LA RELIGIOSITE AFRICAINE, CHEZ LES SENA DE LA

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LA RELIGIOSITE AFRICAINE, CHEZ LES SENA DE LA VALLEE DU
ZAMBEZE AU MOZAMBIQUE.
Luis Tomas Domingos1
Resumé
La religion dite traditionnelle en Afrique est un phénomène culturel.
Les faits qui
l’expriment ne peuvent être réduits à de simples facteurs d’explication objective de la vie.
Ces faits touchent à l’essence même de l’être, de la personne c’est-à-dire sa subjectivité.
Les interminables débats des théoriciens "savants", selon toute évidence, n’ont point
empêché l’Africain d’être ce qu’il est, ni de continuer à vivre sa vie spirituelle à la
manière qui lui convient, dans des conditions culturelles précises. Un des éléments
constants et généraux de la tradition culturelle africaine est la vision spirituelle de la vie. Il
ne s’agit pas seulement de la conception dite " animiste ", - dans le sens que l’histoire des
religions donnait à ce terme à la fin du siècle dernier - il s’agit d’une conception plus
profonde, plus vaste, plus universelle, selon laquelle tous les êtres, y compris la nature visible
sont considérés comme liés au monde de l’invisible et de l’esprit. La compréhension de cette
réalité est essentielle pour le changement de paradigmes de l’enseignement du fait religieux au
Brésil.
Mots clé : Religiosité africaine, Sena, Vallé du Zambéze, Mozambique, Afrique.
Resumo
A religião dita tradicional na África é um fenômeno cultural; os fatos que a exprimem
não pdoem ser reduzidos a simples fatores de explicação objetiva da vida. Este fatores dizem
respeito à própria
essência do ser, da pessoa, da sua subjetividade. Os
intermináveis debates dos “sábios” teóricos, não impediram o africano de ser o que é, nem
de continuar a viver sua vida espiritual à maneira que lhe convém, em condições culturais
precisas. Um dos elementos gerais e cosntantes da tradiçao africana é a visão espiritual da
vida. Não somente da concepção dita “animista”, - no sentido que a história das religiões dava a
este termo ao final do século passado. Trata-se de uma concepção mais profunda, mais
vasta mais universal,
segundo a qual todos os seres,
compreendendo a natureza visível, são considerados como ligados ao mundo do
invisível e do espírito. A compreensão desta realidade é essencial para a mudança de
paradigmas no ensino religioso, no Brasil.
Palavras-chave: religiosidade africana, povo Sena, Vale do Zambeze, Moçambique, Africa
Introduction
L’homme,
être
humain, en
particulier n’est
simplement comme matière limitée à la vie terrestre.
jamais
conçu purement
et
Mais on reconnaît en lui la
présence et l’action efficace d’un autre élément qui est spirituel, grâce auquel la vie humaine
est toujours mise en rapport avec la vie de l’au-delà. Nous verrons cette réalité
au long
de ce travail.
1 Université Paris 8/ UEPB
Les
progrès
réalisés
par de nombreuses
recherches
anthropologiques, voire historiques, permettent de mesurer cette réalité qui de surcroît est
incontournable dans l’analyse.
J’ai
souvent
constaté
que
dans
certaines
communautés chrétiennes naissantes chez les Sena de la Vallée du Zambèze, les anciens de ces
communautés reprochent aux jeunes chrétiens d’oublier les morts.
Et je me
demande s’il y a une opposition entre le christianisme et le culte des Ancêtres.
La
question doit être radicale si nous voulons tenir compte de l’existence concrète de chacun
des peuples Africain avec sa diversité, ses aspirations humaines fondamentales et ses
problèmes: En Afrique noire, l'Eglise catholique peut-elle devenir le lieu où la communion
avec les Ancêtres est possible? Pour situer le débat qui s’impose sur ce point, nous
proposons ici, par approches successives, quelques pistes de réflexion.
“La mentalité religieuse des noirs est telle qu’elle se répand sur absolument tous
les domaines. On a vu des cas vraiment extraordinaires: un homme par exemple qui refuse de
coudre telle chose ou de faire telle chose: Pourquoi? Pour une raison religieuse... On voit donc que
la religion explique
beaucoup d’attitudes et beaucoup de gestes africains. ”2
Dans la Vallée du Zambèze, chez les Sena-Bantu, comme partout en
Afrique noire, " la religion informe tout.
Son emprise s’étend à la vie politique, sociale, familiale.
L’esprit religieux l’emporte en général sur l’esprit politique3 ".
La
caractéristique essentielle de la religion des Noirs et des Bantou en particulier réside dans les
rapports de la religion avec la vie quotidienne. " La religion n’est cependant ni un principe abstrait,
écrit A. Kagame, ni même un ensemble de pareils principes, mais
un levain qui fait fermenter ces principes mêlés vitalement aux lois religieuses et aux rites qui en
extériorisent la vitalité4. " Tout en nous mettant en garde contre certaines expressions, il cite un
passage suggestif de Mgr Le Roy:
" La religion (...) d’Afrique, si elle est mêlée à tout, se confond avec tout; avec les lois et
les habitudes reçues, les fêtes, les joies, les deuils, les travaux, les affaires, les incidents et les
accidents de la vie.
Il est même
difficile, souvent, de la distinguer pratiquement de la médecine, la science, la superstition et la
magie. C’est pourquoi on n’a pas de mot pour la désigner dans son ensemble; elle figure sous
l’expression générale de Coutumes, ce que
2 Cf. Tradition et Modernisme en Afrique Noire. (Rencontre Internationales de Bouake) Ed. du
Seuil
Paris, p.140.
3 Tradition et modernisme en Afrique Noire (rencontre internationales de Bouaké), Paris, 1965,
p.94.
4 Cf. A. KAGAME, La philosophie Bantou comparée, Présence Africaine, Paris, 1976, p. 304.
l’on tient des ancêtres, ce qu’on a toujours cru et toujours fait, ce qui doit se pratiquer pour
maintenir la famille, le village, la tribu, ce dont l’abandon amènerait des malheurs certains,
comme on l’a vu souvent5... "
On peut, sans risquer de commettre une erreur, dire qu’il y a autant de religions
traditionnelles qu’il y a d’ethnies au Mozambique. Cependant, cette pluralité n’empêche
nullement
les
religions
traditionnelles
d’avoir
des
points
communs
et
des
préoccupations identiques. Elles reposent sur des scénarios fondamentaux communs. Je
commencerais par citer une idée de base: l’existence d’une Force Suprême non créée.
Dans cette
croyance à
une force Suprême transcendante, les religions
traditionnelles au Mozambique ont encore en commun:
* Le profond sentiment d’unité de toutes choses.
* La croyance en la nécessité de maintenir intacts et permanents les liens entre les vivants
et les morts.
* La foi en l’immortalité de l’âme. D’où le fait que les Sena appellent le mort du nom de
nhakuenda c’est-à-dire “celui qui a voyagé”.
* Le mystère et la force de la Parole, du Verbe.
* La puissance du rythme. La vie est un rythme, apparent ou caché. Si le rythme cesse, la vie
s’arrête.
* L’absence de prosélytisme et de guerres de religion.
* La nécessité des rites et des offrandes.
* Le respect rigoureux des hiérarchies, qu’elles soient de naissance ou de fonction sociale,
par analogie avec l’ordre hiérarchique du Cosmos.
Cette réalité est encore vivante chez les Sena de la Vallée du Zambèze. Et elle est
profondément liée à la conception politique, historique, économique, psychologique,
etc..
Si tel est le cas : comment s’est fait l’impact du christianisme dans cette Vallée du
Zambèze?
C’est cette réalité que nous voulons comprendre à travers non seulement cet
impact, mais aussi à travers la résistance marquée par la survie dans cette région de la religion
dite " animiste ". Il ne s’agit pas d'animisme où tout serait vie ou vivant, âme
ou animé.
5 Cf. Mgr A. Le ROY. "La religion des primitifs" , in Etudes sur l’histoire des religions, n°1,
Paris,
1925, p. 57-58.
Nous essayerons de montrer cette réalité objective à travers ce que nous
appelons le sens de l’existence de l’homme, la vision du monde et de
surcroît
de
l’homme Sena. Cela nous permettra de voir dans un deuxième partie, comment le culte des
ancêtres et l’impact du christianisme ont pu se rencontrer et se nier mutuellement.
Les Sena de la vallée du Zambèze
Situation Géographique:
Il faut entendre par la Vallée du Zambèze la partie du fleuve qui s’étend de
l’embouchure de la rivière Zambèze jusqu’à Zumbo, dans la région de Tete au centre du
Mozambique, Afrique. Elle constitue environ 13 700 km² du territoire mozambicain. Il y a
deux organisations socio-culturelles distinctes, qui se rencontrent ( les matriarcales au nord et
les patriarcales au sud).
conséquemment,
la
Cette région offre une excellente voie de pénétration et
diffusion
(Indonésie, Perse, Arabie, etc.).
culturelle
pour
de
nombreux
peuples
de
l’Orient
Ces divers peuples parcouraient la côte orientale
africaine depuis des millénaires. Par conséquent, les autochtones qui habitent dans cette vallée
présentent des traits de forte acculturation, que seules les études détaillées permettront
d’individualiser. Cependant, au Mozambique, les identité culturelles ont
origine et heritage complexes6.
Les groupes ethniques qui vivaient des deux côtés du fleuve Zambèze,
possédaient
des
conditions écologiques semblables: l’agriculture à petite échelle ne
produisant qu’un excédent limité. Cette aspect constitue l’organisation économique
dominante pour tous ces groupes ethnolinguistiques.
Á l’arrivée des Européens, la vallée du Zambèze était devenue une zone
frontalière divisant deux importants systèmes politiques et culturels: au nord du fleuve
Zambèze se localisaient les peuples matrilinéaires d’ascendance Lundi, nommément les Nsenga,
Chewa et Manganja ( voir la carte des groupes ethniques du Mozambique). Au sud se situaient
des peuples de la famille " Shona " parmi lesquels, des Korekore, Tawara, Barué, Tonga et Sena.
C’est ce dernier qui présente le plus d’intérêt pour cette
étude.
6 Cf. DOMINGOS, Luis Tomas. África Oriental, Moçambique: As identidades culturais e raízes, o
peso de uma herança complexa. In SILVA, Antônio de Pádua Dias da. Identidades de Gênero e praticas
discursivas. Campina Grande: Editora da Universidade Estadual de Paraíba. 2008, pp: 203-210
Les Sena:
Les Sena sur le bas Zambèze au Mozambique sont Anthu, Bantou.
Les
inventeurs du terme bantou n’avaient cependant en vue que les préoccupations
linguistiques.
Mais par la suite, les ethnologues s’en emparèrent pour désigner
également la civilisation et les différentes " races " concernées. Il n’y a pas de " race " bantoue
mais 300 langues qu’un chercheur allemand, Bleek, a proposé en 1851 d’appeler
bantoues, parce que, avec quelques variantes, elles utilisent toutes le mot " wanthu " , "
anthu " ou " bantou ", pour signifier les hommes, “les gens”7. Les Bantous ont mis en
place une organisation sociale dont les traits caractéristiques ont fait l’objet de nombreuses
études, notamment de la part de missionnaires catholiques et protestants, à commencer par
l’ouvrage d’Henri Junod sur les Tsonga8.
Les Sena se reconnaissent à travers le peuple de ce nom, mais ils ont bien
plus nettement conscience de la solidarité qui les unit au sein d’un groupement régional auquel
ils donnent le nom de dzindza - peuple, peuplade - tout comme à l’ensemble de l’ethnie. Ces
groupements régionaux comprennent un certain nombre de grands clans patrilinéaires, ntupo9
non localisés, non organisés, et qui ne jouent aucun rôle politique. Les membres du ntupo
croient qu’ils descendent d’un ancêtre commun. Mais ils ignorent le nom et ne se
reconnaissent pas d’ancêtre éponyme.
Pour les Sena, le seul point de référence et élément d’unité clanique est
l’animal éponyme et totem (ntupo). Par exemple il y a des ntupo: Ngawa, Mbande, Mbazo,
Thendu, Botha, Marunga, Bande, Simboti, Nyangombe, Chirongo, Chifungo, Duwo (de l’origine Teve),
Tembu, Chawu, Muwera etc.. Le Mbande est un oiseau (non identifié) qui vit dans les roseaux, aux
bords du fleuve, et qu’aucun membre du clan ne peut tuer ou manger.
La Religion.
7
Cf. W.H.I. BLEEK, A Comparative grammer of South Africain languages, 2 Vol, Le
Cap, juta/ Londres Tübner 1862 – 1869; A. KAGAME. La philosophie Bantou comparé, Présence
Africaine, Paris,
1976,
p.52.
8 Cf. H. JUNOD, Mœurs et Coutumes des Bantou: la vie d’une tribu Sud-africaine, Payot, Paris,
1936.
9 Pour les Sena ntupo est en premier lieu un ancêtre mythique du groupe; en deuxième lieu,
son esprit est protecteur, même s’il est dangereux pour les autres, il connaît et épargne ses
enfants. D’une façon générale ntupo c’est le totem. Et selon Freud, le totem “ c’est un animal,
comestible (ou non ), inoffensif ou dangereux et redouté, plus rarement une plante ou une force naturelle (pluie,
eau, etc., ) qui se trouve
dans un rapport particulier avec l’ensemble du groupe.” ( Cf. S. FREUD, Totem et Tabou, Payot, Paris,
1965.
P.13.).
Etymologiquement, on pourrait dire, avec Cicéro, que le mot religion du verbe
religare: relire, revoir avec soin: ou bien, si l’on rejette ce sens répétitif, on pourrait lui donner le
sens étymologique de religere: recueillir, ressembler.
En revanche, Durkheim pense la réalité de la religion par l’explication qu’il en donne.
Si l’homme adore la société transfigurée, il adore en effet une réalité authentique.
Qu’y a- t-il de plus réel que la force même de la collectivité? La religion est une expérience
trop permanente et trop profonde pour ne pas correspondre
à une réalité authentique.
Cette réalité authentique n’est pas Dieu, il faut qu’elle soit la réalité située immédiatement audessous de Dieu, à savoir la société.
Selon Durkheim l’interprétation sociologique de la religion prend deux formes: la
première forme met accent sur l’idée que, dans le totémisme, les hommes adorent, sans le
savoir, leur société, ou encore que le sacré s’attache avant tout à la force collective et
impersonnelle qui est une représentation de la société elle-même; le deuxième forme les
sociétés sont portées à créer des dieux ou des religions quand elles sont
dans l’état
d’exaltation. Cette attitude résulte de l’intensité extrême de la vie collective elle-même.
La religion suppose donc le sacré, puis l’organisation des croyances relatives au
sacré, enfin des rites ou des pratiques dérivées de manière plus ou moins logique des croyances.
“ Une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’està-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en même en une même communauté morale
appelée église, tous ceux qui y
adhèrent.” 10
Cette essence, Durkheim la trouve dans l’opposition entre sacré et profane,
commune à tous les systèmes religieux: ‘une religion est un système solidaire de
croyances et pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites’. Le
problème consiste alors à expliquer pourquoi toutes les sociétés connaissent cette distinction,
qu’il s’agisse des sociétés australiennes ou des sociétés modernes.
Mais, étant dans le domaine de Bantou, c’est un munthu ( être humaine) qui
devrait nous dire ce que signifie pour lui le terme religion, et je crois qu’il y verrait
10 Durkheim, Emile. Les formes élémentaires de la vie religieuse.. Le Système en Australie. Paris:
Ed.; Alcan 1912; cité d’après la 4e. édition, Paris PUF, 1960. p. 269.
plutôt une idée de lien “ un lien d’union entre les hommes, ou entre les hommes et les dieux. ”11
N’oubliions pas, en effet, que les sociétés mozambicaines traditionnelles
ignorent la distinction nette entre le monde sacré et le monde profane. La meilleure preuve
en est l’absence, dans la plupart des langues africaines, d’un mot équivalent à ce que nous
appelons “ religion ”. Celle-ci était partie intégrante d’une culture vécue comme un tout
aux éléments indissociables, et dont les normes réagissaient toutes les expressions de la vie
collective et individuelle.
Pour nous rendre compte de la place qu’occupe la religion
traditionnelle chez les Bantou et du rôle qu’elle joue dans la culture bantou et
négro-africaine en général, nous aurions pu suivre l’homme africain
depuis la naissance jusqu’à son enterrement, et constater ainsi que sa
vie individuelle et collective baigne dans une atmosphère religieuse12
On retrouve aussi cette religion et philosophie13
dans les méditations et
manipulations de choses et des hommes par les nganga ( “ devins, médecins,
guérisseurs ” que je les appelle tradi-praticiens), dans les rites de fécondité (récoltes, abondance
des hommes, troupeaux), dans les danses où la volonté et la beauté rivalisent, dans les
rites de naissance, de passage à la vie adulte comme dans les rites funéraires. Tout cela se vit
au coeur du drame social.
La première donnée dont il faut s’en convaincre est le lien intime qu’existe entre la
religion et la vie sociale. La religion traditionnelle imprègne toute la vie de la communauté
en Afrique . Elle est globalité. Ramenée à l’essentiel, leur vision du monde, conduit à
l’unité, car elle n’implique pas une nette différence entre le profane et le sacré, la matière et
l’esprit. Pour elle, les vivants et les morts, le cosmos visible et le monde invisible, ne
constituent qu’un seul et même univers. Et les antinomies du bien et du mal, de la vie et de
la mort, qui ont leur source dans les antagonismes inhérents aux êtres existants, ne mettent
pas en cause l’unité de cette vision du monde. Cette dernière ne semble pas basée sur une
recherche des lois régissant l’univers, à la manière
d’une étude scientifique. Mais selon le développement de leur logique d’une pensée,
11 Cf. LALANDE, A. Vocabulaire technique et critique de la philosophie. Paris: PUF. 1968.
mot:
religion.
12 Cf. MULAGO, gwa Cikala Musharhamina. La religion Traditionnelle Bantu et Leur Vision du
Monde
. 1965. p. 149.
13Cf. MBITI, JOHN, S. African Religions and Philosophy. London: Heinemann, 2ed. 2008
différente de la logique cartésienne, dont les composantes sont cohérentes: dynamisme de
l’être, participation et “ sympathie ”, puissance de l’image et de parole, symbolisme.
Alors qu’en occident on conçoit l’univers comme stable, comme une machine bien
réglée dont les lois doivent être comprise par la raison humaine tout à l’opposé, dans la
demarche dialectiques . Tandis, chez les Sena conçoivent le cosmos comme un complexe de
forces qui se neutralisent les unes les autres,dans des processus de complementairité,
dont l’équilibre est toujours instable.
La religion traditionnelle Sena ne connaisse pas de véritable distinction entre la
communauté religieuse et société politique, spirituel et temporel, activité religieuse et activité
culturelle. La culture n’est que l’expression du religieux dans les différents domaines de la
vie. La religion pénètre, informe et modèle toutes les activités de l’homme, de la
construction d’une habitation ou d’un monument, jusqu’à la célébration des moments
culminants de la vie individuelle et sociale. Elle joue efficacement son rôle rassurant et
protecteur. “ Profondément intégrée à la vie sociale et technique, elle imprègne de son rituel tous les actes
quotidiens et enserre l’homme dans un réseau
efficace de défense et de certitudes.”14.
La fonction sociale de la religion est indépendante de sa vérité ou de son
erreur, et les religions que nous trouvons fausses, ou même absurdes et
répugnantes comme celle des trubus sauvages, peuvent jouer un rôle important
et efficace dans le mécanisme sociale: sans ces religions “ fausses ”,
l’évolution sociale et le développement de la civilisation moderne auraient
été impossibles15.
Les créations politiques et les institutions sociales, ainsi
que les expressions
artistiques ne sont que la reproduction et l’imitation des gestes des êtres divins. Dans ce cas,
n’est-il pas possible de parler de culture autonome chez les Sena du vallée du Zambèze, car
le religion envahi le domaine de la culture et l’absorbe.
Et cette vision du monde dite archaïque des peuples bantou n’est pas absente des
mentalités collectives de leurs descendants qui habitent de nos jours dans les villes et les
villages. Les adaptations au moderne et au progrès, il faut savoir compter avec l’ancien. Les
sociétés ne sont pas des tables rases. La religiosité de cette ethnie bantou
est donc d’une nature spécifique, très différente de ce que l’Européen moyen entend
14 Cf. HERSKOVITS, M. J. L’heritage du Noir, Mythe et Réalité. Paris: Ed. Presence
Africaine. 1966. p. 241.
15 Cf. RADCLIFFE - BROWON: Structure et fonction dans la société primitive. Paris: Edition de
Minuit. 1968. p. 231.
couramment par ce mot. Elle n’est ni évasion, ni moyen de consolation, ni échelle vers le
divin. Elle est, avant tout, la conséquence logique d’une façon de voir et d’être, soit l’application
intentionnelle dans la routine quotidienne des principes philosophiques admis. Bref, elle
est une mentalité spécifique du groupe ethnolinguistique où la contemplation de la vie
n’est qu’un luxe rare. Ainsi pour les Sena la religion est une nécessité, car elle fournit au
vivant - et, de fait, elle est la seule à pouvoir le faire - le chemin vers la source énergétique,
située dans l’au-delà, qui lui permet d’assurer et de perpétuer son existence matérielle.
La relation entre le secteur physique et secteur spirituel est droite et reciproque. L’un
ne saurait être conçu sans l’autre. Les humains en rendant le culte à leurs ancêtres renforcent
leur potentialité mystique: les ancêtres satisfaits garantissent le bien-être et la procréation
régulière de leur groupe.
La preuve de cet embarras, il est suffit de rappeler qu’après un période déjà longue
de querelles de clocher, les spécialistes ne se sont toujours pas mis d’accord sur un terme
réellement bien ajusté pour englober ensemble des religions traditionnelles d’Afrique. La
théorie de la “ religion primitive ”, défendue pendant quelque temps par Lucien Lévy-Bruhl,
et avec une argumentation différente, mise en doute, par Emile Durkheim, implique, par
son adjectif même, l’invention de jugements subjectifs et, de ce fait, n’a pas eu de vie
longue; d’ailleurs, elle opérait un peu
abusivement avec les conceptions totémiques,
auxquelles les courants plus récents de sociologie ne veulent pas reconnaître un caractère
proprement religieux.
Alors, peut-être
...
le
“ fétichisme ”?
Non plus, à
cause
du discrédit
étymologique que l’on connaît, et par crainte de ne pas accuser l’africain de la tradition de
vénérer les cailloux, les arbres ou des morceaux de bois taillé. La campagne de sauvetage,
menée par la suite par E.B. Tylor, préférant parler d’un “ animisme ”. Max Müller, père de la
doctrine encore moins chanceuse de “ naturalisme ”, il n’a eu en définitive qu’un maigre
retentissement, et, alors la recherche d’une issue se poursuit... Mais le cepticisme continue
parmis des ethnologues:
Si les religions des autres peuples, ou tout au moins de ceux que l’on
appelle primitifs, sont des systèmes de croyances erronées et illusoires,
on doit se demander comment ces croyances ont pu être formulées et
acceptées16.
16 Cf. RADCLIFFE-BROWON, A. R. op. cit.. p. 230-231.
Vision du monde.
Je ne peux pas soutenir qu’il n’existe pas la vision du monde chez les Sena, de
conception globale de l’existence par les peuples bantu de philosophie bantou. Chez peuples
bantou, il existe une philosophie que l’on peut découvrir dans les rapports des hommes avec le
sacré (cultes, « magies »); dans les rapports des hommes entre eux sous le regard des ancêtres et
des dieux “ethniques”; dans l’exercice du pouvoir souverain par le chef de clan, le chef de
lignage, le chef de village, le chef de terre, le chef de chefferie ou par le roi. Peut-on dire
qu’il existe, dans les sociétés traditionnelles Sena, une philosophie, au sens grec du terme,
c’est-à-dire une recherche de la Sagesse. Mais dans un contexte et une signification specifique
Africain e different d’occidental, que functionne dans d’autres paradimas du savoir et de
connaissance et dans d’autre demaches espistemologique. Disons plutôt que ce Gnosis
existe. Cette Sagesse est le vieillard, dans la solitude de sa case (cabane), le Conseil des
Anciens sous l’arbre à palabre. Les maîtres des Initiés au bois sacré des circuncis, ne sont pas à
la recherche de la Sagesse. Ils l’a possèdent et leur souci est de la transmettre aux jeunes
générations, comme eux-mêmes l’ont reçue des générations précédentes. Nous sommes
ici en présence d’une véritable “ mens Sena -bantou-Africain ”, à laquelle il faut accepter de
s’initier - mieux la compreendre.
Enfin les grands traits de vision du monde, Cosmogonie
Sena
que
j’a’appelle
“ontologie” est anthropocentrique. Tout est consideré en termes de relation avec l’êtrehumain munthu, pl. anthu. Les composantes ou “categories” essentielles de cette
representation du monde sont les suivantes:
1) Mulungu: Dieu, l’explication ultime de l’origine de la substance de l’homme
et de toutes choses; Les principes qui animent l’homme viennent de Dieu. Voilà la
réponse le plus précise qu’on puisse recueillir de la bouche des sages Sena. Personne ne sait
comment les principes vitaux sont unis au corps et le phénomène de la reproduction reste,
chez l’homme, chez l’animal et chez les végétaux, dans l’étude de la psychologie de tous les
peuples du monde, un mystère.
2) Azimu: les esprits faits d’êtres surhumains et des esprits des hommes morts
longtemps auparavant; Les morts portent le nom de “ Wazimu ” ou Bazimu, cet “ U ” final
indiquant qu’ils ont eu la vie mais qu’ils ne l’ont plus. Si les Sena ont l’habitude de dire que
les ancêtres ou trépassés “ sont et exercent certaines activités, il ne faut pas entendre par
là qu’ils ont la vie, qu’ils vivent,
mais tout simplement qu’ils
existent et qu’en mourant ils n’ont pas cessé d’être. La vie est, pourtant, le privilège des
habitants de la terre.
3) Munthu: l’homme, comprenant les êtres humains qui sont encore vie et ceux qui
sont sur le point de naître. Tout vivant se reconnaît au fait qu’il s’agit et réagit d’une
façon consciente, se développe, procrée et exerce des activités internes et externes
grâce aux principes vitaux qui l’animent.
Les hommes et les animaux
possèdent, en effet, la caractéristique la plus distincte du vivant, à savoir la vie
psychique grâce à laquelle ils peuvent agir sur le monde extérieur en vue de leur propre
épanouissement.
4) Pinhama na mithi: les animaux et les plantes, ou le reste de la vie
biologique.
5) Les phénomènes et objets qui ne participent pas à la vie biologique.
Cette échelle, pour les Sena, prend forme de vie et devient réelle à cause de
l’homme qui, par sa pensée, lui donne en quelque sorte “ le sceau de l’objectivité ”.
L’homme Sena tire de son propre fond cette philosophie qui prend, du coup, valeur
explicative pour l’homme lui-même.
L’homme imagine la création et y consent. En
définitive, cette vision du monde est spiritualiste, puisqu’elle place l’homme en face de la
transcendance. La simple contemplation de la voûte céleste, le
silence de la forêt,
l’attachement à la terre peuvent être autant d’attitudes hiératiques qui provoquent une
expérience religieuse. L’organisation sociale, politique et économique est en relation avec le
système des croyances et des représentations religieuses. Les techniques elles- mêmes, comme
celles des forgerons et des tisserands, sont liées à des croyances et à des pratiques religieuses.
La connaissance est ici d’ordre de l’experience affective. L’idée première
envisagée est celle de l’intériorité. Elle est par rapport à l’homme. Voila pourquoi cette
connaissance n’aboutit pas à une métaphysique de l’intériorité car elle est immanente de
l’existence. De son côte l’abbé Alexis Kagame, parvient au même dévoilement de la
conception bantou du monde:
Ainsi, le Préexistant a fait surgir les commençant a exister, les a
crées, y compris ces ancêtres reculés. Ces derniers, à leur tour, on fait
surgir les membres de telle sociétés et, fictivement ou réellement, les éléments
culturels dont vivent leurs descendants. Si le faire surgir, le crée, est attribué
à la puissance
de la Divinité,
elle
est
analogiquement attribuable aux ancêtres, du fait qu’ils sont créateurs à leur
échelon, dans une ordre différen17.
Par consequent, l’homme n’est pas exilé dans le monde:
en
termes
anthropocentriques, Dieu est le créateur et celui qui nourrit l’homme; les esprits
expliquent la destinée de l’homme. L’homme est le centre; les animaux, les plantes, les
phénomènes naturels et les objets constituent le milieu où il vit, et lui procurent les moyens
d’exister; en cas de nécessité, l’homme établit une relation mystique avec eux .
Conclusion
L’homme de science ne doit pas minimiser l’influence actuelle des religions
traditionnelles qui ont modelé l’homme africain parce qu’elle ne faisaient qu’un avec la vie des
hommes. Elles ont des âges historiques: source d’humanisme et de dignité de la personne;
source de développement politique et juridique; source de développement social et familial;
source de développement technique; source de la médecine corporelle et mentale; source de la
culture, oral, de la bauté plastique, chorégraphie; source du l’unité de monde négro-africain.
La religion
a été et est le milieu nourricier des civilisations négro-africaines et
actuellement encore on ne saurait les comprendre, particulièrement dans le domaine des arts,
en dehors du souffle religieux qui les a inspirées.
Dans la vision du monde Sena - bantou, il y a un regard de près qui ne tourne pas
seulement autour de seul l’homme mais de toute une communauté. L’être humain vivant
possède un esprit qui rejoint l’univers des génies dans l’écoulement de la temporalité.
L’homme connaît, de ce fait, l’immortalité. Autrement dit, l’homme, à la lumière de son
destin est une phase inachevée dont le sens total n’apparaît qu’à la fin toujours en pointillé.
La connaissance totale de lui-même lui échappe. Sa vérité est celle d’un horizon sans cesse
différé, d’un abîme sans fond. Enfin l’homme se cherche lui-même. L’homme qui se révèle
dans la conquête de sa destinée apparaît comme un désir de vivre pleinement et, dans le
même élan, comme initiative en vue de son accomplissement intégral.
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17 Cf. KAGAME, Alexis. La Philosophie Bantou comparée. Paris. Présence Africaine. 1976. p.
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