Jean Baudrillard Jean Baudrillard est un sociologue et philosophe français, né le 27 juillet 1929 à Reims et mort le 6 mars 2007 à Paris. Sa pensée a fortement évolué depuis la publication, à la fin des années 1960, du Système des objets et de La Société de consommation, pour se concentrer sur la notion de « disparition de la réalité ». D'origine paysanne, il est fils unique. Remarqué à l'école primaire par ses instituteurs, ceux-ci l'aident à intégrer le lycée et à devenir boursier. C'est au lycée Henri IV à Paris, où il prépare le concours d'entrée à l'École normale supérieure, qu'il fait sa première rupture radicale, à la fois amicale, amoureuse, studieuse et révolutionnaire, en tournant le dos au concours, pour aller s'établir comme ouvrier agricole puis maçon à la tâche, dans la région d'Arles. Il est ainsi considéré comme le premier intellectuel maoïste "établi" de France. À son retour, il finit ses études supérieures à l'université des langues de la Sorbonne, et obtient l'agrégation en allemand. Nommé successivement dans différents lycées en France, puis lecteur résident des universités en Allemagne et lecteur de littérature allemande aux éditions du Seuil, il traduit plusieurs ouvrages, notamment avec Gilbert Badia "Dialogue d'exilés" de Bertolt Brecht, pour l'Arche, "Marat-Sade" de Peter Weiss, d'autres avec Gilbert Badia, Henri Auger, et Renée Cartelle, pour les Editions Sociales, ainsi que L'Idéologie allemande de Karl Marx. Il traduit également les poèmes de Hölderlin qui resteront inédits jusqu'à leur publication dans Les cahiers de l'Erne, en 2005. Il publie plusieurs articles critiques en littérature internationale dans Les Temps modernes. De son premier mariage avec Lucile, il a deux enfants, Gilles et Anne. En pleine guerre d'Algérie, sa paternité lui vaut de rester dans la région parisienne pendant son service militaire, comme archiviste au Centre du cinéma des armées (où il rencontre l'acteur Jean-Louis Trintignant). Jean Baudrillard fait sa seconde rupture en cessant l'enseignement secondaire, et opte pour la philosophie politique en entreprenant une thèse de doctorat en troisième cycle de sociologie de la vie quotidienne, discipline associée à la sociologie urbaine et fondée en France par le philosophe Henri Lefebvre, tout en suivant les cours de Roland Barthes à l'École Pratique des Hautes Études. En 1968, son doctorat remporte les félicitations du jury et donne lieu à son premier ouvrage, "Le système des objets". En même temps, Jean Baudrillard est devenu chargé de cours (puis assistant et maître de conférence) à l'université de Nanterre, dans le département d'Henri Lefebvre. Jean Baudrillard est l'une des figures pédagogiques de référence des activistes du mouvement du 22 mars. Des années plus tard, Baudrillard déclarera : « On passait de l'histoire transcendante, la grande Histoire, à une sorte de contre-histoire. On descendait vers l'anodin et la banalité qui devenaient des objets dignes d'intérêt sur le plan historique (...) On était déjà redescendu de l'Histoire, des grands mouvements sociaux et historiques. Et finalement, sous ses airs un peu bénins, cette plongée dans la vie quotidienne, même si je n'aime pas beaucoup ce terme qui est un peu réducteur, c'était quand même une espèce de révolution. En fait, plutôt une involution par rapport à l'Histoire. On descendait de la transcendance de l'Histoire dans une espèce d'immanence de la vie quotidienne, et à travers elles toutes ces choses telles que la sexualité qu'on avait largement oubliées dans l'idéalisme historique. » Il est également l'un des créateurs de la revue « Utopie » (1967/1980), enseignant à l'Université de Paris X Nanterre et directeur scientifique à l'Université de Paris IX Dauphine (1986/1990), et co-fondateur avec Paul Virilio du comité de rédaction de la revue du CNAC Pompidou, "Traverses". Il était enfin membre de la direction de la revue canadienne anglophone C theory. Un des passeurs de l'œuvre de Jean Baudrillard aux États-Unis est l'éditeur de Semiotext(e) et ancien membre du Cerfi, dont la thèse a également été informée par Roland Barthes, Sylvère Lotringer. Il a émigré à New-York pour devenir professeur en littérature comparée et française, à l'université de Columbia, et poursuit son activité d'éditeur chercheur avant-gardiste. Notamment, dans les années 1980, il organise l'accès du philosophe à l'art contemporain et aux avant-gardes newyorkaises et sa rencontre avec Andy Warhol, sur lequel l'auteur écrira Le snobisme machinal, texte inaugural de la rétrospective du CNAC Pompidou, en 1997. Auparavant, dans les années 1970, Jean Baudrillard fait un premier séjour dans le Colorado à l'occasion du colloque de Atspen en 1971, puis il découvre les universités californiennes, rencontrant lors de ses voyages les grandes figures intellectuelles et littéraires du moment, tels Marshall Mac Luhan, Philip K. Dick, Paul Watzlawick et probablement d'autres membres de l'école de Palo-Alto ou de la pensée Cyber. C'est aussi l'époque d'une carrière italienne du philosophe, invité chaque année par le mouvement sémiotique de Umberto Eco, à Urbino. En même temps et après, les autres pays le demandent. Il ne faut pas plus d'une dizaine d'années pour qu'il devienne connu aux quatre coins du monde, alors que son pays persiste à ne pas lui accorder d'importance, sauf au ministère des affaires étrangères qui reçoit des centres culturels et des consulats les offres d'invitation au philosophe. Critique du rationalisme et de l'épistémologie scientifiques et des concepts relatifs de réalité et de virtualité, sa philosophie l'a amené à accepter l'honneur de Satrape du Collège de 'Pataphysique en 2001. En fait, la Pataphysique lui est connue depuis sa classe de Philosophie à Reims, où il a été introduit à 18 ans par son professeur même, dans cette "science des réalités imaginaires". Il est membre de l'Institut de Recherche sur l'Innovation Sociale au CNRS et rédige de nombreux articles et critiques dans la presse. Il montre comment les tendances sociologiques contemporaines comme les commémorations, les « tsunactions » (réaction de la société comme celle qui a eu lieu après le tsunami qui a frappé les côtes sud-asiatiques en 2005) et autres excès sont les moyens obscènes de l'extension quasi- «totalitaire» du Bien pour obtenir une cohésion. Il inspire de nombreux artistes et musiciens, et aussi des cinéastes, depuis les Simulationnistes de New York jusqu'aux frères Wachowski, qui le déclarent à propos de Matrix ; il ne désavoue pas ces œuvres mais qu'elles puissent représenter sa pensée. Lecteur de poésie et de littératures modernes françaises et étrangères, en outre de la philosophie et des sciences humaines et exactes, amateur d'arts (même s'il a écrit Le complot de l'art et s'est désolidarisé de l'art contemporain), ses passages et les archives au Whitney museum en attestent, de musiques, et de littérature de science-fiction, où sans doute il trouve diverses idées stylistiques, notamment une préfiguration de l'excès hyperbolique, rhétorique issue de la fiction, qu'il appliquera expérimentalement dans son propre cadre d'écriture sociologique. L'énergie singulière de son œuvre engagée publiquement dans les événements de son temps, se voulant événement critique agissant par lui-même, au fil des événements médiatisés qu'il interagit au présent, par exemple sa série d'articles publiés dans le journal Libération depuis les années 1980, toujours traduits à l'étranger, toujours provocants par leur liberté critique, lui valurent à la fois honneurs et discrédit. De plus, il y a la source d'une sédimentation anachronique de la connaissance, dans les concepts émergents de Baudrillard, qui en dégage la multidisciplinarité traversante, et plusieurs niveaux de lecture excédés par l'effet qu'ils produisent. Au-delà de "l'effet Baudrillard", transfert de communication des événements aux sciences humaines, il édifie paradoxalement une philosophie personnelle de la division existentielle, à laquelle il procure une réponse par le dynamisme propre de l'objet comme illusion du monde, y compris le style. En quoi consiste à la fois l'hybride et la prédiction des concepts dans son œuvre théorique : la quête d'une œuvre intégrante et "intégrale" de la pensée et de la société (qui s'innove à l'extérieur du champ des savoirs même si elle les requiert), et l'ouverture d'un dépassement (autrement qu'en succession ou en progrès des références), lance aux générations postérieures un défi original dans la création, sans laquelle le savoir prend statut d'indifférence ; ce qui a porté atteinte au pouvoir. Telle se présente encore aujourd'hui la cohérence de sa critique dans "Oublier Foucault" (1977), à la fois éloge critique de l'excellence littéraire du discours scientifique de la description exhaustive, comme pensée du pouvoir (le savoir), mais dans un plagia ironique, manifeste de l'essai par les figures de la rhétorique et de la métaphore, visionnaires, comme pensée de la connaissance par le risque. Ce qui oppose ici deux formes de pensée et d'écriture n'effectue en rien l'oubli de Foucault bien au contraire, chaque pensée y étant le miroir critique l'autre (Ian Robert Douglas). Il reste que l'impact de cet essai, réalisant le débat rival des deux discours, fit violence de l'actualité vivante des deux auteurs,. Ainsi, dans la lignée nietzschéenne de l'immanence de l'être, il relève le défi de la perte de sens du sujet contemporain au monde, dans une échappée (peut-être l'ultime de la philosophie moderne qui restât intègre de falsification dans l'univers des signes - selon Mckenzie Wark) au-delà de l'étude du sujet comme connaissance raisonnée et rationalisée, de considérer l'objet lui-même (entendre "sujet" et "objet" en philosophie) comme corps propre de son étude. L'objet comme agent en mouvement/ du mouvement, et il en explore les possibilités, dont réversibles, y compris la possibilité réversible sur le sujet et peut-être, la réversibilité du sujet - objet lui-même - ou du "peuple" - "majorité silencieuse" - par rapport à toute son histoire défaite, comme sortie de crise... Au delà du "mal radical" de la pensée, c'est à dire le moment où l'objet dépasse le sujet qui le pense, où le sujet ne peut plus contrôler le sens, ce moment où l'objet va commencer à régner avec ses règles propres, altières : "tout le destin du sujet passe dans l'objet" - Les stratégies fatales (1983). Alors commence son dialogue avec l'objet en philosophie, mais aussi dans notre monde dépourvu du sens du sujet, après la réalisation du système de la valeur. Il produit une grammaire conceptuelle qui génère une interprétation actuelle du dispositif aléatoire des choses, qui se prédisent entre elles (séduction des signes). L'émergence contemporaine dépasse le système marxiste de la production, la critique de l'économie politique, la critique du système d'équivalence de la valeur ; la valeur d'usage et la valeur d'échange, les rapports de production et les rapports sociaux, comme la société elle-même, sont intégrés par l'équivalence générale de la valeur (ce qui les abstrait de leur cohérence symbolique). Ce qui résulte des signes de la marchandise après l'éclatement du code de la valeur, c'est à la fois une stratégie des choses sociales et une stratégie de la pensée du philosophe, qui s'exerce en langages de communication sous le régime de l'autonomie (par rapport au monde concret) - "l'arbitraire du signe" est un concept du linguiste Saussure qui a instruit la possibilité des langages mathématiques et de leurs grammaires, mais d'abord il permet de concevoir en quoi les mots sont libres de leurs référents concrets (en quoi le mot table n'est pas une table particulière, par exemple, et dans ce cas le concept ce n'est pas cette certaine table, mais le mot générique pour toutes les tables). En quoi il peut être dit que ce concept "prédise" les tables. Les événements et la société forment autant de signes prédictibles à la façon des langues (mais pas seulement), et accidentels (donc autrement) : "transfert poétique de situation". Philosophie du temps réel en temps réel, elle vit de tous les transferts en même temps que son temps, ce qui livre sa propre pensée à la création poétique de situation. Le style de Baudrillard forme le lieu d'une écriture organique (objet, structure du langage et structure de la pensée intégrés, sous la forme du style qui contracte la dialectique dans une disposition paradoxale à double détente, aux combinatoires infinies parmi lesquelles il choisit ; mais pas seulement. Il est loin du situationnisme, si ce n'est le situationnisme de l'écriture elle-même comme praxis. Jean Baudrillard est de ceux pensant qu'une œuvre n'a de destin qu'à l'aventure, déchaînée de son créateur, libre, et encore, à l'instar de Paul Valéry, que la gloire arrive souvent par malentendu. Peu d'écrivains ont vu leurs textes autant reproduits et traduits librement notamment sur Internet (il suffit de surfer avec ses mots clés en plusieurs langues pour le constater), au grand dam des droits d'auteur. Il n'a jamais empêché la libre diffusion de son travail, ni même parfois des falsifications édifiées par l'utilisation d'extraits hors de leur contexte dans le cadre de cabales à l'endroit de ses provocations ou de ses défis. Il disait en toute chose : "Je ne trouve pas mes solutions dans la loi". Donc la vie de Jean Baudrillard, c'est aussi l'engagement social de son insolence contre les académismes, sous la forme d'une véritable attaque contre le pouvoir (en toute chose) par l'attaque de sa pensée elle-même, qui s'effectue souvent comme un accident culturel. Autant de malentendus à la périphérie en résultent. En fait, tous ses choix de réserve et le radicalisme de son œuvre sont liés, la liberté de sa pensée étant sa puissance, et la forme intellectuelle de son activisme donnant corps à son œuvre, y compris dans sa beauté (si on lui en concède). L'œuvre photographique constitue une exploration parallèle des voyages et des décors collectifs ou familiers du philosophe. Elle aurait commencé avec un appareil automatique qui lui aurait été offert lors de son premier voyage comme invité au Japon, en 1981 ; il est certain que le gadget devint un compagnon inséparable, accompagnant tous les déplacements de celui devenu l'"objecteur de vision" ; puis les photos développées changèrent de format, structurant l'œuvre seconde... Elle constitue un diptyque expérimental exogène, mais justement complémentaire, de son œuvre écrite ; "l'objet qui vient se débarrasser du sujet en se donnant à l'objectif", ce que l'écriture n'aurait pu actualiser de l'existence des objets, dont son propre corps comme objet de la photo. Sa première exposition eut lieu à la Maison Européenne de la Photographie en 2000, à Paris, et depuis s'est déplacée dans le monde. D'ailleurs, la photographie en général a inspiré de superbes textes à Jean Baudrillard, y compris répondant à l'appel de photographes comme le collectif "Tendance Floue", dont le dernier livre "Sommes-nous?", avec un texte du philosophe qui les a suivis depuis le premier ouvrage de leurs actes, vient de remporter l'Infinity award 2007 du meilleur livre de photographie, de l'International Center Of Photography à New-York. Avec le colloque au sujet de sa philosophie, au centre d'Art ZKM de Karlsruhe, ce fut la très grande exposition "La disparition du monde" dans l'espace de la Documenta, à Kassel, recension de ses photographies depuis les années 1970, pour la célébration allemande de ses 75 ans, en hommage à son œuvre, en 2004-2005. Jean Baudrillard a été solidaire et amical des philosophes post modernes de sa génération et les a visités jusque dans leurs derniers moments. Luimême a rencontré la solidarité de ses proches amis, notamment Michel Maffesoli, Edgar Morin, Marc Guillaume, Jacques Donzelot, François Barré, Françoise Gaillard, Sylvère Lotringer, mais aussi Hubert Tonka, Jean Nouvel, Yann Kersalé, François Seguret, Henri-Pierre Jeudy et d'autres rencontrés plus tard tel François L'Yvonnet. Et puis, cette grande histoire intellectuelle aux alternances conflictuelles, de son amitié avec Paul Virilio. En 1995, il épouse Marine (Martine Dupuis, directrice de la photographie du support de Presse "Sciences et Avenir", entre autre), qui l'accompagnera dans la plupart de ses déplacements pour les conférences et les expositions. Le 13 mars 2007, Jean Baudrillard est mis en terre au cimetière du Montparnasse, à Paris. Cérémonie laïque et sans condoléances avec des interventions officielles et privées contradictoires, situation cocasse faisant dire au philosophe René Schérer, parmi le public présent : "Tout et c'est tant mieux, à présent il va vivre."