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Cette ressource qu’est un portail cosmique est en même temps une contrainte forte,
parce qu’elle s’accompagne d’interdits puissants, démarquant cet espace sacré de
l’étendue profane. Rien de tout cela n’existe pour First Majestic Silver, sinon dans la
mesure où il doit tenir compte de la résistance des Huichols. Pour lui, le cerro est
également une ressource, mais d’ordre purement matériel, comptable et sans nul
interdit. Au contraire, il a le droit pour lui – le droit de la « prise de terre », la
Landnahme réalisée par la Conquista, et qui, jusqu’à ces derniers temps, a
juridiquement aboli les prises écouménales des peuples premiers.
Dans ce litige, le seul point de rencontre paraît être la nature au sens
écologique. Tant les Huichols que First Majestic Silver disent vouloir la protéger.
Quelle que soit la crédibilité respective de leurs propos, le fait est qu’ils accordent à la
nature une valeur apparemment commune, et distincte de celle des lieux sacrés en
tant que tels. Qu’est-ce donc que cette valeur ?
4. La nature n’est pas l’environnement
Il faut ici introduire une distinction entre ce que peut être la nature dans une
cosmologie traditionnelle comme celle des Huichols, et ce qu’elle peut être dans le
monde d’une société minière moderne comme First Majestic Silver. La modernité se
caractérise à cet égard par une décosmisation radicale, celle qui était contenue en
germe dans la définition de l’être du sujet cartésien, le cogito. Le Discours de la méthode
contient en effet ce passage éclairant
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:
Je connus de là que j’étais une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de
penser, et qui, pour être, n’a besoin d’aucun lieu, ni ne dépend d’aucune chose
matérielle.
Autrement dit, le sujet moderne s’auto-institue dans l’abstraction de tout lien
ontologique avec le milieu. Celui-ci se mue par principe – le principe du dualisme
sujet/objet – en un environnement objectif, que petit à petit les sciences modernes, et
en particulier l’écologie, apprendront à reconnaître comme tel.
Nous pensons encore très largement dans le cadre de ce dualisme, où la nature
est un objet : l’environnement. J’en prendrai pour exemple l’« écologie profonde »
d’Arne Næss, dont la pauvreté des considérations proprement ontologiques est
frappante, alors même qu’elle se veut ontologique avant tout puisque, selon son
auteur, c’est de là que le reste découle
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. Quel est donc ce parti ontologique ? C’est que
le soi se réalise par élargissement à un Soi qui n’est autre que la totalité des
interconnexions de la nature. Dans ce grand Tout, la valeur de chaque être de chaque
espèce est intrinsèque ; c’est-à-dire qu’il ne peut non seulement pas être question
d’une priorité de l’humain sur les autres vivants, mais que l’identification au grand
Tout est censée résoudre à la base les questions que se pose, entre autres, l’éthique de
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DESCARTES, Discours de la méthode. Méditations métaphysiques, Paris, Flammarion, 2008, p. 38-39.
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V. Arne NÆSS, Écologie, communauté et style de vie, Paris, Mf, 2008 (1989) ; Vers l’écologie profonde, avec
David Rothenberg, Marseille, Wildproject, 2009.