L’égalitarisme économique, décidé à réduire les écarts de ressources, l’attribuerait à Bob. L’utilitarisme,
voyant qu’elle pourrait en faire le meilleur usage et en tirerait le maximum de plaisir, la donnerait à Anne.
Mais si on défend le «droit aux fruits de son travail», dans une perspective méritocratique, la flûte
reviendrait à Carla. Aucune de ces revendications n’est infondée, et chaque principe général qui la sous-
tend vaut les deux autres. Ainsi il n'est pas simple de dire ce qui est juste économiquement et
socialement. Comment partager un héritage? Qui doit bénéficier prioritairement du don d'organe (un rein,
par exemple) : les plus jeunes ou les plus âgés ? Ceux qui ont le plus de chances d'en profiter ou les
plus gravement atteints ? Les réponses varient selon les pays, selon les hôpitaux et parfois selon les
services. Aussi le chemin vers le «parfaitement juste» est-il impraticable. En revanche, il est possible de
lutter contre des situations qui sont considérées par tous comme injustes : de la faim dans le monde à la
précarisation, de la non-scolarisation des enfants au non-accès à la santé...
Une distribution équitable de biens au départ ne suffit pas, comme le pense Rawls, car tous les individus
n'ont pas la même « capabilité ». La capabilité désigne l’ensemble des capacités d'un individu pour
améliorer concrètement son sort dans la direction souhaitée. Avoir le permis ne suffit pas à une personne
pour se déplacer plus vite qu’à pied. Avoir une voiture n'est peut être pas non plus suffisant si les routes
ne sont pas construites ou si elles sont encombrées... La capabilité ne désigne pas une liberté au
conditionnel, mais la liberté qui est effectivement disponible à l’instant considéré. Elle ne dépend pas
seulement de la réalisation de l'égalité des chances ou d'une meilleure répartition des richesses. Avoir
davantage de capabilité signifie voir sa situation s’améliorer : pouvoir vivre plus longtemps, pour avoir
davantage d’amis, voyager plus loin, manger davantage de plats agréables, être moins malade etc.
En conséquence, une société est juste si elle offre à chacun la capacité de se réaliser pleinement en
toute indépendance. Les buts de chacun n'étant pas les mêmes, cette quête du bien-être suppose un
débat public, canalisé par des moyens d’information ou de communication libres et responsables et des
compromis sociaux et politiques.
2 – L’égalité des chances suffit-elle pour réaliser la justice sociale ?
a) – Comment obtenir l’égalité des chances ?
1. Une société juste n’est pas une société égalitaire mais une société qui réalise « l’égalité juste », c’est-à-
dire « l’équité ». La participation équitable à la vie économique et sociale présuppose au premier chef
une égalité des chances. Celle-ci s’attache à réduire les inégalités de départ qui résultent de handicaps
individuels, du contexte familial, mais aussi de l’héritage et des relations. Cette recherche de l’égalité des
chances peut être obtenue de trois façons.
2. En luttant contre les discriminations par la loi. Une discrimination est une inégalité de traitement fondée
sur un critère prohibé par la loi, comme l’origine, le sexe, le handicap etc., dans un domaine visé par la
loi, comme l’emploi (préférer un homme à une femme au moment de l’embauche, promouvoir davantage
les employés blancs que les employés noirs…) le logement (refuser un logement au prétexte de la
couleur de la peau,…), l’éducation (regrouper les élèves en fonction de leur origine,…). Certains groupes
sociaux ne bénéficient pas objectivement des mêmes chances que les autres, malgré l'égalité de droit
dont ils jouissent en principe. C'est le cas des minorités visibles, des femmes, des handicapés, etc. Pour
rétablir un équilibre des chances, les États engagent des politiques de lutte contre les discriminations.
Cette lutte passe par la loi qui va mettre en place des dispositifs pour prévenir les discriminations (CV
anonyme, obligation de publier un bilan social, création en France d’une haute autorité luttant contre les
discriminations : la Halde…) et prévoir des sanctions lorsque la discrimination est avérée car elle
contrevient à l’égalité des droits.
3. En offrant le même type de prestations ou de services publics gratuits à tous. L’Ecole gratuite offre aux
élèves les mêmes chances de réussir leurs études. La gratuité d’une partie des dépenses de santé
permettent aux plus pauvres de soigner au même titre que les plus fortunés ce qui leur offre une égalité
des chances d’être en bonne santé. Les allocations familiales compensent une partie des coûts
d’éducation des enfants quelque soit les revenus des parents. En France, en 2008, Avec une contribution
de 36,5 % à la réduction des inégalités, l’éducation est le transfert en nature des administrations
publiques vers les ménages le plus redistributif. Il est en effet très progressif en raison de la
surreprésentation des familles dans le bas de l’échelle des niveaux de vie. D’un poids comparable, mais
d’une progressivité moindre, la santé contribue à hauteur de 29,6 % à la réduction des inégalités globales
de niveau de vie. Ainsi, d’après l’OCDE, les services publics diminuent de 7,5 points les inégalités de
revenus de départ aux Etats-Unis, de 10 points en France et de 8 points en Suède