1ère L – Littérature
Séquence 1 – GT « L'automne en poésie...entre filiation et hommage »
1 « L'automne des Canaries »
Voycy les seuls côtaux, voycy les seuls valons
Où Bacchus et Pomone ont estably leur gloire ;
Jamais le riche honneur de ce beau territoire
Ne ressentit l'effort des rudes aquilons.
Les figues, les muscas, les pesches, les melons
Y couronnent ce dieu qui se delecte à boire
Et les nobles palmiers, sacrez à la victoire,
S'y courbent sous des fruits qu'au miel nous esgalons.
Les cannes au doux suc, non dans les marescages,
Mais sur des flancs de roche, y forment des boccages
Dont l'or plein d'ambroisie eclatte et monte aux cieux.
L'orange en mesme jour y meurit et boutonne,
Et durant tous les mois on peut voir en ces lieux
Le printemps et l'esté confondus en l'autonne.
Marc-Antoine Girard de SAINT-AMANT (1594-1661), Poésies (1ère moitié du XVIIème siècle)
2 « La chute des feuilles »
De la dépouille de nos bois
L’automne avait jonché la terre ;
Le bocage était sans mystère,
Le rossignol était sans voix.
Triste, et mourant à son aurore,
Un jeune malade, à pas lents,
Parcourait une fois encore
Le bois cher à ses premiers ans :
« Bois que j’aime, adieu, je succombe.
Votre deuil a prédit mon sort,
Et dans chaque feuille qui tombe
Je lis un présage de mort.
Fatal oracle d’Épidaure,
Tu m’as dit : Les feuilles des bois
A tes yeux jauniront encore,
Et c’est pour la dernière fois.
La nuit du trépas t’environne ;
Plus pâle que la pâle automne,
Tu t’inclines vers le tombeau.
Ta jeunesse sera flétrie
Avant l’herbe de la prairie,
Avant le pampre du coteau.
Et je meurs ! De sa froide haleine
Un vent funeste m’a touché,
Et mon hiver s’est approché
Quand mon printemps s’écoule à peine.
Arbuste en un seul jour détruit,
Quelques fleurs faisaient ma parure,
Mais ma languissante verdure
Ne laisse après elle aucun fruit.
Tombe, tombe, feuille éphémère !
Voile aux yeux ce triste chemin,
Cache au désespoir de ma mère
La place où je serai demain.
Mais vers la solitaire allée
Si mon amante désolée
Venait pleurer quand le jour fuit,
Éveille par un léger bruit
Mon ombre un instant consolée. »
Il dit, s’éloigne… et sans retour !
La dernière feuille qui tombe
A signalé son dernier jour.
Sous le chêne on creusa sa tombe.
Mais ce qu’il aimait ne vint pas
Visiter la pierre isolée :
Et le pâtre de la vallée
Troubla seul du bruit de ses pas
Le silence du mausolée.
Charles-Hubert Millevoye, in Elégies, livre
premier (1811-1814)