AgroBrasConsult – Avril 2015 Page 2
Introduction.
Le Brésil pourrait connaître une nouvelle "décennie perdue". Les Brésiliens qui sont nés
avant 1975 savent ce que signifie cette expression. Elle faisait référence, après 1990, aux dix
années qui venaient de s’écouler, marquées par l’hyperinflation, les contraintes d’un
endettement extérieur colossal et une croissance insignifiante. Depuis 1994, avec la stabilisation
de l’économie, un début d’ouverture commerciale, la création de la monnaie actuelle et le retour
de la croissance, l’expression semblait être devenue un vestige du passé. Elle est pourtant
réutilisée depuis quelques années pour désigner les années qui ont commencé en 2010 et
évoquer avec inquiétude celles qui nous séparent de 2020. Entre 2011 et 2013, le PIB a
enregistré une progression très médiocre pour un pays dit émergent (croissance moyenne de
2%/an). Il a stagné en 2014 (+0,1%). Pour 2015, les prévisionnistes annoncent la poursuite
d’une récession (le PIB chuterait de 1,5%) qui a commencé sur les derniers mois de l’année
écoulée.
Un regard extérieur peut conduire à considérer que ce ralentissement très net de la première
économie d’Amérique du Sud n’est finalement que la traduction de la fin du grand boom des
matières premières dont le Brésil a largement profité. Fournisseur majeur de minerais, de
produits agricoles (soja, viandes, maïs, sucre, cellulose-papier, café, fibres) et de pétrole, le pays
a connu de la fin des années 2000 à 2011 une très nette amélioration de ses recettes
d’exportation. Le Brésil a notamment tiré parti de la croissance chinoise. En quelques années, la
République populaire est devenue le premier débouché commercial extérieur. La crise
brésilienne actuelle est certes liée à la fin du boom économique mondial et du cycle de cours
élevés des commodités. Elle est aussi et surtout l’aboutissement d’une longue période d’erreurs
structurelles dans la stratégie de développement économique du pays1. A l’arrivée de la gauche
au pouvoir en 2003 (après l’élection du Président Lula da Silva), le Gouvernement Fédéral a
maintenu pendant quelques années les priorités de politique conjoncturelle de l’Administration
antérieure : rigueur de la politique monétaire et stabilité des prix, discipline budgétaire, régime
de change flottant. Il a cependant imposé dès 2004-2005 un abandon de la politique de
libéralisation de l’économie qui prévalait depuis 1994. La croissance favorisée par le dynamisme
des grandes filières exportatrices (agriculture, minerais) a permis d’améliorer les rentrées
fiscales. L’Etat a pu alors développer des programmes sociaux de redistribution et favoriser
l’essor d’un vaste marché intérieur isolé de la concurrence internationale. Il va aussi consi-
dérablement renforcer son rôle dans la conduite de l’économie
Sous les deux gouvernements Lula da Silva, puis au cours du premier mandat de Dilma
Rousseff, la logique de l’économie de marché sera partiellement remplacée par un pilotage vo-
lontariste et centralisé de l’activité. Le Brésil s’engage alors sur une voie périlleuse marquée par
la soumission des entreprises publiques aux intérêts des forces politiques en place, l’accen-
tuation du protectionnisme commercial, la création d’un nouveau régime d’exploitation
pétrolière, la multiplication des subventions à l’économie, le laxisme budgétaire, le maquillage
des comptes publics, la tolérance d’une inflation élevée et les interventions sur le marché des
changes. Le Gouvernement Fédéral n’hésite pas à évoquer un nouveau modèle de dévelop-
pement économique. La priorité est au volontarisme politique, quitte à mépriser les règles de
base du fonctionnement de l’économie de marché. Les grandes entreprises publiques nationales
qui interviennent dans des secteurs stratégiques (industrie pétrolière, énergie électrique, insti-
1 Il faut rappeler ici que les formations politiques qui gouvernent le pays sont au pouvoir depuis 12 ans. Dilma
Rousseff a occupé des fonctions éminentes sous les deux gouvernements du Président Lula (2003-2006 et 2007-
2010). Après avoir été Ministre des Mines et de l’Energie (de janvier 2003 à juin 2005), elle a occupé ensuite la
fonction de chef de la Maison civile (sorte de Premier Ministre) avant de devenir Présidente. Les difficultés
économiques majeures que connaît aujourd’hui le pays sont liées à des orientations qui ont été choisies et mises
en oeuvre avant le premier mandat de la Présidente Rousseff.