Apports de la spéciation biologique en dosimétrie interne

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J. Chim. Phys. (1998) 95, 845-850
O EDP Çuenœs. Les Ulis
Apports de la spéciation biologique
en dosimétrie interne
F. paquet', E. Ansoborlo, V. Chazel,
M.H. Hengé-Napoli et P. Houpert
Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire, Département de Protection de la Santé de l'Homme
et de Dosimétrie, Setvice de Dosirnétrie, BP. 6, 92265 Fontenay-aux-Roses cedex, France
Correspondance et tirés à part.
RÉSUMÉ
La spéciation est l'étude des caractéristiques moléculaires des éléments radioactifs. Un des axes majeurs développé dans ce domaine cherche a décrire les mécanismes de complexation et de dépôt des radionucléides dans les cellules. Ces études
sont effectuées pour tenter d'élucider deux problèmes majeurs de la dosimétrie interne : l'estimation réaliste des doses reçues par les cellules cibles après contamination interne ct l'amélioration des thérapeutiques proposées après incorporation accidentelle. Le présent rapport fait le point sur les derniers travaux réalisés sur le Np et
résume les principales avancées dans ce domaine.
Mots clés : Actinides, spéciation, contamination interne
ABSTRACT
Speciation studies consist in the determination of the molecular characteristics of
the elements. The research currently carried out in that field is aimed at describing
the intracellular deposit of the radionuclides and the complexation mechanisms
which determine their behaviour. Such studies are developed in order to contribute
towards the solution of two major problems in the field of intemal dosimetry : the
realistic assessrnent of the dose received by the target cells and the therapeutic removal of neptunium or uranium after internal contamination. The work presented
thereafter resumes the main results obtained in that field.
Keys-words : Actinides, speciation, internal contamination
INTRODUCTION
Les recherches menées en dosimétrie interne comportent plusieurs niveaux
d'analyse, allant des caractérisations chimiques et biocinétiques des composés radioactifs à la mesure des niveaux de contamination après incorporation accidentelle. Les
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d o ~ é e recueillies
s
dans ces domaines permettent de modéliser les transferts des radionucléides dans l'organisme, de calculer les doses reçues et d'envisager des thérapeutiques applicables après contamination interne. A ce jour, les connaissances acquises dans les domaines d e la spéciation chimique et des biocinétiques des actinides
permettent de prédire le comportement de la plupart des formes chimiques présentes
aux postes de travail. Toutefois, parmi l'ensemble des recherches menées, deux
points particuliers restent à élucider, à la fois dans les domaines de la dosimétrie au
niveau des cellules cibles et dans le traitement des contaminations internes. En dosimétrie, il est en effet difficile d'évaluer précisément les doses recues au sein des cellules après contamination en raison des distributions intra- ou extracellulaires spécifiques à chacun des actinides. Dans le domaine du traitement des contaminations, il a
été démontré que l'uranium et le neptunium ne sont que faiblement éliminés par les
thérapeutiques classiques préconisées [l-5). Dans chacun de ces deux domaines
d'investigation, les travaux menés jusqu'alors n'ont pas permis de répondre aux
questions posées, probablement parce que les recherches se sont focalisées sur les
processus de transfert et d'accumulation des éléments au niveau de l'organisme et
des organes. Aujourd'hui, il convient de travailler aux niveaux cellulaire et moléculaire afin de résoudre les problèmes en suspens. La spéciation biologique, définie
comme étant l'étude des espèces chimiques des radionucléides en milieu biologique
permet de répondre en partie à ces questions. Cette nouvelle approche à été récemment appliquée à quelques actinides et est présentée dans ce rapport à l'aide
d'exemples concrets.
APPORTS DE LA SPECIATION BIOLOGIQUE
Les études de spéciation biologique passent par deux étapes complémentaires,
l'identification des accepteurs biologiques des radionucléides et l'analyse des mécanismes conduisant à leur dépôt dans les tissus. Dans chaque cas, les données obtenues permettent, soit de définir la position des radionucléides par rapport aux cellules cibles, soit de progresser dans la compréhension des mécanismes d'échanges entre ligands naturels et artificiels. Ces deux niveaux d'investigation apportent les données indispensables au développement de la dosimétrie cellulaire et à l'amélioration
des traitements des contaminations internes.
Localisation des actinides aux niveaux cellulaire, subcellulaire et moléculaire La localisation des accepteurs biologiques permet de reconstituer avec précision la
dosimétrie au niveau des cellules cibles : en cas d'incorporation intracellulaire, la
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distribution des éléments peut conduire à une accumulation homogène (cas du césium par exemple) ou, au contraire, très hétérogène. Ce dernier cas, qui correspond a
un dépôt localisé du radionucléide dans certaines structures cellulaires, conduit localement à des dépôts d'energie beaucoup plus élevés que lorsque les éléments diffusent dans la cellule. Cette localisation préférentielle de certains radionucléides au niveau des organites cellulaires est très mal connue et conduit probablement à une
large sous-estimation des doses reçues par les cellules. L'identification des sites de
dépôt des radionucléides est indispensable pour calculer ces doses avec précision.
Trois outils analytiques sont aujourd'hui utilisés pour décrire le comportement
d'un radionucléide au sein des tissus. L'histo-autoradiographie, la microanalyse élémentaire et la biochimie permettent de définir les sites de stockage des éléments et
fournissent des résultats tout à fait complémentaires. Au cours de récentes études,
une approche biochimique a été développée permettant de décrire les processus de
transfert du neptunium au niveau des trois principaux organes cibles, le sang, le foie
et le squelette [6-81. Ces expérimentations ont consisté en l'administration du radionucléide chez des rats et en un suivi des sites de dépôt en fonction du temps et de la
forme chimique initiale administrée. Les résultats ont permis de montrer que, dans
le foie, le radionucléide n'était pas diffus dans les cellules, mais concentré dans les
noyaux cellulaires et au niveau du cytosol (compartiment soluble de la cellule). Une
analyse plus approfondie à permis de montrer que le radionucléide était distribué
pour moitié sur des protéines de la matrice nucléaire, fortement liées à l'ADN et sur
deux protéines cytosoliques dont l'une à été identifiée comme étant la transferrine
[SI. Au cours du temps, le Np cytosolique semble se dégager progressivement d'une
des protéines cytosoliques pour se fixer quasi-exclusivement sur la ferritine, qui sert
également de site de stockage pour le fer 191. Au niveau sanguin, le transférrine, qui
est la protéine de transport du fer dans le sang, est responsable de la fixation puis de
la distribution du radioélément dans les tissus cibles (foie et os) [8].Au niveau osseux. le Np semble se fixer avec une très grande affinité sur des protéines collagéniques et sur d'autres protéines non encore identifiées [6].
Ces résultats constituent une première approche permettant d'identifier les molécules biologiques impliquées dans les transferts tissulaires et intracellulaires des radionucléides. Ils sont capitaux pour la compréhension des biocinétiques des radionucléides en général et, surtout, pour la détermination de la dose reçue par les cellules contaminées. Dans le cas précis du neptunium, l'accumulation intranucléaire du
radionucléide entraîne des doses importantes au niveau de l'ADN des cellules hépa-
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tiques, qui conduiront à des lésions plus marquées que si le radionucléide était diffus
dans la cellule. D'autres expérimentations, réalisées avec le plutonium ou
l'américium montrent au contraire que les deux radionucléides se fixent préférentiellement dans les lysosomes et sont éliminés assez rapidement [IO-111. En termes
d'effet biologique et de dose reçue par la cellule, cette dernière localisation aura des
conséquences très différentes de celles générées par le Np.
Analyse des mécanismes de complexation pour l'élaboration de thérapeutiques
applicables après contamination interne - A ce niveau d'analyse, il s'agit de comprendre comment se fixent les radionucléides sur les accepteurs sanguins, hépatiques
et osseux, à quoi obéissent les transferts observés entre ces différents ligands et
quelle peut-être l'action de chélateurs artificiels introduits dans le système. L'intérêt
de ce genre d'étude est d'apporter des données de base pour la mise au point de thérapeutiques efficaces pour l'élimination des radiocontarninants incorporés.
Des essais portant sur l'analyse des mécanismes de complexation et sur l'effet de
chélateurs artificiels ont été réalisés in vitro après contamination de singe par administration intraveineuse du complexe Pu-TBP [12]. Ce composé, quand il est introduit dans l'organisme, résiste aux traitements par le DTPA et n'est pas éliminé. Métivier et al. ont montré que le plutonium systémique était complexé à la transferrine
et ont tenté de l'opposer in vitro à de fortes concentrations (5.10"-5.10-~
moles/l) de
DTPA. Ces auteurs ont montré que le DTPA restait peu efficace pour complexer le
Pu lié à la transferrine mais qu'un autre chélateur, le LICAM(C) pouvait entrer en
compétition avec la protéine et fixer le Pu. Devant le succès de ces premières études,
d'autres essais ont été entrepris et ont permis d'analyser l'action de chélateurs sur la
dissociation de complexes formés entre le neptunium et des protéines sériques, hépatiques et osseuses [3]. Dans ce dernier cas, des fractions minérales ou organiques
de l'os, contaminées in vivo par administration systémique de Np ont été traitées in
vitro par des concentrations croissantes de DTPA, comprises entre 1 0 - ~ et 4.10-~
mol/l. L'analyse des données recueillies montre que le chélateur n'a pas pu se substituer aux ligands naturels de l'os, même lorsque de très fortes concentrations étaient
molIl). Les mêmes expériences, réalisées sur des protéines hépatiutilisées (4.10-~
ques et sanguines avec du DTPA et du LIHOPO ont conduit au mèmes conclusions.
En termes chimiques cela signifie que ces complexes naturels sont très stables et ne
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sont pas dissociés en présence d'autres agents chélatants. En terme thérapeutiques
cela signifie que le DTPA est inefficace pour le traitement des contaminations internes au neptunium.
Ces premiers résultats mettent en évidence des phénomènes de transfert au niveau
moléculaire entre les différents ligands de l'organisme. Ils expliquent en outre pourquoi le DTPA est innescace pour la décorporation in vivo du neptunium 131. Ces essais doivent maintenant être suivis de travaux décrivant les mécanismes de fixation
des radionucléides sur les protéines. Ils vont permettre de definir les constantes
d'affinité entre les ligands et les radionucléides et d'immaginer de nouvelles molécules destinées à dissocier spécifiquement les complexes formés avec les protéines sériques, hépatiques et osseuses.
CONCLUSIONS
L'ensemble des résultats acquis grâce aux études de spéciation constitue une
première approche indispensable au développement de la dosimétrie cellulaire et à
l'amélioration des thérapeutiques existantes. Ces études montrent en effet que les
dépôts des radionucléides dans les tissus sont très variés et que ceux-ci se fixent dans
des "environnements" distincts selon les organes considérés (dépôt intra- ou extracellulaire, accumulation nucléaire, lysosornale ou cytosolique,..). Ces localisations particulières ont pour conséquence directe des dépôts d'energie différents au sein des
cellules cibles qu'il convient maintenant de quantifier. Au niveau thérapeutique, ces
études permettent de modéliser le comportement des radionucléides soumis, in vivo,
à des chélateurs artificiels. Elles permettront a terme de définir les caractéristiques
requises pour de nouvelles molécules complexantes.
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