LA RELIGIOSITE AFRICAINE, CHEZ LES SENA DE LA VALLEE DU
ZAMBEZE AU MOZAMBIQUE.
Luis Tomas Domingos1
Resumé
La religion dite traditionnelle en Afrique est un phénomène culturel. Les faits qui
l’expriment ne peuvent être réduits à de simples facteurs d’explication objective de la vie.
Ces faits touchent à l’essence même de l’être, de la personne c’est-à-dire sa subjectivité.
Les interminables débats des théoriciens "savants", selon toute évidence, n’ont point
empêché l’Africain d’être ce qu’il est, ni de continuer à vivre sa vie spirituelle à la
manière qui lui convient, dans des conditions culturelles précises. Un des éléments
constants et généraux de la tradition culturelle africaine est la vision spirituelle de la vie. Il
ne s’agit pas seulement de la conception dite " animiste ", - dans le
s
e
ns
qu
e l’histoire des
religions donnait à ce terme à la fin du siècle dernier - il s’agit d’une conception plus
profonde, plus vaste, plus universelle, selon laquelle tous les êtres, y compris la nature visible
sont considérés comme liés au monde de l’invisible et de l’esprit. La compréhension de cette
réalité est essentielle pour le changement de paradigmes de l’enseignement du fait religieux au
Brésil.
Mots clé : Religiosité africaine, Sena, Vallé du Zambéze, Mozambique, Afrique.
Resumo
A religião dita tradicional na África é um fenômeno cultural; os fatos que a exprimem
não pdoem ser reduzidos a simples fatores de explicação objetiva da vida. Este fatores dizem
r
e
sp
eit
o
à própria essência do ser, da pessoa, da sua subjetividade. Os
intermináveis debates dos “sábios” teóricos, não impediram o africano de ser o que é, nem
de continuar a viver sua vida espiritual à maneira que lhe convém, em condições culturais
precisas. Um dos elementos gerais e cosntantes da tradiçao africana é a visão espiritual da
vida. Não somente da concepção dita “animista”, - no sentido que a história das religiões dava a
este termo ao final do século passado. Trata-se de uma concepção mais profunda, mais
vasta mais universal, segundo a qual todos os seres,
compreendendo a natureza visível, são considerados como ligados ao mundo do
invisível e do espírito. A compreensão desta realidade é essencial para a mudança de
paradigmas no ensino religioso, no Brasil.
Palavras-chave: religiosidade africana, povo Sena, Vale do Zambeze, Moçambique, Africa
Introduction
L’homme, être humain, en particulier n’est jamais conçu purement et
simplement comme matière limitée à la vie terrestre. Mais on reconnaît en lui la
présence et l’action efficace d’un autre élément qui est spirituel, grâce auquel la vie humaine
est toujours mise en rapport avec la vie de l’au-delà. Nous verrons cette réalité
au long de ce travail. Les progrès réalisés par de nombreuses recherches
1 Université Paris 8/ UEPB
anthropologiques, voire historiques, permettent de mesurer cette réalité qui de surcroît est
incontournable dans l’analyse. J’ai souvent constaté que dans certaines
communautés chrétiennes naissantes chez les Sena de la Vallée du Zambèze, les anciens de ces
communautés reprochent aux jeunes chrétiens d’oublier les morts. Et je me
demande s’il y a une opposition entre le christianisme et le culte des Ancêtres. La
question doit être radicale si nous voulons tenir compte de l’existence concrète de chacun
des peuples Africain avec sa diversité, ses aspirations humaines fondamentales et ses
problèmes: En Afrique noire, l'Eglise catholique peut-elle devenir le lieu la communion
avec les Ancêtres est possible? Pour situer le débat qui s’impose sur ce point, nous
proposons ici, par approches successives, quelques pistes de réflexion.
“La mentalité religieuse des noirs est telle qu’elle se répand sur absolument tous
les domaines. On a vu des cas vraiment extraordinaires: un homme par exemple qui refuse de
coudre telle chose ou de faire telle chose: Pourquoi? Pour une raison religieuse... On voit donc que
la religion explique
beaucoup d’attitudes et beaucoup de gestes africains. 2
Dans la Vallée du Zambèze, chez les Sena-Bantu, comme partout en
Afrique noire, " la religion informe tout. Son emprise s’étend à la vie politique, sociale, f
am
ili
a
le
.
L’
e
spr
it religieux l’emporte en néral sur l’esprit politique3 ". La
caractéristique essentielle de la religion des Noirs et des Bantou en particulier réside dans les
rapports de la religion avec la vie quotidienne. " La religion n’est cependant ni un principe abstrait,
écrit A. Kagame, ni même un ensemble de pareils principes, mais
un levain qui fait fermenter ces principes mêlés vitalement aux lois religieuses et aux rites qui en
extériorisent la vitalité4. " Tout en nous mettant en garde contre certaines expressions, il cite
un
p
a
ss
a
g
e suggestif de Mgr Le Roy:
" La religion (...) d’Afrique, si elle est mêlée à tout, se confond avec tout; avec les lois et
les habitudes reçues, les fêtes, les joies, les deuils, les travaux, les affaires, les incidents et les
accidents de la vie. Il est même
difficile, souvent, de la distinguer pratiquement de la médecine, la science, la superstition et la
magie. C’est pourquoi on n’a pas de mot pour la désigner dans son ensemble; elle figure sous
l’expression générale de Coutumes, ce que
2 Cf. Tradition et Modernisme en Afrique Noire. (Rencontre Internationales de Bouake) Ed. du
Seuil
Paris, p.140.
3 Tradition et modernisme en Afrique Noire (rencontre internationales de Bouaké), Paris, 1965,
p.94.
4 Cf. A. KAGAME, La philosophie Bantou comparée, Présence Africaine, Paris, 1976, p. 304.
l’on tient des ancêtres, ce qu’on a toujours cru et toujours fait, ce qui doit se pratiquer pour
maintenir la famille, le village, la tribu, ce dont l’abandon amènerait des malheurs ce
r
t
a
i
ns,
comme on l’a vu souvent5... "
On peut, sans risquer de commettre une erreur, dire qu’il y a autant de religions
traditionnelles qu’il y a d’ethnies au Mozambique. Cependant, cette pluralité n’empêche
nullement les religions traditionnelles d’avoir des points communs et des
préoccupations identiques. Elles reposent sur des scénarios fondamentaux communs. Je
c
o
mme
n
ce
r
ai
s
p
a
r
citer une idée de base: l’existence d’une Force Suprême non créée.
Dans cette croyance à une force Suprême transcendante, les religions
traditionnelles au Mozambique ont encore en commun:
* Le profond sentiment d’unité de toutes choses.
* La croyance en la nécessité de maintenir intacts et permanents les liens entre les vivants
et les morts.
* La foi en l’immortalité de l’âme. D’où le fait que les Sena appellent le mort du nom de
nhakuenda c’est-à-dire “celui qui a voyagé”.
* Le mystère et la force de la Parole, du Verbe.
* La puissance du rythme. La vie est un rythme, apparent ou caché. Si le rythme cesse, la vie
s’arrête.
* L’absence de prosélytisme et de guerres de religion.
* La nécessité des rites et des offrandes.
* Le respect rigoureux des hiérarchies, qu’elles soient de naissance ou de fonction sociale,
par analogie avec l’ordre hiérarchique du Cosmos.
Cette réalité est encore vivante chez les Sena de la Vallée du Zambèze. Et elle est
profondément liée à la conception politique, historique, économique, psychologique,
etc..
Si tel est le cas : comment s’est fait l’impact du christianisme dans cette Vallée du
Zambèze?
C’est cette réalité que nous voulons comprendre à travers non seulement cet
impact, mais aussi à travers la résistance marquée par la survie dans cette région de la religion
dite " animiste ".
I
l
n
e s’agit pas d'animisme tout serait vie ou vivant, âme
ou animé.
5 Cf. Mgr A. Le ROY. "La religion des primitifs" , in Etudes sur l’histoire des religions, n°1,
Paris,
1925, p. 57-58.
Nous essayerons de montrer cette réalité objective à travers ce que nous
appelons le sens de l’existence de l’homme, la vision du monde et de surcroît de
l’homme Sena. Cela nous permettra de voir dans un deuxième partie, comment le culte des
ancêtres et l’impact du christianisme ont pu se rencontrer et se nier mutuellement.
Les Sena de la vallée du Zambèze
Situation Géographique:
Il faut entendre par la Vallée du Zambèze la partie du fleuve qui s’étend de
l’embouchure de la rivière Zambèze jusqu’à Zumbo, dans la région de Tete au centre du
Mozambique, Afrique. Elle constitue environ 13 700 km² du territoire mozambicain. Il y a
deux organisations socio-culturelles distinctes, qui se rencontrent ( les matriarcales au nord et
les patriarcales au sud). Cette région offre une excellente voie de pénétration et
conséquemment, la diffusion culturelle pour de nombreux peuples de l’Orient
(Indonésie, Perse, Arabie, etc
.).
Ces divers peuples parcouraient la côte orientale
africaine depuis des millénaires. Par conséquent, les autochtones qui habitent dans cette vallée
présentent des traits de forte acculturation, que seules les études détaillées permettront
d’individualiser. Cependant, au Mozambique, les identité culturelles ont
origine et heritage complexes6.
Les groupes ethniques qui vivaient des deux côtés du fleuve Zambèze,
possé
d
aie
n
t
d
e
s
conditions écologiques semblables: l’agriculture à petite échelle ne
produisant qu’un excédent limité. Cette aspect constitue l’organisation économique
dominante pour tous ces groupes ethnolinguistiques.
Á l’arrivée des Européens, la vallée du Zambèze était devenue une zone
frontalière divisant deux importants systèmes politiques et culturels: au nord du fleuve
Zambèze se localisaient les peuples matrilinéaires d’ascendance Lundi, nommément les Nsenga,
Chewa et Manganja ( voir la carte des groupes ethniques du Mozambique). Au sud se situaient
des peuples de la famille " Shona "
p
a
r
mi lesquels, des Korekore, Tawara, Barué, Tonga et Sena.
C’est ce dernier qui présente le plus d’intérêt pour cette
étude.
6 Cf. DOMINGOS, Luis Tomas. África Oriental, Moçambique: As identidades culturais e raízes,
o
peso
de uma herança complexa. In SILVA, Antônio de Pádua Dias da. Identidades de Gênero
e
praticas
discursivas. Campina Grande: Editora da Universidade Estadual de Paraíba. 2008, pp: 203-210
Les Sena:
Les Sena sur le bas Zambèze au Mozambique sont Anthu, Bantou. Les
inventeurs du terme bantou n’avaient cependant en vue que les préoccupations
li
ngu
i
s
ti
qu
e
s.
Mais par la suite, les ethnologues s’en emparèrent pour désigner
également la civilisation et les différentes " races " concernées. Il n’y a pas de " race " bantoue
mais 300 langues qu’un chercheur allemand, Bleek, a proposé en 1851 d’appeler
bantoues, parce que, avec quelques variantes, elles utilisent toutes le mot " wanthu " , "
anthu " ou " bantou ", pour signifier les hommes, “le
s
g
e
ns
7
.
Les Bantous ont mis en
place une organisation sociale dont les traits caractéristiques ont fait l’objet de nombreuses
études, notamment de la part de missionnaires catholiques et protestants, à commencer par
l’ouvrage d’Henri Junod sur les Tsonga8.
Les Sena se reconnaissent à travers le peuple de ce nom, mais ils ont bien
plus nettement conscience de la solidarité qui les unit au sein d’un groupement régional auquel
ils donnent le nom de dzindza - peuple, peuplade - tout comme à l’ensemble de l’ethnie. Ces
groupements régionaux comprennent un certain nombre de grands clans patrilinéaires, ntupo9
non localisés, non organisés, et qui ne jouent aucun rôle politique. Les membres du ntupo
croient qu’ils
d
e
s
ce
nd
e
n
t
d’un
ancêtre commun. Mais ils ignorent le nom et ne se
reconnaissent pas d’ancêtre éponyme.
Pour les Sena, le seul point de référence et élément d’unité clanique est
l’animal éponyme et totem (ntupo). Par exemple il y a des ntupo: Ngawa, Mbande, Mbazo,
Thendu, Botha, Marunga, Bande, Simboti, Nyangombe, Chirongo, Chifungo, Duwo (de l’origine Teve),
Tembu, Chawu, Muwera etc.. Le Mbande est un oiseau (non identifié) qui vit dans les roseaux, aux
bords du fleuve, et qu’aucun membre du clan ne peut tuer ou manger.
La Religion.
7 Cf. W.H.I. BLEEK, A Comparative grammer of South Africain languages, 2 Vol, Le
Cap,
juta/
Londres Tübner 1862 – 1869; A. KAGAME. La philosophie Bantou comparé, Présence
Africaine, Paris,
1976,
p.52.
8 Cf. H. JUNOD, Mœurs et Coutumes des Bantou: la vie d’une tribu Sud-africaine, Payot, Paris,
1936.
9 Pour les Sena ntupo est en premier lieu un ancêtre mythique du groupe; en deuxième lieu,
son esprit est protecteur, même s’il est dangereux pour les autres, il connaît et épargne ses
enfants. D’une façon générale ntupo c’est le totem. Et selon Freud, le totem c’est un animal,
comestible (ou non ), inoffensif ou dangereux et redouté, plus rarement une plante ou une force naturelle (pluie,
eau, etc., ) qui se trouve
dans un rapport particulier avec l’ensemble du groupe.” ( Cf. S. FREUD, Totem et Tabou, Payot, Paris,
1965.
P.13.).
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