
Antigone ou le fatum transgénérationnel 
 
 
Il  n'y  a  pas  plus  transgénérationnel  qu'un  fatum,  sorte  de  passage  de 
l'alliance  à  la  mésalliance  comme  de  la  lumière  à  l'ombre.  Il  n'y  a  pas 
d'alliance possible sans risque de mésalliance, pas de jour sans nuit, pas de 
lumière sans ombre. Les êtres sans ombres ne sont pas de notre monde. 
 
Ils étaient quatre 
Quelle belle descendance ! Un carré parfait avec alternance des sexes, deux 
filles,  deux  garçons,  à  la  table  princière,  cartes  en  mains  pour  le  jeu  des 
familles  :  Ismène, Antigone, Étéocle  et  Polynice,  tous  le  fruit des amours 
incestueuses d'Œdipe Ŕ du moins dans la version dominante. Car, dans ces 
histoires  de  catastrophes  familiales,  il  y  a  souvent  un  grand  nombre  de 
versions  dont  certaines,  même,  trouvent  une  fin  heureuse.  Parmi  d'autres, 
dans  la  version  d'Euripide1,  en  effet,  Antigone  est  cachée  par  son  fiancé 
Haemon,  chargé  de  la  tuer.  Elle  a  un  enfant  de  lui.  Sur  l'intervention  de 
Dionysos ou Héraclès, ils sont pardonnés et on les marie officiellement. 
Mais la forme la plus  courante de  la tradition fait  d'Antigone une  héroïne 
tragique. 
 
Juste pour mémoire  
Lorsque Œdipe, éclairé sur ses actes par l'oracle de Tirésias se fut aveuglé et 
banni  lui-même  de  Thèbes,  il  partit,  mendiant  son  pain  sur  son  chemin. 
Antigone se fit sa compagne. Leur route les mena à Colonne, en Attique, où 
Œdipe  mourut.  Alors  Antigone  revint  à  Thèbes  et  vécut  avec  sa  sœur 
Ismène,  qui  était  restée  tranquillement  "à  la  maison".  C'est  alors  que  le 
fatum frappa encore. Dans la guerre des sept chefs, ses deux frères, Étéocle 
et Polynice s'affrontèrent, le premier dans l'armée thébaine, le second dans 
celle  qui  attaquait  sa  patrie.  Lors  des  combats  aux  portes  de  Thèbes,  les 
deux  frères  moururent  de  la  main  l'un  de  l'autre.  Créon,  le  roi,  oncle  des 
quatre enfants d'Œdipe, organisa des funérailles solennelles à Étéocle mais 
interdit qu'on ensevelit Polynice qui, par ambition, avait appelé et servi des 
étrangers contre sa patrie. Antigone n'accepta pas cet ordre. Pour elle, c'était 
un  devoir  sacré,  imposé  par  les  dieux  et  des  lois  non  écrites,  mais 
impératives, que l'ensevelissement des morts, surtout de ses proches parents. 
Alliance de la lignée exige. 
Elle répandit sur le corps de Polynice, laissé aux oiseaux devant les portes 
de  la  ville,  pour  exemple,  elle  répandit  une  poignée  de  poussière,  geste 
rituel,  geste  symbolique  suffisant  pour  satisfaire  l'ordre  religieux.  Créon, 
pour cet acte de piété, la condamna à mort et la fit enfermer vivante dans le 
tombeau des Labdacides , dont elle descendait. Elle se pendit dans sa prison. 
Haemon,  son  fiancé,  fils  de  Créon,  se  tua  sur  son  cadavre.  La  femme  de 
Créon, elle-même, se suicida de désespoir. 
En  matière  d'hécatombe,  Shakespeare  n'a  rien  inventé.  Le  fatum  latin  et, 
encore avant, le tragique grec ( fatalité des fatalités -   : fortune 
personnelle ) savaient déjà à quoi s'en tenir avec le destin. Il est vrai qu'aussi 
loin que l'on remonte dans les récits (de Gilgamesh à nos jours … à regarder 
la télévision), c'est encore l'hécatombe qui manque le moins. Au point qu'on 
                                                 
1  disparue, qui, par conséquent, ne nous est connue qu'indirectement et seulement dans ses 
grandes lignes.