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ART/CULTURE & Entreprise2018
suprématie de l’ego, insuffl er du doute ne peut pas faire de mal." Dans la même veine, la première édition de la
biennale d’art contemporain de Rennes en juin 2008, a interrogé les relations entre l’art et l’entreprise en proposant
notamment des rencontres avec une quinzaine d’artistes qui ont dévoilé leurs travaux après une immersion dans
des entreprises bretonnes, de novembre 2007 à avril 2008 grâce au mécénat du groupe alimentaire Nora. Un
dialogue art-entreprise qui a souligné les apports mutuels comme les incompatibilités d’objectifs de chacun.
Chacun a sa place pour plus d’apports mutuels
Et de fait, il ne s’agit pas d’inféoder l’art à l’entreprise ou de faire de l’entreprise un chantre de l’art pour l’art. Si les deux univers
s’apportent des richesses diverses, c’est bien parce qu’ils ne partagent ni les mêmes buts, ni les mêmes méthodes. C’est
bien plutôt dans la fréquentation réciproque, côte à côte, que se créent les frictions créatives. Certains, comme Pierre-Michel
Menger dans son ouvrage, Portrait de l’artiste en travailleur, mettent en exergue les similitudes entre la posture de l’artiste et
le travailleur contemporain, ou en tous cas ce que ce dernier doit devenir pour s’affi rmer dans le capitalisme d’aujourd’hui. Et
ce n’est effectivement pas les ponts qui manquent, entre entrepreneurs et artistes, que ce soit dans l’attention des uns et des
autres portés au réel et à ses mutations, à leur capacité d’accepter l’imprévu et à l’intégrer dans le processus de création ou la
prise de risque, les théories pullulent en tous genres pour rapprocher ces deux mondes, encore inconciliables hier.
Ainsi, pour citer Louis Schweitzer: "il faudra intégrer les "produits de désordre" pour être irremplaçable. Il ne suffi t plus
d’être aussi bon que les autres, il faut être irremplaçable. Même si vous êtes très bon, vous n’êtes pas irremplaçable, car
immanquablement quelqu’un sera aussi bon que vous un jour. Mais si vous êtes différent, vous devenez irremplaçable. Il
faut donc avoir cette capacité de faire ce que personne d’autre ne fait. En cela, l’inspiration, la diversité, la créativité, sont des
valeurs clés."
Pour le plaisir
Enfi n, si l’art et l’entreprise ne font qu’ouvrir un dialogue qu’on imagine à l’avenir pérenne et riche de bien des décou-
vertes, le premier apport de l’art est d’apporter du sens, en créant des expériences, tantôt pour les sens, tantôt pour
l’esprit. Dans un contexte où les choix professionnels des jeunes diplômés se font de moins en moins sur des critères
de revenus ou de prestige de l’entreprise, au profi t de la recherche de sens et d’épanouissement personnel, il faut
sans doute rappeler que l’art ouvre le monde, et le monde professionnel en particulier à ces nouvelles perspectives.
"La vraie vie n’est pas absente, elle est intermittente, un éclair dans la grisaille dont on garde ensuite la nostalgie
émue. Ou plutôt, il n’y a pas de "vraie vie" au sens d’une vérité et d’une seule mais beaucoup de vies intéressantes
possibles et c’est cela la bonne nouvelle. Ce fut également la noblesse du surréalisme que d’exalter "le merveilleux
quotidien", que de nous inviter à une révolution du regard pour voir notre environnement avec des yeux neufs. La
poésie ne se cache pas dans les cieux ou un futur hypothétique, elle est accessible à tous, tout de suite. A l’artiste de
nous montrer que la vie dite commune est tout sauf commune, de nous éveiller à sa féérie. Une révolution esthétique
est d’abord une révélation qui rajeunit le monde, ouvre sur lui des perspectives inédites. Le quelconque est toujours
l’exceptionnel invisible comme l’exception est un quelconque exhumé." (Pascal Bruckner)
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Ainsi, les arts technologiques dans leur ensemble ("art numérique", "net art", "video art"...) constituent par exemple
un laboratoire extraordinaire d’innovations et d’anticipations technologiques et sociales. Les artistes numériques
inventent de nouveaux dispositifs, précurseurs de logiciels et produits audiovisuels révolutionnaires ("i-movies",
"after effects", appareil photos numériques, caméras DV) et dont s’inspirent des entreprises comme IBM,
Sony, Xerox, Bell ou encore France Telecom... Le MediaLab du MIT de Boston ou le Zentrum für Kunst und
Medientechnologien de Karlsruhe en Allemagne ne se s’y sont pas trompés, incluant depuis plusieurs décennies
déjà la recherche en arts aux programmes d’innovation des entreprises. Parce qu’il est à la fois interactif et
pédagogique, il ouvre des perspectives immenses que les acteurs majeurs du champ culturel n’ont pas tardé à investir.
Ainsi, certaines institutions proposent d’ "entrer" dans les œuvres, de découvrir le grain de la peinture, d’assister à la
reconstitution des étapes de travail du peintre ou même de relooker un tableau d’un grand. On imagine aisément
les idées et bonnes pratiques que le monde marchand peut aller puiser en allant voir du côté de l’art et des artistes.
Au passage, les artistes du numérique bousculent les codes légaux en interrogeant le problème de "l’auteur" et
de ses droits, mais aussi l’espace public ou encore la signifi cation de la réception d’une œuvre d’art. Ainsi le
projet "Chain Reaction" avait consisté en son temps en un "cadavre exquis" visuel dans lequel chacun pouvait
choisir une image et l’envoyer sur le serveur où elle prenait sa place dans une généalogie. Dans le même
esprit, l’œuvre la plus célèbre d’Eduardo Kac, "Ornitorrinco", représentait un télérobot que les internautes
pouvaient diriger en ligne, le net leur donnant la possibilité de voir à travers les yeux du robot. S’appuyant
sur cette même "cyberception" qui veut que la perception dépasse le physique, de nombreux jeunes artistes
développent ainsi des projets, plus ou moins ambitieux, accessibles notamment sur certains blogs ou sites en
tous genres. Et tout doucement ces questionnements apparemment à la marge viennent envahir le secteur de
l’industrie et des services comme autant d’aiguillons de l’innovation et du mouvement.
Des utilisations de l’art dans l’innovation au quotidien
L’innovation ne se cantonne pourtant pas aux technologies. Elle est avant tout sociale, organisationnelle. Les artistes
captent la sensibilité et l’air du temps. Ainsi, en exposant à la Biennale de Venise l’interprétation par 107 femmes d’un
e-mail de rupture, Sophie Calle propose, entre autres, de s’interroger sur l’objet e-mail, son langage et sa réception.
On se prend alors à imaginer la réunion de 107 directeurs marketing autour d’une campagne d’e-mailing massive,
analysant chaque mot, chaque tournure de phrase par le prisme de son expérience et de son vécu. De l’exercice,
certes cocasse, ressortirait sans doute bien des pistes pour réinventer les campagnes marketing de l’avenir…
Diffuser, diffuser, il en restera bien quelque chose…
En somme, ce rapport art/entreprise demande, pour être reconnu par tous, à être exploité dans toutes ses
dimensions et à tous les étages. Il faut pour cela convaincre les décideurs de faire entrer l’art dans l’entreprise,
à l’image de cette courageuse expérience initiée par Francis Rousseau, président d’Eurogroup. Ce dernier a
invité l’artiste Igor Antic, ancien élève de Daniel Buren, à partager pendant cinq mois le quotidien des consul-
tants d’Eurogroup. Une première dans les pratiques des entreprises. Du haut de son atelier au 21e étage de
la tour Vista, à Puteaux, siège du cabinet-conseil Eurogroup, Igor Antic a observé, décrypté le quotidien des
consultants et a fi ni par capter et donner forme "à capter l’inconscient collectif du cabinet". Le président justifi e
sa démarche en soulignant que "Le travail d’un artiste invite à prendre du recul, à réfl échir à nos métiers et
façons de fonctionner. Cela crée un nouvel espace de critique". Le même président va même plus loin : "Si
la démarche de l’artiste permet de casser les normes et les règles, c’est bien. Dans un monde où règne la