux élections législatives de novembre
2011, le Parti de la justice et du développement (PJD) sort largement vainqueur. Son leader,
Abdel-Ilah Benkirane, est nommé chef du gouvernement. Assez proche idéologiquement, le PJD
s’inspire à bien des égards de l’AKP turc, notamment en partageant le même nom, et certains
aspects du logo officiel (une bougie pour le PJD ; une ampoule pour l’AKP). Pour le nouveau
Premier ministre, le parti d’obédience islamique est le parti de l’avenir et le garant de la stabilité
du Maroc.
En Algérie, la situation est sensiblement différente. Les islamistes dits « modérés », ceux qui
n’ont pas participé à la guerre civile, ont voulu profiter des succès de partis proches
idéologiquement au Maroc et en Tunisie, par exemple dans le cadre des élections législatives de
2012. Ils ont formé l’Alliance de l’Algérie verte (AAV). Cette alliance, dans laquelle on retrouve
un parti qui a participé à la coalition présidentielle et un parti créé pour l’occasion -Saad Abdallah
Djaballah, qui avait fondé Ennahda, a constitué le Front de la justice et du développement (FJD)-,
arrive troisième, derrière les deux partis au pouvoir. Ennahda et FJD sont des noms qui rappellent
les partis au pouvoir, respectivement en Tunisie et au Maroc, mais force est de constater que les
succès escomptés ne sont pas au rendez-vous. De son côté, le régime algérien a voulu se montrer
conciliant. Comme au Maroc, il a été question d’une révision constitutionnelle destinée à
« renforcer la démocratie ». Il a aussi été question d’un remaniement ministériel largement
nécessaire, mais qui tarde. Une chose est sûre, l’Algérie résiste bien au fameux « vent du
changement ».
En Tunisie, le couple Marzouki-Jebali bat de l’aile. La coexistence entre l’ancien président de la
Ligue tunisienne des droits de l’homme et fondateur du Congrès pour la République (CPR),
Moncef Marzouki, et les islamistes d’Ennahdha, issue d’un front censé défendre la révolution,
semble de plus en plus difficile. Après avoir présenté le 23 octobre 2012 comme la date butoir
pour l'adoption de la Constitution et prévu des élections générales en mars 2013, le
gouvernement évoque désormais février 2013 comme nouveau lai pour la Constitution. Ce
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retard est annoncé dans un contexte politique déjà tendu. Rappelons qu’alors que le président s’y
opposait, le gouvernement n’a pas hésité à extrader le Libyen al-Mahmoudi, ce qui déclencha une
crise politique qui aurait pu conduire à la démission de Marzouki. Celui-ci se présente comme le
garant de certaines valeurs, en exigeant par exemple l’inscription dans la Constitution « de l’égalité
totale entre hommes et femmes ». Cette constitution sera donc le prochain grand test pour lui,
tandis qu’Ennahdha pourrait, contrairement aux Frères musulmans en Egypte, miser sur un
régime parlementaire privilégiant le gouvernement (dominé par Ennahdha) et soutenir un candidat
socialiste pour les prochaines élections, comme le chef du Forum démocratique pour le travail et
les libertés (FDTL, Ettakatol), Mustapha Ben Jaafar. Celui-ci, aujourd’hui à la tête de l’Assemblée,
pourrait jouer un rôle similaire à celui de Marzouki. Ennahdha pourrait ainsi diriger le pays tout en
exhibant un président « modéré », « moderne » et « respectable ».
La situation de la Libye est hélas bien plus préoccupante, bien que certains médias se soient
félicités de la victoire des « Libéraux » aux élections de juillet. Le chaos qui a suivi l’intervention
meurtrière est perceptible à trois niveaux : d’abord, malgré la tenue d’élections, le doute subsiste
sur la nature du prochain gouvernement. L’élection d’un congrès national, censé prendre le relais
du Conseil national de transition (CNT), ne semble pas résoudre le problème de la fragmentation
du paysage politique libyen. Certains militent pour un gouvernement de consensus afin de
ménager toutes les susceptibilités au sein du CNT. Ensuite, il y a la question purement sécuritaire.
La Libye doit se doter d’une nouvelle armée, d’une police, et le gouvernement aura pour tâche de
contrôler les différentes milices. Enfin, se pose la question de la réconciliation nationale.
Interrogé par Jeune Afrique sur ce point, le nouveau président du Congrès national général,
Mohamed al-Megaryef, insiste sur le fait que les criminels doivent être punis. Concernant la
religion, il ajoute : « Nous sommes un peuple 100 % musulman, il est normal que la charia soit
une source de législation et que rien ne vienne la contredire.» Longtemps marginalisés, les
Toubous semblent décidés à jouer un rôle majeur dans le désert libyen. Certains vont jusqu’à
évoquer des combats entre Toubous et Arabes, ce qui retarde cette réconciliation qu’aucun
dirigeant ne semble décidé à promouvoir. L’indivisibilité de la Libye est plus que jamais remise en
cause, notamment avec la volonté d’autonomie exprimée en Cyrénaïque. Dans un contexte de
combats entre Toubous et Arabes, de méfiance entre la Cyrénaïque et la Tripolitaine, l’éventualité
d’une Libye fédérale ne doit pas être écartée.
La victoire des Frères musulmans en Egypte était prévisible. On a eu droit au duel que beaucoup
appréhendaient : l’islam (Morsi) face à l’ordre (Chafik). L’ordre étant synonyme d’ancien régime,
les Frères, notamment à travers un discours consensuel, se sont érigés en garants de la révolution.
Ce n’est pas la première fois qu’ils constituent ainsi la solution : les Britanniques les avaient
instrumentalisés contre le nationalisme arabe. Une fois élu président, Mohamed Morsi a faire
face à l’armée. Il s’est vite retrouvé bien démuni sans constitution, et sans parlement. Dans un
sursaut d’orgueil qui a eu le mérite de surprendre, Morsi vient d’écarter le maréchal Tantawi, qui
dirigeait le Conseil suprême des forces armées. Certains se sont alors empressés d’évoquer un
bras de fer entre l’armée et le président, tournant à l’avantage de celui-ci, bien qu’il se soit
empressé de décorer le maréchal mis à la retraite. En réalité, rien n’est clair autour des réelles
relations entre les militaires et les Frères musulmans. Le Président Sadate lui-même avait donné
des gages aux Frères musulmans, notamment en proclamant une amnistie générale. Il faut aussi
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