Biodiversité et développement durable

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Humanité et biodiversité
portée pratique de telles affirmations soit aisée à dégager. Mais la doctrine juridique s’est
plu à relever dans la charte la présence de tels « objectifs de valeur constitutionnelle » :
ces derniers autoriseront plus tard le législateur à porter atteinte en leur nom à des
principes traditionnels, comme le droit de propriété, et favoriseront donc, mais sans les
imposer, des politiques de protection de la biodiversité plus efficaces.
!!!
Biodiversité et développement
durable : la recapitalisation
écologique, un nouvel objectif
politique
Bernard Chevassus-au-Louis, Anne-Marie Ducroux
Introduction
Comme le rappelle l’article 1er de la loi Grenelle I, la préservation de la biodiversité s’inscrit dans une ambition globale de développement durable : ainsi, la Stratégie nationale
pour la biodiversité, présentée en février 2004 par la ministre de l’Écologie et du Développement durable, Roselyne Bachelot, a été conçue comme une composante « sectorielle » de la Stratégie nationale du développement durable que le gouvernement français
avait adoptée en juin 2003. Nous souhaitons donc, cinq ans après, revisiter les liens entre
ces deux notions et préciser la place et l’importance de cet enjeu de la biodiversité au sein
des défis du développement durable.
Rappelons tout d’abord que la notion de développement durable introduit deux idées
nouvelles et complémentaires par rapport à la notion de croissance, au sens économique
du terme : d’une part, ce développement ne doit pas compromettre la possibilité, pour les
générations futures, de bénéficier des mêmes « atouts » et libertés de choix que ceux qui
fondent le nôtre aujourd’hui ; d’autre part, il convient de prendre en compte non seulement la croissance économique (augmentation de la richesse moyenne, mesurée par le
fameux PIB) mais également des améliorations sociales et culturelles (éducation, réduction des inégalités, santé) et une bonne gestion de l’environnement (conservation, voire
développement du « patrimoine naturel »). Même si ces trois dimensions du développement ont des contenus différents, en interactions, il est possible d’en donner une lecture
à travers la notion de « capital », fondement mais également résultante d’un processus
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Humanité et biodiversité
Une société en mouvement ?
de développement : capital économique, capital humain et capital écologique constitueraient donc globalement l’assise du développement durable.
Mais cette ambition de développement durable s’exprime à un moment de l’histoire de
l’humanité où la négligence de nécessités de long terme pendant des décennies a créé
des effets de plus en plus aigus au présent, qui nécessiteraient des réponses urgentes, et
au moment où d’autres urgences à relativement court terme apparaissent prégnantes et
pourraient inciter à remettre à des périodes plus favorables la prise en compte de ces
questions : en effet, l’évolution démographique de notre planète dans les quarante années à venir va induire une augmentation considérable de la demande de la production
alimentaire – sans doute un doublement – à laquelle s’ajoute la nécessité de s’affranchir
peu à peu de l’utilisation, omniprésente, des énergies fossiles, en recourant notamment
à une exploitation accrue de la productivité des écosystèmes (voir l’article d’Emmanuel
Delannoy). Cette « crise du moyen terme » peut donc conduire à reléguer au rang des
« postériorités » les enjeux du long terme.
Parmi les défis à la fois de court et de long termes, celui de la biodiversité apparaît central. Néanmoins, la notion de crise de la biodiversité, même si elle a été exprimée comme
étant la « sixième extinction », peut difficilement prendre dans l’agenda politique la
dimension d’une véritable crise médiatisable nécessitant des mesures urgentes et spectaculaires, à l’image des crises sanitaires ou de la récente crise financière. Alors même que
son état menace d’entraîner bien des bouleversements dans les sociétés, elle s’apparente plus à de multiples petits effondrements, dont beaucoup sont, hélas, invisibles et
silencieux, plus qu’à un effondrement global visuellement repérable. C’est pourquoi
présenter et faire reconnaître la biodiversité comme un fondement central du développement durable constitue un défi majeur qu’il convient de relever.
Pour ce faire, il nous semble nécessaire de revisiter les liens qu’ont entretenus les humains avec la biodiversité au cours d’un passé proche, en particulier depuis la révolution
industrielle, et d’examiner non seulement les usages mais aussi et surtout les représentations de cette biodiversité qu’ils ont développées. Dans un second temps, nous poserons
la question du rôle de la biodiversité à l’avenir, pour montrer que, alors que notre représentation de la biodiversité a été profondément renouvelée depuis une trentaine
d’années9, il est opportun de repenser dans ce cadre les usages que nous pourrions en
faire. Ceci nous amènera pour finir à reposer la question des trois éléments capitaux du
développement durable, de leurs relations et de la manière de les faire fructifier.
Dans un autre article de ce manifeste, Emmanuel Delannoy montre à quel point l’homme
s’est appuyé sur les ressources accumulées au fil des millénaires, voire des millions
d’années, par l’activité des êtres vivants pour fonder son développement économique
depuis le xixe siècle. Mais cette utilisation massive s’est faite à notre avis avec une conception des ressources du vivant fondée sur trois croyances dont on perçoit aujourd’hui le
caractère erroné : celle de l’abondance, celle de la gratuité et celle de l’indépendance.
Croyance dans l’abondance, tout d’abord : dès lors qu’elles étaient renouvelables, il
était naturel de considérer ces ressources comme inépuisables et il est vrai que les prélèvements de l’homme vis-à-vis de ressources accumulées au cours du temps ont
longtemps été marginaux. Ainsi, alors que le xixe siècle est souvent associé au développement des grandes pêches, on estime que le total des pêches mondiales n’était, en
1850, que d’environ 2 millions de tonnes. Ce total n’était encore que de 18 millions de
tonnes en 1950, alors qu’il est aujourd’hui supérieur à 90 millions de tonnes et qu’il a
sans doute dépassé, pour de nombreux stocks, les quantités exploitables durablement. En
outre, certains stocks vivant à grande profondeur (des espèces comme les grenadiers)
n’étaient pas exploitables avec les techniques disponibles dans les années cinquante et
leur mise en exploitation dans les années soixante-dix a pu donner l’impression de véritables, mais éphémères, pêches miraculeuses. Les débats actuels sur la pêche montrent
bien la difficulté qu’ont de nombreux acteurs à admettre, pour des raisons économiques
et sociales, ce caractère limité d’une ressource environnementale.
Croyance dans la gratuité, ensuite : à travers la notion juridique de res nullius (« qui
n’appartient à personne »), la biodiversité ne se voyait reconnaître de valeur que si un lien
de propriété ou de production lui était attaché, ce qui rendait le vivant « non commercial »
appropriable par quiconque mais néanmoins sans coût, ni autre forme de valeur (le cas
des pêches étant à nouveau un exemple emblématique de cette situation). En outre, ces
ressources étant supposées sans limites, leur prix ne pouvait légitimement intégrer que
les facteurs « rares » de production, à savoir les dépenses engagées par l’homme pour se
les procurer, les transformer et les mettre sur le marché. Comme l’efficacité technologique de l’homme a crû de manière impressionnante au cours de la révolution industrielle, le prix de ces ressources a donc baissé progressivement, renforçant l’illusion de leur
abondance. Ce n’est que progressivement que s’est imposée l’idée qu’une exploitation excessive de ces ressources allait non seulement conduire à leur renchérissement mais induisait pour la société des coûts indirects à moyen et long termes. Les grandes inondations
des Alpes du Sud au XIXe siècle – notamment celles de 1856, à l’origine de la loi de 1860
sur le reboisement des terrains de montagne – ont été l’un des exemples du coût de ce
que l’on n’appelait pas encore la perte de services écologiques. Mais ce n’est qu’à la fin
du xxe siècle que des études associant écologistes et économistes ont commencé à cerner l’ampleur de ces pertes, en suggérant que la totalité des « services non marchands »
des écosystèmes pouvait représenter en fait une valeur supérieure à celle des produits exploités par l’homme. Ce que nous avons appelé le « paradoxe de la mise en valeur des
écosystèmes10 » – à savoir que la valeur totale des services rendus par un écosystème
fortement exploité par l’homme pouvait être inférieure à celle d’avant sa « mise en
9. Voir CHEVASSUS-AU-LOUIS, 2007 et 2008a et b pour une présentation détaillée de cette nouvelle vision du vivant.
10. CHEVASSUS-AU-LOUIS, 2008a.
Regard sur le passé : trois croyances à revoir
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Humanité et biodiversité
Une société en mouvement ?
valeur » – a été particulièrement souligné dans le cas du développement des élevages de
crevettes dans les mangroves tropicales ou des fronts pionniers dans la forêt amazonienne.
Croyance en notre indépendance, enfin : il nous semble en effet que cette exploitation
s’est faite souvent avec l’idée qu’elle était temporaire et que les progrès technologiques
de l’humanité allaient lui permettre de s’affranchir progressivement de sa dépendance visà-vis de la nature et que, en outre, les changements induits par l’intervention humaine
étaient maîtrisés, avec des conséquences sous contrôle. Ainsi, le remplacement des huiles
de poissons ou de cétacés par l’huile de roche (le pétrole), puis par l’énergie de fission
nucléaire, a permis à la fois de repousser les frontières de la rareté (sans parler de la
fusion nucléaire maîtrisée, qui nous promet de petits soleils inépuisables sur terre) et de
soutenir une telle vision. On peut citer également les promesses des aliments synthétiques11, voire les succès – au moins à court terme – des médicaments et produits phytosanitaires de synthèse. Mais ces évolutions n’étaient en fait, le plus souvent, qu’une
transition entre l’utilisation des ressources actuelles de la biodiversité et l’exploitation de
ses ressources passées, énergétiques en particulier, ou étaient fondées sur l’imitation,
plus ou moins réussie, « d’innovation » du vivant par la chimie. De plus, ces substitutions
ont souvent révélé, plus ou moins tardivement, des effets imprévus affectant non seulement la biodiversité en général mais l’homme lui-même : les exemples de la résistance
aux antibiotiques ou aux insecticides ou du réchauffement climatique sont, à ce titre,
emblématiques et bien documentés. Nous développerons plutôt celui, moins connu, des
engrais azotés.
En effet, le développement des grands voiliers puis des bateaux à vapeur a permis, dans
les années 1840, une première transition par rapport à l’utilisation d’engrais naturels locaux produits par les animaux d’élevage ou les légumineuses : le courant froid remontant
les côtes d’Amérique du Sud était à la fois, depuis des milliers d’années, à l’origine d’un
climat aride, de proliférations exceptionnelles de poissons et, conséquemment, d’oiseaux
marins, permettant ainsi l’accumulation de leurs fientes sur des îles proches du littoral. Ce
fameux guano du Pérou a représenté une première opportunité pour certains agriculteurs
de s’affranchir de la production locale d’engrais naturel. Puis, toujours dans ces zones
arides, l’exploitation des gisements de nitrates naturels du désert chilien d’Atacama – ressource unique sur notre planète, dont la formation est mal comprise mais a pu impliquer
des phénomènes biologiques – a constitué, jusqu’à la Première Guerre mondiale, une
autre source majeure d’engrais pour l’Europe. Enfin, cette guerre a conduit l’Allemagne,
soumise au blocus, à développer les nitrates de synthèse pour les munitions12, activité
reconvertie ensuite pour la fabrication d’engrais. Mais cette synthèse nécessite du gaz
naturel ou du gaz de houille, produits également de la biodiversité passée : l’impression
d’indépendance croissante n’a donc été, en fait, qu’un transfert dans l’espace (le guano)
ou le temps (les gisements de nitrates puis de gaz naturel) vers l’exploitation d’autres ressources de la biodiversité. De plus, on a pu constater progressivement les effets néfastes
– tant pour l’environnement que pour la santé – de l’utilisation des nitrates, très solubles,
par rapport à des engrais organiques libérant plus lentement l’azote. Enfin, la conséquence
de cette volonté d’anticipation vis-à-vis de la nature est souvent la création de nouvelles
dépendances de l’homme face aux solutions qu’il a créées : il suffit de voir par exemple
les efforts que doivent entreprendre aujourd’hui les agriculteurs pour se libérer du recours
aux engrais azotés. Cet exemple des nitrates montre combien la maîtrise par l’homme des
choix qu’il effectue et des phénomènes qu’il engendre est finalement très faible.
11. « Le jour où l’énergie sera obtenue économiquement, on ne tardera guère à fabriquer des aliments de
toutes pièces, avec le carbone emprunté à l’acide carbonique, avec l’hydrogène pris à l’eau, avec l’azote et
l’oxygène tirés de l’atmosphère. » (BERTHELOT Marcellin, 1896.)
12. Pour fabriquer la poudre, on utilisait principalement le salpêtre, production naturelle de nitrate de potassium par des bactéries dans des mélanges d’eau, de paille, d’urine et de « terres salpêtreuses ». Ces méthodes
traditionnelles limitaient l’ampleur des conflits : en 1775, la production annuelle de poudre en France était
d’environ 800 tonnes, ce qui n’aurait alimenté que quelques jours de la bataille de Verdun en 1916.
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Si l’on admet cette analyse illustrée des trois croyances, un constat s’impose : nous demeurons
durablement liés à la biodiversité et notre avenir dépendra de la manière dont nous saurons
« ménager » cette biodiversité, c’est-à-dire à la fois en utiliser les ressources et contribuer à
sa conservation et à son adaptation aux évolutions à venir, voire même activement contribuer
à la recréation de nature et des services associés.
Autre constat, que nous pouvons tirer de l’exemple des engrais : les possibilités de remplacer les
ressources d’une biodiversité locale par des ressources prélevées en d’autres points de la planète,
ou issues de la biodiversité passée, vont être de plus en plus limitées. Le « ménagement » de la
biodiversité doit donc d’abord se faire à l’échelle locale, cette notion n’excluant pas, bien au
contraire, des échanges et des actions collectives à une échelle plus large.
Demain : de nouvelles visions et relations à construire
Puisque notre destin est durablement lié à celui de la biodiversité, dont nous sommes
d’ailleurs une composante, pouvons-nous effectivement « compter sur la biodiversité »
pour assurer notre avenir et devons-nous établir avec elle de nouvelles relations ?
Même si nous sommes prêts à répondre positivement à ces questions, il nous semble nécessaire d’identifier auparavant trois illusions relatives à ce qu’est la biodiversité et à ce
qu’elle est susceptible de fournir, ceci afin d’éviter… de fortes désillusions.
La première est l’illusion de la « solution miracle » : la biodiversité « contiendrait des
pépites », des solutions encore inexploitées qui, à la fois, apporteraient un progrès radical et ne seraient pas dotées des défauts des solutions antérieures : nouvelles molécules
naturelles remplaçant les pesticides de synthèse, biocarburants de seconde ou troisième
génération, nouveaux médicaments, agents de lutte biologique, etc. Souvent portées au
pinacle par les médias, ces solutions « biologiques » connaissent tout aussi souvent un succès éphémère. Cette désillusion résulte sans doute d’une incompréhension du mode de
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Humanité et biodiversité
Une société en mouvement ?
fonctionnement de la biodiversité : celui-ci est fait d’une multitude d’interactions entre ses
entités et combine donc des processus dont aucun n’est individuellement « parfait ».
Autrement dit, la biodiversité tire son efficacité de la combinaison de solutions isolément
imparfaites.
Ainsi, un agent de lutte biologique (un insecte, un champignon) ou une molécule élicitrice
(molécule produite par les plantes et qui stimule leurs défenses vis-à-vis des agresseurs)
ne sont pas des solutions « absolues », instantanées ou sans conditions : vouloir les utiliser pour remplacer un pesticide de synthèse supposera d’agir en même temps sur les
pratiques de culture, le choix des variétés, la gestion des sols, l’aménagement du paysage
pour favoriser la faune auxiliaire, etc. De plus, ces agents auront, par rapport au développement d’un ravageur ou d’un pathogène, des « fenêtres d’efficacité » parfois étroites,
qu’il conviendra de repérer par une observation fine des cultures. Enfin, l’éventualité d’effets inattendus, parfois très dommageables, ne saurait être exclue au prétexte qu’il s’agit
de solutions « biologiques » : l’histoire de la lutte biologique est, hélas, riche de nombreux
exemples de tels effets comme celui, récent, de la prolifération de la coccinelle asiatique
introduite pour lutter contre les pucerons.
Il faut donc apprendre à construire en réalité des solutions « intégrées » et intégrantes de
biodiversité – c’est-à-dire combinant de manière pertinente des interventions réparties
dans l’espace et le temps – et qui soient en outre « ouvertes », car capables d’incorporer
progressivement de nouveaux apports issus de notre compréhension de la biodiversité, à
l’image des logiciels libres en informatique. C’est ce que nous avons appelé « l’innovation
en profondeur », par analogie avec les stratégies militaires de « défense en profondeur »
combinant plusieurs obstacles que l’on sait individuellement vulnérables13.
Ceci introduit la seconde illusion, celle de la « maîtrise du vivant ».Il nous faut en effet
admettre que même dans les pays où la biodiversité a fait l’objet de nombreux travaux,
nous n’avons aujourd’hui qu’une connaissance et une compréhension très partielles de ses
composantes et, surtout de son fonctionnement. Rappelons en particulier notre méconnaissance actuelle des micro-organismes, dont on sait qu’ils représentent l’essentiel de
la matière vivante et qu’ils jouent un rôle majeur dans le fonctionnement des grands cycles de l’azote, du phosphore ou du carbone. De même, l’écologie a surtout étudié les
échanges de matière et d’énergie au sein des écosystèmes – les fameux « réseaux trophiques » – mais beaucoup moins les échanges d’informations. En particulier ceux liés à
toutes les molécules qui circulent à très faible dose dans ces écosystèmes, entre individus de la même espèce ou d’espèces différentes, et peuvent conditionner l’évolution de
ces systèmes. Si nous souhaitons établir de nouvelles relations avec la biodiversité, il faut
donc admettre que nous ne la maîtrisons pas et que nous ne faisons, en fait, que la « solliciter » et tirer parti, de manière empirique, de ses réactions. Alors que l’on évoque souvent la question de la « maîtrise de la maîtrise » de la technologie14, il convient plutôt,
dans le cas du vivant, de poser le problème de notre « maîtrise de la non-maîtrise »,
c’est-à-dire de la manière de se comporter vis-à-vis de processus encore très mal compris.
En corollaire, les interventions humaines devront se placer dans une logique d’apprentissage individuel et collectif, c’est-à-dire qu’il conviendra de créer des lieux et des pratiques
de mise en commun des expériences individuelles et de repenser nos processus d’innovation eux-mêmes : alors que les innovations technologiques s’inscrivent dans une logique « descendante » – séparant clairement les « producteurs » et les « consommateurs »
de ces innovations et visant à produire des innovations « clés en main », immédiatement
efficaces –, les usages intelligents de la biodiversité doivent se concevoir dans une logique beaucoup plus interactive, tirant parti de l’ensemble des savoirs et expériences tant
des « experts » que des « profanes » pour produire progressivement des innovations adaptées.
Ce mode d’innovation, fondé sur l’agrégation progressive des acquis et expériences d’un
réseau d’acteurs, sera peut-être considéré par certains comme ne permettant pas de
« vraies innovations », similaires aux innovations de rupture ayant révolutionné de multiples domaines, comme le transistor, le laser ou la communication sans fil (de la radio au
téléphone portable et aux puces intelligentes). Mais ces innovations de rupture ont été
fondées, dans la plupart des cas, sur des percées majeures dans la compréhension et la
maîtrise de processus physiques. C’est pourquoi nous considérons que, dans l’état actuel
de nos connaissances sur la biodiversité, cette démarche « modeste » doit être reconnue
comme pertinente et encouragée. Elle rejoint le concept « d’innovation précautionneuse »
développé notamment par Bruno Latour15, à savoir une démarche où l’examen des conséquences possibles de l’innovation n’intervient pas a posteriori, pour des innovations déjà
complètement définies, et même parfois déjà diffusées, mais accompagne pas à pas le
processus d’innovation.
Troisième illusion enfin, celle de croire que les innovations fondées sur la biodiversité se révéleront plus performantes que les solutions antérieures, sans avoir à reconsidérer la notion même
de performance économique, ses critères de mesure, et sans adopter une nouvelle vision, plus
globale, de la performance. Ainsi, si l’on demande à des systèmes de culture plus économes en
intrants (eau, engrais, produits phytosanitaires, énergie) d’avoir les mêmes « rendements » qu’un
système classique intensif, en continuant à définir le rendement – comme c’est d’usage en agriculture
– en termes de quantité produite par hectare, on risque fort de conclure à la moindre performance de
ces systèmes alternatifs. Par contre, si l’on rapporte ces productions aux intrants consommés – ce qui
est la définition classique d’un rendement (par exemple lorsqu’on regarde, pour une voiture, la distance parcourue par litre d’essence consommé) – la comparaison devient plus ouverte.
On peut d’ailleurs expliquer aisément cette focalisation, jusqu’à une époque récente, sur les
rendements par unité de surface : les autres facteurs (eau, engrais, énergie) étant relativement bon
marché et la surface disponible limitée, c’étaient ces rendements qui conditionnaient le plus directement la performance économique des exploitations.
13. CHEVASSUS-AU-LOUIS et GRIFFON, 2008.
14. L’expression est, selon les auteurs, attribuée à Edgar Morin, à Michel Serres, à Javier Pérez de Cuéllar, voire
à Claude Bébéar !
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15. LATOUR B., 2008 : A Cautious Prometheus? A Few Steps Toward a Philosophy of Design. Keynote Lecture for
the “Networks of Design”. Meeting of the Design History Society, Falmouth, Cornwall, 3d September 2008.
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Humanité et biodiversité
Une société en mouvement ?
La comparaison est encore plus ouverte si l’on prend en compte, en termes économiques, les conséquences environnementales de ces rendements élevés sur l’eau, les sols ou la biodiversité. On retrouve ici le paradoxe déjà évoqué de la mise en valeur des écosystèmes : une prairie ou une culture
conduite de manière moins intensive pourra se révéler plus performante si on l’évalue par rapport
à ce cahier des charges plus global. Encore faudra-t-il, si l’on veut que ce cahier des charges soit effectivement pris en compte, mettre en place les mesures économiques concrètes reconnaissant
cette meilleure performance.
de « valeurs de non-usage », pour tenir compte du fait que les humains peuvent accorder une valeur au simple fait que quelque chose existe. Dernière remarque, cette notion de capital « naturel »
n’exclut pas le fait que l’homme ait pu contribuer à sa constitution : le cas des paysages, des races
animales ou des variétés végétales en sont des exemples parlants.
L’évaluation globale de ce capital naturel est problématique, même si l’on peut en proposer des évaluations partielles à travers la valeur économique des services écologiques (voir l’article de G. Pipien
et J. Weber sur le rapport du Centre d’analyse stratégique) ou donner des estimations de la valeur
des stocks. Ainsi, la Banque mondiale a réalisé, pour l’an 2000, une estimation du capital naturel
de 120 pays17, basée sur les stocks de ressources minérales, forestières, pastorales, de terres arables
et d’espaces protégés18. La valeur de ces stocks est estimée en prenant en compte la valeur
économique des produits qui en résultent et la durée possible de leur exploitation. Autrement dit,
l’estimation se limite aux services de prélèvements. Les valeurs vont de moins de 1000 US$ par habitant pour des pays comme le Bangladesh, l’Éthiopie, Haïti ou le Malawi (généralement des pays
très peuplés) à plus de 30 000 US$ par habitant pour des pays comme le Canada, la NouvelleZélande ou la Norvège.
Bien que difficilement commensurables (le rapport de la Banque mondiale propose néanmoins des
estimations de la richesse totale des pays cumulant ces trois capitaux), les trois capitaux sont « substituables », c’est-à-dire qu’il est possible de faire appel à l’un d’entre eux pour en développer un
autre ou de développer l’un pour s’affranchir d’une dépendance excessive vis-à-vis d’un autre, à
l’exemple de la substitution capital/travail par la mécanisation lors de la révolution industrielle.
Nous avons évoqué précédemment à quel point cette révolution industrielle avait fondé le développement de notre richesse matérielle sur des prélèvements dans le capital naturel ; de même,
utiliser une partie de notre richesse, voire s’endetter, pour développer l’éducation ou le système de
santé n’est pas une dépense mais un investissement qui s’inscrit dans une logique de développement du capital humain.
Les trois capitaux : de la substitution au codéveloppement
Comme indiqué en introduction, l’une des manières de poser la question du développement durable est de considérer comment le développement de nos sociétés se fonde sur un certain nombre
de « capitaux », comment il les produit, et d’examiner leurs relations et leurs devenirs au cours
d’un processus de développement. Pour cela, examinons tout d’abord de manière plus précise le
contenu de ces capitaux.
Le premier est le capital économique au sens strict16, c’est-à-dire l’ensemble des biens matériels et
des richesses, tant individuels que collectifs, en nature ou en espèces. Ce capital économique peut
donc assez aisément être évalué en unités monétaires, ce qui signifie, comme on l’a vu récemment, qu’il peut connaître des variations rapides et de grande ampleur.
Le second, le capital humain, est constitué de l’ensemble des compétences, des savoir-faire, mais
aussi des « savoir-être » acquis ou produits par les individus. Les aspects relatifs à la santé (mortalité infantile, espérance de vie) sont également des composantes de ce capital, qui est non seulement individuel mais collectif. On distingue parfois le capital humain au sens strict, lié aux personnes,
et le capital social, relatif aux relations entre les personnes, mais nous utiliserons le terme « capital humain » pour inclure ces deux dimensions : une langue, des processus démocratiques, des systèmes d’entraide, le respect des minorités… font partie de ce capital. Même si certaines des
composantes du capital humain peuvent avoir une valeur économique directe – par exemple, le niveau d’éducation peut favoriser la compétitivité d’un pays –, on voit bien qu’une évaluation globale
de ce capital utilisant une unité de mesure commune à toutes ses composantes est difficilement envisageable.
Enfin, le capital naturel correspond à l’ensemble des éléments que nous avons évoqués précédemment : il comprend les ressources présentes et passées de la biodiversité mais aussi les ressources physiques (eau, roches) supports de la biodiversité, mais qui peuvent être également
utilisées directement par l’homme. Cette notion de « ressources » est à prendre au sens très large
et n’implique pas forcément une consommation au sens strict, qui en diminuerait la quantité : les
paysages d’un pays, la présence d’espèces ou d’habitats remarquables sont des éléments patrimoniaux qui contribuent à notre bien-être, nous permettent de nous « ressourcer » et doivent être
considérés comme faisant partie du capital naturel. De plus, les économistes ont développé la notion
16. On le désigne également sous le nom de « capital physique », mais le terme peut prêter à confusion dans
notre propos.
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Mais l’interrogation autour du développement durable est justement née de la perception des limites
de ces transferts. Ainsi, alors que l’on observait jusqu’aux années quatre-vingt, dans les pays développés, une croissance simultanée de la richesse matérielle et des indicateurs de développement
humain19, il est apparu que ceux-ci pouvaient stagner, voire décroître, alors que le PIB poursuivait
sa progression. De même, les classements des pays selon leur PIB par habitant et selon ces indicateurs de développement humain révélaient des anomalies préoccupantes20 : ainsi, si les pays scandinaves figuraient en bonne place pour ces deux classements, les pays du Golfe conservaient, malgré
leur richesse, de faibles valeurs pour les indicateurs de développement humain. Inversement, la
France est par exemple au dixième rang pour ces indicateurs, alors qu’elle n’est qu’en vingtième
position pour le PIB par habitant. L’introduction de données environnementales dans ces indicateurs
17. Dans cette étude, l’eau et les ressources aquatiques ne sont pas prises en compte.
18. HAMILTON K., 2006. Where is the Wealth of Nations? Measuring Capital for the 21st Century, 208 p., Édition The
World Bank, Washington DC. Disponible sous ce titre sur Internet.
19. Le plus connu, l’IDH (indicateur du développement humain), utilisé par l’ONU, combine le pouvoir d’achat,
l’espérance de vie et le niveau d’éducation moyen de la population d’un pays.
20. On trouvera facilement sur Internet ces deux classements.
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Humanité et biodiversité
Une société en mouvement ?
de développement, comme « l’indicateur de progrès véritable21 » a renforcé ce sentiment : la mesure de la croissance économique ne pouvait plus être considérée seule ni comme un indicateur des
richesses d’une nation, ni comme l’indicateur du développement durable.
instruire au cas par cas et de manière pragmatique, selon les contextes socio-économiques et écologiques, et non de manière globale.
En allant plus loin, faut-il choisir entre ces trois options? Ne peut-on pas imaginer des politiques ambitieuses vis-à-vis du capital naturel, visant non seulement à le conserver mais à le redévelopper,
et assurant également un développement des capitaux matériels et humains, en particulier dans les
pays qui n’ont connu dans le passé que de faibles améliorations, voire des régressions du bien-être
de leurs populations ? Dans les pays développés, nous considérons également que le simple
arrêt de l’érosion du capital écologique est un objectif politique trop limité et déjà dépassé
et qu’il est urgent de se doter d’un nouvel objectif de « recapitalisation écologique ». Cette
ambition nous semble indispensable pour l’avenir, que ce soit pour faire face aux enjeux du changement climatique dans la seconde moitié du siècle (voir l’article « Biodiversité et changements climatiques, un changement peut en cacher un autre ») ou, à plus long terme, pour alimenter
l’innovation par l’exploration de ces ressources encore si peu connues.
Mais il faut être réaliste : un tel objectif de recapitalisation écologique ne sera socialement accepté
et politiquement porteur que s’il n’apparaît pas antagoniste de la progression du bien-être économique et social. Cela conduit à ne pas perdre de vue les interactions ou synergies à rechercher pour
élaborer des stratégies de codéveloppement des trois capitaux.
Une telle ambition de codéveloppement peut sembler utopique. Mais on peut la fonder sur quelques
constats simples. Tout d’abord, l’analyse de durabilité fait apparaître des limites, mais notre « système Terre » n’est pas clos. Il reçoit quotidiennement, et pour longtemps, un flux d’énergie solaire
qui, comme nous l’avons vu, est à l’origine de notre développement économique moderne par biodiversité interposée. Il est donc possible de répartir ce flux entre les trois capitaux : ainsi, le développement des énergies « renouvelables » crée de l’activité économique en puisant moins dans le
capital écologique22 et celui de forêts composites, améliore le capital écologique (stockage de carbone) et constitue également une ressource économique à moyen terme.
Ensuite, certaines opérations de restauration du capital écologique (amélioration de l’état écologique
des cours d’eau, mise en place de haies dans les zones agricoles, soutien à l’élevage extensif, etc.)
peuvent être sources d’activités économiques, dès lors qu’elles feront appel à de vrais savoir-faire:
c’est tout l’enjeu du génie écologique. De plus, si ces opérations associent les populations aux diverses
étapes de leur réalisation (conception, mise en œuvre, évaluation), elles peuvent également contribuer à créer une part de capital social. Cela suppose que ces objectifs fassent partie du cahier des
charges politique de ces opérations, alors que certaines d’entre elles ont été parfois menées de manière technocratique et ont généré des conflits qui contribuent plutôt à amoindrir le capital social (voir
par exemple la création de certains parcs nationaux). Ces synergies potentielles entre capitaux sont
en outre à considérer dans le temps : de même qu’un investissement dans l’éducation ne se traduira
qu’après plusieurs années dans la compétitivité économique et les capacités d’innovation d’un pays,
une mise en place d’infrastructures écologiques comme la Trame verte et bleue ne portera sans
doute ses fruits, par exemple en termes d’activités touristiques, qu’après une ou deux décennies.
En réaction à ce constat, diverses propositions ont émergé dans la société et nous distinguerons trois
grandes approches :
! La première est qualifiée de « durabilité faible ». Elle considère qu’il faut continuer à admettre que les trois capitaux sont substituables et qu’il y aura développement dès lors que le
cumul des trois capitaux demeurera au moins constant. Il est donc légitime de continuer à puiser dans le capital naturel pour développer les autres capitaux, l’hypothèse sous-jacente, que
nous avons évoquée précédemment, étant que nous serons capables, par le progrès technologique, de nous affranchir de plus en plus de notre dépendance vis-à-vis du capital naturel,
ce qui signifie que sa valeur économique relative ira décroissant. Pour prendre un exemple caricatural, si les végétaux cessaient de produire de l’oxygène ou de capter du dioxyde de
carbone, on pourrait aujourd’hui produire l’un par électrolyse de l’eau et stocker l’autre sous
pression dans le sous-sol ! On peut considérer que le refus du président George Bush de ratifier le protocole de Kyoto s’inscrit dans cette croyance dans le progrès technologique et dans
cette option de durabilité faible.
! La seconde, la « durabilité forte », propose de mettre fin à l’érosion du capital naturel et
de le considérer désormais comme globalement intangible. Cette politique s’exprime à travers
des objectifs comme la volonté d’arrêter, d’ici 2010, l’érosion de la biodiversité, ou la proposition de compenser les impacts des aménagements par des opérations de restauration, sur la
base de l’équivalence écologique des milieux restaurés et des milieux visés par les aménagements.
! Enfin, l’option de « décroissance soutenable » considère que notre croissance économique
a déjà atteint, au moins dans les pays développés, un niveau incompatible avec le développement durable de l’ensemble de notre planète. L’image de « l’empreinte écologique » illustre
cette impossibilité d’atteindre, pour l’ensemble de l’humanité, ce niveau de développement
économique des pays développés. Il est donc proposé de consentir à une diminution de notre
richesse matérielle pour réduire, voire inverser la tendance à l’exploitation excessive du capital
naturel.
De manière moins radicale, la notion de « décroissance sélective » se propose de cibler certains secteurs d’activités particulièrement problématiques : elle s’exprime par exemple à travers la volonté
de « décarboner » l’économie, c’est-à-dire de réduire la consommation d’énergies fossiles de secteurs très consommateurs.
Ces trois options peuvent avoir à l’évidence de fortes dimensions idéologiques : la question de la
légitimité d’une substitution entre capitaux, et en particulier de la capacité de la technologie à réellement pallier une diminution du capital naturel, ou même de sa rationalité, est sans doute à
21. GPI = Genuine Progress Indicator. Il intègre positivement la valeur des activités non rémunérées (bénévolat, activités domestiques) et déduit le coût des impacts environnementaux. Voir www.rprogress.org/sustainability_indicators/genuine_progress_indicator.htm.
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22. Sous réserve de la consommation d’énergie nécessaire à la production et à l’installation de ces équipements, qui peut représenter une partie notable de l’énergie qu’ils produiront, et de l’étude de leur impact environnemental.
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Humanité et biodiversité
Une société en mouvement ?
Plus généralement, le fait que le capital écologique puisse alimenter les autres capitaux sans pour
autant être « consommé » s’illustre par divers exemples concrets. Ainsi, on peut avoir un développement notable d’activités touristiques « douces » dans le milieu naturel ; la sensibilisation à l’environnement (classes vertes, classes bleues, etc.) permet de développer le capital humain sans
nuire à la biodiversité ; de même, la biomimétique et autres technologies bio-inspirées créent des
innovations sans endommager le modèle. Autrement dit, la question du transfert entre les capitaux
selon une logique de « vases communicants » se pose si l’on raisonne en termes de flux de matière ou d’énergie ; elle ne se pose plus de la même manière si l’on pense en termes de transfert
d’information. C’est donc en termes d’écologie de l’information, c’est-à-dire d’une bonne circulation
de l’information, sans appropriation indue ni « cul-de-sac », qu’il convient de penser le codéveloppement des trois capitaux.
valeur est-elle enregistrée, s’ils reconnaissent cette valeur comme un capital à part entière
et enfin, s’ils se donnent pour elle des politiques défensives ou offensives ?
La seconde question est celle de la gouvernance de ce capital écologique. En effet, il est
admis que le développement du capital humain suppose des politiques adaptées prenant
en compte la diversité des situations individuelles (santé, éducation) avec un grand nombre d’acteurs ; de même, le monde a récemment redécouvert la nécessité d’une gouvernance du capital économique et financier, compte tenu notamment des interdépendances
avérées. Il serait donc naïf de croire que la seule croissance du capital écologique, sans mesures adaptées, concertées, pour veiller à son utilisation équitable, à son codéveloppement
avec les autres capitaux (et inversement), pourra satisfaire les besoins des générations
actuelles et futures.
Imaginer les principes, les structures et les processus susceptibles d’assurer sa gouvernance – en innovant ou en s’appuyant sur des dispositifs existants – est donc un objectif
auquel il convient de s’atteler d’urgence.
Conclusion : inventer la gouvernance du capital naturel ?
Pour situer et illustrer notre proposition centrale d’une politique de « recapitalisation écologique », l’analogie avec la question des économies d’énergie dans les bâtiments nous
semble pertinente : les politiques menées ont évolué, en quelques années, d’une absence
complète de regard sur les impacts environnementaux des choix de construction, au souhait de bâtiments plus économes en énergie (développement de l’isolation, amélioration
du rendement des chaudières), à la recherche de bâtiments neutres et, aujourd’hui, à un
intérêt récent pour des bâtiments « à énergie positive ». De même, après avoir cherché
à réduire les impacts des activités humaines sur la biodiversité, puis avoir affiché l’ambition de stopper son érosion, il est temps de penser en termes de recréation de biodiversité et d’activités « à biodiversité positive ».
Cette ambition et cette approche invitent cependant à examiner deux questions.
Tout d’abord, pour que « la préservation de la biodiversité s’inscrive dans une ambition
globale de développement durable », comme l’annonce la loi Grenelle I, il convient de ne
pas confondre moyens et finalités. Une approche par les capitaux ne peut se restreindre
à un vocabulaire spécifique de l’action destiné à la seule optimisation des capitaux en
eux-mêmes ou entre eux. L’approche par les capitaux est à considérer comme un moyen
permettant d’éclairer des notions et de faire apparaître à la fois le capital naturel à part
entière, et l’objectif politique plus conquérant de recapitalisation écologique.
Le développement durable, avec son enjeu majeur de la biodiversité, est d’abord une interrogation à mener par les humains sur les limites et les finalités de leurs activités. Les
nouvelles politiques nationales de la biodiversité devraient désormais permettre de lire
tant des objectifs issus de l’état actuel de la biodiversité (donc de ses besoins intrinsèques
déterminant les plans d’action) que la manière dont les Français font société avec la
nature : quelles relations développent-ils avec elle, quelles irréversibilités créent-ils,
comment échangent-ils à son sujet, quelle importance lui donnent-ils, comment et où sa
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Remerciements
Nous remercions Michel Griffon pour sa relecture critique de cet article.
Références citées
CHEVASSUS-AU-LOUIS B., 2007 : « La biodiversité : un nouveau regard sur la diversité du vivant. I. Immensité et complexité », dans Cahiers Agricultures, 16, 219-227.
CHEVASSUS-AU-LOUIS B., GRIFFON M., 2007 : « La nouvelle modernité : une agriculture productive à haute
valeur écologique », dans DEMéter, 2008, 7-48.
CHEVASSUS-AU-LOUIS B., 2008a : « La biodiversité : un nouveau regard sur la diversité du vivant. II. Stabilité et utilité », dans Cahiers Agricultures, 17, 51-57.
CHEVASSUS-AU-LOUIS B., 2008b : « La biodiversité : un nouveau regard sur la diversité du vivant. III. Fragilité : vers la “sixième extinction” ? », dans Cahiers Agricultures, 17, 303-313.
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