Note d’intention
En tant que femme, et artiste, j’ai de bonnes raisons de croire et depuis longtemps
que quelque chose échappe à notre entendement dans nos civilisations, qu’elles
soient occidentales ou tout simplement mondiales. Le rapport à la compétitivité, à la
nécessité d’engager une carrière, une famille, de prendre en charge très jeune et
pour la vie entière la « responsabilité » de son existence, est de toute évidence une
pression, une violence issue d’une organisation collective portée sur les questions de
pouvoir et d’accumulation (des biens, des richesses, des savoirs...). Il m’est donc
apparu, au fil de mon parcours, tant personnel qu’artistique, la nécessité de prendre
le temps de travailler sur ce « passage » : de l’enfance à l’âge adulte, homme ou
femme, salarié ou chômeur, parent ou non, pour essayer de redéfinir ce qui nous
pousse tant à nous opposer pour exister, et à quoi.
A la lecture du recueil de Paul Fournel, Les petites filles respirent le même air que nous,
j’ai immédiatement eu envie de l’adapter au théâtre. Les saynètes minuscules et
intimes que traverse chaque personnage du recueil sont pour moi le reflet des
questions centrales de nos vies : comment affronte-t-on le plaisir, la honte, la mort ou
l’autorité dans notre quotidien ? En quoi être devenu « adulte » a-t-il changé notre
rapport à ces émotions, à ces joies ou ces difficultés face auxquelles la vie, puis la
société, nous a mises ? En quoi poser ces questions de façon collective, sur un plateau
de théâtre, peut-il nous aider à mieux comprendre qui nous sommes et ce qu’est
notre identité ?
Pour chacun, l’enfance est un souvenir, c’est-à-dire un passé intouchable, non-
modifiable, dans le merveilleux comme le douloureux. C’est aussi le point de départ,
le moment où l’individu se retrouve, sans même le savoir, face aux plus grandes des
problématiques : l’héritage, la place dans l’histoire, la constitution du corps social, la
question de genre, le libre-arbitre... « On ne naît pas femme, on le devient. » Tout
comme on ne naît pas homme, d’ailleurs. Avec les mouvements féministes actuels, au
cœur d’une question brûlante qui est notre avenir à tous en ce 21ème siècle, m’est
apparu comme un faux-sens, un mauvais point de départ sur cette question du vivre-
ensemble : certains mouvements de lutte féministe semblent mettre une société
patriarcale au cœur du problème actuel de l’inégalité hommes-femmes. Loin de
contester ce que les chiffres racontent d’eux-mêmes, je me demande simplement si
nous n’avons pas confondu, dans nos volontés de revendication de plus de liberté,
différence et égalité. Nous sommes tous des individus différents par nature, et
voudrions résoudre ce postulat dans une « culture » égalitaire. Or, mon métier étant
précisément celui de la « culture », je ne vois pas en quoi nos différences seraient à
gommer pour atteindre l’égalité, en quoi elles ne pourraient pas au contraire être une
vraie force pour construire ensemble une société plus juste. L’enfant que nous avons
été ou que nous mettons au monde est alors à interroger, à la fois bouc émissaire et
force de résistance. S’interroger sur la question du genre, non dans une défense de la
« cause des femmes», non comme une séparation entre masculin et féminin, non
comme une revendication victimisée et culpabilisante, mais s’interroger en tant
qu’individu de ce siècle : l’égalité des droits est cruciale, certes, et doit être
défendue, mais peut-elle seule prendre en charge le développement d’une réelle
égalité culturelle, commune et libératrice ?
Le recueil de Paul Fournel offre des portraits de petites filles à l’instant de ce passage
fragile entre enfant et « adulte »... nous souhaitons donc poursuivre la réflexion