Les moyens d`empêcher le poisson de diminuer

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Les moyens d’empêcher le poisson de diminuer
(PISCICULTURE)
On ne pêchait autrefois sur nos côtes que la quantité de poisson nécessaire pour
nourrir les habitants du bord de la mer ; aussi le poisson ne diminuait pas, puisqu’il
pouvait en renaître toujours autant qu’on en avait pêché chaque année. Maintenant,
le nombre des pêcheurs augmente et les moyens de destruction se perfectionnent
tous les jours. Il n’y a pas besoin d’être bien vieux pêcheur pour avoir vu qu’autrefois
il y avait plus de poisson qu’aujourd’hui, et il n’est pas nécessaire non plus d’être un
prophète pour deviner que la destruction augmentera encore de plus en plus.
On avait commencé à s’inquiéter de cette diminution du poisson depuis pas mal
de temps ; c’est pour cela qu’on avait fait des règlements protégeant les jeunes poissons; qu’on avait défendu de couper le goémon, pour protéger les œufs ; qu’on avait
prohibé certains filets à certaines époques. Maintenant, on paraît, en France, avoir
renoncé à presque tout cela. On laisse couper le goémon sous le prétexte que les
savants ont découvert que la plupart des oeufs de bons poissons flottent et ne se
collent pas aux herbes ; c’est comme si le propriétaire d’un terrain de chasse faisait
raser son terrain comme un ponton parce que les œufs du gibier ne sont pas collés
aux plantes ; il ne devrait pas cependant s’étonner de voir que son gibier s’en aille de
son terrain, de même que le poisson s’éloigne des endroits où l’on coupe le goémon
parce qu’il n’y trouve plus ni abri ni nourriture. On ne défend, pour ainsi dire, plus
les instruments destinés à détruire le poisson, puisqu’on permet les vapeurs et les
grands chaluts à panneaux ; et l’on se demande ce qu’il restera de poissons sur nos
côtes dans quelques années, si on continue à détruire sans s’occuper de faire quelque
chose pour repeupler nos côtes.
On sait par exemple, que sur
deux millions de naissains
d’huîtres pondus en pleine
mer, un seul naissain, à peine,
arrive à devenir une huître
En Angleterre, en Amérique et en Norvège, on a renoncé à arrêter les procédés de
destruction sous le prétexte que c’est le progrès. Mais on a cherché un autre moyen
d’arrêter la diminution du poisson. On s’est dit : puisqu’on ne peut pas empêcher la
destruction d’augmenter, il faut trouver le moyen d’augmenter aussi la production et
la naissance du poisson, dans les mêmes proportions, de façon à rétablir l’équilibre.
On sait par exemple, que sur deux millions de naissains d’huîtres pondus en pleine
mer, un seul naissain, à peine, arrive à devenir une huître ; tous les autres sont détruits auparavant. Il en est à peu près de même pour les œufs de poisson : beaucoup
d’œufs ne sont pas fécondés, et les autres, en grande partie, sont mangés comme
œufs, ou comme petits, avant d’arriver à l’âge de pouvoir se défendre.
Cela a donné l’idée de faire de la « pisciculture », c’està-dire d’élever, dans des bassins, à l’abri des gros poissons qui les mangent par milliers, les œufs et les petits,
jusqu’à ce qu’ils soient capables de se sauver de leurs
ennemis... et de les lâcher alors dans la mer.
On avait donné comme modèle ce qui s’est fait dans l’eau douce : les truites et les
saumons avaient été presque détruits dans certains pays, et on a réussi à repeupler des
rivières par la reproduction artificielle, qui consiste à faire pondre les femelles qu’on
prend, en leur pesant sur le ventre, à féconder les œufs avec la laitance du mâle et à
faire éclore les œufs, puis à élever les petits dans des bassins fermés. De cette façon,
presque tous les œufs donnent des poissons, tandis qu’à l’état libre la plus grande
partie serait détruite. C’est ainsi qu’on est arrivé dans l’eau douce à combattre la
plus grande destruction par la plus grande production. En mer, il n’en est pas tout à
fait de même. Le particulier qui y lâcherait du poisson serait à peu prés certain, que
ce ne serait plus lui qui le reprendrait ; aussi, c’est l’État qui se charge de repeupler
la mer ; en Amérique, en Angleterre et en Norvège, ce sont tous les pêcheurs de la
côte qui en profitent. Beaucoup de gens avaient dit que le poisson voyage tellement
que ceux qu’on lâcherait dans un pays n’y resteraient pas et iraient se faire prendre
dans d’autres pays. Mais on a reconnu, depuis, que les poissons voyagent bien moins
qu’on ne le croyait. C’est surtout de haut en bas qu’ils se déplacent en venant à la
surface en été, et en descendant dans les eaux profondes en hiver pour éviter le
froid. C’est ce qu’ont prouvé les savants anglais et américains qui avaient marqué
des quantités de poissons qu’ils lâchaient et qu’on a toujours repris, longtemps après
dans les mêmes parages. C’est aussi ce qu’a démontré l’expérience partout où l’on a
fait de l’empoissonnement, le poisson n’a augmenté que dans les parages où on en
a mis. En Amérique, la côte a été peuplée artificiellement de morues : à Glocester,
depuis 1878, à Wood’s Hill on a multiplié la morue, le turbot, la sole, et cela, depuis
1889. A Terre-Neuve l’établissement de Dilds a repeuplé, avec un grand succès, la
côte de morues et de homards. En Norvège, depuis 1883, l’établissement de Floodwyg, prés Bergen, repeuple cette côte de morues, de harengs et de poissons plats et de
homards, élevés par la pisciculture, et on y obtient de très bons résultats.
Dans ces pays, les pêcheurs avaient commencé par se moquer des gens qui faisaient de la pisciculture ; mais, maintenant qu’il ont vu que le poisson qui avait disparu ou qui allait disparaître, revenait beaucoup plus nombreux tout en continuant
à être pêché de plus en plus, ils ne rient plus quand on leur parle de pisciculture mais
ils en remercient ceux qui en font. Jusqu’ici, il n’a pas été fait, en France, d’élevage
en grand. M. Canu a bien proposé en 1893 d’élever à Boulogne un établissement
semblable à ceux de Norvège et d’Angleterre, et M. Perrier a fondé un établissement
à Saint-Vaast-la-Hougue, mais il est à peine terminé. Nous espérons qu’il donnera
d’aussi bons résultats que les établissements étrangers.
Voici comment on s’y prend dans ces établissements étrangers. D’abord on faisait
pondre les femelles en leur pesant sur le ventre et en mélangeant aux œufs la laitance
des mâles pour les féconder, comme on fait pour le saumon en eau douce.
Et maintenant on trouve
meilleur d’enfermer simplement, dans de petits bassins où
l’eau de mer coule toujours, les
femelles près de pondre et les
mâles près de rendre la laitance
à mesure qu’ils sont mûrs.
Mais on a remarqué que les œufs de poisson de mer ne mûrissent que les uns après
les autres ; et maintenant on trouve meilleur d’enfermer simplement, dans de petits
bassins où l’eau de mer coule toujours, les femelles près de pondre et les mâles près
de rendre la laitance à mesure qu’ils sont mûrs. Les œufs ainsi pondus et fécondés
flottent. Ils sont entraînés en dehors du bassin par le courant d’eau qui en sort et qui
traverse un tamis où les œufs restent. C’est dans ces tamis qu’on les prend pour les
mettre à éclore dans de petits baquets où l’eau de mer coule tout le temps. Les œufs
mettent de treize à cinquante jours à éclore suivant les espèces, et aussi suivant que
l’eau est plus ou moins chaude. Quand les petits naissent, ils ont sous le ventre une
vessie qui les fait flotter le ventre en l’air ; ils donnent de temps en temps quelques
coups de queue et commencent à se retourner et à nager au bout de deux jours. Ils ne
sont débarrassés de leur vessie qu’au bout de quinze jours. Pendant ces quinze jours,
Ils ne mangent pour ainsi dire pas ; ils sont nourris surtout par ce que contient la
vessie. Ils sont tellement maladroits, qu’en pleine eau, presque tous seraient mangés
par les poissons; aussi on ne les lâche qu’après le quinzième jour, lorsqu’ils sont devenus assez dégourdis pour se défendre un peu. On pourrait les garder plus longtemps
au bassin, mais on trouve que cela coûterait trop cher de les nourrir et d’avoir des
bassins assez grands pour eux.
Les homards, eux, sont bien plus faciles encore à élever
que les poissons ; ils n’ont pas besoin d’eau aussi pure.
Ainsi ils naissent très bien dans les bassins de Concarneau, et à l’étranger on les
reproduit en grand d’une façon très économique.
C’est à quatre ou cinq ans seulement, quand elles ont atteint
la taille de 20 centimètres,
que les femelles de homards
commencent à pondre.
C’est à quatre ou cinq ans seulement, quand elles ont atteint la taille de 20 centimètres, que les femelles de homards commencent à pondre. La même femelle ne
pond jamais deux ans de suite. Le nombre des œufs de chaque femelle varie de
cinq mille à quatre-vingt mille suivant son âge. C’est vers le mois de juillet qu’a lieu
la ponte ; les œufs restent alors collés sous le ventre des femelles qui les ont pondus pendant une dizaine de mois, c’est-à-dire jusqu’à leur éclosion. Alors, il sort de
chaque œuf une petite bête de 8 millimètres environ, qui ressemble bien peu à un
homard, et qui nage au lieu de marcher. Quant aux langoustes, elles ressemblent si
peu à leur mère en naissant qu’on les a longtemps prises, quand elles étaient jeunes,
pour une autre espèce de bête. Les homards ne prennent leur vraie forme qu’au
bout de cinq à six semaines ; ils ont alors 2 centimètres de longueur. Ils ont déjà à ce
moment changé de coque quatre fois ; c’est alors qu’ils cessent de nager pour tomber
au fond et marcher comme de vrais homards. Pour pouvoir grandir, ils sont obligés
de changer de coque souvent. Dans la première année ils en changent huit à dix fois
; à mesure qu’ils vieillissent ils en changent, moins souvent. Par exemple, dans leur
quatrième année ils n’en changent déjà plus que deux à trois fois.
L’élevage en grand des homards se fait à l’étranger bien plus économiquement que
celui du poisson ; et il y donne des résultats encore meilleurs. C’est par centaine de
millions qu’on lâche les petits homards sur les côtes du Canada, de Terre-Neuve,
d’Angleterre et de Norvège. Aussi, de l’avis des pêcheurs, le homard y augmente
beaucoup, et sa pêche y donne de bien meilleurs rendements.
Voici comment on s’y prend
pour élever des homards.
Voici comment on s’y prend pour élever des homards : on n’a pas besoin de bassins qui coûtent cher, ni de pompes à vapeur pour faire circuler l’eau, comme pour
les poissons. - On détache simplement du ventre les œufs des femelles grainées, et
on les met dans des boites flottantes en bois, de l m, 25, faites exprès, qu’on appelle
boites de Nielsen, et qui ne coûtent pas cher. Ces boîtes sont mouillées avec une
grosse pierre, qui leur sert de corps mort. On y laisse les œufs jusqu’à ce que les petits naissent, et c’est encore dans les mêmes boites qu’on élève les petits jusqu’à l’âge
de cinq à six semaines, époque où on les lâche. On leur donne à manger des crabes
écrasés. Ils se battent beaucoup et se tuent entre eux ; mais il en meurt cependant
bien moins que si on les lâchait de suite ; aussi on ne les lâche que quand ils ont cinq
à six semaines, quand ils ont changé plusieurs fois de coque et qu’ils ont pris la vraie
forme de homards. Voilà comment à l’étranger on arrive à repeupler la côte.
Puisque cela réussit dans les autres pays, il n’y a pas de raison pour que cela ne
réussisse pas aussi en France. Il faudrait pour cela tout simplement envoyer en Norvège, à Floodwig, un brave homme ne cherchant à rien inventer, mais qui regarderait
avec soin tout ce qu’on y fait, de manière à faire tout pareil, une fois rentré en France.
On devrait commencer par l’élevage du homard, puisque c’est le plus facile et celui
qui coûte le moins cher, et c’est chez nous qu’il faudrait le faire, puisque c’est sur les
fonds des côtes de Bretagne qu’on pêche le plus de homards sur les côtes de France.
Quelques-uns diront peut-être
qu’il faut laisser reproduire les
poissons comme le bon Dieu
l’a voulu, car Dieu fait bien ce
qu’il fait.
Quelques-uns diront peut-être qu’il faut laisser reproduire les poissons comme le
bon Dieu l’a voulu, car Dieu fait bien ce qu’il fait. C’est justement parce que Dieu
fait bien toutes choses qu’il a fait le blé sauvage donner seulement les graines nécessaires pour le reproduire, mais aussi comme il savait que les hommes deviendraient
trop nombreux pour que les plantes sauvages puissent les nourrir tous, Dieu en
créant le blé l’a fait de telle sorte qu’il puisse produire beaucoup plus de graines
quand il serait cultivé ; et c’est là une preuve de sa prévoyance et de sa sollicitude
pour nous. Eh bien, c’est de la même façon que Dieu a fait les poissons se reproduire
à l’état sauvage, juste assez pour conserver les espèces et nourrir les habitants du bord
de la mer ; mais comme il savait qu’un jour les hommes, de plus en plus nombreux,
en consommeraient de plus en plus, il a fait aussi les poissons se reproduire de telle
façon que l’homme puisse augmenter leur reproduction quand ses besoins augmenteront ; et il semble bien que le moment soit arrivé, pour l’homme, de profiter de ce
bienfait de Dieu.
Nous prévenons nos lecteurs que nous ne pouvons donner comme absolument
certains les résultats cités plus haut : mais nous insistons pour réclamer qu’on fasse
étudier par des hommes pratiques les méthodes employées à l’étranger, de manière à
pouvoir les imiter ensuite chez nous, et à contrôler positivement les résultats.
© Yves Gladu
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